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 « L'ARISTOCRATIE 
           DE

     L'ÉPIDERME »

Naissance du libéralisme,  La France   ( 4 ) 

Thomas Clarkson, "Essai sur les désavantages politiques de la traite des Nègres", Neuchâtel, 1789, détail du recto de la couverture.

Le dessin du sceau a été créé en 1787 par William Hackwood (sculpteur et mouleur chez le céramiste Josiah Wedgwood) pour la "Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade", au Royaume-Uni. On peut lire le texte suivant : "Am I Not a Man and a Brother? » ("Ne suis-je pas un homme et un  frère ?"

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A l'ombre des Lumières  

              Code Noir   (1685)
 
 
                              Article 44

 

 

 

"Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté..."

 

 

 

 

 

Un certain nombre d'auteurs des Lumières n'avaient pas attendu les mouvements abolitionnistes pour condamner la traite des esclaves (surnommés aussi "bois d'ébène") :

"Traite des negres, (Commerce d’Afrique.)​​ c’est l’achat des negres que font les Européens sur les côtes d’Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d’esclaves. Cet achat de negres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, & tous les droits de la nature humaine."

Encyclopédie de Diderot, article "TRAITE DES NEGRES", volume XVI, 1765, article de Jaucourt.

On se souvient des hypocrisies, des contradictions de Locke, des mensonges mêmes, sur la liberté, de l'égalité, avec ses cris d'orfraie contre l'esclavage "si vil, si méprisant, etc." dans la bouche de ce grand esclavagiste. Il n'y a pas de raison que les élites françaises, pour un certain nombre aussi suffisamment supérieures, aient sur le sujet, dans l'ensemble, des mentalités bien différentes.  En effet,  être contre la traite,  nous allons le voir, ne signifie pas condamner l'esclavage ou la servitude, loin de là.  Il est d'ailleurs intéressant que ce soit le même Jaucourt, qui écrit aussi bien l'article sur la "traite des negres", que celui de l'esclavage, loin d'être tranchant sur la question, bien pétri de contradictions : 

"la servitude s’introduisit par degrés, & vraisemblablement elle a d’abord été fondée sur des conventions libres, quoique la nécessité en ait été la source & l’origine.

(...) 

La loi du plus fort, le droit de la guerre injurieux à la nature, l’ambition, la soif des conquêtes, l’amour de la domination & de la mollesse, introduisirent l’esclavage, qui à la honte de l’humanité, a été reçu par presque tous les peuples du monde. En effet, nous ne saurions jetter les yeux sur l’Histoire sacrée, sans y découvrir les horreurs de la servitude (...)

Il est aisé de comprendre que l’humanité exercée envers les esclaves peut seule prévenir, dans un gouvernement modéré, les dangers que l’on pourroit craindre de leur trop grand nombre. Les hommes s’accoûtument à la servitude, pourvû que leur maître ne soit pas plus dur que la servitude"

(...)

J’aime à songer qu’il est encore sur la terre d’heureux climats, dont les habitans sont doux, tendres & compatissans : tels sont les Indiens de la presqu’île, en-deçà du Gange ; ils traitent leurs esclaves comme ils se traitent eux-mêmes ; ils ont soin de leurs enfans ; ils les marient, & leur accordent aisément la liberté. En général les esclaves des peuples simples, laborieux, & chez qui regne la candeur des mœurs, sont plus heureux que par-tout ailleurs ; ils ne souffrent que l’esclavage réel, moins dur pour eux, & plus utile pour leurs maîtres : tels étoient les esclaves des anciens Germains".

(...)

"Les principes qu’on vient de poser étant invincibles, il ne sera pas difficile de démontrer que l’esclavage ne peut jamais être coloré par aucun motif raisonnable, ni par le droit de la guerre, comme le pensoient les jurisconsultes romains, ni par le droit d’acquisition, ni par celui de la naissance, comme quelques modernes ont voulu nous le persuader ; en un mot, rien au monde ne peut rendre l’esclavage légitime."

(...)

Cependant n’y a-t-il point de cas ni de lieux où l’esclavage dérive de la nature des choses ? Je réponds 1°. à cette question qu’il n’y en a point ; je réponds ensuite, avec M. de Montesquieu​​​, que s’il y a des pays où l’esclavage paroisse fondé sur une raison naturelle, ce sont ceux où la chaleur énerve le corps, & affoiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment : dans ces pays-là, le maître étant aussi lâche à l’égard de son prince, que son esclave l’est à son égard, l’esclavage civil y est encore accompagné de l’esclavage politique.

(...)

Remarquez que dans les états despotiques, où l’on est déjà sous l’esclavage politique, l’esclavage civil est plus tolérable qu’ailleurs : chacun est assez content d’y avoir sa subsistance & la vie : ainsi la condition de l’esclave n’y est guere plus à charge que la condition de sujet : ce sont deux conditions qui se touchent ; mais quoique dans ces pays-là l’esclavage soit, pour ainsi dire, fondé sur une raison naturelle, il n’en est pas moins vrai que l’esclavage est contre la nature.

Sans parler de la méconnaissance totale de l'histoire :

" Les premiers Romains traitoient leurs esclaves avec plus de bonté que ne l’a jamais fait aucun autre peuple : les maîtres les regardoient comme leurs compagnons ; ils vivoient, travailloient, & mangeoient avec eux." 

Encyclopédie de Diderot, article "ESCLAVAGE, DROIT...", volume V, 1755, article de Mr.  le Chevalier de Jaucourt.

Comme Diderot et bien d'autres, ni Montesquieu, ni Voltaire, ne seront à l'aise avec la question de l'esclavage. Si le seigneur de la Brède, semble dresser un tableau très anti-esclavagiste dans la célèbre charge caustique du livre XV (chapitre V) de l'Esprit des Lois ("De l'esclavage des nègres"), le doute demeure sur les réelles intentions de l'auteur dont les idées sur l'esclavage sont teintées d'une hypocrisie partagée par l'ensemble des penseurs des Lumières. Car on ne doit pas oublier d'autres propos du même ouvrage qui se contredisent et qui permettent de comprendre que si Montesquieu est contre l'institution de l'esclavage dans son principe et le refuse dans les pays européens (en France, l'esclavage y est interdit en 1317, par édit royal), il la tolère très bien ailleurs ("l'esclavage y choque moins...", dans d'autres pays, là où "la chaleur énerve", c'est à dire précisément là d'où sont issus les esclaves de la traite  : 


"Mais, comme tous les hommes naissent égaux, il faut dire que l’esclavage est contre la nature, quoique dans certains pays il soit fondé sur une raison naturelle ; et il faut bien distinguer ces pays d’avec ceux où les raisons naturelles mêmes le rejettent, comme les pays d’Europe où il a été si heureusement aboli     (EL, XV, 7).

"Voici une autre origine du droit de l’esclavage, & même de cet esclavage cruel que l’on voit parmi les hommes. 

 Il y a des pays où la chaleur énerve le corps, & affoiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison ; & le maître y étant aussi lâche à l’égard de son prince, que son esclave l’est à son égard, l’esclavage civil y est encore accompagné de l’esclavage politique.

 (EL, XV, 7).

"Inutilité de l’esclavage parmi nous.


IL faut donc borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre. Dans tous les autres, il me semble que, quelque pénibles que soient les travaux que la société y exige, on peut tout faire avec des hommes libres.   (EL, XV, 8).

"Ce que les loix doivent faire par rapport à l’esclavage.


Mais, de quelque nature que soit l’esclavage, il faut que les loix civiles cherchent à en ôter, d’un côte les abus, & de l’autre les dangers." 

 

EL, Livre XV, chapitre XI

"Enfin la navigation d’Afrique devint nécessaire ; elle fournissoit des hommes pour le travail des mines & des terres de l’Amérique. (...)

L’Europe est parvenue à un si haut degré de puissance, que l’histoire n’a rien à comparer là-dessus ; 

EL, Livre XXI, chapitre XXI

Précautions à prendre dans le gouvernement modéré.


L’HUMANITÉ que l’on aura pour les esclaves pourra prévenir, dans l’état modéré, les dangers que l’on pourroit craindre de leur trop grand nombre. Les hommes s’accoutument à tout, & à la servitude même, pourvu que le maître ne soit pas plus dur que la servitude. Les Athéniens traitoient leurs esclaves avec une grande douceur." 

 

EL, Livre XV, chapitre XVI

Voltaire fait sans conteste partie des intellectuels qui ont violemment secoué le dogme religieux, mais il ne le fait pas toujours, loin s'en faut, de manière rationnelle et argumentée, mais révèle, par un certain nombre de ses critiques, une idéologie intolérante,  raciste, antisémite  : 

"Nous n'achetons des esclaves domestiques que chez les Nègres ; on nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l'acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité; celui qui se donne un maître était né pour en avoir.

 

Voltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, 1753

"Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe. Je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe."

Voltaire, Candide, 1759

"Tel a été le principal objet des guerres que les anciens peuples se faisaient, et ce brigandage et ce commerce règnent encore dans toute leur horreur sur les côtes de Guinée, où les Européens le fomentent en allant acheter des noirs pour la culture des colonies d’Amérique. (...)

Les esclaves n’ont aucune justice à réclamer utilement vis-à-vis de gens qui n’ont pu les réduire en esclavage sans violer toutes les lois de l’ordre et de la morale, et tous les droits de l’humanité." 

Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (Turgot, 1766)

"Il n'est permis qu'à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains, soient des races entièrement différentes. Il n'y a point de voyageur instruit qui, en passant par Leyde, n'ait vu la partie du reticulum mucosum d'un nègre disséqué par le célèbre Ruysch. (...) 

Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu'ils ne doivent point cette différence à leur climat, c'est que des nègres et des négresses, transplantés dans les pays les plus froids, y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu'une race bâtarde d'un noir et d'une blanche, ou d'un blanc et d'une noire."

Voltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations... , 1756

"Enfin je vois des hommes qui me paraissent supérieurs à ces nègres, comme ces nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres et aux autres animaux de cette espèce."

Voltaire, Traité de Métaphysique, 1 734

"Tous ces peuples laids sont grossiers, superstitieux & stupides. (...) mais en général ces peuples sont mols, pacifiques, indolens, superstitieux, soumis, esclaves & cérémonieux. (...)  Quoi qu'en général les Nègres aient peu d'esprit, ils ne manquent pas de sentiment" 

 

Diderot, article HUMAINE (espèce) de l'Encyclopédie,  1765, volume VIII.

Ce qui n'empêche pas Diderot de se prononcer clairement contre l'esclavage et annoncer la venue d'un "Spartacus noir" à la tête d'une puissante révolte si rien n'est fait pour y mettre  fin  (Abbé Raynal, L'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, ouvrage collectif, 1770, dite "Histoire des Deux Indes", chapitre 24 du livre XI, édition 1780). Mais l'ouvrage de Raynal semble comme d'autres peu enclin à se forger une opinion tranchée sur la question de l'esclavage : "Tantôt il a l’esclavage en horreur, il le croit inutile et nuisible autant qu’odieux ; et tantôt il cherche à prouver la nécessité des esclaves et les avantages prétendus de la traite des Nègres." (Éphémérides du citoyen, 1772, IIIe partie, p. 173-184).

"Le Noir africain est guidé par la fantaisie ; l’homme européen est guidé par les coutumes."

 

Carl von Linné, Systema Naturae, 1758

"C’est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre."

 

Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, 1764, article TOLERANCE, 

"Enfin vous ne trouverez en eux qu’un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition, et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent. Il ne faut pourtant pas les brûler."

Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, 1764, article JUIFS

"il est bien naturel de penser que le petit peuple nouveau, ignorant, grossier, toujours privé des arts, a copié, comme il a pu, la nation antique, florissante et industrieuse." (Article "Abraham"), "Pourquoi les Juifs n’auraient-ils pas été anthropophages ? C’eût été la seule chose qui eût manqué au peuple de Dieu pour être le plus abominable peuple de la terre." (Article "Antropophage"), ""Leur profession fut le brigandage et le courtage ; ils ne furent écrivains que par hasard." (Article "Job"), 

 

Voltaire, op. cité.

Celui à qui beaucoup accordent  la palme de la tolérance s'avère aussi  misogyne  et homophobe, en même temps qu'un piètre observateur du monde animal  : 

"L'homosexualité, une infamie. Cependant, malgré ces idées si éloignées de nos opinions et de nos moeurs, ce vice était regardé chez les Grecs comme une débauche honteuse toutes les fois qu'il se montrait à découvert et sans l'excuse de l'amitié ou des liaisons politiques. Lorsque Philippe vit sur le champ de bataille de Chéronée tous les soldats qui composaient le bataillon sacré, le bataillon des amis à Thèbes, tués dans le rang où ils avaient combattu : " Je ne croirai jamais, s'écria-t-il, que de si braves gens aient pu faire ou souffrir rien de honteux. " Ce mot d'un homme souillé lui-même de cette infamie est une preuve certaine de l'opinion générale des Grecs. "

"Le penchant des deux sexes l’un pour l’autre se déclare de bonne heure ; mais quoi qu’on ait dit des Africaines et des femmes de l’Asie méridionale, ce penchant est généralement beaucoup plus fort dans l’homme que dans la femme ; c’est une loi que la nature a établie pour tous les animaux ; c’est toujours le mâle qui attaque la femelle."

Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, 1764, article AMOUR SOCRATIQUE.

"toutes les nations qui vivent au-delà du cercle polaire ou entre les tropiques sont inférieures au reste de l'espèce." 


"J'incline à penser que les nègres, et en général toutes les autres espèces d'homme (car il y en a quatre sortes différentes) sont naturellement inférieurs aux blancs..."

David Hume, Essais Moraux, 1741-1742.

"La nature n’a doté le nègre d’Afrique d’aucun sentiment qui ne s’élève au dessus de la niaiserie (...) Les noirs sont si bavards qu’il faut les séparer et les disperser à coups de bâton."

Emmanuel Kant, Essai sur les maladies de la tête, 1764. 

quaker

 

Quakers

C'est au sein des dissidents (dissenters) d'Angleterre, fuyant les persécutions religieuses et se réfugiant dans les colonies américaines, et tout particulièrement dans le mouvement des Quakers, que va commencer de s'élaborer politiquement la lutte abolitionniste. Il s'agit bien sûr ici de celle qui est pensée au sein des sociétés esclavagistes de la traite africaine, car les esclaves eux-mêmes, nous le verrons ailleurs, luttent depuis longtemps comme ils le peuvent, par de nombreux moyens : dès le départ en se jetant par-dessus bord, en se laissant mourir, puis en Amérique, par la fuite ("marronnage"), les fêtes, les danses, les solidarités, la conspiration, la révolte, etc. En 1770, l'assemblée des Amis de la Nouvelle Angleterre adopte une résolution qui engage tous leurs membres à ne plus participer à la traite et donc, à ne plus acheter d'esclaves, mais aussi à se préparer à les libérer  dans un avenir proche (Caron, 2018), 

 

       Quakers    :  ou Trembleurs (de quake, "trembler"), surnoms donnés  à un mouvement religieux qui se nomme lui-même  Society of Friends (" Société des Amis").

Un des tout premiers textes parus sur le sujet est l'ouvrage d'Antony Benezet, publié à Philadelphie en 1771, une Histoire de la Guinée : "Some historical account of Guinea, its situation, produce and the general disposition of its inhabitants. With an inquiry into the rise and progress of the slave-trade, its nature and lamentable effects (...)",  L'auteur est d'origine française, d'une famille de marchands huguenots installés à Saint-Quentin, qui ont fui la France après la révocation de l'Edit de Nantes.

En 1774, les Quakers de Philadelphie décident d'exclure de leur communauté les marchands d'esclaves, et en 1776, tout possesseur d’esclaves qui refuserait de les affranchir (Bourgeois, 2010). En 1775, Benezet fonde la Société de secours aux nègres libres illégalement maintenus en servitude,  qui inspirera les différentes sociétés des Amis des Noirs. L'opposition à l'esclavage lui-même, cependant, n'est pas du tout nouveau dans les pays qui pratiquent la traite atlantique (dit aussi "commerce triangulaire" : Afrique-Amériques-Europe). De Bartholomé de Las Casas à Winstanley, en passant par Jean Bodin ("Six livres de la République", 1576), Michel de Montaigne (Les Essais, 1580) ou Juan Pedro Claver, de nombreux auteurs se sont exprimés sur le sujet. En 1777, l'état du Vermont aux Etats-Unis, inscrit l'abolition de l'esclavage dans sa constitution, l'année suivant celle de l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique.

   la traite atlantique      :  Mais aussi la traite de l'océan Indien, entre Afrique orientale (Mozambique), Madagascar, et les Mascareignes, avec l'île Bourbon et l'île de France, (les futures île de la Réunion et l'île Maurice), au commerce très actif dès 1760).

   Bartholomé de Las Casas    :   Brevísima relación de la destrucción de las Indias (Très bref rapport sur la destruction des Indes), écrit dès 1539 et publié en 1552.  

   Juan Pedro Claver     :  Naturaleza policia sagrada y profana, costumbres y ritos, disciplina y catecismo evangelico de todos los Etiopes, Séville, 1647

Comme tous les essais des meilleurs littérateurs de l'époque, Benezet, comme ses successeurs, aura du mal à échapper à l'idéologie morale dans ses analyses, évoquant "une Afrique « prospère, heureuse, pacifique et bien gouvernée », « presqu’idyllique » (Préface, 32-33)" (Caron, 2018), opposant "l'innocence et la simplicité" (chapitre IV) des Africains à la corruption des Européens  (op. cité).  L'auteur pense qu'il ne faut cependant pas leur accorder d'emblée une liberté entière : traumatisés qu'ils sont pas l'asservissement, "ils pourraient faire ressortir ces mauvaises habitudes, que la peur du maître avait contenues » (XIX, 145).  Il  imagine plutôt  une abolition progressive et contrôlée de l'esclavage, ou encore une colonisation de terres de l'ouest et du sud par les Noirs émancipés, avec l'obligation d'y  vivre et d'y faire fructifier la terre, mais aussi, en louant "leurs services à des Blancs" (146, op cité). Par ailleurs, les vues abolitionnistes des premiers Quackers riches, qui affranchiront des esclaves avant 1780, ne se départissent pas pour autant de leurs richesses mal acquises. 

En 1786, le Quacker Thomas Clarckson publie "An essay on the slavery and commerce of the human species, particularly the African, translated from a Latin Dissertation" (Essai sur les désavantages politiques de la traite des Nègres, par Gramagnac, secrétaire de la société des Amis des Noirs, Paris, 1789), une charge violente sur les conditions de vie des Noirs dans la Traite, de l'Afrique à l'Amérique, soulignant que les premiers chrétiens étaient contre l'esclavage. En 1787, est publiée à Londres "la première oeuvre  rédigée par un Noir" (Bourgeois, 2010), un ancien esclave, Ottobah Cugoano, connu aussi sous le nom de John Stuart, sous le titre Thoughts and Sentiments on the Evil and Wicked Traffic of the Slavery and Commerce of the Human Species. Humbly Submitted to the Inhabitants of Great-Britain, by Ottobah Cugoano, a Native of Africa, traduit en français sous le titre "Réflexion sur la traite et l’esclavage des Nègres" par l'abbé Grégoire en 1808. Car, si  on parle souvent des révoltes d'esclaves, on ne dit pas assez que les Noirs libres ont aussi participé à la lutte pour l'abolition de l'esclavage. Cugoano lui-même appartenait "à un groupe, appelé « Sons of Africa », qui publiait des articles contre l’esclavage et œuvrait à l’amélioration du sort des Noirs en Angleterre" (Bourgeois, 2010). Il est parmi les premiers à dénoncer la colonisation américaine et le traitement inhumain fait aux Indiens :

 

"Personne, sinon des hommes de la nature la plus brutale et dépravée, guidés par l’influence odieuse d’une méchanceté infernale, ne pourrait avoir établi ses colonies dans les différentes parties du monde qu’il aurait découvertes, et avoir traité les diverses nations indiennes de la manière dont les Européens, barbares et inhumains, l’ont fait."

 

"Il peut être affirmé avec assurance comme un fait attesté que toutes les implantations à l’étranger et les colonies ont été établies par le meurtre et la dévastation, et qu’ils [les Européens] ont continué leurs déprédations par l’établissement d’un cruel esclavage et de l’oppression jusqu’à ce jour."   (Cugoano, op. cité)

       abbé Grégoire    :   Henri Grégoire n'a pas seulement défendu l'esclavage des Noirs, mais aussi les juifs, les catholiques irlandais, les parias indiens :

"Les mêmes réflexions s’appliquent aux parias du continent asiatique, vilipendés par les autres castes ; aux juifs de toutes couleurs (car il y en a aussi de noirs à Cochin), dont l’histoire, depuis leur dispersion, n’est guère qu’une sanglante tragédie ; aux catholiques irlandais, frappés comme les nègres d’une espèce de Code noir (the popery law).(De la littérature des Nègres ou recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature, 1808)

En 1787 encore, naît à Londres la Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade ("Société pour l'abolition de la traite des esclaves") et l'année d'après, une association est créée à Paris sur ce modèle, la Société des Amis des Noirs.

morland george-traite des negres-gravure
amis des noirs

Gravure tirée du tableau du peintre anglais George Morland (1763-1804)

 

La traite des nègres, vers 1798, Musée d'Aquitaine, Bordeaux.

Traite des Nègres / Quel contrat infâme, l’un Marchande /ce qui n’appartient à personne/L’autre vend la Propriété de la nature, côte de Guinée

"Paris, Chez Depeuille Saint-Denis Section Bon-Conseil

 

         

 

 

 

Les Amis des Noirs

"Cette avant-garde intellectuelle (Montesquieu, Diderot, Voltaire, Rousseau, Condorcet, Kant, etc.) n’est-elle pas, en dernière instance, la phalange qui légitime les pratiques esclavagistes et accorde du sursis à la condition servile des Noirs en justifiant la nécessité de sa prorogation ? Ne sont-ils pas ceux qui participent à faire perdurer l’esclavage en lui procurant les aménagements qui empêchent les contradictions d’éclater et de faire exploser le système ? Les arguments économiques équivalent-ils les principes éthiques et philosophiques ?"

(Kabirou Gano, 2016)

 

 

 

 

 

On se souvient des hypocrisies, des contradictions de Locke sur la liberté, de l'égalité, des mensonges mêmes, avec ses cris d'orfraie poussés contre l'esclavage "si vil, si méprisant, etc." lui, le grand esclavagiste. Il n'y a pas de raison que les élites françaises, pour un certain nombre aussi suffisamment supérieures, aient sur le sujet, dans l'ensemble, des mentalités bien différentes, et c'est ce qu'a bien montré Louis Sala-Molins dans son livre "Le Code noir ou le calvaire de Canaan" (paris, PUF, 1987).  L'auteur y précise "que la logique juridique de cette époque ne s’est pas gênée de faire cohabiter des termes aussi antinomiques que « droit » et « esclavage » dans un corpus de lois supposé homogène. Il indique dans cet ouvrage que la législation en matière d’esclavage s’accommodait bien de cette monstruosité surtout qu’elle tirait ses lettres de validité de l’autorité de Buffon qui a établi une hiérarchie entre les races en assignant aux Blancs le haut et le bas aux Noirs  (...)  Dans sa classification, les Noirs occupent avec les singes le bas de la pyramide. Notre auteur montre toute la duplicité des Lumières dont la critique ne porte sur les principes qu’occasionnellement ; elle est axée sur les excès des violences inutiles perpétrés par les négriers" (Kabirou Gano, 2016). 

En cette fin de XVIIIe siècle, différents écrits apparaissent pour critiquer l'esclavage et son commerce, la traite négrière, que certains estiment réprouvées par la morale chrétienne, que d'autres estiment économiquement peu rentable : plus grande rareté des captifs, durée de vie trop courte des esclaves (en moyenne, dix ans),  utilisation d'outils rudimentaires au lieu de machines, rentabilité économique, etc. Des signaux d'alarme viennent aussi des négriers eux-mêmes, pour qui la situation se dégrade en Afrique, par la concurrence commerciale européenne, particulièrement entre Hollandais et Portugaiss, mais aussi les conflits entre royaumes africains : "En 1789, Elias Alexandre da Silva Corrêa dresse un bilan pessimiste de la situation des Blancs : les esclaves coûtent plus cher, les affaires vont mal, Luanda entre en décadence, et lorsque les maisons tombent en ruine, on ne les reconstruit plus"  (Randles , 1969).

"L’expérience de tous les temps et de tous les pays s’accorde, je crois, pour démontrer que l’ouvrage fait par des mains libres revient définitivement à meilleur compte que celui qui est fait par des esclaves."

Adam Smith, Richesse des Nations, 1776, Livre I chap. 8 

Condorcet, comme l'ensemble des Amis des Noirs, demande l'abolition progressive de l'esclavage. Dans l'ouvrage qu'il rédige en 1781, nous retrouvons un condensé des positions idéologiques de l'élite européennes sur la question:   

"Nous avons proposé les lois qui nous ont paru les plus sûres pour détruire graduellement l’esclavage, et pour l’adoucir tant qu’il subsistera. On pourrait imaginer que des lois semblables aux dernières seraient capables, non de rendre l’esclavage légitime, mais de le rendre moins barbare et compatible, sinon avec la justice, du moins avec l’humanité. (...)  Tels sont les seuls motifs qui puissent permettre au législateur de différer sans crime la destruction de toute loi qui prive un homme de ses droits."

 

Même si la nature a formé les Noirs "pour avoir le même esprit, la même raison, les même vertus que les Blancs", " on ne peut dissimuler que les Nègres n’aient en général une grande stupidité:  ce n’eſt pas à eux que nous en faiſons le reproche, c’eſt à leurs maîtres.  lls sont baptisés, mais dans les colonies romaines on ne les instruit point du peu de morale que renferment les catéchismes vulgaires de cette église."   

 

Condorcet, Réflexions sur l’esclavage des Nègres, 1781.

Ce qui fait dire à Sala-Molins  :

"Le poids de la malédiction liminaire est tel, l’abrutissement a atteint sa nature dans des profondeurs telles qu’il est quasiment impossible au Noir d’accéder aux avantages de la prédication, à la compréhension de la Bonne Nouvelle, d’avoir quelque disposition aux délices de la vertu. C’est à peine s’il a conscience de disposer d’un potentiel psychique (d’une intelligence, d’une mémoire, d’une volonté, cet être que les instincts les plus bas et les appétits les plus vils tiennent à leur merci et dirigent à leur gré .  (op. cité)

Tout un ensemble de fantasmes encombre la pensée de l'ami des Noirs qui n'a guère pris  le temps de les connaître vraiment :  

 

"les femmes Nègres sont très fécondes"...

 

"Quelques officiers Français ont apporté dans leurs colonies une âme pure ; mais plus occupés du militaire que des lois, faciles à se laisser séduire par l’hypocrisie des colons, révoltés par la corruption des Nègres, qui savent moins cacher leurs vices, et trop peu philosophes pour sentir que cette corruption n’est qu’une raison de plus pour les plaindre et pour haïr leurs tyrans ;"

"Mais supposons que les Nègres soient nécessaires, il ne s’ensuivrait pas qu’il fût nécessaire d’employer des Nègres esclaves. Aussi on établit sur deux autres raisons cette prétendue nécessité. La première se tire de la paresse des Nègres, qui ayant peu de besoins, et vivant de peu, ne travailleraient que pour gagner l’étroit nécessaire ;"  

Condorcet, Réflexions... 

Puis vient l'argument massue propre à empêcher aux Noirs de goûter trop tôt à la liberté :

 "les esclaves sont devenus incapables de remplir leurs fonctions d’hommes libres, on peut (du moins jusqu’au temps où l’usage de leur liberté leur aura rendu ce que l’esclavage leur aura fait perdre) les traiter comme ces hommes que le malheur ou la maladie a privé d’une partie de leurs facultés, à qui on ne peut laisser l’exercice entier de leurs droits sans les exposer à faire du mal à autrui ou à se nuire à eux-mêmes, et qui ont besoin non seulement de la protection des lois, mais les soins de l’humanité".

op. cité

"Nous propoſerons donc, non d’affranchir les Negres à naître au moment de leur naiſſance, mais de laiſſer aux maîtres la liberté de les élever & de s’en ſervir comme eſclaves, à condition qu’ils deviendront libres à l’âge de trente-cinq ans ;"

op. cité

"Avant de placer les esclaves au rang des hommes libres, il faut que la loi s’assure qu’en cette nouvelle qualité, ils ne troubleront point la sûreté des citoyens, il faut avoir prévu tout ce que la sûreté publique peut, dans un premier moment, avoir à craindre de la fureur de leurs maîtres offensés à la fois dans deux passions bien fortes, l’avidité et l’orgueil, car l’homme accoutumé à se voir entouré d’esclaves ne se console point de n’avoir que des inférieurs."

op. cité

Et comme on va léser des propriétaires, il convient de prévoir des compensations de ce dommage : 

"Ainsi, dans la réparation d’une injustice, le législateur peut avoir égard aux intérêts de celui qui a souffert de l’injustice, et cet intérêt peut demander, dans la manière de la réparer, des précautions qui entraînent des délais.

op. cité

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société des amis des noirs

 

 

Saladier aux esclaves

Faïence de Nevers, 1785, saladier polychrome de grand feu à bord chantourné.

Faïencerie de Montreuil-Bellay (Sud de Saumure).

Musée du Nouveau Monde à La Rochelle.

 

 

 

 

 

 C'est donc, pour faire évoluer ce commerce, pour le rendre plus profitable, nous allons le voir, que la Société des Amis des Noirs, dont un certain nombre de futurs Girondins font partie, est créée en février 1788 par Jacques-Pierre Brissot, avec une souscription pour ses membres fixé à deux louis, équivalant à deux mois de salaire d’un ouvrier. On y trouve des personnages de premier plan, entre autres :  Condorcet, Lafayette, Dupont de Nemours, l'abbé Henri Grégoire, Sieyès, le médecin et politicien François-Xavier Lanthenas, Jean-Baptiste Say, mais aussi quelques femmes, dont Helen-Maria Williams, très liée à Say).

 

Si on entend de la part de ces gentils amis beaucoup d'arguments humanistes, ces derniers doivent être interprétés à l'aune de leur projet colonial. S'ils étaient de vrais amis des Noirs, les libéraux seraient pour l'abolition pure et simple de l'esclavage et ne proposeraient pas seulement d'abolir la traite pour élever les esclaves sur  place :

"Nous ne demandons point que vous restituez aux Noirs Français ces droits politiques, qui seuls cependant attestent et maintiennent la dignité de l’homme ; nous ne demandons pas même leur liberté. (…) L’affranchissement immédiat des Noirs serait non seulement une opération fatale pour les Colonies ; ce serait même un présent funeste pour les Noirs, dans l’état d’abjection et de nullité où la cupidité les a réduits. Ce serait abandonner à eux-mêmes et sans recours des enfants au berceau, ou des êtres mutilés et impuissants. (…) Nous vous démontrerons que l’abolition de la Traite sera avantageuse aux Colons, parce que son premier effet sera d’amener cet état de choses, de forcer les Maîtres à bien traiter, bien nourrir leurs esclaves, à favoriser leur population, à les aider dans leurs travaux par le secours des bestiaux et d’instruments qui multiplieront les travaux en les facilitant ; parce que ces Nègres étant mieux secondés seront mieux et davantage, dans le même espace de temps, et par conséquent produiront davantage ; parce que la population noire s’augmentant par elle-même dans les Iles, plus de travaux, plus de défrichements et moins de mortalité en résulteront, puisqu’il est démontré que les Nègres-créoles sont plus laborieux, plus tranquilles, mieux acclimatés, et par conséquent moins sujets aux maladies que les Nègres-africains.

 

L'adresse de la Société des Amis des Noirs contre la traite, 5 février 1790

Les Amis des Noirs en appellent au bon sens : c'est tout l'intérêt du négoce que de se passer de toutes les contraintes de la traite, en multipliant sur place la population des esclaves, en les protégeant des maladies, en les nourrissant correctement et en les traitant sans brutalité. Leur donner la liberté serait même un cadeau empoisonné, vu leur degré de bestialité causé par… la cupidité, bien sûr. Sempiternelle vacuité de la rhétorique des puissants.  Et Mercier de la Rivière est même prêt  à leur donner un peu de "liberté et d'aisance", pour en faire des consommateurs qui "adopteront nos goûts et nos habitudes et consacreront une partie du fruit de leurs travaux à l'achat de marchandises européennes". (L'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, 1767).  Mercier de la Rivière, pas à court d'idées pour alimenter cette société ségrégationniste, aurait fait un bon directeur marketing. L'historienne Florence Gauthier, quant à elle, préfère le ranger parmi "l'aristocratie  de l'épiderme". Il veut établir une colonie formé de quatre  classes : Les Grands habitants (le gratin des propriétaires planteurs), les Petits habitants (petits planteurs libres de cultures vivrières), les ouvriers blancs, libres (artisans) et au bas de l'échelle les "Nègres instruments de la culture" ou "Nègres de culture" (esclaves de peine). C'est une structure aristocratique qui distingue les libres des non-libres, les propriétaires des non-propriétaires, en conformité avec les principes physiocratiques, et Le Mercier établit toutes sortes de règles,  en particulier d'héritage, pour que soit respecté au mieux cet ordre juste et naturel, qui n'est pas qu'une question d'épiderme, mais fondamentalement une question de classe. Ainsi, les ouvriers blancs  « font partie des "faux-frais" et n'existent qu’afin de permettre aux possesseurs du produit net de "former la société".

Le sort des ouvriers libres n’est conçu que comme une forme modifiée de l’esclavage, nécessaire pour que les classes supérieures “forment” la société.  On peut alors préciser que l’idée selon laquelle " les ouvriers font partie des faux-frais " est partagée par Buat-Nançay et La Rivière. De même, l’idée que ces ouvriers " n’existent qu’afin de permettre aux possesseurs du produit net de former la société ", est reprise par La Rivière lorsqu’il théorise le passage de l’état de nature à l’état de société. Que " le sort des ouvriers libres n’est conçu que comme une forme modifiée de l’esclavage" est  aussi une idée commune à ces deux auteurs. »    (Gauthier, 2002)

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province of freedom

 

 

 

 

Incendie du Cap à Saint Domingue en 1793 et révolte des esclaves, gravure vers 1805

MÉMOIRES DES ABOLITIONS DE L'ESCLAVAGE

PÔLE MÉMORIEL NATIONAL DE L'EST DE LA FRANCE

http://www.abolitions.org/

1793  : Troubles et révoltes aux Antilles. 

1794 : Décret de la Convention nationale le 16 pluviôse an II (4 février 1794) qui abolit l'esclavage dans les colonies françaises.

1795 : L'abolition de l'esclavage est inscrite dans la Constitution.

1802 : rétablissement de l'esclavage et de la traite par Napoléon Bonaparte.

1818 : Première Loi interdisant la traite négrière

1827 : Deuxième Loi interdisant la traite négrière.

1830 : soulèvements d'esclaves aux Antilles

1831 : Troisième  Loi interdisant la traite négrière.

1848 : décret d'abolition de l'esclavage de Victor Schoelcher.

 

« Province  of   Freedom »

Le botaniste amateur Henry Smeathman parcourt les côtes africaines pour le compte de Sir Joseph Banks de Kew Gardens. De retour en Angleterre en 1783, il a l'idée de créer un domaine où le travail libre d'hommes blancs et noirs remplacerait la plantation esclavagiste. L'idée n'était pas neuve, Dupont de Nemours, déjà, en 1771, avait proposé un projet d'établissement en Afrique (présenté en 1774 à Turgot), où des noirs libres auraient été employés pour la culture du sucre. Encore une fois, plus qu'une action réellement philanthropique, c'était d'abord une question d'intérêt et de profit, car notre fonctionnaire, préoccupé par le budget de la France avait, par un calcul détaillé, prouvé que le sucre deviendrait ainsi meilleur marché que par le commerce de la traite (Ephémérides du Citoyen, Vol VI).  

Il parle de son projet à Granville Sharp, un abolitionniste anglais qui s'est battu en particulier pour défendre d'anciens esclaves qui s'étaient  "engagés à bord des navires anglais au cours de la Guerre d’indépendance américaine, en échange d’une promesse de libération et d’un pécule pour subvenir à leurs besoins (freedom and land). Ces promesses n’ont guère été respectées, et ces noirs sont dans le besoin. C’est d’abord à ces noirs pauvres que songe Granville Sharp, lorsqu’il publie en 1786 A short sketch of temporary regulations for the intended settlement on the grain coast of Africa near Sierra Leone(Gainot, 2009), "Un bref aperçu des règlements temporaires pour le projet d'établissement sur la côte des grains d'Afrique près de la Sierra Leone"). 

     côte des grains       :   Appelée aussi Pepper Coast, la côte du poivre

Granville Sharp avait choisi d'appeler la nouvelle colonie  Province of Freedom (Province de la liberté) où les hommes s'installeraient sur une base contractuelle, comme dans le "Royaume d'Israël" ou chez les "Saxons du roi Alfred".  Le premier groupe de colons part en 1787, avec parmi eux leur commissaire aux subsistances, l'ancien esclave, d'origine Ibo, Olaudah Equiano (1745-1797), une grande figure de l'abolitionnisme qui publiera son récit autobiographique en 1789 à Londres, sous le titre The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, Or Gustavus Vassa, The African. En fait, le groupe est porteur de trois projets différents : Le projet commercial  de Smeathman, le projet humanitaire de Sharp et un projet d'évangélisation élaboré par la secte de Clapham, avec William Wilberforce, Zacharie Macaulay, John Venn, Henry Thomton et d'autres, pour convertir les païens et pacifier les royaumes africains    (Gainot, 2009).  

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Huile sur toile de James Hayllar, 1864

"Granville Sharp the Abolitionist Rescuing a Slave from the Hands of His Master"

Illustration du procès de 1765 par lequel l'abolitionniste Granville Sharp libère l'esclave Jonathan Stone  de la dépendance se son maître.

 

 

"Alors la Compagnie, occupée à Londres de cet établissement, obtint du gouvernement anglais un acte d’incorporation pour 31 ans ; et quoique les spéculations commerciales ne lui fussent pas étrangères, qu’il entrât même dans ses vues d’étendre le commerce britannique en Afrique, son but principal, son véritable but était d’y porter la civilisation et la liberté. Il fut décidé qu’on établirait entre les noirs et les blancs une égalité parfaite, sans autre distinction que celle du mérite, qu’on donnerait l’attention la plus spéciale à l’éducation, à l’instruction religieuse et morale, sans cependant gêner en aucune manière la liberté de conscience.

Notice sur la Sierra Leone, et sur une calomnie répandue à son sujet contre le gouvernement français, extrait de La Décade philosophique, politique et littéraire, n° 67, 20 ventôse an IV.

Le projet patine, par de nombreux décès et des frictions avec les pouvoirs africains de la région, mais Thomas Clarckson envoie son frère John établir de nouveaux colons, un "établissement philanthropique", soutient-on en France  (Kersaint, convention nationale du 28 novembre 1792). Parmi eux, 1131 noirs, enrôlés par les forces britanniques pendant la Révolution Américaine, contre des promesses de concessions et de franchises : seul un tiers d'entre eux obtiendra "de petits terrains de médiocre rapport" (Gainot, 2009). Mensonges, ruses, cupidité, toujours, de la part des puissants. Les nouveaux colons fondent la ville de Freetown, un peu plus au sud de Grandvilletown, rasée auparavant par le chef  africain Temne. Leur devise : "Liberté, Commerce, Paix et Union".  

Sans entrer dans les détails de l'histoire de la colonie, signalons tout de même l'importance d'un autre groupe formé par des disciples du théosophe mystique et "illuministe" suédois Emanuel Swedenborg (né Swedberg, 1688 - 1772), scientifique, inventeur, théologien, qui s'intéresse à l'Afrique parce qu'il y situe le paradis terrestre, la Nouvelle Jérusalem, où les anges rencontrent les hommes et leur parlent dans une langue pure, et tout particulièrement la ville de Tombuktu (Tombouctou),  la "ville  aux rues d'or" On trouve dans ce groupe, dont parlera l'abbé Grégoire,  le meneur Carl-Bemhard Wadström, ingénieur et ses amis August Nordenskjold, minéralogiste, et Adam Afzelius, botaniste, tous Suédois, associés à la fondation de Freetown.  Wadström avait fondé une société philanthropique, afin de "poursuivre l’amélioration de l’humanité par l’introduction d’un nouvel ordre social", avec à la clef un projet de "civilisation des nègres"  (Gainot, 2009).  Très actif, il fonde à Manchester une entreprise textile (1790), et comme il avait beaucoup observé les tisserands africains, il cherche la méthode d'introduire en Afrique des établissement de ce type. Il rencontre l'abolitionniste Hurford Stone (alors compagnon d'Helen Maria Williams) avec qui il étudie des plans de colonisation libre en Afrique. Ce sera la tentative avortée de la Bulama island association, en même temps que des prises de participation au capital de la Compagnie de Sierra Leone :  des illuminés, peut-être, mais surtout des entrepreneurs, encore une fois, qui pensent avoir trouvé un bon filon.  

"Les colonies se soutenaient par le travail servile. Le Nègre, devenu libre, n’a plus aucun intérêt à soutenir cette prospérité; près de la nature, il ne sent aucun intérêt à soutenir cette prospérité; près de la nature, il ne sent aucun de ces besoins factices qui donnent une si grande activité à l’habitant de l’Europe vieille, policée et corrompue. Si une nourriture grossière, si une faible portion de manioc suffit au nouveau citoyen des Antilles pour satisfaire sa faim; s’il n’a besoin que d’une chemise et d’un caleçon de toile pour couvrir sa nudité, ne regardera-t-il pas comme insensé celui qui voudrait l’engager dans des travaux qui doivent ruiner ses forces, l’arracher sans cesse d’auprès de sa compagne, en lui offrant, pour dédommagement, des mets que son palais grossier ne peut savourer, ou un habit dans le goût européen ?"

Horace Say, article de La Gazette nationale de France, « Réflexions sur l’état des colonies dans les Indes occidentales, et sur la nécessité de former ailleurs d’autres établissements »,  30 pluviôse an IV (19 février 1796).

 

 

 

 

 

En 1794, Wadström écrit son ouvrage de référence, An essay of colonization.  Il s'installe en France et, conseillé par l'abbé Grégoire, il met au point le projet de colonisation nouvelle qui fonde la Société des Amis des Noirs et des colonies (1797). Le journal de La Décade philosophique, politique et Littéraire (1794-1807) sera leur principale vitrine, offerte en particulier aux dirigeants du Directoire  (Gainot, 2009).  Voici comment Charles Thérémin, de la Société des Amis... accueille la participation de Walström :

 

"il est rempli des mêmes vues philanthropiques que l’ouvrage de notre auteur (Montlinot). M. Wadstrôm veut, comme lui, civiliser les nègres au lieu de les acheter et de les vendre ; il propose de former sur les côtes d’Afrique une colonie européenne qui puisse remplir ce but, et enseigner aux africains la culture de la terre et les principaux arts mécaniques : il partirait lui-même avec ses colons et dirigerait l’établissement ; mais dans son plan, ce serait une entreprise particulière, non un système de transportation pour le compte du gouvernement."

La Décade philosophique, littéraire et politique, n° du 10 messidor, an V (28 juin 1797)

  An essay of colonization      :  traduit en français en 1798 sous le titre Précis sur l’établissement des colonies de Sierra Leone et du Boulama à la côte occidentale de l’Afrique.

    Montlinot         :  Charles Leclerc de Montlinot, Essai sur la transportation comme récompense, et la déportation comme peine , 1797

Avec la colonisation nouvelle, les élites françaises dressent un nouveau tableau idéologique qui encadre avantageusement la sombre période de la traite négrière. Une large propagande en est fait, que ce soit auprès du public par la Décade, ou par voie plus officielle des hauts fonctionnaires du Directoire comme Denyau de la Garenne, ou Talleyrand, ministre des Relations Extérieures, avec son Mémoire présenté par à l'Institut National, qui dépeint une histoire du monde divisé en plusieurs stades évolutifs de développement. La colonisation européenne a d'abord installée des colons fermiers sur des terres vierges, c'est la colonisation ancienne. Puis, par le travail servile et l'économie de plantation, a eu lieu la colonisation moderne.  Celle-ci condamnée, elle laisse la place à la colonisation nouvelle, fondée le travail libre, effectué sur différentes  modes : indépendance, salariat, coopérative. 

Mais attention, nous dit Grégoire, s'il n'y a pas de peuple inférieur à d'autres, chacun ne se trouve pas au même niveau de processus civilisationnel. C'est pour cette raison qu'il souhaite que "L’humanité, la liberté, la justice, puissent renaître enfin dans les contrées africaines, expier les crimes de l’Europe, éclairer, consoler, civiliser les Nations, qui ont les mêmes droits que nous, et qui peut-être rempliront mieux leurs devoirs."  (Henri Grégoire, Notice historique sur la nouvelle colonie de Sierra-Leone, 1795). Toujours ces ces artifices rhétoriques contradictoires qui permet, dans toutes les situations, de conserver malgré tout le pouvoir, le contrôle de la situation. En d'autres termes, l'établissement de Sierra-Leone est un nouveau départ :

"Un point de départ pour l’exploration de l’intérieur du continent, afin d’en étudier les peuples et l’histoire naturelle, pour y porter les inventions utiles de l’Europe, les principes de la civilisation, les idées de morale. Il y a ainsi un but missionnaire ; visiter les nations noires, prendre contact avec les rois, gagner leur confiance, et les engager, par le sentiment de l’humanité, tout autant que par celui de leur propre intérêt, à renoncer au trafic des esclaves.

La Décade philosophique, n° du 30 nivôse an VI (19 janvier 1798) ; "Quelques détail sur les disciples de Swedenborg tirés du Voyage en Suède de M. Lenz de Schnepfenthal".

 

 

 

 

De 1795 à 1797, l'explorateur écossais Mungo Park effectue des voyages pour le compte de l'African association, qui mêle comme d'autres des "préoccupations humanitaires et préoccupations mercantiles (Gainot, 2009).  Il  évoque des sociétés  "où l’esclavage est un mode de vie immémorial, mais par cela même, fortement structurées selon des logiques sociales et politiques qui ne doivent rien aux valeurs dominantes de l’abolitionnisme occidental ; rentabilité du travail, philanthropie, rationalité de l’échange. L’établissement libre de la côte était profondément étranger à ces réalités ; l’Afrique n’était pas en attente d’une révélation."   (op. cité). 

                   

                      BIBLIOGRAPHIE   

 

 

BOURGEOIS Frank, 2010, "Ottobah Cugoano, premier auteur antiesclavagiste noir"
Dans Études théologiques et religieuses 2010/1 (Tome 85), pages 1 à 22

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2010-1-page-1.htm

CARON, Nathalie, 2018, "Anthony Benezet, Une Histoire de la Guinée", XVII-XVIII, 75 | 2018, http://journals.openedition.org/1718/1358

GAINOT Bernard, 2009, "L’établissement libre de Sierra Leone, et les projets de colonisation nouvelle en Afrique (1783 -1802)." In: Cahiers Charles V, n°46,2009., "L'Empire britannique en héritage: esclavage, abolition, discrimination et commémoration de l'Amérique du Nord à l'Australie.", pp. 71-95

https://www.persee.fr/doc/cchav_0184-1025_2009_num_46_1_1536

GAUTHIER Florence, 2002, "À l’origine de la théorie physiocratique du capitalisme, la plantation esclavagiste L’expérience de Le Mercier de la Rivière, intendant de la Martinique", Actuel Marx, 2002/2 ( n°32)

https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2002-2-page-51.htm#re40no40

KABIROU GANO Mamadou, 2016, "L’impensé d’un humanisme, l’autre paradoxe de Condorcet. Considérations autour des Réflexions sur l’esclavage des Nègres."Dans Topique 2016/4 (n° 137), pages 19 à 30.

https://www.cairn.info/revue-topique-2016-4-page-19.htm

RANDLES William Graham Lister, 1969, "De la traite à la colonisation : les Portugais en Angola. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 24ᵉ année, N. 2, 1969. pp. 289-304;  https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1969_num_24_2_422054

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