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Gracchus  Babeuf

« Le plus vieux complot de la partie contre le tout » 

 

                       Portrait de François-Noël Babeuf

         dessin d'Henri Rousseau, gravure d'Émile Thomas,

  Grands hommes et grands faits de la Révolution française            (1789-1804)" d'Augustin Challamel et Désiré Lacroix,

 

     Editions Furne, Jouvet & Cie, Paris, Magasin Pittoresque,

                                      1889

« Les affreux mystères de l'usurpation des nobles »

 

 

 

 

François-Noël Babu naît le dimanche 23 novembre 1760 dans une famille modeste à Saint-Quentin, dans l'Aisne. Ce nom de Babu figure sur son acte de baptême, car "boeuf" se dit "bu" en picard, soit Babœuf, orthographié Babeuf dans les actes officiels et par la famille elle-même (cf. Victor Advielle, 1833-1903,  Histoire de Gracchus Babeuf et du babouvisme. Tome 1, 1884 : 2),   Réédition du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S), 1990, disponible sur   Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5418q/f1.item.zoom

Il est l'aîné de treize enfants dont la plupart (neuf au total) décéderont en bas-âge.  En 1772, à l'âge de soixante ans, son père, Claude Babu, "employé des fermes du roy", épousera Marie Catherine Anceret, vingt ans. Mais, après la naissance de François-Noël, il perdra son emploi et ce dernier ne pouvant pas, faute de moyens, suivre un enseignement scolaire, c'est son père qui fit son éducation, et ce de manière très sévère : "L’instruction a coûté furieusement cher à mes épaules, écrit-il, car pour m’enseigner ce qu’on ne savait pas on s’y prenait assez rudement et je me rappelle parfaitement encore le ton soldatesque et les gestes terriblement contondants avec lesquels on a je ne dis pas brutalisé et rebuté, mais atrocement martyrisé mon enfance."   

Babeuf, Lettre du 22 février 1788 à un abbé de Saint-Quentin (l'abbé de Lartigue probablement), IML B 7, Archives centrales de l’Institut du Marxisme-Léninisme (IML), Moscou, ex Archives Marx/Engels, traduction française, in  "Babeuf (1760-1797), Buonarroti (1761-1837), pour le Deuxième Centenaire de leur naissance", collectif, Société des Etudes robespierristes,  imprimerie Georges Thomas à Nancy,  1961)

         l'abbé de Lartigue         chanoine de la paroisse Sainte-Marguerite à Saint-Quentin. En 1790, Babeuf le sauvera de la colère d'une foule de villageois, venus piller son appartement, suite à une question de vente de blés. Babeuf  écrira  "Precis historique sur M. l'abbé de Lartigue, chanoine de l'Eglise Royale de Saint-Quentin, décédé le 11 septembre 1790 par M. Néret, ancien Mayeur de la Ville de Saint-Quentin, le 30  septembre 1790". S. 1, Noyon,  Devin, 1790.

Babeuf fut donc toute sa courte vie un autodidacte. On ne sait presque rien de l'enfance et de la jeunesse de Babeuf, "enveloppées d’un épais voile de brouillard(Daline, 1963), dira Viktor Moiseevitch Dalin  (Daline, Виктор Моисеевич Далин1902-1985), sans doute le plus grand connaisseur de Babeuf  et du babouvisme. De plus, son fils Robert (né le 29 septembre 1785) qui se fera appeler Émile plus tard, a voulu quelque peu enjoliver l'histoire familiale. Il a, par exemple, nié que sa mère était femme de chambre, ce qu'elle était vraiment (Alfred Espinas, "La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution", Paris, Félix Alcan,  1898, p. 199 ),   en ligne sur Gallica :

                                          https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80081f.pdf

 

        histoire familiale       :    "Les deux plus jeunes fils de Babeuf sont connus par quelques actes dont les archives ont gardé le souvenir. Ils nous apparaissent comme des patriotes et des démocrates, mais cela n’en fait pas pour autant des adeptes des idées sociales de leur père : le dernier fils, Caïus, né chez l’épouse de P. N. Hésine au moment du procès de Vendôme, mourut en 1814 dans la défense de Paris ; le fils cadet, Camille, ouvrier orfèvre au chômage en 1813, se suicida de désespoir en 1815 lors de l’occupation de Paris par les alliés".

 

Claude Mazauric, Après vendôme, les idées de babeuf dans la mémoire et l’histoire, Colloque de la Société archéologique scientifique et littéraire du Vendômois, 1999 :

http://www.vendomois.fr/societeArcheologique/ressources/bulletins/Bulletin1999.pdf
 

 

 

Comme beaucoup d'enfants de familles pauvres, Babeuf sera obligé de travailler jeune, à quatorze ans, exerçant l'activité pénible de terrassier entre 1774 et 1777, au "canal de Picardie" (lettre du 22 février...op. cité), sans doute , le canal Saint-Quentin, entre l'Oise et la Somme, un travail difficile qui lui fera rechercher à chercher "quelque moyen moins pénible de pourvoir à ma subsistance.(op. cité).  Vers novembre 1777, il arrive à Flixecourt, dans la Somme, pour travailler comme apprenti chez Me Henri Joseph Hullin, notaire, "féodiste" (feudiste),  avant d'obtenir un maigre salaire, probablement à compter de mars 1779, qui le poussera à chercher une meilleure situation  (Dommanget, 1968).  En 1781, toujours comme feudiste, il se met au service de Louis-Alexandre Aubé de Bracquemont, au château de Damery, dans le Santerre,  entre Amiens et Saint-Quentin, où il s'installe et travaille aussi pour différents seigneurs, à Andechy, Quénoy, Armancourt, Grivilé, etc. (Pelletier, 1965).  Il y rencontrera sa future femme, Marie-Anne Victoire Lenglet, qu'il épousera le 13 novembre 1782. Elle est native de Roy, commune voisine de Damery, et exerce au château l'activité de femme de chambre. Babeuf quittera son emploi vers 1783 et ouvrira à Roye son bureau de feudiste et y installera sa famille. C'est à cette époque qu'il écrit le premier ouvrage qu'on connaît de lui, Mémoire sur les Chemins de la province d'Artois (Advielle,  op. cité : VII). 

En 1786, travaillant comme commissaire à terrier (géomètre), ou feudiste (spécialiste du droit féodal), toujours pour différents seigneurs, il écrit différents ouvrages professionnels, comme le "Mémoire peut-être important pour les propriétaires de Terres et de seigneuries ou Idées sur la manutention des fiefs", rédigé à partir de 1785 mais imprimé le 16 avril 1786 par Jean-Frédéric-Alexis Devin (1747- 1828), à Noyon, "qui l'appelait volontiers « son cher compère »" (Advielle, op. cité : 74)  où il parle de ne pas "perdre de vue les justes intérêts des Seigneurs". Ce mémoire n'était peut-être qu'un sommaire pour "l’Archiviste-terriste, ou traité méthodique de l’arrangement des archives des inventaires, des titres et des terriers d’icelles, des plans domaniaux, féodaux et censuels" (30 octobre 1786). Il écrit encore deux autres ouvrage de feudiste cette année-là, "Description d’un ordre méthodique (IML, B 23) et "Discours sur les causes des desordres qui se remarquent trop souvent dans les titres des Seigneuries".

Babeuf manifeste à certains endroits une grande prudence, mais à d'autres, transparaît clairement déjà, sa recherche de justice et d'égalité, quand il préconise, toujours à propos des intérêts des personnes, de tendre "également à la conservation de ceux du pauvre paysan qu'on a trop souvent oubliés". Il va même plus loin, dans le domaine politique, quand il affirme que les fiefs domaniaux doivent demeurer "des corps perpétuellement isolés, qui n’ont de rapport qu’avec le fief dont ils relèvent, et non avec ceux appartenant au même maître ; d’ autant que de telles relations ne peuvent être que momentanées , en ce qu’elles ne sont fondées que sur des conventions sociales, d’un genre susceptible de changement par la seule volonté des citoyens. (Babeuf,  Mémoire peut-être important..., op. cité).  Il s'exprime même sur différents sujets touchant à la démocratie :

"l’instruction n’est pas d’ordinaire le partage du plus grand nombre, et pourtant, la  plupart du temps, c’est l’avis de ce plus grand nombre qui prédomine, parce qu’on a  partout la manie de la pluralité des voix."

"Les sots imposent donc fréquemment la loi aux sages, et bien de spropositions très raisonnables sont rejetées par la raison qu'elles ne sont pas du goût des premiers, ou bien encore parce qu'ils ne les comprennent pas."

"On traite de novateurs et de gens à système les personnes dont les idées s'élèvent au-dessus de celles de la multitude ; et, d'un autre côté, la paresse naturelle aux hommes, les porte constamment à donner la préférence à ce qu'ils connaissent ou pratiquent de longue date, uniquement parce qu'ils y sont accoutumés, qu'un changement d'habitude est toujours un dérangement, et que tout dérangement suppose une fatigue ou un effort. La majorité est toujours du parti de la routine et de l'immobilité, tant elle est inéclairée, encroutée, apathique"   Babeuf,   Discours sur les causes..., in Advielle,  op. cité : 42). 

Ces dernières remarques, Babeuf les pense sans doute dans le cadre politique, car, sur le plan scientifique Babeuf ne semble pas du tout curieux des inventions et des techniques de son temps,  que ce soit les montgolfières ou les ballons qui connaissent un succès à Arras en 1787,  les débuts du magnétisme et de l'électricité par Coulomb, vers 1785, ou encore  la vaccine, vers 1796. 

Babeuf confiera quelques années plus tard que c'est bien au travers de son travail de feudiste qu'a grandi sa révolte des  injustices  sociales  : 

"J'étais féodiste sous l'ancien régime, et c'est la raison pour laquelle je fus peut être le plus redoutable fléau de la féodalité dans le nouveau ; ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les affreux mystères des usurpations de la caste noble. Je les dévoilai au peuple par des écrits brûlants, publiés dès l'aurore de la révolution. Mon département en fût électrisé, il se fit une insurrection contre les droits féodaux, on n'en paya plus trois ans avant le décret définitif qui les supprime ; le peuple me bénit, et la horde nobiliaire m'exécra. Sa rage contre moi a augmenté lorsque je prouvai le droit des citoyens à partager les biens communaux, et que je fis encore effectuer ce partage deux ans avant le décret. Ce fut encore moi qui insurrectionnai, en 89, contre les aides et gabelles, et qui fis donner une chasse générale à tous les proposés (sic) des publicains"    

 

Babeuf, Le Tribun du Peuple ou Le Défenseur des Droits de l'Homme en continuation du Journal de la Liberté de la Presse, N° 29, du premier au 10 Nivôse, l'an 3  de la République (30 décembre 1794).

 

Ce propos répond à la riposte du sénateur Edmond-Louis-Alexis Dubois-Crancé (1747 - 1814), accusé par Babeuf "de coopération à la rapsodie aristo-fédéralisto-fréroniste, intitulée : Journal des Lois, par Galletty", où Dubois  répond "dans le numéro 811 de cette pauvreté". 

   Galletty    :    Guglielmo Francesco Galletti († 1798),  imprimeur, journaliste, qui fonde le Journal des Lois de la République une et indivisible en 1792 avec un autre député, Charles-Nicolas Osselin (1752 - 1794). 

Les historiens du babouvisme ont montré, par ailleurs, qu'au-delà de son métier, les treize années de la vie active de Babeuf en Picardie ont été très importantes dans la formation de ses  idées, point mis particulièrement  en valeur par Maurice Dommanget dans ses Pages choisies de Babeuf.  Dans la préface qu'il rédigea pour l'ouvrage,  Georges Lefèbvre ne manquera pas de reconnaître que la pensée communautaire de Babeuf s'est développée "parmi les paysans de la plaine picarde où son esprit s’est formé" (in Dommanget, Pages choisies de Babeuf, Paris, Librairie Armand Colin, 1935, p. 10). D'autre part, Robert Legrand a bien montré, comme les propos de Babeuf qui viennent d'être cités le laissent entendre, que Babeuf  était en Picardie un leader très estimé et très actif (Legrand, 1981)Par ailleurs, c'est aussi par ses lectures que Babeuf approfondit ses conceptions sociales. Georges Lefebvre affirmait : "L'idée communiste prit naissance au cours de ses lectures, il la doit à Rousseau, à Mably, probablement à Morelly surtout( G. Lefebvre,  Les origines du communisme de Babeuf,, exposé au IXe  Congrès International  des Sciences Historiques, C.I.S.H,  à l'UNESCO,  27 août - 3  septembre 1950).  Daline précisera qu'il lit, médite et annote le Contrat social de Rousseau, qu'il tient ses Confessions pour un "chef d'oeuvre d'analyse", qu'il établit une critique serrée du Discours sur l'inégalité..., qu'il emprunte à Mably sa formule d'"Egalité parfaite" et enfin, que l'influence de Morelly, conformément  aux affirmations de Viacheslav Petrovitch Volgin (Volguin), est beaucoup plus tardive (Soboul, 1966).  

Du 1er juin de la même année date le fameux brouillon de lettre adressé à Dubois de Fosseux, devenu l'année précédente secrétaire perpétuel de l'Académie Royale des Sciences et des Belles Lettres d'Arras, dont Robespierre était alors le directeur depuis février 1786. Alors que Robespierre ne sera pas très connu avant 1789, le lien tout neuf de Babeuf avec de Fosseux lui permet de connaître déjà l'engagement politique de Robespierre, au travers de son discours du  27 avril 1786 prononcé à l'Académie, dont le sujet était le point de législation relatif à l'état et au sort dévolu aux bâtards (cf. Louis Jacob, Un éloge inconnu de Robespierre académicien, Annales Historiques de la Révolution française, octobre 1950). Babeuf, dans la réponse qu'il fait à  Dubois ne pouvait alors que couvrir d'éloges cet "avocat des pauvres" (selon l'expression de l'avocat Desmazières, cité par Babeuf), menant un combat contre les préjugés et les injustices :

 

"il sait, comme nous que la plupart du temps les bâtards sont des enfants de pauvres filles et de « jeunes gens » fils de famille que leurs parents déshériteraient s'ils avaient le malheur de les mésallier pour ne pas commettre une infamie, pour ne pas se souiller d'un crime. Il sait comme nous que la grande fabrique des bâtards est dans les couvents, et que chez les deux sexes le vœu de célibat n'est pas un vœu de chasteté...je sens que c'est un homme d'une probité exacte et d'un rare désintéressement."   (IML, N . 654, f° 223, p. 29).  

 

La correspondance entre Dubois et Babeuf s'échelonne de novembre 1785 à mars 1788, et Maurice Dommanget affirme qu'elle est décisive pour Babeuf dans sa formation intellectuelle, en particulier dans l'approfondissement de la pensée de Rousseau, de Mably ou de Morelly.   Dans le brouillon du 1er juin, toujours, Babeuf commentera les résultats du concours de l'Académie d'Arras, sur l'utilité de la division des fermes et propose déjà un mode collectif d'existence et de travail sur de grandes terres non divisées :   

 

" Il vaut mieux pour la moralité et pour le bonheur des habitants des campagnes, leur faciliter les moyens de se réunir que de les laisser se tenir à l’écart les uns des autres, chacun dans son trou […] Dans le contact continu, tout dessein suspect, toute action a un témoin ; la chaumière ne menace plus la chaumière, et le château peut être en parfaite sécurité ; plus de larron, plus d’incendiaire, plus de potence, plus de bourreau. Une foule de préjugés et des superstitions dangereuses ne tardent pas à disparaître ; car où des hommes se sont réunis pour vivre ensemble, la raison vient bientôt s’asseoir parmi eux […]

Gracchus  Babeuf, Brouillon de lettre de juin 1786  ( Daline et al, 1977 :   86).

Mais Babeuf n'eut pas le courage d'adresser la lettre telle quelle et adressera un texte très édulcoré où il tient encore "les partageux pour  insensés du point de vue économique"  (Markov, 1965).

  l'Académie d'Arras   : Y sera accueillie comme membre, en février 1787, Marie Le Masson Le Golft (1749-1826), havraise, institutrice, naturaliste, auteure en particulier du curieux Balance de la Nature de 1840, et l'historienne et journaliste parisienne Louise-Félicité Guynement de Kéralio-Robert, une des premières femmes, peu féministe (Geoffroy, 2006), qui fera suivre pourtant son nom marital de celui de naissance et sera fondatrice d'un journal, Journal d'Etat et du citoyen.   L'accueil de ces deux femmes était conforme au vœu de Robespierre et de Fosseux d'établir la mixité au sein de leur Académie, volonté réelle d'émancipation des femmes mêlée de galanterie et de paternalisme :  

"Il faut l’avouer : l’admission d’une femme dans une Compagnie littéraire fut regardée jusques ici comme une espèce de phénomène. La France et l’Europe entière en offraient très peu d’exemples. Empire de l’habitude et peut-être la force du préjugé semblaient opposer ces deux obstacles aux vœux de celles qui pouvaient aspirer à prendre place parmi vous. Deux femmes aimables et instruites daignaient cette année vous adresser les leurs et vous ne balançâtes pas un instant à les exaucer. Leur sexe ne leur fit rien perdre des droits que leur donnait leur mérite. Que dis-je, leur sexe vous parut sans doute un mérite de plus.  (…) aurais-je à combattre ceux qui, voulant condamner toutes les femmes à l’ignorance et à la frivolité regarderont comme un scandale tout ce qui supposera en elles un goût particulier pour les connaissances utiles ? Je me garderai bien de renouveler cette grande question qui serait elle-même le scandale d’un siècle éclairé."

Réponse de Robespierre au discours de Mme Louise de Keralio devant l'Académie d'Arras, 18 avril 1787, Œuvres de Maximilien Robespierre, Tome XI, compléments (1784-1794), Editions du Centenaire de la Société des Etudes robespierristes.

Suite à ces annonces, Babeuf prendra sa plume pour aller dans le même sens (galanterie comprise), car l'égalité qu'il prône ne concerne pas seulement les pauvres et les riches, mais toutes les formes d'inégalités :

" La femme ne se fût pas réfugiée dans ces tristes imitations, si l’on n’avait pas tué son génie ; il y aurait eu alors une littérature de femme, une poésie de femme, une musique, une peinture, une sculpture de femme ; en regard et à l’égal du génie de l’homme, se fût élevé le génie de la femme avec le caractère qui lui est propre et les deux sexes auraient pu s’admirer et se charmer réciproquement. Que de bonheur et de jouissances nous y aurions gagnées !" 

"La vraie civilisation s’arrête et se fixe majestueusement un niveau, là est marqué le terme de toutes les misères, de tous les gémissements, de tous les sanglots, de tous les grincements de dents. Là seulement, quand tous sont rassurés sur leur sort, là le but de la société est réalisé, puisqu’à moins d’être une ligue hostile aux principes de la justice, elle doit être instituée à cette seule fin que le faible ne soit pas plus malheureux que le fort, la femme plus malheureuse que le mari, la mère que le père, les enfants que le père et la mère, les sœurs que les frères, les cadets que les aînés ; le bonheur des individus, des familles, des peuples, des sexes ne peut être qu’un effet de l’égalisation : l’égalisation perfectionne et ne détruit rien que ce qui détruit. Tôt ou tard, elle détruira la servitude de la femme ; elle fera proclamer son affranchissement. Quelles seraient les conséquences de cet affranchissement, quelles lois nouvelles deviendraient indispensables pour qu’il n’ait que de salutaires effets ? ce sont là des questions que (sic) je ne suis pas en mesure de répondre, mais il faudra bien y songer quelque jour."    (Daline et al, 1977).

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                                               Portrait de Babeuf 

     collection Charavay (une famille de libraires collectionneurs depuis 1831)

       Alfred Espinas, "La philosophie sociale du XVIIIe siècle et la révolution"

                                            Editions Félix Alcan      1898.

Babeuf propose alors de créer des "fermes collectives" qui seraient des vraies "communautés fraternelles", où "50, 40, 30, 20 individus viennent à vivre en association sur cette ferme autour de laquelle, isolés qu'ils étaient auparavant, ils végétaient à peine dans la misère, ils passeront rapidement à l'aisance. (…) Emietter le sol par parcelles égales entre tous les individus, c'est anéantir la plus grande somme des ressources qu'il donnerait au travail combiné."

La même année, Dubois pousse notre géomètre-arpenteur à proposer des questions pour les futurs programmes de son académie. Babeuf, lui en envoya trois, le 21 mars. C'est la dernière qui retint particulièrement l'attention du Secrétaire :

"Avec la somme générale de connaissances maintenant acquise, quel serait l’état d’un peuple dont les institutions seraient telles qu’il régnerait indistinctement entre chacun de ses membres individuels la plus parfaite égalité, que le sol qu’il habiterait ne fût à personne, mais qu’il appartînt à tous ; qu’enfin tout fût commun, jusqu’aux produits de tous les genres d’industrie. De semblables institutions seraient-elles autorisées par la loi naturelle ? Serait-il possible que cette société subsistât, et même que les moyens de suivre une répartition absolument égale fussent praticables ?"

Un peu plus tard, Dubois fait connaître à Babeuf l'ouvrage utopiste de Claude-Boniface Collignon († 1819 ), "L’avant-Coureur du changement du monde entier par l’aisance, la bonne éducation et la prospérité générale de tous les hommes ou Prospectus d’un mémoire patriotique sur les causes de la grande misère qui existe partout et sur les moyens de l’extirper radicalement" (Londres, 1786). L'ouvrage présente un certain nombre de points qui seront partagés par les Babouvistes : "tout sera en commun ; tous les individus des deux sexes seront nourris par l'Etat ; ils recevront tous les jours, leur vie durant, pour déjeuner et dîner , des objets de consommation qu'on détermine ; plus de prisons, liberté de conscience, etc.(Advielle, op. cité : 30).  Dubois lui  en résume, par lettre, ces grands traits et la réponse de Babeuf montre bien que ces idées ne lui sont pas étrangères et que, malgré leur apparence utopique, elles lui plaisent encore plus que celles de Rousseau : 

"Il me semble que notre Réformateur fait plus que le citoyen de Genève, que j’ai ouï traiter quelquefois de rêveur. Il rêvait bien à la vérité. Mais notre homme rêve mieux. Comme lui il prétend que, les hommes étant absolument égaux, ils ne doivent posséder rien en particulier, mais jouir de tout en commun et de manière qu’en naissant, tout individu ne soit ni plus, ni moins riche, ni moins considéré qu’aucun de ceux qui l’entourent. Mais loin de nous renvoyer comme M. Rousseau, pour exister ainsi, au milieu des bois, nous rassasier sous un chêne, nous désaltérer au premier ruisseau et nous reposer sous ce même chêne où nous avons trouvé d’abord notre nourriture, notre Réformateur nous fait faire quatre bons repas par jour, nous habille très élégamment et donne à chacun de nous autres, pères de famille, de charmantes maisons de mille louis. C’est là avoir bien su concilier les agréments de la vie sociale avec ceux de la vie naturelle et primitive. (...)  l’auteur (…) me paraît original à la vérité, mais son originalité me plaît et je suis fort éloigné de blâmer ses vues et ses intentions, dont je voudrais bien connaître les particularités. Il sera vraisemblablement persiflé par la multitude mais peut-être serait-il encore possible qu’il rencontrât quelques hommes qui comme lui fussent pénétrés des mêmes sentiments d’humanité et de patriotisme." 

Babeuf ajoute à la proposition du réformateur une disposition qui lui tient à cœur, à savoir la suppression de l'hérédité des biens, pour qu'elle profite à tous comme le reste, et s'exclame : « Eh bien ! Vivat ! Pour moi, je suis décidé à être un des premiers émigrants qui iront peupler la République nouvelle ! »"

Le 27 octobre 1786, est  imprimé le Prospectus de l'Archiviste-Terriste,  dont une copie est envoyée à Dubois de Fosseux, et le censeur royal lui en demanda des développements. C'est ce qui, semble-t-il, le motiva pour travailler son grand projet de Cadastre perpétuel entre janvier et mai 1787  En mars, il envoie à Dubois un exemplaire d'une brochure intitulée La Constitution militaire, datée de 1786, dont il prétend qu'il a été écrit par quelqu'un de sa "connaissance" et dont il lui demande se s'intéresser à sa  publicité. En fait, il y a fort à parier qu'il a été écrit par Babeuf lui-même (Advielle, op. cité : 29).  Le 4 mai, il descend à Paris pour présenter son projet à l'Assemblée des notables, convoquée par louis XVI, mais il n'y parviendra pas. C'est pendant ce séjour qu'il fait la connaissance de Jean-Pierre Audiffred ("Audiffret"dans  Advielle, op. cité : 31), riche marchand, négociant de la rue Quincampoix, à Paris, mais aussi mathématicien et géomètre, et, peut-être aussi, du chevalier James (parfois Jean, Jean-Jacques) Rutledge (ou Rutlidge, 1742-1794), journaliste pamphlétaire d'origine irlandaise et écrivain aux multiples pseudonymes (Werb,  Rutolfe de Lode, etc.), fondateur du journal Le Creuset en 1791,  militant hébertiste en 1793. 

Il écrit une brochure en forme de pamphlet contre les riches, dont malheureusement nous n'avons pas la trace : "Le peuple éclairé sur ses vrais intérêts  ou Exposition de la politique captieuse des privilégiés de tous les ordres dans les circonstances présentes". 

De retour à Roye le 23 mai, la situation financière de Babeuf ne s'améliorera pas, au contraire. Le problème est que la famille Billecocq était aussi nombreuse que puissante à Roye. Elle contrôle alors le processus électoral et cherche à nuire à Babeuf de nombreuses manières, comme en lui payant cent louis une  facture égale à 12.000 livres, et qui causera la ruine du feudiste, qui faisait travailler beaucoup de commis à son cabinet. C'est aussi elle qui, probablement, aura mis des bâtons dans les roues à sa candidature à la tête de la loge maçonnique de Roye, 'L'heureuse rencontre", dont les Billecocq faisaient partie. A tout cela s'ajoute le malheur de perdre sa fille Sophie, qui n'a pas cinq ans, et qui, tombée par accident dans un baquet d'eau bouillante, en juillet 1787, est gravement brûlée aux hanches et meurt le 14 novembre de la même année.

Dans une lettre de la fin juin-début juillet 1787 à Babeuf,  Dubois regrette que l'on n'ait encore donné "à la Nation un Code uniforme", et d'être encore sous des lois "qui légitiment dans telle province ce qui est défendu dans telle autre", et Babeuf y réagit par une très longue lettre, tant il est déjà convaincu que l'égalité véritable entre les hommes doit aller beaucoup plus loin et qu'il désire qu'on procure "à tous les individus indistinctement dans tous les biens et les avantages dont on peut jouir en ce bas monde, une position absolument égale.

Au tout début de ce mois de juillet, il écrit une lettre à Dubois dans laquelle il lui parle d'un mémoire, dont il ne précise pas l'auteur. Advielle songe à une critique de l'esclavagiste Moreau de Saint-Méry (Advielle, op. cité, p 34) qui traite "des indignités de la part de notre espèce, desquèles, grâces à notre parfaite civilisation actuèle, notre continent n'ofre plus d'exemple. Mais ce qui est encor bien déplorable , c'est que ce sont encor nos frères les plus proches qui se trouvent être les fauteurs de ces indignités et qu'ils nous forcent, par leur criminelle conduite, de reconaître, de plus en plus, que c'est nous seuls qui avons transmis, dans un autre hémisphère les vices horribles qui dégradaient le nôtre..." (Babeuf, lettre à Dubois de Fossieux du 3 juillet 1787, in Advielle, op. cité : 33).  Babeuf, à la suite de Rousseau et de bien d'autres avant lui, partage cette nostalgie d'une "tère qui, jusqu'alors, avait conservé, avec son extrême simplicité, toute la candeur et la pureté des premiers âges..

Dans une autre lettre à Dubois, Babeuf  traite de diverses injustices, dont les privilèges des droits d'aînesse : "...l'on ôta presque la subsistance aux cadets pour combler l'aîné de superfluités..." ou des distinctions sociales : "De là l'origine des soi-disans nobles et cèle de ces distinxions révoltantes dans tous les ordres de la société. Quiconque fut moins féroce, moins rusé ou plus malheureux en combatant, ne pût être que le serviteur et l'objet du mépris des autres. De là, encore, la formation de ces codes bisares, qui servirent aux usurpateurs de titres confirmatifs, qui légitimèrent leurs pillages... 

 

"...regardés par la classe victorieuse come ne formant en quelque sorte qu'une classe très inférieure de l'espèce humaine." 

 

(Babeuf, lettre à Dubois de Fossieux du 5 septembre 1787, in Advielle, op. cité : 33 - 35).   

Entre ce moment et la dernière lettre de Dubois datée du 11 mars 1788, Babeuf se fatigue peu à peu de beaucoup de sujets littéraires ou futiles que lui impose Dubois à un rythme effréné, mais il est aussi très occupé et ne parvient plus  lui accorder autant de temps. 

En 1788il entre en conflit avec des clients comme le comte de Castéja et le marquis de Soyécourt, pour qui il avait engagé des frais pour réaliser le terrier (deux commis sur huit : il en aura jusqu'à vingt). Là encore, Billecocq, présidant la Cour de Roye, causera sa perte : "Je me vis sans occupation et sans argent (…) Je sauvais mes meubles avec beaucoup de peine de cet horrible naufrage" (Babeuf, in Daline, op. cité)Cela ne l'empêcha pas, pourtant, de déployer ensuite beaucoup d'énergie et d'idées pour secouer ce joug dans sa région, nous allons le voir bientôt. 

En 1789, Babeuf continue d'inonder les assemblées régionales de pétitions diverses, comme celle sur la mendicité, en travaillant le plus possible, encore une fois, à leur donner une dimension nationale. Babeuf est un des premiers à associer les travailleurs salariés de son époque à une classe sociale particulière :  "Il serait dur de dire, et même de penser, que toutes les classes d’habitants qui n’ont pour subsister que des salaires ne forment point une partie intégrante de la population qui constitue la nation", ou encore "la classe particulière des ouvriers"   (Babeuf, in Daline, 1963).  

 

Le 19 mars, Babeuf participe à enrichir les cahiers de doléances. A la convocation des Etas-Généraux, il "avait déjà rédigé quelques articles pour les Cahiers du Bailliage de Roye, par lequel il votait sa mort comme fonctionnaire, puisqu'il proposait l'abolition des fiefs, le rachat des censives, la suppression du droit d'aînesse, et quelques restrictions à l'autorité paternelle, abusive, suivant lui, au delà de la majorité des enfants.  Il propose aussi de substituer aux impôts de toute espèce existants, une contribution unique, également répartie, et d'établir une éducation nationale ; mais Billecocq, président de l'Assemblée nationale, protesta, et ces motions furent ajournées, puis repoussées." (Advielle, op. cité : 52)

"Je m’aperçus sans peine quel nouveau degré d’indignation s’élevait dans l’âme des despots contre l’audacieux plébéien qui osait faire tout haut profession d’une doctrine toute à l’avantage du plus grand nombre."  (Babeuf, in Daline, op. cité)

Début avril, en réaction à un discours prononcé par Alexandre de Lameth  (Alexandre-Théodore-Victor, comte de Lameth, dit, 1760-1829) à Péronne, dont il sera député de la noblesse aux Etats Généraux, Babeuf écrit une critique contre le chevalier : 

"Les communes... rentrées dans leurs droits...sentiront que le gouvernement monarchique est le seul qui convienne à une nation aussi puissante ; elles sentiront que les rangs, les prérogatives, les distinctions honorifiques, sont les éléments de la monarchie. Elles sentiront surtout cette vérité essentielle, qu'il n'est point de propriété qui ne soit sacrée, et que si même il s'en trouvait qui présentassent quelques inconvénients, ils ne pourraient autoriser personne à les attaquer , mais seulement engager leur possesseur à en faire le sacrifice.

 

A. de Lameth, discours du 3 avril 1789 devant l'assemblée générale du bailliage de Péronne, Cahier de la noblesse et du tiers-état du gouvernement de Péronne, Archives parlementaires de 1787 à 1860,  Première série (1787-1799), Tome V - Etats généraux ; Cahiers des sénéchaussées et bailliages. Paris : Librairie Administrative P. Dupont, 1879. pp. 355-367.  

Babeuf  fera remarquer en particulier que si "toute propriété  telle injuste et révoltante qu'elle puisse paraître dans son principe dans son désastre et telle nuisible et désastreuse qu'elle soit dans ses effets, est absolument inattaquable", alors il ne faut pas attaquer la féodalité puisque toutes les "immunités, franchises, prérogatives, distinctions exclusives... seront des propriétés sacrées." (Babeuf, Critique de Lameth, 1789, in  Schiappa, 1991).

Les pamphlets qu'écrit Babeuf doivent aussi lui permettre de réunir un peu d'argent pour sa famille, en grande difficulté. 

Babeuf débarque à Paris un peu après la prise de la Bastille, le 17 juillet (Schiappa, 1991, op. cité : 25). Advielle le compte à tort parmi "les vainqueurs de la Bastille" se basant sur la lettre à sa femme du 25, où il raconte des événements qui lui ont été rapportés (Advielle, op. cité : 53). Pendant ces deux mois et demie de séjour parisien Babeuf logera chez  Audiffred, avant de rentrer à Roye le 5 octobre (Dommanget, Pages choisies..., op. cité) Évoquons la lettre que Babeuf enverra huit jours plus tard à sa femme, au milieu d'une "telle fermentation, que, même quand on est témoin de ce qui se passe, c'est à n'en pas croire ses yeux." (Babeuf, lettre du 25 juillet 1789 à sa femme, citée par Victor Advielle, op. cité : 54)L'auteur ne se montre par ailleurs pas du tout critique à propos des rumeurs parisiennes concernant la théorie du complot du Comte d'Artois :

"À mon arrivée, on ne s’entretenait que d’une conspiration dont M. le comte d’Artois et d’autres princes étaient les chefs. Il ne s’agissait rien de moins pour eux que de faire exterminer une grande partie de la population parisienne, et de réduire ensuite à la condition d’esclaves, tout ce qui dans la France entière n’aurait échappé au massacre qu’en se mettant humblement à la disposition des nobles, en tendant, sans murmurer, les mains aux fers préparés par les tyrans. Si Paris n'eut pas découvert à temps cet affreux complot, c'en était fait ; jamais crime plus épouvantable n'aurait été consommé" (Babeuf, op. cité). 

Le 10 août 1789, Mirabeau intervenait devant l'Assemblée Constituante et s'exprimait  ainsi :  "J'entends à ce mot salarier beaucoup de murmures, et l'on dirait qu'il blesse la dignité du sacerdoce ; mais, messieurs, il serait temps que l'on abjurât les préjugés d'ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaires et salariés ; je ne connais que trois manières d'exister dans la société : il faut y être mendiant, voleur ou salarié ; le propriétaire n'est lui-même que le premier des salariés."

 

Ces propos poussent Babeuf à écrire un pamphlet contre le marquis : 

 

"Adieu charmante égalité ; adieu, fille du Ciel, que je n'ai vue qu'en songe ; commune amie dont la présence constante auroit fait le bonheur de tous, adieu : tu nous a visité un instant ; tous les coeurs s'étoient ouverts à ton approche, & l'égarement de l'un de nous te force à fuir nos asyles, t'oblige à vivre encore reléguée dans le pays des chimeres."

Babeuf, De la nouvelle distinction des ordres par M. de Mirabeau, 15 août 1789, Paris, Volland, 

Sylvain Maréchal (1750-1803) s'exprimera sur le même sujet moins de deux ans après.

"Le présent du moins ne répond guere à la grande révolution dont vous vous énorgueillissez. Elle date déjà de plus d'une année. Quels fruits a-t-elle rapportés ? Vous avez aboli quelques distinctions odieuses & révoltantes ; vous avez osé proclamer tous les hommes égaux & libres ; ce sublime effort, dont l'enfant à la mamelle vous donnoit tous les jours un exemple domestique, qu'a-t-il produit ? Parmi les vingt-cinq millions d'hommes dont vous êtes les représentants courageux, je ne vois encore de changements que dans leur costume. Leurs mœurs sont restées les mêmes, nul amendement dans leur conduite publique, dans leur vie privée. Je vois toujours comme auparavant deux castes bien différentes, les riches & les pauvres, comme auparavant, malgré la déclaration solennelle des droits de l'homme, s'offrent partout à mes yeux des maîtres et des valets. Une muraille d'airain s'éleve encore entre ceux qui ont trop & ceux qui n'ont pas assez. Quand cette séparation injurieuse & affligeante disparoîtra à votre voix, je croirai à la sublimité de vos travaux. (...)  ...ces distinction ne sont que des simulacres ; vous ne touchez point aux réalités."

Sylvain Maréchal,  Dame Nature à la barre de l'Assemblée nationale,  Paris, "Chez les Marchands de Nouveautés", 1791. 

atteindre absolument...

...atteindre absolument au bonheur général

 

 

Notre géomètre établit la distance qui reste "à parcourir pour atteindre absolument au bonheur général" dans le Cadastre Perpétuel, qu'il écrit en étroite collaboration avec Audiffred, signant même avec lui  un contrat, daté du 21 septembre. L'ouvrage sera publié à Paris un peu plus tard, mais aura peu de succès. Ce n'était peut-être pas une bonne idée de mélanger, dans un même ouvrage, la technique d'arpentage du graphomètre-trigonométrique d'Audiffred et son projet social :

"C'est en faveur de l'opprimé que nous nous sommes voués à l'entreprise de l'Ouvrage que nous publions. Il est donc naturel que nous nous occupions de lui. (…)  Notre tâche, sans doute, est de nous livrer l'examen des moyens de pouvoir présenter un plan admissible dans l'ordre qui existe ; mais il doit nous être permis de jeter quelques regards sur l'ordre qui devrait exister."

Gracchus Babeuf, "Cadastre Perpétuel, Ou Démonstration des procédés convenables à la formation de cet important Ouvrage pour assurer les principes de L'Assiette & de la Répartition justes & permanentes, & de la Perception facile d'une CONTRIBUTION UNIQUE, tant sur les Possessions Territoriales, que sur les Revenus Personnels ; 

AVEC l'exposé de la Méthode d'Arpentage de M. Audiffred, par son nouvel instrument, du GRAPHOMÈTRE-TRIGONOMÉTRIQUE ; méthode infiniment plus accélérative & plus sûre que toutes celles qui ont paru jusqu'à présent, & laquelle, par cette considération, seroit plus propre à être suivie dans la grande opération du Cadastre.

DÉDIÉ A L'ASSEMBLÉE NATIONALE.", l'An 1789...à Paris chez  Garnery et Volland... à Versailles, chez Blaizot.

Le ton est donné. Reprenant les arguments classiques de l'état naturel, que nous avons déjà évoqué, il répond :

"Mais si le pacte social était véritablement fondé sur la raison, ne devrait-il point tendre à faire disparaître ce que les lois naturelles ont de défectueux et d'injuste ? Si, par la force, ou par tout autre moyen, je fais que je puis parvenir à arracher des mains de mon frère la proie qu'il s'est procurée pour assouvir la faim instantanée, la loi de société ne doit-elle pas m'imposer la défense de cet acte barbare, et m'apprendre que je ne dois chercher de subsistance que celle qu'un  autre ne s'est encore appropriée pour son usage individuel ? Ne doit-elle pas m'engager même à partager l'avantage de mes facultés supérieures, avec celui qui, en naissant, n'a point été assez favorisé pour que le germe des mêmes facultés eût été également implanté dans son être ?  

                                                

Au lieu de cela, les lois sociales ont fourni à l'intrigue, à l'astuce, et à la souplesse, les moyens de s'emparer adroitement des propriétés communes." L'homme civilisé "a pu accaparer impunément pour lui seul ce qui pouvait fournir au soutien de plusieurs milliers de ses semblables. Rien n'a fixé les bornes des richesses qu'il fut permis d'acquérir. A l'aide de faux préjugés, on a ridiculement exalté le mérite et l'importance de certaines professions desquelles, au vrai, l'utilité n'était, pour la plupart, qu'illusoire et chimérique. Ceux qui les ont exercées n'en sont pas moins parvenus à se mettre en possession de tout : tandis que les hommes réellement essentiels par leurs travaux indispensablement nécessaires, en ont vu les salaires réduits à presque rien. (…) l'œil du Crésus, disons-nous, blessé par un tel tableau, non parce que son âme, aucunement accessible à la pitié, s'en trouve tant soit peu émue, mais parce qu'il se sent contrarié de ne point voir tous objets riants, écarte et se débarrasse froidement et sans gêne de l'infortuné. On l'envoie au travail ! Mais, où est-il donc si prêt à prendre, ce travail ?....

L'ordre naturel peut être défiguré, changé, bouleversé, mais son entière destruction tend à le reproduire. Si, après que la plupart des hommes ont été dépouillés de toute ressource foncière, ils se le voient encore des moyens de se tirer d'affaires par le travail, quel parti prendront-ils ? IL FAUT RESPECTER LES PROPRIÉTÉS !  Mais si, sur vingt-quatre millions d'hommes il s'en trouve quinze qui n'aient aucune espèce de propriété, parce que les neuf millions restants n'ont point respecté assez leurs droits pour leur assurer même les moyens de conserver l'existence ? il faut donc que les quinze millions se décident à périr de faim pour l'amour des neuf, en reconnaissance de ce qu'ils les ont totalement dépouillés ? Ils ne s'y décideront pas très volontiers sans doute, et probablement il vaudrait mieux que la classe opulente s'exécutât envers eux de bonne grâce, que d'attendre leur désespoir. (…)"  (Babeuf, "Cadastre Perpétuel...", op. cité)  

On s'attendrait donc que notre feudiste démonte tout le système de la propriété, mais non, il évoque non pas la fin de celle-ci, dont le droit est respectable dira-t-il, mais une équité dans sa possession. Dans son Discours Préliminaire de juillet 1789, on comprend mieux le projet que l'utopiste réaliste  imagine acceptable par l'opinion du moment, ce "plan admissible dans l'ordre qui existe" qui est "une réclamation très modérée de la part du peuple laborieux", tout en ne cachant pas ses idées radicales de réforme foncière, qu'il défendra  par son activité politique et journalistique, dans le Correspondant Picard, en particulier. 

"En supposant quatre personnes pour chaque ménage, la division des vingt-quatre millions d'habitants, à quoi on fait monter la population de l'Empire Français, donne six millions de familles : conséquemment chaque manoir eût été de onze arpents."

"Ces levées dont nous parlons sont celles des prestations seigneuriales et des dîmes ecclésiastiques. Nous allons démontrer que l'existence de ces deux impositions qui altèrent si excessivement les propriétés sont éloignées d'annoncer le moindre caractère apparent qui présuppose aucune idée d'utilité commune. Nous tâcherons de faire connaître, en même temps, qu'il serait possible de faire disparaître ces deux genres de charges, sans porter atteinte aux droits toujours respectables de la propriété."

"Un second point d'obligation de la part des mandataires de la société, c'est de veiller à la conservation de la propriété de chaque individu; et, comme chacun retire plus ou moins d'avantages de cette protection des propriétés, en raison du plus ou du moins qui lui en est dévolu, il est de droit commun que chacun doit contribuer en proportion de ce qu'il a, au soutien des établissements qui assurent cette conservation des biens réels."

(Babeuf, "Cadastre Perpétuel...", op. cité)

Au-delà de Babeuf lui-même, le problème de la propriété, aujourd'hui bien plus qu'hier, n'est pas aisé à solutionner pour quiconque souhaite une société beaucoup plus égalitaire, mais qui ne veut pas, dans le même temps, ressembler à ces pays utopiques que les littérateurs ont imaginés, où toutes les maisons ou appartements sont identiques, par exemple. Nous donnerons notre propre point de vue, plus tard, dans un chapitre dédié à une nouvelle utopie.

En terme d'économie, là encore, le Cadastre n'est pas vraiment un programme communiste et souhaite "la suppression pour toujours des entraves ruineuses du commerce, et l'anéantissement du régime désastreux des Gabelles et des Aides. Quels fruits surtout ne doit-on pas se promettre des moyens de parvenir à l'abolition de ces établissements exacteurs, qui, en gênant la circulation, ruinent les Cités sans enrichir la Caisse commune. Le Commerçant plus libre, l'Agriculteur moins foulé par les charges…. On sait que ces deux branches industrielles sont les principaux nerfs du Corps politique, qu'elles se prêtent des secours mutuels, et que, sans une concordance parfaite entre les ressorts qui les meuvent, il  n'y a point de résultat de vivification et de prospérité nationales"  (op. cité).

Améliorer la qualité de la viande et de la laine, "de là les moyens de mettre nos Manufactures en concurrence avec celles de l'Etranger, et en faisant fleurir notre Commerce, de mettre plutôt à contribution celui de nos voisins, que de souffrir qu'ils  y mettent le nôtre."  (op. cité).

Plus encore que la propriété, l'économie, moteur d'une société, peut-être envisagée de bien des façons quand on s'oppose au système libéral mais qu'on veut conserver le plus de libertés possibles aux individus. Il n'y a aucune raison de ne pas imaginer (à tort ou à raison), comme le fait l'auteur ici, succinctement, de faire en sorte que les propriétés ne soient pas un frein à la justice sociale, ou encore que le commerce ne puisse pas être encouragé, et qu'il ne devienne florissant, puisque  tous profiteront de ses profits, qui iront dans une caisse commune. Le capitalisme, par la voie du libéralisme, a ancré dans les mentalités que les sociétés se construisaient par la volonté, les désirs égoïstes, individuels des uns et des autres, mais aussi par la compétition, l'amour du gain ou  la course au profit personnel,  mais nous savons que nous pouvons construire la société sur des paradigmes radicalement différents et faire aimer aux individus l'idée de travailler agréablement à la fois pour eux-mêmes et pour l'ensemble de la communauté.

En plus de protéger les propriétés, l'Etat assurera les devoirs de santé et de justice :

"Que l'on salarie, sur les fonds publics, les Médecins, Apothicaires et Chirurgiens, pour qu'ils puissent administrer gratis leur secours. (…)

Que les Magistrats soient aussi salariés sur les revenus publics pour pouvoir rendre la Justice gratuite"  (Babeuf, "Cadastre Perpétuel...", op. cité).

Concernant le travail, tous les métiers qui concourent au bonheur commun sont d'égale valeur, pour l'auteur : 

"Au surplus, en examinant bien, ce ne sont pas sûrement pas les professions que nous regardons comme ignobles, qui ont, généralement, le moins d'utilité réelle. Aux yeux du Philosophe, le Vigneron laborieux est incomparablement plus cher que le Magistrat versatile qui boit son vin, et lui fait manger en procès le fond qu'il produit. L'artisan honnête qui nous fabrique des chaussures, est infiniment plus essentiel que le fripon barbouilleur de papier, qui a la sottise de croire que d'accorder un regard à cet intéressant ouvrier, ce serait trop l'honorer. (…) C'est donc les préjugés, enfants de l'ignorance, qui ont fait en tout temps le malheur des races humaines. Sans eux, tous les individus eussent senti leur dignité respective ; tous eussent vu que la Société n'est qu'une grande famille dans laquelle les divers membres, pourvu qu'ils concourent, chacun suivant ses facultés physiques et intellectuelles, à l'avantage général, doivent avoir des droits égaux. La terre, mère commune, eût pu n'être partagée qu'à vie, et chaque part rendue inaliénable : de sorte que le patrimoine individuel de chaque citoyen eût toujours été assuré et imperdable."   (op. cité)

Là encore, Babeuf  pointe du doigt un sujet majeur de société, dont la résolution, selon la conception qu'on en a, peut-être très inégalitaire (comme dans le libéralisme) ou la plus égalitaire possible, comme semble le réclamer Babeuf. Au terme d'impôt, de nature coercitive, Babeuf préfère celui de contribution, du consentement à l'impôt, qui rappelle que les "Citoyens libres s'estiment heureux de contribuer "de tout leur pouvoir aux besoins de la Patrie" Pour réparer toutes les injustices qu'il relève, l'auteur propose de s'attaquer avant tout à l'éducation, et l'auteur rappelle "le grand nombre de cahiers, dans lequel cette demande est faite"  : 

"L'éducation ! Ce mot nous excite à entreprendre d'indiquer ce qui touche de plus près au bonheur des Peuples. (…). On doit la plus scrupuleuse attention à un point aussi important, (celui de l'établissement d'une éducation nationale) d'où dépendront le développement des talents, la tranquillité des familles, les mœurs publiques, et la gloire du Peuple Français. (…) Ce serait vraiment pour la Nation le plus grand des biens qu'il fût décrété une loi qui ordonnât qu'en place de ces institutions grotesques, formées partout pour le pauvre Peuple ; qu'en place de tous ces Maîtres d'Ecole de Paroisses, qui n'ont ce qu'il faut d'acquit pour insinuer des notions barbaresques à leurs Elèves, on substituât des Instituteurs capables au moins d'enseigner à lire passablement et par principes. (…) On sait que l'ignorance produit l'ignorance.(…) C'est de là premièrement, qu'il arrive que le Peuple est maintenu dans un état de grossièreté qui le fait paraître d'une nature différente vis-à-vis de ceux que le fort a favorisés d'une éducation plus exacte; par suite, fait que ceux-ci le méprisent, et avec lui, tous les préjugés d'ignorance dont il est imbu, et desquels ils le rendent victime."   (Babeuf, "Cadastre Perpétuel...", op. cité)

Le séjour à Paris se caractérise par des échecs professionnels essuyés par notre révolutionnaire.  L'abolition officielle des privilèges dans la nuit du 3 au 4 août,  portant un coup d'arrêt à son métier de feudiste, il se lance dans le journalisme à partir du mois de septembre 1789 tout en proposant, en vain, son Cadastre à l'Assemblée Nationale. Il  rédige des comptes-rendus, des notices pour le Courrier de l'Europe, édité à Londres par un certain Monsieur de la Tour, qui ne le paiera pas (Maillard et al.,, 1994 : 100). Ces déceptions le poussent sans doute à rentrer chez lui le 18 octobre 1789 et ancrer son action dans sa Picardie natale. 

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Dimanche, 4 octobre [1789]

 

J'ai été bien content de la lettre de mon fils : il se souvient donc encore de tous les jolis noms que nous nous donnions : Mon gueux, mon loquinot, mon camarade, mon diable de gueux, mon fanfinot, mon ami. Je parle de cela comme s'il y avait dix ans que je l'eusse quitté. Le temps semble bien long loin de qui l'on aime...

Je me suis accoutumé au rôle de père, je sens que c'est aujourd'hui le premier besoin de mon existence, et que je ne pourrais pas vivre de toute autre façon.

  

A peine rentré à Roye, Babeuf s'engage, malgré ses grandes difficultés financières, à honorer  la contribution patriotique levée par l'Assemblée nationale (décret du 6 octobre 1789) du quart des revenus des citoyens, et va même au-delà de son obligation : "Plus j'offre librement 12 livres pour ma contribution patriotique que je m'oblige d'acquitter en trois paiements égaux."  

Ayant commencé de soutenir le mouvement de révolte des cabaretiers, débuté le 19 juillet 1789, il appuie dès l'automne leur mouvement de révolte  quand ils refusent de payer les taxes réclamées sur les boissons (Schiappa, 1991 : 31).   Il essaie du mieux possible de conférer à ces luttes locales, une fois encore, un intérêt national. Ainsi,  il s'appuya sur les doléances des cabaretiers pour réclamer  "la détermination d'une loi générale(Schiappa, op. cité).  Il continuera ainsi à inonder les assemblées régionales de pétitions diverses, en travaillant le plus possible, encore une fois, à leur donner une dimension nationale. Dans un manuscrit de novembre, "Observations sur les principales questions agitées à l' Assemblée nationale depuis sa translation à Paris", il s'interroge avec crainte sur l'activité de l'Assemblée constituante, et partage les critiques que Robespierre adresse lors de son discours à l'assemblée du 22 octobre 1789 sur les privilèges et les distinctions qui entachent les discussions sur l'éligibilité aux assemblées municipales. On peut résumer la position des conservateurs libéraux par les propos de Dupont de Nemours   :  "Pour être électeur, il faut avoir une propriété, il faut avoir un manoir" (discussion du 22 octobre 1789, Archives Parlementaires de la Révolution Française  Année 1877, pp. 478-479). 

Pendant l'année 1790, Babeuf voulut se prénommer Camille, par un goût alors commun de  la tradition antique, en référence à Marcus Furius Camilius (vers 446 - 365), général de la république romaine, six fois tribun militaire, cinq fois "dictateur", qui aurait érigé un sur le Forum, au pied du Capitole, un temple à la Paix et la Concorde en plébéiens et patriciens : Quand il changera Camille pour Gracchus (voir plus loin), Babeuf annoncera : "Je déclare même que je quitte, pour mes nouveaux apôtres, Camille, avec lequel je m'étois impatrônisé au commencement de la révolution ; parce que, depuis, mon démocratisme s'est épuré, est devenu plus austère, et je n'ai pas aimé le Temple à la Concorde bâti par et pour Camille..."   (Le Tribun du peuple, N° 23, 5 octobre 1794 / 14 vendémiaire an III).  

"Lorsque j'abjurai le catholicisme publiquement en 1790, je pris pour patron Camille dans la légion des honnêtes gens(Babeuf, in Schiappa, 1991). 

 

Dès le tout début de l'année 1790, il batailla (on ne sait s'il réussit) pour réunir les citoyens de Roye en assemblée générale.  Un peu plus tard, c'est l'ensemble de la région qui se soulève, derrière les cabaretiers et aubergistes, et qui, pour un court moment, donne des ailes à notre révolutionnaire : "Que si toute l'Assemblée nationale était oppressive, il faudrait résister contre elle à l'oppression : que c'est un des droits de l'homme...que c'est au peuple seul qu'appartient le VETO", proclame-t-il le 7 mars 1790 devant la municipalité (Archives parlementaires de l'Assemblée nationale, Annexe à l'assemblée du 30 juin 1790).

Dans le courant de ce mois de mars il écrit, jusqu'au printemps 1791, un recueil de méditations philosophiques qui restera inachevé : Lueurs philosophiques, dont il avait le projet d'en faire un "code civil de la Cité universelle" (Daline et al, 1977 : 269).  

En avril, Babeuf note les principaux passages du discours de Robespierre prononcé le 27 avril 1790 à l'Assemblée, dans le cadre d'une discussion sur l'organisation des Gardes Nationales, et encore une fois, l'Incorruptible défendait une stricte égalité dans l'enrôlement des soldats, contre la distinction de fortune voulue par le camp girondin. 

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7 mai 1790, 

 

Bon jour, mon cher enfant, bon jour, mon petit camarade, mon frère, mon cher Robert ; je t'écris de S. Quentin, où je t'ai acheté une canne, bien belle entens-tu... tu me la prêteras ?... tu seras bien content de te promener avec, de te jouer aussi avec, dans la maison avec ta petite soeur ; tu lui donneras la canne quelquefois, un petit moment... 

  

Son combat contre les Aides et les Gabelles l'amène à adresser une énième pétition le 10 mai 1790 à l'Assemblée Nationale, ce qui conduit à son arrestation le 19 mai, "pour avoir soutenu que les Français, étant libres, pouvaient semer des motions dans les rues et du tabac dans les champs, a été enlevé nuitament de son lit, par une escouade armée avec le secret et la violence qu’y mettaient autrefois les Sartine et les Le Noir; et on l’a traîné de Roye à Paris, où il est incarcéré d’après un ordre de la Cour des Aides, combinée avec le Comité des Recherches" (Journal national et politique, dirigé par Salomon [de son vrai nom : Antoine de Rivarol, 1743-1801] et avant lui par Antoine Sabatier de Castres, N° 3, Cambrai, juillet 1790). Il est conduit à la prison de la Conciergerie, d'où il écrira au journaliste cordelier James Rutledge, pour lui demander de le défendre. Il écrit aussi des lettres à Marat, dans lesquelles il informe le journaliste des conditions arbitraires de détention et du traitement des prisonniers. Marat, qui combat les tribunaux, en particulier celui du Châtelet, publie la  correspondance de "Babeuf, prisonnier" et demandera même la libération de ce dernier. Babeuf écrit aussi à Lauraguais, Audiffred, Clément de Sarville (procureur général de la Cour des Aides), ou encore au Vicomte de Macaye (Pierre Nicolas de Haraneder, 1758-1827, alors au Comité des Recherches).   

"Ces infortunés furent précipités chacun dans un cachot séparé, où on les chargea de chaînes, et on prit toutes les précautions imaginables pour leur interdire toute communication. De quoi les accuse-t-on ? Qui les a décrétés ? Pourquoi des cavaliers de robe courte et non la garde nationale ? Pourquoi toutes ces précautions barbares, ces violations de domicile au milieu des ténèbres nocturnes, pour arracher des bras du sommeil des malheureux qui paraissent vivre sans reproches et tranquilles au sein de leurs familles ? Qui peut avoir donné lieu d’y aller ainsi porter l’alarme, l’épouvante et la douleur ? pourquoi cette marche lugubre, ténébreuse, effrayante ? Pourquoi ces fers, ces noirs cachots ? Pourquoi cette séquestration de chaque prisonnier, du reste des vivants ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?… Questions importantes dictées par ces actes alarmants de despotisme, de barbarie, et dont tout bon citoyen attend la solution."

Babeuf, dans l'Ami du Peuple n°138, 19 juin 1790

Babeuf apprendra par la suite que ces arrestations ont eu lieu dans le cadre d'une contre-révolution, pour punir les incendiaires de la "brûle des barrières" de juillet 1789, à propos de laquelle il aurait été émis cinq ou six cents décrets de prise de corps,  et cela fait l'objet de nouvelles révélations dans l'Ami du Peuple (n° 144, du 25 juin 1790). Dans les numéros 153 et 155, Marat prendra la défense de Babeuf et des "prétendus incendiaires de barrières" (Brémond-Poulle, 2006). Dans l'Ami du Peuple, toujours, Marat  demande sa libération, le 6 juillet 1790, et celle-ci surviendra peu de temps après  (Schiappa, op. cité : 32).

A partir de l'été, il se lance dans différentes expériences journalistiques, la plupart rapidement avortées, malheureusement. Seuls les deux premiers numéros de son Journal de la Confédération  (De l'imprimerie de Laillet et Gamery, rue Serpente, No. 17) verront le jour, le second daté du 3 juillet. Un autre reste carrément à l'état de manuscrit et se serait appelé le Patriote  brabençonLe Correspondant Picard, par contre,  lancé d'abord à l'été sous forme de Prospectus, sera un succès et encouragea l'impression, à Noyon, chez Devin, d'un vrai journal qui courra sur quarante numéros du 1er octobre 1790 au début 1791 (cf. Dautry 1963).  Notre journaliste adresse son Prospectus à un certain nombre de notables, laïcs et ecclésiastiques. L'un de ces derniers lui retourna sa circulaire, sur laquelle il écrivit sa réponse et qui donne une bonne idée de la menace que représentait la liberté pour une partie de l'élite :  "...votre enthousiasme pour une Révolution qui va perdre la France en renversant le trône et l'autel, votre prévention pour une liberté qui assujettit tout ce qu'il y a d'honnêtes gens et de gens aisés à la plus vile canaille ; tout cela décèle trop un partisan de l'évangile des Bayle, Voltaire, des Jean-Jacques, etc.(in Advielle,  op. cité : 78 ).

babeuf-journal de la confederation n°1-1

En octobre 1790, Babeuf parvient à se faire élire au Conseil Général de l'Oise (Maillard et al.,, 1994 : 103). Le 17, il lit à l'assemblée de la commune de Roye une motion sur le problème des impôts indirects, réclamant "la suppression de l’exercice à domicile et l’égalité de tous, bourgeois comme débitants,  devant l’impôt" (Histoire socialiste (1789-1900) sous la direction de Jean Jaurès, Thermidor et Directoire (1794-1799), Tome V, par Gabriel Deville, chapitre 1, p. 12, Paris, Jules Rouff, 1901/1908). Il écrit deux mémoires, dont l'un est imprimé et largement distribué, sous le titre : "Réclamation de la ville de Roye, relative au remplacement de l'impôt des Aides, et à l'exécution des Décrets de l'Assemblée Nationale, qui prononcent que tous les Impôts doivent être répartis sur chaque Citoyen, en proportion de ses facultés, imprimée par ordre de la Commune de ladite ville, et sur la demande de quantité d'autres communes, pour l'appuyer de leur adhésion" (S.l., octobre 1790, 32 p). Il provoque ainsi l'ire du maire Longuecamp et des administrateurs du département.  Mais en luttant pour défendre les droits des paysans, des cabaretiers, aubergistes et autres bouchers, sa popularité de défenseur des faibles grandit,  et il  finira par être élu lui-même au Conseil général de la commune de Roye le 14 novembre, puis administrateur le 26 novembre au directoire du district de Montdidier, duquel dépend la municipalité de Roye, et c'est à ce titre qu'il prendra la parole, le  3 décembre 1790 :

"...dans ces temps où tous les préjugés disparurent pour faire place aux lois de la pure philosophie, qui devinrent bientôt le code de toutes les nations. Jours heureux ! Puissent-ils se perpétuer pour tout le globe dans l'immensité des âges, et que le despotisme abattu ne vienne plus jamais souiller les destinées des enfants de la terre. Tel me paraît devoir être le plus ardent des vœux du citoyen, du français républicain »  (Babeuf,  Archives départementales de la Somme,  Inventaire Sommaire de la série L, Tome II, Registre des districts 1790-an 4, district de Montdidier,   par  M. J. Estienne, archiviste,  L 646 , f° 179).

Poursuivi par ses agissements, la Cour des Aydes émet un décret de "prise de corps", mais il est vite remis en liberté grâce à un ajournement de son exécution, par décision du directoire départemental, le 14 décembre 1790. Les notables parvinrent cependant à évincer Babeuf du Conseil de sa commune, en arguant de ce "décret de prise de corps". 

 

En cette fin d'année 1790, un personnage public admiré par Babeuf décède, et dans "Éloge funèbre de Florent Masson, avocat à Roye et membre du Directoire du département de la Somme", nous trouvons plusieurs remarques de Babeuf qui montrent que Babeuf avaient ses convictions de progrès social si chevillées au corps qu'il ressentait le besoin de les exprimer dans le moindre écrit : "Quelle différence entre cette vie et celle de ces prétendus héros qui périssent sur le champ de bataille... Ils meurent en cherchant eux-mêmes à répandre le sang et à exercer le carnage. Celui qui expire, exténué par un travail laborieux, tendant, par des voies douces, légitimes et à procurer un avantage réel à la Tribu dont il est membre, est bien au-dessus du sanguinaire et féroce conquérant."(in Advielle, op. cité : 92).  

De la fin 1790 et pendant l'année 1791, on le verra dans de nombreux villages, autour de nombreuses pétitions contre les cens, champarts, droits de voirie, de plantation, etc.  (Maillard et al., 1994 : 101).  

 

En janvier, il se présentera en tant que juge de paix, et de nouveau, les caciques lui barreront le chemin en refusant de prendre en compte sa candidature. 

 

Au printemps, une autre occasion lui est donnée de défendre ses concitoyens quand la commune abat des arbres sans concertation. On nomme alors dans chaque quartier des commissaires pour examiner les droits de la ville sur cette propriété, dite des Marais des Bracquemont, appartenant officiellement aux Célestins d'Amiens. Babeuf figure parmi les commissaires et rédige alors un mémoire qui montre que la propriété, constituée des pâturages et des marais, fait bien partie des communaux et appartient donc à tout le peuple. Le mémoire passe de main en main, recueille beaucoup de signatures et le maire, mais les édiles l'accusent d'échauffer et de "volcaniser" les esprits.  Le maire Longuecamp se déplace à Amiens pour demander aux autorités de faire arrêter Babeuf, ce qui fut fait le 5 ou 6 avril 1791, où il fut conduit dans une prison à Montdidier le 8. Notre "turbateur", selon les mots du maire (Babeuf (1760-1797)...op. cité : 36), sera libéré quelques jours plus tard, défendus par onze habitants qui écrivirent aux juges, et, de retour chez lui,  Babeuf fut "acclamé comme un héros" par les habitants dans tout le faubourg Saint-Gilles (Jean Bruhat, 1905-1983, Gracchus Babeuf et les Egaux ou le «premier parti communiste agissant». Paris, Librairie Académique Perrin, 1978).  

 

Pendant l'été, se produit une jacquerie paysanne à Davenescourt, dans la Somme, toujours, où l'aumônier du château de la Comtesse Philippine de La Myre, l'abbé Tournyer, avait inspiré à la comtesse l'appropriation du tiers des marais communaux, spoliation contre laquelle Babeuf s'élèvera dans un long pamphlet de 76 pages : "Affaire de la commune de Davenécourt, distriet de Montdidier, département de la Somme, contre Philippine de Cardevac, veuve de Gabriel Lamire et ci-devant dame de Davenécourt; cause à ranger encore parmi celles qu'on nomme célèbres. Dans l'exposé de laquelle on démontre combien sont encore formidables les restes de la puissance féodale ; et où l'on indique aux Législateurs, ce qui leur reste à faire pour renverser ce vieux colosse. A Noyon, chez Devin. Se trouve à Mondidier, chez Leroux, fils, relieur, 1791".  En juillet 1791, Guy de la Myre  le dénonce aux autorités car il demande, par une "adresse incendiaire", "le partage des terres ci-devant seigneuriales." mais aussi "de substituer une République au Gouvernement monarchique(Babeuf...aux comités de Salut Public, in Babeuf (1760-1797)...op. cité : 35).  Certains critiquent violemment cette "conversion" qui l'aurait fait passer "du camp royal au camp républicain", une traîtrise, une ingratitude qui l'aurait transformé en "vipère qui déchire le sein de sa mère" ("Mémoire pour Pierre Tournier, prêtre, en réponse au Plaidoyer justificatif des accusés dans la fameuse affaire de Davenécourt...". Babeuf  publiera alors un "Avis important", pour se défendre et expliquer son évolution : « Tant que je fus jeune, je ne raisonnais pas, je crus que tout ce qui était devait être ; je croyais absolument nécessaire qu'il y eut des persécutés et des presécuteurs ; je portai donc jusque-là un grand respect filial à ma mère la féodalité. Mais dès que je devins un peu plus homme, dès que le soleil de la révolution vient luire et m'éclairer, je regarde et j'aperçois que ma mère est l'hydre aux cents têtes. Je me dis : "Oui il faut la combattre, dussè-je être nommé vipère par ses misérables partisans. Au moins, les gens honnêtes s'empresseront à dire que je suis une vipère bienfaisante." »  Puis, en des termes choisis, Babeuf rappelle tout de même à ses accusateurs que cette prétendue conversion est loin d'être brutale, que son indignation contre les injustices ne date pas d'hier  : "C'a toujours été mon lot, en commençant à vivre, d'être nourri chez les Maîtres, at c'a toujours été mon lot de leur faire la guerre en grandissant. Je suis né enfant de la Ferme générale, et l'on se souvient que je la maltraitai un peu ; que je mis à découvert des plus honteuses turpitudes ; que j'indignai contre elle deux ou trois provinces..." (Advielle, op. cité : 92-93 ; Schiappa, 1991 : 38).  s

Contre les droits seigneuriaux, supprimés seulement en théorie, il lutte auprès des paysans qui s'opposent de plus en plus aux perceptions des dîmes et des champarts. Il adresse à l'Assemblée Nationale une "Pétition sur les fiefs, seigneuries, cens et  champarts, par la commune de Méry", dan l'Oise, où la colère dans les campagnes et grande, sans doute une insurrection,  puisque les autorités y envoient des centaines de gardes nationaux, deux compagnies de Suisses, des cavaliers de régiments, etc. (Société Des Études Robespierristes, Babeuf (1760-1797), Buonarroti (1761-1837), ouvrage collectif,  pour le 2e centenaire de leur naissance,  Nancy, Imprimerie Georges Thomas, 1961)

De cette époque date un brouillon retrouvé dans les papiers de Babeuf, d'une lettre datée du 27 juillet 1791, adressée à Jean-Baptiste Massieu, ancien prêtre, député de l'Oise à la Constituante, que l'auteur critique vertement pour être passé aux Feuillants, ce groupe politique de monarchistes modérés, constitutionnels, né de la scission du mouvement jacobin, après la fuite du roi Louis XVI. Babeuf y oppose les "vrais patriotes"  comme Robespierre, Péthion (Pétion), l'abbé Grégoire ou Buzot à des Malouet, Chapelier,  Liancourt ou Dandré. 

 

"Analysez Robespierre,  vous le trouverez aussi agrairien en dernier résultat, et ces illustres sont bien obligés de louvoyer parce qu'ils sentent que le temps n'est pas encore venu" affirmera Babeuf  à l'abbé Coupé, dans une lettre du 10 septembre 1791  (Espinas, op. cité : 410). 

Babeuf mènera une longue lutte pour défendre les habitants qui avaient séquestré les notables municipaux, aidé justement par Jacques-Michel Jean Marie Coupé (1737-1809), dit Coupé de l'Oise, président du district de Noyon, curé révolutionnaire de Sermaize, entre Noyon et Roye, défenseur des pauvres, élu député de l'Oise en septembre  1791. Devenu un ami très proche, il pouvait lui avouer à sa manière  qu'il lestait ou non ses paroles du poids des circonstances :  "Avec vous, cher patriote, lui écrit-il, je dis tout ce que je pense et je m’ouvre sans aucune restriction sur bien des choses, que je ne voudrais jamais confier à personne autre que vous. Ce serait trop risqué d’être taxé d’orgueil excessif."  (Babeuf, Lettre à Coupé du 20 août 1791, in Dommanget, "Pages choisies...", op. cité).  Des paroles qui vont dans le sens de la prudence qu'il manifesta pendant des années à propos de ses opinions qui ne tarderont pas à être qualifiées de communistes.  

Les puissants le feront encore plier en 1792et on comprend le danger qu'il représente pour les riches, auxquels il s'attaque frontalement en public : 

« Comment je n'ai pas d'intérêt à la chose publique ? Comment je n'ai pas de propriétés ? Est-ce que ma vie, ma personne, mon industrie ne sont pas des propriétés ? Et s'il vous a plu, vous riches qui vous étiez emparés de tous les pouvoirs, s'il vous a plu de prendre ma vie, ma personne, mon industrie, de me traiter tout à fait en esclave, comment m'y serai-je opposé lorsque je n'avais personne de ma classe auprès de vous pour défendre mes intérêts contre vous ? »

Discours à l'Assemblée cantonale des électeurs de Roye, 26 août 1792,  IML F. 223, inv. 1, n° 330

En septembre, il est élu administrateur et archiviste du département de la Somme et déménage à Amiens, sous le nom de Camille, mais une fois encore, il se heurte à un baron local, André Dumont, député de la Somme, "un impulsif, souvent grossier, violent, vaniteux, mais très habile" conclura Legrand dans une étude à son sujet (Legrand, 1989). Cette fois, il est vite destitué, "son dévouement  « à la classe sans-culotte, sa haine de l'aristocratie »", assure Babeuf, " y avaient fait mettre sa tête « à prix par cette dernière.»" (Advielle, op. cité : 94-95). Pendant son mandat, il se préoccupe des productions culturelles au théâtre d'Amiens, où sont jouées alors deux pièces de théâtre, Héros Français et "Le Sourd ou l' Auberge pleine",  une pièce de Pierre-Jean-Baptiste Choudard (dit Desforges, 1746 -1816). Il écrit aux acteurs pour témoigner qu'il lui "faudra digérer les ridicules d'un siècle qui n'est plus", dans des oeuvres où on est encore obligés de voir "s'encenser et se faire encenser des Monseigneurs, des M. le chevalier et des M. le baron", où on cherche à le  faire rire "de voir des faquins molester un pauvre père, mon égal en droits !". Il estime que le "temps est venu d'épurer tout à fait nos théâtres, d'en faire véritablement et uniquement des écoles de nos mœurs et de civisme, des écoles où la philosophie et la raison étant exclusivement enseignées, germeront à la fois dans les têtes les plus opiniâtres..." De la part de Babeuf, il y a à la fois une critique sociale qui réclame un renouvellement du répertoire, attaché aux valeurs de l'Ancien Régime, mais aussi une exigence littéraire : "N'avez-vous pas des pièces du genre qui ne vieillissent jamais? Presque tout Molière est toujours d'actualité pour nous."  Mais il entend conserver aux arts, comme beaucoup de gens de son  temps, une vertu d'éducation morale, patriotique :

"Quoi, le jour où l'on m'annonce la conquête de l'armée française en Savoie, il me faudra auparavant supporter encore la représentation  d'un ricco,  où je suis condamné à voir des marquis et d'autres gens de cette espèce ?"

 

"Lettre de Babeuf aux acteurs du théâtre d'Amiens, Affiches du département de la Somme, n°44 du 3 novembre 1792, in  Revue Littéraire et Scientifique  publiée à Amiens sous les auspices des Académies et Sociétés savantes des départements de la Somme, de l'Aisne, de l'Oise & du Pas-de-Calais, tome seizième, Amiens, Année 1870  : 344-345)

En novembre, toujours, il est nommé administrateur du District de Montdidier, où il était chargé de vendre les biens de la Nation et du Clergé, quand il fut une nouvelle fois la cible d'un aristocrate, le président du district De Longcamp, ex-procureur du roi, et celui-ci le fit

tomber "rapidement sous le coup d’un mandat d’arrêt pour un prétendu faux et usage de faux au profit d’un petit fermier [il en fut plus tard disculpé, cf. Advielle, op. cité, X ]". Il partit défendre sa cause à Amiens mais on l'arrêta, le mit en procès, mais il réussit à échapper à ses surveillants et décida de fuir à Paris. 

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        Paris, le 24 février 1793

 

...Mes enfants qui pleurent parce qu'ils n'ont pas de pain ! Ma chère amie, tâche pourtant des les empêcher de mourir, encore pendant quelques jours.

  

manifeste des plebeiens

Le manifeste  des   plébéïens

 

 

6 mars 1793. La femme de Babeuf, à bout de forces et sans solution, abandonne une partie du mobilier familial pour payer leurs  créanciers.  Babeuf  est dans une profonde misère, à Paris, hébergé et entretenu par  son ami Claude Fournier  dit l'Américain, pendant six semaines. Le 14 mars, est publié le pamphlet "C. Fournier (Américain) à Marat", que lui demande d'écrire son hôte, contre les calomnies dont il accuse l'Ami du peuple  :  "Marat,  tu n'es point l'Ami du Peuple. Les vrais amis du Peuple ne dénoncent point légèrement les meilleurs Patriotes.  (...)  si tu es vraiment L'Ami du Peuple, si tu l'es de cette portion malheureuse qui a tout fait et pour laquelle on n'a encore rien fait depuis quatre ans, à laquelle il semble même qu'on n'ait point encore pensé, sois constamment à la tribune, fais-y station permanente et n'en quitte pas que tu n'aises obtenu ce que viennent d'oser demander Duchosal et Tallien, ami des sans-culottes : L'AISANCE DE LA CLASSE INDIGENTE, etc..."

 

Mathiez déplorera l'ingratitude de Babeuf envers Marat, et Dommanget  reconnaît une contradiction entre les éloges de Babeuf envers Marat dans son journal et ses " attaques virulentes" (Daline, 1958 : 16).  Babeuf n'a jamais considéré que l'amitié dédouanait de toute critique et à l'inverse, il ne s'est jamais privé de reconnaître les qualités de tel ou tel éloigné de sa conduite politique. Marat avait en effet une facilité à la dénonciation que Babeuf est loin d'être seul à avoir critiqué, nous y reviendrons ailleurs. Babeuf n'est pourtant pas ici à l'abri des critiques, car Tallien, au moment où il écrit est déjà compromis dans ce qu'on a appelé les massacres de septembre (voir note ci-dessous sur Tallien). Ce n'est pas la seule manifestation surprenante d'amitié portée par Babeuf, nous le verrons. Marat, lui, avait depuis le moment où Tallien s'était présenté à la députation, en septembre 1792, mis en garde les électeurs contre lui et l'avait désigné comme "un intrigant cupide qui cherche des places" (Manceron, 1989).  Rappelons tout de même que Marat, lui  aussi, a été soupçonné non seulement d'être un septembriseur,  mais d'avoir une responsabilité non négligeable dans ces événements tragiques des prisons. 

      écrire      :    Le manuscrit atteste de la paternité de Babeuf (IML, 87 B IV).  Il est conservé aux Archives centrales de l’Institut du marxisme-léninisme (IML) à Moscou, qui s'appelaient auparavant  Archives Marx/Engels. 

      Tallien      :   Jean-Lambert Tallien (1767-1820),  révolutionnaire, journaliste jacobin,  fonde le journal "L'Ami des Citoyens" en 1791, devient député de Seine-et-Oise à la Convention, aux côté des Montagnards, en 1792. Quand Babeuf écrit ce pamphlet, Tallien n'a pas encore accompli sa mission d'épuration à Bordeaux, de son propre aveu : "Car, malgré vos lettres fulminantes, malgré le décret sanguinaire du 6 août, qui mettoit hors la loi tout le département du Bec-d'Ambès [Tallien avait rebaptisé ainsi le département de Gironde], malgré le caractère atroce du président Lacombe, pendant les sept mois que Ysabeau et moi sommes restés à Bordeaux, il n'y a eu que cent-huit guillotinés, parmi lesquels se trouvoient les membres de la commission populaire et les chefs de la force départementale.(Jean Lambert Tallien, Collot mitraillé par Tallien, Eclaircissemens véridiques de TallienReprésentant du peuple, envoyé en mission à Bordeaux - EN REPONSE aux Eclaircissements nécessaires de Collot [d'Herbois], ancien membre du Comité de Salut Public,  1795).  Par contre, Tallien a déjà montré des signes avant-coureurs de cette disposition à la violence lors des massacres de septembre de 1792, en particulier dans la prison de l'Abbaye, en approuvant, selon les propos rapportés par Michelet "la juste vengeance du peuple" qui ne serait retombée que "sur des scélérats reconnus", parlant avec d'autres, selon l'historien, du "désintéressement des massacreurs et de la belle organisation du tribunal de l'Abbaye" (Jules Michelet, Oeuvres Complètes, 1893-1898, Histoire de la Révolution française, tome quatrième, p. 165).  Comme d'autres hommes zélés de la terreur, Tallien mène ses actions violentes au nom d'idéaux de progrès social, la révolution ne pouvant prendre fin que quand  "les fortunes seront moins inégales... surcharger  l'opulence, soulager la misère, anéantir l'une avec le superflu dangereux de l'autre, voilà tout le secret de la Révolution." (Tallien, Ami des Sans-Culottes, n° 71, février 1793, in  Advielle, op. cité : 302). Une chose est de se débarrasser physiquement de ceux qu'on considère comme des ennemis de la Révolution et de pratiquer d'autres violences extrêmes. Une autre est de penser nécessaire, pendant ces moments complexes de l'histoire, de poursuivre ceux qui s'enrichissent au détriment des pauvres : "Tous ceux qui refuseroient à livrer les grains ou à transporter (à Bordeaux) les objets de première nécessité, seront traités comme accapareurs, traduits devant la commission militaire, et jugés par elle dans les  24 heures. Si une ou plusieurs communes manifestent de la résistance aux ordres qui leur seront signifiés, elles seront regardées comme rebelles, et toutes les habitations seront détruites par le feu."  Encore faut-il que ceux qui ordonnent  de "saigner fortement la bourse des riches égoïstes" (Lettre d'Ysabeau et Tallien aux Jacobins, Gazette nationale ou Le Moniteur Universel,  n° 72, 1793, in Louis Blanc, Histoire de la Révolution Française, tome dixième, 1869, p. 137),  donnent en premier l'exemple, ce qui n'était pas le cas d'un certain nombre de représentants du peuple, dont Tallien, qui vivait près des pauvres dans "un faste insolent" (Louis Blanc, op. cité : 139) avec sa compagne Theresia (Theresa, Teresa) Cabarrús, fille d'un banquier espagnol, dont les intrigues de nantis, loin des préoccupations de subsistance de beaucoup de gens, ont fait couler beaucoup d'encre : "Le ravitaillement en or et en piastres espagnoles constitue un terme moyen et une troisième hypothèse. Si les deux premières voies ne correspondent visiblement pas à la situation de l’an II, quelque chose doit bien se tramer du côté des Pyrénées." (Bouyssy, 2006). Dans le numéro 29 du Tribun du Peuple, du 8 janvier 1795 (19 nivôse an III) Babeuf dénoncera le "règne des catins : les Pompadour, les Dubarri [Du Barry], les Antoinette... (...)  Il est temps que la France sache ce que c'est qu'une Cabarus, femme Tallien (...) fille du Necker d'Espagne, du millionnaire Cabarus, directeur de la fameuse banque de S. Charles (...)  il est temps qu'elle sache ce que c'est que d'autres créatures qui n'influent pas peu sur la conduite du gouvernement (...)  Pourquoi taire plus longtemps que Tallien, Fréron [cf. plus bas], et Bentabolle décident du destin des humains, couchés mollement sur l'édredon et les roses, à côté des princesses ? (...) André Dumont propose l'envoi à l'Abbaye de tout membre qui se permettra des personnalités contre ses collègues. En conséquence, il est décrété que l'on ne fera plus rougir Tallien en  pleine Convention de sa riche et aristocratique alliance avec la Cabarus, des insolents travers de cette femme ni des siens, et que tout autre député dont l'histoire peut être aussi scandaleuse, n'aura désormais rien à craindre des mauvaises langues.

Il n'y aura que celle de Fréron qui pourra glapir sans gêne pour venger son cher peuple doré. Cet homme, à la fin, m'indigne, et je ne connais pas de plus décidé contre-révolutionnaire. On lui donnerait volontiers de l'ellébore [hellébore, plante toxique] pour son N° 53, de ce jour... [L'Orateur du Peuple, cf. plus bas]  Il provoque directement son peuple de muscadins et de marchands, à s'insurger contre les sans-culotes, en parlant à ceux-là de projets de pillage chez eux, de propositions de dresser des guillotines sur toutes les places de Paris...et de proposer pour tous les marchands et tous les muscadins, la potence, comme plus effrayante, et d'en écorcher quelques uns tout vifs, sous les yeux des autres, et pour leur exemple. Malheureux calomniateur du peuple !...

Par ailleurs, Babeuf annonce à l'avance "les preuves que nous administrerons de tous ses efforts pour détruire Toulon et Marseille. Il sied fort mal à ces destructeurs, à ces grands prévots, de parler si haut des destructions et des mesures prévôtales des autres."

      Bentabolle      :   Pierre Louis Bentabole (1753 - 1798), député du Bas-Rhin à la Convention, Montagnard, ami de Marat, qui épousera la riche veuve Charlotte Magdeleine Adélaïde de Chabot et deviendra ainsi le nouveau châtelain de la Bazoche - Gouet le 9 décembre 1794  (21 ventôse an II) et qui ouvrit avec sa femme une maison de jeu vers mars 1799 (Archives Nationales, F7/6179 dossier 2110 p.482) rue Saint - Honoré, près de chez les Duplay (cf. plus bas). 

fournier-americain-marat-14 mars an II-

Babeuf fait partie de la Commission des subsistances de Paris à partir de mai 1793, emploi qu'il doit à la protection de Marie-Émile-Guillaume Duchosal (1763-1806), avocat, qui sera  chef de bureau au ministère de la police et membre de la commission des émigrés, et d'Antoine Claire Thibaudeau (1765-1854), député de la Vienne. Ce qui n'empêchera pas Hippolyte Taine de déverser plus tard sur Babeuf des paroles aussi fielleuses qu'imbéciles :  "Enfin, le grand apôtre du communisme autoritaire, Babœuf, qui, condamné à vingt ans de fer, pour un double faux en écritures publiques, aussi besogneux que taré, promène sur le pavé de Paris ses ambitions frustrées et ses poches vides, en compagnie des sacripants déchus qui, s’ils ne remontent pas au trône par un nouveau massacre, traîneront indéfiniment leurs souliers éculés dans les rues" (Taine, "Les origines de la France contemporaine", Vol. 8, de 1883, Livre III, chapitre 3.1, la Révolution. le gouvernement révolutionnaire, Paris, Hachette, 6 volumes, de 1875 à 1893).  xx

 

Au cours de ce mois, une lettre à sa femme du 27 mai 1793, Babeuf lui confie compter  parmi ses amis Robespierre, Chaumette, Pache, Garin et Sylvain Maréchal. "Mes amis sont les personnalités les plus connues de Paris", lui dira-t-il, sans que l'on sache vraiment à quel point il connaissait personnellement Robespierre, par exemple. 

« Mais toi, pourtant, Robespierre, qui as précisément défini la propriété, qui as tracé les bornes dans lesquelles ce droit doit être resserré pour l’empêcher d’être pernicieux à la grande majorité sociale…Viens, tu es notre législateur. Et vous, Jacobins ! […] venez vous ranger à côté de notre Lycurgue […] 

"Philanthropes ! Je vous annonce mon livre de l’Égalité dont je vais faire présent au monde [Les Lueurs philosophiques, ouvrage inachevé, NDA]. Sophistes ! Par lui je détruirai tous les faux raisonnements à l’aide desquels vous avez égaré, enchaîné et fait souffrir constamment l’Univers ; et malgré vous les hommes connaîtront toute l’étendue de leurs droits, le vœu de la nature ne sera plus déçu et ils seront tous heureux."

(Gracchus Babeuf, Lettre à Chaumette du 7 mai 1793, in  Mazauric, 2009 :  258).

Babeuf s’indigne violemment contre l’apposition d’affiches sur les murs de Paris où on lit cette question : « Doit-on faire cette année, oui ou non, la procession de la Fête-Dieu ? ».

Il répondra :  

"...On veut réveiller cette année la querelle des processions ? C’est une arme de plus que les véritables agitateurs veulent mouvoir. Étouffez dans sa fleur, magistrats, ce nouveau genre de discorde. Que le Dieu des Nazaréens n’ait pas plus de privilèges que les autres ; qu’il se renferme dans ses temples, lui et ses prêtres... Christ n’est plus le Dieu de tout le monde ; il n’a donc pas le droit de quêter dans les rues un hommage exclusif. Il a encore assez de maisons agréables ; qu’il se tienne coi chez lui et qu’il y attende la vénération des siens ; qu’ils lui fassent, s’ils le veulent, sa fête particulière. Il n’appartient qu’à la liberté d’en attendre de générales."

Lettre autographe signée "Le Républicain Gracchus Babeuf"  aux "Magistrats du peuple" datée du 28 mai 1793. Un brouillon de cette lettre est conservé dans les archives de l’Institut du marxisme-léninisme à Moscou. L’original de cette lettre fait partie d'une collection privée. Il figure au Fichier Charavay, vol. X, p. 11, constitué par Etienne Charavay (1848-1899), un des pères de la bibliographie. Par ailleurs, il a été au catalogue de la vente Hennessy de mai 1958 (A.H.R.F [Autographes et documents historiques sur la Révolution française], 1963, p.75).

Entre le printemps et l'été 1793, Babeuf songeait à une Histoire nouvelle de la vie de Jésus-Christ, par laquelle il comptait démontrer "qu’il est le premier qui ait bien vu ce qu’était ce trop renommé personnage"  affirmant par ailleurs : "Rousseau ne m'a jamais paru si petit que quand il l'a loué [le Christ] et sa justice"  (Dalin, 1963).  av

Fort de son expérience aux subsistances, Babeuf peaufine au printemps sa réflexion égalitariste et dessine les contours d'une "Législation des sans-culottes ou la parfaite égalité. Réclamation des droits de 24 millions d'hommes sur le 25ème million."  En août,  il prend la défense de son ami François-Étienne Garin, ancien boulanger, administrateur des subsistances de la Commune de Paris (tout comme Guillaume-Jacques de Favanne, son adjoint) contre  le ministre de l'Intérieur Joseph Garat.  La loi votée sur le maximum, du 4 mai 1793, "surchargée d'une quantité d'articles réglementaires qui imposaient des conditions très difficiles à remplir(Fourneron, 1996)  avait été critiquée entre autres par François-Étienne Garin, ancien boulanger, et par Jean-Nicolas Pache, ancien ministre de la guerre et pour lors, maire de la ville de Paris du 14 février 1793 au 10 mai 1794.  De plus, cette loi n'était pas assortie de contraintes, et un certain nombre de fermiers ou de propriétaires ne portaient plus de grains sur les marchés. Par ailleurs, les administrations départementales "interprètent, commentent la loi en tous sens, elles parviennent par des arrêtés à la dénaturer" (Garin et Defavanne, Paris sauvé de l'administration des subsistances, Archives Nationales, AD XVIII C 314, 18 juillet 1793, texte écrit par Babeuf). Et ne parlons pas de la responsabilité politique des Girondins "aussi bien au niveau de l'approvisionnement de la capitale que des entraves qu'elle dressait contre la politique de la municipalité" (Fourneron, 1996). Malgré sa parfaite connaissance des choses exposées à plusieurs reprises par Garin, le ministre Garat ne faisait rien pour y remédier : "Mille dénonciations pour mille infractions ont été adressées de notre part au ministre de l'Intérieur, et le mal n'a été nullement réparé" (Garin et Defavanne, Paris sauvé..., op. cité).  Seul Garat avait  "autorité sur toutes les administrations, qui est chargé de faire exécuter la loi et qui a tous les moyens de force pour cela.... Il vit de sang-froid l'approvisionnement interrompu pour Paris, et cette ville condamnée à jeûner." (Defavanne, Administrateur adjoint des subsistances aux 48 sections prenant fait et cause pour Garin son collègue, attaqué dans un second libelle de deux ex-commis expulsés par lui pour motif de défaut de confiance, 6 juillet 1793, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris [B.H.V.P], 136150). 

favanne-defense de garin-administrateurs

Arrêté le 29 juillet par le Comité du Salut Public le 29 juillet, il fut défendu par Pache au Conseil général et libéré deux jours plus tard. Mais l'opinion, influencée par des pamphlets, en avait après Garin, censé porter de par sa position la responsabilité de cette situation. Sans doute les décrets de Pache du 1er et 5 juillet n'ont pas été les meilleures décisions à prendre (et Babeuf les réclamait aussi dans son texte Paris sauvé...). Le premier autorisait les administrations départementales à faire acheter des grains directement chez les particuliers et le second en autorisait l'exportation. Garin fut destitué le 19 août. Un autre problème fut que les administrateurs des subsistances s'opposaient (comme leurs prédécesseurs) fermement  à l'ouverture des magasins de subsistances de Paris : "... le motif de l'interdiction de l'entrée des magasins fut le grand intérêt d'empêcher le marchand de spéculer sur les besoins de Paris, en acquérant la connaissance de la quantité de farines composant l'approvisionnement général et en calculant le terme où il pourrait finir."  (Defavanne, administrateur... op. cité).    

 

Toujours poursuivi pour le problème du faux en écriture, Babeuf est emprisonné le 14 novembre (24 brumaire) à la maison d'arrêt de l'Abbaye, à Paris. Il écrit dès le lendemain à Claude Ménessier (Méneissier, chez Buonarroti, cf. plus bas), administrateur de police de la Commune de Paris. Il écrira aussi à Thibaudeau, son collègue à l'administration des subsistances, le procureur Chaumette, André Dumont, ou encore Louis-Jérôme Gohier (1746-1830), ministre de la Justice. Le 19 novembre 1793,  il adresse une lettre à Pierre-Gaspard  (dit Anaxagoras ou Anaxagore) Chaumette (1764 - 1794), alors procureur de Paris : "Il me suffirait d"un seul fait pour te convaincre de mon mépris pour l'or..."  

Babeuf s'adresse aussi à Louis-Marie Prudhomme (1752-1830), journaliste, qui publie un journal entre le 12 juillet 1789 et le 28 février 1794, Révolutions de Paris (R. de Paris dédiées à la Nation et au district des Petits Augustins). Sur la couverture du journal on peut lire la devise  : "Les grands ne nous paroissent grands que parce que nous sommes à genoux...Levons-nous....".  Les principaux rédacteurs en seront les avocats Élisée (de) Loustalot (1762-1790), Pierre Victurnien Vergniaud (1753-1793) et Sylvain Maréchal.  La lettre,  non datée, a probablement été écrite pendant l'hiver 93/94 et fait apparaître des critiques envers Robespierre, concernant sa politique religieuse. Prudhomme parlera plus tard d'un Babeuf qui venait le "consulter", à qui il rendit des "services pécuniaires",  "une espèce d'illuminé... de bonne foi dans ses systèmes impraticables", dont il prévint sa femme "très-estimable", quand "il s'annonça comme chef d'un parti... que son mari se compromettait." (L. Prudhomme père, Histoire impartiale des révolutions de France, depuis la mort de Louis XV..., tome XI, p. 45, Paris, A la librairie de Mademoiselle Adèle Prudhomme, 1824). 

Il sera finalement libéré provisoirement le 7 décembre 1793, pour vice de forme, mais de nouveau emprisonné le 31 décembre  (11 nivôse) à l'Abbaye. 

Le 7 janvier 1794, il écrivait à Thibaudeau et à Maréchal : "Ma doctrine fut celle des premiers apôtres, de ne posséder jamais rien en propre.(in Espinas,  Babeuf..., op. cité : 223)Il sera transféré à la prison de Sainte-Pélagie le 21 mars 1794 (1er germinal an II) et libéré seulement le 18 juillet 1794 (30 messidor). Il écrira de très nombreuses lettres à son fils, "veille à son éducation, et lui faisant la morale, le conseille presque chaque jour. Il correspond aussi avec sa femme, qui lui répond régulièrement." (Legrand, 1976). Par ailleurs, sa femme fera différentes démarches pour obtenir sa libération, auprès des collègues de Babeuf, Thibaudeau, Daube, et peut-être Louis-Jacques-Joseph Daube (1763-1847), juriste, professeur de législation à Tarbes à partir de 1796, s'il faut en croire  Gabriel Deville (Histoire socialiste..., op. cité, tome V, chapitre 1, p. 20).  Le 26 mars, de la prison de Sainte-Pélagie à Paris, Babeuf adresse à Sylvain Maréchal  une lettre, celle d'un "patriote accablé sous le poids du malheur", sous la forme d'une biographie condensée, où il relate surtout ses actions politiques et militantes et lui demande d'obtenir un emploi "dans l'imprimerie de Prudhomme à qui je ne demanderai que le prix de ce que j'aurai réellement gagné.(in Advielle, op. cité : 109).  

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                  19 floréal

 

.Bonjour, mon cher amie, je tantvoi une chemise, une paire des bas, un bonet, une cravatte, de chosons, un mouchoire, je tantvoi des radit, du fromage

          Ta femme, Babeuf.

 

 

Le 9 juin 1794 (21 prairial an II), le tribunal de Cassation rend un arrêt qui annule pour vice de forme le jugement du tribunal de la Somme, et le 18 juillet (30 thermidor), les juges de Laon déclarent enfin, que les accusations contre Babeuf sont infondées et le lavent définitivement de tout soupçon de fraude.  Babeuf quitte la prison de Laon, redescend à Paris et retrouve son emploi au bureau des subsistances "parce qu'il faut que je mange et que je fasse manger d'autres", confiera-t-il à  Garin dans une lettre. Il ne fait plus du tout parler de lui pendant un court moment et se consacre à l'écriture d"une Histoire des conspirations et des conspirateurs du département de la Somme.  (Advielle, op. cité : 112)

 

Le 3 septembre 1794  (17 fructidor an II), Babeuf fait paraître le premier numéro de son Journal de la Liberté de la Presse, imprimé par Armand-Benoît-Joseph Guffroy (1742-1801), député du Pas-de-Calais à la Convention. Le Journal deviendra Le Tribun du Peuple ou le Défenseur des droits de l’homme à partir du n° 23 (la numérotation se poursuit, malgré le changement de titre), du 5 octobre 1794 (14 vendémiaire an III), et dont le dernier numéro, n° 43, paraîtra le 24 avril 1796 (5 floréal an IV).  Babeuf affirme ce mois-là que, dans le N° 50 du journal "L'Orateur du Peuple" fondé par Fréron (Louis Marie Stanislas, 1754-1802) en 1790, ce dernier  "dit de superbes choses sur la fin de la guerre des ignorants contre les gens instruits & des pauvres contre les riches. Il a raison. C'est aujourd'hui la guerre des riches contre les pauvres & des gens d'esprit contre les bonnes gens de sans culotes.  Ce mot revient toujours sous ma plume..... La force de l'habitude ! Fréron l'a pourtant mis à mort dans son n° 50, parce que sans doute l'avocat du peuple culoté, veut, avec sa nation d'un million, rétablir celle-ci en possession des épithêtes canaille, populace, pour désigner la grande nation."  (Babeuf, Le Tribun du Peuple... N° 29, op. cité) 

Un sujet brûlant d'actualité occupe Babeuf dès le premier numéro du Journal de la liberté..., c'est l'oeuvre de Robespierre, dont la chute le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), puis son exécution, le lendemain force le débat. S'il admet que sa "mémoire est aujourd'hui si justement abhorrée", qu'il fut "le plus cruel ennemi de la liberté", il ne tombe pas pour autant dans un manichéisme qui aurait été  plus confortable politiquement et il distingue "deux personnes, c'est-à-dire, Robespierre sincèrement patriote et ami des principes jusqu'au commencement de 1793, et Robespierre ambitieux, tyran et le plus profond des scélérats depuis cette époque ;  ce Robespierre, dis je, alors qu'il fut citoyen,, est peut-être la meilleure source où il faille chercher les grandes vérités et les fortes preuves des droits de.ta presse. C'est avec les armes qu'il a laissées  que je commencerai le combat des sophismes contre les raisonneurs du jour." (Babeuf, Journal de la liberté de la presse, N°1,  p. 3 et 4,  septembre 1794)Notons au passage, toujours à propos de la ferme condamnation de Babeuf du régime de la Terreur, que c'est Babeuf lui-même qui semble avoir inventé, dans le numéro 3 du Journal de la liberté (page 3), le mot "terroriste" : "patriotes terroristes (les Français aiment la variété, cette expression va venir à la mode)...". Dans ce même numéro, Babeuf affirme : "nous reconnoissons  toujours la liberté des cultes, malgré que l'Empereur ait voulu nous en faire un dominant", allusion au culte suprême imposé par Robespierre. Alors que Dufourny  demande d'examiner la question de savoir "si la liberté de la presse est ou non compatible avec le gouvernement révolutionnaire", Babeuf pense qu'il aurait dû "renverser la proposition  et demander si le gouvernement révolutionnaire est ou non compatible avec la liberté de la presse, et dans le cas de la négative, il n'y auroit pas à balancer ; il faudroit proscrire le gouvernement révolutionnaire.(op. cité).  Ce qui s'accorde bien avec un mot d'ordre lancé dans le premier numéro du Tribun,  : "Jacobins et autres sectes ! disparoissez tous devant celle des droits de l'homme. Vos grands débats ne sont que des jeux de marionnettes, vous serez entraînés par nous."   

« Chez un peuple libre et éclairé, le droit de censurer les actes législatifs est aussi sacré que la nécessité de les observer est impérieuse. C'est l'exercice de ce droit qui répand la lumière, qui répare les erreurs politiques,  qui affermit les bonnes institutions amène la réforme des mauvaises,  conserve la liberté, et prévient le bouleversement des états. La démonstration des vices d'une loi ne la détruit pas, mais elle prépare doucement l'opinion publique à en désirer l'abrogation ; elle dispose insensiblement l'autorité souveraine à la réaliser.  La loi n'est que l'expression de la volonté générale ; la volonté générale n'est que le résultat des lumières générales, et les lumières générales ne peuvent être formées et accrues que par la libre communication des pensées entre les citoyens. Quiconque met des entraves à ce commerce sublime détruit l'essence même de la loi, il en étouffe le germe qui est la raison publique ; il paralyse la puissance législative elle-même.»

Robespierre, Le Défenseur de la Constitution, N°5, page 224, cité par Babeuf, Journal de la Liberté..., N°1, p. 3.

On le voit bien là, Babeuf, contre le plus grand nombre des dirigeants révolutionnaires qui, par intérêt politicien, par manque d'exigence démocratique, cherchent à contrôler la liberté d'expression, est radical et intransigeant dans son action, commandée par l'éthique de ses convictions, totalement étrangère au calcul politique, comme le confirme le biographe de Mons, et qui lui coûtera cher : 

 

"On ne conçoit pas qu'en attaquant les Jacobins, Babeuf ait aussi attaqué cette portion de l'assemblée qui venait de renverser Robespierre. Cette conduite impolitique le laissa sans appui ; les Tallien, les Fréron, les Barras, les Merlin de Thionville, devinrent bientôt ses ennemis au même degré que les Billaud, les Collot, et les autres agents du Gouvernement révolutionnaire.(Galerie Historique des Contemporains, Mons, chez Le Roux, vol. 1, 8 volumes in-8, 1827 )

      Barras       :  Paul François Jean Nicolas de Barras (1755-1829) , vicomte, il sera commissaire pendant la terreur et dirigera les insurrections fédéralistes à Marseille et à Toulon. 

    Merlin de Thionville       :  Antoine Merlin, dit Merlin de Thionville, avocat, il participa à la guerre de Vendée avec l'Armée de Mayence.

 On ne saurait faire la révolution sans la liberté de la presse, qui est "la liberté de penser et de communiquer sa pensée", car "c'est-là précisément ce qui fait l'essence d'un être raisonnable." Ainsi, sans la liberté de la presse "la souveraineté du peuple est anéantie."  (op. cité).  Notre journaliste se désole de voir que la mort de Robespierre n'a pas changé "la société", et que la nouvelle continue de demander "comme le tyran Robespierre, que le sang coule à grands flots, qu'on immole à la sûreté et à la propriété des personnes, une immense quantité d'individus paisibles qui, suivant  elle, sont suspects, parce qu'ils ne pensent point comme elle ; elle veut remplir les prisons, empêcher la liberté de penser et d'écrire : le tout pour faire des partisans à la république." (Journal de la liberté...,  N° 7, 13 septembre 1794 (27 fructidor an II, p. 3 ).  Non seulement, nous l'avons vu, Babeuf, juste après la chute de Robespierre, reconnaît les faces antagonistes du personnage, mais il n'aura de cesse, nous continuerons de le voir, de pointer du doigt le nouveau régime qui n'a rien changé à la situation des droits de l'homme et à l'oppression. Babeuf garde donc son esprit critique intact et il est erroné et injuste de lire ici ou là, chez de bons historiens en plus, de parler d'un "engagement de Babeuf pour les Thermidoriens" (Schiappa, op. cité : 78).  pendant les quelques mois qui suivent la chute de l'Incorruptible. 

Et parmi les hommes de cette nouvelle "société" politique, Babeuf cite Dufourny et Pierre-François, comte Réal (1757-1834) qui sera, entre autres, substitut du procureur Chaumette et avocat de Babeuf à Vendôme.  Ces mentions concernent leurs diatribes et leurs manigances politiciennes contre la section du Muséum, qui proposait des élections aux autres sections, mais il n'oublie pas les "visirs" Jacques-Nicolas Billaud-Varenne (1756-1819), Jean Pierre André Amar (1755-1816), ou encore Marc-Guillaume-Alexis Vadier (1736-1828).  Dès 1785, Vadier, originaire de Pamiers, dans l'Ariège, veut convertir une partie de ses terres de Montaut en seigneurie mais en est empêché par différentes personnes, dont il se vengera quand il  aura le pouvoir du tribunal révolutionnaire, en faisant exécuter quatre d'entre eux le 16 juillet 1794 / 28 messidor an II  (Grezaud, 1974).  Elu député du Tiers-Etat puis de la Convention, il travaille à la dissolution du club électoral des sans-culottes, "fatigués  de venir faire eux-mêmes l'espionnage, et étoient scandalisés de cette persévérance  tenace avec laquelle on s'entêtoit des droits de l'homme." (Journal de la liberté...,  N° 7, op. cité).   Président du Comité de sûreté générale le 14 septembre 1793, il sera surnommé "le grand inquisiteur" : Avec Amar, il envoie à la mort des auteurs de malversations dans l'affaire de la Compagnie des Indes (Fabre d'Eglantine, Delaunay d'Angers, Julien de Toulouse, Chabot, Basire, puis Danton, mais aussi, associé aux dantonistes, Hérault de Séchelles (cf. plus bas), tous guillotinés le 5 avril 1794, sauf Julien :  énième cas d'enrichissement de "révolutionnaires", dont nous en reparlerons ailleurs. Et que dire de l'affaire de la conspiration de Batz, de Catherine Théot, montée de toutes pièces par le pouvoir, et dont le rapport de Vadier du 15 juin 1794 (27 prairial an II) a permis d'envoyer les premiers accusés devant le tribunal révolutionnaire, jusqu'à l'exécution des cinquante-quatre "chemises rouges"  exécutées le 17 juin 1794 (cf. Nicolas Villaumé, Histoire de la Révolution Française, 1789-1796, Paris, chez Marescq, 1851, p. 299-300).  

      Amar     :  député de l'Isère qui, le jour de l'exécution du roi, le 21 janvier 1793, demande l'arrestation de tous ceux qui tiennent des propos suspects, qui soutient fermement l'idée de Lindet,  le 10 mars 1793, de former un tribunal révolutionnaire et qui soutient l'exclusion des femmes aux droits politiques devant l'assemblée, à la séance du 9 brumaire an II (10 octobre 1793). Il envoya  au tribunal révolutionnaire et à l'échafaud bon nombre de personnes : Duprat, Mainvielle, les frères Rabaud, Bazire, Chabot, Delaunay, Fabre d'Eglantine, etc.  Il fut aussi accusé par Hébert d'avoir acheté pour 200.000 francs une charge qui l'anoblissait.  

(cf. Biographie universelle ancienne et moderne... direction M. Michaud, tome premier,  AA - Ang, Paris, A. Thoisnier Desplaces, 1843,  page 559 ).

 

Babeuf comprend bien qu'il reste, après la mort de Robespierre, un certain nombre d'hommes de pouvoir qui "trouvent le système de terreur qu'il avoit établi fort commode, et qui veuillent l'établir pour leur compte."  Nous sommes là dans un perpétuel mouvement des élites dominantes, qui ont pour but principal la conduite idéologique nécessaire à la domination de leur classe, que même les plus nobles principes (liberté, égalité, etc.), ne doivent jamais mettre en péril. Il dénonce ainsi la proposition de Bertrand Barère de Vieuzac, dit Barère  (ou Barrère, 1755-1841), grand ouvrier du Comité de la sûreté générale, l'organe de police très musclé du gouvernement révolutionnaire. Au sein du Comité de Salut-Public, le 10 thermidor, Barère propose de renouveler Antoine Quentin Fouquier-Tinville (1746-1795) au poste d'accusateur public dans le tribunal révolutionnaire, lui qui  conduisit  à la mort environ deux mille personnes, à Paris, qu'il faut ajouter aux plus de quatorze mille autres en province, selon la fameuse étude de Donald Greer (The incidence of the terror during the French Revolution. A statistical interpretation, Cambridge, Harvard University Press, 1935), décidées par des représentants omnipotents de la justice révolutionnaire. Dans le numéro 10, Babeuf confirme ses impressions de la politique qui a suivi la mort de Robespierre : "Les circonstances, votre intérêt individuel, ou peut-être sa propre maladresse, vous ont mis à portée de précipiter Robespierre, mais vous n'avez encore rien fait pour détruire le robespierrisme (...) les départements toujours en proie aux mignons féroces du roi de thermidor, toujours victimes du système d'oppression des bourreaux révolutionnaires qui ont remplacé les élus du peuple..." etc. etc. Les données historiques confirment ce terrible constat. Malgré la proposition de Tallien de supprimer le tribunal révolutionnaire (pourtant, lui-même de sinistre mémoire à Bordeaux), Billaud, l'homme fort du moment, s'y oppose fermement et, en une seule semaine, "entre le 10 et le 17 thermidor, on comptera 107 guillotinés supplémentaires."  (Conte, 1989).    Dans le numéro 11, Babeuf attaque très violemment Barère.  Ce dernier avouera bien plus tard, non dans ses propres Mémoires, comme on peut le lire souvent, mais au journaliste Louis-Désiré Véron (1798-1867)  : « Nous n’avions qu’un sentiment, celui de notre conservation. On faisait guillotiner son voisin pour que le voisin ne vous fît pas guillotiner vous-même. »  (Dr L. Véron, 1798-1867, Mémoires d'un bourgeois de Paris : comprenant la fin de l'Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, la République jusqu'au rétablissement de l'Empire. Tome 2, p. 14).  Babeuf attaque sans relâche ceux qui voudraient faire croire que la terreur est morte avec Robespierre : "Aujourd'hui les patriotes,qui osent prêcher les droits de l'homme n'en sont pas quittes à si bon marché. On commence par les chasser des jacobins,. puis on les emprisonne, puis on les assassine. Mais dirons-nous aux Barère. BiIlaud, Bourdon, aux Collot aux Carrier, aux Louchet, chasser emprisonner et assassiner n'est pas répondre. On a beau embastiller, assassiner les patriotes, on n'assassinera pas la vérité : elle se fera jour travers les grilles de vos nouvelles vos nouvelles bastilles...(Babeuf, Journal de la liberté... op. cité, N°12, De la fête de l'Opinion, quatrième sans-culotide, l'an 2).  Et dans le numéro suivant "On ne peut dissimuler qu'il existe maintenant dans la république, deux partis bien prononcés, l'un en faveur du maintien du gouvernement Robespierre, l'autre pour le rétablissement d'un gouvernement étayé exclusivement sur les droits eternels de l'homme, reconnus par notre sublime déclaration (...) Une lutte très sérieuse, décisive même pour la liberté, paroît devoir incessamment s'engager entre nos adversaires et nous. (...) Nous, nous conspirons tout haut, nous donnons la plus grande publicité à notre conspiration." Mais Babeuf manque de réalisme sur la situation politique complexe, en imaginant que la seule vérité établie sur le nouveau gouvernement permet d'affirmer "Voilà donc la très-grande partie de la population de Paris qui nous est assurée."  Notre révolutionnaire oublie que beaucoup de gens n'ont pas l'assise aussi ferme que lui dans leurs convictions de justice et de liberté. C'est en partie sous la pression des sans-culottes, par exemple, que les hommes de la terreur ont impitoyablement châtié au nom de la lutte contre-révolutionnaire : nous nous pencherons sur ce point dans les articles propres à la révolution Française. 

      Bourdon       :  Louis Jean Joseph Léonard Bourdon de la Crosnière (1754-1807),  avocat, procureur de Paris, commissaire adjoint de Barras, il sera accusé de vols et d'assassinats dans l'Orateur du Peuple de Fréron, le 15 octobre 1794 (24 vendémiaire an III)

         Collot       :  Jean-Marie Collot, dit Collot d'Herbois, son nom de scène, quand il était dans le théâtre (comédien, directeur), avant de se lancer en politique. Il entrera au Comité du Salut Public et participera à la Terreur, en particulier à Lyon. Babeuf le classe parmi les "hommes fléaux, des monstres malfaisans comme Carrier, comme Lebon..." (Babeuf,  Du Système de dépopulation... page 15)

       Louchet       :  Louis Louchet (1753-1815),  député de l'Aveyron, participe à la Terreur, dont il demande le maintien le 19 août 1794. 

       fête de l'Opinion     :   Le jour de l'opinion est le quatrième (quartidi) des six jours supplémentaires (cinq  + un les années bissextiles) ajoutés au calendrier républicain pour parvenir aux 365 ¼ jours que compte une année terrestre.  Dans ce numéro, Babeuf s'insurge avec force contre la "suppression" par décret  (?)  de quatre des "sans-culotides". 

L'opinion propre du peuple « ne lui est jamais laissée » car "il existe constamment une tactique de la part de quelques uns de ceux qui gouvernent et qui ont le plus d'ambition, pour lui en substituer une factice, uniquement avantageuse à celui qui la dirige et toujours préjudiciable au peuple."

 Babeuf, Journal de la Liberté..., N°6, p. 3.

Au tout début du mois d'octobre 1794, Babeuf annonce changer le  surnom de Camille pour celui de Gracchus en l'honneur des Gracques, des frères romains qui ont tenté des réformes sociales et agraires : "Je justifierai aussi mon prénom. J'ai eu pour but moral enprenant pour patrons les plus honnêtes-gens à mon avis de la république Romaine, puisque c'est eux qui voulurent le plus fortement le bonheur commun(Le Tribun du peuple, N° 23, 5 octobre 1794 / 14 vendémiaire an III).  Remarquons au passage, dans le numéro suivant du Tribun, que Babeuf, comme la presque entièreté des hommes de son époque,  conserve une mentalité patriarcale, doublée de sa sollicitude habituelle envers tous les "faibles". Dans un long paragraphe à la louange du patriote, il le décrit respectant "la faiblesse de l'enfance, et de ce sexe aimable auquel nous devons souvent plus que le jour. Fidèle à ses devoirs de père, d'époux, et de citoyen, ses devoirs sont pour lui des jouissances.(Le Tribun du peuple, N° 24, 7  octobre 1794 / 16 vendémiaire an III).   

 

Le 17 vendémiaire an III (8 octobre 1794), Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824), d'une vieille famille de magistrats de la noblesse languedocienne, député de l'Hérault entre 1792 et 1795, présente un  rapport au nom du comité de Législation, devant la Convention thermidorienne. Babeuf et ses amis du Club électoral  décident de se réunir  dès le lendemain. 

Le club, fondé par des membres de l'Assemblée électorale de Paris en 1791, avait coutume de se réunir dans la salle de l'évêché, sur le Parvis Notre-Dame, mais aussi au Café des Bains Chinois, "Boulevart des Capucines", dessiné par l'architecte Samson-Nicolas Lenoir  dit le Romain (1728-1810), entre 1763 et 1787.  Avec Babeuf, ses principaux dirigeants étaient trois amis très proches : François Vincent Legray,  Joseph Bodson (1768-1835, dont la soeur Angélique Thérèse épousera Legray),  graveur, peintre sur porcelaine et décorateur ; et Jean François Varlet, qui confiera à Legray ses papiers et la gestion de ses biens quand il se retirera à la campagne (Tomasso, 2014).

Le 18 vendémiaire, Legray  président du club, est arrêté, et Babeuf en exprime sa colère dans le Tribun : "Et c'est la journée du 18 Vendémiaire ! ..qui a vu consacrer cette grande et révoltante profanation. (Babeuf, Le Tribun du peuple, N° 27,  13 octobre 1794/ 22 vendémiaire an III).  Babeuf publie dans ce numéro la Lettre d'Albertine Marat à Fréron, qui  reconnaît "d'après la Déclaration des droits, notre boussole et notre bouclier, qu'il y a oppression contre le corps social dans la personne du patriote Legray, un des plus chauds défenseurs de ces droits, et nous allons, d'une manière digne de nous, lutter contre ses ennemis et les nôtres."  Au-delà de l'hommage que lui rend Babeuf : "La soeur de l'Ami du Peuple a pris une marche vraiment sage : il est bon, il est utile qu'on la suive...", c'est à cette occasion que  le Tribun, au-delà de son respect traditionnel pour les mères de famille "obligées de consacrer leurs journées entières pour nous empêcher de mourir de faim",  reconnaît à demi-mot leur rôle dans les acquis de la Révolution : "Mais gare que les femmes, que nous avons avilies, sans lesquelles cependant et sans leur courage des 5 et 6 octobre, nous n'aurions peut-être pas eu la liberté !"   ( op. cité) . Babeuf attaque vigoureusement  Tallien, mais surtout Fréron, "qui avoit pourtant promis de combattre tous les actes d'oppression..." et qui ne se dresse contre aucune attaque contre "la muraille des droits de l'homme", que ce soit "les invectives de Billaud contre les pétitionnaires" du club électoral, "la violation  du droit de pétition", "l'arrestation scandaleuse, à son tribunal et dans l'exercice de ses fonctions, du juge Bodson, membre de ce club", "le décret qui enlève à la même société son local de l'évêché, ni le dégât horrible qui en suivit la révoltante dévastation", ou encore "l'impertinente et républicide réponse du président Dumont à une autre pétition, celle du 7 vendémiaire", etc.  Babeuf conspue l'intervention de Cambacérès du 18 vendémiaire,  "l'Adresse nationicide, par laquelle "il est définitivement ratifié qu'il n'y a plus de souveraineté du peuple, plus de droits du peuple..."  Dans ce même numéro 27, Babeuf rend aussi un hommage émouvant à sa famille et au don de soi pour un but supérieur, témoignant du même coup d'une conception de l'enfance qui reflète la terrible situation de son époque (du moins pour les pauvres)  :

"...j'oublie tout pour la patrie, j'oublie presque ma subsistance individuelle, j'oublie ma femme et mes enfants, je fais le sacrifice de ma place, je n'appartiens plus qu'à la défense des droits du peuple. Mon épouse, et mon fils, âgé de neuf ans, tout deux aussi républicains, aussi dévoués que leur père et leur époux, s'engagent à me seconder de tous leurs moyens. Ils font les mêmes sacrifices. Ils sont occupés jour et nuit chez Guffroy, mon imprimeur, au ployage, à la distribution, à l'expédition du journal. La maison est abandonnée. Deux autres jeunes enfants, dont l'un n'a que trois ans, restent tout le jour enfermés seuls durant un mois. Cette négligence les fait dépérir, mais ils ne se plaignent pas, ils semblent aussi déjà pénétrés d'amour pour la patrie et lui faire volontiers tous les sacrifices.

Au passage, Babeuf écharpe l'abbé Grégoire (Henri Jean-Baptiste Grégoire, 1750-1831) et son rapport du 31 août 1794 (14 fructidor an II) au nom du comité d'instruction publique, "sur ce qu'il appelle le Vandalismeperpétré sur de nombreux monuments religieux énumérés par le Tribun.  "Quel âge a-t-il ? Qu'on lui fasse une pension honnête et qu'il se taise", conclut-il, dans une veine tout à fait conforme à sa détestation pour la religion.  Schiappa exagère, à mon sens, en affirmant que Babeuf, avant de détester la religion, avait eu "une position déiste" (Schiappa, op. cité : 70).  C'est un bien grand mot. Même avant son abjuration du catholicisme en 1790, Babeuf ne s'était jamais préoccupé de religion et les rares mentions de ses écrits sur le sujet sont anecdotiques et traduisent seulement une attitude correspondant à une mentalité chrétienne de l'époque, par des comparaisons tirées de la Bible ou l'utilisation de formules banales, essentiellement dans des lettres, par exemple :  "Pour ce qui est de ma santé, elle est fort bonne ; Dieu j'en remercie" (lettre de Babeuf à son père, 26 mai 1780, in Advielle, op. cité : 12).  C'est plutôt après, finalement, que dans sa critique féroce du christianisme, il laissera une petite place pour Jésus lui-même,parmi les "co-athlètes" de l'égalité  (Maillard et al., 1994 :  46). 

        Guffroy      :   "Guffroy, député, mon imprimeur, a fait arrêter hier le tirage de mon numéro 26, il en a également arrêté la vente, il s'est emparé d'environ trente mille exemplaires de tous mes numéros, a mis ma femme et mon fils à la porte, et leur a annoncé qu'il alloit être mon dénonciateur auprès du comité de sûreté générale"  (op. cité)

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C'est Babeuf qui rédige la pétition contre le gouvernement deux ou trois jours après l'intervention de Cambacérès, le 19 ou le 20 vendémiaire, juste avant l'arrestation de Legray, le 21  provoquant le mandat d'arrêt lancé contre lui le même jour. Cette pétition fait suites aux différentes actions du club babouviste, évoquées par le Tribun dans son journal  : 

"— l’adresse du 30 thermidor, de la section du Muséum, qui réclamait pour le peuple le droit d’élire les autorités (on sait que la section du Muséum et le Club électoral travaillaient de concert) ;

— l’adresse du 10 fructidor : le Club demande l’élection d’une municipalité ;

— la pétition du 20 fructidor, à l’instigation de Varlet et de Bodson ;

— le 30 fructidor, une délégation du Club proteste contre l’arrestation de ces deux

     patriotes ;

— le 10 vendémiaire, nouvelle pétition réclamant le rétablissement de la Commune, et la liberté du commerce (pétition publiée dans le n°22 du Journal de la liberté de la presse) ; — viendra ensuite l’adresse du 12 brumaire, sur le rôle des sociétés populaires."

(Legrand, 1973).  

A ce moment-là, Babeuf avait fini d'exaspérer le pouvoir et après la sortie du N° 23 du Journal de la liberté,  le Comité de sûreté générale émet un ordre d'arrestation et l'apposition de scellés sur ses papiers, le 13 octobre 1794 (22 vendémiaire an III). Prévenu à temps, notre "fougueux ligueur" échappe à la police et peut se cacher dans Paris (Advielle, op. cité :  117)

 

Jusqu'à son arrestation, Babeuf n'aura de cesse de dénoncer le pouvoir en place, en particulier en décembre (nivôse), dans le numéro 30 du Tribun, où de nombreux événements se produisent après l'abolition du maximum (24 décembre / 4 nivôse an III).

du système de dépopulation

 

Du système de dépopulation

 

 

 

Babeuf écrit sur la question vendéenne (cf. La guerre de Vendée : un génocide ?) pendant le procès de Jean-Baptiste Carrier (1756-1794), qui suit deux procès importants.  Celui dit des 132 Nantais (du 22 au 28 fructidor an II/8 au 14 septembre 1794), qui seront acquittés et acclamés par la foule parisienne, dont le verdict provoquera une pluie de pamphlets et mettra cette fois en accusation le Comité révolutionnaire de Nantes, dont le procès se tiendra le 25 vendémiaire au 26 frimaire, (16 octobre au 16 décembre 1794). C'est dans l'urgence que Babeuf écrira son  "Du système de dépopulation, ou la vie et les crimes de Carrier ; son procès et celui du comité révolutionnaire de Nantes : avec des recherches et des considérations politiques sur les vues du décemvirat ; dans l’invention de ce système ; sur la combinaison principale avec la guerre de Vendée ; et sur le projet de son application à toutes les parties de la République", publié pour la première fois en décembre 1794  : 

"Commandé à Babeuf par Fouché qui cherche à faire cause commune avec les thermidoriens, à l'occasion du procès de Carrier, l'homme des noyades de Nantes, il sert en fait d'alibi à l'ancien mitrailleur de Lyon. Le procédé est classique. Il consiste à dénoncer ses anciens amis politiques, en forçant le trait, pour mieux se sauver." (Emmanuel de Waresquiel, Vendée et chouannerie: deux siècles de mémoire,  Revue des Deux Mondes, septembre   1993 ).  Joseph Fouché (1759-1820)  a commis à Lyon entre octobre 1793 et avril 1794 de véritables boucheries  (associés à d'autres représentants du peuple : Albitte, Laporte et Collot d’Herbois, nous en verrons le détail dans un autre article), emprisonnant, exécutant 1684 personnes (Bourdin, 2002), les massacrant ici et là, en particulier dans la plaine de Brotteaux, les 4 et 5 décembre (14 et 15 frimaire) où elles sont achevées maladroitement et très violemment à coups de pieds, de sabre ou de baïonnettes : 

"Il y aura au moins chaque jour jusqu'à ce que tous les rebelles soient réduits au dernier et jusqu'à ce que le peuple ne sera plus agité par leurs sourdes menées et leurs pièges corrupteurs cinquante, cent et même cent cinquante Muscadins mis à mort. Et pour rendre leur exécution prompte et plus imposante aux regards du peuple justement irrité de leurs crimes, ils seront tous enchaînés et placés en plusieurs lignes, sur lesquelles un nombre déterminé de canons chargés à mitraille sera tiré, et à quelque distance desquelles seront placés des pelotons de républicains pour fusiller de suite ceux qui survivront à la décharge des canons. 

Les corps ainsy canonnés ou fusillés seront aussitôt ramassés et conduits dans une fosse, qui sera préparée à cet effet, avec une quantité suffisante de chaux vive pour les consumer.

Arrêté de la La commission temporaire de surveillance républicaine, in Archives Départementales  du Rhône, 31 L 50 fol. 70-71 et 73-75 3 .  

"Ces soldats, peu exercés à manier les armes, et la plupart égorgeant pour la première fois, restèrent plus de deux heures à consommer ce massacre." 

Antoine-François Delandine (avocat, 1756-1820),  Tableau des prisons de Lyon, pour servir à l'histoire de la tyrannie de 1792 et 1793,  Paris, 1797. 

Babeuf accède donc à la requête d'un personnage aussi peu reluisant que celui qu'il cherche à mettre en cause et dont Babeuf, sans l'ombre d'un doute, condamne sincèrement les crimes, comme ceux qu'il impute à Robespierre. Jules Michelet, à bon droit, s'interrogera sur ce point : "Carrier faisait horreur. Mais pourquoi pas Fouché, aussi souillé, plus hypocrite, à coup sûr bien plus corrompu ?" (Michelet, Histoire du XIXe siècle, 3 volumes 1872-1875 [vol. 2 et 3 posthumes],  vol. 1, Directoire, Origine des Bonaparte, p. 163-164, Paris, Germer Baillière, 1872)Et cette sympathie pour Fouché va persister, mieux, la conviction d'appartenir au même camp, nous le verrons plus tard, alors qu'au moment opportun, Fouché n'hésitera pas à attaquer Babeuf. 

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                        Fusillades de Lyon commandées par Collot d'Herbois 

                le 13 décembre 1793 ou 24 Frumaire An 2e de la République

                Estampe,  eau forte de Jean Duplessis Bertaux (vers 1750 - 1819) 

                                          et  Pierre-Philippe  Choffard  ( 1730 - 1809), graveurs 

                       

                                    édition : 1802               Paris, BNF

Bronislaw Baczko trouve le texte de Babeuf   "hallucinant... obsédé par des fantasmes...qui hantaient l’Ancien Régime ainsi que ceux engendrés par la révolution ." (Baczko, 1989). Babeuf n'est pas le premier à conférer une dimension profondément dramaturgique à la terrible guerre de Vendée  : "Ce fut un poème dantesque qui, de cercle en cercle, fit redescendre la France dans ces enfers..." dira l'historien Jules Michelet (Histoire du XIXe siècle, vol. 1, Directoire, Origine des Bonaparte,  Paris, Marpon, Flammarion, 1880, p. 70).  Pendant une vingtaine de pages, on ne peut que suivre l'auteur dans son analyse :   "les Départements livrés aux caprices de l'arbitraire, et à toutes les passions de quelques hommes qui ne manqueroient pas de s'énivrer du dépôt de la toute puissance réunie en entier dans leurs mains."   "Rois", "tyrans" ou "plénipotentiaires", Babeuf affirme avec force dès le départ le caractère discrétionnaire et très large des pouvoirs accordés aux représentants du peuple dans les provinces : ces "élus-législateurs s'écartaient absolument du vœu de leurs mandats..."  ( op. cité : 18)  et détenaient des "pouvoirs sans bornes et jusques y compris le droit de vie et de mort", (Babeuf, Du système... op. cité :  23).  Mais soudain, le Tribun nous sort du chapeau l'obscur opuscule intitulé "Causes secrètes de la Révolution du 9 au 10 thermidor" qu'on attribuait à un certain Simpronius-Gracchus Vilate, de son vrai nom Joachim Vilate  (1767-1795). Sa position, comme juré du tribunal révolutionnaire,  son intimité avec Barère,  St-Just, Couthon, Billaud ou Collot,  les indices montrant "qu'il a été admis dans leurs conciliabules secrets et initié dans les plus profonds mystères", enfin, son état de prisonnier à la Force, confère selon Babeuf un sceau authentique à la  "révélation si importante" qu'il fait : "Maximilien et son conseil avaient calculé qu'une vraie régénération de la France ne pouvait s'opérer qu'au moyen d'une distribution nouvelle du territoire et des hommes qui l'occupent." Curieusement,  le raisonnement imputé à l'Incorruptible lui octroyait les mêmes objectifs sociaux que poursuivait Babeuf, mais pas du tout les moyens utilisés pour y parvenir. On admet donc : 1° Que "les propriétés étaient tombées dans un petit nombre de mains et que la grande majorité des Français ne possédait rien. 2° Qu'en laissant subsister cet état de choses, l'égalité de droits ne serait qu'un vain mot...  3° Que pour détruire cette puissance des propriétaires...il n'y a avait pas d'autre moyen que celui d'attirer d'abord toutes les propriétés sous la main du gouvernement. Et le  quatrième point est un point de bascule, où "on n'y réussirait sans doute qu'en immolant les gros possesseurs, et en imprimant une terreur si forte, qu'elle fut capable de décider les autres à s'exécuter de bonne grace". Et enfin, le cinquième point, veut  faire admettre au lecteur que Robespierre avait la conviction qu'un "dépeuplement était indispensable, parce que, calcul fait, la population française était en mesure excédente des ressources du sol, et des besoins de l'industrie utile : c'est-à-dire que les hommes se pressaient trop chez nous pour que chacun y pût vivre à l'aise...que cette vérité était prouvée par la seule mesure certaine, le relevé du produit total de la culture et de l'économie rurale...". Le sixième et dernier point apportait "l'horrible conclusion... qu'il y aurait une portion de sans-culottes à sacrifier, qu'on pouvait déblayer ces décombres (expression de Barrère ; Causes secrètes: p. 14)"  (Babeuf, Du système... op. cité :  27-28)

Babeuf n'en démord pas :  "Tel fut le grand secret de l'état, secret trop sûr, avéré par des indices sans doute très frappants dans les Causes secrettes, mais éclaircis d'une manière encore bien plus probante par le rapprochement des faits qui ont caractérisé la marche du gouvernement des décemvirs" (op. cité).   Babeuf manque là clairement de sérieux, même pour un historien amateur, en reliant une série de présupposés totalement infondés sur Robespierre à la réalité incontestable de la violence perpétrée de manière systémique par les commissaires de la Terreur dans tous les territoires du pays.  Et soudain, "la guerre de Vendée devenait chaque jour un labyrinthe de mystères et de prestiges, mais qui appercevait cependant bien qu'elle devait ses développements et sa durée à une conspiration manifeste, dont les acteurs jouissaient d'une grande puissance, puisqu'ils avaient associé jusqu'au Gouvernement à leurs horribles succès (op. cité : 29).   Jusque-là, Babeuf ne donne strictement aucun élément de preuve contre Robespierre, et sa volonté préméditée d'un grand projet destructeur et régénérateur de la France par le crime de masse. Dès lors, Babeuf déroule un discours (ceci dit, assez court)  d'auto-persuasion assez délirante : "Qu'est-ce que ces distributions de secours, aux enfants et aux femmes de ceux qui combattent ? si ce n'est le premier à-compte de la répartition agrairienne. ", "massacre de sang-froid de la portion qui surcharge l'Etat"   (op. cité : 34-35).  

Et Babeuf de condamner avec fermeté la violence, qu'elle vienne des missionnaires du Christ au Mexique ou des "forcenés Français envers leurs frères de Vendée."  (op. cité : 40).  Ce qui ne l'empêche pas de parler avec condescendance des "habitants de ces contrées, plongés dans la plus profonde ignorance...asservis aux nobles et aux prêtres", pour lesquels les commissaires civils Gensonné et Gallois, missionnés par le roi Louis XVI en 1791, auraient dû "répandre autour d'eux la lumière", "dessiller les yeux de ces malheureux fanatiques" et enfin, démasquer et punir "les scélérats qui les égaraient..."  (op. cité : 45)

Le Tribun, sur la base d'un rapport de Choudieu, souligne "l'inertie et l'indifférence" de la faction girondine, mais aussi l'action des émissaires et des "écrits corrupteurs de Roland", qui a permis la dégradation de la situation. Babeuf rappelle les témoignages de "patriotes de tous les endroits où se porta le siège de la guerre, qu'ils préféraient mille fois mieux le passage des rebelles parce qu'ils respectaient les propriété, à celui des pelotons nationaux, qui dépouillaient inhumainement et le patriote et l'aristocrate..." Une fois encore, on voit que le Tribun, qui défendait la plus grande égalité entre les hommes, était farouchement opposé (et meurtri)  à la destruction aveugle de la propriété, croyant même naïvement qu'on "avait cependant paru projetter, au commencement de nos hostilités, tant intérieures qu'extérieures, de ne livrer que des guerres philosophiques, de vaincre les Peuples par la philantropie attrayante de nos principes". Babeuf rappelle même que Choudieu avait critiqué les premiers envoyés de l'assemblée constituante "de n'avoir point exclusivement suivi ce plan" : Nous sommes bien loin, ici, de l'idée d'un système d'extermination prémédité !  

 

Et Babeuf de rappeler le rapport du général  François-Joseph Westermann (1751 - 1794), un des "bouchers de la Vendée" dont les soldats "qui tous, pour ainsi dire, ont amassé des trésors des dépouilles des ennemis de la République."  (op. cité page 54, cf. Campagne...p. 42, voir ci-dessous)

On peut aussi lire dans l'original  : "...Savenay est à nous. Nous fimes une boucherie horrible... Partout on n voyoit que des monceaux de morts ; moi je me suis attaché à quelques pelotons de cavalerie et d'infanterie qui s'étoient sauvés sur la gauche, tous furent noyés ou taillés en pièces... Dans la banlieue de Savenay seule, plus de 6,000 ont été enterrés." (op. cité page 41).  

Campagne de la Vendée, du général de brigade Westermann, commandant en chef la Légion du Nord , contenant tous les faits à sa connoissance, sur lesquels la Convention nationale et son Comité de salut public lui ont demandé les détails, an deuxième de la République française une et indivisible,  Paris  (1793).  

source    :    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1123120/f2.item.texteImage

Et si Babeuf reconnaît que les Vendéens "ont fusillé, dans différentes occasions, un grand nombre de républicains", il en cherche objectivement les raisons et ne se laisse pas aveugler par l'idéologie, contrairement à beaucoup de ses contemporains. Il sait que d'autres, dans le même temps, "ont éprouvé, pendant des mois entiers, tous les tourments de la faim et de la soif... " et se demandent si les actions des premiers ne sont pas "de simples représailles de notre système général de massacre, de vol, d'incendie, de dévastations et d'horreurs ?" (Babeuf, Du Système...op. cité  : 58)

L'auteur, qui a déjà soulevé les problèmes d'ignorance des populations, cite Camille Desmoulins qui entre un peu plus dans les détails, qui amalgame, lui aussi, réalités, mépris social et préjugés : "Un des crimes de la Convention est que les écoles primaires ne soient point encore établies. S'il y avait eu dans les campagnes, sur le fauteuil du curé, un instituteur national, qui commentât le droit de l'homme et l'almanach du Père Gérard (par Collot, comme on se souvient bien) déjà serait tombée, des têtes des Bas-Bretons, la première croûte de la superstition, cette galle de l'esprit humain ; et nous n'aurions pas, au milieu des lumières du siècle et de la nation, ce phénomène de ténèbres dans la Vendée, le Quinpercorentin et le pays de Lanjuinais, où des paysans disent à vos commissaires : Faites-moi donc vite bien guillotiner, afin que je ressuscite dans trois jours... Je ne conçois pas comment on peut condamner à mort sérieusement ces animaux à face humaine... ce qu'il y aurait mieux à faire, serait de les échanger contre leurs boeufs de Poitou."  

Camille Desmoulins, Histoire des Brissotins ou Fragments de l'Histoire secrète de la Révolution et des six premiers mois de la République, 1793, p. 72

 

Babeuf retient que "l'instruction eût suffi pour convertir cette précieuse contrée...que c'est un des crimes de la Convention de n'avoir point employé cette voie... " et que les malheureux ne méritaient pas la mort "aux yeux de la morale et de la philosophie", car on punissait alors "les gouvernés de la fautes des gouvernants." (Babeuf, Du Système...op. cité  : 61).  Après Desmoulins, Babeuf convoque la Guerre de la Vendée et des Chouans, ouvrage  daté du "30 vendémiaire de l'an troisième" (21 octobre 1794) par l'auteur, Joseph-Marie Lequinio (1755 - 1812), avocat, journaliste, député du Morbihan, représentant aux armées en 1793, qui "sut mettre momentanément sa philantropie en réserve, pour être féroce à leur gré(Babeuf, Du Système...op. cité  : 65).   En plus de l'ignorance, au nombre des causes de la guerre, Lequinio lui aussi accuse les nobles, les prêtres, mais aussi les administrations, regrette qu'on n'ai pas porté "la lumière dans les esprits" et instauré des "fêtes civiques, et tous les moyens accessoires propres à rendre la révolution aimable au peuple..." (Babeuf, Du Système...op. cité  : 67). 

Jusque-là, il y a beaucoup d'affirmations, et peu d'informations. Une chose est de dire : "On laissait croire aux Français de l'armée républicaine, que les Français de la Vendée n'étaient pas des Français" ? Une autre, est d'affirmer : "c'est le même peuple qu'on divise... pour remplir un infâme but politique encore inouï : sarcler la race humaine !(op. cité  : 69).  Quelques pages suivent sur les exactions des Bleus, le propos de Babeuf est assez décousu, mais l'auteur, encore une fois, démontre sa sensibilité sociale : "brûler la chaumière de l'habitant des campagnes, c'est rompre son attache la plus forte à la société, le forcer à se retirer dans les bois et rendre brigand par nécessité."  Nous sommes aux antipodes de la "froide et féroce franchise" de Lequinio, que rapporte Babeuf : "Si la population qui reste n'étoit que de trente à quarante mille ames, le plus court, sans doute, seroit de tout égorger, ainsi que je le croyois d'abord..." (Lequinio, op. cité : 22-23).  Le Tribun expose sa conviction intime que le "Comité d'égorgerie a sans doute cru, lui, qu'il n'y avait de bon que ce mode, puisqu'il n'en a point employé d'autre, et c'est ce qui vient toujours en confirmation de la réalité du système de dépopulation générale."  Ou encore, tiré du texte de  Lequinio   : "Dans ce moment-là même, le département, les districts, toutes les différentes communes, les généraux travailloient de concert pour la destruction totale des brigands". (Lequinio, op. cité : 135).  Mais c'est surtout un autre passage du texte qui emporte  la conviction de Babeuf sur le fait qu'il "a donc bien décidément existé un plan de destruction totale !"  (Babeuf, Du Système...op. cité  :  83)   : "Toute la difficulté qui se présente est de savoir si l'on prendra le parti de l'indulgence, ou s'il est plus avantageux de continuer le plan de destruction totale.(Lequinio, op. cité : 38).  Notre Tribun précise que les mots de Lequinio proviennent d'un "discours prononcé au 14 germinal devant le Comité de salut public, qui ne paraît pas les avoir improuvés, qui au contraire, a depuis conduit la guerre de la Vendée de manière à laisser croire qu'il a en effet trouvé ce plan de destruction le plus avantageux."  (Babeuf, Du Système...op. cité  :  83).  

Babeuf fait ensuite témoigner l'avocat Pierre Nicolas Philippeaux (1754 - 1794), missionné lui aussi en Vendée, qui peine à se mouvoir dans ce "labyrinthe de mystères et de prestiges, qui devait ses développements et sa durée à une conspiration manifeste, dont les acteurs ont joui d'une grande puissance, puisqu'ils ont associé jusqu'au gouvernement à leurs horribles succès.  (...) Sans connaître tous les fils de la conspiration, j'en ai recueilli assez pour la rendre palpable.(Philippeaux, "lettre au comité de salut public, 16 frimaire an 2" (6 décembre 1793 in Du Système, op. cité : 88).  Lui-même paiera de sa vie sa proximité avec les dantonistes et arrêté le 31 mars 1794, comme le député d'Eure-et-Loir Jean-François de Lacroix (Delacroix), Desmoulins et Danton, tous guillotinés avec d'autres (cf. plus haut) le 5 avril. Philippeaux révèle une série "d'odieuses pratiques observées pour faire massacrer nos phalanges par celles rébelles, avant le parti pris de faire massacrer les phalanges rébelles par les nôtres."  (Babeuf, Du Système...op. cité  :  88).   Babeuf rappelle à ce sujet  la mise en cause par Philippeaux des généraux Berruyer, Marcé, Ligonnier  ou encore le général de brigade Pierre Quétineau (1756 - 1794), qui "livre Thouars aux brigands...se livre à d'infâmes orgies avec les royalistes..."   : La défaite des Républicains est sévère à Thouars, ils perdent des centaines d'hommes (600 selon Gabory) et les insurgés très peu, mais  le propos de Philipeaux est en partie fantaisiste. S'il ne livre pas Thouars, il est vrai qu'il est très bien traité par ses ennemis, invité par eux à dîner et à dormir luxueusement, pendant que ses  hommes jeûnent pendant 24 heures (Émile Gabory, 1872 - 1954,  Les Guerres de Vendée, Robert Laffont, 1912-1931 ).  Les cuisantes défaites du début font honte aux patriotes "infâme drapeau blanc", "échecs honteux", dit Philippeaux qui conspue les généraux Jean-Antoine Rossignol (1759 - 1802) et Charles-Philippe Ronsin (1751 - 1794) "pour avoir converti l'armée intrépide de Mayence en tronçons et en cadavre".  Babeuf, acceptant sans discuter  les accusations ad hominem, apporte beaucoup de confusion à son sujet en ne prenant pas le recul critique nécessaire. 

 

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Il cite le  décret et une proclamation du 1er octobre 1794 qui parlent d'exterminer les brigands de Vendée et en conclut  : "Ce code est très-clair. Exterminer tous les habitants d'un pays, et en brûler toutes les habitations..."  Encore une interprétation poussée de l'auteur, qu'il prend le temps de défendre :  Comme Carrier dans sa défense, il ne pouvait pas y avoir d'exception car "il n'y avait pas un seul habitant qu'on ne considérât comme brigand". Ou encore : "Il n'y avait point d'autre juri que la conscience du soldat. Que dis-je, le soldat était en même temps le juri, le juge et l'exécuteur ! " :  Babeuf réduit toute la guerre, comme on continuera souvent de le faire, à ses épisodes horrifiques, ce qui n'est pas toute la réalité de cette guerre. Mais comment ne pas comprendre  aussi que les horreurs qui y ont été perpétrées soient devenus une espèce de prisme par lequel tous les regards portés sur l'événement convergent  ?  Les mots des différents plénipotentiaires sont si forts, si terribles : "J'appelle l'attention de la Convention nationale sur les terres de la Vendée, au partage desquelles on a voulu apeller des réfugiés d'Allemagne. Je pense que nous devons donner la préférence à tant de soldats Français qui combattent pour la liberté ; mais je pense aussi que la Convention ne doit prendre un parti là-dessus, que lorsque la Vendée sera totalement détruite : Or elle ne l'est pas."  (Merlin de Thionville, séance du 17 brumaire, in Babeuf, Système... op. cité : 116).   

Babeuf cite en note un extrait d'une "Instruction adressée aux Autorités Constituées des départements de Rhône et de Loire, et principalement aux Municipalités des Campagnes, et aux Comités Révolutionnaires", par la Commission Temporaire de Surveillance Républicaine, établie à Ville-Affranchie (nom donné à Lyon par punition après la répression de Fouché des troupes menées en  particulier par le général de Précy), par les Représentants du Peuple, en date du 26 brumaire an II (16 novembre 1793).  En fait, Babeuf ne se rend pas compte que ce texte va à l'encontre de sa démonstration. En effet, comme d'autres textes, s'il affiche la détermination farouche du pouvoir à utiliser les moyens les plus extrêmes pour étouffer toute révolte, il démontre aussi la grande part d'improvisation, des volontés particulières de décision, alimentées par les caractérisations vagues, idéologisées de l'ennemi à combattre : 

"La Commission engage chacune des Sociétés, chacun des individus qui la liront, à se pénétrer de l’esprit qui l’a dictée ; mais elle les avertit en même temps, qu’en leur indiquant le but où ils doivent tendre, elle n’entend pas leur prescrire les bornes où ils doivent s’arrêter ; tout est permis pour ceux qui agissent dans le sens de la révolution ; il n’y a d’autre danger pour le Républicain, que de rester en arriere des loix de la République (...) Nous ne vous parlons pas seulement ici de prêtres, des nobles, des parens d’émigrés, des administrateurs et autres fonctionnaires parjures sur lesquels la loi a prononcé expressément, nous présumons qu’à cet égard vous avez fait votre devoir. Vous en répondez sur votre tête ; mais nous vous parlons spécialement de tous les hommes qui, sans être compris nominativement dans les décrets, sont désignés par eux à la surveillance Nationale (...)  ce sont enfin tous ceux qui, à l’époque de la lutte de la liberté contre les aristocrates de Lyon, ont marqué pour les scélérats une tendresse criminelle, un intérêt parricide ; qu’est-il besoin de vous en dire davantage ? Si vous êtes patriotes, vous saurez distinguer vos amis ; vous séquestrerez tous les autres."

Il en va de même de l'exemple donné juste après par l'auteur d'une lettre de Marie-Jean Hérault de Séchelles (1759 - 1794), député, président de la Convention,  à Carrier, qui lui demande le 29 septembre 1793 de "purger" la ville de Nantes. Hérault, tout à fait conscient de l'immoralité de cette politique, demandait au représentant  du peuple en mission de "frapper de grands coups en passant" tout en laissant "peser sur ses agents tout le poids de la responsabilité, sans jamais se compromettre par ses écrits" (Jacques Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée Militaire, Tome II, Paris, Librairie Charles Gosselin, 1843, p. 35 ).   

L'auteur expose ensuite le cas du sans-culotte Jean-Jacques Goullin (1756/57 - 1797), créole de Saint-Domingue, fils de colon sucrier de Saint-Domingue, qui écrit le 5 octobre 1793 au Comité de surveillance de Nantes, à un moment où il est le secrétaire de Philippeaux (Alfred Lallié, Le sans-culotte J.-J. Goullin, membre du Comité révolutionnaire de Nantes, 1793-1794, Nantes, Vincent Forest et Emile Grimaud..., Paris H[onoré] Champion..., 1880). "Aux intrépides Montagnards, composant le Comité de surveillance de Nantes...frappez, en vrais révolutionnaires, sinon je vous réprouve... Vous manquez, me dites-vous, de bras exécuteurs : parlez, demandez, et vous obtiendrez tout : force armée, commissaires, courriers, commis, valets, espions.."  On remarquera que Goullin parle à la première personne et que cette lettre, encore une fois, ne fait aucune mention d'un projet solide établi  au-dessus de lui.  Il en va de même pour l'exemple suivant du général de brigade espagnol Franz Joseph de Lusignan (1758 - 1832), et la fusillade totalement arbitraire, à Clisson, de dix-sept villageois du village de Pallère, commune de la Bernardière, "près les forges de Cugan", qu'il a ordonnée à Clisson le jour même, ainsi que d'autres qui ont suivi. Babeuf, ne précise pas ses sources, mais cela est attesté par une déclaration d'un agent de forges de Régny (Rhône et Loire, à l'époque), Antoine Bissuel (Bissue, Bussuel), qui témoigne que le général Lusignan "quoique prévenu des intentions & de la bonne volonté des habitans des campagnes, se livroit aux actes arbitraires & aux cruautés les plus révoltantes."  (Pièces remises à cinq époques différentes, par les comités réunis, à la Commission des Vingt-un,  Paris, Imprimerie Nationale, brumaire An III ;  N° VII, 4 brumaire an III [25 octobre 1794],  p. 96)

 

        Commission des Vingt-un    :   Rapport au nom de la Commission des  Vingt-Un,  créée par décret du 7 nivôse, an III, pour l'examen de la conduite des représentants du peuple Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Barrère, membres de l'ancien comité de Salut-Public, et  Vadier, membre de l'ancien comité de Sûreté générale. Rapport de la Commission fait le 12 ventôse par le Représentant du Peuple Saladin, député par le département de la Somme,  Paris 28 ventôse an III.

Nous n'allons pas commenter la série d'événements dramatiques relatés par Babeuf, ils  sont évoqués dans un autre article. Devant la réalité effroyable des nombreux assassinats, Babeuf parle "des exécrations nationicides" (Babeuf, Du Système... op. cité : 136),  qui n'a dans sa bouche pas du tout le même sens que le terme moderne de "génocide", d'autant plus que le Tribun, en dehors de "dépeuplement", "plan" ou "système de dépeuplement(p. 103, 107, 144ou de "dépopulation(p. 31, 36, 82n'a jamais substantivé cette notion. Il parle ailleurs de "vie...populicide" (p. 9ou "d'insolence plébéicide" (p. 63)

 Le 3 janvier 1795 (14 nivôse an 3), le gouvernement propose des mesures propres à "chasser les patriotes des places dans les administrations", envoie "les listes des employés à toutes les sections, pour provoquer des renseignements sur le compte de chacun", qui met "les ouvriers sur le pavé" alors que "le prix des denrées augmentent". Le 15 nivôse, l'assemblée  "publie l'arrêté du comité de salut public pour le bois de chauffage dont Paris éprouve la plus cruelle disette, dans un moment  où le froid assassine" : "Il est vrai que ceux qui régissent ne sentent pas les besoins."  Sans parler de l'acte d'accusation du député de l'Aube, Edme Bonaventure Courtois (1754-1816), du 16, contre tous les comités et sociétés  populaires ou agents révolutionnaires, ou encore la décision du député Petrus Bentabole ("Bentabole-Gouffier", 1756-1798), le 17,  d'attaquer la liberté de la presse par le biais des "imprimeurs d'écrits contre-révolutionnaires". 

        Gouffier        :   "Est-il plus besoin que quelqu'un ignore que le patriote Bentabolle est uni en parfait mariage avec deux ou trois cent mille livres de rentes et la comtesse de Choiseul-Gouffier, dont le château, à Heilly, district d'Amiens, est un petit Chantilly ?"  

(Babeuf, Le Tribun du Peuple... N° 29, op. cité).  

Babeuf profite de cette occasion pour justifier son refus de se faire arrêter : "Je leur apprendrois  à  connoître    comme moi   la Déclaration  des  droits  :  elle dit dans un article  « que tout homme qu'on voudroit arrêter hors des cas de la loi, a le droit de s'y refuser, et de repousser par la force quiconque voudroit  employer la violence. » Or, la loi constitutionnelle garantit la liberté de la presse. Arrêter un homme pour user de cette liberté, seroit agir hors des cas de la loi. Donc je puis annoncer aux quatre alguazils du comité que je suis possesseur de deux pistolets, portant chacun deux coups, ce qui fait quatre, qui est juste le compte pour coucher à terre mes deux paires d'alguazils"  (de l'espagnol, alguacil, agent de police, puis  lui même de l'arabe āl-wazir, tiré du persan : juge, arbitre, et qui a donné le mot vizir). 

Le 23 janvier 1795 (4 pluviôse an 3), dans le numéro 30 du Tribun, Babeuf expose de manière intéressante le sujet de l'exigence citoyenne dont on peut faire des parallèles aujourd'hui. Qui n'a pas entendu l'argument des "astucieux intrigants" mettant en avant le caractère utopique de son entreprise : "Que tu dis vrai, Babeuf ; que tu as raison ; mais que ton évangile est inexécutable".  La réponse formelle de Babeuf n'est pas des plus passionnantes, sur le modèle classique de la nature (la nature a donné à tous les êtres vivants les mêmes moyens de bonheur, etc.)  mais elle a le mérite, comme son action politique, de montrer que, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, Babeuf n'est pas du tout un utopiste. Bien au contraire, comme Winstanley avant lui en Angleterre, il a cherché sans cesse le moyen de réaliser ici et maintenant l'égalité. 

 

Quel contradicteur, quelle combattante du progrès social  n'a pas entendu comme Babeuf  "il n'applaudit à rien...il n'est jamais content". Et Babeuf de répondre avec Brissot (on appréciera en passant le fait que Babeuf ne tape pas systématiquement sur ceux qui ne pensent pas comme lui) : "Une gazette libre est une sentinelle qui veille sans cesse pour le Peuple".  Le sujet de cette vigilance est le sujet du contrôle des représentants du peuple, pour ne pas leur donner un blanc-seing, s'assurer qu'ils respectent bien ses volontés (la chose est plus complexe, nous en reparlerons dans un autre cadre, restons-en pour l'instant à la conception classique de la démocratie qui est restée, jusqu'aujourd'hui, le plus souvent, simplificatrice).  Babeuf donne deux exemples de "sentinelles qui furent réellement vigilantes, fidèles et courageuses. Il n'y en eut que deux, de positivement telles, Prud'homme [Prudhomme] et Marat. Les surprit-on jamais à encenser le pouvoir ? Non, ils connaissoient leur tâche (...)  La base d'un gouvernement libre n'est point l'aveugle confiance, mais la perpétuelle défiance." Non par principe, mais parce qu'on sait, et l'histoire nous en fait le permanent rappel, que "le dépositaire de l'autorité, toujours enclin à en abuser par la pente naturelle de l'homme vers la domination, ne sauroit être retenu par un frein trop court."  (Babeuf, Le Tribun du Peuple... op. cité, N° 30).  Le mot est lâché, qui désigne ce qui est au cœur de ce travail. Mais Babeuf ne théorise pas sur la domination sociale, il s'appuie chaque fois sur des actes de pouvoir très concrets. Ici, c'est du problème des émigrés dont il s'agit  : "C'était, dans le sens de nos lois révolutionnaires, le Français de l'un ou l'autre sexe qui ayant quitté la France depuis le 1er juillet 1789, n'avait point obéi aux injonctions que ces lois avaient faites de rentrer dans sa patrie ; ou celui qui, ne se trouvant dans aucun cas d'exception admis par le législateur, n'avait pas justifié, dans les formes légales, d'une résidence sans interruption en France depuis le 9 mai 1792...(Répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine et de jurisprudence en matière de droit civil, commercial, criminel, administratif, de droit des gens et de droit public,  par M.D Dalloz Aîné ...et par Armand Dalloz, son frère... Tome vingtième, Paris, 1850 ).  En fait Dalloz dépose un vernis juridique  qui  était bien absent du pouvoir révolutionnaire de 1792, pour qui un émigré était "toute personne qui a fui la patrie par lâcheté ou trahison" (Archives Nationales,  D III-380).  Babeuf évoque alors les débats sur la loi du 18 nivôse an III (7 janvier 1795), où l'on propose "de rayer de la liste des émigrés quelques individus qu'on a soin de choisir parmi ceux dont les cas peuvent paroître les plus graciables." Le 20, on "veut des exceptions, à l'infini. On veut que, sous le titre d'ouvriers, d'agriculteurs, de matelots, d'hommes vivant du travail de leurs mains, il n'y ait point un émigré qui ne puisse revenir au milieu de nous, reprendre ses biens, et nous étrangler (...) N'avons-nous pas nos ministres plénipotentiaires auprès de toute  la canaille gentilhommière expatriée ? Ceux qui nous trahissent croient-ils qu'on ne voit, qu'on ne rapproche, qu'on n'apprécie rien ! (...) nous allons très-clairement vous montrer au peuple dans la forme d'une longue chaîne de fripons, qui vous tenez par la main sans interruption depuis Coblentz [Coblence] jusqu'au Palais-National"  (Babeuf, Le Tribun du Peuple... op. cité, N° 30). 

 

"Qu'entend-on par Coblentz ? Tous les émigrés & les ennemis du peuple." (Babeuf, Le Tribun du Peuple... op. cité, N° 31). 

Babeuf pointe du doigt cette connivence, cette association judicieuse et profitable des riches si récurrente dans l'histoire, nous l'avons vu.  Sont à la manœuvre les députés François-Louis de Bourdon, dit Bourdon de l'Oise, mais aussi Antoine Dubois de Bellegarde, député de Charente,  dont "les articles, bien pesés, bien compassés, sont apportés à la sanction par le chancelier Merlin" (Philippe-Antoine Merlin, dit Merlin de Douai, 1754 - 1838),  c'est le décret du 22 nivôse : "Si j'étois marquis ou archevêque, malgré qu'il semble  à la première vue, que ce décret me ferme les portes de France parce que les mots, non-prêtres ni ex-nobles, y paraissent une exception contre moi, je ne serais nullement embarassé pour en profiter.(Babeuf, Le Tribun du Peuple... op. cité, N° 30).  Pourtant, Merlin aura été tout du long de sa représentation très sévère sur le sujet :

"Même si, au lendemain du « coup d’Etat » du 22 floréal (11 mai 1798), la répression se fit essentiellement anti-jacobine, Merlin ne voulut aucunement esquisser une politique réactionnaire ; il continua d’ailleurs de se montrer d’une grande sévérité envers les émigrés et les prêtres réfractaires(Leuwers, 1996)

Toujours dans ce numéro 30 du Tribun, Babeuf se déchaîne contre Fréron, qui cristallise aux yeux de Babeuf les différentes propriétés de la classe bourgeoise qui ne fait pas la même révolution que la sienne. Il y a les codes de comportement et d'apparence, pour commencer  :  "Allez tous les matins chez Fréron, rue Chabanais, vous y trouverez l'élite de cette jeunesse française, qu'il encourage avec tant de chaleur ; vous y trouverez jusqu'à quinze, vingt, & plus de ces jeunes blondins dans le premier feu de l'âge, des enfans charmans qui n'ont guère au-dessus de trois lustres, ayant belle chevelure, beau teint, & remplis de vivacité (...)  : comment de pas trouver ce tableau toujours bien vivant, quand on se promène dans les beaux quartiers de l'élite contemporaine ? Il suffit de remplacer ici Fréron par Macron.  Quant à la conception de la société, la comparaison des deux classes est du même tonneau  :  "Qui êtes-vous pour regarder en face les sans-culottes ? Votre vieux Narcisse vous a lui-même appréciés. Il l'a dit : « Vous n'êtes bons qu'à jouir des plaisirs de la vie, qu'à méditer des voluptés, qu'à juger du mérite des comédiens ou des cuisiniers, de la prééminence de tel chanteur ou de tel tailleur. Les armes sont trop lourdes pour vos bras. La noble indignation de l'homme libre, la colère du républicain, vous sont inconnus !"    Et déjà, Babeuf est prêt à la confrontation : "Si tu veux la guerre civile, tu l'auras ; nous l'acceptons. Mais admire notre loyauté, nous voulons bien encore t'avertir généreusement : le mouvement que tu provoques, s'il éclate, retombera sur toi & les tiens".

(Babeuf, Le Tribun du Peuple... op. cité, N° 30)

 

"Le Peuple doit-il faire une insurrection ?

Cela ne fait nul doute, s'il ne veut point perdre définitivement sa liberté & s'il ne peut plus mettre en question que ses droits sont violés (...)

Le Peuple peut-il faire cette insurrection ?

Qui l'en empêchera ? Croyez-vous que parce que vous avez tout usurpé ; parce que vous avez tout peuplé de vos vils suppôts ; parce que vous avez mis en tête de tous les rouages civils & militaires, la boue de la Nation  (...)

Comment le peuple peut-il faire cette insurrection ?

Pacifiquement. Même plus encore qu'au  31 mai ; & voici peut-être où nous étonnons certaines gens qui n'attendoient pas cette conclusion : car le mot insurrection ne sonne encore, à l'oreille de beaucoup de monde, que comme torrents de sang & monceaux de cadavres.  On a l'expérience que les insurrections peuvent reposer sur d'autres bases. J'en proposerai un plan tout simple. Autrefois, les académies donnoient des prix en or à qui résolvait le mieux de fort indifférents problèmes. J'en promets un, de bien mérité de la Patrie, à qui fera le meilleur PROJET D'ADRESSE DU PEUPLE FRANÇAIS À SES DÉLÉGUÉS"   (Babeuf, Le Tribun... op. cité, N° 31 du 28 janvier 1795 / 9 pluviôse an III)  

Babeuf a toujours rejeté et condamné la violence, nous le voyons encore ici, mais il a manifesté à plusieurs reprises qu'il n'a pas peur d'être obligé de s'en servir un jour en dernier ressort, de manière calculée, défensive, contre ceux qui ne cessent de combattre les défenseurs des droits de l'homme et de l'égalité, ces "viles factions qui s'agitent", qui "ne sont point encore d'accord entre elles sur la forme de gouvernement à donner à la France" mais qui sont toutes d'accord sur un point : " Nous voulons un gouvernement d'opprimés & d'oppresseurs".  Là encore, que de rapprochements à faire, non seulement pour aujourd'hui, mais à toutes les époques de l'histoire. 

"personne ne peut disconvenir que l'état d'horrible misère de la classe ouvrière, c'est-à-dire, de la masse du peuple, est maintenant à trente-deux karats au-dessus  de celui où l'avoient rèduite quatorze siècles d'esclavage."  (op. cité)

Sans entrer comme Marx dans l'analyse économique du capitalisme moderne, qui est encore embryonnaire à son époque,  Babeuf  ne cesse de défendre la classe ouvrière à laquelle il appartient et a bien compris, au cours de son combat, comment s'articule la domination des riches sur les pauvres, des aristocrates sur le peuple.  Daline a bien montré, par ailleurs, que la pensée de Babeuf a, "dès le départ pris en charge le mouvement de développement de la manufacture moderne, et ses premières remarques se seraient enrichies de la connaissance de la production industrielle urbaine, étudiée à Paris. Les preuves apportées depuis le brouillon de 1786 sont suffisamment solides pour que plus personne ne soit réellement revenu sur ses conclusions par la suite. (Roza,  2011)

 

Babeuf avait aussi compris que la domination était une affaire de très nombreux siècles et qui continue de durer, malgré les premiers actes libérateurs de la révolution. Dans le  numéro qui suit, le dernier, qui commente la proclamation du Directoire et sa cohorte de lois liberticides et répressives, il signe la fin de la révolution : "Tout est consommé". Et Advielle d'acquiescer :  "Babeuf avait raison ; les enrichis des dépouilles des princes, triomphaient : c'était la fin de la Révolution. Barras avait acquis de belles seigneuries, Merlin de Thionville possédait les châteaux et l'immense terre du Raincy et donnait 300,000 francs par mois à sa courtisane ; Tallien avait fait une brillante alliance avec la cour d'Espagne ; Fréron avait épousé la soeur de Bonaparte ; Legendre entretenait à grand frais le Comtat !  Tout ce monde, jadis républicain, ne pensait plus au Peuple, si même il y avait quelque fois pensé." (Advielle, op. cité :  187).  Il suffit d'apprendre l'Histoire pour comprendre que, chaque république a toujours été, comme le prophétisait Babeuf pour la sienne, une "République des Riches"  (Babeuf, Le Tribun... op. cité, N° 36).  

gouvernes par les meilleurs

Gouvernés par les meilleurs

 

Après plusieurs tentatives d'arrestation du Comité de sûreté générale, Babeuf est finalement arrêté le 7 février 1795 / 19 pluviôse an 3 et conduit à la prison de la Force  (Legrand, Les prisons, op. cité).  Il sera transféré aux Orties, à côté du Louvre, puis à la maison d'arrêt du Plessis, et enfin, transféré à Arras le 15 mars 1795 (25 ventôse an 3) avec René-François Lebois (Charles Germain, orthographie "Le Bois"), rédacteur de l'Ami du Peuple, à la prison des Baudets, où il "fait la connaissance des sans-culottes du Pas-de-Calais et du Nord, et surtout de Charles Germain, avec lequel il va se lier et échanger une correspondance presque quotidienne" (op. cité), facilitée (malgré l'interdiction faite aux détenus des Baudets de communiquer avec l'extérieur) par un commissaire qu'ils surnommaient "le petit drôle", car Germain est alors dans une autre prison d'Arras, la maison d'arrêt des Dominicains, depuis le  16 janvier 1795 (27 nivôse an III).  Originaire de l'Aude, Germain a été officier chez les hussards Entre le 12 avril (23 germinal) et le 3 octobre (11 vendémiaire), Babeuf et Lebois " font diverses réclamations à l'administration pénitentiaire. Ils "se plaignent de n'avoir pour nourriture que du pain et de l'eau et une poignée de paille pour lit" et réclament "chacun un lit, un pot à l'eau, des serviettes, dîner et souper à l'ordinaire, chacun une bouteille de vin par jour, deux tasses de café au lait le matin et de la lumière..." (Lettre du 28 germinal de la commune d'Arras au district, Archives départementales du Pas-de-Calais, in Soboul, 1968).  

        Germain      :    Charles Antoine Guillaume Germain (1770 - 1835), né à Narbonne dans l'Aude, il aurait eu un père entrepreneur des routes de chasse royales. Grâce à l'archevêque de Narbonne Arthur Richard Dillon (1721-1806), il aurait obtenu une bourse dans un collège parisien et son père un emploi à Versailles selon la Biographie universelle ou Dictionnaire de tous les hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu'à nos jour : d'après la Biographie universelle et moderne de Michaud, la Biographie universelle d'Histoire de Weiss, l'Encyclopédie nouvelle, l'Art de vérifier les dates, etc. 1844-1847, 21 tomes en 10 vol. in-4. Bruxelles, chez H. Ode, Tome 8, Foy-Grainville,1844). D'autres sources disent de son père qu'il fut "conseiller du roi et contrôleur du grenier à sel de Senlis" et ignorent l'action de Dillon, sans compter que différents chroniqueurs semblent confondre notre babouviste avec un député aux Cinq-Cents, Germain de Viroflay (cf. Dictionnaire biographique Le Maitron, Mouvement ouvrier social : https://maitron.fr/spip.php?article31621).

Il deviendra administrateur du département de Seine-et-Oise avant d'embrasser la carrière militaire, où il sera fait lieutenant ou capitaine de hussards (Espinas, op. cité : 238 ;  Advielle, op. cité :  126,      

C'est une période à la fois difficile et stimulante pour Babeuf, car c'est en prison qu'il va faire la connaissance de ses principaux amis de lutte qui conduira à la conjuration des Égaux. Soboul, par ailleurs, a montré que "le personnel babouviste est globalement issu du même milieu socioprofessionnel que le personnel sectionnaire sans-culotte"  ( Roza, 2011)

 

Les patriotes de Saint-Omer, tout d'abord : François Norbert-Daniel Cochet, perruquier de Montreuil-sur-Mer, membre puis président du Comité révolutionnaire de Saint-Omer, qui sera arrêté en nombre 1807 pour réunion avec des anarchistes (Archives Nationales, F7  6454, d.9.510) ;  Louis-Joseph-Adrien Taffoureau (1767-1840), fabricant de bas, né vers 1766, ami de Cochet et de Toulotte, incarcéré auparavant à Saint-Omer et à Lille, "désarmé comme partisan de la Terreur, immoral, ne trouvant de puissance que dans les moments de crise, jacobin du 9 thermidor, affamé de carnage et altéré de sang, actuellement détenu comme prévenu de délits graves." (délibération du Conseil Général de St-Omer, 10 mai 1795 / 21 floréal an III, in Advielle, op. cité : 126). Il sera inculpé dans le procès de Vendôme et acquitté faute de preuve. Sans ressources, il réclamera une "bonne indemnité" (Legrand, Les prisons...op. cité) ; Eustache Louis-Joseph Toulotte (un ami de Joseph Lebon), secrétaire de la Société montagnarde à Saint-Omer, juré au tribunal révolutionnaire d'Arras, il sera pharmacien à l'hôpital du Gros Caillou à Paris. D'autres compagnons de conspiration de Babeuf sont au même moment aux Dominicains, avec Germain : Fontanier, Duval, Gouillard, ou encore Guilhem, qui avait été courrier de la malle de Lyon. C'est par l'entremise de Germain que Gouillard ou Guilhem, par exemple, entrent en relation avec Babeuf.  Babeuf et Germain finissent, soit dit en passant, par se brouiller avec Lebois. Trois personnes, en particulier, n'ont pas la sympathie de Germain, qui demande à Babeuf de s'en méfier. Il y a Jacques Grégoire Nayez, né en 1769, de Montreuil-sur-mer, perruquier, puis missionné comme commissaire et directeur de la maison d'arrêt Sainte-Austreberthe de Montreuil, où il commet toutes sortes de délits : corruption, vexations, abus d'autorité, etc. Il sera condamné en octobre 1794 à cinq ans de fers : On ne sera pas étonné que Germain qualifie "Naillet" de "scélérat" et de "misérable" (Legrand, Les prisons..., op. cité).  Comme d'autres, Naillez sera inculpé au procès de Vendôme parce que le Directoire, pour donner de l'importance au procès, écrira Buonarroti (cf. plus loin), multipliera dans ce but les arrestations de personnes, puisque sur soixante-cinq accusés, cinquante-six seront acquittés, deux condamnés à mort, Babeuf et  Darthé, et sept à la déportation.  Il y a aussi Gonord, dont Germain dira aussi à Babeuf de se méfier (cf. en particulier la lettre du 14 août 1795 /27 thermidor an III) : "aux patriotes du faubourg" il a "escroqué quelque cent livres", a  travaillé pour Stanislas Xavier François Rovère de Fontvielle (1748-1798), député du Vaucluse à la Convention, missionné à Lyon, puis dans le Vaucluse, où il pratiquera le trafic de biens nationaux au sein d'un groupe de royalistes, "les bandes noires", infiltrés dans l'administration locale (Dictionnaire historique de la Révolution française, dirigé par Albert Soboul, Paris, PUF, 1989, p. 940). Enfin, il y a Émery, dont Germain envoie une lettre à Babeuf pour lui montrer que "c'est une espèce de galimatias" et qui, plus tard, lui apprend, qu'il est au Havre en partance pour Alexandrie, en Egypte, où il suppose qu'il va "traîner" et "végéter(Legrand, les prisons..., op. cité). 

Pendant son séjour en prison, Babeuf écrit beaucoup, à Fouché, à la veuve Chaumette, à Lesage-Senault (négociant en vin de Lille, qui fit de la prison en combattant les thermidoriens) et même à son ancien imprimeur, Guffroy, qui finira par le trahir. Legrand publiera certaines de ces lettres (Legrand, 1981 : 188-196).

Babeuf écrit une longue lettre à Fouché le 8 avril 1795 (19 germinal an III), suite à  l'insurrection populaire du 1er avril des Sans-Culottes, déclenchée encore une fois par la misère et la faim qui règne dans de nombreuses provinces et réprimée par le pouvoir  : "La catastrophe du 12 germinal le rend susceptible de grands changements. Cela ne veut pas du tout dire que j'y renonce et que je quitte la partie. Les idées qui m'occupent, jointes à la conclusion que je veux établir dans cette lettre, concourront, mon ami, à me faire entretenir avec toi de la grande bataille que nous venons de perdre... mais devons-nous nous en laisser abattre ? Non. C'est dans les grands périls que le génie et le courage se déploient.

 

Le 23 avril 1795  (4 floréal an III), après les coups durs portés aux sans-culotte, la Convention thermidorienne confient à la commission des Onze un projet de la nouvelle constitution de l'an III. L'avocat François-Antoine de Boissy d'Anglas (1756-1826), proche des Girondins, prend la parole et confirme les bornes que le système libéral a posé aux frontières de la liberté et de l'égalité, balayant avec force la constitution de l'an I  :

"Nous vous déclarons tous unanimement que cette constitution n'est autre chose que l'organisation de l'anarchie... Jetons, citoyens collègues, jetons dans un éternel oubli cet ouvrage de nos oppresseurs, qu'il ne serve plus de prétexte aux factieux... La Convention est arrivée au terme où, planant au-dessus de tous les intérêts particuliers, des fausses vues, des petites idées, elle doit se livrer sans crainte à l'impulsion de ses propres lumières ; elle doit se garantir avec courage des principes illusoires d'une démocratie absolue et d'une égalité sans limites, qui sont incontestablement les écueils les plus redoutables pour la véritable liberté".

"L'égalité absolue est une chimère… Nous devons être gouvernés par les meilleurs, les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois. Or, à bien peu d'exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent et qui doivent à cette propriété et à l'aisance qu'elle donne, l'éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois fixant le sort de la patrie." 

Boissy d'Anglas, discours préliminaire au projet de constitution, prononcé le 5 messidor an III (23 juin 1795).

Le suffrage censitaire en découle, bien évidemment, sur des critères d'imposition et de possession de biens. Il n'y aura donc pas de place pour les droits naturels imprescriptibles de l'homme, pour le droit au travail, à l'assistance, et encore moins à l'insurrection.

Une lettre du 28 juillet (10 thermidor) de Babeuf à son ami Germain, confirme que, dès leur liberté recouvrée, ils s'occuperont "sans désemparer de la grande affaire", celle dont le commerce n'avait produit que "des lacs d'or au profit d'un petit nombre", au lieu de porter la nourriture "chez tous ses agents par portions égales", qui voit "ceux qui font pousser le lin et le chanvre...qui donnent la préparation aux cuirs...sans chemises, sans habit, sans souliers" et "manquer à peu près de tout, ceux qui travaillent mensuellement aux meubles, aux ustensiles de métier, ou de ménage, aux bâtiments, etc."   Et à l'opposé du spectre social, se trouvent "la faible minorité...de tous ceux qui ne mettent pas de fait la main à la pâte, de tous ceux qui se contentent de calculer, de combiner, de travestir, de raviver et rajeunir, sous des formes, toujours nouvelles, le très vieux complot de la partie contre le tout, je veux dire le complot à l'aide duquel on parvient à faire remuer  une multitude de bras sans que ceux qui les remuent en retirent le fruit destiné, dès le principe, à s'entasser en grandes masses sous la main de criminels spéculateurs, lesquels après s'être entendus pour réduire sans cesse le salaire des travailleurs, se concertent, soit entr'eux, soit avec les distributeurs de ce qu'ils ont entassé, les marchands, leurs co-voleurs, pour fixer le taux de toutes choses, se telle sorte que ce taux ne soit à la portée que de l'opulence des membres de leur ligue, c'est-à-dire de ceux qui sont en position d'abuser des moyens d'accumuler les signes représentatifs et de s'emparer de tout.

Dès lors, ces innombrables mains desquelles tout est sorti, ne peuvent plus atteindre à rien, toucher à rien, et les vrais producteurs sont voués au dénuement, ou du moins le peu qu'on leur laisse, n'est que la grosse écume, ou le très maigre gratin des produits de la nature."   

Le 9 août 1795 (22 thermidor an 3), Fouché est arrêté (mais il profitera de l'amnistie du 4 brumaire, cf. plus loin), Germain partage son contentement à Babeuf   : 

"Hé bien ! voilà Fouché arrêté. Bien fait !  bien fait ! morbleu ! Voilà comment on apprend à vivre à cette canaille. Quel exemple pour les traîtres ! "

 

Par une lettre du 21 août 1795 (4 fructidor an 3) de Germain à Babeuf, on comprend bien que ce sont les réflexions, les idées du feudiste qui fédèrent un nouveau groupe révolutionnaire : "...c'est ton système seul, c'est en proclamant la vraie Liberté, en faisant jouir le Peuple de la vraie Égalité, que la félicité, l'abondance et la vertu s'établiront parmi nous." (Advielle, op. cité : 142). 

Un peu avant son transfert à Arras, Babeuf  publie  :"Les terroristes aux furoristes d'Arras" (Advielle, op. cité : 154),  et "Le Tribun du peuple à l'armée infernale(Advielle, op. cité : 165)

Le premier texte est une réponse à " l'écrivassier Senlecq", un compagnon du fils du comte de Béthune (guillotiné comme immigré, le 12 février 1794 / 24 pluviôse an II), qui voulait relater les faits du 19 thermidor au théâtre d'Arras. Ce jour-là, pendant une représentation au théâtre d'Arras de l'opéra comique de Cherubini, Lodoïska, les aristocrates monarchistes, qui se reconnaissent d'habitude à leurs tresses, leur cravate verte et à leur fouette-coquins (larges bâtons) dont ils menacent habituellement les patriotes,  demandent en plein spectacle, suivant leur coutume, de chanter le Réveil du peuple, les patriotes leur répondant par leurs Ça ira et la Marseillaise, avant que plébéïens et patriciens finissent par en venir aux mains : "on détressait et décravatait  les muscadins...(Advielle, op. cité : 159) 

Le second texte est publié le 3 septembre 1795 (17 fructidor an 3) et sera suivi d'un troisième dès le lendemain, Deuxième lettre à l'Armée infernale et aux Patriotes d'Arras. Plusieurs choses donnent du grain à moudre à l'auteur :  la constitution de l'an 3 (22 août 1795 / 5 fructidor an 3 ),  d'abord,  : "Citoyens, d'après cette Constitution, vous n'avez point le marc d'argent comme dans celle de 1793 ; mais vous avez mieux, vous avez le marc d'or, et les grands seigneurs seuls pourront être élus au Corps législatif. C'est cependant pour l'Egalité que vous avez fait le dix août, et que vous avez combattu depuis six années." (...)  D'après cette constitution, tous ceux qui n'ont point de propriétés territoriales, et tous ceux qui ne savent point écrire, c'est-à-dire la plus grande partie des Français, n'auront même plus le droit de voter dans les assemblées publiques.(Advielle, op. cité : 168). D'autre part, la nouvelle constitution instituait une deuxième chambre, le Conseil des Anciens, contre laquelle Babeuf s'est élevé, arguant du fait que c'est "le peuple qui sanctionne les lois." Un autre sujet de mécontentement du révolutionnaire sera le projet de suppression de la gratuité de l'enseignement : "On ne vous accorde plus pour vos enfants d'instituteurs salariés par la Nation : tous ceux qui n'auront pas les facultés de payer des maîtres, n'apprendront, ne sauront rien."  (op. cité : 169). 

Babeuf reste emprisonné à Arras  jusqu'au  10 septembre 1795 (24 fructidor an 3), et transféré avec Germain à Paris, à la prison du Plessis. C'est là qu'il va faire la connaissance, entre autres, de :

-   Louis Jacques Philippe Blondeau, sellier, engagé dans la légion de police, condamné à la déportation au procès de Vendôme.

-     Joseph Bodson, déjà cité.

-   Mathurin Bouin, ancien juge de paix (Albert Soboul, Raymonde Monnier, "Répertoire du personnel sectionnaire parisien en l'an II", p. 24, Publications de la Sorbonne, 1985).  Après la chute de Robespierre, il prendra régulièrement la parole aux Jacobins pour défendre le régime de la Terreur et l'action de Carrier (cf. Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire, Tome 6,  1893,  publié par François-Alphonse Aulard, 1849-1928). 

-   Baude, ancien commissaire de police parisien (Débats du procès instruit par la Haute-Cour de Justice, séante à Vendôme, contre Drouet, Babœuf, et autres, recueillis par des sténographes, tome troisième", mars-avril 1797, N° 63 à 101, Paris, chez Baudouin, p. 598).

-   Antoine-Marie Bertrand (1754-1796), ancien maire de Lyon, "défenseur austère de l'égalité" dira, entre autres hommages, Philippe Buonarroti  ("Conspiration Pour L'Egalite Dite de Babeuf: Suivie Du Proces Auquel Elle Donna Lieu, Et Des Pieces Justificatives, Etc., Etc.",  tome premier,  p. 74, Bruxelles, 1828), tout comme son ami Marie-Joseph Chalier, grand défenseur des pauvres exécuté par les Girondins le 17 juillet 1793, place des Terreaux à Lyon. 

-    Filippo (Philippe) Giuseppe Maria Ludovico Buonarroti (1761-1837), d'une noble famille de Toscane, venu en France pour participer à la Révolution.

-     Augustin-Alexandre Darthé   (1769-1797) 

-   Robert-François Debon, probablement de Caen, commis à l'Arsenal depuis le 22 octobre 1793 / 1er brumaire an II  (Schiappa, 1990).

-  Simon Duplay, menuisier, neveu de l'hôte de Robespierre, Maurice Duplay, entrepreneur de menuiserie, chez qui Maximilien a séjourné de juillet 1791 à sa mort, en  juillet 1794. Une de ses filles, Elisabeth, épousera Philippe Lebas.  Maurice Duplay sera une des nombreuses personnes aisées ou riches à profiter à bon compte de la vente des biens nationaux (bien confisqué au clergé, le couvent des soeurs de la Conception,  rue Saint-Honoré à Paris, est racheté par Duplay) et de ses accointances révolutionnaires : Léopold Nicolas installe ses presses dans les locaux de son ami Duplay et, sitôt entré au Comité de Surveillance de la commune, il obtient le monopole de ses publications. En 1794, Camille Desmoulins ironise sur cet enrichissement révolutionnaire : " En janvier dernier, j'ai encore vu M. Nicolas dîner avec une pomme cuite, et ceci n'est pas un reproche. (Plût à Dieu que dans une cabane, et ignoré au fond de quelque département, je fisse avec ma femme de semblables repas ! ) ...  Comme tous les patriotes aiment Robespierre, comme, dans le fond, Nicolas est un patriote, et qu'il n'y a que la séduction du pouvoir et l'éblouissante nouveauté d'une si grande puissance entre ses mains, que celle de vie et de mort, qui peut lui avoir tourné la tête, nous l'avons nommé juré du tribunal révolutionnaire dont il est en même temps imprimeur. Or, et c'est par où je voulais conclure, sans me permettre aucune réflexion, croirait-on qu'à ce sans-culotte, qui vivait si sobrement en janvier, il est dû, en Nivôse, plus de 150 mille francs, pour impressions, par le tribunal révolutionnaire, tandis que moi, qu'il accuse, je n'ai pas accru mon pécule d'un denier. C'est ainsi que moi je suis un aristocrate qui frise la guillotine, et que Nicolas est un sans-culotte qui frise la fortune. "  (Le Vieux Cordelier N°5, Journal rédigé par Camille Desmoulins,  Quintidi Nivôse, 1ère décade, l'an II de la république une et indivisible [25 décembre 1793], Grand Discours justificatif de Camille Desmoulins aux Jacobins.")

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-   Claude Ficquet (Fiquet), architecte ("Acte d'accusation dressé par le jury d'accusation du département de la Seine, contre Gracchus Baboeuf, et les 59 prévenus de la conspiration du 22 floréal", André Girard, Paris, chez Vatar, 1796, p. 3,  Bibliothèque Nationale LB 42 / 2708)

- Jean Lambert Joseph Fyon (très probablement le "Fillon" d'Espinas, op. cité : 244, et le "Fillion" de Buonarroti, op. cité : 53). Un des trois généraux (avec Parrein /Parein et Massard/ Massart) qui participèrent à la conjuration babouviste Pendant le procès de Vendôme, son avocat Pierre-François Réal, mais aussi Didier (Didié)  jouèrent sur la confusion des noms pour faire croire à une homonymie ("Débats du procès...", op. cité :  385 ).   

- Gouillard (ou Goullard), administrateur de la commune de Narbonne, dont Germain, en prison à Arras comme Babeuf un peu plus tôt, nous l'avons vu,  avait dit à ce dernier qu'il "l'initie aux mystères sacrés de l'Agrairianisme : il trouve cela merveilleux, superbe." (lettre de Germain à Babeuf du 29 juillet 1795 / 11 thermidor an III, in Advielle, op. cité : 150). Puis le 28 thermidor, non sans humour : "J'ai exécuté tes ordres : Gouillard est chevalier de l'Ordre des Egaux ; il a prononcé des voeux avec toute la ferveur, la piété, qui conviennent à la mission que nous tenons de la justice et de la raison."

     commission des Onze     :   Berlier, Boissy d'Anglas, Cambacérès, Creuzé-Latouche, Daunou, Révellière-Lépeaux, Lesage, Louvet, Merlin, Sieyès et Thibaudeau.

     Darthé   :     Né à Saint-Pol, dans le pays du Ternois, province d'Artois, puis département du Pas-de-Calais, il fait partie des vainqueurs de la Bastille, il était alors membre de la Bazoche du parlement de Paris. Secrétaire-greffier du district de Saint-Pol et  membre du Directoire du département du Pas-de-Calais en 1792, il y sera commissaire pour la levée révolutionnaire en 1793, travaillant conjointement dans la lutte contre-révolutionnaire avec Joseph Lebon (Le Bon), son beau-frère, ancien prêtre oratorien, député d'Arras, représentant en mission d'abord auprès d'André Dumont, dans la Somme, puis dans le Pas-de-Calais. 

 

Une insurrection éclate en août 1793 dans le Pernois, et deux notables locaux, issus d'une vieille famille de Senlis, l'un administrateur de district et l'autre notaire et juge de paix (Popineau), les frères "Truyart, de Pernes, en étaient les principaux agens" (lettre du citoyen Darthé..., Saint-Pol le 29 août, Gazette nationale ou Le Moniteur Universel, n° 246 du mardi 3 septembre  1793).  Le jour de la fête de la ducasse d'Aumerval, ils poussent des jeunes gens,  réquisitionnaires, à ne pas se présenter à Saint-Pol (Jessenne, 1987). Une troupe se forme, va de village en village (Bailleul les Pernes, Floringhem, Nédonchel, etc., coupant des arbres de liberté, arrachant des cocardes tricolores. Ce mécontentement d'une population rurale a différentes causes profondes :  les attaques répétées contre la religion dans une région très croyante, la répression menée par Joseph Le Bon contre les cultivateurs, la politique d'ingérence de l'administration dans les affaires locales (Jessenne, op. cité).  Le qualificatif de "Petite Vendée" pour désigner l'insurrection n'est pas abusif concernant les causes sociales apparentées aux deux conflits : En juin 1793, une émeute frumentaire a réuni près de cinq cents personnes à Holque, dans la région de Pernes, et de nombreux incidents ont lieu cette année-là à cause des réquisitions militaires, de personnes ou de grains (Kaci, 2016).  Darthé et Le Bon réprimèrent la révolte, qui se termina par des centaines de prisonniers (300 selon Darthé, lettre citée du 29 août) et 19 exécutions à la peine capitale. Lebon avait mené-là une répression sanglante (Sangnier 1938).  

Darthé devient accusateur public en février 1794, année où il devient le secrétaire de Lebon, que le Comité de Salut public avait encouragé à plusieurs reprises à mener une lutte sans merci contre ceux qui étaient compris comme des ennemis de la révolution (Lettre du Comité à Lebon, du 16 novembre 1793 (26 brumaire an II) signée par Barère, Carnot et Billaud-Varenne ; lettre du Comité à Duquesnoy et Lebon du 21 janvier 1794 (2 pluviôse), dans Recueil des actes du Comité de salut public, op. cité, Tome 8,  1895, p. 457-458  et Tome 10,  1897, p. 361).

 

Lebon  agit ensuite selon les « décrets de ventôse » (26 février-3 mars 1794), à l'initiative de Saint-Just, pour juguler la pauvreté, la mendicité dans toute la France, en établissant d'abord le compte des pauvres et en mettant sous séquestre les biens des "ennemis de la république", "suspects" ou "émigrés" avant de les transférer aux "patriotes indigents". Comme Fouché à Lyon, ou d'autres, avant même les décrets de ventôse, Lebon combat avant tout la richesse "coupable".  Provoqué "par l'exécution de onze Auvergnats", dira Espinas, il prend la mesure suivante  le 12 décembre 1793 : "Considérant que parmi les prévenus de délits contre la République, il importe surtout de faire tomber les têtes des riches reconnus coupables, le citoyen Joseph Le Bon arrête que le tribunal criminel établi à Arras, jugera d'abord révolutionnairement les personnes distinguées par leurs talents et leurs richesses et que les autres seront ajournés jusqu'après le jugement des premiers" (in Espinas, op. cité : 159).  Le 22 mai 1794, Duquesnoy écrit à Lebon : "J'étais à dîner avec Robespierre, quand il a reçu ta lettre. Nous avons ri. Va ton train et ne t'inquiète de rien. La guillotine doit marcher plus que jamais." (op. cité).  Ernest Dominique François Joseph Duquesnoy (1749-1795), a été député du Pas-de-Calais, puis député conventionnel,  missionné plusieurs fois dans le Nord et le Pas-de-Calais par le Comité de Salut public, à l'instar de Philippe-François-Joseph Lebas, (Le Bas, 1764-1794),  lui aussi très proche de Robespierre, à qui Darthé confiera dans une lettre datée du 19 mars 1794 (29 ventôse) que "Lebon est revenu de Paris... transporté d’une sainte fureur contre l’inertie qui entravait les mesures révolutionnaires. Tout de suite, un juré terrible, à l'instar de celui de Paris, a été adapté au tribunal révolutionnaire ; ce jury est composé de soixante bougres à poil... La guillotine ne désempare pas ; les ducs, les marquis, les comtes, les barons, mâles et femelles, tombent comme grêle..." (in "Le Cabinet historique : Revue Mensuelle contenant, avec un texte et des pièces inédites, intéressantes ou peu connues, le catalogue général des manuscrits que renferment les bibliothèques publiques de Paris et des départements touchant l'histoire de l'ancienne France et de ses diverses localités, avec les indications de sources, et des notices sur les bibliothèques et les archives départementales", sous la direction de Louis Paris, tome dixième, 1864, p. 123.  

-  Marc-Antoine Jullien (1775-1848), c'est Jullien dit de Paris pour le distinguer de son homonyme de père (Jullien de la Drôme).  Malgré sa jeunesse, Jullien de Paris avait déjà accompli beaucoup de choses. Homme de confiance de Robespierre, il deviendra à 19 ans à Bordeaux "l'une des plus hautes autorités révolutionnaires. C'est à ce moment qu'il initie la chasse aux Girondins proscrits et réfugiés à Saint-Émillion, soit Élie Guadet (1758-1794), Jean-Baptiste Salle (1759-1794), Charles Barbaroux (1767-1794), François Buzot (1760-1794) et Jérôme Pétion, opération qui se solde en juin 1794 par l'exécution ou le suicide de ceux-ci"  (Déplanche, 2008). C'est pour sa participation à la Terreur,  que  Babeuf a tant dénoncé, que Jullien est en prison. L'ignorait-il pour  accepter d'établir avec lui, du fonds font de leur cachot, une proposition qu'ils sont les premiers à signer le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795) des "républicains emprisonnés"  (Dautry, 1963). Ou peut-être, son extrême jeunesse lui avait attiré de l'indulgence. Par ailleurs, pour Jullien, "le système agrarien" de Babeuf  était totalement utopique  : 

"Tous ces principes qui paraissent avoir une apparence de justice et de vérité, ne sont pas plus susceptibles d’être appliqués à notre état social, qu’il n’est aux hommes d’aujourd’hui de vivre de racines ou d’herbe et de se passer de maisons et de vêtements. Il n’y a qu’un fou qui puisse concevoir l’exécution d’un système agrairien qui serait la dissolution totale de la société et n’empêcherait jamais que par la force des choses il n’y eut le lendemain même du partage une grande inégalité dans les fortunes... Il faut améliorer le sort des pauvres mais par des moyens sages et possibles.(Jullien, Journal, IML, F 317, N 767).  

-  Joseph Léon Jullien, dit Julien des Armes (Desarmes, chez Espinas, op. cité : 395). Peintre en porcelaine parisien, rue Popincourt, il sera commissaire civil, révolutionnaire, administrateur de la commission centrale des armes. Il sera dénoncé par le comité révolutionnaire de Sèvres, arrêté le  7 novembre 1793 (17 brumaire an II) et libéré le 7 décembre (17 frimaire). Il deviendra membre du club du Manège en 1799, an VII   (Répertoire du personnel..., op. cité  :  277).

-  Augustin Maillet (1753-1825), qui "a présidé le tribunal révolutionnaire de Marseille ; en quinze séances, il a jugé cent-sept personnes et en a condamné cinquante-huit à mort(Espinas, op. cité : 264).  Maillet croise sans doute Babeuf au Plessis après avoir été enfermé au fort de Ham, dans la Somme, car  leur libération se produit à la même période. 

 -  Guillaume Gilles Anne Massard  ("Massart", chez Espinas), né à Montfort St-Nicolas, en Ille-et-Vilaine, officier de terre de 1770 à 1777, volontaire dans la marine, membre des Jacobins de Brest puis de Paris, où il vit à partir de 1793. Il sera abonné au Tribun du Peuple, membre du comité militaire babouviste, mais acquitté à Vendôme. Il sera déporté le 4 janvier 1801 (14 nivôse an IX) à Mahé, au îles Seychelles puis on le retrouvera en 1809 instituteur à l'Ile de France, rebaptisée Ile Maurice  (Répertoire du personnel..., op. cité : 102)

- Juste Moroy, "metteur en oeuvre", c'est-à-dire ouvrier joaillier chargé de monter des pierres, missionné par le Comité de Sûreté générale à Villeblevin, le  5 mars 1794 (15 ventôse an II) et le 24 mars ( 4 germinal), où il sera accusé d'exactions envers les habitants (Répertoire du personnel..., op. cité : 526)

 

Au Plessis, Babeuf fait la connaissance d'autres personnes dont on ne sait pas grand-chose tels Fontenelle, qui participa aux premières réunions des Egaux (Espinas, op. cité : 250),  ou encore Vannec, agent militaire "pour les troupes en général" (Espinas, op. cité : 278)Pour certains, nous n'avons que des noms de famille, comme Révol. 

Babeuf est finalement libéré par Barras le 18 octobre 1795 (26 vendémiaire an IV),  la déclaration de la loi d'amnistie générale du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795) "portant sur des faits purement relatifs à la révolution" (article III), n'ayant pas été encore prononcée.  Le Moniteur publiera une lettre de Babeuf le 23 décembre (2 nivôse) pour expliquer qu'on l'a libéré quelques jours après le 13 vendémiaire (date de l'insurrection royaliste), non pas à la suite de l'amnistie générale qui s'en suivit (erreur qu'on retrouve encore dans beaucoup d'articles sur Babeuf), mais en raison du décret du 9 octobre (17 vendémiaire), "qui autorise le Comité de Sûreté générale à statuer sur le sort des citoyens détenus, et contre lesquels il n'existe pas de pièces ou de délits caractérisés." (Legrand, Les prisons..., op. cité).

Malgré tout cela, Babeuf et ses amis pensent que la Révolution n'est pas morte.  Dès sa sortie de prison, Babeuf reprend la lutte. Trois jours après avoir retrouvé la liberté, le 29 vendémiaire, il a une entrevue avec Jullien, à propose de laquelle le jeune homme de 21 ans note ses impressions  : "Le soir, je vois B qui a vu lui-même tous les révolutionnaires et sondé les esprits, le peuple, les faubourgs... il revient mécontent et sans espérance."  (Archives IML, F 317, N 767, "Journal", in Daline, 1965). On imagine bien la difficulté de continuer  le combat  révolutionnaire, au milieu de tant d'épreuves et de doutes : "je dois improviser mon départ et brusquer ma rupture avec les révolutionnaires qui voudraient m'enrôler de nouveau dans leurs phalanges... Je pars, je ne veux plus revoir Paris, je veux des vaches, du lait...J'ai 21 ans, que l'aurore de ma vie ne soit plus obscurcies par de sombres images."  (Archives IML, F 317, N 707, "Journal", in Daline, 1965).  Jullien part, en effet, mais revient très vite. Le 3 novembre 1795 (12 brumaire an IV), il a une réunion chez Bouin avec plusieurs compagnons de lutte de Babeuf :  Darthé, Germain, Mittois, Antonelle, Trinchard, Brochet, Laflotte, Philipp, Didier, Philip (Philips), Roussillon, Coulanges, Bertrand, Ferru (ou Féru), de Toulon, commissaire des guerres à l'armée du général Anselme, etc.  Au total, la liste de gens que Jullien rencontre est impressionnante et son journal contient pas moins  de 442 personnes, dont ceux "qui formèrent le noyau du mouvement babouviste... Babeuf et sa femme, Buonarroti et sa femme, Darthé, Ch. Germain, le futur  « agent de liaison », Didier, et les agents de district, Bodson, Fiquet, Bouin, les dirigeants militaires, Rossignol, Massard, Parein, l'ancien maire de Lyon Bertrand. Nous y trouvons les noms de nombreuses personnes énumérées dans le livre de Buonarroti et dans les listes de Babeuf, ou impliquées dans le procès de Vendôme, telles que le président du tribunal de Marseille Maillet, Gravier, Mittois, le juré au Tribunal révolutionnaire de Paris Trinchard, Blondeau, Philip, Révol (ami personnel de Jullien et du père de Michelet), les Lyonnais Fontenelle et Soignac, le chirurgien militaire Roussillon, etc. Jullien mentionne également Drouet (dont il prit plus tard la défense, en 1796), Antonelle, les deux Duplay, le général Turreau, que Babeuf, avant de mourir, pria de prendre soin de l’éducation de ses deux petits garçons, et l’ancien membre du Comité central révolutionnaire du 31 mai 1793 Marchand (auquel Babeuf destinait par la suite, un poste à la tête de l’administration du département de Paris en cas de victoire de l’insurrection), compagnon comme le note Jullien, de Clémence, inscrit en premier sur la même liste de Babeuf.(Daline, 1965).  Tout ceci semble confirmer les dires de Buonarroti sur l'implication étroite de Jullien dès les débuts du mouvement babouviste. Pourtant, il dénoncera leur "effroyable" projet  de "prairialiser" les patriotes, dans le pamphlet  "La suite aux oeufs rouges" : "A la veille du 1er Prairial, les thermidoriens avaient découvert (et partiellement provoque) la fameuse conspiration des « œufs rouges » - organisation politique des détenus, préparant dans les prisons, un mouvement des faubourgs parisiens."  (Daline, 1965).  

Le 6 novembre (15 brumaire), dans le numéro 34 du Tribun, Babeuf continue d'affirmer la nature identique du pouvoir avant et après Robespierre : "...le gouvernement conventionnel qui vient de finir, et le gouvernement législatif qui commence, c'est tout un ; puisque les mêmes hommes, le même système, le même esprit, le dirigent."  

Le 25 brumaire an IV (16 novembre 1795), autour du publiciste René-François Lebois (qui imprime l'Orateur plébéien : voir plus bas) est fondée la société Réunion des Amis de la République, qu'on appellera société du Panthéon, un club réuni dans un ancien couvent des Génovéfains (ou Génévéfains, habitants de Sainte-Geneviève), dans des bâtiments de l'ancienne abbaye Sainte-Geneviève. 

abbaye montagne sainte-genevieve-duchate

            Vestiges de l'abbaye , jardins, et monuments de la Montagne Sainte-Geneviève (Paris)

                           aquarelle de Denise Duchateau-Destours,    1807   

 

                              35, 1 x 49.9 cm                   Musée Carnavalet, Paris                                                                    

Au départ, le club, de par sa cotisation de 50 livres, est plutôt réservé aux bourgeois patriotes et a une ligne plutôt modérée dans sa critique envers le pouvoir. Le groupe des Egaux, atour de Babeuf est très minoritaire, mais les idées  que ce dernier répand au travers de son Tribun du Peuple vont vite accroître sa renommée. "Des sympathisants lurent ainsi l’un de ses numéros les plus radicaux – celui qui reprochait aux massacres de Septembre de n’être pas allés assez loin – devant plus d’un millier de membres de la démocratique Société du Panthéon.(Mason, 2008). L'audience du Panthéon grossit rapidement : 1500 membres début frimaire, 2000 deux semaines plus tard. En plus des "Panthéonistes" stricto sensu, assistaient aux séances de plus en plus d'hommes du peuple (Woronoff, 1972).  En plus de Babeuf, orateur, on y  trouvera entre autres : Buonarroti, Ferdinand Louis-Félix Lepeletier de Saint-Fargeau (1767 - 1837, frère de Louis-Michel, dont nous avons parlé), Sylvain Maréchal, qui écrira le Manifeste des Égaux, Restif de la Bretonne, Pierre-Antoine Antonelle, Augustin Alexandre-Joseph Darthé, Germain, ou encore Jullien, qui dirigeait L'Orateur Plébéïen ou Le Défenseur de la République, et dont le propos déçoit vivement  Babeuf  et, il parlera très vite dans le Tribun du Peuple de ce "très-jeune homme qui n'est pas sans moyens, et qui me parut alors pénétré des plus rigoureux principes de démocratie et de plébéianisme (...)  Plébéien ! Comprenez-vous bien cette expression ? Les ennemis du bonheur commun l'avoient craint et, dans leurs virulentes critiques, ils vous avoient classé à mon rang et à côté de moi. Vous ne vous êtes pas cru honoré d'une telle attaque? Vous n'avez point eu le courage de la soutenir ? Vous vous êtes bien vite mis en mesure de retraite.

« Il est temps de parler de la démocratie elle-même : de définir ce que nous entendons par elle, et ce que nous voulons qu’elle nous procure, de concerter enfin, avec tout le peuple, les moyens de la fonder et de la maintenir… Il est plus que temps. Il est temps que le peuple, foulé et assassiné, manifeste, d’une manière plus grande, plus solennelle, plus générale qu’il n’a été fait, de sa volonté, pour que non seulement les signes, les accessoires de la misère, mais la réalité, la misère elle-même soient anéanties. Que le peuple proclame son Manifeste. Qu’il y définisse la démocratie comme il entend l’avoir, et telle que, d’après les principes purs, elle doit exister. Qu’il y prouve que la démocratie est l’obligation de remplir, par ceux qui ont trop, tout ce qui manque à ceux qui n’en pas assez ! Que tout le déficit qui se trouve dans la fortune des derniers ne procède que de ce que les autres les ont volés. Volés légitimement, si l’on veut : c’est-à-dire à l’aide des lois de brigands qui, sous les derniers régimes comme sous les plus anciens, ont autorisé tous les larcins ; à l’aide de lois telles que toutes celles qui existent en ce moment ; à l’aide de lois d’après lesquelles je suis forcé pour vivre de démeubler chaque jour mon ménage, de porter chez tous les voleurs qu’elles protègent jusqu’au dernier haillon qui me couvre ! Que le peuple déclare qu’il entend avoir la restitution de tous ces vols, de ces honteuses confiscations des riches sur les pauvres…

Nous expliquerons clairement ce que c’est que le bonheur commun, but de la société…

Nous prouverons que le terroir n’est à personne, mais qu’il est à tous.

Nous prouverons que tout ce qu’un individu en accapare au-delà de ce qui peut le nourrir est un vol social…

Nous prouverons que l’hérédité par familles est une non moins grande horreur ; qu’elle isole tous les membres de l’association et fait de chaque ménage une petite république, qui ne peut que conspirer contre la grande, et consacrer l’inégalité.

Nous prouverons que tout ce qu’un membre du corps social a au-dessus de la suffisance de ses besoins de toute espèce et de tous les jours est le résultat d’une spoliation de sa propriété naturelle individuelle, faite par les accapareurs de biens communs…

Que tous les prolétaires ne le sont devenus que par le résultat de la même combinaison…

Qu’il y a absurdité et injustice dans la prétention d’une plus grande récompense pour celui dont la tâche exige un plus haut degré d’intelligence, et plus d’application et de tension d’esprit ; que cela n’étend nullement la capacité de son estomac.

Qu’aucune raison ne peut faire prétendre une récompense excédant la suffisance des besoins individuels.

Que toutes nos institutions civiles, nos transactions réciproques ne sont que les actes d’un perpétuel brigandage, autorisé par d’absurdes et de barbares lois, à l’ombre desquelles nous ne sommes occupés qu’à nous entre-dépouiller.

Que notre société de fripons entraîne, à la suite de ses atroces conventions primordiales, toutes les espèces de vices, de crimes et de malheurs contre lesquels quelques hommes de bien se liguent en vain pour leur faire la guerre, qu’ils ne peuvent rendre triomphante par qu’ils n’attaquent pas le mal dans sa racine, et qu’ils n’appliquent que des palliatifs puisés dans le réservoir des idées fausses de notre dépravation organique.

Qu’il est clair, par tout ce qui précède, que tout ce que possèdent ceux qui ont au-delà de leur quote-part individuelle dans les biens de la société est vol et usurpation.

Qu’il est donc juste de leur reprendre…

Venons-en, après mille ans, changer ces lois grossières… »

Babeuf,  Manifeste des Plébéïens, 1795, qui constitue le n°35 du Tribun du Peuple.

 

"Discourez tant qu'il vous plaira sur la meilleure forme de gouvernement, vous n'aurez rien fait tant que vous n'aurez point détruit les germes de la cupidité et de l'ambition."

Babeuf, op.cité.

A l'égalité de droit que propose la bourgeoisie libérale, qui permet de conserver les  inégalités sociales, Babeuf, après d'autres, comme Mably, propose une égalité de fait, un droit de vivre (que reprendront les robespierristes en 1793, nous le verrons), au bonheur commun, au bien-être pour tous "non plus étriqué, non plus restreint à l’eau bourbeuse, à l’oignon, au triste pain noir, comme cela se voit au bord des tourbières dans la plupart des villages de notre Picardie (Daline et al., 1977)

Pour Marx, le mouvement babouviste est "le premier parti communiste agissant", ce qui ne l'empêche de trouver dans le Manifeste des plébéiens de Babeuf  "un ascétisme universel" et "un égalitarisme grossier" (Roger Dangeville  (dir.), Utopisme et communauté de l’avenir, recueil de textes de Marx et Engels, Maspéro 1976). Le terme de "communisme" n'est pas anachronique au temps de Babeuf, car il est utilisé au moins dès 1785 dans son sens moderne, dans une lettre publiée par Restif de la Bretonne d'un philosophe aixois, Joseph Alexandre Victor d'Hupay de Fuveau (Fueva), qui se déclare "communiste" car partisan de "la vie commune" et d'une éducation des enfants qui préparent à la vie en communauté.  Notons que Babeuf avait hésité entre "communautistes" et "égaux", en 1793. En 1796 et 1797, le terme est régulièrement employé dans son sens moderne par Restif de la Bretonne dans un des derniers livres de Monsieur Nicolas (pages 3969 et 4250) où il parle des "patriotes-républicains-communistes" et déclare que "le Communisme serait le meilleur des gouvernements" (Grandjonc, 1983)

« 16 Frimaire an IV

- Un pain de 3 livres

- 10 harengs

- beurre

- lait

- salade

20...

- Lait

- 11 merlans

-beurre, oeufs

17...

- Lait

- 12 harengs

- beurre

- salade

22...

- 2 livres de viande (80 livres)¹

18...

19...

- Lait

- Lait

- café

-viande

(1)  En assignats - Une livre de pain coûtait alors 40 livres, un hareng, 6 livres, etc. »

Gracchus Babeuf, registre de dépenses faites avec Darthé du 7 au 13 décembre 1795, in Advielle, op. cité : XI

babeuf-conjuration an iv-1796-bnf-paris.
conjuration des egaux

                                                         Conjuration de Babeuf  l'an IV

                                         estampe anonyme, eau-forte, burin

"la France sous la forme d'une mère nourice jeune et vigoureuse admire l'harmonie de sa Constitution, des authorités établies et des départemens. L'anarchie furieuse et jalouse conseillée par un serpent astutieux va plonger ses poignards dans le sein de la patrie. Mais le génie deffenseur de la République l'arrête dans ses fureurs" 

 

                                                 BNF, Paris              1796                        

La Conjuration des Égaux

Le Directoire ordonne la fermeture de La Société du Panthéon le 28 février 1796 (9 ventôse), effectuée sous les ordres du général Bonaparte ("Buonaparte"), nommé le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795) comme chef de l'armée de l'intérieur.  Depuis janvier, déjà, "un « comité secret » se formait chez Amar, à Paris, rue de Cléry, « pour préparer l'insurrection. » Il comprenait Amar, Darthé, Buonarroti, Massart, Germain, Clément, Marchand, Félix Le Peletier, Bodson et Génois.(Espinas, op. cité : 252).  Mais les réserves sur le passé d'Amar, qui "proposait de rappeler les conventionnels",  particulièrement  pointé du doigt par Héron, ancien agent du Comité de sûreté générale, à qui Babeuf avait confié, avec Isoard, ex-procureur de la commune de Marseille, le numéro 33 du Tribun avant de partir en prison (Advielle, op. cité : 120)  écarta Amar et le comité fut dissous. Ce qui n'empêchait pas celui-ci d'être un "défenseur enthousiaste" du système qui dénonçait l'injustice de la propriété, nous raconte Buonarroti, au point où il parut "frappé d'un trait de lumière". Ce genre de détail met une fois encore le doigt sur cette réalité révolutionnaire ambivalente dont une partie de la Terreur témoigne. C'était souvent au nom de la justice, de l'égalité, que de fervents révolutionnaires agissaient, au point de finir parfois aveuglés par des idées désincarnées, débarrassées de leurs contingences, se laissant aller parfois à tous les moyens possibles pour les atteindre, au mépris de l'humanité qui, à leurs yeux, les bafouent, perdant de vue la mesure des choses. 

Le "noyau définitif de la conjuration" se forma progressivement autour de Babeuf, au long de réunions "chez Félix Le Peletier, chez le tailleur Clerx [Liégeois, ancien hébertiste]  et chez le sellier Reiss [Reis](Espinas, op. cité : 253).  Il y avait là, en plus de Babeuf et des hôtes cités : Antonelle, Buonarroti, Simon Duplay, Darthé, Didier, Germain et  Maréchal (Espinas, op. cité : 253).   C'est le 30 mars 1796 (10 germinal an IV), semble-t-il, que se forme le "Directoire secret", réuni chez le tailleur liégeois Clercx (dit Clérex, anagramme Crexel), assimilé par la cour de Vendôme à un "Comité insurrecteur" (cf. Débats du procès, op. cité, tome 3), composé au moins de Babeuf, Buonarroti, Antonelle, Debon (auteur d'un ouvrage sur l'injustice de la propriété, dira Buonarroti [op. cité : 87] qui n'a pas été retrouvé), Darthé, Lepeletier et Maréchal.  "L'égalité sans restriction, le plus grand bonheur de tous, et la certitude qu'il ne leur serait jamais enlevé, étaient les biens que le Directoire secret de salut public voulait assurer au peuple français", affirmera Buonarroti  (op. cité : 116), qui attribua dans son célèbre ouvrage sur l'aventure babouviste des anagrammes aux compagnons de lutte censés être encore vivants  : "Les noms écrits en italique sont, dans tous le cours de cet ouvrage, les anagrammes de ceux des personnes qu'on croit encore en vie."  (Buonarroti, op. cité : 52 ). En voici un certain nombre, avec leur nom réel :   Félix Lepeletier : Filipe le Rexellet, Didier : Eriddi, Eriddy, Debon : Bedon, Laignelot : Allinogé, Allinoget,  Choudieu : Euduchoi,  Baudement : Denaumbet (de Naumbet),  Reis (ou Reiss, Reys)  :  Eris   Bodson : Sombod,  Clérex : Crexel, Génois : Soigne, Jullien de la Drôme :  Laurjen (Lorjen) de Doimel,  Massey : Sasemy,  Roussillon : Lussorilon, Trinchard : Chintrard, Mittois : Tismiot, Revol : Velor, Chanan : Hanac, Gravier : Rivagre,  Dalaire-Tonaille : Laire de la Naitle, Maillet : La Tilme,  Coulange : Ulagenoc,  Deray : Ready, Adery,  Lecoeur : Ourecle, Goulard : Glartou, Nicolas Morel : Romaincolsel,  Philip : Lihppi, Guilhem : Le Himug, Parrein : Rerpina (Rerpino, par faute d'impression, Féru : Reuf, etc.   (cf.  Gustave Isambert, "Les anagrammes de Buonarroti", in : Revue de la Révolution Française, tome XXXVII, 14 novembre 1899, p. 455). 

 

Ils envoient des "agents révolutionnaires" dans les douze arrondissements de Paris (respectivement : Nicolas Morel (rédacteur, a collaboré à l'Orateur plébéïen d'Antonelle*) Nicolas Baudement, ami intime de Buonarroti, Mennessier, Bouin, Guilhem, Fiquet, Paris, Jean-Baptiste Cazin (ouvrier pâtissier, puis inspecteur à l'Arsenal*), Deray, Pierron, (greffier de son arrondissement*) Bodson et Moroy  et dans des villes de Province, y font des émules et s'organisent pour une insurrection contre le Directoire.       

          

Jean Bruhat (1905-1983). Gracchus Babeuf et les Egaux, ou Le premier parti communiste agissant, Librairie Académique Perrin, 1978  

 

Ils diffusent libelles, journaux (Le Tribun du Peuple, l'Eclaireur), chansons, affiches, etc. . Ils débattent beaucoup de leur projet de société : éducation publique pour tous, associations populaires, éducation civique au travers de fêtes, magasins communs, administration collective de l'économie, etc.  Les conjurés de cette démocratie clandestine cultivent une culture du secret, avec tout un ensemble de réseaux, de strates ou niveaux de secrets combinés à une communication tous azimuts où la vérité est parfois annoncée comme une fausse piste : "L'acte d'insurrection est le rêve d'un malade…L'épouvantable et surnaturelle entreprise, dite du 22 floréal, auprès de laquelle la merveilleuse histoire de Picropole ne serait plus que la marche ordinaire des choses et un événement de tous les jours ?" (Antonelle, dans Journal des Hommes Libres n°222, 267, juin 1796).

Babeuf et d'autres partisans veulent abolir  une fois pour toute la propriété et établir une "égalité parfaite" :

"La loi agraire, je suis loin de là, c'est une sottise qui n'a pas le sens commun. Faire de la France une espèce d'échiquier; cela n'est pas possible ! C'est qu'on ne me connaît pas, qu'on n'entre pas dans mes grandes vues ; car si on y entrait on verrait que le système du « bonheur commun »  que je propose n'est rien d'autre chose que celui de « dépropriariser » généralement toute la France. (…) La terre appartient à la nature : les hommes qui sont tous ses enfants ont tous un droit égal à ses fruits."

Babeuf,  lettre à Jean-Antoine Rossignol, 1796

Comme les véritables amis de l'égalité (là encore Winstanley doit être mis en avant parmi ceux qui l'ont précédé), leur projet de société est radical, et contrairement à la bourgeoisie montagnarde, il n'entend pas aménager le système de domination, mais le détruire et il avance encore une fois avant le marxisme, l'idée d'une dictature des plus humbles : "Jamais, dit-il, « il ne sera rien fait de grand et de digne du Peuple que par le Peuple et où il n'a aura que lui.(Babeuf,  Le Tribun du Peuple, op. cité, N° 42, in Advielle, op. cité :  186).   

A la mi-avril 1796, le Directoire secret jette un premier pavé dans l'opinion, un texte intitulé : "Doit-on obéissance à la Constitution de 1795 ?"  Il est fort à parier que si on actualisait cette question, on pourrait toujours faire en partie les mêmes remarques que naguère, le Directoire secret  : 

"Je sais que le seul désir d'examiner sans partialité ce que nous sommes si intéressés à connoître, sera appellé anarchie, rébellion, dénominations favorites de la cour avant et après 1789, de Lafayette, de Dumouriez, du sénat de Venise, du Pape et du Grand Turc, qui signifient seulement que ceux qui ont le pouvoir veulent le conserver à quelque prix que ce soit"

"Quatre millions huit cent mille citoyens ont voté pour la constitution de 1793 : 900,000  seulement ont agréé l'acte de 1795 : que sont devenus les autres 3,900,000 ?" (op. cité)

Juste après un autre texte est publié, mais pas par le Directoire secret lui-même, car il n'y avait pas unanimité sur deux  points en particulier, nous apprend Buonarroti  (op. cité :  116).   "Périssent, s'il le faut tous les arts..." et "Disparaissez enfin révoltante distinction de gouvernans et de gouvernés".  C'est que beaucoup de babouvistes, Babeuf en tête, étaient loin d'être anarchistes ou terriblement misogyne comme Sylvain Maréchal. 

 

 

                 La Conjuration des Egaux,

                                        de

                          Sylvain Maréchal,                                                                    1796

 

"PEUPLE DE FRANCE !

Pendant quinze siècles tu as vécu esclave, et par conséquent malheureux. Depuis six années tu respires à peine, dans l'attente de l'indépendance, du bonheur et de l'égalité.

L'Egalité ! premier vœu de la nature, premier besoin de l'homme, et principal nœud de toute association légitime ! Peuple de France ! tu n'as pas été plus favorisé que les autres nations qui végètent sur ce globe infortuné !... Toujours et partout la pauvre espèce humaine livrée à des anthropophages plus ou moins adroits, servit de jouet à toutes les ambitions, de pâture à toutes les tyrannies. Toujours et partout, on berça les hommes de belles paroles : jamais et nulle part ils n'ont obtenu la chose avec le mot. De temps immémorial on nous répète avec hypocrisie, les hommes sont égaux, et de temps immémorial la plus avilissante comme la plus monstrueuse inégalité pèse insolemment sur le genre humain. Depuis qu'il y a des sociétés civiles, le plus bel apanage de l'homme est sans contradiction reconnu, mais n'a pu encore se réaliser une seule fois : l'égalité ne fut autre chose qu'une belle et stérile fiction de la loi. Aujourd'hui qu'elle est réclamée d'une voix plus forte, on nous répond : Taisez-vous misérables ! l'égalité de fait n'est qu'une chimère ; contentez-vous de l'égalité conditionnelle ; vous êtes tous égaux devant la loi. Canaille que te faut-il de plus ? Ce qu'il nous faut de plus? Législateurs, gouvernants, riches propriétaires, écoutez à votre tour.

Nous sommes tous égaux, n'est-ce pas ? Ce principe demeure incontesté, parce qu'à moins d'être atteint de folie on ne saurait dire sérieusement qu'il fait nuit quand il fait jour.

Eh bien ! nous prétendons désormais vivre et mourir égaux comme nous sommes nés ; nous voulons l'égalité réelle ou la mort ; voilà ce qu'il nous faut.

Et nous l'aurons cette égalité réelle, à n'importe quel prix. Malheur à qui ferait résistance à un vœu aussi prononcé !

La révolution française n'est que l'avant-courrière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière.

Le peuple a marché sur le corps aux rois et aux prêtres coalisés contre lui : il en fera de même aux nouveaux tyrans, aux nouveaux tartuffes politiques assis à la place des anciens.

Ce qu'il nous faut de plus que l'égalité des droits ?

Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. Nous consentons à tout pour elle, à faire table rase pour nous en tenir à elle seule. Périssent, s'il le faut, tous les arts pourvu qu'il nous reste l'égalité réelle !

Législateurs et gouvernants qui n'avez pas plus de génie que de bonne foi, propriétaires riches et sans entrailles, en vain essayez-vous de neutraliser notre sainte entreprise en disant : Ils ne font que reproduire cette loi agraire demandée plus d'une fois déjà avant eux.

Calomniateurs, taisez-vous à votre tour, et, dans le silence de la confusion, écoutez nos prétentions dictées par la nature et basées sur la justice.

La loi agraire ou le partage des campagnes fut le vœu instantané de quelques soldats sans principes, de quelques peuplades mues par leur instinct plutôt que par la raison. Nous tendons à quelque chose de plus sublime et de plus équitable, le bien commun ou la communauté des biens ! Plus de propriété individuelle des terres, la terre n'est à personne. Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la terre : les fruits sont à tout le monde.

Nous déclarons ne pouvoir souffrir davantage que la très grande majorité des hommes travaille et sue au service et pour le bon plaisir de l'extrême minorité.

Assez et trop longtemps moins d'un million d'individus dispose de ce qui appartient à plus de vingt millions de leurs semblables, de leur égaux.

Qu'il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront pas croire ! Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvre, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés.

Qu'il ne soit plus d'autre différence parmi les hommes que celles de l'âge et du sexe. Puisque tous ont les mêmes besoins et les mêmes facultés, qu'il n'y ait donc plus pour eux qu'une seule éducation, une seule nourriture. Ils se contentent d'un seul soleil et d'un même air pour tous : pourquoi la même portion et le même qualité d'aliments ne suffiraient-elles pas à chacun d'eux ?

Mais déjà les ennemis d'un ordre des choses le plus naturel qu'on puisse imaginer, déclament contre nous.

Désorganisateurs et factieux, nous disent-ils, vous ne voulez que des massacres et du butin.

PEUPLE DE FRANCE !

Nous ne perdrons pas notre temps à leur répondre, mais nous te dirons : la sainte entreprise que nous organisons n'a d'autre but que de mettre un terme aux dissensions civiles et à la misère publique.

Jamais plus vaste dessein n'a été conçu et mis à exécution. De loin en loin quelques hommes de génie, quelques sages, en ont parlé d'une voix basse et tremblante. Aucun d'eux n'a eu le courage de dire la vérité tout entière.

Le moment des grandes mesures est arrivé. Le mal est à son comble ; il couvre la face de la terre. Le chaos, sous le nom de politique, y règne depuis trop de siècles. Que tout rentre dans l'ordre et reprenne sa place.

A la voix de l'égalité, que les éléments de la justice et du bonheur s'organisent.

L'instant est venu de fonder la République des Egaux, ce grand hospice ouvert à tous les hommes. Les jours de la restitution générale sont arrivés. Familles gémissantes, venez vous asseoir à la table commune dressée par la nature pour tous ses enfants.

PEUPLE DE FRANCE !

La plus pure de toutes les gloires t'était donc réservée ! Oui, c'est toi qui le premier dois offrir au monde ce touchant spectacle.

D'anciennes habitudes, d'antiques préventions voudront de nouveau faire obstacle à l'établissement de la République des Egaux. L'organisation de l'égalité réelle, la seule qui réponde à tous les besoins, sans faire de victimes, sans coûter de sacrifices, ne plaira peut-être point d'abord à tout le monde.

L'égoïste, l'ambitieux frémira de rage. Ceux qui possèdent injustement crieront à l'injustice. Les jouissances exclusives, les plaisirs solitaires, les aisances personnelles causeront de vifs regrets à quelques individus blasés sur les peines d'autrui. Les amants du pouvoir absolu, les vils suppôts de l'autorité arbitraire ploieront avec peine leurs chefs superbes sous le niveau de l'égalité réelle. Leur vue courte pénétrera difficilement dans le prochain avenir du bonheur commun ; mais que peuvent quelques milliers de mécontents contre une masse d'hommes tous heureux et surpris d'avoir cherché si longtemps une félicité qu'ils avaient sous la main ?

Dès le lendemain de cette véritable révolution, ils se diront tout étonnés : En quoi ! le bonheur commun tenait à si peu ? Nous n'avions qu'à le vouloir. Ah ! pourquoi ne l'avons-nous pas voulu plus tôt. Oui sans doute, un seul homme sur la terre plus riche, plus puissant que ses semblables, que ses égaux, l'équilibre est rompu ; le crime et le malheur sont sur la terre.

PEUPLE DE FRANCE !

A quel signe dois-tu donc reconnaître désormais l'excellence d'une constitution ? ...Celle qui tout entière repose sur l'égalité de fait est la seule qui puisse te convenir et satisfaire à tous tes voeux.

Les chartes aristocratiques de 1791 et de 1795 rivaient tes fers au lieu de les briser. Celle de 1793 était un grand pas de fait vers l'égalité réelle ; on n'en avait pas encore approché de si près ; mais elle ne touchait pas encore le but et n'abordait point le bonheur commun, dont pourtant elle consacrait solennellement le grand principe.

PEUPLE DE FRANCE !

Ouvre les yeux et le cœur à la plénitude de la félicité : reconnais et proclame avec nous le République des Egaux."

Ce mois d'avril 1796 est très dense pour les babouvistes, car une autre publication voit le jour, dont Babeuf dira pendant son procès ne pas être l'auteur, mais l'avoir imprimé, affiché et distribué (Débats du procès, op. cité, tome quatrième, p. 66) :

                                                   ANALYSE 

                                               DE  LA  DOCTRINE

                                                 DE BABEUF

                                           TRIBUN DU PEUPLE

                                 Proscrit par le Directoire exécutif, pour

                                                         avoir dit la vérité.

                                                                 I.

                               La Nature a donné à chaque homme un

                                droit égal à la jouissance de tous les biens.

                                                              II.

                               Le but de la société est de défendre cette  

                               égalité  souvent attaquée par le fort et le

                               méchant dans l'état de nature, et d'augmen-

                                ter par le concours de tous, les jouissances

                               communes.

  

                                                              III.

                               La Nature a imposé à chacun l'obligation  

                               de travailler. Nul n'a pu sans crime se sous-

                               méchant dans l'état de nature, et d'augmen-

                               traire au travail.                          

                                                                 IV.

                               Les travaux et les jouissances doivent être

                                communs à tous.

                                                              V.

                               Il y a oppression quand un s'épuise  par le  

                               travail et manque de tout, tandis que l'autre

                              nage dans l'abondance sans rien faire.

                            

                                                              VI.

                               Nul n'a pu, sans crime, s'approprier exclu-  

                               sivement les biens de la terre ou de l'industrie.

                                                              VII.

                               Dans  une véritable société il ne doit y

                              avoir ni riches ni pauvres.

                               

                                                             VIII.

                               Les riches qui ne veulent pas renoncer au  

                               superflu, en faveur des indigens, sont les

                              ennemis du Peuple.

                                                                  IX.

                               Nul ne peut, par l'accumulation de tous les  

                               moyens, priver un autre de l'instruction né-

                              cessaire pour son bonheur : l'instruction doit

                              être commune.  

                                                                   X.

                               Le but de la révolution est de détruire   

                               l'inégalité, et de rétablir le bonheur de tous

                              

                                                              XI.

                               La révolution n'est pas finie, parce que les  

                               riches absorbent tous les biens et commandent

                               exclusivement, tandis que les pauvres tra-

                               vaillent en véritables essclaves, languissent

                                dans la misère et ne sont rien dans l'état.

                               

                                                              XII.

                               La constitution de 93 est la véritable loi  

                               des François : Parce que le peuple l'a solem-

                              nellement acceptée. Parce que la convention

                               n'avoit pas le droit de la changer : Parce que,

                               pour y parvenir, elle a fait fusiller le peuple

                               qui en réclamoit l'exécution : Parce qu'elle

                               a chassé et égorgé les députés qui faisoient

                               leur devoir en la défendant : Parce que la 

                               terreur contre le peuple et l'influence des

                               émigrés ont présidé à la rédaction et à la pré-

                               tendue acceptation de la constitution de 1795,

                               qui n'a eu pour elle pas même la quatrième

                               partie des suffrages qu'avoit obtenu celle de  

                               1793 : Parce que la constitution de 1793 a 

                               consacré les droits inaliénables pour chaque

                                citoyen de consentir les loix, d'exercer les

                               droits politiques, de s'assembler, de récla-

                               mer ce qu'il croit utile, de s'instruire et de 

                               ne pas mourir de faim ; droits que l'acte

                               contre-révolutionnaire de 1795 a ouvertement

                              et complètement violés.

                                                             XIII.

                              Tout citoyen est tenu de rétablir et dé-  

                               fendre, dans la constitution de 1793, la vo-

                              lonté et le bonheur du peuple.

                                                              XIV.

                               Tous les pouvoirs émanés de la prétendue 

                               constitution de 1795 sont illégaux et contre-

                              révolutionnaires. 

                          

                                                               XV.

                               Ceux qui ont porté la main sur la constitu- 

                               tion de 1793, sont coupables de lèze-majesté

                              populaire. 

                             

     

               source :    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84734t                     

Le 8 mai, ces mêmes dirigeants babouvistes se réunissent chez Jean-Baptiste Drouet (1763 - 1824), député  de la Marne, puis au Conseil des Cinq-Cents, qui avait permis l'arrestation du roi Louis XVI et de la famille royale à Varennes le 21 juin 1791, quand il était encore maître de poste à Sainte-Ménehould, dans la Marne. C'est pendant cette séance qu'ils auraient décidé de renverser, par tous les moyens possibles le Directoire, pour pouvoir instaurer  la Constitution de 1793. Les Egaux doivent convaincre la population, mais aussi un certain nombre de conventionnels Montagnards qui avaient été écartés des décisions et qui avaient décidé de mener le mouvement, en particulier Vadier, Amar,  Laignelot,  René-Pierre Choudieu (1761-1838), député du Maine-et-Loire, missionné en Vendée, Huguet,  Ricord  ou encore  Javogues, "avec qui le Directoire secret négociera durement en floréal" (Schiappa, op. cité : 130)

"Fillon et Rosssignol auxquels un rôle militaire important avait été assigné, réclamaient ; ils faisaient de l'union avec les Montagnards, la condition de leur concours..." (Espinas, op. cité : 261).  

           Laignelot       :  Jean-François,  (1750 - 1829), qui sera député de la Seine, missionné à Rochefort, La Rochelle puis à Brest, où Marec, substitut du procureur de la commune, finira par avouer (bien tardivement, cela dit) le 27 mai (8 prairial) 1794, devant l'assemblée : "Laignelot a assassiné tout ce qu'il y a à Brest d'honnêtes gens." Ou encore : "... Je le considère comme complice de la révolte de germinal..." (...Le Moniteur, op. cité,  12 prairial an II in "Réimpression de l'ancien Moniteurseule histoire authentique et inaltérée de la Révolution française, depuis la réunion des États-Généraux jusqu'au Consulat (mai 1789-novembre 1799)",  tome vingt-quatrième, Paris, Plon Frères, p 560 ;  562-563).  Il entrera au Comité de sûreté générale et fera fermer le Club des Jacobins. 

          Ricord      :   Jean-François Ricord (député du Var, 1760 - 1818), révolutionnaire qui avait envahi la Convention le 1er prairial an III (20 mai 1795) avec les sans-culottes

"Je conteste l’opinion qu’il nous eût été plus avantageux d’être venus moins tard au monde pour accomplir la mission de désabuser les hommes, par rapport au prétendu droit de propriété. Qui me désabusera, moi, de l’idée que l’époque actuelle est précisément la plus favorable ? […] la Révolution française nous a donné preuves sur preuves que des abus, pour être anciens, n’étaient point indéracinables"

Gracchus Babeuf, "G. Babeuf Tribun du Peuple, à ses Concitoyens", 1796 (opuscule qu'on ne doit pas confondre avec son son journal en partie éponyme "Le Tribun du peuple...", voir plus haut.

babeuf-tribun du peuple-n°34-6 nov1795.j
conjuration pour l'egalite

 

La Conjuration pour l'égalité

 

 

 

 

Cette égalité parfaite colle de très près aux différentes utopies sociales qui ont été écrites  et pose un certain nombre de problèmes que nous allons examiner au travers du projet d'éducation des babouvistes, travaillé sur les bases du plan d'éducation nationale Michel Lepeletier (que nous examinerons ailleurs), et que Buonarroti retrace dans son important ouvrage relatif à l'aventure des Égaux,  "Conspiration pour l'Egalité, dite de Babeuf..." (op. cité), dont nous tirerons les citations qui suivront.

Les Egaux proposent "un nouvel ordre social", fondé sur "l'établissement de la communauté des biens et des travaux, seul moyen de tarir à jamais la source de toutes les inégalités…".  "le citoyen n'acquerrait jamais sur aucune chose ce qu'on appelle le droit de propriété ; il n'aurait que le droit d'usage ou d'usufruit sur les objets dont il est mis en possession par la tradition réelle du magistrat.  Ils veulent en premier lieu instaurer un gouvernement provisoire de la république, soit un corps nommé par le peuple, soit un  dictateur (Bedon, Darthé) qui propose "au peuple une législation simple et propre à lui assurer l'égalité et l'exercice réel de la souveraineté, et de dicter provisoirement les mesures préparatoires tendant à disposer la nation de les recevoir."

Buonarroti,  Conspiration..., op. cité

     dictateur   Il faut l'entendre dans son sens antique, où ce "magister populi" était un magistrat investi dans des moments exceptionnels de trouble socio-politiques, et non un dictateur moderne comme Franco, Mussolini ou Hitler.  

Pour que le peuple gouverne le plus démocratiquement possible, les babouvistes divisent la république en "arrondissements" avec, pour chacun d'eux, pur l'essentiel : une assemblée de souveraineté, un sénat, un président et des secrétaires choisis par l'assemblée, une assemblée centrale de législateurs composés de délégués nommés directement par le peuple et enfin, le corps des conservateurs de la volonté nationale, chargés de recueillir et proclamer les lois. Les Egaux avaient imaginé deux options de législation, soit les projets de lois étaient soumis aux assemblées de souveraineté par les assemblées centrales soit les assemblées souveraines proposaient directement ses projets de loi. Pour se garantir des erreurs, les assemblées entendront les conseils du Sénat formés "des citoyens les plus vertueux, les plus zélés et les plus amis des nouvelles institutions." Accompagnés pendant un temps "des vieillards les plus estimables et les plus agréables au peuple de leurs arrondissements."

"On apercevra aisément que la dispersion du pouvoir souverain en un si grand nombre d'assemblées a un grand avantage sur sa concentration en un corps unique, plus exposé à devenir le jouet des factions et d'une fausse éloquence."

Demeureraient deux principes que le peuple lui-même ne pourrait violer : "l'égalité rigoureuse" et "la souveraineté populaire".

"Pour apprécier les avantages qu'offrirait une puissance législative ainsi ordonnée,  il faut se rappeler, par dessus-tout, qu'un peuple sans propriété et sans les vices et les crimes qu'elle enfante, sans commerce, sans monnaie, sans impôts, sans finances, sans procès civils, et sans indigence, n'éprouverait pas le besoin du grand nombre de lois sous lesquelles gémissent les sociétés civilisées d'Europe."

Buonarroti,  Conspiration..., op. cité

Pour mener à bien leur entreprise, les babouvistes avaient des complicités dans les corps d'armée et de police (artillerie de Vincennes, Invalides, Grenadiers, légion de police, etc.) dont l'effectif était (très) théoriquement de 16.000 hommes. Les sections devaient attaquer simultanément le Directoire, le Corps législatif et l'Etat-major, en même temps que des divisions spéciales attaquaient les portes des barrières et les dépôts d'armes de Paris (Advielle, op. cité : 212)

Des "magistrats responsables" négocieront avec les étrangers l'échange du superflu de la Nation contre le leur. On voit par là  qu'il existait parmi les Egaux des idées très radicales de paradigmes civilisationnels, où l'absence de monnaie, la réintroduction du troc était un moyen imparable, avec d'autres dispositions "d'égalité parfaite" de bannir la moindre exploitation des uns et des autres pour son profit personnel, et partant, de la richesse en général.

"La connaissance des citoyens… doivent leur faire aimer l'égalité, la liberté et la patrie, et les mettre en état de la servir et de la défendre. Il faut donc que tout Français sache parler, lire et écrire sa langue.. que la science des nombres soit familière à tous, parce que tous peuvent être appelés à garder et à distribuer les richesses nationales; que chacun s'habitue à raisonner avec justesse et à s'exprimer avec brièveté et précision; que personne n'ignore l'histoire et les lois de son pays; (…) que tous connaissent la topographie, l'histoire naturelle et la statistique de la république… tous soient versés dans la danse et dans la musique."

"Par les sciences, les maladies sont quelquefois guéries ou prévenues ; elles apprennent à l'homme à se connaître, elles le préservent du fanatisme religieux…"

"1° Aucune étude ne donne droit à l'exemption des travaux communs ;      2° Des magistrats seront chargés de conserver et d'accroître le dépôt des connaissances humaines; 

3°  Les jeunes gens qui auront fait paraître de grandes dispositions, seront, à leur sortie des maisons d'éducation, envoyés auprès de ces magistrats pour y poursuivre leurs études."     (Buonarroti,  Conspiration..., op. cité)

 

La république babouviste ne produit en masse que "des choses vraiment nécessaires", et "Ce qui n'est pas communicable à tous doit être sévèrement retranché." Le superflu, le luxe y est banni : "La communauté…augmente les produits utiles à tous en bannissant le luxe et l'oisiveté."   Buonarroti,  Conspiration..., op. cité

Nous touchons-là à des problèmes importants concernant tous les projets de société qui s'établirait sur une base communautaire la plus égalitariste possible. Malheureusement, comme dans la littérature dite utopique, Babeuf traite ce problème de manière superficielle, sans discuter profondément d'un choix de société qui n'a rien de simple, puisqu'il touche à la liberté des citoyens. Non seulement la notion d'utilité est très subjective, mais elle est aussi souvent liée à la morale, qui n'est pas absente du discours, d'ailleurs, par la condamnation traditionnelle du luxe et de l'oisiveté, et plus loin, nous le verrons, de la frivolité, de la mode, etc. Ne pas avoir placé au centre de leurs préoccupations ce problème d'équilibre entre égalité et liberté a été une des faiblesses majeures de toutes les utopies sociales classiques, et une des raisons principales de l'échec des politiques inspirées du socialisme et du communisme, nous le verrons.  

"les maisons seraient simples, et la magnificence de l'architecture et des arts qui en rehaussent l'éclat serait réservée" aux bâtiments publics".

"qu'il ne se rencontre nulle part le moindre signe d'une supériorité, même apparente" dans l'habillement des citoyens. Mais "l'égalité et la simplicité n'excluent pas l'élégance et la propreté ; des couleurs et des formes différentes eussent pu servir à distinguer les âges [mais aussi les sexes, NDR] et les occupations…"

"…rien à la mode et à la frivolité ; il ["le comité insurrecteur", NDR] désirait aussi que le peuple français adoptât un costume qui le distinguât de tous les autres peuples."

La jeunesse vivra "dans la plus stricte frugalité".

"De tous les droits sociaux, il n'en est pas de plus importants que ceux qui se rapportent à la formation des lois."  "En outre, on ne serait parvenu à l'exercice du droit de suffrage, qu'après vécu un certain temps dans les camps et dans les travaux militaires."

Buonarroti,  Conspiration..., op. cité

On travaille en proportion de ses talents, de sa force, on ménage les faibles.  On appelle les sciences "à adoucir le travail des hommes, par l'invention de nouvelles machines et par le perfectionnement des anciennes."  On charge, "tour à tour, tous les citoyens valides  des occupations trop incommodes…" mais aussi des emplois de transport, de courrier, de porteur d'ordres, etc. qui peuvent procurer à chacun la connaissance des beautés, des institutions de la patrie.

Dans ce projet de société, il y a sans conteste une très forte empreinte des mentalités patriarcales que possèdent encore la plupart des élites, tous bords confondus. Les hommes mâles, en particulier les vieillards, y détiennent le pouvoir et l'autorité morale. Les hommes et les femmes sont bien cantonnés dans leurs rôles sociaux traditionnels :

Ce sont "les jeunes hommes de l'âge requis" qui voient leur nom inscrit sur le registre des citoyens "porté avec pompe au milieu du peuple."

"De la division naturelle de l'espèce naissent deux branches d'éducation ; l'une pour les garçons, l'autre pour les filles."

"L'homme, destiné par la nature au mouvement et à l'action, doit nourrir et défendre la patrie; la femme doit lui donner des citoyens vigoureux; celle-ci, plus faible que l'homme, sujette aux incommodités de la grossesse, aux douleurs de l'enfantement et aux maux qui en sont souvent les suites, et douée des charmes qui exercent tant d'empire sur l'autre sexe, paraît réservée pour des travaux moins rudes et moins bruyants, et semble avoir reçu en partage, de la nature, le don de calmer la violence des passions, d'adoucir les maux de l'humanité et de donner un plus grand prix à la pratique de la vertu. Il suit de ces différences ineffaçables que l'éducation des deux sexes ne saurait être en tout la même."

Les filles sont "élevées en commun jusqu'au moment de leur mariage."

Buonarroti,  Conspiration..., op. cité

Afin que la cité ne renferme que des hommes robustes et  laborieux…il est donc nécessaire d'endurcir leur corps à la fatigue par le travail et l'exercice." Il leur faut du mouvement et de l'occupation, propres "à  affaiblir le penchant de la coquetterie et à retarder les élans de l'amour."

Les filles "seront dressées aux travaux les moins pénibles de l'agriculture et des arts, parce que le travail qui est la dette commune est aussi le frein des passions, le besoin et le charme de la vie domestique ; elles seront pudiques, parce que la pudeur est  le gardien de la santé et l'assaisonnement de l'amour"

Le plus misogyne des Babouvistes était très certainement Sylvain Maréchal, qui alla jusqu'à défendre un "Projet d’une loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes" (1801), qui contient les préjugés patriarcaux les plus sexistes au sujet des femmes : 

pour voir le texte entier : 

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k42699t/f15.item.zoom

On connaît au moins deux réponses que lui ont faites des femmes, l'une de la romancière Marie-Armande-Jeanne Gacon-Dufour, intitulée "Contre le projet de loi de S. M. portant défense d’apprendre à lire aux femmes par une femme qui ne se pique pas d’être femme de lettres", et l'autre de l'écrivaine Albertine Clément-Hémery, aussi journaliste et éditrice, qui pointa sa "vanité masculine stupide et mal placée" (A. Clément-Hémery,  "Les femmes vengées de la sottise d’un philosophe du jour ou Réponse au projet de loi de S. M. portant défense d’apprendre à lire aux femmes").

 

On destine les vieillards à devenir "gardiens de la morale et des lois, censeurs des mœurs et les conservateurs de la vertu"

Les mœurs, justement, dont la moralité est passablement surveillée, encadrée. La patrie doit fournir les choses "d'agrément non réprouvées par les mœurs publiques".

"Il semblait au comité que les amusements que le peuple entier ne partage pas doivent être retranchés d'un état bien institué, de crainte, disait-il, que l'imagination débarrassée de la surveillance d'un juge sévère, n'enfantât bientôt des vices monstrueux, si contraire au bonheur de tous."

Sont bannies des maisons nationales d'éducation la paresse et le désœuvrement, sans compter "la mollesse et l'amour des voluptés" qui ne doivent "trouver une seule voie pour se glisser dans les cœurs des jeunes Français".

L'idéologie religieuse conserve sa place chez les Egaux, de manière assez contradictoire :

La république trouve "un dernier et important appui dans les idées religieuses dont les lois et l'éducation allaient jeter les semences dans tous les esprits."

… "les honneurs à rendre à la divinité…l'apothéose des grands hommes"

Le législateur sage "appelle l'attention des citoyens sur les œuvres de la divinité. La république française ne reconnaissant aucune révélation, n'eût adopté aucun culte particulier ; mais elle eût fait de l'égalité le seul dogme agréable à la divinité, dont les bienfaits eussent été proclamés par des solennités populaires et elle eût fortement gravé dans le cœur des bons citoyens l'espérance d'une heureuse immortalité". 

"On pensait au comité que les dogmes de l'existence de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme sont les seuls dont la société régénérée soit véritablement intéressée à maintenir la croyance…"

Nous le voyons bien, au-delà de cet environnement moral, l'idéologie autoritaire des Egaux pose de sérieuses, de dangereuses entraves à la liberté individuelle, l'Etat contrôlant, bridant, dirigeant l'individu toute sa vie. Encore une fois, il n'est pas possible de ne pas établir de liens entre ce discours idéologique et sa mise en pratique dans divers systèmes politiques qui se référeront au socialisme et au communisme. 

Là encore, les babouvistes ne vont pas vers le progrès social du point de vue des libertés individuelles et sont en partie au diapason avec la philosophie morale de leur époque.

"La patrie s'empare de l'individu naissant pour ne le quitter qu'à la mort. Elle veille sur ses premiers moments, lui assure le lait et les soins de celle qui lui donna le jour, écarte de lui tout de qui pourrait altérer sa santé et énerver son corps, le garantit des dangers d'une fausse tendresse et le conduit par la main de sa mère à la maison nationale où il va acquérir la vertu et les lumières  nécessaires à un vrai citoyen."

Les institutions publiques mettent la main sur des évènements de la vie privée :"l'union des sexes", "la présentation des nouveaux-nés", etc.

"On les aurait accoutumés à rapporter à la patrie, maîtresse de tout, les beautés dont ils étaient témoins…ils eussent enfin confondu leur bonheur avec celui des autres;"

Le bonheur commun de la république des Egaux menacerait-il le bonheur personnel ?

En choisissant de ne perfectionner que "les arts utiles", on voit très bien le danger liberticide, toute la dimension idéologique pernicieuse, qui conduira les dictatures à rejeter "les arts dégénérés" :

"En parlant de l'éducation, nous avons vu que le comité insurrecteur entendait s'opposer à ce que le raffinement des arts et l'étude des sciences introduissent dans la république des mœurs efféminées, de fausses idées de bonheur, de dangereux exemples et des aiguillons à l'orgueil et à la vanité."

Les productions littéraires n'échappent pas, non plus, à la censure :

"3° Aucun écrit  touchant une prétendue révélation quelconque ne peut être publié; 4° Tout écrit est imprimé et distribué, si les conservateurs  de la volonté nationale jugent que sa publication peut être utile à la république."

Tous comme les dictatures socialisantes, la république des égaux a une singulière manière d'élever, malgré ses principes, des hommes au-dessus des autres en encourageant, encensant les "bons citoyens" et en prévenant,  molestant ou, condamnant durement les "mauvais". Un ferment propre à cultiver les rivalités, les jalousies, les haines, les délations…

"Je me souviens qu'au milieu d'une discussion sur les avantages et les inconvénients des liens de famille, on fit formellement la proposition de défendre aux enfants de porter le nom d'un père qui ne se serait pas distingué par de grandes vertus."

Seuls les "bons citoyens" auraient droit à une sépulture, après "un jugement qui leur accordait ou leur refusait les honneurs de la sépulture." 

"Des monuments érigés par le peuple aux plus dignes."

Les conjurés furent finalement trahis par le jeune capitaine Georges Grisel  (d'Abbeville, 1765 - 1812) :

"Celui-ci se vanta de n’avoir pas agi par intérêt ; pour pareille chose, déclara-t-il (Débats du procès, t. II, p. 115), toute récompense « serait ignominieuse ». L’appréciation n’était pas trop forte ; mais (Archives nationales, AFIII 42), par arrêté du Directoire du 17 floréal (6 mai), Cochon, au titre de « dépense secrète », versait à Grisel « dix mille livres assignats valeur nominale » qui valaient alors 30 francs en or ; par arrêté du 8 prairial (27 mai), le Directoire lui accordait un sabre avec son ceinturon ; par arrêté du 28 messidor (16 juillet), le Directoire lui octroyait « à titre de gratification pour les services par lui rendus », 3000 livres en mandats, valant à ce moment 165 francs, et des soins médicaux aux frais de la République.(Histoire socialiste, op. cité, chapitre XIII, p. 329)

 

Babeuf et Buonarroti sont arrêtés le 10 mai 1796, accusés d'avoir voulu rétablir la "Constitution de 1793", crime passible de mort selon un décret de la Convention  (Mazauric, 2020).  Leur procès ne se tiendra qu'à partir du 20 février 1797, et durera jusqu'au 27 mai. Respectant la stratégie de défense que s'étaient donnés les accusés, pour échapper aux verdicts les plus lourds (déportation, peine de mort), à savoir une "association politique", "une réunion de démocrates" de citoyens voulant défendre une opinion républicaine (op. cité),  Babeuf se mit à écrire un ouvrage en forme de défense générale, publiée par Advielle (op. cité).  Seul le secrétaire de Babeuf,  Nicolas Pillé, "par ses aveux, se fit l’auxiliaire de l’accusation."  (Histoire socialiste, op. cité)

lettre de Mme Babeuf à son mari en priso

« Ma bonne amie ....

Et si, contre toute attente, l'on me condamnoit à la déportation, eh bien ! je crierai, "Vive la République ! je ne suis pas encore lassé de souffrir pour la cause sacrée que je défends (...)  

 

Sur tout aucun chagrin ; la femme d'un républicain doit être au niveau, et même au-dessus de tous les coups.

 

Adieu, je t'embrasse mille fois.

Je suis ton époux pour la vie, en France comme à Cayenne,

Signé, Cochet. »

Cochet, lettre  à sa femme, 14 juin 1796  (14 prairial an IV), in "Débats du procès...", op. cité :  579

Condamnés à mort au procès de Vendôme le 26 mai 1797, Babeuf et Darthé tentent de se donner la mort et sont conduits morts ou vifs à l'échafaud. Six hommes dont condamnés à la déportation : Blondeau (évadé d'Oléron, puis de Cayenne), Buonarroti  Cazin,   Germain, Moroy et Vadier. Ils sont enchaînés et enfermés dans des cages grillagées, puis conduits au fort de l'île Pelée, au fort national de Cherbourg, une prison de sûreté. Ils seront conduits sur l'île d"Oléron en l'an VIII, avant de connaître pour les uns ou les autres des résidences surveillées.  

"Les condamnés à la déportation étaient dans l’ivresse de la joie d’avoir échappé au supplice dont vingt d’entre eux se savaient menacés. Germain, gai et plein d’esprit, se moquait des jurés. Ils sont bêtes, disait-il, au sieur Vieillard, de ne pas voir de conspiration lorsqu’il y en a une des mieux faites qui aient jamais existé et y a t-il rien d’aussi fou que d’innocenter les femmes qui sont des enragés (sic) qui nous stimulaient tous. Actuellement que ma vie est sauvée je leur dirais tout ce que je sais. Au surplus j’ai conspiré, je conspirerai toujours. S’ils m’envoient à Cayenne ou au Sénégal je conspirerai et si ce n’est pas avec des hommes ce sera avec des perroquets." (Charles Germain, Archives nationales, F 16/582. C)

Des dizaines d'autres sont relaxés. Les derniers Babouvistes tenteront quelques mois plus tard un dernier coup d'éclat en soulevant les soldats du camp de Grenelle. Après avoir laissé l'insurrection grossir, Carnot, membre du Directoire, lancera ensuite la cavalerie contre les insurgés avec Cochon de Lapparent et fusillera une trentaine d'insurgés, parmi lesquels figurent en particulier des personnalités de la conjuration babouviste, fusillés le  9 octobre 1796   :

- Jean-François Baby (1759-1796), ancien ami de Vadier, exécuté avec neuf autres accusés, qui avait déjà été emprisonné par Clauzel en 1795, dénoncé par Lakanal et arrêté une nouvelle fois. 

"A raison de l'énergie qu' il avait déployée l'année précédente au service du gouvernement révolutionnaire, Baby était désigné dans les papiers de Babœuf, pour être membre de la Convention renouvelée(Albert Tournier, Vadier, président du Comité de sûreté générale sous la Terreur (d'après des documents inédits), préface de Jules Claretie, 1896, p. 250). 

-  Claude Javogues (1759 - 1796), député de Rhône-et-Loire, missionné pendant la Terreur forézienne pour réprimer l'insurrection  fédéraliste  en Rhône-et-Loire, qui divisera le département en deux, humiliant les populations en rebaptisant Saint-Étienne en Armeville et Montbrison en Montbrisé (Archives départementales de la Loire, cote L 18, 24 octobre 1793-26 février 1794 [8 ventôse an II]). 

- Marc-Antoine Huguet (1757 - 1796),  député de la Creuse, notaire, missionné par la Convention pour l'approvisionnement en papier, il avait envahi la Convention avec les sectionnaires sans-culottes, le 12 germinal an III. 

 - Joseph-Marie Cusset (1759 - 1796), député de Rhône-et-Loire, marchand en soieries à Lyon, missionné auprès de l'armée de la Moselle, il dénonce en septembre 1792 les horribles exactions perpétrées par les armées autrichiennes, soutenues par les émigrés, en particulier à Sierck et à Stenay.  

Buonarroti, lui, continuera à sa manière une lutte politique. Il nouera des liens avec le révolutionnaire belge Louis de Potter, en particulier, qui devait devenir ministre en 1830, mais aussi d'autres intellectuels anglais, italiens ou français, comme Charles Teste ou Voyer d'Argenson (cf. Alessandro Galante Garrone, "Filippo Buonarroti e i rivoluzionari dell'ottocento : 1828-1837",  Torino, Einaudi, 1951).  

La révolution française est bien morte, et la période qui suit, celle du Directoire, termine le siècle de manière la plus sombre : chômage endémique, mortalité enfantine effrayante (90% dans les régions de l'Ouest), déportations des opposants, exécutions sommaires dans la plaine de Grenelle, etc. 

 

La Terreur avait alors changé de camp. 

babouvistes-affaire de grenelle-fusillad

                   

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