Tommaso Campanella
Civitas Solis
document annexe :
Les sociétés utopiques,
XVIe - XVIIIe siècles
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Duodecima Asiae Tabula, Atlas ptolémaïque ( édition du texte géographique de Claudius Ptolémée) par Martin Waldseemüller ( vers1473-1520)
Détail de la carte de Taprobana (Ceylan, Sri Lanka) , imprimée à Strasbourg par Johann Schott vers 1513 / 1520.
Introduction
Thomæ Campanellæ
Civitas Solis
1623
Thomæ Campanellæ
Realis philosophiae...
1623
Tommaso Campanella (1568-1639), moine dominicain originaire de Calabre, (Thomae Campanellae Calabri) écrit son utopie Civitas Solis idea Republicae Philosophicae ("La Cité du Soleil, ou idée d’une république philosophique") en 1602, qui sera publiée en 1623 dans "Realis philosophiae epilogisticae partes quatuor...A Thobia Adami nunc primum editae", Francofurti [Francfort, NDA], Impensis Godefridi Tampachii, (Godefried Tampach, libraire à Francfort), 1623. Le moine calabrais écrit son œuvre alors qu'il est emprisonné depuis 1599 à Naples (Castel Nuovo), pour avoir voulu renverser l'occupant espagnol du Royaume de Naples, en vue d'y installer "une république théocratique et communautaire. Campanella espérait mettre fin à l’exploitation économique et culturelle de la région, de plus en plus isolée du reste de la péninsule. Dans un climat de misère sociale, le royaume était devenu le théâtre de brigandage, de violence et de corruption." (Mercadante, 2008).
L'oeuvre est construite autour d'un dialogue imaginaire entre L'Hospitalier et Le Génois, un capitaine de vaisseau génois (Toutes les citations du livre proviennent de la traduction de Louise Colet (1810-1876) de 1844).
L'Hospitalier : grand maître de l'ordre de l'Hospital, appelé aussi Ordre Saint-Jean de Jérusalem, un ordre religieux catholique, à la fois religieux et militaire, établi pendant les Croisades chrétiennes à la fin du XIe siècle.
La Cité du Soleil est censée se trouver sur l'île de Taprobane (Taprobana), nom emprunté à Ptolémée (IV, 7, ch. IV : voir illustration en exergue) et qui a souvent désigné Ceylan (l'actuel Sri Lanka) par la suite. Au sommet d'une colline, se trouve le temple : "Ce temple est circulaire", habité par "quarante-neuf prêtres et religieux" et son "pavé est resplendissant de pierres précieuses. Sept lampes d’or, qui portent le nom des planètes, brûlent toujours."
Portrait de Tommaso Campanella, gravure burin sur cuivre (calcographie) de Sebastian Furck dans IX pars Bibliothecae Chalcographicae, hoc est Continuatio quarta Iconum virorum illustrium, adiectis singulorum iconibus singulis distichis , Heidelbergae impensis Johannis Ammonii [Jean Ammon, NDA] bibliopolae, 1654.
Le gouvernement du Soleil
Dans cette république théocratique, c'est un prêtre "le Métaphysicien" (il n'aura pas moins de trente-cinq ans), surnommé le "Soleil", qui gouverne "le temporel et le spirituel", et possède une charge perpétuelle, sauf si "un autre citoyen" était, "par sa science et par son génie...plus digne de gouverner que le chef précédemment élu". Cette utopie est une des plus inclassables qui soit. Elle est théocratique, certes, mais la science y occupe une très grande place, et elle fait partie du genre révolutionnaire, puisque les biens sont communs à tous.
"On demande au Métaphysicien d'être quasiment omniscient à la fois dans le domaines des arts, des sciences, du droit, ou de l'histoire du monde entier, et malgré ça "ce qu’on demande surtout, c’est que l’aspirant connaisse parfaitement la métaphysique et la théologie, l’origine, les fondements et les preuves de tous les arts et de toutes les sciences, les rapports de similitude ou de dissemblance des choses". Campanella établit un lien de conséquence entre le degré de connaissances et la capacité de l'homme à faire le bien, ce qui justifie le pouvoir du savant : "D’ailleurs, un homme possédant d’aussi vastes connaissances que notre Métaphysicien fût-il incapable de tenir les rênes de l’État, ne sera jamais ni cruel, ni pervers, ni tyran."
Il est assisté de trois chefs qui, avec lui, sont les seuls magistrats perpétuels et non élus : "Tous les magistrats peuvent être changés par la volonté du peuple, à l’exception des quatre grands dignitaires, qui ne se démettent de leur charge que lorsqu'après en avoir délibéré entre eux, ils la transmettent à quelqu’un qu’ils reconnaissent pour être plus sage, plus apte et plus digne qu’eux de l’occuper." Les magistrats qui président à chaque fonction sont aussi des juges et tous les chefs en-dessous de lui dépendent de son pouvoir : "ils les punissent par l’exil, le fouet, la réprimande, la privation de la table commune, l’interdiction du temple et du commerce des femmes". Par ailleurs, ils appliquent la loi du Talion : "on le prive d’un œil s’il en a crevé un à sa victime, du nez, etc.", et "La peine de mort n’est infligée que par le peuple, qui tue ou lapide le coupable...Parfois, cependant, on permet au condamné de se faire mourir lui-même."
Des trois grands chefs qui dépendent du Métaphysicien, il y a d'abord Puissance, qui connaît tout de l'art militaire et équestre, puis Sagesse, "chargé des arts libéraux et mécaniques, ainsi que des sciences" et enfin, Amour, chargé des besoins élémentaires de la société, s'occupant tout "spécialement du soin de la génération, c’est-à-dire, de faire en sorte que les unions sexuelles soient telles qu’elles produisent la plus belle progéniture possible" pour "l’amélioration de la race".
Le charme discret de l'oppression
La propriété n'existe pas chez les Solariens, les richesses sont communes à tous et "le partage est réglé par les magistrats". Ainsi, "en rendant l’égoïsme sans but, ils le détruisent et il ne reste que l’amour de la communauté". Les habitants de la ne Cité "ne connaissent ni le vol, ni le meurtre, ni la débauche, ni l’inceste, ni l’adultère, ni aucun de ces crimes dont nous nous accusons entre nous". Le Solarien "ne travaille pas plus de quatre heures par jour", "passe le reste du temps à étudier agréablement, à discuter, à lire, à faire et à entendre des récits, à écrire, à se promener, à exercer enfin le corps et l’esprit, tout cela avec plaisir".
Renversant l'ordre classique des classes sociales depuis des temps antiques, Campanella fait l'éloge des travailleurs, les artisans étant "très estimés, mais surtout, "les métiers les plus fatigants paraissent aux Solariens les plus dignes d’éloges. Tels sont la maçonnerie et la manutention du fer." A l'inverse, le mépris des habitants va à ceux qui n'apprennent, ailleurs, aucun métier et demeurent dans l'oisiveté : "cette manière de vivre engendre de grands maux pour l’état : une foule d’hommes pervers sortent d’une société pareille comme d’une école de vices."
La Cité du Soleil fait une place à tous les handicapés, moins au nom de la justice sociale que celui de la morale, pour lutter contre l'oisiveté :
"aucune difformité n’autorise un homme à vivre dans l’oisiveté ; les vieillards seuls sont exceptés, et pourtant ils sont encore utiles par les conseils qu’ils donnent. Le boiteux sert de surveillant, l’aveugle carde la laine et choisit la plume pour les matelats et les coussins. La république se sert de la voix et des oreilles de ceux qui ont perdu leurs jambes et leurs yeux. Enfin, ne leur restât-il plus qu’un membre, elle les emploierait dans la campagne, pour surveiller et rendre compte de ce qu’ils voient. Les infirmes sont, du reste, aussi bien traités que les autres."
Mais cette amélioration incomparable des conditions matérielles du peuple se paient très chers, nous le verrons, par une obéissance aux infinités de règles strictes qui ordonnent toutes les sphères d'activité des habitants et privent les Solariens d'un grand nombre de libertés, les femmes étant, comme dans la vie réelle, encore plus soumises que les hommes. La vie privée est inexistante et le contrôle de la communauté sur l'individu est total, soit par la surveillance des chefs, soit pas les citoyens eux-mêmes entre eux, car "les Solariens ne sont jamais seuls, mais toujours réunis par groupes".
Ce sont les magistrats qui, tous les six mois "désignent à chacun le cercle, la maison et la chambre qu’il doit occuper. Le nom de celui qui l’habite momentanément est écrit sur la porte de chaque chambre." Le vêtement est sensiblement le même pour les deux sexes, descendant seulement jusqu'au dessous du genou pour les femmes. De la tête aux pieds, le costume presque uniforme est soigneusement pensé, dicté selon les quatre saisons ("c’est-à-dire, quand le soleil entre dans les signes du bélier, du cancer, de la balance et du capricorne") par le médecin et le préposé au vestiaire, et dans tous les cas, "Tous les habits sont blancs et lavés chaque mois à la lessive ou au savon." (Ce qui donne, aussi, une idée des notions d'hygiène corporelle). A l'inverse,"Tous les Solariens se baignent souvent, selon l’ordre du médecin et du magistrat".
Malgré ce que sous-entend l'auteur ici ou là en terme d'égalité entre les sexes ("Tous les arts mécaniques et spéculatifs sont communs aux deux sexes"), la division des tâches est très marquée, prétendument au nom de l'inégalité de la puissance physique alors que les femmes conservent nombre des activités domestiques. Aux hommes "le labour, les semailles, les moissons, le battage des grains et parfois les vendanges..." mais aussi le travail du fer et des armes, l'usage du tambour et de la trompette. Aux femmes les activités du foyer, bien sûr : En plus de "traire les brebis et à faire le fromage", "Elles cultivent et cueillent les fruits dans les environs de la cité. Les arts qui n’exigent aucun déplacement sont aussi de leur ressort. Elles tissent, filent, cousent, coupent les cheveux et la barbe ; elles préparent les médicaments et elles font les habits...Elles préparent la nourriture et dressent les tables qui sont servies par des jeunes filles et des garçons au-dessous de vingt ans." Toutes ces fonctions sont présidées par des vieillards et des vieilles femmes respectables qui contrôlent, surveillent et "ont le droit de frapper ou de faire frapper les négligents et les indociles." A l'image de ce qui se passe dans les réfectoires des couvents on mange en silence au son d'une lecture spirituelle "souvent interrompue, aux passages remarquables, par un des plus respectables membres de l’assemblée." Ce sont les médecins qui décident de ce que les cuisiniers mettront dans les assiettes. "Les magistrats ont des portions plus fortes et plus délicates, et ils en donnent une partie aux enfants qui se sont distingués le matin par leur travail." De manière assez originale pour l'époque, on apprend que les Solariens, par principe, "ne voulaient pas tuer d’animaux, car cela leur paraissait cruel ; mais lorsqu’ils réfléchirent qu’il était également cruel de détruire les plantes qui sentent aussi, l’homme ne pouvant se laisser mourir de faim, ils comprirent que les choses secondaires sont créées pour les supérieures."
Par ailleurs, le sacrement de la confession individuelle ou publique des chefs ("confession des peuples"), mais aussi une sorte de "sacrifice humain" où le volontaire ("le plus saint s’offre de lui-même") est suspendu à une corde pendant vingt ou trente jours et accomplit une expiation en jeûnant et en priant, "mais Dieu ne veut la mort de personne en sacrifice.". Non, juste le torturer un peu.
Les Sept Cercles
"La cité est divisée en sept cercles immenses qui portent les noms des sept planètes" et les murs intérieurs de chaque cercle témoignent de l'intérêt de Campanella pour la culture scientifique. Sur le premier, sont peintes "toutes les figures mathématiques, en bien plus grand nombre que celles découvertes par Archimède et Euclide" ; sur le second, "toutes les espèces de pierres, tant précieuses que communes, les minéraux et les métaux sont représentés en peinture" mais aussi, à l'extérieur du cercle, "sont désignés toutes les mers, les fleuves, les lacs et les sources qui existent dans le monde, ainsi que les vins, les huiles et tous les liquides, avec leurs origines et propriétés. Des fioles, contenant des liqueurs propres à guérir diverses maladies, sont placées dans des niches creusées dans le mur, et sont ainsi conservées depuis cent jusqu’à trois cents ans. La grêle, la neige, le tonnerre et en général tous les phénomènes météorologiques y sont également expliqués par des peintures et des vers". Le mur intérieur du troisième cercle révèle "tous les arbres et toutes les espèces de plantes. Plusieurs même de ces produits de la terre sont conservés en nature et cultivés dans des vases placés sur la corniche extérieure". Tous les éléments du cosmos interagissent entre eux et les des inscriptions précisent "leurs forces et leurs propriétés, le rapport qu’ils ont avec les métaux, les astres et les parties du corps de l’homme, ainsi que leur utilité pour la médecine." Sur le même mur, à l'extérieur, "sont reproduits tous les genres de poissons qui habitent les mers, les lacs et les fleuves, leur genre de vie et leurs habitudes, leurs propriétés et leur mode de génération, la manière de les élever et leur utilité pour le monde et pour les hommes, leurs ressemblances avec les choses célestes et terrestres, ressemblances produites par la nature ou par l’art." Le quatrième mur extérieur "représente tous les genres d’oiseaux, leurs qualités, leur grandeur, leurs couleurs, leurs instincts, etc. Le phénix y est peint comme existant véritablement." On y trouve aussi " toutes les espèces de reptiles, tels que les vers, les serpents, les dragons, et les insectes, comme les mouches, les taons, les scarabées, etc., avec leurs mœurs et leurs propriétés, bonnes et mauvaises ; qui sont beaucoup plus nombreuses qu’on ne le croit." La représentation "des animaux terrestres les plus parfaits" occupe le cinquième mur et le sixième est consacré aux "arts mécaniques", dont les "instruments sont classés suivant leur importance avec les noms de leurs inventeurs. Le mur extérieur de cette enceinte est orné des portraits de tous les hommes qui se sont distingués soit dans la science, soit dans le perfectionnement des armes et des portraits des législateurs."
"Des professeurs expliquent ces peintures, et les enfants apprennent ainsi presque toutes les sciences et leur histoire avant l’âge de dix ans, sans fatigue, et presque en jouant."
Mens sana in corpore sano
C'est la magistrat Amour, qui est "préposé à l’éducation des enfants, à la médecine, à la pharmacie, aux semailles et aux moissons, aux récoltes des fruits, à l’agriculture, au soin des troupeaux et à ce qui regarde le manger, enfin à tout ce qui a rapport à la nourriture, aux vêtements et à la génération. Il surveille un grand nombre de maîtres, tant hommes que femmes, chargés spécialement de chaque chose."
Dès trois ans, les enfants,"conduits par quatre vieillards très-instruits", apprennent l'alphabet et la langue (toujours sur les murs) , font beaucoup d'exercice physique : course, disque, etc. mais aussi "Ils sortent cependant et vont dans la campagne, où ils s’exercent à courir, à lancer des flèches et des javelots et à tirer de l’arquebuse ; à chasser aux bêtes fauves, à connaître les plantes et les minéraux. Ils y apprennent aussi l’agriculture et l’art de soigner les bestiaux." Ils observent les différents métiers (cuisines, ateliers de peinture, de menuiserie, de ferronnerie, de cordonnerie, etc. "afin que la vocation de chacun d’eux se détermine". A partir de sept ans, ils sont instruits par quatre professeurs, toujours, dans les mathématiques et toutes les sciences naturelles. Plus tard, ils apprendront les "hautes mathématiques ", la médecine et "toutes les sciences". En plus de l'instruction "On les fait discuter entre eux" et ceux qui se distinguent le plus dans telle ou telle sciences deviendront magistrats, le plus considéré étant ceux qui connaît "un plus grand nombre de métiers et les exerce le mieux". Par contre, "Les enfants d’un esprit plus lourd sont envoyés dans les campagnes" : on imagine bien la ségrégation sociale entre ville et campagnes, avec une élite cultivée à la ville et une paysannerie rejetée hors des cercles privilégiés.
On apprend que les Solariens entretiennent régulièrement des relations avec les étrangers, qu'ils accueillent avec hospitalité. On sait aussi qu'ils "connaissent toutes les langues, et qu’ils envoient des explorateurs dans toutes les parties du monde. Ces envoyés étudient les mœurs, les forces, le gouvernement, l’histoire de toutes les nations, et s’instruisent de tout ce qu’elles font de bien ou de mal. Ils rapportent ces notions dans leur patrie, qui en fait son profit. C’est là que j’appris que l’invention des bombardes et celle de l’imprimerie avait été faite par les Chinois avant nous. "
Obsédé par la bonne constitution des corps, le législateur défend "Les jeux sédentaires, tels que les cartes, les échecs, etc.," auxquels il préfèrent des activités physiques : "Les Solariens jouent à la paume, au sabot, ils luttent, lancent des flèches et des javelots et tirent de l’arquebuse".
Les enfants, garçons et filles, apprennent le métier des armes dès l'âge de douze ans, car ils sont environnés de quatre royaumes "très jaloux de leur félicité " et très tôt, on les habitue "à la vue du sang répandu, comme les louveteaux et les lionceaux". Des maîtres les entraînent à "la lutte, à la course, à lancer des pierres, etc. Puis on leur enseigne à frapper un ennemi, un cheval, un éléphant ; à manier une épée, une lance, un javelot, une fronde ; à monter à cheval, à poursuivre l’ennemi, à battre en retraite, à rester dans les rangs, à aider ses compagnons d’armes, à prévenir les attaques et à vaincre."
Cependant, les femmes apportent le plus souvent leur aide à l'arrière des combats (Elles sont sentinelles le jour, "savent fondre des balles et les lancer, à l’aide d’une arquebuse, écraser l’ennemi du haut des créneaux, avec des pierres, et soutenir son attaque"), mais ce sont les mâles qu'on célèbre. Au moment du danger on en écarte les femmes et les enfants, et "Après la bataille, ces femmes et ces enfants félicitent les guerriers et pansent les blessés, et les réconfortent avec des caresses et de douces paroles, qui produisent un effet merveilleux". "Celui qui monte le premier à l’assaut reçoit une couronne de gazon, aux applaudissements des femmes et des enfants", etc.
La procréation divinement assistée
C'est de la bonne perpétuation de l'espèce, dont se soucient les maîtres des Solariens, et pas du bien-être individuel : "Nous croyons que la nature exige que nous connaissions et que nous élevions ceux que nous engendrons ; que nous ayons une maison, une femme et des enfants à nous. Eux le nient et pensent, avec saint Thomas, que la génération est faite pour conserver l’espèce et non l’individu. La reproduction regarde donc la république et non les particuliers" qui "engendrent et élèvent très mal leurs enfants". Par ailleurs on accouple aussi beaucoup d'animaux domestiques au moment favorable "selon les lois de l'astrologie".
Comme, les autres activités des Solariens, la reproduction, étrangement indépendante du concept du mariage, est encadrée par des matrones et des vieillards. Pour cela il ne faudra pas être âgé de moins de 19 ans pour les femmes, 21 pour les hommes, sauf dérogation, pour chauds lapins, "de crainte qu’ils ne satisfassent leurs passions par des moyens contre nature". Le délit de sodomie, bénéficie d'une indulgence la première fois (les coupables "sont réprimandés et condamnés à porter pendant deux jours leurs souliers pendus au cou"), mais peut conduire graduellement à la peine de mort après plusieurs récidives. Etre chaste à l'âge 21 ans et encore mieux, à 27 ans, fait des Solariens des citoyens 'honorés et célébrés par des vers, chantés à leur louange, dans les assemblées publiques." Durant les jeux publics, hommes et femmes affichent une nudité complète qui permet aux magistrats de trier ce bétail humain, en voyant "quels sont ceux qui, par leur conformation, doivent être plus ou moins aptes aux unions sexuelles, et dont les parties se conviennent réciproquement le mieux. L'acte sexuel est encadré dans les moindres détails :
"L’homme et la femme dorment dans deux cellules séparées jusqu’à l’heure de l’union ; une matrone vient ouvrir les deux portes à l’instant fixé. L’astrologue et le médecin décident quelle est l’heure la plus propice ; ils tâchent de trouver l’instant précis où Vénus et Mercure, placés à l’orient du soleil, sont dans une case propice à l’égard de Jupiter, de Saturne et de Mars, ou tout à fait en dehors de leur influence".
"C’est après s’être baignés, et seulement toutes les trois nuits qu’ils peuvent se livrer à l’acte générateur. Les femmes grandes et belles ne sont unies qu’à des hommes grands et bien constitués ; les femmes qui ont de l’embonpoint sont unies à des hommes secs, et celles qui n’en ont pas sont réservées à des hommes gras, pour que leurs divers tempéraments se fondent et qu’ils produisent une race bien constituée." Cette obsession d'une saine perfection "de force et de vigueur" va si loin que seraient punies de mort les femmes " qui farderaient leur visage pour s’embellir, se serviraient de chaussures élevées pour se grandir, ou porteraient de longues robes pour couvrir des pieds défectueux."
Pour les magistrats le délai d'abstinence est encore plus long, "Car le travail affaiblit chez eux les esprits vitaux, leur cerveau, sans cesse tendu par la pensée, ne transmet pas les mêmes forces génératrices, et ils ne peuvent produire qu’une race débile. Pour y remédier, on leur choisit des femmes vives, fougueuses et belles. Et par la raison contraire, on ne livre aux hommes actifs, énergiques et, pour ainsi dire, furibonds, que des femmes grasses et d’un tempérament doux."
"Lorsqu’une femme n’a pas conçu par suite d’une première union charnelle, on l’unit sexuellement avec un autre homme. Si enfin elle est reconnue être stérile, elle devient commune. Mais, en ce cas, on ne lui accorde pas les honneurs dont jouissent les mères, ni dans le conseil de la génération, ni à table, ni dans le temple" (là encore, seules les femmes sont stigmatisées pour des faits dont elles ne sont responsables).
Plus encore qu'une théocratie, donc, la cité de Campanella se révèle être plutôt à la fois une gérontocratie (du grec gérôn, vieillard et kratos, pouvoir), où les Anciens gouvernent, mais aussi une épistémocratie (du grec epistêmê : science et kratos : pouvoir), avec pour chef suprême un génie, le plus grand de tous les savants : " C’est le propre du génie d’approfondir promptement toutes les sciences". Et finalement, Campanella, comme les autres utopistes, nous brosse les traits d'une dictature religieuse conforme au gouvernement céleste de Dieu après la fin des Temps, qui assure le bien-être des individus au prix d'une renonciation presque totale de sa liberté individuelle et d'une soumission inconditionnelle à ses maîtres.
BIBLIOGRAPHIE
MERCADANTE Constance, 2008, « Le temps du rituel dans La Cité du Soleil de Tommaso Campanella », Cahiers d’études romanes, 18 | 2008,
http://journals.openedition.org/etudesromanes/1707