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    AU PAYS DES  

 

 

  d'Élissa à Ptolémée    

Imazhigen

ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⴻⵏ

introduction

Introduction

 

 

Les fouilles préhistoriques d'Afrique du Nord, au travers de nécropoles (sépultures de tumulus, appareillés (bazinas) ou non, surtout) font déjà apparaître "une spécialisation des tâches" et des "indices d’une hiérarchie sociale" (Drici, 2015 ; cf. Hachi, 2003), comme  à  Afalou-Bou-Rhummel (vers - 10.000 - 8000), un site de la culture dite ibéromaurusienne, au paléolithique inférieur, près de Bejaïa (Saldae/Bougie : cf. tableau toponymique, plus bas), en Algérie. 

 

C'est une stèle égyptienne de la région d'El Alamein, ainsi qu'un hymne au roi , sous le règne de Ramsès II (1304-1213), qui font apparaître pour la première fois le pays des Rbw (retranscrit aussi Lbw, dans d'autres textes), se prononçant lebu (lebou), libu 'libou) ou rebu (rebou), les Lubim  de l'Ancien Testament. Hérodote englobait sous le terme Libues (Λιβύες) tous les Africains (Hérodote, Histoires ou Enquête, IV, 197), et en particulier ceux à la peau claire, à l'opposé des "Ethiopiens", (d'Aethiops, "au visage brûlé'", aithos : "brûlé", en grec),  ce que feront aussi les historiens romains des guerres puniques (Libyes),  tel Polybe (Πολύϐιος / Polúbios, vers 200-133, ἹστορίαιHistoríai : Histoires, I 65, 3 ; III 33, 15). On ne peut pas citer tous les anthroponymes grecs qui désignent les habitants des différentes régions d'Afrique du Nord, citons les Gymnètes (nus), les Lotophages (mangeurs de lotus), les Troglodites (troglodytes, vivant dans les cavernes), les Métagonites, les Atlantes ou Atalantes (habitants de l'Atlas), ou encore les Garamantes (habitants de Garama). Comme on le voit, un certain nombre d'anthroponymes sont choisis par les colonisateurs pour des caractéristiques réelles ou supposées des populations, en lieu et place des noms qu'elles se sont donnés, mais aussi, leurs noms peuvent désigner pour les étrangers un plus vaste ensemble constitué de groupes pourtant bien distincts. 

stèle égyptienne :  Ramesside Inscriptions, II, p. 475. Historical and Biographical, éd. K.A. Kitchen, 8 vol. , Oxford 1968-1990

hymne au roi  :   Papyrus Anastasi II, II 3, l. 4,  Bristish Museum 10243.2

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Tête en bronze et pâte de verre d'un "Ethiopien", sculpture du IIe siècle, partie d'un balsamaire, H 15,8 cm, Volubilis, Maroc, collections BNF  

 

"Ce balsamaire, dont il manque la base, le couvercle et l’anse mobile, qui s’attachait sur les deux anneaux dont il ne subsiste que le départ, est en forme de tête d’Africain, barbu et moustachu, à la magnifique chevelure calamistrée, dont les boucles épaisses, étagées symétriquement autour de la tête, ont été retravaillées et ciselées. Les yeux sont incrustés de billes de pâte de verre noire, de dimensions différentes, formant les pupilles et donnant un regard à la fois fixe et expressif (...)  La représentation des Africains, appelés «Éthiopiens» -d’après le mot grec Aethiops, « au visage brûlé »- apparaît à l’époque grecque, notamment dans la céramique. Après la mort d’Alexandre le Grand (323 av. J.-C.) et l’avènement des Ptolémées en Égypte, la connaissance de la Nubie (actuel Soudan) et le mélange des populations grecques et africaines dans des cités telles qu’Alexandrie ou Naucratis, ont entraîné durant l’époque hellénistique (323-31 av. J.-C.) le développement d’une production de petits bronzes et d'objets de la vie quotidienne en forme d’Africains, qui perdure à l’époque romaine impériale, où le goût pour l’exotisme se développe tant à Rome que dans les provinces (...)  L’étroitesse de l’embouchure (ici 3 cm), l'absence de bec verseur et de goulot, la forme complexe de la panse conviendraient, plus qu’à des liquides ou huiles parfumées pour les soins du corps, à des poudres ou à des granules d’encens ou de parfum. Cette production, peut-être commencée dès l’époque augustéenne avec l’importation de motifs égyptisants à Rome, a été principalement florissante au 2e siècle."

http://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/collection/record/ark:/12148/c33gbq29v

Les Carthaginois essaimeront jusqu'à Mogador (petite île en face de la ville éponyme, qui s'appellera plus tard Essaouira), et même plus loin, et voyagent vers le sud, jusqu'à un point incertain, selon le fameux Périple  d'Hannon.  La culture punique de ces marchands, qui installent comptoirs et "échelles" (abris permettant le cabotage par relais successifs, pour s'approvisionner en eau, réparer les avaries, etc.), influencera celle des Berbères et les poussera à s'organiser en  royaumes  (Chérif, 1975 ; Le Bohec, 2002)

  Mogador   :  Tout comme ses multiples variantes (Mogodor, Mongador, Mougador, Mougadouro, Mogadou, Mogader), cette transcription probable du portugais ou de l'espagnol désigne un ancien toponyme amazigh (voir ce nom plus loin), peut-être  "Mougadir" (littéralement:  "entouré de murailles", dérivant du verbe "gdl" qui dans la langue amazigh signifie "protéger", "préserver".  Les écrits arabes médiévaux le rendent par Amgdoul, Megdoul (Amegdul). 

  Essaouira   :  « La ville est appelée en arabe "Souira" ou "Al Sawira" depuis sa reconstruction par Sidi Mohammed ben Abdallah entre 1760-64. Nous y voyons une continuité du toponyme berbère qui fait référence à "muraille" (...) : cf. tableau toponymique, plus bas. 

  Périple d'Hannon    :   Plus exactement : " « Périple d'Hannon, roi des Carthaginois, le long des parties de la Libye situées au-dessus des Colonnes d'Héraclès », titre d'un manuscrit du IXe siècle présenté comme la traduction en grec d'une inscription « suspendue dans le temple de Kronos » à Carthage (...) D'une lecture sans préjugé on retiendra que Hannon fut envoyé, à une date inconnue, au-delà des Colonnes avec 60 pentécontores transportant 30 000 marins et passagers, hommes et femmes, pour y fonder des villes de Libyphéniciens (...)  Publié pour la première fois en 1533, ce texte a fait l'objet d'un « Mémoire sur les découvertes et les établissements faits le long des côtes d'Afrique par Hannon, amiral de Carthage », lu par Bougainville à l'Académie en 1754, 1757 et 1758, imprimé en 1759..."    (Euzennat, 1994)            

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Carte basée sur les travaux des historiens  Stéphane Gsell (1864-1932) et Jérôme Carcopino (1881-1970).                 source :  Euzennat, 1994

 

Les Phéniciens installent, vers le XIIe siècle avant notre ère, des établissements commerciaux le long des côtes africaines, sur le littoral atlantique et méditerranéen. On connaît assez précisément la date de fondation de Carthage, en 814/813 avant notre ère (dans l'actuelle Tunisie),  par des Phéniciens appelés Puniques (Punici) par les Romains, du grec Φοῖνιξ (Phoînix), les Phéniciens, et, par extension, les Carthaginois.  Etablissement modeste, au départ, la cité punique versa même pendant plus d'un siècle un tribut aux autochtones pour le loyer du sol occupé  (Cherif, 1975),   avant que sa prospérité et sa puissance ne lui permettent de réclamer à son tour un tribut aux Africains, vers 475-450 : "on combattit aussi contre les Africains qui réclamaient le paiement d'un loyer de plusieurs années pour le sol de la ville. Mais, de même que la cause des Africains était plus juste, de même leur bonne fortune fut supérieure, et la guerre contre eux se termina par une compensation pécuniaire et non pas par les armes." (Justin/Marcus Junianus Justinus, IIIe/IVe s., Epitome Historiarum philippicarum Pompei Trogi : "Abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée", Livre XIX, traduction Marie-Pierre Arnaud-Lindet, Bibliotheca Augustana). Dans le même temps, la cité conquérante va "soumettre à sa domination le reste des comptoirs phéniciens, qui s’échelonnaient depuis les Syrtes (côte tripolitaine) jusqu’à la côte atlantique du Maroc (comptoir de Lixus) et du Sud-Ouest de l’Espagne (Gadès)."  (op. cité). Les principales villes côtières semblent sous contrôle carthaginois à la fin du IIIe siècle avant notre ère, au bénéfice avant tout de ses grandes familles, les Magonides d'abord, dont la politique était "liée aux contingences d’une cité en pleine expansion et ayant besoin d’un arrière-pays à même de satisfaire les besoins d’une population de plus en plus importante et d’une aristocratie terrienne à la recherche de nouveaux domaines d’exploitation(Cherif, 1975),  puis  les Hannons et les Barcides. 

Carthage   :  Du grec Karkhēdōn  (Καρχηδών
),  dérivé de l'étrusque
 Carθaza,
 transcrit du
 punique Qrtḥdšt  (Qart‐ adašt :
  "Nouvelle 
ville").

 

Tunisie   :  le pays actuel recouvre en partie la province romaine d'Africa, partagée par la Tétrarchie en Zeugitane, Byzacène (Byzacium, Bussatis) et Tripolitaine.

La puissance punique, tout comme la puissance romaine ou arabe, bien établie par l'histoire des vainqueurs, va durablement invisibiliser la culture des premiers habitants de l'Afrique du Nord. La faute à une "histoire entachée de colonialisme...qui ne fait voir dans la continuité africaine qu'une succession d'influences historiques étrangères, phénicienne, romaine, vandale, byzantine", sans parler de "l'apport prestigieux de l'Islam confondu avec l'arabisme. En bref, à toutes les époques, les Berbères sont les oubliés de l'Histoire.  (Camps 1979).  Quand débarquent les premiers navigateurs phéniciens, les Lybiens ne sont pas des hommes demeurés à un stade préhistorique où on a voulu les laisser.  Depuis des siècles, s'était établi un commerce actif aussi bien avec l'Europe méditerranéenne qu'avec la partie orientale de l'Afrique. Malgré ce qu'a raconté Polybe et ceux qui l'ont copié, "les Numides n'attendirent pas le règne de Massinissa pour mettre en culture leurs plaines fertiles" ou encore pour construire d'immenses nécropoles mégalithiques groupant  "par milliers des tombes de paysans sédentaires qui y déposèrent leur poterie" (Camps 1979).   

 

        copié      :  Polybe, op. cité, XXXVI, 16 ;  Strabon,  ΓεωγραφικάGeōgraphiká, vers 

 - 20 à 23,  XVII, 3, 15 ; Valerius Maximus (Valère-Maxime), Ier siècle, Dictorum factorumque memorabilium libri  ("Livre des faits mémorables") :  VIII, 3 ; Appien d'Alexandrie (Αππιανὸς, Appianus), vers 95 - 161, Historia Romana : 106). 

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Carthage, I

 

 

 

Les débuts de l'histoire de Carthage sont teintés de légendes grecques dont la plus célèbre mérite d'être résumée ici, car historiens et archéologues pensent qu'elle se fonde sur "un substrat historique(Noël, 2014) s'appuyant vraisemblablement sur des sources puniques. Elle a été transmise par les écrits de Timée de Taormine (Tauroménion/Tauromemium) et de Ménandre d’Ephèse (IVe-IIIe s. av. notre ère), puis ensuite, par les auteurs latins. Fuyant Tyr après l'assassinat de son mari Acherbas (Sicharbas : Sychée dans la mythologie grecque), grand-prêtre du dieu Melkart (Melqart, Milqart), par son frère Pygmalion (de son nom phénicien : Pumayyaton) qui convoitait ses richesses, la princesse Didon (Dido, en latin) voyage avec sa suite nombreuse jusqu'à Chypre, puis débarque sur la côte tunisienne où le seigneur des lieux lui permet de bâtir une ville sur des terres "qui peuvent toutes tenir dans la peau d'un boeuf".  La rusée princesse aura alors l'idée de découper de minuscules lanières de la peau d'un boeuf qui, jointes les unes aux autres, permettront de couvrir une très grande surface, sur laquelle elle bâtira Carthage, selon la légende, à partir de la citadelle de Byrsas (Bursa, en grec : "cuir", "peau"). Demandée en mariage par Hiarbas, roi des Lybiens, elle aurait feint d'accepter cette union avant d'allumer un bûcher et de s'immoler par le feu  (Justin, Abrégé..., op. cité, XVIII, 6),  acte de chasteté, de fidélité à son époux qui sera donné en exemple par les auteurs chrétiens comme Jérôme ou Tertullien. La cité archaïque était ceinturée, au nord et au sud, par deux nécropoles, dont la seconde suscite toujours d'âpres débats. C'est un sanctuaire, dans un lieu-dit surnommé Salammbô,  qui a révélé en 1921 des milliers de stèles et d'urnes remplies de cendres de fœtus et d'enfants, de très jeunes nourrissons pour la plupart, tout comme un autre site découvert en 1919, à Motyé, en Sicile. Une stèle particulière a été découverte, montrant un personnage vêtu d'une robe et d'un bonnet, main droite levée, main gauche tenant un bébé. A partir de là, les archéologues ont été convaincus que Carthage avait pratiqué le meurtre rituel d'enfants, thème dont l'humour noir de Flaubert s'était emparé (Salammbô, XIII),  le surnommant "la grillade des moutards" dans sa correspondance  (Lettre à Jules Duplan, 25 septembre 1861 et lettre à Ernest Feydeau, du 7 octobre 1861).  On a surnommé Tophet le sanctuaire dédiée à la déesse Tanit (Tinit, Tinnit) et au dieu Baal (Ba'al) Hammon, en référence au lieu de la vallée de Ben Hinnom où les Cananéens, ancêtres des Phéniciens, sacrifiaient des enfants au dieu Moloch, selon la Bible, pratique interdite par le roi juif Josias (II Rois XXIII : 10). Il reste beaucoup de questions en suspens sur le sujet, mais il existe aujourd'hui un consensus sur l'essentiel : " La réalité du sacrifice ne peut être niée au vu de certaines données archéologiques et épigraphiques (...) le caractère votif de certaines inscriptions où il est fait mention d’un rite MLK tenu pour un rite sacrificiel prouve l’existence de la pratique du sacrifice d’enfants. L’archéologie a – provisoirement ? – tranché la question : il y avait bien des sacrifices d’enfants à Carthage mais ils n’étaient ni massifs ni systématiques." (Gutron, 2008)

« S’agissant du sacrifice humain et de sa relation avec le tophet, nous considérons que s’il a sans doute été occasionnellement pratiqué par les Carthaginois, le sacrifice des enfants doit être décorrélé du tophet, sanctuaire-nécropole qui a pu en abriter les rares vestiges mais qui est par essence le lieu d’ensevelissement des très jeunes enfants décédés naturellement."  (Benichou-Safar, 2004)

légendes   :   Selon Philistos 
de
 Syracuse ou
 Eudoxe
 de 
Cnide 
(IVe s. avant notre ère)
, puis Appien (Lybica, 1), Carthage aurait été fondée par Azoros (Zorus, Sôr : Tsour : en phénicien, le roc, désigne la ville de Tyr)  et Carchedôn (nom grec de Carthage) : une tradition visiblement très fantaisiste.  

                                         

 

                                              Dido, reine de Carthage   

        Léonard Limosin (1504-1575), peintre, émailleur du roi François Ier

                     émail peint sur cuivre                 30.3   x 24.8 cm 

                                                     1564 / 1565    

   

                The Walters Art Museum, Baltimore, Etats-Unis

                                                               

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Le projet de mariage entre la princesse de Tyr devenue reine phénicienne Élissa (Élyssa, Elishat  Elisha, Elysha, Hélissa, surnommée Deido [Dido, Didon] : "L'errante") et l'Africain Hiarbas, ou Iarbas  (Crouzet, 2003)  nous rappelle qu'il existe très souvent, lorsqu'un peuple envahit durablement le territoire d'une autre, une osmose plus ou moins profonde qui s'établit entre les cultures, tout particulièrement dans les sphères aristocratiques. Nous avons vu dans bien d'autres cas que la domination sociale se transforme par alliances, stratégies, etc., entre les élites respectives. Les régions d'Afrique assujetties aux Carthaginois ne font pas exception à la règle : 

 

"Le Maghreb « ouvert » fut la terre promise de tous les impérialismes méditerranéens : Puniques, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes et Turcs, sans parler des Français qui pénétrèrent la totalité du pays. (...)  Mais encore fallait-il qu’une fraction de la population conquise eût intérêt à accepter l'ordre des vainqueurs et à collaborer avec lui : c’était précisément le cas des sociétés citadines et de leurs notables, dont l’exploitation du reste du pays à leur profit requérait le maintien de l'ordre, fût-ce celui d’étrangers; l’intégration dans un vaste ensemble politique et économique, dans un empire, pouvait également leur être bénéfique..  (...) Vis-à-vis des populations de l’hinterland,  les maîtres du Maghreb « ouvert » disposaient de moyens — militaires et administratifs en particulier — et d’une organisation économique et sociale relativement avancés.  (Cherif, 1975). 

Selon les régions, les autochtones finiront par leur être tributaires.  Ils sont désignés comme Lybiens (ou Libyques) à l'Est, dans les anciennes régions de Cyrénaïque et de Marmarique (cf. carte, plus bas), représentant sur les propriétés "un misérable prolétariat agricole(Chérif, 1975),  ou bien ils peuvent être perméables à leur influences culturelles mais rester indépendants, au centre-nord, comme les Numides, ou alors, ils sont complètement indépendants et farouchement hostiles, comme les Maures, dans l'ouest marocain, ou les Gétules, en partie nomades, sur un grand territoire, du sud-est marocain au sud-ouest tunisien actuels. Examinons avant de poursuivre ces trois ethnonymes, qui deviendront fortement marqués, comme d'autres que nous verrons ensuite, par l'empreinte des colonisateurs.

 

Sur le territoire dépendant de Carthage "l’installation de grands domaines permettait aux riches propriétaires d’obtenir des revenus, tandis que le paiement du tribut   [φόρος, phóros] fournissait à l’État les recettes nécessaires pour l’équipement et les dépenses. (...) Il est plus vraisemblable que, à l'intérieur du territoire, une partie des habitants travaillaient dans les exploitations carthaginoises, l’autre cultivant des terres pour lesquelles ils payaient l’impôt.(Crouzet, 2003).   En plus du tribut, les occupants exigeaient des populations soumises la conscription militaire : "Les Libyens de l’armée punique étaient rétribués, tout au moins lorsqu’ils n’étaient pas abandonnés sur les lieux de bataille par les généraux puniques."  (op. cité).   

 

 

territoire :  Χώρα, chora : "territoire", "pays", parfois  ἐπαρχία, eparchia en latin : province),  que les Romains, sous l'Empire,  redécouperont en subdivisions du pays, ou pagi (sing. pagus), mais "rien ne prouve que les pagi plus tardifs reposent sur le découpage carthaginois." C'est donc plutôt le terme d'ager (plur. agri) qui paraît le mieux correspondre au territoire de Carthage, ex. ager Carthaginiensisager maritimus   (Crouzet, 2003).

onomastique

 

 

 

L'onomastique de la domination, I

 

 

Par homophonie, on a rapproché par erreur les Numidarum, Numides des Romains (Salluste, -86 -35/34, "La guerre de Jugurtha" / Bellum Iugurthinum : XVII et XVIII) du grec Nomades (litt. "route des pâturages", qui désignait les pasteurs nomades (Strabon, op. cit., II, 5, 33 ; XVII, 3, 15), alors que déjà, avant l'arrivée des Romains, existaient différents types d'organisation sociale : sédentaire, nomade ou semi-nomade (Ghaki et al., 2012).  En réalité, les N'Miden (Imes-Mouden, Imesmouden, pour les auteurs arabo-berbères) désignent ceux "d'entre les pasteurs", du berbère N  : "de", "d'entre" et med  (plur. miden) : "pasteur" (Rinn, 1885).   

 

Il est plus vraisemblable qu'au "même titre que « maure », « afer » et « libyen », le terme « numide » pourrait être à l’origine un ethnonyme porté par une ou des tribus déterminées, qui aurait été étendu à d’immenses territoires par des étrangers, notamment des géographes grecs et romains, qui ne disposaient que de fort peu d’informations, et hésitaient d’ailleurs eux-mêmes." (Ghaki et al., 2012)

Les Maurusii de Diodore de Sicile ( Διόδωρος, Diodorus Siculus), 90 - 30 (Bibliothèque Historique : XIII, 80, 3), de Polybe (op. cité : III, 33, 15) ou de Tite-Live, 59 - 17  (Ab urbe condita libri CXLII / Cent Quarante-Deux Livres, depuis la fondation de la Ville : XXIV, 49, 5) font partie des Numides, comme les  Masaesyles ou les Massyles (Massyli, Massulii, Massolii, etc.), qui auraient fourni selon Polybe  (op. cité : III, 33, 15)   des cavaliers aux armées puniques  en Espagne en  - 218. C'est  l'image ancienne d'Hérodote d'une grande Numidie, partagée à l'est par les Massyles, à l'ouest par les Masaesyles, qui finira de l'emporter chez les géographes antiques, quand bien même le "père" des historiens n'a quasiment jamais mis les pieds en Afrique, sinon un orteil à Cyrène, à l'est de la Lybie, vers - 440 ou que l'auteur de l'Almageste, l'astronome et géographe Ptolémée (Κλαύδιος Πτολεμαῖος : Claudios Ptolemaios, Claudius Ptolemaius, vers 100 - 160) ne cite pas une seule fois les Massyles dans sa "Géographie".  Ainsi, ce nom, que l'on voit encore sur beaucoup de cartes sur la Numidie de l'antiquité, "prit rapidement une valeur vague et poétique, et Silius Italicus confond déjà les Massyles avec les Masaesyles.(Desanges, 2010).   

La forme Mauri, qui donnera Maures, apparaîtra plus tard, dans "La Guerre de Jugurtha" de Salluste, et "La Guerre d'Afrique", de Jules César (100-44), alors qu'elle serait plus antérieure et indigène. Pour Ptolémée (Géographie : IV, 1, 5), les Mauri étaient d'abord une tribu de Tingitane (de Tingis : Tanger), comme les Baquates (Bacuates, Baccuates, Bacuatae, Macuaci, Ouakouatai,etc.) ou les Macénites (Massenas) voisins des Bavares ou des Masaesyles, en Maurétanie Césarienne. Pourtant, selon Pline l'Ancien (Gaius Plinius Secundus, dit Pline l'Ancien,  23 - 79, Histoire Naturelle, Livre V, 17) les Mauri était une gens importante qui avait soumis un certain nombre de tribus à leur pouvoir et qui durent adopter leur nom. Ils furent peut-être même à l'origine des Masaesyliorum (Masaesyles), en Numidie, dont Camps pensera qu'ils sont originaires d'Oranie et du Maroc oriental   (Lassère, 2001)On comprend alors mieux la postérité qui sera donnée à cette tribu, qui fonde le vaste royaume de Baga, qui étendra peut-être son autorité sur une grande aire géographique, correspondant à une  partie importante de l'Algérie actuelle.  Dans tous les cas, le roi de Baga était assez important pour offrir à Massinissa, revenu d'Espagne, une escorte de 4000 hommes pour pouvoir traverser sans encombre les territoires occupés par Syphax, rejoindre la Numidie et reprendre le trône qu'occupait son père, Gaïa (- 206). La transcription grecque mauros, est aussi un adjectif signifiant "sombre", "opaque", puis "noir", "bronzé" (nigri, en latin), qui deviendra un attribut conféré aux Maures, qui dans l'onomastique romaine, l'emporteront sur bien d'autres  ethnonymes,  les régions en partie habitées par ces Maures devenant des provinces romaines : Maurétanie tingitane (de Tingi : Tanger), partie nord du Maroc actuel et Maurétanie césarienne (parties de l'Algérie et du nord-est du Maroc actuels). 

 

Tite-Live, (op. cité, XXIII, 18, 1), rapporte, selon un annaliste romain, que des Gétules (Getuli) combattaient déjà dans l'armée d'Hannibal de la seconde guerre punique, en 216 avant notre ère. Cette appellation générique ne semble s'imposer qu'entre le Ve et le IIIe s. avant notre ère : Hérodote, traitant des peuples nomades libyens, ne parle pas des Gétules  (Camps, 2002), tant nommés par la suite dans l'onomastique romaine, ce qui montre bien le flou, le manque cruel de connaissances fiables de ces appellations.  La Gétulie (Gaetulia) des géographes antiques court de l'Atlantique, au Maroc actuel, à la Petite Syrte (Syrtis Minor : le Golfe de Gabès), en Tunisie, en passant par le sud de la Mautétanie césarienne, dans l'actuelle Algérie, réunissant un certain nombre d'ethnies, en partie nomade, "éparses comme la peau d'une panthère", dira Strabon (op. cit., XVII, 3, 9 ; II, 5, 33),  dont nous ne connaissons les appellations, rappelons-le, que par des étrangers, qui les ont passablement déformés et adaptés à leur propre langue : Musulames, Baniures (Baniurae), Autolotes (Autololes : Autolotae), pour les plus connus, dont un certain nombre s'enrôlèrent dans les armées romaines, s'allièrent à eux, quand ils ne défendaient pas âprement leurs territoires contre tous ceux qui voulaient les assujettir, de l'intérieur ou de l'extérieur.  

 

Ainsi, c'est plutôt à une multitude de peuplades, de tribus qu'il faut penser pour avoir une meilleure idée de la géopolitique antique, non seulement en Afrique, mais dans beaucoup d'endroits du monde. Par exemple, dans la province que les Romains appelleront Numidie,  à cheval sur d'Algérie et la Tunisie actuelles, Pline compte pas moins de 516 populations ! (Rinn, 1885).  

On voit donc bien comment la culture latine antique, en s'appuyant sur de vagues  informations, sans connaissance directe des populations concernées, en latinisant les vocables sans connaissance des langues indigènes, a figé en partie dans l'histoire, par son influence, par sa domination, sa propre construction ethnonymique de l'Afrique du Nord. Et quoi de plus parlant que le nom qui désigne jusqu'aujourd'hui et partout dans le monde, à peine décliné selon les langues, le continent lui-même : l'Afrique.  Car, si on veut suivre Gsell dans l'idée qu'Afri (Afer) serait une population (peut-être de taille insignifiante) dont le nom aurait été latinisé par les Romains, c'est bien les dominations romaine, puis arabe (’Ifrīqiyā), qui consacreront un nom qui aurait pu largement tomber dans l'oubli, mais qui fut finalement attribué à un continent entier.  Les divers témoignages romains  plaçant les Afri dans le proche voisinage de Carthage, on donnera leur nom à plusieurs provinces romaines : Africa, Africa vetus, Africa nova (Numidie) qui, réunies, formeront l'Afrique proconsulaire (Africa proconsularis). 

 

Les toponymes, quant à eux, résisteront  mieux à cette assimilation "phagocytaire" des cultures dominantes,  et beaucoup de racines, de vocables amazighs y ont été préservées et se rapportent à la culture la plus ancienne :  cf. le tableau  toponymique, plus bas. 

afrique du nord-carte mauretanie tingita

 

Carte des populations de la Maurétanie Tingitane (de Tingi : Tanger), d'après les auteurs gréco-latins :  Banioubai (Baniourai, Baniurae, Baniures), Bakouatai (Bacuatae, Baquates), Herpeditanoi, Iangaukanoi, Kaunoi, Makanitai, Maurensioi (Maurusii, Maurensii), Mazikes (Mazices), Metagonitai, Nectibères, Ouakouatai, Ouerbikai, Oueroueis, Ouoloubilianoi, Salinsai, Sokossioi (Soccosii), Zegrenses.

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"Carte des tribus attestées dans les Kabylies après le début du IIe siècle extraite de Desanges, Catalogue des tribus, Dakar, 1962, carte 3. N.B. Les Nababes ont été repositionnés ici dans la vallée du Sebaou." (Laporte, 2011). 

Les ethnonymes cités sont, dans l'ordre alphabétique :  Barzufulitani, Bavares, Feratenses, Fluminenses, Gebalusii, Icampenses, Iesalenses, Isaflenses, Iubaleni, Masat..., Masinissenses, Nababes, Nagmus, Quinquegentanei, Rusuccenses, Ucutamano, Zimizes. 

afrique du nord antique - carte peuples

 

 

"Les peuples du royaume de Maurétanie et de la province d’Afrique Proconsulaire." (Coltelloni-Trannoy, 2003). 

Les ethnonymes cités sont, dans l'ordre alphabétique :  Afri, Baniurae (Baniures), Bavares, Capsitani, Cinithii, Gaetulia (Gétules), Gebalusii, Iubaleni, Masaesily (Massaesyles), Massinissenses, Massyli (Massyles), Mauri (Maures), Mazices (Mazighs), Mazices Regiani Montenses, Musoni, Musulami (Musulames), Musunei, Musuni Regiani, Nicibes, Numidae (Numides), Ouoloubilianoi, Suburbures Regiani, Thudedenses,.  

L'ÉCOLE RÉPUBLICAINE " 3ème Numéro Spécial. MENSUEL. OCTOBRE 1951. L'ALGÉRIE PAR LA GRAVURE. " L'AFRIQUE ROMAINE "

afrique du nord-carte-paul castelnau-192

 

Carte de l'Afrique du Nord : Maroc, Algérie, Tunisie de Paul Castelnau, 1922, augmentée d'appellations berbères, puniques, latins, grecs, arabes, etc. de l'antiquité,  répertoriés dans les tableaux ci-dessous

 

                                                              Sources du tableau toponymique   

 

Agadir  (Allati, 2000)

Alger : 

http://lescolonnesdhercule.over-blog.com/alger-%C3%A9tymologie-et-appartenance-premi%C3%A8re-partie

https://ouvrages.crasc.dz/index.php/fr/49-le-nom-propre-maghr%C3%A9bin-de-l%E2%80%99homme,-de-l%E2%80%99habitat,-du-relief-et-de-l%E2%80%99eau/780-politique-linguistique-et-toponymie-quelle-place-pour l%E2%80%99amazighit%C3%A9-en-alg%C3%A9rie

https://www.express-dz.com/2019/01/31/entretien-avec-le-chercheur-et-ecrivain-rachid-moussaoui-la-toponymie-amazighe-demeure-la-plus-ancienne-la-plus-visible-et-la-plus-vivante-en-algerie/

Altava :  Article de  l'Encyclopédie berbère (par la suite :  EB), initiée par Gabriel Camps († 2002) en 1970, dont la première notice paraît en 1984. L'encyclopédie est désormais en ligne, dirigée par Salem Chaker, publiée par les éditions Peeters, est le fruit d'une collaboration entre IREMAM ( Institut de Recherches et d'Études sur les Mondes Arabes et Musulmans), INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), AIBL (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), OpenEdition Center, l'Université Aix--Marseille et le CNRS.  

https://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/

Annaba : EB 

http://revueafricaine.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/1885_172_000.pdf

Asilah :

https://core.ac.uk/download/pdf/11689788.pdf

https://www.persee.fr/docAsPDF/remmm_0035-1474_1983_num_35_1_1985.pdf

Bejaia :

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02864940/document

https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/bougie

Bizerte :  EB

https://www.persee.fr/docAsPDF/efr_0000-0000_1978_ths_38_1_1487.pdf

Casablanca :   EB 

https://www.raco.cat/index.php/Onomastica/article/view/369745

Ceuta :

http://bnm.bnrm.ma:86/ClientBin/images/book382583/doc.pdf

Cherchell  :  

https://www.persee.fr/docAsPDF/efr_0000-0000_1978_ths_38_1_1487.pdf

Cirta : EB

http://revueafricaine.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/1888_188_000.pdf

Dellys : EB (cf. aussi "Addyma")

https://core.ac.uk/download/pdf/32990641.pdf   (étymologie catalane)

El Jadida :

http://rcs.web.atlantic.magnetomedia.net/fr/historique

Essaouira :  

https://revues.imist.ma/index.php/AMJAU/article/view/20246

Gabès

https://core.ac.uk/download/pdf/50538415.pdf

Kairouan : EB 

Mohand Akli Haddadou, Les berbères célèbres, Alger, Berti éditions, 2003  (Taqirwant)

Kenitra  :

https://www.persee.fr/docAsPDF/bsnaf_0081-1181_1945_num_1942_1_3496.pdf

Larache : Lixus

https://www.persee.fr/issue/efr_0000-0000_1992_act_166_1

Melilla   

https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/283210/filename/3vol.pdf   (rusaddir, akros)

https://books.openedition.org/psorbonne/22703?lang=fr    (rusigada)

Encyclopédie de l'Islam, tome VI, mawsu'a - midad,  ouvrage collectif de  C.E Bosworth, E. van Donzel, W.P Heinrichs, Ch.Pellat ; Leiden, E.J. Brill, 1990 (étymologie Melilla)

Mostaganem : 

http://e-biblio.univ-mosta.dz/bitstream/handle/123456789/2368/Th%C3%A8se%20de%20Magheraoui.pdf?sequence=1&isAllowed=y

Oran : 

https://journals.openedition.org/insaniyat/5690

Oulhaça El Gheraba/Takembrit : 

Bulletin et annales de l'Académie d'archéologie de Belgique, tome premier, Anvers, 1843

https://ouvrages.crasc.dz/index.php/fr/49-le-nom-propre-maghr%C3%A9bin-de-l%E2%80%99homme,-de-l%E2%80%99habitat,-du-relief-et-de-l%E2%80%99eau/773-l%E2%80%99onomastique-berb%C3%A8re-ancienne-et-la-connaissance-du-libyque

Oum er Rabia   

https://www.raco.cat/index.php/Onomastica/article/view/369745

Rabat / Chellah  : 

http://am.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/AM-1904-V01-11.pdf

Safi : 

Emile Laoust. Contribution à une étude de la toponymie du Haut Atlas, Adrär n Deren, d'après les cartes de Jean Dresch, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1942

Sétif : 

https://setif.com/Histoire_Setif.html

http://www.berberemultimedia.fr/bibliotheque/auteurs/Warden_BSG_1836b.pdf

Sfax :

http://www.edusfax.com/sfaxreader/french/1889deClam.pdf

Sidi Saïd / Sidi Kacem :

https://www.persee.fr/docAsPDF/crai_0065-0536_1986_num_130_4_14433.pdf

Sidi Slimane :

https://journals.openedition.org/nda/1419

Skikda : 

http://skikda.boussaboua.free.fr/skikda_histoire_01_toponymie.htm

Sousse : EB  (Hadrumetum)

https://docplayer.fr/56692583-Le-musee-archeologique-de-sousse.html

Tanger :

https://www.persee.fr/docAsPDF/antaf_0066-4871_1994_num_30_1_1232.pdf

Ténès

http://cdesoranai.cluster021.hosting.ovh.net/document/NRP32.pdf

Tétouan

https://www.raco.cat/index.php/Onomastica/article/view/369745

Tipaza

https://acaso.ca/toponymy/?lang=fr  (amazigh, Tafsa)