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Les relents du catholicisme  1e partie

      Travail, Famille, Profit      

                  1871 - 1945

Affiche de Joseph Guérin (Jo99) pour l'exposition de l'association Paï Paï à Angers, mars 2017, détail.

http://www.jo99.fr/

intro

 

 

Introduction 

La droite nationaliste, traditionaliste, réactionnaire, attendait depuis longtemps ce moment où elle pourrait enfin donner matière à ses convictions idéologiques politiques et sociales, et avait eu le temps de  s'y préparer. Nombre d'événements ont secoué ces courants de pensée, dont la morale catholique est presque toujours un pilier : séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905,  révolution russe de 1917, première guerre mondiale de 1914-1918, montée du parti communiste, crise économique et sociale des années trente, Cartel des gauches, Front Populaire, grève de trente-six, etc. Devant un tel ébranlement des mentalités qui, pour une frange conservatrice de la population, menace l'ordre traditionnel de la société, sa morale, sa religion  (très largement catholique),  des voix se font entendre pour dénoncer l'ordre social à leurs yeux en péril et travailler à restaurer les valeurs qu'elles défendent. De nombreux textes idéologiques (au sens qui a été donné dès l'accueil de ce site) fleurissent développant l'idée d'un état fort, autoritaire, bâillonnant  voire supprimant le pouvoir parlementaire par des révisions constitutionnelles. Avant d'en présenter quelques uns, nous allons remonter un peu plus haut dans le temps pour  donner un aperçu de la généalogie la plus directe de ce courant d'idées, dont une partie des racines puise dans la période post-révolutionnaire, avec, en particulier, Saint-Simon, Lamennais, Lacordaire ou Montalembert.

Pour lors, arrêtons-nous à ces moments qui suivent la défaite française de 1870 et qui dynamisent la réflexion de l'intelligentsia catholique menée sur les questions sociales. Les grandes figures de ce mouvement sont Albert de Mun, fils de marquis, de la noblesse de Bigorre, député légitimiste, officier de Saint-Cyr, conservateur, académicien en 1898, mentor et ami de Lyautey (qui sera introduit plus loin) ; Charles-Humbert-René de La Tour du Pin Chambly de La Charce (1834-1924), de noblesse dauphinoise, saint-cyrien, royaliste ; Léon Harmel (1829-1915), appartient à la bourgeoisie, c'est un patron d'industrie ;  Jules Charles Maurice Maignen (1822-1890), issu de la moyenne bourgeoisie ;  Louis-Félix de Roquefeuil Cahuzac (1833-1893), issu de la noblesse du Rouergue, conseiller à la Cour des Comptes.  

La Tour du Pin, dont la foi était "alimentée par un sentiment profond du péché" (Levillain, 1983), et de Mun seront initiés par le père Eck, jésuite, et le docteur Lingens (député du Reichstag en 1871, futur membre du parti catholique Zentrum) à l'histoire du catholicisme social en Allemagne depuis 1848, de laquelle émerge en particulier deux figures de la pensée sociale : Adolf Kolping (1813-1865) et Wilhelm Emmanuel von Ketteler (1811-1877). Kolping, fils de berger, lui-même ancien cordonnier, fonda en 1848 à Elberfeld un foyer d'ouvriers (Gesellenvereine) qui accueillait de jeunes artisans célibataires de 17 à 27 ans dans un environnement familial chrétien. Contre la lutte des classes, voulant faire oeuvre de pacification, de réconciliation, il demandait aux compagnons de de renoncer à la grève, de ne pas participer à des actions subversives.  La critique de l'individualisme libéral de la part de Kopling ou d'autres tenants du catholicisme social allemand autour de von Ketteler, évêque de Mayence en 1850, se fonde en particulier sur le développement de l'industrie, des machines, qui obligent les ouvriers à quitter les ateliers familiaux, abandonnant ainsi des modes de travail traditionnel aux conditions plus enviables que celles des usines où ils ont "à subir les contraintes nouvelles de condition de production : division du travail, emploi instable, dépersonnalisation des rapports avec les supérieurs, les collègues, pertes de qualification, conditions de logement et de vie familiale souvent atroces" (Joseph Ravan, Histoire de la social-démocratie allemande, Collections Historiques, Seuil, 2018). Ketteler lit Marx, prend conseil auprès du socialiste Lasalle, et rédige une critique cinglante de l'exploitation ouvrière : 

« Peut-on figurer quelque chose de plus lamentable que la situation de la classe ouvrière, si nombreuse cependant, offerte chaque jours comme marchandise sur le marché, mendiant le salaire qui doit lui fournir du pain et se disant : "Demain, je n'aurai pas de pain à offrir à ma femme et à mes enfants affamés, nous serons nus et sans abri. » (Von Ketteler, Die Arbeiterfrage und das Christenthum, Mainz, Franz Kirchheim, 1864 :  "La question ouvrière et le christianisme", 1869 : traduction Edouard Cloes, L. Grandmont-Donders, Liége).

 

Le catholicisme social de Ketteler et bien d'autres qui suivront, contrairement à d'autres mouvements d'idée, ne se fonde pas seulement sur une justice ou une morale universelle pour défendre les pauvres, mais avant tout sur la croyance à la doctrine catholique. Ketteler affirme ainsi que tous ceux qui laissent la religion de côté ou la combattent (la pensée rationaliste ou athée en résumé) "ne procureront aux ouvriers quelque soulagement que pour autant qu'ils seront en harmonie avec les préceptes de notre foi (Von Ketteler,  op. cité : 7). Ou encore : "Jésus-Christ et le Christianisme seuls peuvent sauver le monde et en particulier la classe ouvrière.(Von Ketteler,  op. cité : 9). Ce totalitarisme religieux, qui n'admet pas que la religion soit du domaine de la croyance et doit demeurer une affaire privée, personnelle, sera une constante, nous le verrons, dans la pensée du catholicisme social du XIXe siècle  et de la première moitié du XXe, persévérant dans une erreur millénaire qui causa tant et tant de souffrances d'injustices, de guerres, de persécutions, de tortures, d'asservissement des peuples. Par ailleurs, affirmer que "Jésus-Christ n'est pas uniquement le Sauveur du monde" mais qu'il "nous a aussi apporté le remède à tous nos maux dans l'ordre civil, politique et social(Von Ketteler,  op. cité : 7) relève purement et simplement de l'idéologie et du fantasme à propos d'un homme qui a toujours (comme saint-Paul) respecté l'ordre social et les injustices qui en découlent.  Même s'il a critiqué la richesse, Ieshoua n'a jamais dénoncé une quelconque inégalité ou injustice entre les pauvres et les riches (voir : Critique et utopies sociales : le temps judéo-chrétien). 

Parmi les lectures proposées par le père Eck à La Tour du Pin et de Mun, le livre d'Emile Keller, "L'encyclique du 8 décembre 1864 et les principes de 1789, ou l'Église, l'État et la liberté." est pour eux une révélation. S'appuyant sur le Syllabus, un recueil de questions-réponses du pape Pie IX accompagnant son encyclique Quanta Cura (1864), Keller développe l'idée d'incompatibilité entre catholicisme et libéralisme, dont la liberté religieuse concédée aux citoyens ainsi que la neutralité religieuse de l'Etat "conduisent à une religion d'État dissimulée, qui est celle du pouvoir, de l'égoïsme effréné, de l'asservissement des faibles.(Levillain, 1983). 

 

Nous rencontrons-là un premier biais idéologique inacceptable pour tous ceux qui défendent les libertés individuelles : la liberté de croire ou non à la religion, la séparation du pouvoir civil et religieux sont données par l'auteur comme cause de l'asservissement des faibles, ce qui est diamétralement contraire à la réalité historique. C'est la domination, l'asservissement économique,  politique, adossé aux religions, quelles qu'elles soient et depuis la plus haute antiquité, qui a privé les hommes de nombre de libertés, qui ont apparu avec la fin du pouvoir religieux sur les corps et les esprits.  Alors Keller, promeut une "réconciliation" entre liberté et autorité, faibles et puissants, riches et pauvres. Déniant au christianisme le fait de n'être qu'une croyance, réaffirmant souvent "la vérité" de l'Eglise qu'à ce titre, il déclare "la vérité religieuse, source première de vérité sociale". Profondément archaïque, la thèse de Keller défend une Eglise, une religion d'Etat : "loin de condamner les aspirations larges et généreuses qui marquent si bien la supériorité des temps chrétiens sur l'antiquité païenne" mais qui "ne peut admettre...de ,ne pas être elle-même à la tête de ce grand mouvement libérateur."  Ou encore : "l'Eglise, forte de sa foi et de ses dix-huit siècles de vie, proclame que, portés au mal dès leur naissance, les hommes et les peuples ont besoin de son secours et de son autorité pour se soutenir et pour progresser dans l'ordre temporel, aussi bien que dans l'ordre spirituel.(Keller, L'encyclique..., op. cité : 17). Voilà donc le message nouveau du catholicisme, se rattachant à des idées aussi archaïques que totalitaires.

D'autre part, l'auteur, par une série de positions contradictoires, logiquement intenables, défend à la fois une Eglise qui affirme que "le socialisme et le communisme...menacent la famille et la propriété" (op. cité : 17), tout en s'appropriant la plupart de leurs idées, comme "le partage de la société en deux classes : d'un côté ceux qui n'ont rien et qui, n'étant jamais sûrs de leur lendemain, vivent au jour le jour de leur travail ; de l'autre, ceux qui détiennent le capital, c'est-à-dire les instruments de  travail, la terre, l'argent, les machines, et qui, par là, sont à la fois indépendants et maîtres du sort de l'ouvrier.(op. cité : 251).  Si l'auteur dénonce à plusieurs reprises "la grande propriété capitaliste", "la domination du capital", "l'aristocratie financière" ce n'est pas pour repenser les fondements de la propriété, mais pour prévenir de "la ruine des petits patrimoines, qui est la plaie du moment.(op. cité : 252) : "voilà qu'à votre porte, au nom de la liberté, viendra s'établir un puissant manufacturier, armé de capitaux et de machines, aussi sûr de venir à bout de ses petits concurrents..." (p. 255) Keller s'indigne (à juste titre) du fait que la Révolution n'a guère réglé ni le problème des classes sociales, ni la pauvreté, ni celui de la liberté ("libre de faire sa fortune...oui, à une condition, c'est déjà d'être riche" p. 253), ni celui de l'instruction, et d'avoir troqué une ancienne féodalité pour une autre, industrielle, cette fois. Il affirme que  le premier usage à faire de la souveraineté serait de "partager plus équitablement les biens de ce monde(op. cité : 253). 

 

Cette charge contre les maux du capitalisme, prend l'eau non seulement en érigeant l'Eglise en vérité et guide absolus du peuple, mais aussi en défendant une société de petits propriétaires, sans parler de son pseudo-intérêt pour un prolétariat "imbu de toutes les idées modernes, dégagé de tout patronage et de toute autorité, livré sans défense et aux provocations d'un luxe effréné, et à la contagion des utopies politiques et sociales." (op. cité : 252). Le projet social de Keller : "Comment donc créer la liberté du travail, sinon en assurant aux ouvriers un patrimoine individuel et collectif ? Comme les associer, sans péril pour la paix publique, sinon en leur donnant assez d'aisance, et en leur inspirant assez de vertu et de modération pour ne pas assurer de leur force."  Et la morale revient comme d'habitude au galop, Keller ne prenant même pas conscience qu'il finit par rejoindre les libéraux dans un mépris social identique. 

On comprendra alors aisément comment cet humanisme au ventre mou ait pu attirer les aristocrates chrétiens lui qui, suivant la voix de Pie IX, pouvait leur faire dire : "à l'exemple de nos aïeux, nous pouvons être partout, même sous les régimes les moins chrétiens, non des rebelles ni des rétrogrades, mais les hommes les plus utiles à leur temps et à leur pays, les citoyens les plus dévoués au pouvoir et à la liberté véritable, les ouvriers pacifiques du progrès et avant tout, les libérateurs des pauvres, des faibles, des opprimés."  (Keller, L'encyclique..., op. cité :  24).  Nous sommes là dans la plus parfaite orthodoxie chrétienne, personnifiée par Jésus-Christ lui-même, qui "prend le siècle tel qu'il est avec son capitalisme, son industrie, son prolétariat (...) Mais  s'il défend le progrès, c'est du progrès moral qu'il s'agit, de l'émancipation universelle des consciences et non des individus.(Levillain, 1983 : 174).  

 

La manière dont Albert de Mun vivra la Commune de Paris illustre on ne peut mieux ce à quoi peut conduire le magma idéologique de Keller.  De Mun relate cet épisode dans "Ma Vocation sociale", et expose sa vision des deux camps, d'un côté "L'ignorance de la classe ouvrière sur les principes authentiques qui devaient gouverner les rapports sociaux" et de l'autre "l'aveuglement de la bourgeoisie sur la gravité d'un mal qu'elle avait engendré par son goût du profit devaient nécessairement, selon lui, produire à nouveau les mêmes effets".  (Levillain, 1983 : 179).   On le voit bien depuis le début, le regard que porte de Mun et ses  congénères privilégiés n'ont rien à voir avec la réalité de la condition ouvrière. Les uns et les autres ne vivent pas dans le même monde, selon la formule consacrée. En plus de son indemnité parlementaire Albert de Mun touche une rente de son père qui quadruplait ladite indemnité. On aura donc du mal à le plaindre pour sa gêne financière ou son endettement, principalement dû au "niveau de vie lié au milieu social de naissance"   (Levillain, 1983 : 195)  : éducation des enfants, personnel de maison, dépenses politiques, etc. Des problèmes de riches, dit-on : "Par rapport à la richesse moyenne des Français de l'époque, le revenu annuel de la famille de Mun était considérable." (op. cité : 204). Son fils Bertrand épousera une demoiselle Werlé et devient le dirigeant de la Maison Veuve Clicquot en 1907, sa fille Marguerite s'était marié à Monsieur Hennessy : "Ces alliances ouvrirent à la famille les portes du grand capital(op. cité : 207).  Après avoir récolté par chapelets les griefs contre le grand croquemitaine du Capital, on sourit et on comprend mieux comment le "catholicisme social" des bonnes familles, dont la définition est décidément plus morale qu'économique, et en résumé, purement idéologique.

 

S'il est incontestable que de Mun fut un des premiers à  jouer un rôle important dans les premières lois améliorant les conditions de travail des ouvriers, tout ce qui vient d'être dit des conditions ploutocratiques dans lesquelles elles se forment obligent à les considérer de manière critique.  Puisque de Mun et ses amis acceptent la grande inégalité de richesses, leurs buts sociaux ne peuvent pas être de faire un jour des ouvriers leurs égaux. De la même manière que les libéraux, ils savent, rappelons-le, qu'on ne peut tirer sur la corde indéfiniment et conserver une armée de travailleurs dociles sans les ménager. La part de compassion des patrons du christianisme social ne fait pas de doute, mais l'écrasante part idéologique sur le contrôle, du façonnage de l'existence des pauvres nous impose de relativiser cette générosité. On doit cependant à de Mun de nombreuses propositions de lois sociales, mais elles permettent encore largement le travail des enfants : Interdiction de travailler avant 13 ans pour les garçons, 14 ans pour les filles (dans le premier quart du XIXe siècle Robert Owen réclamait déjà l'interdiction pure et simple du travail des enfants) ; travaux de force réservés aux garçons de plus de 16 ans ; journée de travail limitée à onze heures, puis dix heures par jour, (Thomas More, au tout début du XVIe siècle, imaginait déjà une journée de huit heures dans son Utopia) ;  Instauration d'un repos dominical (pour que le travailleur puisse aller à la messe, bien sûr) ; établissement de différentes protections sociales : retraite, vieillesse, congé de maternité, suppression de travail de nuit pour les femmes et les enfants, salaire minimum, protection des ouvriers syndiqués, etc.  A la différence des libéraux, il paraît évident que le capitalisme social est prêt à payer un prix plus important pour éviter à tout prix la lutte des classes (une de ses hantises) en évitant au prolétariat la condition de bête de somme et en  permettant à ses membre de devenir plus disponible à l'endoctrinement catholique. 

Un autre exemple de ce catholicisme social peut-être illustré par Léon Harmel (1829-1915), industriel, héritier d'une filature de laine à Val des bois,  dans la vallée de la Suippe, sur la commune de Warmeriville, tout près de Reims. Le père, déjà, Jacques Joseph, avait développé une politique sociale très paternaliste faite de caisse d'épargne, de prêt sans intérêt, de secours, d'écoles religieuses de garçons et de filles, de crèche, d'assurances contre les accidents, etc. Le fils Léon créera quant à lui une bibliothèque, un théâtre, une chorale, etc. Toute cette activité sociale, tendue vers "le salut" de ses ouvriers ne doit pas cacher ce que lui ont rappelé les patrons du Nord dans une brochure, quand il est entré en conflit avec eux : Le "patron modèle" payait des salaires inférieurs à ceux des filatures de laine de Roubaix-Tourcoing, et faisait travailler son usine la nuit. Pour Hamel, ce n'était pas important : "la question  sociale est avant tout une question d’égards"  disait-il à l'envi. Mieux encore : "Aussi est-ce surtout dans les masses populaires qu’il faut aller chercher les réserves de salut social parce que l’austérité forcée de la vie, le travail et les souffrances sont les ressorts qui maintiennent l’humanité près de Dieu.(in Pierre Trimouille, Léon Harmel …, Rapport au congrès national de la Démocratie chrétienne à Lyon., 27 novembre 1896, p. 117). D'évidence,  sa mentalité se rattache à toute une histoire aristocratique des élites, libéralisme compris, nous l'avons-vu, admettant l'ordre "naturel" des hommes supérieurs obtenant leurs richesses du labeur des inférieurs. La position du catholiques sociaux est intenable, critiquant chez les libéraux leur manque de préoccupation envers les pauvres quand eux-mêmes sont acteurs de l'exploitation capitaliste, respectueux d'un ordre intangible entre pauvres et riches, faisant, comme leurs aïeux, de la chose économique un enjeu de salut et non de transformation sociale. Mais plus que tout, ce que ne supportent pas les catholiques comme Harmel, c'est ce qui réunit ses ennemis socialistes, communistes, francs-maçons ou libéraux : "C’est d’affranchir l’ordre humain de toute dépendance envers l’ordre surnaturel et d’appliquer toutes les forces sociales à la poursuite des biens terrestres.(in P. Trimouille,  op.  cité). 

Pour continuer de montrer toute cette dimension idéologique du mouvement social chrétien, nous allons maintenant donner un aperçu de l'Œuvre des Cercles catholiques ouvriers fondés par Albert de Mun en 1871, qui vient s'ajouter au Comité catholique de Paris, du   Docteur Frédault, créé au lendemain de la Commune. 

 Différentes figures de l'assistanat catholique participeront à l'Œuvre, comme La Tour du Pin ou Maurice Maignen, présents dés le début de l'aventure. Maignen avait déjà une longue expérience de direction en ce domaine, il avait créé en 1855 l'Association des Jeunes Ouvriers de Notre-Dame de Nazareth, devenu le cercle des Jeunes Ouvriers ou cercle Montparnasse. Il y diffuse ce qu'il "appelait «le bon esprit», qui, mêlant piété et sens des responsabilités, devait nécessairement conduire à apaiser chez l'ouvrier l'esprit révolutionnaire" (Levillain, 1983 : 239).  Après un certain nombre de  conservateurs de la Révolution française,  contre la loi Le Chapelier, Maignen concevait la Révolution française comme une victoire de l'individualisme, de désorganisation sociale et voulait revenir au monde des jurandes, des corporations ouvrières. Cette organisation partiellement recréée par les cercles de charité catholique délivrait la classe ouvrière des "suggestions révolutionnaires"pour la rendre au contraire "prompte au dévouement, généreuse, docile, traditionaliste et presque routinière." (M. Maignen Vie de M. Le Prévost, fondateur de la Congrégation des Frères de Saint-Vincent-de-Paul (1803-1874),  Paris, 1890).

 

Maignen ne recrute "que des ouvriers jeunes, mâles et célibataires" (op. cité : 240).   Un choix patriarcal, idéologique, encore une fois, qui doit faire des ouvriers une fois mariés, des vecteurs familiaux de bonne moralité chrétienne, car ils avaient appris non seulement à épargner pour se constituer un petit pécule, mais aussi à se préserver des "dépravations" touchant au jeu,à l'alcool ou au sexe : encore et toujours le péché lié à la notion de plaisir. Comme très souvent depuis des siècles, l'assistanat catholique est structuré autour de tout un arsenal idéologique propre à endoctriner les pauvres, du haut vers le bas, et non à ce qu'ils s'épanouissent dans le libre exercice de leurs volontés et leurs désirs : "Aussi, à la notion d'œuvres fondées sur le principe d'une action charitable devant la pauvreté, sans distinction d'âge et de sexe, Maignen s'efforçait de substituer une notion sociologique de l'action sociale coordonnant graduellement la production, l'éducation et l'association volontaire pour réinsérer l'ouvrier dans une société où les riches, les gens cultivés, les détenteurs de biens serviraient constamment d'exemples..."  Du recrutement à l'organisation interne, tout était fait pour conditionner l'ouvrier dans ce but précis : tri sélectif à l'entrée, sur la qualité d'honorabilité, par le parrainage d'un autre ouvrier, niveaux hiérarchiques (aspirants, simples sociétaires après un stage et examen de passage, conseiller, etc.) emploi  du temps millimétré, présence surveillée aux offices, jetons d'assiduité qui permettaient d'acquérir des lots, pour fidéliser le travailleur, divertissements "articulés sur le sacré(op. cité : 245),  etc.  C'est d'évidence un embrigadement produit par une vision paternaliste, autoritaire, aristocratique et inégalitaire de la société. 

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Sidi  Lyautey

 

 

 

En 1924, Louis Hubert Gonzalve Lyautey (1854-1934), d'une famille de l'aristocratie normande, issu de la droite monarchiste et fervent catholique, pour qui Eugène Melchior de Vogüé, Albert de Mun ou encore Ernest Lavisse sont des modèles, réfléchissait à renverser le Cartel des gauches par la force et avait tâté le terrain auprès d'un groupe de maréchaux d'extrême-droite : Foch, Franchet d'Espéray, Fayolle étaient partants, et Pétain, encore très républicain, qui n'appréciait pas Lyautey et que Foch insupportait, l'aurait désapprouvé sèchement (Nouvel Obs, Le Procès du Maréchal Pétain, N° 764 2 au 8 juillet 1979).  A la place d'un coup de force, Lyautey et Foch fortifieront leurs idées au travers du mouvement du Redressement français, en 1925, un cercle patronal de réflexion et de pression patronal, dont on ne sera guère étonné qu'il veut à imposer des frontières minimales à l'action de l'Etat et partager la richesse des puissants le moins possible :

"rendre l'État à sa mission véritable, le faire rentrer dans ses limites, réviser ses fonctions et lui reprendre ce que nous n'osons dire qu'il ait usurpé, car nous le lui avons trop souvent abandonné", face aux deux dangers "les plus apparents de l'heure présente, (...) le communisme et la banqueroute"(programme du Redressement français rédigé par le patron de la Revue de Paris, le comte Edmond de Fels,  et publié dans ladite  Revue le 1er mai 1926).

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Le cercle du Redressement français est créé à l'initiative de l'industriel Ernest Frédéric Honorat Mercier (1878-1955), polytechnicien, qui deviendra un  magnat de l'énergie : électricité,  pétrole, raffineries. Il participe à la fondation de l'Union d'électricité, dont il sera le président, avant de l'être de la Société Lyonnaise des eaux et de l'éclairage, par laquelle il contrôle en pratique le Groupe de Messine (surnommé alors Groupe Mercier), de la société Alsthom, etc.  Pour évoquer l'extrémisme de ce cercle, on citera le journal du Parti fasciste révolutionnaire, "La Révolution fasciste", qui parle de "groupement d'hommes intelligents et tournés vers l'avenir". Héritier du taylorisme, Mercier pense comme son inventeur qu'il va permettre de mettre fin à la lutte des classes, tout  comme Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier (1887-1965), qui admire Lyautey.  Comment imaginer qu'il y a du progrès social dans l'idée de condamner un ouvrier à faire "une toute petite pièce, pendant des mois toujours la même, pendant des années, peut-être; pendant toute sa vie peut-être. Il ne voit l'aboutissement de son travail que dans l'oeuvre terminée au moment où elle passe, brillante, polie et pure, dans la cour de l'usine, vers les camions de livraison. L'esprit de l'échoppe n'existe plus, mais certainement un esprit collectif."  (Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, Grès, 1923).  Le Corbusier, grand architecte ? Sûrement pas d'un point de vue social. Fasciste, certainement, la chose est bien documentée et ses relations étroites non seulement avec les membres du Faisceau de George Valois mais aussi avec les fascistes italiens des années 1920/30 ou le pouvoir de Vichy ont bien été fouillés par Xavier de Jarcy (Le Corbusier, un fascisme français, éditions Albin Michel, 2015),  mais ce n'est pas le sujet ici. 

 

On ne peut pas ne pas penser à Adam Smith et son usine d'épingles, c'est exactement la même acceptation des élites de l'abrutissement de l'ouvrier, qu'elles n'ont aucun scrupule, de par leur vision élitiste du monde,  à institutionnaliser. Dans tout les cas, la domination sociale frappe encore là par le caractère égocentrique de toute une classe d'hommes privilégiés. Nous sommes-là dix ans après la sortie des Ford-T des usines d'un autre homme fort de la nouvelle industrie automobile, Henry Ford (1863-1947), dont les ouvriers des chaînes de montage sont censés être assez bien payés pour devenir  les premiers clients de l'entreprise. La vérité en la matière est, bien entendu, autrement plus amère : "En réalité, si Henry Ford a augmenté les salaires dans ses usines, c'est sous la contrainte, pour ne plus perdre temps et argent à former des ouvriers abandonnant leur poste au bout de quelques semaines, épuisés.(Xavier de Jacy, Le Corbusier, un fascisme français, éditions Albin Michel, 2015). Nous déconstruirons ailleurs en détail le mythe toujours actuel du "patron social" attaché au père du fordisme. 

Mais, revenons à Lyautey, proche de l'Action française, un mouvement royaliste et nationaliste d'extrême droite créé en 1898 au sein des courants de pensée anti-dreyfusards. On trouve dans ses écrits bon nombre d'idées qui seront reprises par les théoriciens catholiques, tels Raoul Dautry, Georges Lamirand, André Tardieu, Robert Garric, Henri Daniel-Rops, André Maurois (de son vrai nom, Émile Herzog) ou encore Ernest Mercier  (cf. Lee Downs, 2011). L'empreinte de Lyautey serait si prégnante que l'historien Daniel Lindenberg affirme qu'aucune histoire intellectuelle de cette époque ne peut faire l'impasse sur ce "moment Lyautey" ( Lindenberg, Les années souterraines, 1937-1947, Paris, La Découverte, 1990). 

"L'Africain" a parfaitement appliqué au Maroc ses idées de classe. En effet, Lyautey est le digne héritier de toute une tradition aristocratique et ploutocratique séculaire. Dès sa jeunesse, il est persuadé d'appartenir à "une classe supérieure" et de faire partie de "la classe sociale la plus élevée." (Charles-André Julien, "Le Maroc face aux impérialismes: 1415-1956", Paris, Jeune Afrique, 1978).  En 1912, le gratin du Faubourg Saint-Germain le propulse à l'Académie Française, un peu avant de partir au Maroc. Précisons en passant que, trois ans auparavant, il écrivait une lettre annonçant son suicide (conservée aux archives nationales), très probablement inspiré par le déchirement entre sa foi chrétienne et son homosexualité, partagée par Galliéni, à qui il empruntera la technique colonialiste de la "tactique de la tache d'huile" en soumettant les colonisés par la séduction plutôt que par la force, une technique de domination bien connue depuis longtemps, qui passe en particulier par une coopérations des élites des pays ennemis, comme ont pu le faire, par exemple, les Romains avec les élites "barbares". 

Son projet de protectorat est activement soutenu depuis 1904 par le Comité du Maroc, présidé par le très influent Eugène Etienne (il est aussi président du Comité de l'Asie et de l'Afrique Française), qui pratique un intense lobbying "avec l’appui de grandes compagnies, au premier rang desquelles la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui fait un lobbying considérable pour intégrer le Maroc à l’empire colonial français(Vermeren, 2012). Lyautey n'a d'yeux que pour les élites : Saint-Cyr du Maroc et école d'officiers de Dar El Beïda à Meknès, écoles payantes pour "fils de notables" (op. cité).  "Son royalisme nourri par Maurras (Ch.-A. Julien) livre des millions de montagnards à la tyrannie du Glaoui et de ses pairs, délaissant tout contrôle au profit de l’arbitraire le plus extrême(op. cité).  Ce qui nous parle, dans le même temps, de la domination sociale aiguë dans le pays avant même la colonisation. Plus tard, en 1947, le Résident Eirik Labonne déclarera : "Nous avons misé sur une oligarchie, sur une caricature d’aristocratie (…). Jouons maintenant la carte du peuple"  (in Vermeren, 2006 ).  

 

Lyautey lui-même, loin de l'image débonnaire et humaniste façonnée par les idéologues, dans sa conquête du pays marocain, n'hésite pas à employer la force la plus brutale. Certes, il n'approuve pas les enfumades "barbares" de la conquête d'Algérie, mais au colonel Charles Mangin (1866-1925), aux portes de Marrakech, menant la répression à  Sidi-bou-Othmann contre la rébellion des tribus du sud emmenées par El Hiba, il lui commande  : "Primo. Allez-y carrément. Je mets en vous toute ma confiance pour sauver nos compatriotes, rendre appui à nos amis, et châtier nos ennemis, en unissant à toute la vigueur nécessaire la prudence indispensable pour ne vous laisser ni accrocher ni retenir. Ne partez que complètement outillé et munitionné."  (Lyautey, télégramme du 2 septembre 1912 in "Histoire des goums marocains" de Jean Saulay, Paris, La Koumia, 1985).  

La colonisation, telle que nous l’avons toujours comprise n’est que la plus haute expression de la civilisation. À des peuples arriérés ou demeurés à l’écart des évolutions modernes, ignorant parfois les formes du bien-être le plus élémentaire, nous apportons le progrès, l’hygiène, la culture morale et intellectuelle, nous les aidons à s’élever sur l’échelle de l’humanité. Cette mission civilisatrice, nous l’avons toujours remplie à l’avant-garde de toutes les nations et elle est un de nos plus beaux titres de gloire.     (Lyautey, Préface de l'Atlas colonial français, 1929).

Le "Pacificateur" du Maroc, Résident Général entre 1912 et 1925, n'a certes pas montré le visage le plus détestable de la colonisation, lui qui "tua l’indépendance du Maroc, mais sans l’humilier", dira l’émir Chekib Arslan, nationaliste arabe druzo-syrien, en 1931  (Vermeren, 2012). Il n'est pas difficile de découvrir derrière le respect des traditions du pays conquis (en particulier vis-à-vis de l'islam), une mentalité certes curieuse de la différence, mais entretenue par la fiction orientaliste et exotique, ainsi qu'un sentiment de supériorité sinon raciale, culturelle  : "L’Arabe priant est superbe ; je respecte décidément de plus en plus ces gens-là, si ignorants de ce que peut être le respect humain, si fiers et si dignes dans leur foi" (Lyautey, in Cholvy, 2008).  Ou encore, à Madagascar, cette fois, parlant des Hovas "presque des Européens", des Antandroy "qui retardent de 6 000 ans sur les Hovas", ou des Betsileos "proches des paysans français", ou encore des Baras, qui en sont "au Moyen-Âge(op. cité).  On l'imagine choisir ses chefs, ses sultans, avec la satisfaction gourmande du marionnettiste : "Je crois que Moulay Youssef est ma plus belle réussite " (Lettre au Comte de Mun, Marrakech, 10 octobre 1912).  Sidi Lyautey façonne un Maroc pour une part fantasmé, pour une autre avec moults arrangements avec les privilégiés, pour qui il préservera et figera des dominations séculaires  : "Le Makhzen fortuné, les chefs héréditaires et les pachas forment autour de lui (le sultan) comme une couronne éclatante de joyaux précieux, et vous savez tous avec quel soin je m’attacherai toujours à ce que les rangs et les hiérarchies soient conservés et respectés, à ce que les gens et les choses restent à leurs places anciennes, à ce que ceux qui sont les chefs naturels commandent, et à ce que les autres obéissent(Lyautey, Allocution aux chefs de tribus venus saluer le Sultan lors de la fête de l'Aïd el kebir de 1916,  in "Lyautey, Paroles d'action" réunies par Jean-Louis Miège, Paris, Imprimerie nationale Éditions, 1995). 

Cette hiérarchie de classes sociales, au Maroc, existe, comme dans les autres pays, depuis toujours :  cf. l'article Les Berbères dans l'Antiquité

Tout ce qui précède permet de mieux comprendre le monde que cherche à dessiner Lyautey, et, avant lui ou après lui, tous ceux qui, des plus conservateurs aux plus libéraux, œuvrent au-delà de leurs différences doctrinales dans le même sens idéologique de supériorité de classe, toujours du haut vers le bas, de maîtres à serviteurs, de supérieurs à inférieurs, de manière autoritaire, pour que se diffuse, s'entretienne et se perpétue dans toute la société un ordre de domination  intangible du monde. Pour toutes ces raisons, les préoccupations sociales de Lyautey ont toujours une toile de fond très idéologique, qui s'oppose radicalement aux visions égalitaires, fraternelles, communautaires, coopératives du monde, que peuvent défendre des mouvements s'inspirant de la pensé socialiste, communiste, anarchiste, libertaire,  etc.  

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  L'immonde tyrannie des bistrots (I)

 

 

 

En 1931, le juriste Joseph Barthélémy, sympathisant franquiste, contre l'aide de la France aux Républicains espagnols, contre les idées sociales de la gauche du Front Populaire, publie "Valeur de la liberté et adaptation de la République", et déjà, en 1916, il écrivait dans la "Revue du droit public" : "Il y a quelque chose de plus sacré que la liberté des personnes, c’est la vie des nations." (op. cité : 119). Pour lui, "le temps des constitutions démocratiques au domaine étriqué, qui ignoraient systématiquement les réalités les plus importantes de la vie collective est fini." (Terracol, 2019).  Il appelle donc "les individus à participer à la vie publique, non point d’après ce qu’ils sont mais d’après ce qu’ils font" (J.Barthélémy, Cours de Droit comparé, 1943-1944, Paris, 1944, p. 182), et on voit encore là le désir de primauté du collectif, du groupe, sur l'individu, et par voie de conséquence, son emprise.  En 1934, Antoinette de Préval, (1892-1977) rédactrice en chef du du Flambeau, mensuel de l'association des Croix-de-feu, écrit pour une grande part  "Service Public", en plus d'autres ouvrages, peut-être (Lee Downs, 2011),  signés par le colonel François de la Rocque  (1885-1946), aristocrate de famille catholique très croyante, président du mouvement des Croix-de-Feu, transformé ensuite en Parti Social Français (PSF) par stratégie politique, pour pénétrer en particulier le monde ouvrier. Mlle de Préval n'a pas attendu le gouvernement de Vichy pour organiser des camps de vacances, dynamiser des centres sociaux, des auberges de jeunesse, des compétitions sportives, des conférences, et autres "loisirs sains" pour une meilleure "collaboration sociale", prenant modèle sur l'Allemagne : "lorsque l’enfant sort de classe, l’étudiant s’occupe des devoirs surveillés de pauvres petits, il en profite pour pétrir les jeunes cerveaux d’un idéal bien redoutable, mais le procédé a réussi… L’ouvrier sort de l’usine rencontre des ingénieurs, des étudiants ou médecins, dans des cercles, dans des salles immenses d’éducation physique qui font les races fortes.(A. de Préval, "Discours aux militants masculins du Parti Social Français", p. 8-9 in Papiers de Préval, dossier 305, n°28 ).  

La "race", le sang, leur supériorité ou au contraire, leur infériorité, sont des obsessions  très présentes chez bon nombre de littérateurs du XIXe siècle. Elles ont été sources d'idéologies nationalistes, religieuses, conservatrices, réactionnaires, antisémites, qui ont nourri la haine, les violences, les guerres, les ploutocraties, en confortant les convictions séculaires de supériorité aristocratique des forts sur les  faibles  :

"La naissance entraîne d'ordinaire des avantages d'éducation et quelquefois une certaine supériorité de race."  

Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale, 1871 : p 45

"Nul n'a droit à une place ; tous ont droit que les places soient bien remplies. Si l'hérédité de certaines fonctions étaient un gage de bonne gestion, je n'hésiterais pas à conseiller pour ces fonctions l'hérédité."

Ernest Renan, op. cité : p 46

 "Une société n'est forte qu'à la condition de reconnaître le fait des supériorités naturelles, lesquelles au fond se réduisent à une seule, celle de la naissance, puisque la supériorité intellectuelle et morale n'est elle-même que la supériorité d'un germe de vie éclos dans des conditions particulièrement favorisées."

Ernest Renan, op. cité : p 49

"...car l'égalité est la plus grande cause d'affaiblissement politique et militaire qu'il y ait."

Ernest Renan, op. cité : p Ernest Renan, op. cité : p 53

"Autant les conquêtes entre races supérieures doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l'ordre providentiel de l'humanité. (...)  La nature a fait une race d'ouvriers ; c'est la race chinoise, d'une dextérité de main merveilleuse, sans presque aucun sentiment d'honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d'elle pour le bienfait d'un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ;  — une race de travailleurs de la terre, c'est le nègre : soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l'ordre ; — une race de maîtres et de soldats, c'est la race européenne. Réduisez cette noble race à travailler dans l'ergastule comme des nègres et des Chinois, elle se révolte.  (...)  Or la vie qui révolte nos travailleurs rendrait heureux un Chinois, un fellah, êtres qui ne sont nullement militaires.  Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien.  Les économistes se trompent en considérant le travail comme l'origine de la propriété. L'origine de la propriété, c'est la conquête et la garantie donnée par le conquérant aux fruits du travail autour de lui. Les Normands ont été en Europe les créateurs de la propriété ; car, le lendemain du jour où ces bandits eurent des terres, ils établirent pour eux et pour tous les gens de leur domaine un ordre social et une sécurité qu'on n'avait pas vus jusque-là. 

Ernest Renan, op. cité : p 93 -94

 

Croix-de-feu    :    Association ultra-nationaliste fondée en 1928, financée par le patron du journal Le Figaro, qui mettra à la disposition du mouvement des bureaux dans l'immeuble de ladite presse. Avant de s'ouvrir à d'autres catégories, la ligue commença par accueillir des '"aristocrates de la guerre", des anciens combattants décorés pour leur héroïsme pendant la guerre de 14-18 : soldats de la Légion étrangère, médaillés militaires ou de la Croix de guerre. 

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" Oui,  les États totalitaires sont forts parce que la journée,   chez eux, n’est jamais finie. De l’autre côté des frontières, fascistes et mouscoutaires [moscoutaires : communistes, NDA], des jeunes savent dépasser l’horizon de leur avenir personnel et besognent pour l’ouvrier de leur Nation".     

 

Antoinette de Préval,   op. cité :  2-3

 

En matière d'idéologie, la polysémie des mots, nous l'avons vu en particulier pour la pensée naissante du libéralisme, nous montre de manière récurrente que beaucoup de notions positives, attachées au bien-être humain, sont détournées systématiquement par celles et ceux dont le bonheur commun n'est pas véritablement recherché et rapportées à des buts intrinsèquement liés à leurs croyances morales et religieuses.

Ainsi, quand de Préval affirme que " le social" est "la clé de voûte de l’existence nationale(A. de Préval, op. cité : 7)   on ne sait pas de quel bois est fait cette matière sociale tant qu'on n'a pas lu d'autres textes qui éclairent ses conceptions de société autoritaire, où on ne cherche pas à faire de l'éducation populaire pour améliorer la condition sociale et culturelle de l'ouvrier, pour son propre épanouissement, mais, comme chez les libéraux, pour l'apprivoiser à celle-ci, lui faire accepter du mieux possible les différences "naturelles" des classes sociales, par une propagande multiforme et acharnée en vue de "leur réconciliation".

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"L’étudiant, comme le patron, travaillent bien, mais qu’ils sont donc – permettez-moi de vous le dire – enfermés dans leur égoïsme sacré ! Qu’ils ont donc été mal préparés à la collaboration sociale et combien la jeunesse actuelle y pense peu !!!"  (A. de Préval, op. cité ).  D'autre part, elle rappelle que les communistes "veulent une assistante sociale dans chaque canton" et qu'il faut les devancer sur ce terrain : "Une assistante sociale c’est plus fort qu’un instituteur parce qu’elle s’occupe non seulement de l’enfant, mais de la famille entière" (Exposé  de Mlle de Préval aux premières déléguées et Secrétaires générales, 16 octobre 1936, Archives Nationales 451 AP 87 ).  Et voilà comment on fait un travail social "éminemment politique car, comme les ennemis allemands, russes et communistes l’ont très bien compris, il aide à façonner l’inconscient politique des masses.(Lee Downs, 2011)Un autre visage (anti-) social du mouvement, contre les peuples, est illustré en une du journal Le Flambeau, avec des paroles de Pétain lui-même, qui glorifient la colonisation : 

"L'Empire, ce plus beau fleuron de la couronne française saura répondre présent"

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L'officier général Maxime Weygand (1867-1965), futur chef des armées du gouvernement de Vichy a pris une bonne part dans ce combat politique. Il est l'auteur, en 1937, du "Manifeste des intellectuels français" qui soutient les franquistes espagnols et qui sera signé en particulier par un certain nombre de personnalités du même acabit, dont une partie avait déjà signé un manifeste portant le même titre en 1935 (Le Temps, 4 octobre), rédigé par Henri Massis, et qui approuvait l'invasion de l'Ethiopie par l'Italie de Mussolini. 

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Citons parmi les plus connus :

- Charles Maurras (1868-1952), fils de petits-bourgeois de Provence, membre de l'Académie française, grande figure de l'Action française, antidreyfusard farouche, un des pires antisémites qui fût, en digne héritier d'Edouard Drumont (1844-1917, La France juive, 1886 ; La Fin d'un monde, 1889), une des grands faiseurs de l'antisémitisme français  : "le ghetto, le camp de concentration, et pour ceux qui voudraient continuer… La corde" (Ch. Maurras, Journal "L'Action française", 25 février 1943). Charles Maurras, c'est aussi une pensée nationaliste, profondément conservatrice d'une société aux valeurs archaïques, pétrie d"idéologies fumeuses comme tous ceux dont il est proche : Antoine de Rivarol, Maurice Barrès, Lucien Rebatet, Maurice Bardèche, Georges Sorel, etc. 

 

 

"Avec qui sont-ils ? Pour qui et pourquoi marcheront-ils ? Hordes sur hordes arrivent de l’Europe centrale et orientale : les accueilleront-ils comme frères et sœurs ? Les installeront-ils à nos dépens, à notre place, sur les cendres de nos foyers ? Ou nous aideront-ils à repousser cette dangereuse pénétration pacifique"  

Ch. Maurras, L’Action française,  4 octobre 1920

"Cependant, quelque chose de bon et de doux que nous n’avons pas nommé encore, la Famille, lui ayant ouvert les seules portes de sa vie, un conseil que fortifient son idée de l’honneur et le sens de sa dignité incline tout adulte civilisé à recommencer les établissements de cette providence terrestre. Mais c’est ce que beaucoup veulent contester aujourd’hui ! Tout récemment, nos Russes, abrutis ou pervertis par des Juifs allemands, avaient estimé que l’on pourrait trouver infiniment mieux que n’a fait la mère Nature en ce qui concerne la réception et l’éducation des enfants."  

Ch. Maurras,  Mes idées politiques, 1937. 

Sans doute, le catholicisme résiste, et seul ; c'est pourquoi cette Église est partout inquiétée, poursuivie, serrée de fort près. Chez nous, le Concordat l'enchaîne à l'État, qui, lui-même, est enchaîné à l'Or, et nos libres penseurs n'ont pas encore compris que le dernier obstacle à l'impérialisme de l'Or, le dernier fort des pensées libres est justement représenté par l'Église qu'ils accablent de vexations !    (...)

L'or, divisible à l'infini, est aussi diviseur immense ; nulle patrie n'y résista. Je ne méconnais point l'utilité de la richesse pour l'individu. L'intérêt de l'homme qui pense peut être d'avoir beaucoup d'or, mais l'intérêt de la pensée est de se rattacher à une patrie libre, que pourra seule maintenir l'héréditaire vertu du Sang. Dans cette patrie libre, la pensée réclame pareillement de l'ordre, celui que le Sang peut fonder et maintenir. Quand donc l'homme qui pense aura sacrifié les commodités et les plaisirs qu'il pourrait acheter à la passion de l'ordre et de la patrie, non seulement il aura bien mérité de ses dieux, mais il se sera honoré devant les autres hommes, il aura relevé son titre et sa condition."

Ch. Maurras,  L'Avenir de l'Intelligence,  Préface à la deuxième édition, Paris, édition Albert Fontenoing,  1905 (première édition dans la Revue Minerva, 1e partie en 1902, 2e partie en 1903). 

"Il est vrai que Napoléon se présente sous un autre aspect, si, du génie civil, qui, en lui, fut tout poésie, on arrive à considérer le génie militaire. Rien de plus opposé à la mauvaise littérature politique et diplomatique que Napoléon chef d'armée. Rien de plus réaliste ni de plus positif ; rien de plus national. Comme les généraux de 1792, il réveille, il stimule le fond guerrier de la nation. Il aspire les éléments du composé français, les assemble, heurte leur masse contre l'étranger ; ainsi il les éprouve, les unit et les fond. Les nouvelles ressources du sentiment patriotique se révèlent, elles se concentrent et, servies par l'autorité supérieure du maître, opposent à l'idéologie des lettrés un système imprévu de forces violentes."

Ch. Maurras,  L'Avenir de l'Intelligence,  V, Napoléon,  Paris, édition Albert Fontenoing, 1905

 

"Je ne crois pas qu'il faille flétrir la bourgeoisie ni désirer qu'elle disparaisse. À quelque classe qu'on appartienne, on doit en être comme on est de son pays, et j'avoue que ma qualité de bourgeois français m'a toujours parue honorable."

"Il est injuste qu'un pays comme le nôtre, où le nombre des ouvriers mineurs, par exemple, n'atteint pas le deux centième de la population, soit incessamment fatigué, depuis trente ans, par leurs cris. L'Allemagne, l'Angleterre, la Belgique ont des charbonnages plus importants que les nôtres et qui font beaucoup moins de bruit. L'Angleterre, l'Allemagne, la Belgique ont une grande industrie plus développée que la nôtre, dix-huit millions de ruraux formant le tuf de notre peuple, et leurs ouvriers de grande industrie sont moins turbulents et moins révolutionnaires que nos ouvriers. L'état de révolution permanente vous paraît un scandale ? À nous aussi. Mais les bourgeois allemands, anglais et belges ont peut-être fait des efforts de clairvoyance que vous n'avez pas faits. C'est qu'ils ont pu les faire : vous ne le pouviez pas. 

Ch. Maurras,  La République et la Question ouvrière II. Causes politiques, 1er août 1908,  série d'articles parus dans l'Action française du 30 juillet au 11 août 1908. 

Comme pour d'autres discours idéologiques sur l'histoire, sur la société, le discours est toujours vague, construit autour d'idées aux contours imprécis,  des concepts fourre-tout : il n'y a quasiment jamais de détails, de faits précis qui étayent le  raisonnement ou les jugement de l'auteur.  C'est d'abord une parole viscérale, qui donne le poids du sentiment, de l'affect pour vérité.  Par ailleurs, tout comme  d'autres discours nationalistes (qui plus est monarchistes) la critique du capitalisme ne manque pas d'être contredite par un mépris tout aristocratique du peuple, où ce qui a été dit sur le flou théorique est patent : C'est "un pays" donc tout le monde,  dans une "révolution permanente, qui" est "incessamment fatigué" des "cris" :  Les ouvriers manifestant leur condition misérable sont réduits à des sortes d'animaux ou  des bébés qui énervent leur entourage par leurs caprices.  Ailleurs, l'auteur dira encore avec mépris des faussetés qu'un économiste libéral ne soutiendrait même pas  : "l'ouvrier, qui n'a que son travail et son salaire, doit naturellement appliquer son effort à gagner beaucoup en travaillant peu, sans souci d'épuiser l'industrie qui l'emploie."  (Ch. Maurras,  op. cité).   L'anticapitalisme maurrassien n'a rien à voir avec celui de la critique socialiste ou communiste, qui dénonce un système de domination et d'inégalités sociales sur des bases rationnelles, à qui Marx a fourni, plus que quiconque, une assise scientifique. Maurras est anticapitaliste d'une façon très contradictoire. Tout d'abord,  il donne lui-même l'exemple de cette contestation sociale qui lui a attiré un temps les sympathies de gauche, en particulier du syndicalisme :