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                         document annexe :

             Les sociétés  utopiques      [ 7 ]

    XVIe - XVIIIe siècles   

Peter Cornelius Plockhoy

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Peter Cornelius van Zurick-Zee,

 

The way to the peace...,

 

                 1659

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Peter Cornelisson van Zerik-Zee

 

A way propounded to make the poor...

 

              Londres, 1659

C'est en 1659 que paraît The Way to the Peace and Settlement of These Nations Fully Discovered in Two Letters, Delivered to His Late Highnesse the Lord Protector, and One to the Present Parliament..., une brochure (28 pages) du Hollandais Peter Cornelius van Zurick-zee (dit Pieter Plockhoy,  Pieter Cornelis/Corneliszoon Plockhoy van Zierikzee (en Zélande/Zeeland) ou , vers 1620-1700), de parents mennonites et dont on sait peu de choses. Ce livre n'est pas consacré à ses projets d'utopie sociale avant tout, mais expose surtout ses solutions de paix religieuse, au travers d'idées de laïcité  bien trop en avance sur son temps, puisqu'il ne propose pas moins que la séparation de l'Eglise et de l'Etat (Mertens, 2003), au travers de pratiques originales de la religion chrétienne, qui réuniraient dans chaque ville tous les chrétiens de différentes obédiences, qui se préoccuperait plus de leur  foi commune et de l'instruction du Christ, plutôt que des "subtilités du clergé", plus tourné vers le lucre que la vrai foi, clercs catholiques et protestants étant renvoyés dos à dos quant à leur responsabilité dans la situation que connaissait l'Angleterre. Cette sorte de démocratie religieuse était promue par une école de pensée appelée collégialisme, dont Plockhoy a pu s'imprégner auprès de deux figures principales de ce mouvement, son pasteur Abraham Galenus, dont le fils  Galenus Abrahamsz de Haan (1622-1706) était un grand ami qui deviendra à son tour le pasteur de la grande église mennonite d'Amsterdam ; mais aussi Jacob Otto van Halmael (vers 1618-1676)  à Middleburg/Middlebourg, en Zélande (voir carte Pays-Bas), toujours dans sa région natale.  On sait qu'il a pu s'entretenir avec Cromwell de ses projets utopiques, mais il ne semble pas qu'il lui ait répondu clairement sur le sujet. Il reproduira la pétition qu'il lui a adressée le 4 juillet 1657 dans The Way to the peace..., en 1659, donc. 

Les projets de société idéale de l'auteur paraissent dans une brochure, la même année : 

 

A WAY PROPOUNDED TO Make the poor in these and other Nations happy. By bringing together a fit sutable and well-qualified People unto one Houshold-government, or little-Common-wealth, Wherein every one may keep his propriety, and be imployed in some work or other, as he shall be fit, without being oppressed. Being the way not only to rid those and other Nations from idle, evil and disorderly persons, but also from all such as have sought and found out many Inventions to live upon the labour of others. Whereunto is also annexed an invitation to this Society, or little Common-wealth

"Proposition pour rendre heureux les pauvres des nations d'ici et d'ailleurs. En réunissant le peuple digne et très méritant en un seul gouvernement familial, ou une petite République, où chacun peut conserver sa propriété et employé à un travail ou à un autre, comme il convient, sans être opprimé. Par le moyen non seulement de débarrasser les nations d'ici et d'ailleurs des personnes oisives, mauvaises et tapageuses, mais aussi de toutes celles qui ont cherché et trouvé de nombreuses solutions pour parvenir à vivre du travail des autres. A quoi est également annexée une invitation à cette Société, ou petite République."

Ce titre interminable nous renseigne sur une chose intéressante : Plockhoy veut probablement rassurer le pouvoir qu'il ne fait pas partie de ces niveleurs, tel Winstanley (rappelons que ce dernier avait écrit The Law of Freedom huit ans plus tôt), qui veulent mettre à bas la propriété.  Ce qui n'empêche pas l'auteur de s'exprimer avec une grande clarté sur la domination perpétuelle des forts sur les faibles, de ces "Pharaons temporels et spirituels qui ont exercé leur domination trop longtemps sur les corps et sur les âmes". Il rappelle que les vrai chrétiens doivent être "miséricordieux et s'efforcer d'alléger les fardeaux des hommes, alors que d'autres, à la place, continuent de rendre de les faire peser davantage (comme s’il n’y avait pas assez de mal dans le monde),  par de nouvelles manigances, se dressant tous les jours devant leurs yeux comme si leur volonté était de vexer et de faire pleurer les pauvres (et les pousser à l'exaspération) ce qui les porte à l'excès et à l'émeute.

"À cela s’ajoutent ceux qu'on appelle des personnes spirituelles ou clercs, qui persuadent  les gens (afin qu’ils triment volontairement pour eux) de croire qu’ils prennent soin de leurs âmes, comme s’ils pouvaient aimer l’âme qu’ils ne peuvent pas voir, et n’auraient pas de compassion sur le corps qu’ils voient. Ceci n'est donc que tromperie et mensonges : Revenons à la miséricorde qui est sensible aussi bien aux misères du corps qu'à celles de l’âme elle-même pour parvenir à un ordre ou une société d’amour mutuel, par laquelle  l’opprimé (qui étouffe la plupart du temps) peut être conduit au repos et à son développement."

 

Plockoy fait alors des recommandations concrètes concernant l'allègement du travail, six heures quotidiennes (de 9 à 12 h puis de 15 à 18 h), avec un aménagement d'horaire le matin, pour qui désire "un après-midi de liberté", ou en travaillant davantage un autre jour. De même, les jours d'été, ceux qui ont un travail pénible pourraient commencer le travail "à une heure matinale, quand il fait encore frais, et prendre du repos aux moments chaud de la journée, et profiter de celui-ci pour rafraîchir leur corps et s'appliquer à des exercices utiles pour l'esprit.

 

De manière abrupte, l'auteur nous parle alors des riches comme s'ils n'habitaient pas le même pays : "Les riches (qui n’appartiennent pas à notre Société) qui ont le désir d'habiter parmi nous ne seront pas tenus de travailler, et s’ils désirent parfois s'appliquer à quelque chose, ils donneront le bon exemple à tous les riches oisifs de par le monde, en payant pour leur alimentation, leurs vêtements, leur logement et autres besoins qu'ils seront libres de manifester."  De même, il précise que "Les enfants des riches (qui n'appartiennent pas à notre société) qui viennent à l’école (après avoir trouvé par nous-mêmes les maîtres les plus capables) pour être instruits en sciences des arts et des langues..."

On comprend mieux cette singulière ségrégation quand l'auteur nous explique que "pour jeter les bases de cette entreprise, des hommes capables (comme des Pères) aient réuni assez d'argent pour acheter un morceau de terre, sur laquelle l'agriculteur, l'artisan, le commerçant, le marin, et d'autres (y entrant avec leur biens, de bétail, d'argent ou autres) seront en sécurité.  Ceux qui font partie de notre Société ne seront pas tenu de mettre leurs biens en commun, car (selon le dixième commandement), personne ne devrait convoiter le bien d'autrui."

Et c'est là que l'utopie sociale de Plockhoy se distingue nettement des autres, car elle offre la liberté d'entrer ou non dans la communauté des biens. L'auteur compte sur la bonté, la générosité humaine pour transformer la société, ainsi que, nous le verrons plus loin, sur la supériorité manifeste de son système, qui le fera adopter progressivement dans le reste du monde.  

"S’il y a la volonté d’un cœur réellement libre et généreux d'apporter quoi que ce soit pour augmenter les biens disponibles, ce sera au bénéfice commun, et non pour la propriété privée d'un homme en particulier."

C'est donc un curieux syncrétisme social que tente de formaliser le penseur mennonite, même s'il donne le sentiment de s'engager dans une voie difficile, en conservant dans ses principes la recherche de l'intérêt privé et du profit :  

"S’ils ont l’intention de quitter la Société, ils ne récupéreront pas seulement ce qu’ils ont apporté, mais aussi une part du profit qui a été réalisé depuis qu’ils sont venus à la Société. Si aucun profit n’a été réalisé en leur temps, ils ne recevront rien, afin que ceux qui viennent chez nous ne puissent pas chercher leur intérêt personnel".

 

 "Si quelqu’un, ayant apporté dans la Société de l’argent ou d’autres commodités, désire par la suite  la quitter, il devra être tenu informé du fait que la  somme qui lui sera restituée ne devra pas excéder les cent livres."

Plockhoy pose ainsi des garde-fous à son système mixte, et prévoit aussi que "Dans  le cas futur où la Société pourrait être perturbée ou divisée du fait d'une tyrannie ou d'autre chose, les terres et l'argent mis au patrimoine commun (les créanciers ayant été déjà remboursés)  iraient au bénéfice des pauvres qui n'ont rien apporté à la Société..."

On comprend au fur et à mesure comment l'auteur établit les deux systèmes opposés de propriété privée et communauté des biens, tout d'abord en posant de sérieux freins à l'enrichissement personnel, en prenant des mesures concrètes censées apporter le bien-être aux habitants, et enfin, cherche par divers moyens à faire apparaître le système du bien commun comme le meilleur possible, pour y faire adhérer les plus privilégiés de leur propre volonté :

 

"Notre commerce se développera sans aucun doute pour  au moins trois raisons, la première c'est qu'il n'y aura pas de surenchère des prix, mais que tout sera vendu au prix le plus bas qu'on puisse trouver dans le monde, contrairement à ce qui se fait communément partout. La seconde, c'est que les loyers les plus bas de nos logements et le coût de la vie très bas, peuvent améliorer par leur grande modération toutes les choses. La troisième, c'est que le profit est utilisé pour le bien commun comme pour les gens honnêtes, qu'ils soient de telle ou telle confession."   

L'auteur reviendra plus loin sur l'argument du "juste prix" de la Société, qui n'est pas obtenu, comme dans les sociétés capitalistes, au détriment des travailleurs, mais au contraire, par une politique de justice sociale : 

"Dans la vente de nos produits, étant compris qu'il n'y a pas de coût prohibitif, ce peut être l'occasion pour d'autres (qui ne sont pas disposés à perdre leurs clients) de nous imiter. C''est le bon moyen de débarrasser le monde de cette pratique trompeuse, et nous-mêmes ne vivant pas d'une manière somptueuse et dispendieuse, nous pouvons nous permettre de vendre nos marchandises à un meilleur prix ou d'offrir davantage pour le même argent, grâce à quoi nous atteignons le monde (parce qu'ils obtiennent peu) et restons tout disposé envers eux, au lieu de quoi, ils provoquent et font pleurer les pauvres maintenant quotidiennement, par des débordements et des émeutes."

"Nos Chirurgiens ou Physiciens serviront les Riches (en dehors de notre Société) pour de l’argent, et les pauvres gratuitement ; certains iront à l’étranger pour rendre visite aux patients, et à d’autres moments resteront à la maison, pour parler avec les gens, qui viennent à eux, pour montrer qu’ils tiennent en grande estime la vie et la santé des autres, comme de la leur propre ; cela fera augmenter notre commerce pour le bien commun, par sa renommée répandue  tout autour et de ce que les gens seront sensibles au fait que nous vendons toutes choses à un prix raisonnable, sans les tromper d'aucune façon. 

Ceux qui sont riches (sans la Société) voyant que leurs enfants sont bien élevés, non seulement dans l’artisanat, mais aussi dans les langues, les autres sciences ou encore les bonnes manières, seront très enclins à acquérir nos marchandises pour leurs propres familles"

Plus loin dans le texte, il ajoutera un argument très pertinent, lui aussi bien en avance sur son temps. Au lieu que les patrons (ici "les Commerçants"), comme un peu partout dans le monde, accablent leurs ouvriers de tâches pénibles pour obtenir leurs profits, "les gains obtenus" dans la Société "se feront grâce au bien-être et au réconfort éprouvés par les travailleurs.

Et alors que les commerçants du monde, à la recherche de leur propre profit et avantage, naviguent continuellement entre espoir et peur, désormais, dans notre Société, chacun se préoccupe tranquillement de ses affaires, à l'heure fixée...

On veillera bien sûr à ne vendre que des choses utiles, à défaut de quoi elles devraient être détruites ou brûlées "(quand bien même le magasin vaudrait  1000 livres)"  : C'est encore le problème de la définition de l'utile dans la morale cléricale chrétienne, qui dans son austérité, exclut de ce domaine bon nombre de choses qui touchent au plaisir des sens.  

 

L'auteur appelle donc tous les insatisfaits du monde, de ses gabegies, de ses malhonnêtetés, à les rejoindre :  

"Ces commerçants ou marchands qui sont honnêtes, et ne peuvent pas pourvoir suffisamment à leurs besoins, peuvent (avant qu’il ne leur soit nécessaire de tromper quelqu’un), se tourner vers nous à temps."

"Alors que maintenant les hommes dans le monde se cachent leurs compétences les uns des autres, pour leur propre intérêt privé, ici dans notre société, ils doivent les manifester et les transformer en bien commun :  c'est le le seul moyen de découvrir la hauteur, la profondeur et l'étendue de toutes choses."

On est en droit de se poser des questions sur la cohérence de ce système économique où, visiblement, sont conservées un certain nombre de pratiques qui permettent aux riches de dominer les pauvres (capital, profits, dette, etc.), alors que l'auteur prétend, à de nombreuses reprises, que les riches ne font partie de sa Société.  Il ne cesse d'évaluer les méfaits de la richesse mais la pauvreté continue d'exister dans sa Société, malgré un certain nombre de dispositions sociales, où un certain nombre de problèmes des plus pauvres seraient résolus, non par des lois (presque inexistantes, nous le verrons plus loin), mais par la bonne volonté et la générosité des privilégiés, selon cette miséricorde chrétienne qui avait été le sujet dès l'ouverture du texte (Nous avons  déjà examiné cette contradiction entre acceptation et critique de la richesse chez Jésus lui-même :  voir  critique sociale : le temps judéo-chrétien)

"Toute personne honnête étant tombé dans la pauvreté et l'endettement, par la maladie, le manque de commerce, de travail ou tout autre chose encore, peut être mis au repos, en établissant un accord avec ses Créanciers, qu'ils soient cléments ou sans pitié, pour leur donner tout ce dont ils ont besoin, en pleine satisfaction."

"Tous les six ou douze mois, un bilan de comptes sera dressé, et au-delà d'une somme suffisante pour les choses nécessaires, on reversera le surplus aux hommes et aux femmes, mais aussi  aux jeunes hommes et aux jeunes femmes,  pour que chacun ait  les moyens de donner aux pauvres, ou de faire plaisir à son ami, d'une manière spéciale.

C'est un triumvirat qui gouverne le pays, trois hommes qui détiennent les clefs du trésor, élus à partir de quarante ans par toute la société. Il en va de même pour les autres fonctions à responsabilité (supervision de la viande, des boissons, par exemple), avec six mois de formation et six mois d'exercice. 

"Personne ne doit être choisi pour ses richesses ou son opulence, comme ce que nous voyons se produire dans le monde (pour la ruine de tous les pays) mais pour sa sagesse."

"Les jeunes filles ne seront pas seulement aptes aux travaux ménagers ou à s'occuper des enfants, mais au cas où il leur viendrait l'idée de quitter la Société, elles devront apprendre un bon métier d'artisanat commercial, de sorte que si elles quittent la Société, ou si elles viennent à se marier, elles puissent s'assurer un gagne-pain, parfois en alternance, chacune leur tour, pour pouvoir  continuer à la fois de travailler et d'assurer les travaux ménagers."

"Dans nos maisons, tout le monde exercera son travail avec sérénité, parce que personne n'aura pas plus d'une tâche à l'esprit. Une femme, dans notre Société, quand toutes les choses seront en ordre, n'aura pas plus de raison de se casser la tête à propos du travail qu'une autre dans sa propre famille.

 Plockoy, pour des raisons économiques, propose l'habitat collectif en prenant plusieurs arguments : cent familles vivant séparément abritent cent femmes adonnées aux tâches ménagères alors que le quart suffirait pour un même nombre de familles réunies. Le reste du temps pourrait alors être employé à d'autres tâches, en particulier en compagnie des hommes, pour la collectivité, "ce que beaucoup de femmes préfèrent faire, plutôt que de passer la journée entière ennuyée par toutes sortes de soins"  Cent familles séparées auraient besoin d'autant de fourneaux pour la cuisine, alors qu'une vingtaine suffiraient pour une mise en commun des moyens. L'auteur en profite pour rappeler qu'on ne s'assoit pas au hasard au tour de la table : les hommes en face des femmes, les jeunes hommes près de leurs pères, les jeunes filles aux côtés de leur mère, les enfants appelés tour à tour à table, après avoir précisé plus haut dans le texte que les anciens commandaient aux plus jeunes, en particulier dans les affaires de gouvernement. 

Plockhoy est partisan d'une législation a minima, avec le moins possible de règles et de lois,  "seulement pour les plus nécessaires, et non pour restreindre la liberté des uns et des autres", précise-t-il, laissant les hommes raisonnables éprouver les questions matérielles ou spirituelles par leur propre étude. On a ici de nouveaux signes de cette grande (et exceptionnelle)  tolérance que Plockoy avait manifesté dans son ouvrage précédent sur la cohabitation pacifique (et même coopérative" des religions. Il résume ce propos ici en déclarant que "Tout ce en quoi le Royaume de Dieu ne consiste pas, (qui ne contredit pas l’Écriture ou la raison) doivent être laissées libres, telles la forme du baptême, celle de l'eucharistie ["the Lords supper", NDA] et d'autres, parce qu'en déniant telle ou telle forme, il semble y avoir plus de danger qu'à les laisser se manifester.

 

De la même façon, le Menonnite est un des seuls utopistes à comprendre qu'on puisse ressentir "le désir de posséder des choses, tissu ou autres, plus fines que d'autres", même s'il pense que le vêtement "doit être adapté au corps et pratique pour le travail sans être lié à la mode, à la couleur ou autre chose." Dans ce cas, les gens dépenseront plus mais devront montrer qu'ils continuent d'avoir la capacité d'aider les pauvres. 

Plockhoy est un des très rares auteurs utopiques à parler autant du bien-être des gens, et fait montre d'une sensibilité rare, pour l'époque, sur l'oppression sociale à la fois des hommes et des femmes.

"II "n'y aura pas besoin, dans notre Société, de s'occuper ou de faire des économies en prévision des les périodes de vieillesse ou de maladie ; on prendra plus soin des personnes âgées que des jeunes, des malades plus que des bien-portants, et des enfants aussi bien avant qu'après le décès de leurs parents."

"Les femmes de notre Société ayant perdu leur mari, sont prises en charge, elles et leurs enfants,  alors qu’elles doivent se loger souvent par elles-mêmes,  forcées qu'elles sont  (avec leurs petits) de passer leur vie dans la pauvreté et le chagrin, la plupart du temps."

"Ceux d’entre nous qui désirent se marier..."  (ça change de l'obligation du mariage si couru dans le utopies)

"Les jeunes gens et les jeunes filles sont souvent forcés, faute d'occasions, de passer leurs années dans la solitude, contrairement à leur nature : ils n'auront plus ce problème dans notre Société, quand ils n'auront pas besoin de s'occuper des affaires de la maison ou du ménage". 

"Certains maris et femmes, au lieu de grandir amoureux et d'être aimants, gentils et doux envers leurs serviteurs et leurs enfants...tombent dans une sorte de dérèglement, ils se murmurent les uns contre les autres, prenant des résolutions généralement mauvaises et méchantes, les femmes vivant seules, sont tellement liées à leurs familles, qu'elles ne peuvent aller nulle part avec tranquillité : dans notre Société, au contraire, nous aurons une réponse à tout cela."

Comme certains humanistes ou  réformistes (tel Winstanley), Plockhoy se méfie de l'enseignement, l'interprétation des clercs de la religion, en résumé de la lettre, et lui préfèrera l'esprit, la raison ou la lumière directe de Dieu : 

"On ne doit enseigner aux enfants aucune forme humaine de religion, mais les écrits des saints, les arts naturels, les sciences et les langues, afin que leur compréhension (avant d'avoir l'usage de la raison) ne soit pas gâtée, comme c'est le cas pour la plupart parmi tous les peuples et toutes les nations du monde ; au contraire, cela doit être imprimé en eux, et ils ne doivent croire personne en matière de spiritualité, sauf ceux qui ont l'esprit de Dieu, qui font des miracles comme les prophètes et les apôtres, car notre foi ne doit pas dépendre de la parole des hommes, mais du pouvoir (ou des œuvres merveilleuses) de Dieu : ainsi il n'y aura pas de place dans les coeurs pour  que croissent les sectes, les factions ou  les schismes". 

Pour cette raison, l'église de notre auteur n'en est pas vraiment une mais "un grand lieu de rencontre, pas seulement pour notre famille ou la Société, mais aussi pour tous les hommes de raison, assis en escalier, afin que chacun puisse être vu, avec devant chacun d'eux une surface inclinée, pratique pour y lire ou écrire ;  Avec aussi, un bureau sur un côté, ou à une extrémité, pour lire les Saintes Écritures, à un moment donné, et donnant la liberté à chacun (après cette lecture) de proposer quelque chose pour une mutuelle édification, personne n'étant tenu (à moins que quelqu'un ne le juge opportun) d'approuver ou de contredire les propositions."  

 

Et  Plockhoy de réitérer son attachement à la liberté d'expression  :

"...quand nous nous réunissons,  nous devons laisser aux autres la liberté de parole,  celle que nous désirons pour nous-mêmes, sans attacher personne à notre opinion, en entretenant une solide amitié avec ceux qui ont renoncé à toutes les choses déraisonnables et contraires à l'Écriture, sans achopper sur de quelconques différences, qui n'entravent pas l'amour et la piété : pour nos enfants sans doute, ce seront des opinions divergentes, sans objet en réalité, tant qu'elles n'entravent pas le bien-être commun."

Mais on ne sera pas étonné qu'un Mennonite, fût-il beaucoup plus tolérant que les autres, ne réclame pas en échange un prix moral : 

"La convoitise, les excès, le mensonge et la tromperie, ainsi que tous les maux provenant de la richesse ou de la pauvreté, nous les rejetterons, nous qui maintenons l'égalité, et, le cas échéant, celui qui vivra dans le désordre, l'ivresse, l'adultère, la prostitution, etc. n'aura aucun plaisir dans notre société, il ne sera pas non plus disposé à vivre en compagnie des vertueux, car celui qui fait le mal, hait la lumière et ne vient pas à la lumière, afin que ses œuvres ne soient pas réprouvées, mais qui fait ainsi la vérité vient à la lumière, afin qu'il soit manifeste  que ses œuvres se font en Dieu."

 

L'auteur précise  que la Société comporte seulement quatre sortes de gens : Les Agriculteurs, les Marins, les Maîtres des Arts et des Sciences et les "Artisans habiles et utiles". Il n'est pas anodin que suive une liste de plusieurs dizaines de métiers utiles à la Société, ce qui confirme l'aspect très concret, très réaliste, du projet de Plockhoy : 

Forgeron (de toute sorte)

Charpentier

Charpentier de navire

Briquetier

Maçon

Tailleur de pierre

Laitonnier ("Brasier")

Étainier ("Pewterer, Tin-                                      men")

Plombier ? ("Plummer")

"Founder" ?

Charron

Fabricant de moulins

                ("millwrightes") 

Meuniers 

Boulanger

Brasseur

Boucher

Distillateur d'alcool 

          ("stillars of strong                  water") 

Savonnier-Cirier

           ("tallow-chandler")

Vannier   ("basket-                                 makers")

Brossier

Tourneurs divers

Fabricant d'instruments

Menuisier                                         ("Ioyners"/Joyner/

                              Joiner)

Tisserands divers

Ferronnier ("Fullers")

Teinturier ("Diers")

Tanneur

Courrier (Currier)

Cordonnier

 

 

Pelletier (Skinner)

Gantier

Chapelier

Peigneur (Woll [wool]-                           comber)

Tricoteur

Cordier

Fabricant de voile

Fabricant de filets

Fabricant de compas

Papetier

Imprimeur

Relieur

Peintre

Potier

Orfèvre            ("Plate-

                         workers")

Graveur

Tréfileur ("Wier [wire]-                            drawers)

Epinglier

"Nodle-makers" ?

Fabricant de crochets et                       d'anneaux

              (Hooks and eyes                        maker)

Fabricant de miroir

"Twisters" ? 

Tailleur                      

Boutonnier

Peignier ("Comb-makers")

Tonnelier

Coutelier

Verrier

Colleur ? ("Glue-boilers")

Savonnier  ("sope [soap]                    boyler [boiler]")

"Sak-boylers" ?

Sellier

Tamisier

Lunettier   ("Spectacles-                           makers")

Tondeur (Sheereman/

                   Sheerman)

"Whitstars" ?

Horloger

Barbier

Chirurgien

Médecin ("Physitian")

Le texte se termine par une "Invitation de la Société susmentionnée ou Petite République : démontrant l’excellence du véritable amour chrétien, et la folie de tous ceux qui considèrent ne pas connaître dans quel but   le Seigneur du Ciel et de la Terre les a créés."

Contrairement à la partie très concrète qui précède, l'invitation est un discours théologique. Il confirme aussi le bien-fondé de la communauté des biens, mais conforte surtout beaucoup de vues morales sur la vie chrétienne, qui doit être une vie spirituelle débarrassée d'un maximum de ce qu'il juge, comme la plupart des clercs, des superfluités terrestres. Et là encore, à l'image de Jésus, le réformateur réitère ses critiques contre la richesse sans la condamner expressément :  

 

"Mais à quel point l'amour du Christ dépasse-t-il tous les autres... Abandonnant parmi ses disciples, toute prééminence ou domination de l'un sur l'autre, exigeant que les dons, et les moyens de subsistance dans le monde, (par nécessité et par plaisir) soient communs ;"

"une telle dissimulation et captation d'argent.. de telles disputes pour que tous acquièrent des propriétés inutiles "

Les richesses "sont un fardeau pour les riches, qui les fait remplir leurs maisons de meubles coûteux de toutes sortes, qui pendant de nombreuses années (ou jamais) se leur serviront pas ; ils ont un problème pour les obtenir, des soucis pour les conserver, et de la tristesse pour s'en séparer ;  leurs maisons sont  grandes et spacieuses, de sorte qu’elles contiennent beaucoup de pièces inutiles et vides, et ils se donnent beaucoup de mal et se mettent dans tous leurs états pour les meubler et les remplir. Leurs tissus sont si délicats et si curieux, qu’ils ne peuvent pas s’asseoir n’importe où librement, ni se tenir à l’aise, ni mettre le pied n’importe où sans crainte d'abîmer telle ou telle chose..."

"Certes, d’avoir mangé, d’avoir bu, d’avoir dormi, oui, d’avoir beaucoup lu,  beaucoup écrit, vu, entendu et beaucoup voyagé, ajoutons à cela le fait d’avoir géré un domaine, d’avoir entretenu des chiens, des chevaux et des serviteurs, d’avoir tenu les arts et la connaissance en grande estime, d’avoir aménagé des maisons, d’avoir souvent fait des banquets, d’avoir obtenu des Titres d’Honneur, d’avoir recueilli une collection de nombreux livres ; en un mot, d’avoir été employé et occupé intensément à des choses qui ne se rapportent pas ou n'appartiennent pas au Christ, laissons les être ce qu'elles doivent être : Certainement tout cela...ne satisfait pas Dieu...qu'elles soient consumées dans le feu comme du chaume, que cela laisse les hommes dépouillés et nus...coupable devant Dieu de son temps perdu..."

carte-visscher nicolas-1685-novi belgii.

Carte du cartographe Nicolas Visscher (1618-1679), Novi Belgii Novæque Angliæ nec non partis Virginiæ tabula (Carte de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Angleterre, avec une partie de la Virginie), original de 1656, réédition de 1685, détail.

source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Map-Novi_Belgii_Nov%C3%A6que_Angli%C3%A6_(Amsterdam,_1685).jpg

C'est de retour en Hollande, en 1662, que Plockhoy commence de réaliser concrètement son projet, en obtenant du Bourgmestre d'Amsterdam le droit d'établir sa communauté sur les bords de la rivière Delaware (Zuydt Rivier, South river, à l'époque, voir carte au-dessus), "avec vingt-cinq familles mennonites, environ, qui ont déclaré leur souhait de partir s'installer dans la cité de la colonie de Nouvelle-Hollande". (Leland et Marvin Harder, Plockhoy from Zurik-Zee : The Study of a Dutch Reformer in Puritan England and Colonial America, Newton, Kansas, Board of Education and Publication, General Conference Mennonite Church, 1952, p. 50-51).  Voulant élargir davantage sa communauté, le réformateur publia un premier pamphlet intitulé "Kort en klaer ontwerp...' (Plan bref et concis pour un accord mutuel...). La communauté débarqua le 28 juillet 1663 à Hoere Kill (Horekil,  auj. Lewes, voir carte, plus haut), mais un peu plus d'un an après, la colonie passa aux mains des Britanniques, avec qui il fallut composer. Un document montre que "Cornelis Plockhoy" reçut une subvention pour construire une maison et que lui est sept autres hommes sont devenus citoyens de la Couronne. L'histoire montre qu'ils n'ont pas établi de congrégation mennonite (op. cité) et on comprend aisément ce choix quand on lit les écrits du réformateur, qui voulait, comme Winstanley ou Andreae, encore une fois, aller à rebours des religions officielles pleines de signes extérieurs souvent faux et trompeurs pour une foi plus intérieure, moins formelle, mais beaucoup plus profonde, convictions que Plockhoy avait appris assez tôt de son pasteur, Galenus. Il paraît clair, cependant, que la communauté, qui a laissé très peu de témoignages, était très modeste et n'a pas vraiment prospéré.   

à suivre...

                   

                     

 

                             BIBLIOGRAPHIE   

MERTENS, 2003, "Plockhoy, Pieter Corneliszoon (c. 1620 - C. 1700).", et "Enden, Franciscus van den (1602 – 74)." in The Dictionary of Seventeenth and Eighteenth-century Dutch Philosophers. Vol. 2. Thoemmes Press, p 795–797.

http://users.telenet.be/fvde/index.htm?Works4b

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