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                     Le drame palestinien 

 LE LIVRE NOIR DU SIONISME (I)

 

Détail du manuscrit dit Document des trois religions, détail, Turquie, vers 1900, Encre et peinture sur papier, 68 x 42 cm, Tel Aviv, collection privée William L. Gross, 

 

 

“ On ne peut pas comprendre le 7 octobre sans connaître l’Histoire.    

               Shlomo Sand,  Entretien donné à Télérama, 5 janvier 2024

           

Introduction  

 

 




Ce sont des migrants des montagnes du Caucase, mêlés à des populations natives qui ont forgé la culture cananéenne entre l'Egypte et la Mésopotamie, entre 3000 et 1200 avant notre ère, selon une étude scientifique publiée dans la prestigieuse revue  Cell.  La grande majorité des populations arabes et juives actuelles de la région leur doivent plus de la moitié de leur ADN, précise ladite étude (source : National Geographic, 29 mai 2020)Une  étude précédente, parue le 9 mai 2000 dans les Actes de l’Académie nationale des sciences américaine (Proceedings of the National Academy of Sciences),  menée en particulier par Michael Hammer, de l'Université d'Arizona, avait déjà montré  que "les Juifs sont les frères génétiques des Palestiniens, des Syriens et des Libanais, et ils partagent tous une lignée génétique commune qui remonte à des milliers d’années"  (News, The University of Arizona, 11 mai 2000

Dès le départ, donc, nous voyons que le problème de l'antériorité, discuté parfois dans le conflit israélo-palestinien, n'a aucune pertinence, ce qui sera confirmé par l'histoire elle-même. Les proto-israélites et des populations plus tard arabisées occupent différentes régions de la Palestine et y cohabitent depuis des millénaires.  S'étendant de la Méditerranée à la vallée du Jourdain et du Mont Hermon au golfe d'Akaba, cette aire géographique a longtemps été nommée Canaan dans les textes mésopotamiens, terme relatif à la culture cananéenne qui dominait  alors la région, le terme de Palestine (Pelastaï) apparaissant pour la première fois en grec dans les Histoires (ou Enquête, cf. Livres I, CV; II, CIV) d'Hérodote, en référence à une région dite de Syrie-Palestine.  C'est l'historien romain d'origine juive Flavius Josèphe (de son vrai nom Joseph Ben Matthatias, né vers 37) qui établit le premier un rapport entre Palestine et Philistins (Phylistinus, en latin Palaistinoi en grec :  Fl. Josèphe, Antiquitates Judaicae [Antiquités Judaïques] I, 136 ), qui avaient occupé la frange méditerranéenne de cet espace  et qui seraient venus de Crète. 

Après la victoire romaine contre la révolte juive des Macchabées, en 135, Hadrien, par mesure punitive, change le nom de la province de Judée (Judea, du nom juif de Juda), en Syria-Palæstina, nom en partie conservé pendant la période byzantine, où la région finira par être divisée en trois provinces :  Palaestina Prima, Palaestina Secunda et Palaestina Salutaris et "la carte des diocèses orthodoxes a maintenu à travers les âges les noms et la distribution des trois Palestine"  (Laurens, 2008). Durant les premiers siècles de l'islam, l'administration musulmane continue d'appeler la région Palestine (Falastin, Filastin), mais le nom finit par disparaître au profit de "Terre Sainte"al-ard al-muqaddasa (الأرض المقدسة,),  termes utilisés aussi par les Occidentaux pendant la période des Croisades, dans les Etats-Latins d'Orient (XIe-XIIIe s.).

Sur ce modèle, Jérusalem sera appelée "ville sainte" : al-Quds  (al-Qods, القدس), littéralement :  "la sainte"). Jusqu'à la période moderne, c'est la notion d'arabité qui primera dans la conscience identitaire des habitants de la région :

 

"La référence aux Arabes renvoyait au monde de la bédouinité et aux généalogies des grands groupes familiaux de la Péninsule arabique. L'arabisation commencée dès la conquête est achevée depuis plusieurs siècles. Tous, y compris les chrétiens, se targuent d'être originaires de la Péninsule arabique (on a cessé assez tôt de parler syriaque ou araméen contrairement à la Syrie et à l'Irak où cette langue a encore quelques locuteurs au XXe siècle). Tout se passe comme si la conquête du VIIe siècle constituait un point de départ absolu."   (Laurens, op. cité). 

 

Cependant, les Occidentaux avaient continué de leur côté d'utiliser pour les régions du Proche-Orient des noms calqués sur ceux de l'époque romaine.  Les élites de la région usant du français au XIXe siècle, en particulier dans nombre d'administrations, les autochtones (al-wataniyyūn) se mettent à se réapproprier les noms de Palestine et de Syrie, et dans les dernières décennies du siècle, ils "reviennent dans le vocabulaire courant de l'arabe et du turc"    (Laurens, op. cité).   

 

Revenons maintenant aux études scientifiques, cette fois sur les textes sacrés  judéo-chrétiens, qui ont montré que ces derniers sont truffés d'intentions idéologiques, comme toutes les histoires religieuses, et ne sauraient être dans beaucoup de cas une base sérieuse de discussion historique sur l'histoire ancienne d'Israël.  En effet, depuis que les historiens et archéologues ont mis le nez dans la Bible pour tenter de discerner la fable de la vérité,  ils ont fait vaciller beaucoup de certitudes  et laissé place à de nombreux doutes, par exemple, sur l'existence d'Abraham et de Moïse  ou l'esclavage du peuple hébreu en Egypte, et les millénaires du temps biblique ont été convertis en seulement quelques siècles historiques  

"Résultant de réécritures diverses plus que d’une écriture unique ou simple, l’histoire biblique doit être prise pour ce qu’elle est, ni plus ni moins, même si elle se distingue de genres littéraires qui relèvent manifestement de l’imaginaire, fût-ce de l’imaginaire édifiant, tels les « romans » de Tobit, Judith, Esther ou Jonas qui en prennent explicitement à leur aise avec les dates, les événements et les personnages de l’histoire, fût-elle biblique et antique (...)  certains lieux particulièrement fameux, soit sur la terre d’Israël, soit dans les régions voisines, ne révélaient aucun élément tangible en faveur des « informations historiques » de la Bible. Les sites abrahamiques ou mosaïques, même si certains sont intouchables pour des raisons à la fois religieuses et politiques, ne manifestaient rien dans le sens de la tradition. Et l’histoire la plus ancienne de la monarchie qui marquait un « contexte historique » et assurait quelque importance à un Israël comparable à ses voisins, devait être revue à la baisse, David et Salomon ne répondant plus exactement aux meilleures pages de leur histoire."  (Gibert, 2005).

Les archéologues israéliens  Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, comme d'autres après eux, ont établi le grand écart opéré par les textes bibliques avec la réalité historique : 

"La Bible naquit au cœur d'un minuscule royaume, très prosaïque, dont la population se forgeait un avenir en luttant avec des moyens parfaitement humains contre les peurs et les calamités engendrées par la guerre, la misère, l'injustice, la maladie, la disette et la sécheresse. La saga historique que nous conte la Bible - depuis la rencontre entre Dieu et Abraham [...] jusqu'à la libération des enfants d'Israël du joug de la servitude sous la conduite de Moïse, suivie de l'émergence et de la chute des royaumes d'Israël et de Juda - ne doit rien à une quelconque révélation miraculeuse ; elle est le brillant produit de l'imagination humaine"   (Finkelstein et Silberman, 2002). 

 

Pourtant, à la création de l'état moderne d'Israël, en 1948, la "Bible fut naturellement largement invoquée et convoquée, comme preuve à l’appui d’une légitimité fortement et parfois violemment contestée. De 1947 à nos jours, plusieurs guerres en ont témoigné, et la situation présente ne peut évidemment pas être considérée comme de paix !"  (op. cité).  Si, dans la première moitié du XIXe siècle, les premiers historiens juifs modernes (Isaak Markus Jost, Leopold Zunz, par exemple) acceptaient en général objectivement la Bible comme un livre de théologie, principalement,  ceux de la seconde moitié s'en sont servi pour construire une fiction, un roman national qui leur permettait de défendre la prééminence d'un peuple juif en Palestine :  c'est un aspect de l'idéologie sioniste, dont nous reparlerons plus loin. 

"Les découvertes de la « nouvelle archéologie » contredisent la possibilité d’un grand exode au XIIIe siècle avant notre ère. De même, Moïse n’a pas pu faire sortir les Hébreux d’Egypte et les conduire vers la « terre promise » pour la bonne raison qu’à l’époque celle-ci... était aux mains des Egyptiens. On ne trouve d’ailleurs aucune trace d’une révolte d’esclaves dans l’empire des pharaons, ni d’une conquête rapide du pays de Canaan par un élément étranger. 

 

Il n’existe pas non plus de signe ou de souvenir du somptueux royaume de David et de Salomon. Les découvertes de la décennie écoulée montrent l’existence, à l’époque, de deux petits royaumes : Israël, le plus puissant, et Juda, la future Judée. Les habitants de cette dernière ne subirent pas non plus d’exil au VIe siècle avant notre ère : seules ses élites politiques et intellectuelles durent s’installer à Babylone. De cette rencontre décisive avec les cultes perses naîtra le monothéisme juif.

L’exil de l’an 70 de notre ère a-t-il, lui, effectivement eu lieu ? Paradoxalement, cet « événement fondateur » dans l’histoire des Juifs, d’où la diaspora tire son origine, n’a pas donné lieu au moindre ouvrage de recherche. Et pour une raison bien prosaïque : les Romains n’ont jamais exilé de peuple sur tout le flanc oriental de la Méditerranée. A l’exception des prisonniers réduits en esclavage, les habitants de Judée continuèrent de vivre sur leurs terres, même après la destruction du second temple.

 

Une partie d’entre eux se convertit au christianisme au IVe siècle, tandis que la grande majorité se rallia à l’islam lors de la conquête arabe au VIIe siècle.  La plupart des penseurs sionistes n’en ignoraient rien : ainsi, Yitzhak Ben Zvi, futur président de l’Etat d’Israël, tout comme David Ben Gourion, fondateur de l’Etat, l’ont-ils écrit jusqu’en 1929, année de la grande révolte palestinienne. Tous deux mentionnent à plusieurs reprises le fait que les paysans de Palestine sont les descendants des habitants de l’antique Judée."    (Shlomo Sand, Comment fut inventé le peuple juif, Le Monde Diplomatique, août 2008, p. 3.  S. Sand est historien, professeur à l’université de Tel Aviv,  et il fait partie de ce qu'on appelle les "nouveaux historiens" israéliens, comme Ilan Pappé,   Tom Segev,  Benny Morris, mais aussi Simha Flapan, ou Avi Shlaim, par exemple, qui écrivent l'histoire de leur pays de manière la plus rigoureuse possible, sans le fatras idéologique qui pèse non seulement sur la majeure partie de leurs confrères juifs, mais sur l'ensemble de la société israélienne et internationale, comme on a pu l'observer de manière magistrale dans le traitement médiatique et gouvernemental français du conflit israélo-palestinien après  les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. 

exode :  Certains historiens, dont Finkelstein et Silberman,  situent le récit de l'exode aux VIIe et VIe siècle avant notre ère, sous la XXVIe dynastie égyptienne, dite saïte, sous les Pharaons Psammétique I (664-610) et de son fils Neko / Nekao, 610-595   (Van Cangh, 2004)..

Il ne s'agit cependant pas ici d'accepter l'entièreté de la thèse de Sand aboutissant à la conclusion que la notion de peuple juif  est une pure invention.  Ses contradicteurs ont montré un certain nombre de failles dans sa démonstration, en particulier le professeur israélien et rabbin Alain Michel, qui rappelle qu'à différentes époques de l'histoire, les pouvoirs européens ont accordé de larges autonomies juridiques à la communauté juive, qui dépassait largement le domaine de la religion (cf. Alain Michel; Non, le peuple juif n'a pas été inventé ! Hérodote.net, 15 juin 2009).  Nous avons nous-même évoqué ici l'enclave géographique créée par Catherine II de Russie, où la communauté juive avait ses propres écoles, universités et autres organisations publiques   (cf. Russie, La question juive en Russie, 1547-1905)A l'inverse, nous verrons plus loin que beaucoup d'Israélites, personnes de confession juive, donc, ou tout simplement des hommes et des femmes de tradition juive, parfois athées, ont toujours eu un sentiment d'appartenance (souvent puissant) aux nations où ils vivent, de telle sorte que l'idée d'une nation juive leur est complètement étrangère. De plus, Shlomo Sand a raison de rappeler que le judaïsme a connu une période très prosélyte, qui, comme d'autres religions, a convaincu d'autres peuples très différents des Hébreux, d'adopter leur foi : 

 

"Derrière le rideau de l’historiographie nationale se cache une étonnante réalité historique. De la révolte des Maccabées, au IIe siècle avant notre ère, à la révolte de Bar-Kokhba, au IIe siècle après J.-C, le judaïsme fut la première religion prosélyte. Les Asmonéens avaient déjà converti de force les Iduméens du sud de la Judée et les Ituréens de Galilée, annexés au « peuple d’Israël ». Partant de ce royaume judéo-hellénique, le judaïsme essaima dans tout le Proche-Orient et sur le pourtour méditerranéen. Au premier siècle de notre ère apparut, dans l’actuel Kurdistan, le royaume juif d’Adiabène, qui ne sera pas le dernier royaume à se « judaïser » : d’autres en feront autant par la suite. (...)  

La victoire de la religion de Jésus, au début du IVe siècle, ne met pas fin à l’expansion du judaïsme, mais elle repousse le prosélytisme juif aux marges du monde culturel chrétien. Au Ve siècle apparaît ainsi, à l’emplacement de l’actuel Yémen, un royaume juif vigoureux du nom de Himyar, dont les descendants conserveront leur foi après la victoire de l’islam et jusqu’aux temps modernes. De même, les chroniqueurs arabes nous apprennent l’existence, au VIIe siècle, de tribus berbères judaïsées : face à la poussée arabe, qui atteint l’Afrique du Nord à la fin de ce même siècle, apparaît la figure légendaire de la reine juive Dihya el-Kahina, qui tenta de l’enrayer. Des Berbères judaïsés vont prendre part à la conquête de la péninsule Ibérique, et y poser les fondements de la symbiose particulière entre juifs et musulmans, caractéristique de la culture hispano-arabe.

La conversion de masse la plus significative survient entre la mer Noire et la mer Caspienne : elle concerne l’immense royaume khazar, au VIIIe siècle. L’expansion du judaïsme, du Caucase à l’Ukraine actuelle, engendre de multiples communautés, que les invasions mongoles du XIIIe siècle refoulent en nombre vers l’est de l’Europe. Là, avec les Juifs venus des régions slaves du Sud et des actuels territoires allemands, elles poseront les bases de la grande culture yiddish."  (S.Sand, op. cité).

Malgré toute cette complexité mosaïque de l'histoire juive, nous verrons que l'antisémitisme, tout au long des siècles suivant l'avènement du christianisme, a largement contribué à la construction d'un sentiment national unissant des communautés juives fort disparates en terme de langue ou de culture.  Cependant, il ne serait pas très sérieux d'affirmer que toutes ces populations forment une nation de la même manière que celles qui ont vécu, partagé à la fois une géographie et une histoire, avec toutes ses vicissitudes, ses conflits, ses guerres, ses métamorphoses sociales, etc.  Preuve en est, nous le verrons à l'apparition du sionisme, que beaucoup de Juifs, comme il a été dit plus haut, se reconnaissaient citoyens du pays où ils vivaient et n'avaient aucun désir d'émigrer en Palestine pour reconstruire un Israël disparu depuis près de deux millénaires.  

introduction
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david salomon et mahomet-Mir Haydar-Miradj nameh-livre ascension du prophete-14-15e s-deta

Farid (Ferid) al-Din ʿAttar,  poète persan (v. 1145-1200/20), Mirâdj nâmeh /  Kitāb al-Miʻrāj : "Le Livre de l'ascension [du prophète, NDA]"

Manuscrit de 840 (1436 de l'ère chrétienne),  f. 19r :  Miniature représentant  Muhammad (Mahomet), David (Dâwûd) et Salomon. Art islamique d'Afghanistan, manuscrit copié à Hérat en  écriture ouïghoure,

 

          Paris, collections de la BNF, Département des Manuscrits. Supplément turc 190

 

 

des Abiru aux dhimmî

Des groupes nomades, pasteurs autochtones, se seraient sédentarisés progressivement entre la fin de l'âge de bronze et celui de l'âge de fer, entre les XIVe et XIIe s. avant notre ère, et auraient donné naissance au peuple hébreu (Ibri, Abiru, Apiru, Habirou), qui est d'abord, comme beaucoup d''autres communautés autour d'elle, polythéiste, polygame, et fait une place très grande  à la magie, au culte des morts, à la croyance aux esprits et aux démons, en particulier  (Lods, 1938) A la toute fin du XIIIe siècle, avant notre ère, toujours, apparaissent des cités-Etats proto-israélites dominées par l'Egypte. Une stèle de commémoration victorieuse des campagnes du pharaon Merenptah (vers 1212-1202), découverte à, Thèbes par l'archéologue Flinders Petrie en 1896, fait apparaître pour la première fois le nom d'Israël, à propos de laquelle les vainqueurs affirment qu'"Israël est dévasté,  sa semence n’existe plus. Kharou [Les Hittites, NDR] est devenue une veuve du fait de l’Égypte "  (traduction de Jean Yoyotte, cf. Servajean, 2014)Entre -1190 et - 1180 environ, une vaste migration de ceux qu'on a appelé les "Peuples de la mer", dont on ne connaît guère l'origine encore aujourd'hui, a menacé la domination égyptienne dans la région. Parmi eux, seuls les Peleset peuvent être rapprochés d'un peuple connu, les Philistins, qui se sont installés sur la côte méditerranéenne, fondèrent entre autres  Gaza ou Ascalon, et dont le nom, nous le verrons, servira à former celui de "Palestine".  L'étau égyptien desserré, les Habirou  groupe social naguère dominé dans différentes cités cananéennes, aurait profité de cette déstabilisation pour faire connaître ses revendications sociales et beaucoup de ces ouvriers frappés d'esclavage en raison de dettes insolvables auraient fait en masse défection (Liverani, 2008).  On doit préciser en passant que l'effondrement de  différentes sociétés  moyen-orientales à cette époque serait probablement dû à une combinaison complexe de phénomènes en plus de ces envahisseurs : séismes, famines, chute d'échanges commerciaux, en particulier (Cline, 2014).   

Les ancêtres des Israélites, pour une part autochtones, donc, se mêlent à d'autres pour former très progressivement un groupe homogène vivant aux côtés d'autres populations plus ou moins anciennes dans la région : Cananéens, Madianites, Moabites, Ammonites, Araméens ou encore Philistins.  Tous ces peuples étaient donc présents avant même la formation de celui d'Israël et une partie de leurs descendants seront convertis à l'islam à compter du VIIe siècle. Ainsi, les "douze premiers chapitres du livre de Josué sont en grande partie légendaires. La représentation des douze tribus d’Israël réunies sous la bannière de Josué qui s’empare de la quasi totalité du pays de Canaan au cours d’une campagne continue et rapide qui réduit à néant et sans coup férir les populations cananéennes, est une image d’Épinal qu’il faut définitivement abandonner. Les grandes cités de Jéricho, de Aï, de la Shéphélah (Libna, Lakish, Eglon), du sud de Juda (Hébron, Debir) et des vallées du nord (Haçor et Megiddo), contrairement à ce qu’affirme Jos 1-12, ne montrent aucun signe d’occupation israélite à la fin du BR [bronze, NDR] ou au début du Fer 1 (vers 1200 av. J.C.)."   (Van Cangh, 2004). 

Investissant les hauts plateaux de Manassé et de Sichem, en particulier, les peuples nouveaux et tribus pastorales autochtones finissent par composer une communauté qui se développe économiquement et démographiquement pendant les XIIe et XIe siècles avant notre ère, forte des techniques nouvelles d'agriculture et de commerce, raconte le spécialiste Mario Liverani, professeur d'histoire du Proche-Orient à l'Université La Sapienza de Rome (Liverani, 2008), qui ajoute en substance que  "ces nouvelles formations politiques se dotent péniblement de structures étatiques et administratives, et de formes d’urbanisme et d’architecture notables. Touchant d’abord le nord (Haçor et Megiddo) et le centre de la Palestine autour de Sichem et du petit royaume charismatique de Saül, ce mouvement s’étend ensuite au sud, autour de Jérusalem et du royaume très limité de David puis de Salomon. Relevons que ML ne remet pas en cause l’historicité de ces royaumes et de leurs monarques, mais il constate simplement leur dimension très réduite et le très important développement littéraire dont ils seront l’objet plusieurs siècles plus tard.  (Hugo, 2011). 

En fait l'archéologie a révélé que c'est plutôt la dynastie des Omrides qui crée le royaume d'Israël autour d'anciennes cités-états et d'une capitale, Samarie, entre - 885 et - 841 env., les royaumes éclatants de David et de Salomon que chantent la Bible n'ayant soit jamais existé (l'archéologie n'en a trouvé aucune trace) soit occupé un rôle très mineur historiquement, mais patiemment enjolivé et métamorphosé pendant des siècles par les différents rédacteurs de la Bible (Finkelstein et Silberman, 2006).  rusalem, par exemple, n'aurait pas pu être leur capitale, elle n'était alors qu'un simple village de montagne (Finkelstein et Silberman, 2002 ; Franklin, 2005).  S'il faut en croire une  grande majorité  d'archéologues, donc, c'est le royaume omride qu'il faut considérer comme le premier Etat d'Israël, et ses frontières évaluées par Finkelstein et Silberman montrent bien qu'elles ne correspondent pas vraiment à l'aire occupée par l'ensemble de la Palestine historique, confirmant, même pendant la très courte période des royaumes d'Israël et de Juda, la présence tout autour de populations et donc de souverainetés diverses. Il faut donc sérieusement réviser la domination antique d'Israël  sur l'ensemble de la  Palestine, d'autant plus que, dès la moitié du IXe siècle avant notre ère, les coups de boutoir de la puissance assyrienne accompagne progressivement la vassalisation de la région à leur empire, ce qui confèrerait à l'indépendance réelle des petits états juifs une durée extrêmement courte. 

des abiru aux dhimmi
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Carte du Royaume du Nord au temps de la dynastie Omride (-885 - 841 env.)

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Carte du premier territoire d'Israël et de son expansion sous la dynastie Omride, traduite en français

                                                                            (Finkelstein,  2019)

Après plusieurs conquêtes de Josué sur les Cananéens (Galilée, Samarie, Judée), David aurait réussi, selon certains historiens, à regrouper des cités-États, et créer un premier royaume, de taille très modeste, nous l'avons vu, qui éclate après la mort de son fils, Salomon : Il  aurait donc duré trois-quarts de siècle, environ  75 ans  (env. - 1000 à 925).  Une partie des tribus supportant mal les charges écrasantes imposées d'une main de fer par Roboam, le fils de Salomon,  Israël se scinde en deux : au nord le royaume d'Israël et sa capitale Samarie, au sud, le royaume de Juda, avec Jérusalem, entraînant aussi le retour à l'indépendance des principautés assujetties (op, cité), ce qui diminue d'autant l'aire d'influence juive. Dès lors, donc, si les roitelets juifs l'emportent parfois sur leurs ennemis, ils doivent d'autres fois s'incliner et payer le tribut à leurs vainqueurs. De part et d'autre, Philistins, Moabites, Edomites, etc., forment des entités politiques et culturelles différentes. Et très vite, l'Egypte commencera à faire des incursions dans la région, mais surtout, les terribles Assyriens deviendront les maîtres de la Mésopotamie, et, dès le milieu du IXe siècle avant notre ère, le royaume d'Israël paye tribut, et finit par être détruit par Salmanazar V et Sargon II entre  722 et 720, ce dernier faisant prendre le chemin de  l'exil (גלות, galuth, galout)  aux dix tribus du Nord d'Israël, qui finirent sans doute par être assimilées à l'empire. Quant au Royaume de Juda, il sera très affaibli après de multiples assauts et ravages assyriens.  Magen Broshi, archéologue israélien, et Israël Finkelstein ont calculé que, vers le milieu de ce VIIIe siècle avant notre ère,  la population de Juda était d'environ 110.000 habitants et celle de l'ensemble de la Palestine, environ 400.000   (Broshi et Finkelstein, 1992)

 

Près d'un siècle et demi plus tard, en - 587,  l'histoire se répétait, cette fois sous la domination du roi babylonien Naboukadnetsar (Nebucadnetsar, Nabuchodonosor), mais à la différence du premier exil, c''est une élite israélite aisée  ou  riche qui y est soumise, connaissant alors des conditions bien plus favorables que la majorité des habitants restés en Israël "constituée exclusivement des classes les plus pauvres et les plus incultes" (Conçalvez, 1999), environ 50.000 personnes, qui, pour cette raison, luttaient pour leur survie pendant que l'intelligentsia exilée se développait culturellement et religieusement : "Par rapport aux pays d’origine, les déportations avaient pour but d’en assurer la stabilité politique et la prospérité économique sous la domination, et au profit, de Babylone. Le meilleur moyen d’y parvenir dont Babylone disposait était d’éloigner du pays les membres de l’élite qui lui étaient hostiles, et de s’appuyer sur ceux qui lui étaient favorables. C’est ce qu’elle a fait en confiant le gouvernement à Godolias, fils de Ahiqam, de la famille du scribe Shaphan, une des grandes familles judéennes « pro-babyloniennes ». En bref, tout indique que les Babyloniens ont déporté uniquement ceux parmi les membres de l’élite qui s’opposaient à leur domination, laissant sur place ceux qui leur étaient favorables, auxquels ils ont confié le pouvoir. Ils ont déporté probablement aussi nombre d’artisans."   (op. cité).  Une partie de la population déportée (environ 5000 personnes) sera remplacée par des colons provenant de différentes provinces assyriennes, parlant akkadien, et leurs unions avec les Juifs formeront un nouveau peuple : les Samaritains.  Nous sommes donc  très loin de la mythologie sioniste moderne qui  "a puisé dans la version biblique des périodes babylonienne et perse une partie de son idéologie ; il lui a aussi emprunté quelques-unes des armes de sa propagande."  (op. cité),  

 

Quand les Juifs de Babylone recouvrent leur liberté, après la destruction de l'empire babylonien par les Achéménides, la première dynastie perse,  en - 539, c'est pour réunir en Judée (Yehud), devenue province perse, une population hétéroclite, composée d'exilés et de ceux qui avaient pendant ce temps occupé des terres abandonnées et n'avaient plus, pour un certain nombre, que des relations plus ou moins lâches avec la religion juive  (Perrin, 2000)  et quasi inexistantes avec les institutions créées par la communauté des exilés, et qui allaient former le socle de la religion juive. Cyrus II le Grand, qui a autorisé le retour d'exil des Juifs dans leur pays (mais une partie d'entre eux ne quitte pas la Mésopotamie), a aussi encouragé la construction du Temple de Jérusalem. Ce retour représente un "événement somme toute mineur pour la grande masse des Juifs du pays", et dont le chef, l'exilarque, est vu comme "le porte-parole d'une minorité tolérée" (Schwarzfuchs, 2012).  Les textes bibliques eux-mêmes confirment le conflit entre déportés et les autres, le prophète Ezéchiel se faisant le porte-parole des premiers et revendiquant pour eux  la possession du pays et l'extermination de ceux qui s'y trouvent (Ez 11,14-21 et 33,23- 29), les seconds déniant ce droit aux exilés, éloignés qu'ils auraient été de Yahvé par leurs péchés et, de ce fait, dépossédés du droit de propriété en Israël.  A l'inverse, le prophète Jérémie n'a pas voulu aller en Babylonie mais est resté en Juda, qui connaîtra à nouveau la domination de nouveaux empires à partir du dernier quart du IVe siècle avant notre ère, occupée par l'empire macédonien des Ptolémée passé, vers - 200,  sous le contrôle de l'empire séleucide, issu de celui d'Alexandre le Grand, hormis la parenthèse de la révolte des pieux Makavim (Maqavim, מכבים ou מקבים), entre - 175 et - 140 que nous appelons Maccabées (Macabées, Macchabées),  qui vit la fondation de la dynastie juive des Hasmonéens, régner jusqu'à ce que ce royaume, dernier Etat juif avant celui de 1948, ne tombe dans l'escarcelle de l'empire romain, quand le consul Pompée prend Jérusalem en - 63.  

Entre le milieu du premier siècle et celui du second, les populations hébraïques, en raison des humiliations et des persécutions subies se révoltent à trois reprises contre les Romains, en diaspora (Egypte, Cyrénaïque, Chypre, Mésopotamie, etc.) mais aussi, et surtout, en Judée, dont les évènements marquants sont en particulier la destruction du temple par le futur empereur Titus, en 70,  et  la brève indépendance de trois ans d'un Etat  juif  arraché par les armées de son chef  Bar Kokhba (Kosibah), entre 132 et 135,  révolte écrasée comme les autres dans un bain de sang.  Beaucoup de Juifs prennent à nouveau le chemin de l'exil, et une diaspora importante se constitue en Galilée, en Babylonie, en Syrie et en Egypte.  La région de la Palestine, province de l'empire romain puis de l'empire byzantin, sera islamisée après 636, date de la bataille de Yarmouk, au sud du lac de Tibériade (Tiberias : "qui est à Tibère", Tveria en hébreu, Tubariyeh, Tabariya, en arabe) :

"Du VIIe siècle au XVIe siècle, dans le bassin méditerranéen, les communautés juives adoptent la langue et la culture arabe. Cette symbiose d’un point de vue linguistique, philosophique, religieuse et culturelle connaît ses expressions les plus remarquables à Bagdad sous les Abbassides aux IXe et Xe siècle, en Egypte sous les Fatimides au XIe siècle et dans la région d’al-Andalus sous le règne des Omeyyades d’Espagne entre le Xe et le XIe siècle. D’autres périodes plus sombres, comme sous la dynastie des Almohades aux XIIe et XIIIe siècles voient surgir des épisodes violents à l’encontre des minorités religieuses. Durant le Moyen-Âge, savants et intellectuels juifs occupent par moments des postes clés à la cour des califes."

Juifs d'Orient, Une histoire plurimillénaire, dossier enseignant de l'Institut du Monde Arabe (IMA), 

Jusqu'au début du XXe siècle, les populations juives de la Palestine vivront sous des pouvoirs islamiques dans la région qu'on appellera au Moyen-Age Bilad al-Cham (B al-Sham, B. el-Chem : "pays du Levant"litt. "le pays à main gauche") dont la capitale est  Damas  (al-Shâm), appelée aussi Grande Syrie, qui regroupait les Etats actuels de Syrie, du Liban, de la Jordanie, de la Palestine et une partie au sud de la Turquie. La Palestine n'existe pas encore comme espace politique, elle est divisée en districts (sandjaks, appelés aussi moutasarrifats, mutasarrififya, dirigé par un moutassarif, mutasarrif,  gouverneur du sandjak), qui font partie de provinces  (wilâyas) telles Damas,  Saint-Jean-d’Acre,  Sayda (Saïda) ou encore, Beyrouth (Beirut). Les dynasties musulmanes se succèderont ainsi sur ces territoires du VIIe siècle jusqu'au début du XXe siècle, à l'exception de quelques courtes périodes dans certaines régions :  Omeyyades (661-750) Abbassides (750-1258), puis Mamelouks (env. 1260-1517), et enfin, Ottomans  (1453-1923, pour la domination européenne à la chute de Constantinople, 1299-1923 au  total) où, comme les chrétiens, les Juifs ont un statut inférieur appelé "dhimmî" : gens du pacte ("dhimma"), relatif à la protection que le prophète demande aux musulmans d'exercer envers les gens du Livre, chrétiens et juifs  (cf. Perrin, 2000). Ce statut discriminatoire impose en particulier aux dhimmis des obligations financières (surtout l'impôt foncier, ou kharâj et la jizya (jizîa, djizîa, djizîat, capitation annuelle) et vestimentaires.   Réduite "à peu de choses à la fin du Moyen Age"  (op. cité), la communauté juive connaît ensuite "une véritable renaissance" (op. cité)   :

"Ainsi, au XVIe siècle, les plus grands financiers de Constantinople sont des Juifs ou des Grecs, tandis que les Arméniens contrôlent par exemple la totalité du commerce d’armes. Au XIXe siècle, ce sont de grandes familles arméniennes qui s’imposent comme forgerons ou architectes du sultan : il existe en effet, au sein de chacune de ces micro-sociétés que sont les millet, plusieurs classes sociales, dont la plus haute est constituée de grandes familles influentes. Ils sont en revanche, à l’exception de quelques individus, pratiquement exclus des postes politiques, du gouvernement et de la cour, où seuls sont admis les intellectuels et les artistes reconnus et soutenus par le sultan (...) La politique ottomane vis-à-vis des dhimmî, et leur perception par la population dans son ensemble varie également au fil du temps. À la fin du XVe siècle, l’Empire ottoman se constitue en terre d’accueil pour les juifs expulsés d’Espagne par le décret de l’Alhambra promulgué par les Rois Catholiques en 1492 ; de nombreux juifs ashkénazes venus d’Europe de l’Est et de Russie trouvent également refuge dans l’Empire, où le statut de la dhimma leur garantit une sécurité qui contraste avec les persécutions dont ils peuvent être l’objet ailleurs.  (Tatiana Pignon, Les dhimmî dans l'Empire otttoman, article de la revue Les clés du Moyen-Orient, du 25 mars 2013)

juifs expulsés d'Espagne :   Les Juifs d'Espagne, expulsés par les rois chrétiens en 1492, sont appelés "Séfarades", qui désigne aussi, par extension, les Juifs d'expression et de culture arabe. "Dans le livre du prophète Abdias (verset 20), le terme « Sefarad » est une localité où demeurent des exilés de Jérusalem. Bien que, pour les savants modernes, ce verset biblique s'appliquât à Sardes en Lydie, il fut rapporté à Ispania ou Ispamia par les premiers commentateurs juifs. En hébreu médiéval et moderne, Sefarad équivaut à Espagne. Aujourd'hui, séfarade tend à supplanter dans l'usage les formes savantes sefardi ou sefaraddi (pluriel sefardim ou sefaraddim), qui dérivent directement de l'hébreu." (article SÉFARADE - Encyclopædia Universalis)

juifs ashkénazes (achkénazes, ashkénases)  :  Juifs d'origine allemande appelés aussi יקים (Yekim, Yekkes, sing. Yeke, Yekke), au départ installés peu à peu à partir du 1er siècle dans une région  éponyme de Rhénanie. Par extension, on a donné ce nom aux Juifs d'Europe de l'Est, de culture yiddish.  "Vers 1860, les Juifs d’Europe de l’Est représentaient plus de 75 % du judaïsme mondial, dont près des deux tiers en Pologne."   (Minczeles, 2011).

Dès le règne de Mehmet II le Conquérant (1432-1481), qui s'empare de Constantinople en 1453, le pouvoir ottoman reconnaît trois "millet" ("communauté", "peuple", de l'arabe milla, mellah : "communauté confessionnelle"). C'est  donc sur un critère religieux que se porte la distinction et non des spécificités ethniques ou linguistiques : A côté du Millet-i-rum (roum, du grec romios : romain), qui comprend les chrétiens  de rite orthodoxe, issus d'ethnies très différentes (serbes, grecques, bulgares, roumaines, vlachs, bosniaques, albanaises, etc.), on trouvait le Millet-i-Ermeni,  d'obédience chrétienne monophysite (Chaldéens, Syriens unis, Nestoriens et Jacobites), et enfin, le Millet-i Yahudi, comprenait les sujets de confession juive  (Adibelli, 2010).

"Dans les siècles suivants, ces apports extérieurs de population juive se poursuivent : des individus isolés ou des groupes conduits par des rabbins viennent à leur tour s’établir en Terre Sainte. Mais jusqu’au XIXe siècle, il s’agit d’un courant limité qui ne modifie pas profondément la composition de la population. Malgré l’existence de villages juifs, en Galilée surtout, cette communauté est essentiellement citadine. Les principaux foyers de population juive sont Jérusalem, Hébron, Gaza, Tibériade et Safed. Si les Juifs de Palestine exercent souvent des activités artisanales ou commerciales, une fraction importante d’entre eux se consacre aux études religieuses, leur subsistance étant assurée par des subsides versés par les communautés juives de la diaspora."  (Perrin, 2000)  

   subsides      :   Au cours du XIXe siècle,  le  "Vieux Yishouv de plus en plus divisé reste une mosaïque communautaire : la population ashkénaze devenue majoritaire supporte mal que le grand rabbin séfarade (Hakham Bashi) soit l’unique interlocuteur du pouvoir, mais au lieu de se coaliser pour obtenir les mêmes avantages, elle s’épuise dans des querelles entre les kollelim d’origines diverses et pour le partage de la halouqa"   (Delmaire, 1999).  Ces dons appelés haloukah (halouka, halouqa"partage') proviennent des communautés juives de la diaspora, des pauvres donnant quelques centimes aux mécènes millionnaires montant des projets onéreux, mais en Palestine ils ne sont pas répartis de la même façon dans les différents centres d'études ( kollel/kollelim ou collel/collelim) et  l'arrivée successive de groupes différents, aux niveaux économiques disparates (hassidim, mitnagdim [Juifs orthodoxes opposés aux hassidisme], juifs maghrébins, etc.) ne simplifie pas la situation : 

"Des écarts criants se font jour. Chaque kollel se partage les dons de ses propres donateurs et les groupes les plus riches refusent toute péréquation : ainsi les 170 bénéficiaires du kollel HO”D (Allemagne et Pays-Bas) touchent 160 F par an, y compris les enfants, ce qui couvre tous leurs frais de logement et la moitié de leurs frais de nourriture ; les 2130 bénéficiaires du kollel de Vilna se contentent de 23 F par an, les adultes de celui de Bucarest ne touchent que 6 F. La critique acerbe de la halouqa est commune chez tous les acteurs de la modernisation qui accusent ce système d’encourager à la paresse et à la mendicité et d’être une source d’injustice."   (Delmaire, 1999). 

"On ne donnait que des centimes, des centimes réels, des centimes de cuivre. Et des centimes ont été collectés pour la trésorerie du comité...  Parmi les nombreux riches qui prétendaient être à l’étranger, il n’y en avait pas un seul qui donnât une aumône décente."  (E. Lewinsky,  Voyage... cf. plus bas)

Selon les époques et les pouvoirs musulmans en place, les dhimmis juifs pourront occuper des  positions enviables, rarement persécutés ou discriminés par les musulmans avant les XVIIIe-XIXe siècles, contrairement aux fortes discriminations et autres persécutions régulières qu'ils connaissaient dans les pays chrétiens. Mais ensuite, les témoignages de vexations, d'humiliations et de mépris se multiplient de la part de la population musulmane envers les Yahoudi. Dès que le pouvoir central semblait affaibli,  "la masse se retournait contre ceux qui se voyaient désormais privés de protecteur. Tout semble alors permis à la foule déchaînée, ce qui ouvre la porte aux massacres, tueries, tortures et pillages qui viennent s’abattre sur la minorité juive. Les pogroms qui ont ravagé les villes de Safed et de Hébron en 1834 et les « trente-trois jours de terreur » qui se sont abattus sur la communauté juive de Safed en 1838 illustrent ce processus."   (Weinstock, 2011).    

 

En 1840, quand est constatée à Damas la disparition du Père Thomas, capucin italien, éclate "l'affaire de Damas", par les chrétiens damascènes qui accusent les Juifs de l'avoir assassiné pour recueillir son sang,  utilisé ensuite dans le rituel de Pâques. Plusieurs Juifs sont torturés, dont deux à mort, et une soixantaine d'enfants sont pris en otage par Chérif Pacha (1834-1907), gouverneur égyptien de la ville. Grâce à un certain nombre de puissants Juifs d'Europe, le sultan intervint lui-même et rendit justice aux Juifs, par un édit ordonnant de les protéger  mais le mal était fait, les mentalités musulmanes s'approprieront à leur tour le mythe chrétien du "crime rituel". Par ailleurs, la population, remontée contre l'ingérence européenne dans cette affaire, s'en prit cette fois aux chrétiens dans de sanglantes émeutes entre 1850 et 1860, à Alep, Naplouse et Damas (Weinstock, 2011)

 

Rappelons ici que le christianisme, après avoir pratiqué un antijudaïsme théologique dans les premiers siècles de son histoire, a diffusé un antijudaïsme populaire qui véhiculait l'idée que les juifs pouvaient commettre les pires infamies, les pires crimes, ce qui a fortement nourri l'histoire de l'antisémitisme. Ainsi, Dans l'Occident du Moyen-Age,  à partir du XIe siècle et pour quelques siècles, la séparation entre juifs et gentils devint presque totale, si on excepte le cas de l'Espagne et du Portugal,  sous domination musulmane du XIe au XVe siècles, où se développera une riche culture judéo-hellénique qui s'épanouira autour de ses philosophes (tel Maïmonide, 1135-1204), médecins, mathématiciens, astronomes, etc. Mais dans l'Europe chrétienne, s'en suivra une exacerbation de l'identité juive qui aurait certainement évolué très différemment sans cette mise en péril permanente  : 

 

"L’enfermement chrétien, qui empêche toute communication sur un pied d’égalité, tout mariage mixte et, sauf exception, tout échange intellectuel, renforce la fermeture propre à la religion de Moïse, qui confère aux juifs le privilège de l’élection divine, considère comme impurs les gentils et prohibe les mariages mixtes."  (Edgar Morin, Le monde moderne et la question juive, Paris, Edition du Seuil, 2006).  Et le philosophe de rappeler qu'à double tranchant, aussi, fut l'interdiction faite aux Juifs de pratiquer de nombreux métiers et leur  relégation dans d'autres, en particulier les métiers liés à l'argent : prêteur, banquier, etc. : "Mais cet argent, élément de plus en plus important de la malédiction juive, deviendra en même temps un instrument d’émancipation" et "c’est à partir de deux brèches, celle du commerce, des affaires et celle des intellectuels, philosophes et médecins – elles-mêmes provoquées à l’aube des temps modernes, d’une part par l’essor économique européen, d’autre part par l’éveil humaniste – que se dessine le chemin de l’émancipation"  (op. cité, p.26-27).  

On voit bien ici comment les idéologies font fi des causes historiques, et c'est allègrement qu'on construira l'image du juif avare, qu'on confondra au XIXe siècle avec une caste de banquiers minoritaire (Rothschild, Péreire, Camondo, etc.) et celle d'une communauté entière liée aux puissances d'argent, quand bien même une grande partie d'entre elle  connaissait pauvreté et dénuement   (op. cité).   

 

Revenons maintenant au cadre de la Palestine. Le  tableau historique qui a été dressé permet déjà de voir qu'à l'orée du XXe siècle, hormis les courtes parenthèses macchabéennes et hasmonéennes, les territoires historiques des royaumes juifs d'Israël et de Judée (comme ceux des royaumes voisins avec qui ils étaient en concurrence), étaient occupés par  différents empires, depuis le dernier quart du VIIIe siècle avant notre ère, soit plus de 2500 ans, les douze derniers siècles ayant été dominés par les pouvoirs islamiques :

 

"La dernière forme de souveraineté juive date en fait de 135 av. J-C, et fut exercée par la dynastie des Macchabées à Jérusalem. Après cette date, il n’y a pas eu de souveraineté, ou de pouvoir politique juif proprement dit. Quant au lien spirituel, George Corm explique que « L’accueil du judaïsme comme sujet actuel de l’histoire au Proche-Orient supprime la discontinuité historique, puisque ‘‘le peuple juif’’, notion biblique, aurait conservé le lien spirituel avec la terre de Canaan ; mais, dans ce cas, c’est alors la continuité historique de la Palestine ‘‘arabe’’ depuis le VIIe siècle qui est effacée de la mémoire collective européenne». Ainsi, au regard du Droit International, le « droit historique » sur la Palestine est difficilement démontrable."  (Al Smadi, 2012). 

D'autre part, s'agissant toujours du Droit International, "le terme employé pour désigner le « droit historique » est appelé « prescription acquisitive ».  Elle « permet l’acquisition d’un territoire étranger par un  Etat qui y exerce son autorité de manière continue et pacifique pendant une longue période »"(Al Smadi, 2012, citation de Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit International Public, 7° édition, LGDJ, Paris, 2002, p. 537).  Il paraît clair, au regard de l'analyse historique, qu'Israël  ne répond aucunement à ces critères, mais nous verrons plus tard que les conditions socio-historiques de la communauté juive, dont la Shoah sera de loin l'épisode le plus traumatique, nous obligera d'examiner avec soin les parts de légitimité ou d'illégitimité dans la création de l'Etat moderne d'Israël, en 1948, malgré toute l'entreprise de colonisation, dont nous poseront, pas à pas, la somme des inégalités et des injustices. 

 

Si les Juifs, comme d'autres communautés religieuses, ont eu dans les espaces islamiques la liberté relative de leur culte et de leur développement culturel, on comprendra aisément que l'Etat juif n'était en rien une réalité historique, à la veille du conflit israélo-palestinien,  dans un pays où la grande majorité de la population est demeurée musulmane pendant ces très longs siècles qui ont suivi l'islamisation du Moyen-Orient. Cependant, nous l'avons vu, un certain nombre de juifs, au cours de l'histoire, ont désiré retourner dans le pays de leurs (très) lointains ancêtres, Eretz Israël (ארץ ישראל, "la Terre d'Israël), quand l'occasion leur en était donnée : "expulsés d’Espagne, maghrébins, pieux hassidim d’Ukraine et de Pologne, leurs opposants, les mitnagdim de Lituanie... La plupart de ces vagues d’immigration juive étaient déjà le résultat d’un phénomène conjugué de rejet en diaspora et d’attirance vers « Erets Israël », la Terre d’Israël. Le changement de continent les obligea à modifier certains modes de vie ; cependant, le désir de prolonger les formes de la vie juive pratiquées en diaspora était plus fort que la volonté d’innovation chez ces immigrants, désignés par le nom de « Vieux Yishouv »." (Delmaire, 1999),  

Yishouv, (Yishuv, Yichouv, Yichuv)  :  communauté des juifs installés en Palestine avant la création de l'Etat d'Israël en 1948.  Le "vieux Yishouv" concerne les Juifs habitant la Palestine avant la colonisation sioniste, presque exclusivement tournés vers l'étude religieuse et la prière, cela a été signalé, et le "nouveau Yishouv"  désigne ceux qui appartiennent aux différentes vagues d'immigration appelées aliya (cf. plus loin).  

 

Cependant, on ne doit pas exagérer cette tendance au retour  :

 

"Ces retours vers la Palestine, qui maintiennent un lien physique entre le peuple juif et la Terre Sainte, ont tous un point commun : ils sont le fait de groupes peu nombreux. Ils ne résultent pas de projets plus vastes de réinstallation de tout ou partie du peuple juif en Palestine. (...) En fait, l’attachement à Sion [colline de Jérusalem, par extension la "ville sainte" elle-même, NDA] a longtemps été, pour les communautés juives, de nature spirituelle. Le retour à la Terre Promise ne pouvait être que l’œuvre de Dieu (...) et il était impie de prétendre se substituer à Lui. Leur espérance est de type eschatologique, c’est-à-dire en relation avec la fin des temps. Les autorités religieuses juives sont longtemps restées hostiles à toute idée d’immigration massive en Terre Sainte. Leur principal souci était le maintien de la cohésion des communautés par la fidélité à la Loi."  (Perrin, 2000).

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Affiche sioniste du  périodique The Sphere, intitulée "BACK TO JERUSALEM, The dream of the Zionists"  (Retour à Jérusalem, Le rêve des sionistes"), signée Home Percy, Royaume-Uni,  1900 

Profitons en ici pour préciser que Jérusalem, de par son rôle historique et religieux, n'est pas une ville de Palestine comme les autres.  Le plus souvent, l'imaginaire juif n'opère pas une stricte séparation entre la Jérusalem terrestre et la Jérusalem céleste : 

"L’interprétation sans cesse recommencée des versets bibliques préserve la centralité de Jérusalem et de la Terre d’Israël dans la pensée juive. Au Moyen Age, certains Sages, poètes ou mystiques, comme Yehuda Halévi, Maimonide et Nahmanide, tournent vers elles leur cœur et leur pensée, y dirigent leurs pas ou s’y font enterrer. Jusque vers l’an mil, des communautés juives bien vivantes et plus nombreuses qu’on ne le croit en général se maintiennent ou se créent en Galilée, dans la plaine côtière et en bordure du désert de Judée. Néanmoins, la vie juive s’épanouit surtout en diaspora, elle décline en Terre Sainte de l’époque byzantine à l’époque des croisés où elle est pratiquement éteinte, elle ne se renouvelle guère après la reconquête par Saladin, ni sous la domination successive des Mongols et des Mamelouks"  (Delmaire, 1999).   

croisés :  "À leur arrivée en 1099 ceux-ci se livrent à d’effroyables massacres, ne laissant la vie sauve ni aux Juifs ni aux musulmans. Les Juifs de Jérusalem sont exterminés, les communautés de Jaffa et de Ramleh [Ramla, Ramlah, NDA] disparaissent mais celles de Galilée parviennent à se maintenir."  (Weinstock, 2011).

Au milieu du XIXe siècle,  les juifs, très minoritaires en Palestine, nous le verrons,  connaissent une situation exceptionnelle à Jérusalem, où ils sont au contraire majoritaires (8000 sur 15000 habitants),  et, à la veille de la première guerre mondiale, ils totalisent 40.000  habitants, soit près de 60 % de la totalité. Mais le développement des communautés chrétiennes (20 % de la population de Palestine au début du premier conflit mondial), principalement latine et orthodoxe, est important, en particulier à Jérusalem, où "les diverses communions des Grecs schismatiques et catholiques, des Arméniens, des Coptes, des Abissins et des Francs, se jalousant mutuellement la possession des Lieux Saints, se la disputent sans cesse à prix d'argent auprès des gouverneurs turks.  C’est à qui acquerra une prérogative, ou l’ôtera à ses rivaux ; c’est à qui se rendra le délateur des écarts qu’ils peuvent commettre... De là des inimitiés et une guerre éternelle entre les divers couvens et entre les adhérons de chaque communion"  (Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, comte Volney, dit Volney,  Voyage en Syrie et en Egypte pendant les années 1783, 1784, & 1785..., Paris, Volland, 1787)

 

Jérusalem reste une exception donc, et le recensement de 1893 est très parlant sur la représentation des Juifs au sein des communautés de Palestine, soit  42.000 âmes pour 414.648 non-juifs (Musulmans, chrétiens et druzes), qui totalisent 90.8 % de la population  (Charbit, 2011).  Ces données démographiques à elles seules donnent une idée du non-sens et de l'illégitimité d'un Etat Juif qui engloberait l'ensemble de la Palestine. 

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Affiche publicitaire pour la compagnie de chemins de fer PLM (Paris-Lyon-Méditerranée), créée par l'affichiste Hugo D'Alesi, Paris,1898, 

un peuple sans pays

 

un peuple sans pays... un pays sans peuple 

                         Le sionisme avant la lettre 

 

 

 

 

Le XIXe siècle est un tournant important dans  l'histoire des communautés juives et arabes de Palestine. Contrairement  à ce qu'on croit généralement, l'idée d'œuvrer  pour  y créer un Etat juif, avant de germer dans la pensée sioniste, que nous examinerons plus loin, a été une préoccupation de tout un courant du puritanisme protestant anglo-saxon, du XVIe au XIXe siècles (Perrin, 2000).  Ce dernier prenait au pied de la lettre les textes bibliques interprétés comme la promesse divine d'une réunion du peuple juif en "Terre sainte", suivie d'une conversion générale au christianisme :   "Or je vous le dis à vous, les païens, je suis bien l’apôtre des païens et j’honore mon ministère, mais c’est avec l’espoir d’exciter la jalousie de ceux de mon sang et d’en sauver quelques-uns. Car si leur mise à l’écart fut une réconciliation pour la monde, que sera leur admission, sinon une résurrection d’entre les morts."  (Epître de Paul aux Romains, XI 13-15).  Citons  les tentatives de persuasion du philosophe Joseph Priestley (1733-1804), auprès du rabbin britannique David Levi (1740-1799), pour le convaincre d’organiser un transfert des juifs en Palestine, idée que Levi rejettera en rétorquant que ces derniers doivent accomplir leur mission dans le pays où ils vivent  (Rabkin, 2017)On verra plus tard le prédicateur anglican John Nelson Darby (1800-1882), auteur d'une célèbre traduction de la Bible qui porte son nom, élaborer une doctrine vers 1835 qu'il nomme "dispensationalisme" fondé sur trois versets du livre de la Genèse (15 : 18-21), et qui affirme que le second avènement du Christ ne pourra survenir que si la Terre d'Israël revient entièrement aux Juifs. Quelques années après, en 1840, un groupe de théologiens écossais publie dans le Times de Londres un "Mémorandum aux souverains protestants" appelant au retour des Juifs en Palestine. A la même époque, on verra le pasteur écossais Alexander Keith tenir, lui aussi, un langage sioniste avant la lettre, falsification de l'histoire comprise :  "C'est pourquoi ils sont des vagabonds à travers le monde, qui n'ont trouvé nulle part un endroit où reposer la plante de leur pied — un peuple sans pays ["a people without a country] ;  de même que leur propre pays, comme nous le montrerons plus tard, est dans une large mesure un pays sans peuple ["a country without people"] ;" (Alexander Keith, The land of Israël, according to The Covenant with Abraham, with Isaac, and with Jacob, Edinburgh, William Whyte and Co, 1843, p. 34) Ces expressions seront reprises en une formule devenue célèbre ("a land without a people, and a people without a land" : "Une terre sans peuple et [pour]  un peuple sans terre),  dans un compte-rendu de l'ouvrage de Keith (Review, The Land...,  avril 1844, dans The United  secession magazine, Vol I, Edinburgh, 1844, p. 189).  Souvent reprise à leur compte par d'autres, la formule est régulièrement attribuée par erreur (même par des historiens) à Lord Shaftesbury (Anthony Ashley-Cooper, 7e comte de S., 1801-1885), qui l'utilisera à sa manière à partir de 1853 ou encore Israël  Zangwill (cf. plus bas), en 1905.  

 

Pour de toutes autres raisons, d'intérêts politiques au Proche-Orient, des dirigeants de Grande-Bretagne  imaginent un projet similaire pour affaiblir le pouvoir ottoman par la création d'un Etat tampon entre Turcs et Egyptiens :  "Il est manifeste qu’un pays, où un nombre important de Juifs choisirait de s’établir, tirerait un grand profit des biens qu’ils apporteraient avec eux. Le peuple juif, s’il revenait sous l’autorité et la protection du sultan, serait un frein aux éventuelles tentatives pernicieuses de Méhémet-Ali ou ses successeurs" (Henry John Temple, 3e vicomte de Palmerston, 1784-1865, ministre britannique des Affaires étrangères, note d'août 1840 à l'ambassadeur anglais en Turquie).  Suivra vingt ans plus tard l'affirmation tout aussi idéologique du secrétaire de Napoléon III, Ernest Laharanne (1840-1897), qui défendra le droit des Juifs de tous pays à être réunis sur une même terre pour un destin glorieux supérieur à celui de bien d'autres peuples, rejetant comme "inadmissibles" toutes les propositions ressemblant à celles de la déclaration de Francfort des  "Juifs modernes", ces  philosophes des Lumières juives, l'Haskala,  écrite sous l'inspiration de Moïse Mendelssohn, et dont le troisième article affirme : "Nous ne reconnaissons pour patrie que celle dans laquelle nous sommes nés et à laquelle nous sommes tenus par les relations civiques..."  (op. cité). Dans son ouvrage le plus connu, l'écrivain affirme  qu'il s'est agi, à divers époques, de racheter la Palestine par des financiers juifs, "aujourd'hui répandus dans tout l'univers, ou bien du rachat par souscription, ce qui eut été plus noble et plus digne" (E. Laharanne, La nouvelle Question d'Orient – Empires d'Égypte et d'Arabie – Reconstitution de la nationalité juive, Paris, E. Dentu, 1860, p. 33). 

 

Le sionisme n'était pas encore né, officiellement, mais ses ingrédients principaux existaient manifestement  depuis longtemps. Tout comme chez les proto-sionistes chrétiens dont nous avons parlé,  les proto-sionistes juifs  dont il est question ici ne s'intéressent qu'aux aspirations des Juifs désireux de reconstruire une nation, sans se soucier une minute des populations qui habitent depuis des siècles la Palestine ou d'autres pays envisagés pour leur installation, comme s'il était possible d'envisager de payer des gens pour qu'ils abandonnassent leur pays : "Quelle puissance s'opposerait à ce que les Israélites, réunis en Congrès, délibérassent et arrêtassent le rachat de la mère-patrie ? Qui s'opposerait à ce qu'ils jetassent, à la face du Turc décrépit, des monceaux d'or, en lui disant : Rends-moi mes foyers et va consolider avec cet or ce qui te reste d'Empire ?" (op. cité, p. 36), Fait intéressant, Laharanne avance même que "dans les affaires européennes, la restauration de la Judée ne serait plus un obstacle (...) Cette solution est tellement entrée dans l'esprit de tous, qu'elle ne serait, une fois adoptée, ni nouvelle, ni étrange" (op. cité),  Mieux encore : il imagine déjà de manière prémonitoire que "la Judée pourrait agrandir ses frontières primitives" (op. cité), même s'il se trompe en spéculant sur cette élargissement (de Suez ou de Smyrne, par exemple).  A l'entendre,  il semblerait que la confection du tapis rouge que le Royaume Uni, nous le verrons, allait dérouler pour la colonisation juive de la Palestine, cinquante ans plus tard,  était déjà entamée. En attendant, l'auteur, lui, avait mis sa pierre à l'édifice, dressant un long panégyrique du peuple juif, de pur style colonialiste dans lequel le XIXe siècle européen a tant versé, littérature aussi ennuyeuse que consternante, dont voici un bref aperçu : 

"Vous serez en Orient comme un pôle moral des mondes (...) Vous serez les instituteurs de peuplades africaines et des bandes errantes de l’Arabie..." (E. Laharanne, La nouvelle Question d'Orient..., op. cité, p. 42)  

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Danse dans l'ancien Israël, illustration d'Ephraïm Moses Lilien (1874-1925) pour le livre de son ami chrétien et pro-sioniste Börries Albrecht Conon August Heinrich, baron von Münchhausen, "Juda", ouvrage de poésie sur des thèmes bibliques, 1900.  

 

                collections de la Bibliothèque Nationale d'Israël. 

 

 

 

C'est dans les pays d'Europe orientale (Russie, en particulier), où les Juifs sont persécutés en ce XIXe siècle, et représentent alors, de loin, les plus importantes communautés juives du monde, que vont se construire des visions complexes, à la fois révolutionnaires, rédemptrices, messianiques d'une patrie retrouvée, fondées d'abord sur des textes eschatologiques de l'Ancien Testament (Livres de Daniel, d'Ezéchiel, de Baruch ou d'Esdras), en particulier au sein du courant très religieux et mystique du hassidisme. En 1852, paraît Ahavat Tsiyyon  (אהבת ציון , "L'amour de Sion"), roman historique du russe Abraham Mapou (1808-1867), symbole de ce mouvement d'idées. Dix ans plus tard, était publié dans le même sens l'ouvrage du rabbin prussien Tzvi Hirsh Kalisher (1785-1874), Drishat Zion (Drichath Tsiyone : "La quête de Sion", colline de Jérusalem qui désigne symboliquement la ville même pour les Juifs, depuis la destruction du premier Temple dit  de Salomon,  en - 586.  Ce titre sera repris plus tard par le mouvement  Hovevé Zion (Hovevei Z.) ou Hibat Zion (Hibat Tzion, Hibbat T.),  littéralement "Amants de Sion" (חיבת ציון, traduit aussi par Amour de Sion), fondé en particulier par Léon Pinsker, médecin d'Odessa, en 1881, et Menahem (Menachem) Mendel Ussishkin (1863-1941), un ingénieur d'origine bélarusse qui dirigera l' Organisation sioniste mondiale (World Zionist Organisation, WZO) de 1921 à 1923, puis le Fonds national juif,  de 1923 à 1941, deux grandes organisations sionistes dont nous reparlerons plus loin.  

"La majeure partie de la période des Amants de Sion est caractérisée par ce double regard sur la réalité palestinienne : un regard imaginaire qui amplifie et embellit, un regard scrutateur qui cherche à comprendre la réalité du terrain. Les multiples descriptions réalistes ne suppriment pas la part de rêve qui caractérise cette époque (..) Les lecteurs des informations réalistes et des critiques d’Ahad Ha’am [cf. plus bas, NDA] sont moins nombreux que les auditeurs subjugués par les prédicateurs ambulants qui chantent la fertilité de Sion. Le Comité d’Odessa s’irrite même de la trop grande influence de ces prédicateurs qui poussent à l’émigration des candidats privés de toute ressource."  (Delmaire, 1999).

 

Rappelons aussi que, de manière corollaire, on trouve tout au long de l'histoire des manifestations d'attachement de certains Israélites à une Terre promise, théâtre principal de leurs textes sacrés, en particulier  différents témoignages de soutien matériel apportés par la diaspora aux Juifs de Palestine dans leurs moments difficiles : cet attachement n'a aucun rapport direct avec le fait colonisateur, pilier principal du sionisme, comme nous le verronsPour un certain nombre de Juifs d'Europe occidentale,  à compter de la Renaissance, quand le temps et les lieux étaient propices à leur épanouissement personnel, l'identité n'était en rien exclusivement juive, rappelle Edgar Morin : Certains étaient plus juifs que gentils, comme Uriel da Costa (1585-1640) qui veut demeurer dans la communauté juive d'Amsterdam et exercer sa liberté de libre-penseur. D'autres, plus tard, ne renoncent pas à leur identité juive mais veulent s'intégrer au monde gentil : les philosophes Moïse Mendelsshon (1729-1786) et Hermann Cohen (1842-1918), en Allemagne, le journaliste Bernard Lazare (1865-1903) en France, par exemple. Le grand écrivain Stefan Zweig lui-même se sentait, comme d'autres, européen avant tout.  Et ne parlons pas de ceux qui se sont convertis au christianisme, près de nous : le cardinal Lustiger, Simone Weil ou encore Maurice Schuman  (op. cité). 

 

Pendant longtemps, l'évocation d'une Sion plus ou moins mythique, l'idée d'un retour des Juifs sur une terre qui leur aurait été promise par Dieu  (point très discuté d'ailleurs par les théologiens juifs), n'ont pas eu besoin d'être réunis sous un même concept. Le mot "sionisme" n'apparaît que le 1er avril 1890, sous la plume de Nathan Birnbaum, dans son journal Selbstemanzipation  (Greilsammer, 2005), dans le contexte d'un débat déjà bien animé autour du  sionisme politique, d'essence colonisatrice, que nous allons bientôt aborder.  En conséquence,  on ne peut pas du tout se satisfaire aujourd'hui de la définition du sionisme de Maxime Rodinson comme étant "un ensemble de mouvements différents dont l’élément commun est le projet de donner à l’ensemble des Juifs du monde un centre spirituel, territorial ou étatique, en général localisé en Palestine." (M. Rodinson, Peuple juif ou problème juif ?, La Découverte, Paris, 1997, p. 135).  Certes, les courants principaux du sionisme étaient encore représentés au premier Congrès sioniste de Bâle, en 1897, mystique, religieux et culturel, d'un côté, politique, de l'autre, mais, très rapidement, le terme "sionisme" sera très massivement employé dans la sphère publique et privée arabe, juive ou internationale, nous le verrons, pour ne plus désigner que la forme tangible, coloniale, du sionisme politique en actes qui est à la racine, comme nous le verrons en détail  de ce que les médias appellent couramment aujourd'hui  le  "conflit israélo-palestinien", rhétorique bien commode pour éviter d'utiliser des mots recouvrant mieux la réalité du phénomène, à savoir colonisation d'un côté et mouvement (et parfois révoltes et guerres) de libération et d'indépendance, de l'autre. Certes, d'autres formes de sionisme ont continué d'exister, mais c'est bien du sionisme politique dont on débat dans toutes les instances officielles du sionisme, c'est celui-là qui occupe la presse, les  débats publics, les polémiques, car c'est celui-là qui va changer durablement, pas à pas, l'histoire conjointe des Juifs et des Arabes en  Palestine.  

 

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illustration d'E. M.  Lilien pour le Ve Congrès du sionisme mondial à Bâle, Suisse, 1901

 

                         

  “ des étrangers parmi les nations

 

 

Sir Moses Haïm Montefiore (1784-1885), naît en Angleterre à une époque où les Juifs, malgré beaucoup d'évolutions (ils seront émancipés en 1858), y connaissent toujours des discriminations. Pour cette raison, il ne pourra accéder ni à l'université ni à des professions libérales, encore interdites aux Juifs pour quelque temps. Comme beaucoup d'autres Juifs cantonnés à certaines catégories de métiers, et en raison de ses origines sociales avantageuses (cf. Halimi, 2013) il se tournera vers la banque, en l'occurrence la finance, et finira par faire fortune en tant que courtier à la Bourse, en partie grâce à son réseau familial. En effet,  la femme qu'il épousera était apparentée à... Nathan Mayer Rothschild. Très pieux, très généreux, il estime que la charité (tsedaka, en hébreu) "est un acte de justice, un devoir pour les nantis de restituer aux déshérités une partie de la fortune accordée par la Providence (...) et décide de se retirer des affaires après avoir fait fortune pour se consacrer à l'action sociale, devoir religieux  à ses yeux  (Halimi, 2013).  En plus d'assister Lord Shaftesbury (qui était dans une secte millénariste et prêchait pour la  Restoration of the Jews :  "Restauration des Juifs") pour promouvoir l'éducation des enfants pauvres, et de bien d'autres combats pour protéger les Juifs de différentes injustices, en Russie, en Italie, au Maroc, en Roumanie, etc. (op. cité)il encouragera les Juifs du Yichouv à fonder des villages agricoles (mochavah, mochavoth), et achète, par exemple, une orangeraie à Sarona pour des Juifs pieux, comme le rabbin de Jaffa (Yafa), en 1853. C'est donc en grande partie grâce à sa philanthropie qu'au début des années 1850, une petite vague d'immigration juive conduit 30.000 personnes à s'installer en Palestine, dont 5000 créèrent vingt-cinq implantations agricoles (Delmaire, 1999)

 

En 1860, se construit un nouveau quartier juif, situé hors des remparts de Jérusalem (Perrin, 2000)Nous sommes encore là dans des aventures collectives qui ne se fondent pas sur un projet politique avoué, lié à la communauté juive dans son ensemble, mais sur diverses incitations de mouvements divers appelant au retour des juifs dans leur patrie d'origine, en particulier les courants mystiques juifs, ou influencés par le puritanisme et l'anglicanisme chrétiens, dont il a déjà été question plus haut. 

des étrangers parmi les nations

Très peu de temps après, et plus de trente ans avant Theodor Herzl,  qui incarne la figure paternelle  du sionisme et dont nous ferons la connaissance plus loin,  Moses Hess (Moshe, Moïse, Maurice H, 1812-1875), penseur et rabbin socialiste qui a collaboré à plusieurs travaux avec Karl Marx et Friedrich Engels, ou encore Etienne Cabet, après avoir défendu "l'assimilationnisme" : l'assimilation culturelle et sociale  des juifs européens"  (Naiweld,  2021),  s'élèvera contre l'assimilation des Juifs   dans les différents pays où ils vivent, la dénoncera comme une illusion et défendra un nationalisme de nature politique, inspiré, d'après son propre témoignage, de "l'affaire de Damas" en 1840 (cf. plus haut) et des guerres ayant mené à la réunification italienne de 1861 (Naiweld,  2021) : 

"la renaissance de l'Italie annonce la résurrection de la Judée (...) Nous demeurons toujours des étrangers parmi les nations (...)  Ce que nous avons  à accomplir dans le présent pour la régénération de la nation juive est d'abord de maintenir vivant l'espoir d'une renaissance politique de notre peuple, puis de réveiller cet espoir, là où il sommeille. Quand les conditions politiques en Orient seront propices à l’organisation d’un début de rétablissement de l’Etat juif, ce début s’exprimera par la création de colonies juives dans le pays de leurs ancêtres"  (Moses/Moïse Hess,  Rom und Jerusalem, die Letzte Nationalitätsfrage / "Rome et Jérusalem, la dernière question des nationalités", Leipzig, 1862).   Par ailleurs, dans le droit fil des croyances exprimées dans la Thora, qui correspond au Pentateuque chrétien, les cinq premiers livres de l'Ancien Testament, Hess est convaincu comme beaucoup d'autres Juifs de faire partie d'un peuple élu  (Am nivhar, "peuple choisi") par Dieu parmi tous les autres de la Terre :

"Désormais, si vous écoutez ma voix, si vous gardez mon alliance, vous serez mon trésor entre tous les peuples ! Car toute la terre est à moi, mais vous, vous formerez pour moi une dynastie de pontifes et une nation consacrée"  (Exode 19 : 5-6). 

 

"Car tu es un peuple consacré à YHWH [Yahvé, NDA], ton Dieu [Elohim, NDA], , et c'est toi qu'Il a choisi pour être pour lui son domaine particulier entre tous les peuples  sur la face de la Terre" (Deutéronome 14 : 2). 

 

Comme le christianisme ou l'islam, chacun sous une forme qui lui est propre, le judaïsme (qui n'a cependant pas versé autant qu'eux dans la violence religieuse, mais l'a durablement subi) n'a pas échappé à l'arrogante prétention d'être l'instrument choisi pour exécuter la volonté de Dieu sur Terre.  C'est en tout cas cette mentalité qui fait dire à Hess que c'est par le peuple juif que "tous les autres peuples des grandes races historiques qui ont créé la civilisation moderne, furent initiés dans le mystère de la cause finale de l’histoire de l’humanité."   (Maurice Hess, deuxième des dix Lettres "Sur la mission d'Israël dans l'histoire de l'humanité", adressées par l'auteur aux Archives Israélites, revue bimensuelle de Paris éditée par Isidore Cahen entre janvier et juin 1864).  Hess place au pinacle deux cultures, la grecque et la juive, la première pour avoir initié le monde à la science du temps présent, la seconde pour lui avoir donné la science de l'avenir (Naiweld,  2021) : là encore, le propos idéologique frappe par ses idées archaïques de supériorité de certains peuples sur d'autres, qui ont conduit on le sait à l'impérialisme et au colonialisme européen, qui allaient contaminer à leur tour, nous allons bientôt le voir, le colonialisme juif. Car c'est de cela dont parle le rabbin, quand il dit en substance que tous les  grands peuples ont une fonction civilisatrice, mais que dans cette compétition culturelle, les Juifs sont inéquitablement dotés, et doivent par conséquent "se réunir dans leur terre ancestrale et y établir un État souverain." (Naiweld,  2021)..     

En 1878,  des Juifs de Jérusalem fondent une colonie agricole nommée Petah Tikva (Petach Tikwah" La porte de l'espérance"), et l'arrivée "à Jérusalem de la première récolte à dos de chameaux frappe les esprits : pour la première fois depuis des siècles, des paysans juifs remettent en pratique les commandements attachés à la Terre d’Israël  (op. cité).  Dès avril 1881, les persécutions et les expulsions en Russie poussent 150.000 personnes hors de l'Empire tsariste, et il faut bien leur trouver une terre d'accueil. L'Alliance Israélite Universelle (AIU), fondée en 1860 (le riche mécène juif, Charles Netter, 1826-1882, figure parmi ses six cofondateurs) choisit de favoriser leur émigration aux Etats-Unis, où, très vite, les structures d'accueil sont saturées et obligent Alliance à disperser les émigrants qu'ils peuvent aider dans divers pays d'Europe,  certains se voyant par malheur contraints de retourner dans les régions hostiles d'où ils étaient partis. (Tebeka, 1970). Cette situation émeut profondément Pinsker, qui publie en 1882 à Berlin un ouvrage en allemand sur le sujet, Autoemancipation ! Mahnruf an seine Stammesgenossen von einem russischen Juden ("Auto-émancipation ! Appel à ses compatriotes par un Juif russe").  Le médecin  témoigne une nouvelle fois de toutes ces tribulations, persécutions et haines infligées aux Juifs un peu partout dans le temps et dans l'espace, qui réclament plus que jamais un lieu pour leur survie, où ils vivront en paix une existence désirable, où que ce soit dans le monde  : 

"Il est possible que la Terre Sainte devienne notre propre terre. Ce serait tant mieux. Mais ce n’est pas l’essentiel : il s’agit, avant tout, de découvrir où pourrait se trouver le pays susceptible d’offrir aux juifs de tous horizons, forcés de quitter leur pays d’origine, une possibilité d’accueil et de refuge : un refuge sûr, incontesté, inviolable et fertile."   (Pinsker, op. cité).

 

Divers mouvements juifs vont alors pratiquer une intense propagande :  "les résonances messianiques du sionisme pouvaient séduire ces couches de la population croupissant dans la misère et déçues par une direction communautaire sclérosée. Dans une ville comme Istanbul, c'est précisément dans ces milieux que la propagande sioniste, en mettant en avant ses dimensions traditionnelle et nationale, remporta ses succès les plus rapides."  (op. cité). 

 

En 1882, c'est un petit groupe de jeunes gens qui débarque de Russie dans le port de Jaffa en pionniers. Issu des  premiers bilouim (biluim, sing. bilou, bilu,  "mouvement", en l'occurrence d'installation de Juifs en Terre Sainte), ils ont pour but "la régénération socio-économique, spirituelle et nationale du peuple hébreu moyennant une colonisation raisonnable des territoires de la Syrie et de la Palestine."  ("Archives Centrales Sionistes désormais ACS, AK 36/1, cf. Tsafon, no 13",  Delmaire, 1999).  Suivront la même année la fondation des premières colonies juives (Rishon-le-Zion, Rosh Pina, Zikhron Yaakov, Rehovot, Gedera/Guedera, etc.), et cette première vague de retour (1882-1903) constitue ce qu'on appellera la première aliya ( עֲלִיָּה ou עלייה, alya, alyah, aliyah, plur. aliyot : "ascension", "élévation" en hébreu), qui se composera au total de 40.000 immigrés environ   (Weinstock, 2011).   Différents témoignages montrent que les Bilouim sont "la première expérience organisée en vue du rétablissement d'un Etat juif en Palestine" (Frances Miller,  Chaim Chissin  A Palestine diary : memoirs of a Bilu pioneer, 1882-1887,  introduction à sa traduction du russe de l'ouvrage, New York,  Herzl Press, 1976).                     

"le but ultime… est,  de reprendre à temps la Terre d'Israël et de redonner aux Juifs l'indépendance politique qu'ils ont acquise. et dont ils ont été privés depuis deux mille ans… Les Juifs se lèveront encore et, les armes à la main (s'il le faut), déclareront qu'ils sont les maîtres de leur ancienne patrie.   (Témoignage d'un bilouim, 1882, dans Morris, 1999). 

 

 "Pour l’instant, nous parlons de colonisation et seulement de colonisation. C'est notre premier objectif. On parle de ça et seulement de ça. Mais il est évident que « l’Angleterre est aux Anglais, l’Egypte aux les Égyptiens et la Judée aux Juifs. Dans notre pays, il y a de la place pour nous. Nous dirons aux Arabes : Éloignez-vous. S’ils refusent, s’ils s’y opposent par la force, nous les forcerons à se déplacer. Nous les frapperons à la tête et les forcerons à bouger."      (Rabbi Yitzhak Reelef, 1883, cité par David McDowall, "The Palestinians, : The Road to Nationhood", London: Minority Rights Group, 1994)

Trois ans plus tard, en 1886, Ilia (Ilya) Adolfovitch Rubanovitch (Rubanovich, 1859-1920), un Juif  socialiste révolutionnaire russe posait dans un texte, oublié aujourd'hui, des questions qui allaient être cruciales  et qui montrent bien qu'elles pouvaient être posées dès le début de la colonisation sioniste, de par la forme prédatrice et impérialiste qu'elle avait prise dès le départ et qu'une partie des réponses pouvaient être anticipées de manière déductive  : "Que faire des Des Arabes ? Les Juifs s'attendent-ils à être des étrangers parmi les Arabes ou voudront-ils faire en sorte que les Arabes deviennent des étrangers au milieu d'eux ? Les Arabes ont exactement le même droit historique et il serait malheureux pour vous si, en prenant position sous la protection des pillards internationaux, en utilisant les tractations sournoises et les intrigues d’une diplomatie corrompue, vous obligez les Arabes pacifiques à défendre leurs droits. Ils répondront aux larmes par le sang et enterreront vos documents diplomatiques dans les cendres de vos propres maisons."  ( I. Rubanovitch, cité par Jonathan Frankel, Prophecy and Politics : Socialism, Nationalism, and the Russian Jews, 1862-1917, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 129).

Le plus connu d'entre les bilouim est sans doute  Menahem Ussishkin, qui deviendra un  dirigeant sioniste de premier plan. Dans un hommage à un de ses anciens compagnons, le Bélarusse Chaim Hisssin (Haim, Ḥayyim Chissin, 1865-1932),  il déclarera que le mouvement Bilou était une entreprise de création d'un Etat juif en Palestine  (MacDonald, 2012).   Le journal de Chaim Hissin (A Palestine diary... op. cité) est très instructif sur la mentalité de ces premiers groupes sionistes qu'ont constitué les bilouim.  Il montre que ces apprentis colonisateurs correspondaient au prototype du nouveau Juif appelé par tout un courant de penseurs juifs, promouvant la virilité, la force, nécessaires au rétablissement de la gloire de Sion, associé aux stéréotypes raciaux qui avaient cours partout en Europe dans les nations colonisatrices dont étaient issus les colons sionistes eux-mêmes. Comme beaucoup de leurs successeurs, les Bilouim sont convaincus de leur mission civilisatrice apportant la "culture à un pays incivilisé" (MacDonald, 2012)..  Ainsi, pour Hissin, les "Arabes étaient des sauvages, sans foi ni loi, de criminels ennemis qui constituent une menace et un obstacle à l'établissement des Juifs. Selon Chissin, il était nécessaire aux colons Juifs d'user de la peur, de l'intimidation et de la force, pour« ôter à ses voisins arabes leurs envies de voler (...) Chissin évoque à plusieurs  les conflits violents et incessants entre les bergers arabes, qui conduisaient leur animaux à paître dans les champs juifs, et les colons juifs, qui les capturaient parfois  et  « battaient les récalcitrants sans pitié »" (MacDonald, 2012)Pour Hissin, toujours, "ces violents affrontements avec les autochtones arabes symbolisaient la renaissance et la régénération d'une masculinité et d'une virilité juives si fondamentales au développement du nationalisme juif et des forces de défense juives"  (MacDonald, 2012).  Toute cette idéologie viriliste, associé au fait de penser que la violence était endémique au monde arabe, permettait aussi aux premiers colons d'évacuer toute réflexion politique sérieuse sur la domination coloniale qu'ils cherchaient à exercer (cf. Dowty, 2000).  C'est ce qu'explique d'une autre manière un des nouveaux historiens israéliens, Avi Shlaim : 

"Les premiers sionistes ont rarement perçu et n’ont jamais admis que l’opposition arabe était fondée par principe, duquel on ne pouvait pas attendre autre chose, et que cela conduisait à un rejet radical de toute l’entreprise sioniste. Il était plus réconfortant de penser que l'hostilité arabe était la manifestation de griefs particuliers et qu'elle pourrait être surmontée par des gestes de conciliation, des compromis opportuns, et des compensations économiques."  (Shlaim, 1998). 

 

Nous sommes un peuple bon à rien ! Chiens ! Autrefois, cette terre prospérait, mais nous l'avons transformée en désert. Nous n’avons pas planté un seul arbre, nous n'avons rien créé, nous avons seulement détruit. Nos oliviers, nos champs, nos puits et même nos mosquées,  nous les avons reçus tout prêts. Nous-mêmes n’avons rien fait. Regardez autour de vous, Musulmans ! Ruine, négligence, dévastation partout ! Pendant des centaines d'années le fumier reposait ici avec nous, et nous ne l'avons pas utilisé jusqu'à l'arrivée des Juifs, qui fertilisent leurs champs avec notre sang. Mais c’est tout à fait vrai ; nous sommes des cochons et eux sont des hommes. Ils améliorent leurs champs, n'épargnent aucun travail, creusent, extirpent les pierres de leurs terres, des collines rocheuses ou couvertes d'épines. Là où nos troupeaux erraient et où nos femmes ramassaient du bois de chauffage, se trouvent aujourd'hui des oliveraies et des vignes. Les Juifs construisent des maisons, creusent des puits, revitalisent le pays, le remettent en ordre et l'embellissent. La terre  pleurait amèrement parce que personne ne prenait soin d'elle. Puis les Juifs sont arrivés, l'ont réconforté, et elle leur en est reconnaissante, mais vous, les musulmans, vous disparaîtrez !    (C. Hissin, A Palestine diary..., op. cité ).

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            Herzl   :

 

 

Il faut

 

exproprier

en douceur ”

 

Theodor Herzl (1860-1904) est souvent présenté comme le père du sionisme, car il a davantage structuré que d'autres les idées qui s'y rapportent, dont une partie avait été exposée avant lui.  Juif d'origine hongroise, c'est un bourgeois aisé de la ville, qui a été juriste, mais aussi journaliste et écrivain. Avant même l'ouvrage qui le rendra célèbre, il avait commencé de rédiger un journal consacré exclusivement à la cause sioniste et très éclairant sur sa vision colonisatrice. Comme d'autres, il réfléchit au devenir des Juifs pour leur trouver une solution satisfaisante d'avenir à l'antisémitisme, pour faire cesser des siècles  d'avanies et de douleurs. Il pense que le temps des palabres, des réunions, des comités pacifiques ont largement assez duré :  "La noble Bertha von Suttner se trompe – une erreur, bien sûr, qui est tout à son honneur — quand elle croit qu'un tel comité peut être utile. Tout comme le serait les organisations pour la paix. Un homme qui invente un terrible explosif fait plus pour la paix que mille doux apôtres. (...)  Après tout, nous étions autrefois des hommes qui savaient comment défendre l’État en temps de guerre, et nous avons dû être un peuple très doué pour avoir enduré deux mille ans de carnage sans être détruit",

 

T. Herzl, Journal, "Sur la cause des Juifs... Commencé à Paris autour de la Pentecôte, 1895",   Central Zionist Archiv [ CZA ], H ii B i) ;  The Complete Diaries of Theodor Herzl, trans. Harry Zohn, New York, 1960, vol.1, p. 6 et 10).  

Avant le plan qu'il avait commencé de mûrir depuis peu, il lui était venu des idées farfelues pour "résoudre la question juive, au moins en Autriche, avec l'aide de l'Église catholique. Je souhaitais avoir accès au Pape (non sans m'assurer au préalable de la soutien des dignitaires de l'Église autrichienne) pour lui dire : Aidez-nous contre les antisémites et je lancerai un grand mouvement  pour la conversion libre et honorable des Juifs au christianisme."   (Herzl, op. cité, p. 7).  Ensuite, c'est au travers d'une sorte d'ouvrage historique ("man's book") qu'Herzl a l'idée de traiter la situation des Juifs. Il en parle même longuement à Alphonse Daudet, qui lui confiera pourtant être antisémite (tout comme son fils célèbre, Léon), et qui trouve très beau son récit, lui conseillant  d'écrire plutôt un roman qu'un essai, dans le sillage de La Case de l'Oncle Tom (Herzl, op. cité, p. 12).  Finalement, Herzl ne saura même pas comment cette idée littéraire se transformera dans son esprit en un véritable programme de sauvetage pour sa  communauté  : "Comment je suis passé de l'idée d'écrire un roman à un programme pratique, c'est déjà un mystère pour moi, même s'il ne s'est produit qu'au cours de ces dernières semaines. C'est une chose qui est du domaine de l'Inconscient."  (Herzl, op. cité, p. 13).  

 

Dès le départ, Herzl élabore des stratégies qui doivent rester secrètes le plus possible, et peu regardantes sur le plan moral, où la population indigène n'est vue que comme une sorte de matériel humain qu'il faut déplacer d'une manière ou d'une autre pour faire place nette aux colons juifs : 

 

"Lorsque nous occuperons la terre, nous apporterons des bénéfices immédiats à l'État qui nous reçoit. Il faut exproprier en douceur, sur la propriété privée des domaines qui nous a été confié. (....) Nous essaierons de faire traverser la frontière à la population sans le sou en lui procurant un emploi dans les pays de transit tout en lui refusant tout emploi dans notre propre pays. pays. (...) Les propriétaires viendront à nos côtés. Tant le processus d’expropriation que l’expulsion des pauvres doivent être menés avec discrétion et circonspection. Laissons les propriétaires de biens immobiliers croire qu'ils nous trompent, en nous vendant des choses plus chères qu'elles ne valent. Mais en retour, nous ne leur vendrons rien du tout. (...) L'expropriation volontaire sera accomplie par nos agents secrets. La Compagnie paierait des prix excessifs. (...)  Nous vendrons alors uniquement aux Juifs, et tous les biens immobiliers seront échangés uniquement entre Juifs." (...) "Si le propriétaire souhaite vendre la propriété,  nous aurons le droit de la racheter à notre prix initialement fixé." 

 

T. Herzl, 12 juin 1895, Central Zionist Archiv [ CZA ], H ii B i) ;  The Complete Diaries of Theodor Herzl, trans. Harry Zohn, New York, Raphael Patai, 1960, vol.1, p.88). 

 

Le caractère très clairement dissimulé des intentions, dans le projet de Herzl (comme ceux qui l'ont précédé, nous l'avons vu), a bien été compris par ceux qui l'appliqueront, nous le verrons à de nombreuses reprises, et cela n'a pas échappé au nouvel historien israélien Benny Morris qui souligne que les Sionistes "cherchaient à cacher publiquement leurs intentions réelles" (Morris, 1999). alors que leur vrai but était de se rendre maîtres de la Palestine. Mais tout cela échappe à la plupart des premiers pionniers (haluzimchaluzim, ḥalutzim, chalutzim, haloutsim, sing. haloutz, halutz, chalutz, en hébreu)  sionistes qui "s’apprêtaient à prendre possession des lopins de terre achetés alors qu’ils étaient encore en Europe et dont ils ignoraient qu’ils avaient appartenu depuis plusieurs générations à des fellahs, qui y travaillaient toujours après en avoir été légalement dépossédés pour cause d’endettement par des effendis sans scrupule quand ce n’était pas par des représentants du pouvoir turc lui-même. N’habitant pas sur place mais à Jaffa, Jérusalem, Beyrouth, Damas ou au Caire, ceux-ci étaient bien contents de l’occasion qui s’offrait à eux de revendre leurs terres, souvent mal acquises, à des organismes juifs peu regardants sur les prix ou sur l’état exact des terrains achetés."    (Abitbol, 2018)

fellahs  ou fellahin,  sing. fellah, fallah: dérivé de l'arabe, "paysan"

 

 

 

Herzl pose donc d'emblée les buts en partie cachés de l'expropriation d'habitants, de communautarisation juive, de ségrégation entre  autochtones et immigrants juifs, ce qui sera effectivement réalisé et qui inquiétera rapidement, et à juste titre, les Arabes palestiniens. Cependant, à ce stade du journal,  Herzl ne parle encore ni d'Arabes, ni de Palestine, le pays concerné par ses projets n'ayant pas encore été fixé, et, quand il expose enfin publiquement son projet, en 1896,  à Vienne, dans un ouvrage intitulé Der Judenstaat ("L'État des Juifs"),  il pèse encore le pour et le contre,  entre Argentine et  Palestine, vers laquelle, bien évidemment son cœur se porte :  "La Palestine est notre inoubliable patrie historique. Ce nom seul serait un cri de ralliement puissamment empoignant pour notre peuple."  (op. cité).  L'Argentine a ceci de particulier que le baron bavarois Maurice de Hirsch (1831-1896), un des premiers philanthropes juifs avec qui Herzl  échangera beaucoup sur son projet (cf. The Complete... op. cité),  avait installé des milliers de Juifs  sur des terres qu'il avait achetées, pour les sauver des persécutions. Herzl place son projet sous le signe d'une négociation avec les souverains qui seraient concernés par son projet, mais aussi sous l'égide européenne (op.cité), se doutant bien qu'en l'état, la communauté juive n'avait guère les capacités de réaliser seule une telle entreprise. Herzl avait donc bien compris que, parmi les différentes conditions de succès, les deux grandes forces nécessaires pour la reconstruction d'un Etat juif étaient la puissance économique et des soutiens politiques au plus haut niveau des Etats  : 

"J’ai déjà fait […] tout le plan. Je sais tout ce qu’il faut. De l’argent, de l’argent, de l’argent, et encore de l’argent ; des moyens de transport, des provisions pour une vaste multitude, le maintien de la discipline, l’organisation […] des traités avec des chefs d’Etat […] la construction de nouvelles et splendides demeures. Et au préalable, une prodigieuse propagande […] des images, des chants […] un drapeau."  (Lettre de T. Herzl à Maurice de Hirsch du 3 juin 1895, op. cité, The Complete..., op. cité, tome I, p. 27).

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Face aux tribulations sans fin de ses coreligionnaires, dans le but de trouver pour eux un havre de paix solide, il n'est pas le premier à réclamer la création d'un Etat juif (avec une langue officielle, a priori... l'allemand, précise-t-il), mais à la différence de ses prédécesseurs, dont les textes n'ont pas connu une grande diffusion, le texte de Herzl sera beaucoup plus lu, de par le fait que, pour la première fois, c'est un projet élaboré, détaillé, qu'il présente pour installer les Juifs en sûreté quelque part dans le monde.  Son livre n'aurait peut-être pas vu le jour sans l'encouragement d'un énième protestant sioniste avant l'heure, William Hechler (1845-1931), ce qui fait dire au penseur juif André Chouraqui (1917-2007), célèbre pour sa traduction biblique très novatrice, que le programme de Herzl semblait être largement d'inspiration protestante (A. Chouraqui, Préface du livre de Claude Duvernoy, Le prince et le prophète, Jérusalem, 1967).  Cette opinion doit être tempérée par la conception du projet de Herzl qui, en reléguant le religieux à l'arrière-plan, s'est attiré les foudres de beaucoup de Juifs pour qui, au contraire, le judaïsme devait se placer au centre de tout. 

"Quelle que soit la coloration qu’elle prenne, je considère la question juive comme n’étant ni religieuse ni sociale, mais bien nationale. Pour la résoudre, il nous faut avant tout la poser en termes politiques, à l’échelle mondiale."

"Ainsi, nous sommes et restons, que nous le voulions ou non, un groupe historique reconnaissable à son homogénéité. Nous sommes un peuple — c’est l’ennemi qui, sans que notre volonté y participe, nous rend tels, ainsi que cela a toujours eu lieu au cours de l’histoire." 

Herzl,  L'Etat des Juifsop.cité,  chapitres "Introduction" et "Conséquences de l'antisémitisme"

 

La raison politique n'est cependant pas la seule à préoccuper Herzl, en vérité.  Demeure aussi chez lui  un sentiment partagé par une partie de sa communauté, une dimension morale, religieuse de l'idée sioniste, qui est de mettre fin à la diaspora, à l'Exil, à cause de tout ce que les pogroms et autres persécutions avaient causé comme ravages, comme déséquilibres dans  l'esprit des Juifs. Ces conséquences sont souvent comprises comme des tares, des perversions de la diaspora qui évoquent paradoxalement l'arsenal idéologique utilisé pendant des siècles par l'antisémitisme.  Il ne faut pas non plus minimiser l'importance du développement des nationalismes européens à l'œuvre, par exemple, dans les futures nations italiennes et allemandes, qui  ne sont pas exempts d'intolérance, de batailles pour soumettre les particularismes au joug de la norme unificatrice : 

 

"Nous nous déshabituerons de ces jargons dégénérés et corrompus que nous utilisons aujourd’hui, ces langues de Ghetto" affirmera Herzl (Herzl, op.cité, Chapitre "La Langue").   

"Un jeune juif débarqué sur la Terre promise en 1926 pouvait écrire : «  Je peux être fier car depuis un an que je suis en Palestine, je me suis débarrassé de la gangue d’impureté de la diaspora et je me suis purifié du mieux possible. Je voulais une patrie. Être un homme comme les autres, égal aux autres, fier comme eux d’être en Palestine. Dès l’instant où mes pieds ont foulé la terre de mes ancêtres, j’ai rompu tout lien avec l’Europe et l’Amérique. » Il changea de nom, se fit appeler Chaïm Shalom et déclara : « Je suis hébreu et mon nom est hébreu car je suis issu du pays des Hébreux. »"  (A. Gresh, op. cité)

Les premiers historiens sionistes  ajouteront à cette mystique de pureté des bases religieuses, et c'est essentiellement sur la religion judaïque qu'ils défendront  l'immigration des Juifs en Palestine :  Primo, la négation de l'exil  (shelilat ha-galout) qui leur fait justifier le retour à une situation vieille de 2000 ans ; secundo, le retour vers la Terre promise aux Juifs en tant que patrie dans leurs livres révérés ; et tertio,  le retour des Juifs dans l'Histoire  : ha-shiva la-historia  (Séguin, 2018) 

 

 premiers historiens sionistes : "Yitzhak F. Baer (1888-1980), Ben Zion Dinour (1884- 1973), Gershon Scholem (1897-1982) et Yehezkel Kaufmann (1889-1963)" (Séguin, 2018).

 

Plus concrètement, ce qui nous ramène aux préoccupations pratiques de Herzl, beaucoup d'autres Etats ont fait l'objet de spéculations, dans la recherche d'un pays susceptible d'accueillir les Juifs. Ainsi, ont été évoquées comme terres d'accueil, au cours du temps : l'île de Chypre,  l'Ouganda, la Nouvelle-Calédonie, Madagascar, les îles Kimberleys, l'Australie occidentale  (Benbassa, 2001 : Vidal, 2001 ; Segev, 2019), ou encore l'Irak, dont l'agronome Akiva Jacob Ettinger (1872-1945)  disait que si le pays (qu'il a visité en 1909-1910) ne se prêtait pas à une colonisation juive, il y avait de la place pour "plusieurs millions d'habitants supplémentaires." (Chaïm Simons, A Historical Survey of Proposals to Transfer Arabs from Palestine 1895 - 1947, Gengis Khan Publishers, 1998).  L'Irak est aussi un objet d'intérêt qui suscitera des discussions en 1919 entre David Ben Gourion (B. Gurion, "fils du lion", né David Gryn, D. Grün, 1886-1973), leader sioniste de la première heure, et le multimillionnaire américain et philanthrope Edward Norman, dont le nom est une américanisation du nom familial juif, Nusbaum (op. cité).  Le journal intime de Ben Gourion rapportera plus tard les idées et propos de Norman à cette époque, recueillis plus tard dans une réunion commune :  "« Si l'Aliyah se développe, alors les Arabes se rebelleront. Ils comprendront que si cela dure dix ans, Eretz Israël sera transformé en un État juif, et il ne faut pas présumer qu'ils [les Arabes] accepteront ce fait sans broncher.»" Cela a conduit Norman à proposer une solution au problème : « N'est-il pas possible d'installer les Arabes d'Eretz Israël dans un autre pays ?" Norman a écarté la plupart des pays de la région pour une raison ou une autre ; L'Egypte était déjà surpeuplée, l'Arabie Saoudite était un désert et donc impropre à la paysans, la Syrie était française. L'Irak avait le plus grand potentiel."   (David Ben Gourion, Handwritten Diary, 3 février 1939, Archives Ben Gourion / BGA ; David Ben-Gurion, Memoirs, vol.6, op. cit., p.126). Norman remettra le couvert entre 1934 et 1938, en proposant, sur la base d'une grosse documentation, un plan de transfert des Arabes en Irak  (Masalha, 1992 : 141), auquel de grands  dirigeants sionistes apporteront leur concours, nous le verrons, tels Ben Gourion, Weizmann ou  Shertok, qui seront présentés un peu plus loin.              

Bien entendu, Norman ne sera pas le seul à rappeler des réalités incontournables et très problématiques pour le projet sioniste. Le recensement de la population de Palestine, nous l'avons vu, est très éloquent sur la très faible représentation des Juifs avant leur colonisation du pays permise par les Britanniques, nouveaux maîtres du territoire, que nous allons étudier pas à pas.  Quelle population, hier comme aujourd'hui, accueillerait, sans sourciller, de se laisser progressivement envahir par des vagues d'immigrations successives d'hommes et de femmes susceptibles de menacer sa culture, sa langue, et jusqu'à sa propre existence ?  Cette évidence rend compte de la dissimulation des intentions déjà évoquée, qui s'avère d'autant plus nécessaire que le projet d'envahissement et de domination en Palestine deviendra rapidement très ambitieux, très conquérant, et dans une totale indifférence des conséquences produites sur les Arabes palestiniens, comme nous allons le voir. 

Au premier congrès sioniste mondial, tenu à Bâle entre le 29 et le 31 août 1897 le choix des participants se portera largement, et sans surprise, sur la Palestine.  Les résolutions officielles, empreintes de bonnes intentions qui n'auront rien à voir avec la réalité,  parlent de la création d'un "foyer pour le peuple juif",   d'une "colonisation de la Palestine" qui doit être garantie "par le droit public"  et obtenir "le consentement des gouvernements nécessaire à la réalisation des objectifs du sionisme"   (Programme du Congrès sioniste de Bâle).  Leurs applications sont confiées à un organisme faisant office de proto-gouvernement, la Society of Jews, qui parlera et traitera "au nom de tous les Juifs" (Herzl, L'Etat des Juifs, op. cité, ch. Le projet).  Certains responsables arabes de Palestine s'en inquièteront, comme un député palestinien de Jérusalem, qui adressera une lettre au grand rabbin de France Zadok Kahn, en 1899. Herzl en aura connaissance et la réponse qu'il fera au député confirme sa volonté de cacher ses intentions réelles à tous les adversaires du sionisme, Juifs y compris, en brossant un tableau avantageux et très édulcoré de la situation :

 "Comme Votre Excellence l'a très bien dit dans votre lettre au Grand Rabbin, les Juifs n'ont aucune puissance belligérante derrière eux, et ils ne sont pas eux-mêmes de nature guerrière. C'est un élément tout à fait paisible, et très satisfaisant s'ils sont laissés en paix. Il n'y a donc absolument rien à craindre de leur immigration. (...) Vous voyez une autre difficulté, Excellence, dans l'existence de la population non-juive en Palestine. Mais qui penserait à les renvoyer ? C'est leur bien-être, leur richesse individuelle que nous augmenterons en y apportant la nôtre."  (Lettre de Theodor Herzl à M. Youssouf Zia Al-Khalidi,  19 mars 1899).  

 

L'ouvrage de Herzl donne bien sûr du grain à moudre aux intellectuels juifs. Le théoricien Nachman Syrkin (Nahman S.? 1868-1924), dans son pamphlet de 1898,  mélange quant à lui idées  fraternelles et communautaires au service d'un sionisme prétendument socialiste.  Sous un titre révélateur de la mentalité sioniste, "Pays à vendre",  il écrit : "Le premier et principal territoire à considérer pour l’État juif est la Palestine, l'ancien berceau des Juifs".  Après avoir énuméré divers moyens d'obtenir des Turcs le territoire de la Palestine, il conclut que la  meilleure façon de se libérer de leur pouvoir est que tous les peuples placés sous leur domination s'unissent dans une rébellion commune. Ceci étant accompli, il propose un transfert de population comme solution aux problèmes régionaux, là où le peuplement est mixte (Simons, op. cité).  L'expropriation "douce" de Herzl se transforme chez Syrkin en  "transfert amical de population" et, selon lui,  une "division du territoire devrait s’ensuivre. Les Juifs devraient recevoir la Palestine, qui est très peu peuplée et où les Juifs ne représentent encore aujourd'hui que dix pour cent de la population. Les Juifs devraient former une alliance avec les peuples opprimés par la Turquie et lutter pour une juste division de l’empire soumis" (Syrkin, op. cité).   

 

"Il ne fait aucun doute que l'une de nos tâches les plus difficiles sera d'habituer les Arabes à l'idée que la Palestine est une terre juive - Eretz Israël. Le fait est qu'autour de la Palestine, il existe de vastes zones. Il sera facile pour les Arabes de s'installer là avec l'argent qu'ils recevront des Juifs."  (Léo Motzkin, Unsere Palastinapolitik (Notre politique palestinienne), discours prononcé à la 13e Conférence de la Zionistische Vereinigung für Deutschland, ZVfD / "Organisation / Fédération  sioniste allemande", Poznań / Posen, ouverte le 27 mai 1912).  

 

Une zone de relégation privilégiée par les sionistes est naturellement une région contiguë à la Palestine,  la Transjordanie (au-delà du Jourdain), aujourd'hui située  en Jordanie.  "Pourquoi, alors, beaucoup d'Arabes ne pourraient-ils pas migrer vers la Transjordanie et s'installer là-bas, sous les auspices et un gouvernement arabes ?" demande Abraham Goldberg, membre de la Zionist Organisation of America (ZOA), aux représentants sionistes du 4e Congrès (Londres, 1900), qui émettent ce vœu, comme l'écrivain sioniste britannique Israël Zangwill (1864-1926). Et de leur opposer alors le fait injuste, pour les Juifs, que représenterait une Palestine divisée en deux, dont une réservée exclusivement aux Arabes. Il ne faudrait donc pas, poursuit-il, "encourager les Arabes de Palestine à migrer vers la Transjordanie, afin que des territoires supplémentaires puissent être disponibles pour permettre une colonisation et un développement d'une partie juive sans entrave."    (A. Goldberg, The London Conference, The New Palestine, New York, vol. XX, n°.7, 17 avril 1931, p.10).  On peut aussi citer Abraham Sharon (né Schwadron, 1878-1927), qui, dès 1916, avait exprimé ses vues sur le transfert des populations palestiniennes dans une série d'articles intitulée "Une révision du pacifisme", publiés dans la revue internationale  Dokumente des Forschritts  : "Documents de Progrès", dans le numéro de juillet-octobre 1916. Sharon  expliquera, par exemple, que l'idée sioniste pourrait servir à d'autres peuples que les Juifs, en résolvant  leurs problèmes nationaux par le "transfert convenu et organisé d'une nation ou de parties de celle-ci vers le territoire d'un autre Etat"  (A. Schwadron, Imperialism, Pacifism and Zionism", Opinion, New York, juillet 1936, pp.14-15). Commentant ce texte, le diplomate israélien Moshe Yegar (né en 1930) conclura : "En d'autres termes, le transfert des Arabes palestiniens vers les pays voisins, associé à celui de la diaspora juive en Palestine, est l'unique  solution au problème palestinien." (Moshe Yegar, Integral Zionism - A Study in the Teaching of Abraham Sharon, Tel Aviv, 1983, pp.86-87).   

On le voit bien, ces considérations de type colonial, sans état d'âme et sans empathie aucune pour les sentiments des habitants concernés, sont légion dans la littérature sioniste, dès le début de son histoire. Les Juifs ont besoin d'un espace pour s'installer, alors hop, les sionistes imaginent déplacer  les habitants comme du bétail, pour leur faire de la place, projet que malheureusement, nous le verrons, ils finiront par  réaliser, étapes par étapes, s'étonnant et s'indignant sans cesse des violences qu'elles engendreront.  

 

Côté marxiste, si le principe de la colonisation est acceptée, il est associé à celui de la lutte des classes et produit un concept original, dont Dov Ber-Borochov (Borokhov, 1881-1917) est sans doute l'exemple le plus significatif. Fondateur d'une Union socialiste des travailleurs en 1901, à Yekaterinoslav, il est l'auteur de La Question nationale et la lutte des classes en 1905,  membre actif du mouvement sioniste travailliste  fondé principalement par N. Syrkin en 1906, et participe à la fondation, la même année, du mouvement marxiste sioniste Poale Zion (Poalé Tsiyone, Poalei Tziyon, Poaley Syjon, Poaley Zion : "Travailleurs de Sion" en hébreu), appelé aussi parti communiste juif  (YKP : Yiddisher Kommunisticher Partii), dirigé par Ben Gourion, Yitzhak Ben-Zvi (Yitz’hak, Isaac Ben-Tsvi, 1884-1963) qui sera le deuxième président d'Israël) et Israël Shochat (cf plus bas), tous trois initiateurs des premiers groupes d'autodéfense sioniste (cf plus bas). Difficile d'imaginer un véritable mouvement communiste international avec un Ben Gourion à sa tête et le Komintern (Comintern) russe ne s'y était pas trompé, le considérant comme un mouvement communiste déguisé, cachant en réalité une organisation anti-communiste (Kessler, 2014).  Pour cette raison, un nombre conséquent de membres décideront de s'en séparer pendant le Congrès de la Fédération mondiale des partis Poale Zion, à Vienne, en 1920, et fonderont Poalei Tsiyon Semol (Poalei Zion de gauche), pour rejoindre l'Internationale  en tant que section juive. Malheureusement, Le Komintern n'accepta pas la proposition en l'état mais accepta seulement d'accepter individuellement des membres dans les partis communistes de leurs pays respectifs  (Kessler, 2014), ce qui lança une dynamique pour la formation de partis communistes là où ils n'existaient pas encore, comme en Palestine. 

 

Revenons maintenant à Borochov, qui était convaincu "que la réalisation de l'autonomie nationale territoriale en Palestine se ferait par la lutte des classes et que le prolétariat juif conduirait le mouvement de libération. L'émigration spontanée des Juifs en Palestine s'accompagnerait d'une lutte violente entre  classe ouvrière et capital juifs à tous les niveaux et dans tous les domaines. L'avant -garde émanerait du prolétariat juif qui ne compterait jamais sur le sionisme politique. Le prolétariat devrait combattre seul pour son mouvement national, sans alliance avec la bourgeoisie. Ceci posé, la conférence des Travailleurs de Sion en Russie décida de se retirer du Congrès sioniste."  (Gurevitz, 1974).  De manière plus explicite, le journal de Poale Zion avait inscrit sa devise en manchette : "La condition nécessaire de la réalisation du sionisme est la conquête de tous les emplois du pays par la main-d’œuvre juive".  

 

On a là un marxisme hors-sol, délirant, qui imagine une lutte des classes opposant un prolétariat contre un capital exclusivement juifs dans le cadre d'un pays alors presque entièrement habité par des non-Juifs.  Nous allons voir à maintes reprises que cette perpétuelle et stupéfiante invisibilité des Arabes palestiniens par les sionistes, sera le trait principal et le plus dramatique de leur idéologie.  Trahissant des dispositions mentales particulières conduisant à une cécité sociale  et politique  il se présente différemment du racisme ordinaire fondé sur la haine de l'étranger, mais sa parenté saute aux yeux au fur et à mesure que l'on découvre les faits et gestes des acteurs du sionisme, qui iront même jusqu'à nier  l'existence des habitants arabes de Palestine, de manière directe ou implicite, ce qui témoigne à la fois de l'indifférence totale et du mépris profond que les sionistes leur portent. 

On n'est pas plus rassuré du côté droit de leur camp politique, où on trouve, sur un autre registreun nationalisme décomplexé, violent, appréhendé comme "pure domination", par Vladimir Zeev Jabotinsky (Ze'ev J., né russe, V. Yevgenyevich Zhabotinsky, 1880-1940), qui intègrera dans la notion d'identité juive des critères biologiques.  Face au communisme, Jabotinsky est clair. En 1933, quand un étudiant lui écrira pour lui demander pourquoi le sionisme ne pouvait pas être compatible avec le  communisme, il répondit

"Pour la construction sioniste, deux choses sont nécessaires – outre les gens. D'abord la terre... et ensuite le capital... plus de 90 % de l’argent de la construction provient de la poche de notre classe moyenne. Et l’essence pure du communisme se déclare pour la lutte des classes contre la classe moyenne. Partout où il vaincra, il doit détruire la bourgeoisie, confisquer ses grandes fortunes. Cela signifie couper la seule racine à partir de laquelle le capital pour la construction en Eretz Israël peut être assuré.

(...)

... l’essence du communisme consiste en ce qu’il agite et doit exciter les nations orientales contre la domination européenne. Cette domination, à ses yeux, est « impérialiste » et exploiteuse. Je pense le contraire et je pense que la domination européenne les rend civilisés. Une chose est claire : le communisme incite et doit inciter les nations orientales et il ne peut le faire qu’au nom de la liberté nationale. Il leur dit et doit leur dire : votre terre vous appartient et non à des étrangers. C’est ainsi qu’il doit parler aux Arabes... de Palestine . . . Pour nos poumons sionistes, le communisme est un gaz étouffant et c’est ainsi qu’il faut y faire face." 

Jabotinsky, Zionism and Communism, article de Hadar ("Dignité"), février 1941, p. 3, cité par Lenni Brenner, Zionism in the Age of the Dictators.  Léni Brenner, de famille juive, est un écrivain marxiste américain, né en 1937). 

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Un autre dirigeant sioniste d'importance, Arthur Ruppin (1876-1943), constituera même une vaste base de données statistiques sur les juifs du monde entier, dans le but précis d'"établir un inventaire de la situation des juifs en Europe, s’en servir ensuite pour – selon lui – « corriger » leurs « faiblesses » biologiques et mentales ; et enfin, régénérer de manière quasi-eugénique en Palestine une nouvelle race juive, fière et forte." (Mancassola, 2018). Cette voie ne s'est pas tarie et sera explorée plus tard par l'Irgoun de Menahem Begin ou le groupe Stern (Zawadski, 1996).  Nombreux sont les intellectuels sionistes qui, comme les nazis mais pour une raison diamétralement inverse (la glorification de la race), se sont intéressés au sujet de la "race juive", convaincus comme Félix Aaron Theilhaber, (1884-1956), pionnier allemand de la sexologie,  Franz Oppenheimer (1864-1943), principalement économiste, ou encore Ruppin, des différences qui caractérisent les Juifs en tant que race, qui,  pleine de santé dans le passé, est tombée comme un corps malade dans l'apathie et doit être guérie, régénérée en redevenant une nation à part entière, avec un territoire, une langue, des traditions communes, etc. (cf. A. RuppinDie Juden der Gegenwart : "Les Juifs d'aujourd'hui"1904 ; F. A Theilhaber, Der Untergang der deutschen Juden. Eine volkswirtschaftliche Studie : "La chute des Juifs allemands. Une étude économique", 1911).

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Affiche du mouvement sioniste Poale Zion (voir plus bas) en langue Yiddish, Ukraine,1900,  Canadian Institute of Ukrainian Studies.   

palestine terre natale

La Palestine n'est pas notre terre natale ”

Le projet de Theodor Herzl fera un flop dans la communauté juive de FranceLa formation d'un Etat juif en Palestine n'est pas du tout un projet populaire dans les pays où ces derniers sont très minoritaires, comme la France, où depuis la Révolution Française il s'agit, pour certains représentants, de "tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus" (Stanislas de Clermont-Tonnerre, député de l'Assemblée Nationale, discours du 23 décembre 1789),  et du côté de certaines organisations hébraïques, de "travailler partout à l’émancipation et aux progrès moraux des Israélites"  (statuts de l'Association Israélite universelle,  in Weill, 2010).   Le dépit de Herzl est donc à la hauteur de la résistance du bastion antisioniste français, au sein duquel on trouvait en particulier l'Alliance israélite universelle, les Consistoires ou encore le Rabbinat  (Benbassa, 1989).   Aux Etats-Unis, par exemple, les convictions du rabbin réformé américain Isaac Mayer Wise (1819-1900) sont on ne peut plus claires  : "Nous dénonçons toute cette affaire d’un Etat juif comme étrangère à l’esprit du Juif moderne de ce pays, qui considère l’Amérique comme sa Palestine, où se placent tous ses intérêts"  (Laqueur, 1972). 

 

Beaucoup de juifs séfarades étaient sur la même longueur d'onde : "Dans l’ensemble...les Juifs séfarades palestiniens étaient soit opposés, soit indifférents au sionisme et étaient souvent accusés par les dirigeants sionistes d’être des « assimilationnistes », indiquant leur désir de faire partie de la société arabe et affirmant leur citoyenneté ottomane."  (Salim Tamari, Issa al Issa's Unorthodox Orthodoxy : Banned in Jerusalem, Permitted in Jaffa / "L'orthodoxie peu orthodoxe d'Issa : interdite à Jérusalem, autorisée à Jaffa", article paru dans Institute for Palestine Studies, N°59, été 2014).  

 

En Allemagne aussi, les Juifs veulent croire à l'intégration  :  "À partir de 1880, et malgré l’antisémitisme, le nombre de mariages mixtes chez les juifs allemands ne cesse d’augmenter : entre 1901 et 1929, la proportion passe de 16,9 à 59 %" (Alain Gresh, op. cité).  Ceux qu'on appellera assimilationnistes sont la grande majorité en Allemagne et s'opposeront vigoureusement aux sionistes, conflits qu'a bien explorés l'historien Avraham Barkai (1921-2020) :

"En général.. les relations entre les membres du  CV  et le mouvement sioniste sont faites d'affrontements : les sionistes s'opposent à la collusion entre le CV et le Hilfsverein der deutschen Juden [Association d'Entraide des Juifs allemands, NDA]   (issu de l'AIU) au moment de la «guerre des langues «(1912-1913), et les partisans de Herzl semblent «trahir «l'Allemagne en favorisant une solution britannique pour l'accomplissement de leurs visées à partir de 1917. Au-delà d'options stratégiques opposées, c'est sur le fond que s'opposent les deux camps ; car pour le CV rien ne peut détacher les Juifs allemands de leur patrie (comme l'écrit l'un des fondateurs, Eugen Fuchs: «Nous ne parlons pas l'hébreu, la Palestine n'est pas notre terre natale... ce n'est même pas le pays de nostalgie, la patrie à laquelle j'aspire... je parle l'allemand, ressens en tant qu'Allemand; la culture allemande et l'esprit allemand me remplissent plus que la poésie hébraïque et la culture juive. Lorsque je suis à l'étranger, c'est vers l'Allemagne, la nature allemande et mes compatriotes allemands que se tourne ma nostalgie»"   (Trimbur, 2002, citations d'A. Barkai : voir bibliographie).

   C    : Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens :  Association centrale des citoyens allemands de confession juive,   créée en 1893.

 

Ni colonialiste, ni assimilationniste, le mouvement sioniste socialiste du Bund  est quant à lui  "partisan d’une autonomie juive au sein des États d’Europe centrale et orientale" (Vidal, 2001). 

"[...] le but final du sionisme politique ‑ la création d'un territoire pour le peuple juif ‑, pour autant que ce territoire n'en pourrait accueillir qu'un segment réduit, est une question de portée limitée et ne peut pas résoudre la “question juive”. Dans la mesure où le sionisme prétend concentrer en [Palestine] le peuple juif tout entier ou du moins sa majorité, ce congrès le considère comme une utopie irréalisable." 

Extrait de la résolution adoptée par le 4 e congrès du Bund, tenu en 1901. 

Bund :    Désigne l'Union générale des ouvriers juifs de Lituanie, Pologne et Russie. L'organisation nationaliste et socialiste "prône le yiddish comme langue nationale et une autonomie politico-culturelle conforme aux thèses de ceux que l’on appelle les « austro-marxistes"  (Alain Gresh,, op. cité).   

Réagissant aux ratiocinations des intellectuels du Bund sur la question sioniste, Lénine émettra plus tard un avis beaucoup plus tranché, à l'encontre de la pensée sioniste,  contrairement à l'austro-marxiste Otto Bauer, par exemple, qui pensait le peuple juif comme une nation : 

"Notre tâche n'est pas de prêcher ou de tolérer le mot d'ordre de la culture nationale, mais de lutter au nom de l'internationalisme contre nos propriétaires fonciers et nos grands bourgeois russes, contre leur « culture », en « s'adaptant » aux particularités des Pourichkévitch et des Strouvé. On doit en dire autant de la nation la plus opprimée et la plus traquée, la nation juive. La culture nationale juive, c'est le mot d'ordre des rabbins et des bourgeois, le mot d'ordre de nos ennemis. Mais il est d'autres éléments dans la culture juive et dans toute l'histoire juive. Sur les 10 millions et demi de Juifs existant dans le monde entier, un peu plus de la moitié habitent la Galicie et la Russie, pays arriérés, à demi sauvages, qui maintiennent les Juifs par la contrainte dans la situation d'une caste. L'autre moitié vit dans un monde civilisé, où il n'y a pas de particularisme de caste pour les Juifs et où se sont clairement manifestés les nobles traits universellement progressistes de la culture juive : son internationalisme, son adhésion aux mouvements progressifs de l'époque (la proportion des Juifs dans les mouvements démocratiques et prolétariens est partout supérieure à celle des Juifs dans la population en général). Quiconque proclame directement ou indirectement le mot d'ordre de la « culture nationale » juive est (si excellentes que puissent être ses intentions) un ennemi du prolétariat, un partisan des éléments anciens et frappés d'un caractère de caste de la société juive, un complice des rabbins et des bourgeois. Au contraire, les Juifs marxistes qui se fondent dans des organisations marxistes internationales avec les ouvriers russes, lituaniens, ukrainiens, etc., en apportant leur obole (en russe et en juif) à la création de la culture internationale du mouvement ouvrier, ces Juifs-là, qui prennent le contre-pied du séparatisme du Bund, perpétuent les meilleures traditions juives en combattant le mot d'ordre de la « culture nationale »." 

(Lénine, Notes critiques sur la question nationale, ch. 2, La «culture nationale », 1913)

peuple parasite

 

Un “peuple parasite” 

 

 

 

Herzl est loin d'être le seul à rejeter plus ou moins violemment ses coreligionnaires juifs  opposés au projet sioniste, tout en sachant qu'une très large majorité d'Israélites dans le monde ne s'y intéressent pas du tout ou y sont carrément opposés :  "les juifs français sont hostiles au projet. Je ne m'attendais pas à autre chose. Leur situation ici est trop bonne pour qu'ils envisagent un changement (...) Je dirai pour conclure que, pour nous, les Français israélites — si cela existe vraiment — ne sont pas des juifs et que notre cause ne les concerne pas." (T. Herzl, Lettre à Zadoc Kahn du 18 mars 1898, citée par C. Nicault, La France et le sionisme, 1897-1948. Une rencontre manquée, Paris, Calmann-Lévy, 1992, p. 39-40).   

 

C'est avec la même volonté farouche et intolérante que les maskilim (sing. maskil : "Philosophes des Lumières" de haskala, haskalah : "raison", "intellect", et par extension : Lumières juives), puis les premiers sionistes, "souvent d'anciens maskilims déçus" (Nicault, 2001), vont concevoir une idéologie essentialiste de la judéité, recherchant comme Klatzkin, un  jüdischer Volltypus, "type juif complet" (Baisez, 2009), ou encore un "Juif régénéré", cet "être nouveau" recherché par  le médecin et romancier Max Nordau (1849-1923), d'abord au sein même des sociétés européennes puis, au sein d'un nouvel Israël, débarrassé de toutes les tares dont ces penseurs juifs accablent leur propre communauté, qualifiée même de "peuple parasite" par le penseur Aharon David Gordon, 1856-1922 (Charbit, 1998). Alors, pour  recouvrer une prétendue plénitude antique,  ces sionistes réclament pour les Juifs une langue et un territoire communs, prêts à renier tous les Juifs, assimilationnistes en tête, qui se mettront en travers de leur route, comme le rabbin de Lublin, Jacob Klatzkin (1882-1948) : 

"Le judaïsme sera à son tour déterminé et certifié par le critère national séculier. Le terme de Juif obtiendra une signification nationale égale à celle des termes d’Allemand, de Français, d’Anglais. Juif, c’est-à-dire véritable Hébreu, désignera dès lors celui dont la patrie est la Terre d’Israël et dont la langue est l’hébreu. Tous ceux qui appartiennent prétendument à notre groupe ethnique (Stamm) et autres soi-disant coreligionnaires, qui ont une autre patrie, qui sont enracinés dans une autre langue et une autre littérature et qui vivent et meurent pour une autre communauté, ceux-là ne pourront plus abuser du nom de Juif ; il ne leur sera pas non plus imposé contre leur gré. […] La création d’un centre national pour le judaïsme ne signifie rien d’autre que la transplantation du judaïsme dans un pays, son enracinement dans une patrie, dans une seule et unique forme, avec toute la précision et la prégnance nationales. "

Jakob Klatzkin, Probleme des modernen Judentums :  "Problèmes du judaïsme moderne", 1918, Berlin, Jüdischer Verlag, p. 70-71 et  76.  

Ben Gourion eut sur le sujet, comme sur d'autres, un avis radical, pensant que les "Juifs d'Orient ont perdu l'esprit ancestral et le rôle qu'ils jouaient autrefois dans la nation juive a décliné ou totalement disparu. Au cours des derniers siècles, la nation a été portée par les Juifs d'Europe, que ce soit en termes de qualité ou de quantité."  (B. Gourion, cité par Segev, 1984).  Ainsi, tout en proclamant que le sionisme va libérer tous les Juifs, les dirigeants sionistes européens feront venir les Juifs séfarades en Palestine pour des besoins spécifiques, où ils seront "systématiquement  discriminés par un sionisme qui déploiera de manière différenciée son énergie et ses ressources pour avantager constamment les Juifs européens et desservir tout aussi constamment les Juifs orientaux."  (Shohat, 1988).

"L'émigration portera exclusivement sur l'Europe où se concentre le «matériel humain » juif de qualité. Les autres, les séfarades, ne sont pas conviés au départ quand bien même ils sont en butte à l'antisémitisme, comme en Algérie où les  «prédicateurs ambulants » les vouent aux gémonies."  (Courbage, 2008).  

Ben Gourion, toujours,  "peu sensible plus tard à la Shoah" (op. cité, ci-dessous), selon Tom Segev,  ira même jusqu'à envisager sacrifier un grand nombre de Juifs pour la cause sioniste si la nécessité se faisait sentir, selon une ligne de conduite constante chez lui que le "nouvel historien" israélien décrit patiemment dans une somme inégalée à ce jour, intitulée מדינה בכל מחיר :  Un État à tout prix ,  sous-titrée : La vie de David Ben Gourion, Crown, 2018  (voir aussi sur le sujet le très bon article de Catherine Nicault : La Shoah et la création de l'État d'Israël : où en est l'historiographie ?, dans Cahiers de la Shoah, 2002/1 n°6, pp. 161 à 204). 

"Si je savais qu'on pouvait sauver tous les enfants [juifs] d'Allemagne en les envoyant en Angleterre mais seulement la moitié d'entre eux en les envoyant en Palestine, je choisirais cette dernière option parce qu'il ne s'agit pas seulement de prendre en compte le nombre d'enfants mais de tenir également compte de l'histoire du peuple juif."  (B. Gourion, discours devant le comité central du parti Mapai, décembre 1938)  : "sa volonté de payer le prix d'un sacrifice humain aussi terrible pour atteindre les buts du sionisme correspondait à une position qui a toujours été la sienne depuis qu'il a mis les pieds en Palestine." (T. Segev, Un Etat... op. cité)

 

En 1936, c'est en tant que président de l'Agence juive (créée en 1929) que Ben Gourion, toujours, renvoie vers l'Europe des groupes de Juifs européens installés en Palestine, parce qu'il les voyait comme un fardeau et qu'il se préoccupait comme d'une guigne de leur sort (op. cité)

Mapai  :  acronyme de Mifleget Poalei Eretz Israël :  "parti des Ouvriers d'Eretz Israël", issu de la réunion des deux mouvements HaPoël HaTsair et Ahdout Haavoda.

haskala
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Haskala

 

Dans ce mouvement de renaissance judaïque qu'est l'Haskala les maskilim œuvrent à la promotion et  à la diffusion de la culture, en particulier la littérature et la langue, l'hébreu n'étant plus depuis la lointaine occupation romaine qu'une langue écrite, à usage religieux. Le plus connu des rénovateurs de l'hébreu se nomme Eliezer Ben Yehuda (Yehouda, 1858-1922), d'origine lithuanienne, qui émigre en Palestine en 1881 et travaille à moderniser, à codifier un hébreu moderne, afin qu'il soit parlé  quotidiennement, au travail ou chez soi, en particulier dans son Thesaurus de la langue hébraïque (1889) ou dans son journal  Ha-Zvi (ha-Tsevi,  qui devait s'appeler Ha Hor : "Lumière", nom dont il n'a pas reçu de licence ottomane).  En 1882, Ben-Yehuda écrivait 

 

"L’objectif est de faire revivre notre nation sur son territoire… si seulement nous parvenons à accroître ici notre nombre jusqu'à ce que nous représentions la majorité…. A ce jour, on compte cinq cents  mille Arabes, qui ne sont pas très forts, et à qui nous arracherons facilement  le pays,  si seulement nous le faisons au travers de stratagèmes et sans attirer sur nous leur hostilité avant de devenir les plus forts et les plus nombreux."  (E. Ben Yehuda et Yehiel Michael Pines, octobre 1882, cité par Morris, 1999) 

Là, encore, nous retrouvons la stratégie de dissimulation, de ruse, invoquées par les sionistes pour parvenir à leurs fins en évitant aussi longtemps que possible les hostilités frontales :  nous  examinerons en détail leurs applications concrètes. Nous verrons au fur et à mesure que ces quelques lignes résument parfaitement la stratégie longtemps adoptée par les sionistes pour atteindre leurs objectifs de domination. Cependant, un autre courant de l'haskala évoque davantage ce "sionisme spirituel" ou "sionisme culturel" des Lumières juives, au sein duquel œuvrait un tout petit nombre d'humanistes juifs qui avaient un regard autrement plus clairvoyant sur la situation. Citons un des plus connus d'entre eux, Ahad Haam (A’had, Achad Ha’am, pseudonyme d'Asher Ginsberg, 1856-1927), chef de file de ce mouvement culturel et qui sera très opposé à Herzl, quant  à lui chef de file historique du sionisme politique et directeur de Ha-Shiloah ("Le Messager"). Cette première revue moderne en langue hébraïque a vu le jour grâce au soutien financier du magnat juif du thé, d'origine russe, Kalman Zeev Wissotsky  (1824-1904), qui contribua comme d'autres riches philanthropes juifs, au développement de la colonisation  en Palestine.  Dès 1891, pourtant, au sein même du mouvement sioniste, Haam mettait en garde sur les dangers de la colonisation juive en Palestine :  

"Nous avons l’habitude de croire, à l’étranger, que la Palestine est une terre presque entièrement désolée, un désert non cultivé, un champ en friche, où quiconque désireux d’y acheter des terrains pourrait se rendre et en acquérir à sa guise. En réalité elle ne l’est pas : sur toute cette terre, il est difficile de trouver un champ de terre arable non semée ; il n’y a plus que des champs de sable et des collines pierreuses... Nous avons l’habitude, à l’étranger, de croire que les Arabes sont tous des sauvages du désert, un peuple pareil à l’âne, incapables de voir et de comprendre ce qui se passe autour d’eux. C’est là une grande erreur... Les Arabes, notamment ceux des villes, voient et comprennent le sens de nos actions et de nos aspirations en Palestine, mais ils se taisent. Ils affectent de ne rien savoir car, pour le moment, ils ne voient dans notre action aucun danger pour leur avenir. Ils s’efforcent de nous exploiter au mieux, de tirer parti de ces nouveaux hôtes... (...) Mais le jour où la présence de notre peuple prendra une dimension telle qu’elle empiète, de peu ou de beaucoup, sur les positions des autochtones, ce n’est pas de bon gré qu’ils nous céderont la place...  

(...)

Nous devons traiter les autochtones avec affection, conformément au droit et à la justice. Or, que font nos frères en Palestine ? Exactement le contraire. Ils ont été serfs dans la diaspora, et maintenant qu’ils peuvent jouir d’une liberté sans limite, ils deviennent à leur tour des tyrans. Ils traitent les Arabes avec animosité et cruauté, les privent de leurs droits... et personne parmi nous ne s’oppose à cette attitude méprisable et dangereuse" 

Ahad Haam,  Emet me-Ertz Israel : "La vérité sur Eretz-Israël", article de 1891  paru dans la revue pétersbourgeoise HaMelitz 

En amont de cette critique contre le nationalisme sioniste, il invoquait un danger spirituel encore plus important à ses yeux, dont le principe moteur est la paix : 

 

"...le judaïsme avait toujours donné la préséance à l'idéal abstrait ; il avait toujours relégué la force physique au second plan. « L'Ecriture » était au-dessus du « Sabre ». En faisant cela, il voulait empêcher les individualités de se mettre  trop en avant aux dépens de la masse. Le judaïsme d'est toujours efforcé à faire perdre à l'homme le « sens de la terre » ; et le Juif réel, le Juif en chair et en os n'était qu'un pendant du Juif moral, du Juif réduit à une entité abstraite. Dans ces conditions, il est impossible que le Juif continue à vivre parmi les autres peuples, ou qu'il songe même à se créer une existence nationale sur un terrain à lui. Or, à l'heure actuelle, voici que se réveille chez nous le désir d'une renaissance nationale ; il faut donc pour mettre d'accord nos conceptions morales avec ce désir matériel, transformer les valeurs morales qui prédominent chez nous. Il nous faut donc jeter à bas tout l'édifice historique élevé par nos ancêtres. Car il est construit sur la base d'une dangereuse erreur, à savoir : la prédominance de l'esprit sur la matière et la subordination de la vie individuelle à la loi générale et abstraite." (A. Haam, Les idées de Nietzsche et le judaïsme",  dans L'Écho sioniste, n°4 du 15 avril 1902, p. 91-94). 

Haam propose donc une solution au problème  posé par une patrie juive fondée, croit-il, sur la raison et la sagesse, dont le projet doit être nécessairement  accepté au préalable par les autochtones arabes. Haam n'est pas antisioniste pour autant. Comme d'autres, il croit naïvement que les sionistes finiront par convaincre les Arabes de la justesse de leur entreprise coloniale par leur force morale et leurs accomplissements dans le pays. Haam est sans doute un des précurseurs de l'idée d'un Etat binational. S'il ne semble pas l'avoir formulé précisément, tout ce qu'il exprime sur le sujet d'une patrie juive en Palestine va dans ce sens, comme lorsqu'il déclare que les droits des Juifs "n’invalidaient pas le droit du reste des habitants du pays qui disposaient d’un véritable droit de résidence et de travail", ce qui fait de la Palestine "une possession commune"  (A. Haam, La Vérité, op. cité).  Bien entendu, malgré les intentions sincères de l'auteur, les Arabes ne pouvaient pas, en toute logique, comme quiconque l'entendrait aujourd'hui du droit des immigrés, admettre la valeur égale des droits d'appropriation de la Palestine entre Juifs étrangers et Palestiniens de souche. 

 

Une autre voix  est portée par l'enseignant et écrivain d'origine russe, Yitzhaq Epstein (1862-1943), qui conseille aux Juifs qui s'installent en Palestine de le faire "sans pécher contre la justice et sans nuire  à personne" (op. cité).  Epstein s'installe dans la colonie de Rosh Pina en 1886, et rappelle que, "comme tout être humain, l’Arabe est très attaché à sa patrie",  que l'heure "est venue d’extirper des esprits l’idée discréditée, répandue parmi les sionistes, que l’on trouve en Eretz Israël des terres incultes par suite du défaut de main-d’œuvre et de l’indifférence de ses habitants. Il n’existe pas de champs inoccupés. C’est tout le contraire : chaque fellah s’efforce d’agrandir le terrain dont il dispose en y adjoignant la terre en friche qui est contiguë pour autant que cela ne requière pas un labeur excessif."  (Y. Epstein, Sh'eilah Ne'elamah : "La question cachée", 1907).  L'auteur rapporte de manière très intéressante le "long processus d'acquisition du village druze  de Metula au nord, entre 1897 et 1898  (...) La peqidouth (administration) des fonctionnaires du baron Edmond de Rothschild n’étant parvenue à aucune forme de négociation avec la population avant leur départ forcé pour Istanbul suite à un soulèvement druze, celle-ci entra en contact avec les derniers habitants restés sur place, accompagnée d’« un officier de l’armée, suivi de ses soldats, venu arrêter ceux qui s’étaient soustraits au service militaire […] et se tenant à prêts à emprisonner ceux qui refuseraient de signer les actes de vente » (p. 103). Cette difficile négociation, affirme-t-il, exposa les communautés sionistes au ridicule, révéla leurs faiblesses, et alimenta plus encore la « haine profondément ancrée dans [les] cœurs »" (Schlaepfer, 2018, citations d'Y. Epstein, op. cité).   Comme Haam, Epstein alerte sa communauté du nouveau Yichouv "sur la présence massive d’Arabes sur la terre d’Israël, une présence dont il faudra tenir compte. Il dénonce la « légèreté d’esprit qui règne dans les rangs » du mouvement sioniste dont la majorité des militants ne sont encore jamais allés en Palestine : « Seule une question, négligeable, nous a échappé : sur cette terre qui est notre patrie bien-aimée vit tout un peuple qui y est établi depuis des siècles et n’a jamais songé à la quitter."   (Bendavid, 2012).  Ainsi, dès les débuts de la colonisation, Haam et Epstein  reprochaient  "à nombre de leurs contemporains sionistes... d’avoir « oublié » et « dissimulé » la question palestinienne, les deux auteurs identifient et dénoncent, amèrement et sans détour, une attitude qu’ils qualifient d’« arrogante » à l’égard des Palestiniens." (Schlaepfer, 2018),  

Dissimulation, encore une fois.

 

A la seule lecture de citations en apparence très humanistes d'un certain nombre d'auteurs sionistes "modérés",  il n'est pas possible de connaître l'arrière-plan parfois paradoxal et même (inconsciemment ?) pernicieux de leur démarche.  Car, loin de proposer une solution acceptable par les deux parties, toutes leurs recommandations aux Juifs semblent se ramener à une stratégie habile de conquête bien connue des colons européens,  qui  compte sur le fait que la prétendue supériorité des Juifs finira par convaincre les Arabes de désirer de se soumettre... avec plaisir : C'est en apportant des améliorations agricoles, médicales et technologiques à la population indigène, dira par exemple Epstein, que "des centaines de villageois viendront demander aux Juifs de s’emparer de leurs terres"  (Epstein, op. cité).  

Même son de cloche chez  Max Nordau, pour qui le rachat des terres non cultivées à l'ouest du Jourdain serait la solution : "Le vrai remède nous devons le chercher d'un autre côté. Il a été souvent répété que 12 % seulement des terres situées à l'Ouest du Jourdain sont cultivées. Les 88 % restant sont en friche et déserts. Non parce qu'ils ne sont pas susceptibles d'être cultivés, mais parce que les fellahin, avec leurs méthodes primitives, ne sont pas capables d'en tirer de bons résultats."  (Max Nordau, Ecrits sionistes, Textes choisis avec introduction, bibliographie et notes par Baruch Hagani, chapitre V, "La question agraire en Palestine", p. 301, Librairie Lipschutz, 1936).  Ce qui n'empêche pas Nordau de croire (naïvement mais sincèrement) travailler à une solution pacifique, l'importance de la concorde avec les Arabes étant souvent rappelée dans son œuvre, étant même pour lui la condition sine qua none du succès de l'entreprise sioniste : "Notre sort est entre nos propres mains et il dépend essentiellement des relations que nous serons en état d'établir avec les Arabes."  (Max Nordau, op. cité,  chapitre IV, "La Grande-Bretagne et la Palestine", p. 292).   Et comme d'autres,  Nordau idéalise une communauté juive unie dans l'idée du retour en Erets Israel

"Depuis la destruction du second Temple par Titus, depuis la dispersion du peuple juif dans tous les pays, celui-ci n'a cessé de souhaiter ardemment, d'espérer fermement son retour au pays de ses pères autrefois perdu par lui."   (M. Nordau, Ecrits sionistes, op. cité, Introduction au Sionisme, p. 19).

L'argument est récurrent chez les colonialistes européens, d'avancer leur supériorité technique (et au-delà, civilisationnelle) pour  légitimer l'exploitation des  terres  (et plus largement le pays) qu'ils n'habitent pas. Il se double ici d'un énième regard fantasmatique sur l'ancien Israël. Littérature  ou propagande sioniste évoquent avec nostalgie ce "pays où coulent le lait et le miel" (Exode 3 : 8)  et ne manquent pas de le comparer, d'une manière ou d'une autre,  au pays actuel, infertile, inexploité par les Arabes   "Il est souvent mentionné dans le Talmud que la vallée de Huleh possédait des oliviers et de l’huile d’olive en grande abondance. Au temps de Flavius Josèphe, c’était l’implantation juive la plus peuplée"  (Livret de promotion de l'achat de la concession Hula, Jérusalem, Goldberg's Press).  Comme de nombreux passages bibliques, ceux évoquant la Terre Promise comme un pays de Cocagne doivent être passés au crible de la critique historique. Prenons seulement ici l'exemple des vergers : si le cédrat avait été introduit à l'époque du Second Temple, tous les autres agrumes : citrons, oranges, mandarines, pamplemousses, originaires de Chine, ne gagnent les régions méditerranéennes  qu'entre le temps des Croisades et le début du XIXe siècle, les Arabes de Palestine cultivant l'orange douce dès le XVIIIe siècle : "Les « jardins » de Jaffa sont en fait un lieu commun des récits de voyage en Terre sainte à la fin de l’époque ottomane et une réalité confirmée par les historiens : les Arabes de Palestine cultivaient et exportaient, certes à petite échelle, des agrumes, avant que ne commence l’immigration juive moderne au début des années 1880."  (Nicault, 2014)  Par ailleurs, entre 1860 et 1882, les colons juifs étaient aidés par des mécènes à l'installation mais n'avaient guère de capitaux pour développer une arboriculture commerciale et "ont largement imité le système vivrier des fellahin arabes. Comme eux, ils ont pratiqué une polyculture orientée vers l’autosubsistance, où seuls les surplus sont, éventuellement, écoulés dans le voisinage immédiat.  (Nicault, op. cité) 

"Eugen Laronne, né en 1914 et arrivé en Palestine à l’âge de 20 ans, se souvient avec une certaine admiration de la qualité du travail que fournissaient les travailleurs agricoles arabes, malgré leurs instruments « rudimentaires ». Les techniques agricoles qu’ils maîtrisaient ont même, pendant un temps, joué un rôle vital dans la survie du kibboutz Mishmar Haémek, reconnaît-il. (Farges, 2014). 

Par ailleurs, la réalité économique de la Palestine semble démentir la propagande sioniste d'un pays arriéré économiquement, puisque le riche banquier allemand Otto Heinrich Warburg (1883-1970), en 1904, indique que  le volume des exportations de Palestine avant la colonisation juive est plus important que les deux colonies allemandes les plus riches, l'Afrique orientale allemande et le Cameroun  (Otto Warburg, Palästina als Kolonisationsgebiet, Revue Altneuland [1904-1906], 1, 1904, p. 3-13).  Et quand bien même, la Palestine aurait été ce pays si misérable décrit par les sionistes, il n'autorise pas une société prétendument évoluée à exercer sur lui des actions de prédation. 

Extrêmement minoritaires, les auteurs de la Haskala, sensibles à leur manière à l'altérité, aux sentiments légitimes des Arabes, seront complètement inaudibles et savamment occultés par les leaders sionistes  :  "les mises en garde d’Ahad Ha-Am avaient été soigneusement éludées par les premiers théoriciens du sionisme qui craignaient de décourager les candidats à l’émigration déjà peu nombreux." (Bendavid, 2012).  

contre la barbarie

 

 

 

la civilisation  contre la barbarie. 

 

 

 

 

Envers et contre tout, malgré une grande hostilité venue de la communauté juive elle-même, nous l'avons vu, les sionistes ont non seulement continué de donner corps à leur projet, mais ils ont aussi peaufiné un certain nombre de stratégies pour y réussir. Ainsi, c'est un plan, sinon secret, très discret, exécuté par le milliardaire français Edmond de Rothschild (1845-1934), qui a consisté à racheter des terres en masse, durant des dizaines d'années, opérant "un véritable maillage de la Palestine", à la barbe des autorités ottomanes (Henry Laurens, De Theodor Herzl à la naissance d'Israël, Le Monde Diplomatique, avril-mai 2008).   

"Toutes ces colonies sont situées les unes près des autres et l'on peut quasiment parler d'un pays juif congloméré"  (Jacobus Henricus Kann [1872-1944], "Erets Israël", le pays juif, 1907, édition en langue française de 1910, Librairie Falk fils, Bruxelles, 

Cartes à l'appui, les chercheurs israélien et suisse Harsgor et Stroun démontreront à leur tour que "l'acquisition de nouvelles terres est effectuée toujours avec la volonté de transformer le patchwork que représentent les colonies juives en une seule toile, en se préoccupant de relier les diverses régions colonisées." (Michael Harsgor et Maurice Stroun, Israël-Palestine, l'histoire au-delà des mythes, Genève, Métropolis, 1996). 

"L'arrivée d'Arthur Ruppin marque une date capitale puisque, après avoir ouvert en 1908 l'Office palestinien de Jaffa [Palästina-Amt, NDA], il systématisera la stratégie territoriale que Haïm Margalit-Kalvarisky avait commencé à mettre en œuvre à partir de 1900 en basse Galilée (Mesha, Yavneel...). En sa qualité d'ingénieur agronome de l'Association de colonisation juive (ICA), à laquelle le baron de Rothschild avait confié, en 1899, l'administration des colonies des Hovevei Zion, il avait eu l'idée de concentrer les achats de terres dans un même district de telle sorte que, par une maîtrise ordonnée de l'espace, les Juifs puissent constituer, même sur une aire réduite, la majorité de la population. Cette « stratégie de l'insertion », par laquelle il s'agit, dans des régions faiblement peuplées d'Arabes, d'édifier des noyaux d'implantations, proches géographiquement les unes des autres, fut reprise et amplifiée par Arthur Ruppin au cours de son long séjour palestinien entre 1908 et 1943." (Dieckhoff, 1989).

Haim Margaliot Kalvarisky (H. Margaliyot Kalvaryski, 1868-1947), administrateur des colonies agricoles de Galilée dès son arrivée en Palestine, en 1895, et pour de nombreuses années, est un exemple parmi d'autres de tous ces sionistes qui, tout en prônant avec constance la compréhension mutuelle entre Arabes et Juifs (voir le chapitre Brit Shalom, plus bas), n'ont cessé de développer tous les moyens possibles de coloniser le pays, plus ou moins légaux, plus ou moins retors, si possible discrètement et même secrètement. Membre du Vaad Leum (Conseil National Juif, Jewish National Council, créé en 1920) après la première guerre mondiale,  chef du Bureau arabe jusqu'en 1928, il présentera des vues instructives sur ce pseudo colonialisme à visage humain,  lors d'une réunion en 1919 sur le sujet des relations judéo-arabes, à la Commission juive de Va’ad Ha-Tzirim ("Comité des délégués" sionistes) :   

"J’ai réalisé à quel point la question de nos relations avec les Arabes est sérieuse lorsque j’ai acheté pour la première fois des terres aux Arabes (en Galilée)... J’ai réalisé à quel point les Bédouins sont proches de leur terre... Au cours de mes 25 années de travail colonial, j’ai dépossédé (« nishlti ») de nombreux Arabes de leurs terres, et vous comprenez que ce travail - déposséder les gens de la terre sur laquelle eux-mêmes et peut-être leurs pères sont nés - n’est pas du tout une chose facile, surtout quand on regarde ces gens comme des êtres humains... Je devais le faire, parce que c’est ce que le Yishouv demandait, mais j’ai toujours essayé de le faire de la meilleure façon possible... Je me suis familiarisé très tôt avec les Arabes et la question arabe." 

 

Haim Kalvaryski, présentation intitulée : « Relation avec les voisins arabes », Archives sionistes centrales (CZA) J1/8777, citée par Jacobson, 2004  :

"Quand j’ai lu cette citation pour la première fois, ce qui m’est venu à l’esprit était l’expression courante « Yorim ve-Bochim » (en hébreu, « tirer et pleurer »). Kalvaryski avoue avoir dépossédé les Arabes de leurs terres, mais cette prise de conscience l’a-t-elle poussé à agir différemment ? Il ne quitte pas son emploi dans le mouvement sioniste. Pourtant, les mots de Kalvaryski expriment une sorte de dissonance à l’égard de son travail et de ses devoirs. C’est peut-être cette dissonance qui l’a rendu actif dans diverses tentatives pour parvenir à un accord entre Juifs et Arabes."  (Jacobson, 2004). 

 

Le XIXe siècle n'est pas terminé que certains militants sionistes utilisent tour à tour les termes de Palestine ou d'Eretz-Israël, d'autres combinent les deux, mais déjà,  le chef des sionistes anglais, le colonel Goldschmidt, refuse d'utiliser le terme Palestine, et l'écrivain Moïse Lilienblum (1843-1910), pense que son vrai nom est celui de la patrie historique des Juifs, Erets Israel :   "Tout d’abord nous devons savoir et croire que ce n’est pas en Palestine que nous colonisons le pays, mais en Terre d’Israël"  (M. Lilienblum, article de la revue HaMelits, 1890, no 126)

 

En 1901, le Lithuanien Tzvi Herman Shapira, propose au mouvement sioniste de créer un fonds d’achat de terres en Palestine,  ce sera  le KKL (Keren Kayemeth LeIsrael, en hébreu : "Fonds pour la création d'Israël") connu à l'étranger sous le nom de Fonds national juif (FNJ, JNF : Jewish National Fund), au sein duquel des bureaux sont dédiés au développement agricole, auquel s'ajoutera quelques années plus tard la Palestine Land Development Company (PLDC, en hébreu Ḥevrat Hakhsharat ha-yishuv), en 1908, initié en particulier par  O. Warburg, qui n'avait, soi-dit en passant, jamais reçu d'éducation spécialement juive  (Baisez, 2019), ce qui ne l'empêchera pas d'être élu président de l'Organisation sioniste mondiale en 1911.  Au sein de l'Organisation sioniste, Warburg participa aux commissions chargées d'examiner les propositions britanniques de colonisation du nord Sinaï (1903), où il se rendit en compagnie de l'agronome Selig Soskin (1873-1959) et d'Oppenheimer,  mais aussi de l'Ouganda (1904),  projet pour lequel avait été créée officiellement en 1905 la Jewish Territorialist Organisation (ITO),  "l'Organisation juive territorialiste" (OJT), dirigée par Israël Zangwill.  Son beau-père, le sioniste  Gustav Gabriel Cohen (1830-1906), banquier de Hambourg, avait quant à lui proposé une colonisation juive de l'île de Chypre (Die Judenfrage und die Zukunft : "La question juive et l'avenir", écrit à partir de 1881, et qui sera édité en 1891). 

 

En Palestine, un certain nombre de projets se tournent vers des zones peu peuplées,  à défricher et  à valoriser, de marécages en particulier (qu'il faut drainer et assécher), mais aussi désertiques ou de montagnes pierreuses, comme la première ferme-école de Mikveh-Israël, fondée au sud de Jaffa en 1870 par l'homme d'affaires et mécène Charles Netter et "construite sur un marécage infesté de malaria" (Mortier, 2019). Les zones de marais sont principalement situés au nord du pays,  dans la vallée de Jezréel (Jizréel, Yzrael, plaine d’Esdraelon, vallée de Megiddo ; Marj ibn Amir pour les Arabes), en Galilée, à Kabarah ou encore dans le bassin du lac Ḥula (Houla, Huleh).  Sur le sujet, les sionistes construisent alors un discours idéologique en guise d'argumentaire, de justification de la colonisation juive en Palestine.  Dès l'origine, le JNF "est ainsi créé pour faciliter l’achat de terres aux propriétaires arabes ottomans dans le but de les enregistrer comme « propriété éternelle et inaliénable du peuple juif » [Katz 2005 : 35]" (Mortier, 2019).  Des dispositions de la JNF ont été prévues dans ce but, car la "fondation n'aura pas le droit de vendre ses terres à des particuliers, auxquels elle ne pourra les concéder que sous forme de bail"  (Cohen-Muller, 2019).   Ainsi, pour les autochtones arabes, le problème n'est pas seulement la supériorité technique, par ailleurs reconnue, des Juifs européens (on devrait dire des Européens tout court), mais aussi le fait que l'ensemble des entreprises engagées par les sionistes démontre dès le départ, la volonté , encore une fois,  d'appropriation progressive et soigneusement étudiée de l'espace. 

 

Un argument récurrent pour défendre la légitimité de cette appropriation est donc celui qui compare un pays stérile, prétendument délaissé par ses habitants ("une terre sans peuple...), aux moyens primitifs de développement, à un pays qui deviendra un vrai pays de Cocagne par les moyens techniques européens et  le travail acharné des pionniers. Ben Gourion  écrira ainsi dès 1915 un texte où, par des tournures rhétoriques, il exprime ses sentiments de supériorité et de morgue envers les Arabes :

"Le pays attend un peuple culturel et travailleur. Enrichi de matière et ressources spirituelles; armé de l’arme de la science et de la technologie. Le pays aspire que ce peuple vienne s'y installer, fleurir ses montagnes arides, fertiliser ses les terres incultes, les forêts, les sables et le pays désertique se transformerait en paradis. […] Les Juifs, comme on peut déjà le constater dans leurs colonies agricoles, introduiront dans le pays des  outils perfectionnés, moderniseront les méthodes agricoles et développeront des systèmes d'irrigation et de transport."   (Ben Gourion, Vers le futur,  article paru dans le mensuel HaToren, juin 1915). Vingt ans plus tard, il  raille avec sarcasme la définition donnée par la puissance mandataire britannique (la puissance coloniale britannique défait le pouvoir ottoman en Palestine à la fin de 1917, cf. plus bas) d'un sol "non cultivable", que le directeur de l'Agence juive regarde plutôt comme "un sol qui ne cède pas aux moyens de cultures primitifs des fellahs"  (D. Ben Gourion, Cahiers juifs, 1935).  

 

 "Dans ce passage caractéristique comme dans bien d’autres textes, les terres marécageuses, comme la région de Ḥula, sont depuis la fin du XIXe siècle, des espaces d’élaboration d’un discours sioniste sur l’environnement palestinien qui s’articule autour de trois principaux points : le dénigrement des modes d’appropriation arabes des marécages, la démonstration de l’efficacité des techniques développées par les sionistes jugées par eux comme « modernes » en opposition à la « primitivité » de celles des Arabes, et enfin la recherche d’un rééquilibrage des terres de Palestine pour mieux correspondre à la fertilité fantasmée d’Eretz Israël."  (Mortier, 2019). 

 

"Dans la reconstruction du Foyer national juif dans le pays de leurs ancêtres, les juifs ont “collectionné” des déserts, des marais, des montagnes rocailleuses, dont personne ne voulait et que personne n’habitait, et ils les ont changés en champs, en jardins, en vignobles, en vergers, créant ainsi de “l’espace vital” pour des milliers de leurs frères […]"    (Cheskel Zwi Kloetzel,  L’eau pour le Néguev. La lutte contre le désert et la sécheresse, Jérusalem, Kéren Kayémeth Leisraël, 1947). 

"C'est pour cela qu'il faut le dire tout simplement : tout notre désir au pays d'Israël est de faire réellement, de nos propres mains, toutes les choses qui font la vie ... de ressentir ce que ressent le travailleur „.. nous aurons alors une culture, nous aurons alors une vie. C'est pour cela et pour bien d'autres raisons que les pionniers juifs ne sont pas des colonisateurs."

 

"Le peuple juif a été complètement coupé de la nature et emprisonné dans les murs de la ville pendant deux mille ans. Nous avons été habitués à toutes les formes de vie, excepté une vie de travail - un travail fait en notre nom et dans son propre intérêt. Il faudra le plus grand effort de la volonté à un tel peuple pour redevenir normal. Il nous manque le principal ingrédient de la vie nationale. Il nous manque l'habitude du travail. [...] Nous devons créer un nouveau peuple, un peuple humain dont l'attitude envers les autres peuples est remplie du sens de la fraternité humaine." 

Aharon David Gordon (1856-1922),  לבירור רעיוננו מיסוד , "Clarifier notre idée de fondation", 1920.

 

Mais ces scrupules sont contredits par bien des arguments qui rappellent plutôt ceux des colonisateurs européens de l'Amérique ou de l'Afrique  :  La terre doit revenir à ceux qui la mettent en valeur, qui apportent la civilisation aux peuples primitifs. Cette opinion conduit souvent les sionistes à glisser sur une pente idéologique douteuse, qui établit un lien direct entre improductivité, infertilité de la terre et absence d'humains dignes de ce nom, ou parfois, d'humains tout court  : C'est un pays "inhabité" qui attendrait donc "ceux qui le coloniseront et le régénèreront"   (E. W. Tachlenov, La guerre, la révolution russe et le sionisme, Copenhague, 1917 : 18-19).   Les colons ignorent sûrement une importante raison qui empêche le fellah de cultiver davantage : 

"La Palestine a un fermier général qui a lui même des sous traitants par districts et ceux ci ont des agents subalternes qui font la recette dans les villages. Il résulte de cette organisation que le peuple, les masses de fellahin (paysans) sont pressurés de cette manière qu'une grande quantité de terres fertiles restent incultes parce que le rapport qu'elles produiraient aux malheureux cultivateurs ne suffirait pas pour satisfaire la rapacité de tous ces fermiers ou sous-fermiers..."  (Cohen-Muller, 2005). 

 

Nous retrouvons-là l'idée de mission civilisatrice défendue par les nations coloniales depuis la colonisation de l'Amérique, que nous avons vu chez Laharanne ou Palmerston, et qui appartient aussi  à la mentalité de nombre de dirigeants sionistes, dès le début de la colonisation  : " nous formerions là-bas un élément d’un mur contre l’Asie, ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie",  disait déjà Herzl  ("L'État des Juifs", op. cité, 1896).  En 1902, il partageait sa vision de cette civilisation technique dans son roman utopique, Altneuland ("le pays ancien-nouveau"), qui donne une définition à la fois succincte et limpide du sionisme :

"Le docteur Weiss, un simple rabbin d’une ville de province de Moravie, ne savait pas exactement en quelle compagnie il se trouvait, et hasarda quelques remarques timides. « Un nouveau mouvement est apparu au cours des dernières années, qui s’appelle le sionisme. Son but est de résoudre le problème juif par la colonisation à grande échelle. Tous ceux qui ne peuvent plus supporter leur sort actuel retourneront dans notre ancienne patrie, en Palestine.»"  (op. cité, Livre I, ch. 2). 

 

Le héros, le Dr Friedrich Loewenberg, Juif viennois non pratiquant, débarque une première fois en Palestine, au port "abandonné" de Jaffa,  dont l'auteur nous dresse le portrait repoussant : "Les ruelles étaient sales, négligées, pleines d’odeurs nauséabondes. Partout la misère dans des haillons orientaux éclatants. De pauvres Turcs, de sales Arabes, des Juifs timides se prélassaient, indolents, mendiants, désespérés."   (op. cité, Livre I, ch. 6).   Dans les campagnes, entre le port de Jaffa et Jérusalem, par chemin de fer "misérable", le spectacle est tout aussi dégoûtant, les Arabes sont aussi repoussants que les précédents, et  rien ne rappelle un pays civilisé : "Les habitants des villages arabes noirâtres ressemblaient à des brigands. Des enfants nus jouaient dans les ruelles sales. Au-delà de l’horizon lointain se profilaient les collines déboisées de Judée. Les pentes dénudées et les vallées mornes et rocheuses ne présentaient que peu de traces de cultures actuelles ou anciennes."   (op. cité).   

 

Ou encore : "Rien n’aurait pu être plus misérable qu’un village arabe à la fin du XIXe siècle. Les taudis en terre battue des paysans étaient impropres à la construction d’écuries. Les enfants gisaient nus et négligés dans les rues, et grandissaient comme des bêtes muettes."   (op. cité, Livre III, ch. 1).

"Quand nous sommes arrivés ici, il n’y avait rien, rien du tout. Aujourd’hui, la Palestine est un pays modèle. Nous y avons plongé notre sang, notre sueur et notre labeur !"    (op. cité, Livre III, ch. 2).

La description des colonies, ensuite, est l'occasion encore une fois pour l'auteur de souligner le  contraste deux mondes opposés, celui des Arabes, inhospitalier, inculte, stérile et misérable, et celui encore embryonnaire, d'un Israël renaissant, formé alors de merveilleuses oasis , avec "des champs bien cultivés, des vignobles majestueux et des orangeraies luxuriantes."  (op. cité).  Vingt ans après, le héros revient en Palestine et la métamorphose a eu lieu, dans le pays entier cette fois.  Par la voix de ses personnages, l'auteur dévoile par petites touches les étapes de la colonisation, non sans rappeler ses causes, à savoir les multiples humiliations subies par les Juifs en Europe. Puis, la "Nouvelle société" hébraïque se forme progressivement grâce à une association "organisée sous le nom de « Nouvelle Société pour la colonisation de la Palestine »"  qui réussit à conclure un "traité de colonisation avec le gouvernement turc"   (op. cité, Livre IV, ch. 2)dûment monnayé par d"'importants paiements annuel au Trésor turc"  (op. cité).    Les Européens juifs ont fini par investir la Palestine toute entière, ayant emporté l'adhésion de tous qu'eux seuls étaient en droit et en mesure de conduire le pays vers sa glorieuse destinée. C'est sans doute tant de concorde qui fait qu'il n’y a pas d’armée dans la Nouvelle Société."  (op. cité, Livre II, ch. 3). C'est ainsi que naquit une perle européenne transportée en Orient, avec ses autos silencieuses sur pneus de caoutchouc, ses bâtiments modernes, ses téléphones, ses phonographes, ou encore, ses lampadaires et son train aérien électriques, une énergie encore peu utilisée à l'époque.  C'est donc un conte à l'eau de rose, qu'écrit Herzl, effaçant par avance des montagnes de difficultés et de douleurs par des pirouettes littéraires :  

 

 "Il est devenu évident que, dans les circonstances, ils devaient soit devenir les ennemis mortels d’une société qui était si injuste envers eux, soit chercher un refuge pour eux-mêmes. C’est cette dernière ligne de conduite qui a été prise, et nous y voilà. Nous nous sommes sauvés nous-mêmes."  (op. cité, Livre II, ch. 2) 

"Ce que Juda a eu autrefois, il peut l’avoir à nouveau ! Notre vieux Dieu vit encore ! Et le rêve s’était réalisé."   (op. cité, Livre II, ch. 3)

"Seuls, nous, les Juifs, pouvions le faire », répondit calmement David. « Seulement nous... Nous  étions seuls en mesure de créer cette Nouvelle Société, ce nouveau centre de civilisation.. (...)  Cela n’aurait pu advenir que par nous, au travers de notre destinée. Nos souffrances morales étaient un élément aussi nécessaire que notre expérience commerciale et notre cosmopolitisme."   (op. cité)

 

Et bien loin de copier le comportement de leurs bourreaux, les Juifs, magnanimes, auraient alors accueilli tous les hommes de la même façon : "Laissez-moi donc vous dire que mes associés et moi ne faisons aucune distinction entre un homme et un autre. Nous ne demandons pas à quelle race ou religion un homme appartient. Si c’est un homme, cela nous suffit" (op. cité, Livre II, ch. 2)  

"Nous nous en tenons au principe que quiconque a donné deux ans de service à la Nouvelle Société, comme le prescrivent nos règles, et s’est conduit correctement, est éligible à l’adhésion, quelle que soit sa race ou sa croyance."  (op. cité, Livre III, ch. 2)

 

Belles paroles, certes, mais qu'il faut mettre à l'épreuve de beaucoup d'autres, nous l'avons vu, qui placent les Juifs tout en haut de l'échelle sociale,  détenteurs  et dispensateurs du progrès et de la civilisation dans un pays arabe censé n'avoir avant cela connu que ténèbres, désolation, vide de toute trace de civilisation.  Puis, après la glorieuse restauration juive du pays, le seul musulman digne d'être présenté au lecteur est un musulman qui a étudié à Berlin, qui est habillé d'un costume européen et qui répond en allemand quand on lui parle arabe. Pour faire couleur locale, Herzl lui a tout de même rajouté un fez rouge sur la tête  (op. cité, Livre III, ch. 1) Libre d'exercer son culte ou ses affaires, il est plein de reconnaissance envers ses bienfaiteurs  : "Tout ici a pris de la valeur depuis votre immigration." affirme Reschid Bey avec admiration. Dans un autre dialogue, avec le baron chrétien Kingscourt, compagnon de voyage de Loewenberg, le musulman développe son panégyrique : 

"− Mais je voulais vous demander, mon cher Bey, ce qu’il est advenu des anciens habitants du pays qui ne possédaient rien, c’est-à-dire la majorité des Arabes musulmans ?

− M. Kingscourt, votre question est une réponse en soi, répondit Reschid. Ceux qui ne possédaient rien, n’avaient rien à perdre, donc, forcément, ils ne pouvaient qu'y gagner. Et ils y ont gagné  : Des opportunités de travail, de moyens de subsistance et de prospérité. Il n’y avait rien de plus misérable et de plus désolant qu’un village arabe de Palestine, à la fin du XIXe siècle. Les paysans habitaient des masures en argile, dont les animaux n’auraient même pas voulu. Les enfants gisaient tout nus dans les rues, négligés et grandissaient comme de stupides animaux. Aujourd’hui, tout a changé. Ils ont profité, bon gré, mal gré, des mesures progressistes de la Nouvelle Société. Lorsque les marais furent asséchés, les canaux construits et les eucalyptus plantés pour drainer et « assainir » le sol marécageux, les indigènes (qui, naturellement, étaient bien acclimatés) furent les premiers à être employés et bien payés pour leur travail !"

Par ailleurs, la volonté affichée de Herzl de maintenir le religieux à distance peine à convaincre, tant son récit est parsemé de sentiments religieux et d'accents messianiques  (Dayan-Herzburn, 2012 : 97) 

"Pourtant, aussi splendide qu'il ait pu être, les Juifs n'aurait pas pu s'en plaindre pendant dix-huit siècles. Ils n’auraient pas pu pleurer simplement une maçonnerie en ruine ; ça aurait été trop bête. Non, ils soupiraient après quelque chose d'invisible dont les pierres avaient été le symbole. Il était revenu se reposer dans le Temple reconstruit, où se trouvaient les fils d'Israël rentrés chez eux qui élevaient leur âme vers le Dieu invisible comme leurs pères l'avaient fait sur le mont Moriah. Les paroles de Salomon rayonnaient d’une nouvelle vitalité...   (Herzl, Altneulandop. cité, Livre V, ch. 1)

Mentionnons tout de même au passage le discours moderne de Herzl sur l'égalité des hommes et des femmes (tempéré largement, cependant, par divers comportements et propos patriarcaux), la sécurité sociale, ou encore la critique de la professionnalisation de la politiqueque l'auteur développe par le truchement de ses héros, ou encore le regard critique sur la richesse et le capitalisme : 

"Ici, le pain des pauvres est aussi bon marché que le pain des riches. Il n’y a pas de spéculateurs sur les choses nécessaires à la vie. Vous savez comment la méthode coopérative est devenue, en effet, l’un des ressorts les plus puissants de la nouvelle colonisation palestinienne, due principalement aux efforts du mouvement ouvrier organisé. Elle est cependant beaucoup plus développée dans l’agriculture que dans l’industrie ou le commerce, où, autrefois on ruinait des centaines de milliers de personnes par leurs pratiques. Nous n’avons pas non plus permis l’existence de l’ancien type de petit commerce, mais nous avons créé des coopératives de consommateurs dès le début de notre entreprise. Vous avez là un autre exemple des avantages de nous être libérés des fardeaux dont nous avions hérités. Nous n’avions pas besoin de ruiner qui que ce soit pour alléger le sort de nos masses."  (op. cité, Livre II, ch. 4)  

"Ici, l’individu n’est ni broyé entre les meules du capitalisme, ni décapité par le nivellement socialiste. Nous reconnaissons et respectons l’importance de l’individu, tout comme nous respectons et protégeons la propriété privée, qui est son fondement économique."   (op. cité) 

Herzl n'est ni le premier, ni le dernier à avoir imaginé un Israël futuriste ou utopique, dont le genre se poursuivra bien après la création de l'Etat d'Israël, en 1948   (Eliav-Feldon, 1983 ; Encylopaedia Judaica, 1971-1994, vol. 16, pp. 1151-52). En 1882, le romancier slovaque Edmund Menachem Eisler (1850-1942), qui avait correspondu avec Herzl et d'autres dirigeants sionistes,  écrit Ein Zukunftsbild ("Une image du futur"), qui sera publié anonymement en 1885 à  Vienne.  Le récit prend sa source dans l'affaire de  Tiszaeszlár, en Autriche-Hongrie, autour d'une énième accusation antisémite de meurtre rituel imputé aux Juifs, entre 1882 et 1883.  Rapidement, un parlementaire,  Gyözo Istoczy  en profitera pour réitérer une demande faite en 1878 déjà de transférer les Juifs en Palestine où ils pourront s'établir au milieu de leurs "compatriotes sémites" (Eliav-Feldon, 1983) Le récit d'Eisler commence donc par les pogroms, suivis de mouvements de révoltes juives qui se sont réellement déroulées, avant de bifurquer dans l'imaginaire par l'intervention de son jeune héros, Avner, qui poussera à l'action la communauté juive, sous forme d'une campagne de pétitions, de discours, qui finiront par persuader les gouvernements européens d'obtenir du sultan ottoman une concession juive en Palestine, où sera créé "un Etat de Judée  prospère,  juste et hardi défenseur de paix"  (op. cité)., dont Avner deviendra le roi. Signalons qu'un exemplaire de son livre figurait dans la bibliothèque personnelle de Herzl, qui a pu s'en inspirer. 

 

Le lithuanien Elchanan Liib Levinski (Elḥanan Leib Lewinsky, 1857-1910), ami proche d'Ahad Haam, marchand de céréales rêvant d'être un écrivain de langue hébraïque, est un des premiers dirigeant sionistes de Russie, membre du mouvement Hovevei Zion. Il a été élevé dans l'esprit du mouvement Haskala, fut un des fondateurs d'Ivryya (Ivriyya, Ivriya, עִבְרִיָּה :"femme hébraïque" ), un mouvement pour la renaissance de la langue hébraïque, et deviendra le représentant en Russie de Carmel, une des grandes sociétés viticoles de Palestine.  En 1892, paraît son roman Voyage en Terre d’Israël en l’an 5800 du VIe millénaire (selon le comput juif, soit 2400 de l'ère chrétienne), dans le premier numéro de la revue annuelle Pardes (1892-1896), à Odessa. L'histoire raconte le voyage de noces d'un  couple juif dans un pays d'Israël  magnifié, comme dans beaucoup d'utopies sionistes, montrant à quel point la nation juive est redevenue un centre culturel et spirituel puissant, embellissant physiquement et spirituellement un pays "qui ne ressemblait à rien" avec des "champs incultes". Ne parlons pas des anciens habitants. Les Arabes ne sont pas mentionnés une seule fois, et leur mince souvenir ne se rapporte pas aux gens mais à des productions, celle du café (kava, kavah), forcément moins bon que celui que cultive désormais les Juifs dans la vallée du Jourdain, et celle du style architectural de certains bâtiments publics. 

 

"Jérusalem est le centre de l'univers tout entier, le nombril du monde... Et particulièrement celui des Juifs. ... , les écoles d'enseignement supérieur de Jérusalem sont des centres de la Torah, de connaissance et de sagesse pour tous nos frères dans la diaspora. Des milliers d'étudiants se précipiteront vers eux des quatre coins du monde pour entendre des leçons dans toutes les branches de la Torah et de la connaissance, et, à partir de Jérusalem la Torah et la littérature se répandra sur tous les habitants de la terre."   (E. Lewinsky, opus cité)

Faire partie du sionisme culturel, d'esprit pacifique, comme Haam ou Lewinsky, n'empêche pas, on l'a vu, de poursuivre un but colonisateur dans le but d'une prééminence juive sur l'ensemble de la société investie. Ainsi, dans l'Etat juif futuriste de Lewinsky "la loi prédominante sera la loi des Hébreux (...),  en particulier les lois civiles ou celles du travail, basées sur "la Torah de Moïse, conformément aux gloses des sages....  s'opposant à toutes Les nouvelles lois européennes en matière de travail.  Selon ces lois, il n'est question ni de propriété, ni de travail, en Terre d'Israël, car il n'y a pas d'un côté les ouvriers et de l'autre les maîtres,  tous sont  à la fois ouvriers et maîtres." (opus cité).  Il  ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que de telles dispositions, d'inspiration proprement coloniales, n'auraient jamais été applaudies par une population régie depuis des siècles par des lois inspirées par la charia islamique et l'örf ("coutume", cf. Inalcik, 2011 ) turque ottomane, ce sur quoi, nous l'avons vu, Haam avait bien mis en garde les sionistes moins regardants que lui sur la question.  C'est ce que décide d'oblitérer l'ensemble de la production utopiste sioniste, préférant croire que, face à la grandeur et à la supériorité de la civilisation juive renaissante,  ce sont les autochtones eux-mêmes qui finiront par désirer d'être conquis.  Au-delà du problème nationaliste, on sait déjà que le préalable du travail et de la terre pour tous demeurera non seulement, comme dans les idéaux socialistes, un vœu pieux, mais qu'on aura là deux grandes causes de mécontentement arabe.

 

En 1893, paraîtra le roman utopiste du journaliste allemand Max Osterberg-Verakoff (1865-?),  auteur de livres pour enfants et de guides touristiques, ouvrage intitulé Das Reich Judäa im Jahre 6000 (2241 Christlicher Zeitrechnung) : "Le Royaume de Judée en l'an 6000,  2241 de l'ère chrétienne"). Après l'expulsion des Juifs de Moscou, en 1891, un évangéliste américain, William Blackstone, présente un mémorandum à Benjamin Harrison, président des Etats-Unis de 1889 à 1893,  afin de sauver en urgence les Juifs de la persécution tsariste et de créer un Royaume de Juda pour les accueillir, qui s'avèrera très conservateur et très patriarcal. Herzl le félicitera et promit de le citer dans son propre travail  (Eliav-Feldon, 1983) Deux ans après, Isaac Fernhof, instituteur originaire de Galice, publie dans le deuxième numéro de sa propre revue de littérature hébraïque (Sifrei Shashuim, Sefer Sh'ashuim  : "Les Livres des Délices") son propre récit utopique Shnei Dimyonot'  ("Deux Visions"), fruit de l'imagination d'un voyageur juif transportée dans un Israël idyllique qui aurait retrouvé sa stature étatique et sa fierté  (Eliav-Feldon, 1983) On citera enfin les romans utopiques de Jacques Bahar (1858-1923), journaliste, avocat, délégué algérien  au premier congrès sioniste de Bâle, ami de Bernard Lazare (cf. plus bas), qui écrit en pleine affaire Dreyfus son livre L’Antigoyisme à Sion, publié pour la première fois dans le journal Le Siècle, du 20 au 25 mars 1898, puis par T. Herzl, la même année, en allemand, dans son journal Die Welt.  L'action se déroule en 1997 et parodie le procès de Dreyfus où les rôles sont inversés, un juif accusant un goy injustement. Bahar nous dépeint un Etat Juif exemplaire, où, comme dans d'autres utopies sionistes, les étrangers chrétiens ou musulmans sont parfaitement assimilés aux Juifs et vivent en parfaite harmonie avec eux.  Le pays est à ce point paisible que les prisons n'existent pas, si bien que la peine qui sera infligé à Isaac Nathaniel Viermond, coupable  d'avoir écrit  un infâme pamphlet, La Judée engoyisée,  sera condamné à une peine originale et savoureuse... de bibliothèque forcée : 

"Dans l’esprit du législateur, la diffamation est imputable à l’ignorance du délinquant, dont le châtiment doit être le retour forcé à la science. On le condamne donc à s’instruire et à créer un chef d’oeuvre dont le produit est à partager entre lui et le diffamé pendant dix ans. La bibliothèque forcée est en province. C’est un vaste bâtiment dans un parc immense, entouré de murs. Le régime, tout de liberté, est subordonné, quant à la nourriture et aux aises à la gravité du travail effectué. Tous les délinquants en sortent guéris et repentis. Certains en sortent très savants. Quant à la signature, c’est une aggravation de la peine. À la sortie, le libéré ne peut que publier sans ajouter sa signature: “Diffamateur de M. Un Tel”   (J. Bahar, op. cité, dans Moraly, 2008). 

 

Enfin, nous passerons rapidement sur Looking Ahead, le roman utopique d'Henry Pereira Mendes (1852-1937), qui fut rabbin de la congrégation séfarade de New-York et un des fondateurs de la Fédération américaine sioniste (Federation of American Zionists). Le titre de son livre est inspiré d'un autre récit utopique, Looking Backward, de l'écrivain américain Edward Bellamy,  dont le contenu est cependant radicalement différent. Après avoir décrit et interprété de manière bien fastidieuse les plaies diverses de la civilisation aboutissant à une sorte d'apocalypse, Mendes met en scène un concile de pasteurs multiconfessionnel qui proclame sa  Solution of Evils ("Solution des maux"), sorte de constitution destinée à restaurer la paix et l'harmonie sur Terre, extrêmement conservatrice et moralisatrice comme les premières utopies historiques  (cf. sociétés utopiques).  L'ensemble des Eglises s'accordent sur le fait du droit historique des Juifs à retourner en Terre Sainte et un Etat juif est créé en Palestine, où sa capitale, Jérusalem, devient l'arbitre international de tous les conflits planétaires : on retrouve là encore ce sentiment de supériorité de "race", voulu par Dieu, et revendiqué par les sionistes sur les autres peuples du monde. A noter cependant que les Juifs pouvaient continuer de vivre dans leur pays d'origine, ce qui permettait de contenter divers courants du sionisme. Finalement, l'utopie de Mendes est une sorte de "version des utopies eschatologiques chrétiennes, dans lesquelles la Palestine restaurée pour les Juifs est présentée comme une étape cruciale vers le millenium" (Eliav-Feldon, 1983)qui désigne le règne terrestre du Messie avant le jugement dernier, censé durer mille ans, selon le livre biblique de l'Apocalypse, dans le Nouveau Testament  :

"04  Puis j’ai vu des trônes : à ceux qui vinrent y siéger fut donné le pouvoir de juger. Et j’ai vu les âmes de ceux qui ont été décapités à cause du témoignage pour Jésus, et à cause de la parole de Dieu, eux qui ne se sont pas prosternés devant la Bête et son image, et qui n’ont pas reçu sa marque sur le front ou sur la main. Ils revinrent à la vie, et ils régnèrent avec le Christ pendant mille ans.

05  Le reste des morts ne revint pas à la vie tant que les mille ans ne furent pas arrivés à leur terme. Telle est la première résurrection.

06  Heureux et saints, ceux qui ont part à la première résurrection ! Sur eux, la seconde mort n’a pas de pouvoir : ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et régneront avec lui pendant les mille ans." 

Apocalypse 20 : 4-6, version ALF (Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones)

A l'appui du sionisme religieux, messianique, se développe aussi l'enseignement du rabbin Abraham Yitzhak Ha Cohen Kook, dit "Rav Kook" (1865-1935), originaire de Lituanie, qui émigre en Palestine en 1904 et deviendra le grand-rabbin des ashkénazes:  "Il faut savoir qu’avant la Shoa, durant les années d’activité de Kook en Palestine, la grande majorité de l’orthodoxie juive était profondément hostile au mouvement sioniste, considéré comme apostasie. L’audace de Kook a été de présenter une vision permettant de reconnaître le messie dans l’apostasie sioniste en tant que telle. En ce sens, le projet de Kook constitue un exercice essentiellement hérétique. Il n’est donc pas étonnant que Kook ait été effectivement perçu et traité comme un hérétique par plusieurs rabbins orthodoxes de son époque, et qu’il le soit aujourd’hui encore dans le monde haredi."  (Lapidot, 2022)

Rav   :    Rov, Rouv, chez les Ashkénazes, "rabbin", en hébreu moderne

haredi   :    plur. haredim, litt. les "craignant-Dieu", qu'on appelle couramment "ultra-orthodoxes".

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Fonds National Juif, gravure de Salomon Roukhomovsky. Comme leur père, Israël R . (1860-1936) les frères Jacob et Salomon seront artistes graveurs, orfèvres ou ciseleurs, mais aussi fervents sionistes. 

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Tanzimat

Tanzimat : entre l'ancien et le nouveau

Rappelons que tout cela se passe toujours sous la domination ottomane de la région,  à un moment où le pouvoir  central s'était affaibli, et ce depuis les XVIIe-XVIIIe s., sous le coup des incursions répétées de Bédouins semi-nomades du désert de Neguev ou de Transjordanie, mais aussi des conflits tribaux, et surtout, nous le verrons, de la relative indépendance des pachas, gouverneurs et autres commandants de milice, toute une élite qui, usant de prérogatives diverses, gouverne de manière tyrannique et s'enrichit au détriment du peuple, en le pressurisant d'impôts, causant des révoltes plus ou moins réprimées rapidement  (Perrin, 2000).

 

Alors, pour faire de l'Empire ottoman un Etat à nouveau puissant, le pouvoir de la Sublime Porte entame vers 1839  les réformes dites Tanzimat ("mise en ordre", "réorganisation"). Il développe le commerce par l'activité d'une nouvelle classe d'hommes d'affaires locaux arabes, grecs, arméniens et juifs séfarades. Les infrastructures s'améliorent : bateaux à vapeur en 1830, route et ligne de chemin de fer entre Jaffa et Jérusalem, en 1868 et 1894, ports,  services publics  : Poste, en 1837 ; Télégraphe, en 1865dynamisés par l'influence des pays occidentaux, qui ouvrent des consulats, des fondations diverses : hôpitaux, écoles, etc. (Delmaire, 1999). On le voit clairement ici, contrairement à ce que certains idéologues sionistes ont pu soutenir, le bond en avant économique de la Palestine s'est produit entre 1855 et 1880 environ,  antérieurement à l'immigration sioniste, comme l'a bien montré  Alexander Schölch  (cf. (Weinstock, 2011).   

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Les réformes du Tanzimat ne sont pas seulement économiques. Elles libèrent les dhimmis de leur discrimination statutaire, introduit des représentants juifs et chrétiens parmi les notables composant les conseils provinciaux, et la jizya est supprimée en 1855. Ces changements heurtent les mentalités musulmanes et provoquent des émeutes antichrétiennes à Naplouse en 1856, et même des massacres au Liban et en Syrie, en 1860 (Weinstock, 2011).   Evoquons ici  la tendance sioniste dans l'Empire à cette période,  à cheval sur le XIXe et le XXe siècle. Istanbul a été la première ville en terre islamique (et la seule)  à posséder une antenne sioniste, en 1908, sous couvert dune compagnie bancaire, l'Anglo Levantine Banking Company, dirigée par Victor Jacobson (1869-1935), qui initiera la création de l'association France-Palestine, pour gagner l'opinion occidentale à la cause sioniste.  Comme les gouvernements européens, les autorités de la Sublime Porte ne voulaient pas voir se concentrer des Juifs dans des endroits stratégiques, et tout spécialement la Palestine.  Les "Jeunes-Turcs" (cf. plus bas) ont proposé la Mésopotamie, pour y accueillir leurs compatriotes persécutés en Europe orientale  (Benbassa, 1989).    Mais l'élite juive d'Istanbul, laïque et progressiste, vit d'un mauvais œil le Congrès de Bâle de 1897. L'organisation influente de l'AIU promouvait de son côté  "l'émancipation et l'intégration des Juifs dans leur pays d'implantation" (op. cité).  

 

Dès 1882, le développement de l'immigration des Juifs vers la Palestine contrarie le sultan de Constantinople qui oppose aux pressions européennes le fait que la Palestine n'a pas les ressources économiques suffisantes pour en accueillir davantage, mais aussi que les Juifs peuvent s'installer "partout ailleurs sur le sol ottoman" (note du sultan au gouvernement britannique en février 1888, dans Perrin, 2000).  Des restrictions  à l'immigration juive sont alors instaurées, tout comme des limitations d'acquisition de terres, dès 1892  (Benbassa, 1989)   Mais c'était sans compter les pouvoirs locaux, dont l'accommodement se mesurait à l'aune des cadeaux offerts aux fonctionnaires turcs. Ainsi, les ordres d'Istanbul restèrent lettre morte, puisque la population juive de Palestine passa de  24.000 à 70 ou 80.000 personnes entre 1882 et 1908, entraînant la fondation de vingt-six colonies  (op. cité) . Cette  situation de favoritisme suscitera les protestations de la population arabe de Palestine, en particulier des notables de Jérusalem.  Comme partout ailleurs, les élites islamiques déploient toutes sortes de stratégies pour protéger leurs intérêts. D'un côté, le pouvoir central a pu saper la puissance de vieilles familles de cheiks (cheikhs, sheiks, sheikhs, shaykhs) ruraux en modifiant les pouvoirs des conseils, en substituant des maires (mukhtarmoukhtar) aux anciens cheiks qui administraient les provinces (vilayets). Mais profitant  des dispositions d'un nouveau code foncier de 1858, qui étend la propriété privée (milk, mulk) dans les campagnes, de nouveaux nantis, notables citadins oisifs ou encore rentiers, gros viviers de la haute administration ottomane de la fin du XIXe s., deviennent de grands propriétaires terriens (ayan, ashraf)  en se constituant  des latifundia, vastes  propriétés terriennes, aux dépends des fellahin de Palestine. En 1909, la concentration de terres était telle que 250 familles de grands propriétaires terriens  possédaient à peu près autant de terres que l'ensemble des paysans du pays (Weinstock, 2011).  De plus, des acquisitions juives de terres provoquent aussi l'éviction du petit paysan, l'oblige à quitter souvent le lieu où il est né, drame humain aux diverses implications que ne compense pas la simple indemnisation, même si elle est, parfois, conséquente. Un certain nombre de paysans palestiniens ont ainsi vécu cela en plus du drame de beaucoup de paysans du Proche-Orient.  En effet, avec la conversion de l'économie ottomane au capitalisme,  les mutations économiques  ont largement fragilisé la paysannerie traditionnelle par l' économie de marché, la spéculation foncière, l'urbanisation, ou plus tard la construction de barrages (op. cité) Et ne parlons pas des luttes complexes qui agitent la rivalité de divers clans ploutocratiques, ayant chacun leurs propres clientèles.  A ces tensions se surajoutent bientôt celles provoquées par une nouvelle bourgeoisie financière et commerciale, constituée cette fois, dans leur grande majorité, de non-musulmans. Ils sont Maronites, chrétiens grecs, Arméniens ou Juifs, bénéficient souvent d'une protection des pays européens, quand ils n'en sont pas ressortissants, et acquièrent, comme les frères Sursouk (Sursuk, Sursock) de Beyrouth,  de vastes domaines fonciers pour des sommes dérisoires, confiés  à des métayers fellahin, qu'ils protègent certes, mais aussi qu'ils "« tondent » en leur double qualité accessoire de percepteurs (ils se sont fait octroyer la ferme des impôts) et de prêteurs."   (Weinstock, 2011).  

avodah ivrith

 

 

 

                                                                              Avodah Ivrit : 

                       Sionisme et ségrégation    

 

 

David Ben Gourion, qui deviendra le premier chef d'Etat israélien,  a été un des leaders de la seconde aliya (1903-1914), provoquée comme la première par de nouveaux pogroms en Russie tsariste. Dans ses Mémoires, il critique les Juifs de la première aliya "vivant maintenant comme des effendis", nom donné par les Turcs aux membres de l'élite, qui n'avaient rien construit de leurs mains mais avait délégué le travail aux Arabes. Les nouveaux immigrants militeront alors pour le travail hébreu (avoda ivrit) et contre le travail arabe (avoda aravit) thème cher à A. D. Gordon, comme cela a été dit, de telle sorte qu'aucun arabe "ne fut employé dans les nouvelles colonies qui s’établissent au cours de la décennie 1904-1914. Dans les villes, où le syndicalisme juif se développe, des pressions sont exercées sur les entreprises pour que les emplois soient réservés à des Juifs. La formation d’un prolétariat juif est jugé nécessaire au développement futur du pays."   (Perrin, 2000)  

Quand à l'automne 1908, l'administrateur du domaine Hulda, Moshe Berman, introduisit de la main-d'œuvre arabe au prétexte que la récolte pourrait pâtir de la pénurie de travailleurs juifs, ces derniers "se sont mis en grève contre la politique de Berman, pour protester contre ce qu'ils considéraient comme une violation des principes du sionisme"  (Montoya Restrepo et  Dávila  Dávila, 2005).  Vérité ou faux-prétexte, ce n'est guère la première fois que des patrons juifs licencient en masse leurs travailleurs juifs pour les remplacer par une main d'œuvre arabe longtemps bien meilleur marché :

"Au cours des années 1882-1900 le salaire quotidien de la main-d’œuvre arabe dans les mochavoth fluctue entre 5 et 6,5 piastres (la piastre correspond à 1/100 de livre égyptienne) par jour, tandis que les ouvriers agricoles juifs (ashkénazes) gagnent de 7 à 12,4 piastres. Et cet écart persistera pendant la période 1900-1914 : de 5 à 8 piastres pour les premiers et de 7 à 10, voire 12,4, pour les seconds. Pour d’évidentes considérations de rentabilité, les exploitants juifs préféreront donc engager des travailleurs arabes chaque fois que la chose s’avère possible. Aussi les pionniers de la deuxième alyah font-ils pression sur les propriétaires des exploitations juives pour engager des ouvriers juifs, tout comme le feront ceux des vagues d’immigrations suivantes"    (Weinstock, 2011).  

 

 

Publicité pour la société coopérative vigneronne sioniste  Carmel WIne Co, près de Rishon LeZion, financée par le baron Rothschild, et son distributeur Palestine House, aux Etats-Unis, vers 1905. 

 

"Contrairement à la première, cette deuxième vague d’immigration juive a été marquée par un racisme anti-arabe et un ostracisme des paysans et ouvriers palestiniens, expulsés des colonies juives par les organisations sionistes, qui pratiquaient un boycott des produits agricoles locaux, avec des slogans tels que « occupons les terres », « occupons le travail »"  (Maher Al-Charif, auteur de L'histoire de la Palestine vue par les Arabes, interview pour Orient XXI, 14 octobre 2016). 

"En fait, le malaise de la conscience date de l’époque de la découverte surprenante que, dans le domaine même intérieur, dans l’édification de la Palestine, il y avait des facteurs présents de la politique étrangère – par l’existence d’un « peuple étranger ». Depuis lors, le travail juif s’est battu contre le travail arabe sous le prétexte de la lutte des classes contre les planteurs juifs, qui employaient certainement des Arabes pour des raisons capitalistes. Au cours de cette lutte – qui, plus que toute autre chose, jusqu’en 1936, empoisonna l’atmosphère palestinienne – aucune attention n’a été accordée aux conditions économiques des Arabes qui, par l’introduction du capital et de la main-d’œuvre juifs et l’industrialisation du pays, se sont retrouvés du jour au lendemain transformés en prolétaires potentiels, sans grande chance de trouver les postes de travail correspondants. Au lieu de cela, le Parti travailliste sioniste a répété les arguments vrais, mais totalement inadéquats, concernant le caractère féodal de la société arabe, le caractère progressiste du capitalisme et l’élévation générale du niveau de vie de la Palestine partagé par les Arabes. Le slogan absurde qu’ils utilisaient montrait à quel point les gens peuvent devenir aveugles si leurs intérêts réels ou supposés étaient en jeu : bien que le travail juif se battait autant pour sa position économique que pour son but national, le cri était toujours pour « Avodah Ivrith » (« travail juif ») ; et il fallait jeter un coup d’œil dans les coulisses pour découvrir que leur principale menace n’était pas simplement le travail arabe, mais plus en fait, « avodah zolah » (main-d’œuvre bon marché), représentée, il est vrai, par l’ouvrier arabe arriéré non organisé."  

Hannah Arendt,  Zionism Reconsidered ("Réexamen du sionisme"), article d'abord refusé par la revue américaine Commentary en 1944, au prétexte que des lecteurs pourrait y voir un texte antisémite, et finalement publié dans la revue juive new-yorkaise The Menorah Journal, The Intercollegiate Menorah Association, Vol. XXXIII, No. 2, Automne 1945). 

 

En 1910, s'élève un ensemble urbain destiné à être une ville nouvelle intégralement juive, Tel Aviv ("La Colline du printemps")  : 

 

"Tel-Aviv mérite une mention spéciale. C'est une cité purement juive, œuvre propre et chef-d'œuvre du sionisme, qui a poussé avec la rapidité des villes-champignons américaines. En 1913, elle était un quartier de Jaffa allongé sur la rade au Nord de la ville, comptant 900 hab. ; elle a commencé à croître partir de 1920, et, l'année d'après, elle était érigée en commune indépendante Le recensement de 1922 lui attribuait déjà 15 065 hab. contre 5087 seulement à Jaffa, que les Juifs avaient abandonnée pour elle ; en 1924 elle en comptait 25 000, en 1925, 35 000 (...)  elle s'est accrue de 700 maisons et l'activité constructrice est telle que l'on y achève actuellement trois édifices par jour Cité-jardin avec ses vastes avenues rectilignes et ses bâtiments égaillés au milieu de la verdure, elle est en même temps le principal centre industriel de la Palestine ; elle compte plus de 130 établissements, filatures de coton, fabriques de tissus de soie (crêpe de Chine), tanneries, fabriques de chocolat et confiseries, celles-ci donnant lieu déjà à l'exportation, fabriques de produits pour la construction (briques, pavés, ciment armé). Toutes les usines tirent la lumière et la force motrice de électricité que leur a fourni la puissante station installée non loin de la ville sur la rivière Audja par la Palestine Electric Corporation, la première organisation industrielle sioniste autorisée par le gouvernement anglais.

(...)

Le sionisme ne s'est pas moins intéressé aux œuvres sanitaires et intellectuelles : dix-sept hôpitaux et dispensaires ont été ouverts, la plupart dans les villes ;  un groupe de médecins soutenu par le Keren Hayesod [cf. plus bas] a entrepris la lutte contre les maladies endémiques provoquées par les moustiques et le trachoma, des visites médicales et des désinfections ont lieu régulièrement dans les écoles, dans les colonies et parmi les immigrants à leur entrée dans les ports. Pour l'éducation l'effort a été encore plus considérable ; l'enseignement est donné en langue hébraïque, bien entendu, par 6000 maîtres à 16 000 élèves répartis entre 168 établissements dont 69 jardins d'enfants, 86 écoles primaires, 3 écoles secondaires, 3 écoles normales, 7 écoles  techniques ou professionnelles ; l'Université juive du Mont Scopus a été ouverte à Jérusalem en avril 1925."  (Arnaud, 1927).

 

Sursuq, richissime homme d'affaires avait déjà vendu près de 31.000 dunums (dounam, donum, dounoum, unité de surface alors d'un peu plus de 900 m²) de terres près de Tibériade, à l'Association de colonisation juive (Jewish Colonization association, JCA, ICA, fondée en 1891 par un des philanthropes des premières colonies juives de Palestine, le baron Maurice de Hirsch). Le baron de Rothschild revendra à son tour ses moshavot à la JCA, en 1899, qui seront gérés par sa branche palestinienne, la Palestine Jewish Colonization Association (PICA, "Association de Colonisation Juive en Palestine"), en 1924. Auparavant, en 1920 avait été créée le Keren Hayesod (K. Hayessod, K. Ha-Yesod, קרן היסוד : "Fonds de fondation",  organisme  créé à Londres par le comité exécutif sioniste, chargé de l'immigration et de l'installation des immigrants, animé en particulier par Weizmann et Jabotinsky et qui continuera son œuvre après la création de l'Etat d'Israël, nous le verrons :

 

"Désormais grâce à l'accueil bienveillant d'une administration à la tête de laquelle les Britanniques avaient mis un homme d'État libéral et sioniste éprouvé, Sir HERBERT SAMUEL, grâce au soutien d'une puissante organisation financière, le Palestine Immigration and Colonization Fund ou Keren Hayesod, fondé en 1921 [1920, en réalité, NDA], la colonisation juive devait prendre un essor inconnu jusque-là. Les Hébreux sont accourus de toute part ; les États de l'Europe orientale ont fourni les plus forts contingents, la Pologne en tête puis la Russie, l'Ukraine, la Roumanie, la Lithuanie ; mais il est venu aussi des immigrants d'Allemagne,  des États-Unis, même d'Asie et d'Afrique.  Leur chiffre n'a cessé de s'accroître : ils étaient 421 en 1921, 12 856 en 1924, 33 801 en 1925. De l'occupation britannique en 1917 au 31 mars 1926, 83 000 sont entrés en Palestine et 71 000 s'y sont définitivement  installés"  (Arnaud, 1927). 

"Jusqu'en 1948, Keren Hayessod réussit à rassembler 143 millions de dollars pour financer l'immigration et l'installation d'un demi-million d'immigrants, à travers la fondation de 257 implantations sur toute la superficie d'Israël."  (Yves Hazout, membre du Comité d'Action sioniste, vice-président du KKL de France (1999-2006),  "KKL et Keren Hayessod"). 

"Durant ses premières années, le Keren Hayessod s’est consacré à l’Aliya, a fondé plus de 900 localités urbaines et rurales et développé les infrastructures économiques, éducatives et culturelles de l’Etat en gestation. (...) C’est ainsi que par exemple l’année suivante, en 1921, Haïm Weizmann et Albert Einstein se rendirent aux Etats-Unis dans le cadre des efforts de création de l’Université hébraïque de Jérusalem, menés avec le soutien du Keren Hayessod. En 1925, cette université devint une réalité. A la même époque, en 1921, le Keren Hayessod contribua à la création de la Bank Hapoalim et commença à lancer des projets physiques, dont le premier fut le Beit Haam (« Maison du Peuple ») de Ramat Yishaï (en 1927). Le siège du Keren Hayessod fut transféré à Jérusalem en 1926 et lorsque l’Agence juive fut créée en 1929, le Keren Hayessod devint sa branche de collecte de fonds tout en continuant de mener, de son côté, ses propres activités." (site officiel du Keren Hayessod, "Notre Histoire").

 

Il y a donc eu très clairement une très grande inégalité d'accès aux moyens financiers entre Arabes palestiniens et Juifs sionistes, pour acquérir des terres, des biens d'équipements, construire des écoles, des hôpitaux, des habitations, créer des industries, etc etc. La colonisation sioniste a toujours été très soutenue financièrement par la diaspora à coups de millions, et tout spécialement par les plus riches d'entre eux. J.H. Kann, dans Erets Israël  (op. cité), ne cesse de rappeler que les débuts de la colonisation auraient été impossible sans la fortune d'Edmond Rothschild, "qui avait dépensé plus de quarante millions de francs dans l'espace d'une vingtaine d'années pour les colonies."  (J. H. Kann, op. cité, p. 20),  Quelques lignes plus haut il précisait qu'on avait "trop aplani les difficultés premières pour les colons. Ils trouvèrent en arrivant des maisons meublées et même des outils. Les alouettes rôties leur tombaient du ciel. On leur dit exactement ce qu'ils avaient à faire. Ils l'apprirent pas à se suffire à eux-mêmes et bien peu devinrent des cultivateurs habiles et indépendants" (op. cité). On voit ainsi de différentes façons que le projet sioniste n'a aucun rapport avec le retour en Palestine qu'ont pu faire les Juifs auparavant dans l'histoire.  Celui prôné et acté par le sionisme est méthodique,  stratégique, et fait partie d'un plan muri depuis le début pour transformer un pays presque entièrement de culture arabe, en un pays entièrement dominé économiquement et politiquement par les Juifs, ce que nous allons continuer de montrer, faits à l'appui, toujours.    

Les Arabes n'étaient pas les seuls exploités de l'affaire. Il a déjà été évoqué plus haut le  mépris aristocratique des sionistes européens envers les Juifs orientaux, la domination des premiers sur les seconds dans la théorisation et l'organisation de la colonisation sioniste. C'est ainsi que les exploitants israéliens, les planteurs en particulier encouragèrent des Juifs yéménites de venir en Palestine, voyant en eux des Juifs prémunis du socialisme, au contraire de ceux venus d'Europe, et  un bon prolétariat pas trop revendicatif.  Ces patrons avaient vu juste, et "cette main-d’œuvre misérable et surexploitée – qui inclut les femmes et les enfants – ne pourra compter que rarement sur la solidarité de ses compagnons de travail ashkénazes. En règle générale, ces derniers l’auront traitée avec un mépris sidérant alors même que les employeurs usaient envers eux de mauvais traitements, de coups et de violences"  (op. cité).  

 

Dès le départ, donc, la racialisation et la ségrégation font partie de l'outillage conceptuel du sionisme, qui s'appliquera tout logiquement à donner corps à des institutions qui les traduisent en actes. A celles déjà citées on peu ajouter certains traits des organisations communautaires qui ont été instituées. Les immigrés sionistes (olim) de la seconde vague étaient influencés par des idées socialistes, de partage et d'égalité, ce qui suscitera la création  de petites exploitations agricoles fondées sur un mode coopératif d'autogestion, kvousoth (kvotzot, kvoutzot, sing. kvoutsa, kvutza, kvoutsah),  et autres moshavim (sing. moshav), puis de structures de plus grande taille (les deux conceptions s'étaient opposées),  appelées kibboutzim (sing. kibboutz : קיבוץ, "assemblée"), le premier d'entre eux étant implanté à Degania (Dganya) Alef en 1912. Les kibboutzim vont ensuite se multiplier,  représentant  un cinquième de la population du Yichouv en 1914, pour 43 implantations (Weinstock, 2011), tandis qu'à  "la veille de l'indépendance en 1947, on comptait déjà 145 kibboutzim dans lesquels vivent 7.5% de la population juive, soit 54 000 personnes" (Achouch et Morvan,  2012).  Longtemps vanté comme un modèle d'économie socialiste, le kibboutz était une communauté de partage, relativement égalitaire, certes, mais dont les Arabes étaient exclus (de nos jours encore, les exceptions sont très rares pour les Arabes israéliens)  ainsi que  les Juifs orientaux 

"l'écart culturel existant entre la population du kibboutz, originaire de l'Europe de l'est d'avant-guerre, et la grande majorité des nouveaux immigrants originaires d'Afrique du nord et du Moyen-Orient ; écart culturel traduit souvent par un ethnocentrisme et des attitudes méprisantes vis-à-vis des nouveaux arrivés (Segev, 1984) (...) Dans ce clivage, le kibboutz n'est plus perçu comme un mouvement révolutionnaire, avant garde du socialisme, une utopie assoiffée de justice sociale, mais plutôt comme un des compartiments privilégiés de la société, utilisant à ses fins productivistes un prolétariat "fruste" d'origine orientale. En effet, bien qu'opposé idéologiquement au travail salarié, du fait de l'exploitation qui l'accompagne, le kibboutz devient en périphérie de l'espace (social) israélien un des principaux, sinon le principal employeur."   (Achouch et Morvan,  2012).

 

Pour devenir haver (fém. havera, plur. haverim, haveroth), camarade, membre du mouvement, appelé aussi kibboutznik (kibbutznik),  il fallait être dûment sélectionné par un vote d'assemblée générale,  après une  période d'essai du candidat, pour s'assurer qu'il partageait bien l'idéologie et la mentalité sionistes, d'autant plus que le kibboutz est rapidement devenu un avant-poste combattant, défensif, de la colonisation, duquel sortira un certain nombre de dirigeants israéliens. Il était impensable que l'Arabe ou le Juif oriental puissent bénéficier de la même ascension vers le "juif nouveau" que le sabra (Juif issu du Nouveau Yichouv, avant 1948), appelé par Gordon à "une union mystique entre le corps de l'agriculteur et le cosmos (...)  Le haloutz, dévoué corps et âme à sa kvoutsa ou à son kibboutz, unité économique et communauté de vie préfigurant à petite échelle la société idéale à créer en Palestine, tel est donc le visage du « nouveau Juif » pour le sionisme-socialiste, le courant qui domine le judaïsme palestinien, et donc le sionisme mondial dans l’entre-deux-guerres."   (Nicault, 2001).

"Le réapprentissage corporel était accompagné d’un discours sur la santé du corps hébraïsé : l’enfant de la terre juive, le Sabra, devait être sain et propre, ce qui le distinguait de la saleté « levantine ». Le corps du Sabra, masculinisé et nationalisé, s’inscrivait ainsi dans la lignée de l’« homme nouveau » européen, inspiré notamment par la statuaire grecque."  (Farges, 2014).  

 

"En fait, le kibboutz est depuis son origine partagé entre un ethos égalitariste témoignant de son engagement socialiste et un ethos productiviste, inscrit dans le projet sioniste de rédemption du juif diasporique par le travail productif et exprimé par sa volonté d'optimiser l'usage des moyens de production à sa disposition (Ben Rafael, 1992). Jusqu'à la création de l'Etat, il est parvenu à maintenir un équilibre entre ces deux polarités, mais dès les années 1950 cet équilibre est rompu." (op. cité). 

A noter que, malgré l'égalitarisme parfois radical qui était prôné (et réalisé sur différents domaines), une division sexuelle des tâches, sans être instituée, a été concrètement réalisée. "Cela commençait bien souvent dès avant l’émigration, au cours du processus de préparation-reconversion (hakhshara), qui s’adressait aux deux sexes : les jeunes femmes étaient formées à l’économie domestique, à la production laitière et volaillère, à l’horticulture, tandis que l’agriculture ou les métiers techniques et artisanaux étaient réservés aux hommes."   (Farges, 2014).   Ensuite, dans les colonies de Palestine,  les femmes étaient "affectées très tôt à des emplois - services généraux et domestiques - longtemps jugés improductifs, c’est-à-dire considérés comme subalternes."   (Broda, 2011).   

 

l'égalitarisme   :  "il fut ainsi décrété que chaque membre devait recevoir les mêmes produits - y compris les chauves un peigne, insistait-on. Les femmes ne devaient pas être distinguées des hommes - un pamphlet allant jusqu’à stigmatiser « la regrettable différence physique » existant entre eux  (op. cité)

 

la soumission de l'espace

Unterwerfung des Raumes :  soumission de l'espace

 

 

 

L'Europe est au zénith de son expansion coloniale et les dirigeants sionistes n'échappent pas à cette mentalité de domination : "ils se voient eux-mêmes comme des colonisateurs participant à la « soumission de l’espace » (Unterwerfung des Raumes) et croient en leur « mission civilisatrice » en Orient. (...)  il existe des similitudes méthodologiques frappantes entre les projets de colonisation des sionistes allemands et ceux élaborés par les autres colonisateurs de l’« ère des empires ». Qu’il s’agisse de statistique, de démographie, d’agronomie, de géographie commerciale, de réflexion sur l’habitat ou encore des infrastructures de transport et de leur rôle dans la mise en valeur économique du pays, les points de contact sont nombreux."  (Baisez, 2016).  

"En cherchant à se légitimer aux yeux des puissances européennes, l’imaginaire colonial sioniste a non seulement adhéré à la version hégélienne de l’histoire du monde, mais a également établi une alliance inconfortablement étroite entre les idéaux sionistes et ceux des grands apologistes de l’empire et de l’expansion"   (Presner, 2007 : 186).  

 

Par ailleurs, les  sionistes allemands Warburg, Ruppin ou encore le médecin dermatologue  Felix Aron Theilhaber (1884-1956) "ont explicitement formulé l’opinion que la colonisation juive en Palestine devrait s’inspirer des méthodes mises en œuvre depuis 1886 par la Commission royale prussienne de colonisation (Königlich-Preußische Ansiedlungskommission). En effet, il s’agissait dans les deux cas d’organiser la colonisation, et plus spécifiquement le peuplement, de territoires où la situation démographique était très défavorable aux colonisateurs. Dans la langue de l’époque, l’enjeu était pour eux, dans un cas comme dans l’autre, de « renforcer l’élément » allemand ou juif par rapport, respectivement, à la population polonaise ou arabe." (op. cité).  L'activité propagandiste des sionistes allemands est prolifique, nous ne pouvons en faire état de manière détaillée ici. Evoquons seulement, pour finir sur le sujet,  la Commission pour l'exploration de la Palestine, appartenant à l'Organisation sioniste mondiale, chargée de  "diffuser auprès des étudiants intéressés la « connaissance de la Palestine » (Palästinakenntnisse), mais aussi la « science de la colonisation » (Kolonisationswissenschaften) en général, l’accent étant mis sur les expériences coloniales allemandes."   (op. cité).  

Les sionistes allemands ont donc soigneusement étudié les colonies de peuplement dans les colonies et protectorats de l'Empire allemand, mais aussi, un peu plus tard, le règlement foncier du protectorat de Kiautschou, en Chine, instauré en 1898  (Baisez, 2016).   

 

"En raison de l’ancrage profond de la notion de propriété, les peuples cultivés de longue date ne peuvent pas toujours, comme le souhaitent les grands esprits clairvoyants, mettre les idées visionnaires en application chez eux ; ils essaient en revanche de les appliquer à des contextes nouveaux, quand l’occasion de mettre en valeur des terres vierges se présente à eux. Pourquoi l’Angleterre ne tenterait-elle pas en Palestine, au nom de la Société des Nations, ce que l’Allemagne a réalisé avec succès à Kiautschou ?"   "  (S. E. Soskin,  Die Nationalisierung des Bodens und die Araberfrage » : "La nationalisation de la terre et la question arabe", dans Volk und Land, 31, 1919, note 25, p. 980.). 

Là encore, l'invisibilisation des Arabes se lit au travers des "terres vierges", qui évoquent une page blanche, vide de toute histoire, à partir de laquelle on peut partir de zéro pour en construire une nouvelle. 

Le sociologue israélo-américain Guershon Shafir  opère un distinguo entre la première et la seconde aliya, qui voit l'entreprise sioniste passer "d'une colonie de plantation ethnique fondée sur l’expansion territoriale et la rentabilité économique" à une "colonie de peuplement pur reposant sur la « conquête du travail » (kibboush ha-avoda) et l’édification d’une société juive homogène...  suivant le modèle de colonisation interne du gouvernement prussien sur le territoire polonais, à la fin du XIXe siècle."  (Séguin, 2018).  Cette deuxième vague de peuplement, opérée entre 1903 et 1914, verra  environ 35.000 à 40.000 colons débarquer d'Europe orientale et de Russie  (Weinstock, 2011 ; Al-Labadi, 2015).

Il faut distinguer le colonialisme européen, qui tire sa puissance d'une métropole  et s'est  fondé sur l'exploitation des indigènes,  du colonialisme sioniste,  qui, sans avoir de métropole propre, a bénéficié de manière essentielle et capitale, nous le verrons en détail, de la puissance coloniale de l'Etat britannique (et donc d'une métropole étrangère), mais aussi de l'appui non négligeable de sa diaspora. Le sionisme a tout de suite organisé son projet, non pas autour de l'exploitation du colonisé, mais de sa domination (économique et technique en particulier), de son éviction, et de son remplacement par des communautés  juives allogènes.  C'est ce qu'un certain nombre de chercheurs ont appelé "colonisation de peuplement" (settler colonialism), dont la dynamique n'a cessé de s'amplifier dans le temps depuis les toutes premières colonies sionistes, au détriment des populations autochtones.   

"Israël, l’Australie, le Canada et les États-Unis ont en commun d’être des États reposant sur le colonialisme de peuplement, c’est-à-dire des communautés politiques fondées sur l’appropriation de territoires appartenant jadis à d’autres populations et sur la marginalisation graduelle, voire la destruction, de ces mêmes populations (Abdo et Yuval-Davis, 1995  ; Abu-Saad, 2008  ; Mann, 2005  ; Masalha, 2012  ; Stasiulis et Jhappan, 1995). Ce phénomène relève du type le plus radical de rapport de domination entre peuples justement parce qu’il amène à faire disparaître l’autre, que ce soit culturellement en faisant tout pour le transformer, le « civiliser », ou encore physiquement en tentant par tous les moyens de l’exclure du territoire convoité, la voie extrême étant le génocide (Shaw, 2010, 2013)."   (Séguin, 2018). 

"Des universitaires palestinien·nes et arabes ont adopté le colonialisme de peuplement comme catégorie comparative dès le milieu du 20e siècle pour certains (Sayegh, 1965 ; Jabbour, 1970 ; Abu-Laghod et Abu-Laban, 1974 ; Said, 1979 ; Hilal, 1976). Ils et elles ont comparé les pratiques des colons sionistes principalement européens à celles d’autres colons européens, comme ceux qui sont venus dominer l’Afrique du Sud ou la Rhodésie, et ont souligné la violence de la dépossession et du remplacement." (Sabbagh-Khoury, 2023). Malheureusement, nous entendons rarement la voix de ces chercheurs dont les travaux sont peu connus, peu relayés, car leur origine  "est indissociable de modèles racialisés de légitimité dans lesquels les chercheur·euses des groupes marginalisés se voient souvent accorder moins de crédit et d’attention pour leurs contributions théoriques et empiriques."  (op. cité).  

Parmi ces universitaires, faisons entendre la voix de Fayez Abdullah Sayegh (1922-1980), diplômé de l'Université  américaine de Beyrouth, de Georgetown (Washington DC), et qui a enseigné à Beyrouth, Yale , Stanford, etc. Il fonde en 1965 le Centre de recherche de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP). En tant que délégué du Koweït, il a co-rédigé et présenté le 10 novembre 1975 la résolution 3379, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, qui finira par être annulée le 16 décembre 1991. Cette résolution avait  "déterminé que le sionisme était une forme de racisme et de discrimination raciale. Cette résolution sera révoquée en 1991 par la résolution 46/86 de l’Assemblée générale des Nations unies, condition préalable posée par Israël à sa participation à la Conférence de Madrid."  ("Fayez Sayegh (2012) Zionist Colonialism in Palestine (1965)", dans Settler Colonial Studies, Volume 2 n° 1, 206-225,).   

"Les deux dernières décennies écoulées, qui ont été témoins de l'effondrement de l'Impérialisme européen et de l'élimination progressive  du colonialisme occidental en Afrique et en Asie, ont aussi été témoins de l'apparition d'une nouvelle forme de Colonialisme au carrefour de ces deux continents. Ainsi, la disparition d'une cruelle et honteuse période de l'histoire du monde a coïncidé avec l'émergence, au croisement de l'Asie et de l'Afrique, d'un nouveau rejeton de l'Impérialisme européen et d'une nouvelle forme de Colonialisme raciste."

 

Fayez A. Sayegh, "Zionist Colonialism in Palestine", Research Center Palestine Liberation Organization, Beirut (Beyrouth),  septembre 1965).  

ils ont commencé

 

 

 

“ils ont commencé à mettre en oeuvre leurs desseins”

 

La fin du XIXe siècle et le début du siècle suivant voit une crispation profonde du pouvoir ottoman, attaqué de toutes parts, à l'extérieur comme à l'intérieur. La répression turque du sultan Abdul Hamid II (Abdel Hamid, Abdulhamid, Abdulhamit) II devient féroce et sanguinaire, en particulier envers les Arméniens (massacrant des dizaines ou des centaines de milliers de personnes entre 1894 et 1896)  ou encore les nationalistes arabes, en quête d'émancipation pour leurs peuples.

En 1904, Negib (Nejib, Nagib) Azoury (N. Azouri, 1873-1916), intellectuel syrien chrétien, haut-fonctionnaire de l'Empire ottoman à Jérusalem, est contraint de s'exiler à Paris, où il écrit  Le Réveil de la nation arabe dans l'Asie turque en présence des intérêts et des rivalités des puissances étrangères, de la curie romaine et du patriarcat œcuménique, partie asiatique de la question d'Orient et programme de la Ligue de la patrie arabe,  plus connu sous son titre raccourci : Le réveil de la nation arabe (Plon-Nourrit et Cie, Paris, 1905), qui emboîte le pas à Abd al-Rahmân ibn Ahmad al-Kawâkibî  (1855-1902), scientifique, humaniste, dans la volonté d'établir une nation pour tous les arabes sous le joug ottoman, qu'ils soient chrétiens, musulmans...ou juifs. Ainsi, Kawâkibî  "a la certitude que l'édification d'une conscience nationale dans une région où les religions se disputent l'histoire et l'espace ne peut pas être conçue sans une séparation entre religion et pouvoir, ainsi que l'abolition de la dénomination "musulman" et "non musulman", de façon à créer un sentiment commun dépassant les races et les confessions" (Kawakibi, 2003).   

De son côté,  face au "réveil de la nation arabe et l’effort latent des Juifs pour reconstruire sur une très large échelle l’ancienne monarchie d’Israël"  Azoury  finit par penser que les "deux mouvements sont destinés à se combattre continuellement jusqu’à ce que l’un d’eux l’emporte sur l’autre. Du résultat final de cette lutte entre ces deux peuples, représentant deux principes contraires, dépendra le sort du monde entier (...) 

La Palestine, telle que veulent  la reconstituer les Juifs d’aujourd’hui, serait beaucoup plus grande que celle qu’ils ont possédée dans les différentes phases de leur existence historique. Ni du temps de Josué, ni sous la monarchie de David et de Salomon, les Juifs n’ont pu occuper les frontières du pays naturel pour barrer le passage aux conquérants et aux envahisseurs. Même à l’époque de ces deux rois, la Palestine n’a jamais abrité dans son sein un seul et même peuple, parlant la même langue, ayant les mêmes origines historiques, professant le même culte et pratiquer les mêmes coutumes ; car les Juifs ne purent ni exterminer ni asservir les nations diverses qui habitaient la vallée du Jourdain et la terre de Chanaan. […] Les Israélites ne sont parvenus ni à s’assimiler des peuples ni à vivre en paix avec eux, mais ils étaient toujours en alerte tantôt contre les uns tantôt contre les autres (...)

Ainsi, à part la question religieuse, les Juifs ne sont pas plus intéressants pour un historien qu’une tribu nomade quelconque : celle des Amalécides ou des Moabites par exemple. Au fond, les Juifs n’ont possédé de la Palestine que la rive occidentale du Jourdain et la chaîne de montagne qui s’étend à l’ouest de ce fleuve, depuis Hébron jusqu’au lac Houleh. Cependant la Bible nous montre que, même dans cette partie du pays, les Juifs étaient mêlés aux Chananéens dans des proportions considérables. (N. Azoury, op. cité).

Ces premiers élans du nationalisme arabe, que l'on retrouve dans d'autre pays du Moyen-Orient, sont un des signes qui commencent par inquiéter  la Grande Bretagne impérialiste, et différents chercheurs affirment qu'un comité de différents experts internationaux auraient élaboré un rapport soumis secrètement en 1907 au premier ministre de la Grande-Bretagne, Sir Henry Campbell-Bannerman, un rapport qui aurait cherché à montrer que les peuples arabo-musulmans de l'Empire Ottoman représentaient un danger important pour les pays européens. Pour cette raison, il aurait préconisé différentes actions  pour prévenir de cette menace : 

"1. en promouvant la désintégration, la division et la séparation dans la région.

2. En établissant des entités politiques artificielles qui seraient sous l’autorité des pays impérialistes. 3. En luttant contre toute forme d’unité — qu’elle soit intellectuelle, religieuse ou historique—et en prenant des mesures concrètes pour diviser les habitants de la région.

4. Pour y réussir, , il est proposé d’établir en Palestine un « État tampon », peuplé d’une forte présence étrangère hostile à ses voisins et favorable aux pays européens et à leurs intérêts. 

 

"Il ne fait aucun doute que les recommandations du comité supérieur de Campbell-Bannerman ont ouvert la voie aux Juifs vers la Palestine. Elles ont nourri l'approbation britannique de la politique du mouvement sioniste visant à séparer la Palestine des terres arabes afin d’établir un noyau impérialiste qui assurerait une influence étrangère dans la région."  (Bar-On et Adwan, 2006).

Les deux chercheurs cités, comme tous les autres qui traitent de la question ne citent cependant aucune source de première main relative à ce rapport, car à ce jour, personne n'en a trouvé, et c'est ce qui fait douter plusieurs historiens, dont l'éminent professeur  Anis (Anes) Abdullah Sayegh (1931-2009), de sa véracité, lui qui a passé beaucoup de temps à chercher une archive la concernant (cf :  

Professeur Dr Mohsen Mohammad Saleh, "Political Analysis: Is the “Campbell-Bannerman Document: Real or Fake?", Al-Zaytouna Centre for Studies & Consultations, 28 septembre 2017)

L'arrivée des Jeunes-Turcs au pouvoir, en 1908, conduit à la création d'un Comité Union et Progrès (CUP) qui, au contraire, veut développer une nation turque, au détriment des aspirations arabes  : "Le Comité met ainsi en place un programme de turquification dans l’ensemble de l’Empire. L’élément turc est toujours plus favorisé au détriment des autres nationalités. Ce nationalisme turc est très mal perçu par les notables arabes et réformistes musulmans. Ces mesures accentuent le nationalisme arabe et la volonté d’autonomie des nationalistes arabes et les poussent à se tourner vers les puissances européennes afin de se libérer du joug turc et de réaffirmer leur identité"  (Jeunes-Turcs et révolution de 1908 dans l'Empire ottoman, article de Lisa Romeo, Les clés du Moyen-Orient, 13 octobre 2010).

"En décembre 1914, Cemal Pacha [Mustafa Kemal Pacha, puis M.. K. Atatürk en 1934, NDA] arrive à Damas en qualité de commandant en chef de la 4ème armée turque afin de préparer une offensive contre le canal de Suez. Il doit aussi assurer l'ordre en Syrie. Suite à son échec dans la campagne de Suez en février 1915, Cemal décide d'éliminer un bon nombre de leaders arabes, les condamnant à mort pour trahison, accusés d'avoir voulu, à travers la décentralisation, démembrer l'empire et le vendre à des Puissances étrangères. Le 21 aout 1915, il fait pendre 11 notables (10 musulmans et un chrétien) à Beyrouth ; le 6 mai 1916, 14 notables sont pendus à Beyrouth et 7 à Damas (17 musulmans et 4 chrétiens)"    (Legrain, 2016).

 

Contrastant fortement avec cette violence d'Etat, la Constitution ottomane de 1908 abrogea la censure de la presse et accorda la liberté de l'activité politique. Cette bouffée d'air profita au réveil nationaliste arabe (nahda : "renaissance"), et, de la Syrie à l'Egypte,  on vit apparaître tout une floraison de journaux d'expression arabe : Dès 1908, vit le jour à Jérusalem le tout premier journal palestinien (1908-1914)al-Quds (Al-Qods, A-Kouds, "ville sainte", nom arabe de Jérusalem), fondé par Jurji Habib Hanania (1864-1920). Estimant avec d'autres qu'on ne pouvait pas progresser en terme d'éducation et de culture dans l'Empire ottoman, et qu'il fallait s'en libérer, Hanania  et ses amis créèrent une société secrète appelée "Palestine la jeune fille" (Falastinal-fatāt),"avec l'intention de travailler pour une Palestine « jeune », éclairée et libre." (Agsous-Bienstein, 2022).  La même année paraît An-Nafais, journal littéraire à Haïfa, qui deviendra  an-Nafais al-Assriah ("Les Trésors modernes") en 1911,  ou encore al-Karmil (al-Karmalel-Carmel, Le Carmel, 1908-1942), quotidien lancé par le journaliste et romancier libanais Najib al-Khuri Nassar (1865-1948),  qui paraît à Haïfa à compter de décembre 1908, avec un objectif annoncé clairement qui est de "s'opposer à la colonisation sioniste".  Nassar fondera par ailleurs, en 1913, un mouvement nationaliste,  le Club littéraire (al Muntada al Adabi), titre repris en janvier 1918 par un journal financé par Paris, pour masquer sa propagande antibritannique et antisioniste.  Toujours en 1908, est fondé le journal an-Nafir ("Le Clairon"),  à Jérusalem (mais depuis 1904 à Alexandrie), qui se démarque des autres par sa position pro-sioniste, son propriétaire, Iliya Zakka étant un homme d'affaires proche de l'Agence et des colonies juives, et très soucieux de ses propres affaires commerciales  (Agsous-Bienstein, 2022).  Dans ce cadre de l'essor de la presse nationaliste arabe, citons le journal  al-Akhbar, fondé en 1909, année où suite à une campagne d'al-Karmil, éclatent des incidents entre Juifs et Arabes en Galilée,  et surtout, Falastin (Filastin, Filistin : "Palestine" en arabe), quotidien créé en 1911 par Issa Dahoud El-Issa (Issa al-‘Issa) et son cousin Yousef Abdallah El-IssaFalastin, comme al-Karmil (al-Karmal) ont été créés par des chrétiens arabes, qui initièrent par ailleurs les premiers mouvements séparatistes au Levant (Weinstock, 2011)exemple parmi d'autres qui montre que le nationalisme arabe (al-qawmiyya al-’arabiyya ; Al-Jamai'a al-Arabiya : "la communauté arabe"), dépassant les nombreux différends claniques, s'est formé autour d'une identité arabe non confessionnelle, puisque musulmans, chrétiens, et même juifs, parfois, y ont apporté leur soutien, et alors que la population "diversifiée à l'extrême... se compose de groupuscules plus ou moins rivaux entr'eux : des Druzes peuplent le Hauran [les Hauranis, Hawranis, NDA], des musulmans sunnites vivent dans la région d'Acre [Akka, en hébreu, NDA], des Algériens campent sur les bords du Jourdain, des clans chrétiens habitent en Transjordanie. L'opposition traditionnelle entre sédentaires et nomades vient encore compliquer la situation. Les fellahs sont misérables et exploités par les grands propriétaires absentéistes, ils subissent avec résignation leur sort."   (Tebeka, 1970).  

Le mouvement nationaliste arabe est très actif au Caire, où existe en particulier une Société de Résistance antisioniste (Society for Resisting the Zionists) à l'Université al-Azhar,  Le journal al-Iqdam ("L'audace"), lui aussi, est très actif dans cette lutte, où un de ses leaders, le chrétien Khalil Sakakini, écrira ces mots en 1914 : 

"Les sionistes veulent mettre la main sur la Palestine, cœur des contrées arabes et maillon central entre la péninsule arabique et l’Afrique. Ils entendent briser ce maillon et diviser la nation arabe afin d’empêcher son unité et sa cohésion. Il faut que le peuple palestinien soit lucide sur leurs intentions et qu’il n’oublie pas qu’il possède une terre et une langue. Si vous voulez mettre un peuple à mort, coupez-lui la langue, saisissez ses terres — c’est précisément ce que veulent faire les sionistes avec nous."    (K. Sakakini, Le mouvement sioniste, article d'al-Iqdam, 23 février 1914, citation du Monde Diplomatique,  Voix de faits, La Palestine en cartes, citations, faits et chiffres,  dans "Palestine. un peuple, une colonisation", « Manière de voir » #157,  février-mars 2018).  

Quelques mois plus tard, le 7 juillet 1914, le quotidien Al-Karmil faisait entendre un avertissement à ses lecteurs : "Voulez-vous devenir des esclaves des Sionistes qui sont venus pour vous mettre à la porte de votre pays, en proclamant que c'est le leur ?... Musulmans, Palestiniens, Syriens, Arabes, êtes-vous heureux de cela  ?" (Abdulwahab Kayyali, Palestine, a modern history,  Londres, Croom Helm, 1978). 

 

Le 14 juillet, al-Iqlam publiait un très long Manifeste issu du mouvement d'al-Azhar, à la fin duquel était résumé ses objectifs  principaux :  S'opposer avec tous les moyens possibles au sionisme en sensibilisant l'opinion publique et diffuser le programme dans toutes les couches des sociétés arabes, particulièrement en Syrie et en Palestine ; fonder des branches du mouvement dans toutes les villes de Palestine et de Syrie ;  S'efforcer de propager l'esprit d'unité parmi toutes les différentes communautés ;  Créer et encourager tout projet économique, commercial ou agricole et fournir des idées aux fermiers et aux paysans qui les rendent capables de se protéger eux-mêmes des dangers du sionisme ; et enfin, faire des démarches auprès de tous ceux qui sont intéressés, pour stopper le flux de l’immigration sioniste  (Kayyali, op. cité).  

Au cours du même mois,  "les femmes palestiniennes arabes émergent sur la scène politique quand elles créent la Jamiat (jamyat) al-lhsan al-iam (Société de Bienfaisance) et la Jamia Yaqzat al-Fatat al-Arabiyya ("Societé pour l'éveil de la jeune fille arabe"). Les deux mouvements sont nationalistes et défendent le soutien aux industries locales."  (Kayyali, op. cité).    

 

          

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             Vendeur de rue du journal Falastin   

       Palestine, Jaffa, 1921-1923    

 

   Photo Franck Scholten  (1881-1942)

 

The Netherlands Institute for the Near East (NINO)

  Scholten Collection 

                                             

                                                               

 

 

 

Grâce à la presse nationaliste arabe naissante, les années 1908-1911 semblent être une charnière dans l'opinion publique arabe vis-à-vis de la critique antisioniste, qui doit beaucoup  à l'activité militante de Najib Nassar. Il semblerait que le journaliste soit devenu antisioniste en observant les ventes de terres aux immigrants juifs dans la qaḍā de Tibériade (Khayriya Qasimiya, Najīb Naṣṣār fī jarīdatihi al-Karmal (1909– 1914): Aḥad ruwwād munāhaḍat aṣ-Ṣahyūnīya ["Najīb Naṣṣār et son journal al-Karmal... : Un des pionniers de la résistance antisioniste", dans Shuʼūn filasṭīnīya, 1973, No. 23, pp. 101–123).  Mais surtout, c'est en étudiant le sionisme qu'il est arrivé à la conclusion que si la situation ne changeait pas et continuait le même développement, "les sionistes  finiraient par prendre possession de la Palestine."  (Beška, 2018) En  1910 et 1911, il s'intéresse de près à la vente de grandes propriétés appartenant au sultan Abdulhamid II au chrétien libanais Najib Ibrahim al-Asfar, suspectant ce dernier de n'être qu'un homme de paille pour le compte des sionistes et lance alors une grande campagne contre cette transaction pour convaincre divers éditeurs levantins de se joindre à lui   (op. cité).  Par ailleurs, il participe activement à l'affaire qui aiguisera le plus le sentiment antisioniste dans l'opinion arabe d'avant la première guerre mondiale, celle de la vente du village d'al-Foula (al-Fula) aux organisations sionistes.  Dans un article, il reproche le manque d'intérêt des Arabes de leur propre histoire, et le manque de fierté au sujet des évènements et des personnages importants,  au contraire des Juifs, quant à eux fortement attachés à leur passé : "Par Dieu, si nous avions ne serait-ce que la moitié de la passion, du sens de l'honneur, du patriotisme et de la fierté envers la communauté ottomane de nos ancêtres, les sionistes ne rêveraient pas de se réapproprier à coup d'argent la terre de nos pères et de restaurer l'ancien royaume israélien en Syrie et en Palestine." (N. Nassar,  Nusb Salāhaddīn bayna an-Nāsira wa Tabarīyā, "Le monument de Saladin  entre Nazareth et Tibériade", dans la revue littéraire mensuelle al-Muqtabas ["Le savoir bien compris", 1906-1917], 574, 15 janvier 1911, p. 1).   

qaḍā  (caza, cadalik, qadaa, qazaa, gaza) :  juridiction, circonsription, division administrative des sandjaks ottomans.  

Pour commencer de parer aux critiques, le bureau sioniste de Jaffa avait en particulier confié à un très jeune journaliste juif, d'origine tunisienne, Nissim Jacob Malul (1892-1959), qui parlait couramment arabe, la tâche de traduire les articles de journaux arabes relatifs au sionisme et de répondre aux articles antisionistes dans les journaux arabo-chrétiens les plus influents, comme  Filastin ou al-Karmil.  Malul ne manqua alors pas de répondre aux articles de Nassar, affirmant en substance, comme d'autres avant lui et après lui, le caractère apolitique du mouvement sioniste ainsi que sa contribution positive à la population locale   (Beška, 2018)  Expulsé à Damas par les Turcs, qui le soupçonnent d'activités anti-ottomanes pendant la première guerre mondiale, il s'exile en Egypte et revient après la guerre en Palestine, où il crée deux journaux arabes, financés par le mouvement sioniste, Al-Akhbar et plus tard Al-Salam, dans lesquels il "a prêché pour une compréhension judéo-arabe" (Jacobson, 2004)Dans un essai  paru en hébreu dans le quotidien de Jérusalem Ha-Herut ("Liberté', 17-19 juin 1913), intitulé "Notre situation dans le pays",  il enjoint les futurs immigrants juifs en Palestine d'apprendre l'arabe, et préconise son apprentissage dans les écoles juives, comme langue secondaire. Comme son ami  médecin Shimon Moyal (1866-1915), né dans une famille marocaine de Jaffa, leur langue, leur vécu de Juif séfarade les rendaient naturellement proche de la culture arabe, qu'ils partageaient en grande partie. Avec d'autres Juifs séfarades, les deux hommes créèrent un mouvement appelé Ha-Magen ("Le Bouclier", en hébreu) pour promouvoir l'entente des deux communautés.  Malul et Moyal défendaient un point de vue assez peu représentatif du sionisme, que l'on peut rapprocher des tentatives humanistes de Brit Shalom (cf. plus bas)  sur l'aspect du partage culturel avec les Arabes, mais leur mentalité se complexifiait par ce sentiment de loyauté envers la patrie ottomane, qui était bien singulier chez les sionistes. Cependant, de la même manière que pour Brit Shalom, il est difficile de connaître chez ces sionistes modérés la part de naïveté et de dissimulation, car, derrière leurs intentions  sincères de paix et de fraternité, comment pouvaient-ils ignorer tous les signes de volonté de conquête du territoire palestinien de la part des dirigeants sionistes ?

On manifestait encore, ici et là,  dans le camp arabe des réserves sur le discours alarmiste contre l'immigration juive.  Ainsi, le journaliste Sulaymān Bey Yalīn avança comme preuve l'absence d'ambitions politiques des Juifs depuis 2000 ans, leur attachement à l'Empire ottoman, leur citoyenneté ottomane ou encore la contribution des colons à la population locale, pour démontrer que la critique antisioniste était dénuée de pertinence.  Nassar répondit alors qu'ils étaient Ottomans quand ça les arrangeait,  car au moment du recrutement de conscription ou d'une convocation  au tribunal, par exemple, ils s'empressaient de brandir leurs passeports étrangers pour ne pas avoir à subir la loi ottomane. Autre exemple, celui du quotidien égyptien Al-Muqattam,  "La Citadelle" (de Saladin), 1888-1952, dans lequel a commencé d'écrire Malul, par ailleurs, qui a été cofondé en 1912 au Caire par  les journalistes chrétiens Faris Nimr (1856-1951)  et Yaqub Sarruf (1852-1927),  tous deux élèves du collège protestant syrien de Beyrouth, devenu American University en 1920. Le journal publiait souvent des articles prônant l'immigration juive en Palestine.  Ce qui ne  l'empêcha pas de se montrer choqué de l'arrivée en Syrie d'une centaine de réfugiés fuyant les souffrances de la guerre, s'étonna Al-Karmil, alors qu'au même moment, il s'ouvrait aux auteurs sionistes appelant à la colonisation par les Juifs des terres syriennes, en raison de leur sous-peuplement  (Beška, 2018) Ce n'était pas la première fois que Nimr et Sarruf, nous le verrons un peu plus loin,  regardaient le phénomène sioniste avec passivité ou empathie.  

Les débats au parlement tenus en mars 1911 ont confirmé le fait relevé par Nassar que les politiciens en savaient très peu sur le sionisme, alors il eut l'idée de traduire des textes issus des articles de la Jewish Encyclopaedia (1901-1906), relatifs au sionisme.  Pendant l'été, il fonda et dirigea un comité pour surveiller l'immigration juive dans le port d'Haïfa et proposa à peu près au même moment des mesures réciproques au boycott sioniste contre les Arabes A la fin de l'année, il adjoignit des commentaires à sa traduction, qui prirent la forme d'un ouvrage. Cette année-là, ce fut plus de soixante-dix articles qui parurent sur le sujet du sionisme dans al-Karmil  (Beška, 2018).   

Revenons un moment sur Nimr et Sarruf,  qui ont cofondé une revue littéraire mensuelle et de vulgarisation scientifique appelée Al-Muktataf  (A. Muqtataf, 1876-1952), qui connut un franc succès.

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En 1898, l'intellectuel Muhammad Rashid Rida (1865-1935), fonde sa revue Al-Manar ("Le phare") et se montre, dès son premier article, très critique envers les deux éditorialistes d'Al-Muqtataf, en s'appuyant sur leurs prises de position au sujet du sionisme, exprimées en forme de réponse à une lettre d'un de leurs lecteurs  (Al-Muqtataf, Vol. XXII, 1898, n°4). En substance, écrit Rida, ils  affirmaient sans plus d'émotion que les Juifs étaient parvenus à prendre virtuellement le contrôle du commerce et de l'artisanat en Palestine et il était possible qu'ils puissent parvenir, petit  à petit, à les monopoliser entièrement. Ils rappellent aussi qu'en Egypte, où ils s'étaient exilés, les Juifs ne se consacraient pas à l’agriculture et ils n’attendaient pas à ce qu'ils le fissent en Palestine. Les achats de terres et l'immigration juive, sous la domination ottomane, y étaient encore compliqués, et il était beaucoup plus facile, à leur avis,  de mettre en œuvre leur projet sioniste en Argentine. En outre, ils supposaient que la situation des Juifs dans les pays d'Europe de l'Est allait bientôt s’améliorer. Les auteurs estimaient donc très peu probable le succès du projet sioniste en Palestine, mais ils n'écartaient pas complètement cette possibilité, rappelant à leurs lecteurs que "pour les riches, rien n’est impossible".  Cette année-là, puis en 1902, Rida rédigea deux articles substantiels "pour alerter les Arabes du danger représenté par l'intérêt des Sionistes pour la Palestine et pour les inciter à réagir." (Beška, 2007)  Malheureusement, Rashid Rida, théologien qui avait entamé sa vie intellectuelle éclairé par un réformisme progressiste de l'islam, à la suite de Kawakibi, de Jamal (Djemal) ad-Dîn al-Afghani (1838-1897) ou encore de Mohamed Abduh (Muhammad A., 1849-1905), basculera progressivement du côté des idéologies islamiques très conservatrices à partir des années 1920, flirtant avec le wahhabisme (cf. Rashid Rida, article de Les clés du Moyen-Orient, 5 novembre 2013)

Rashid Rida est loin d'être le seul à examiner de près la dynamique sioniste et à comprendre très tôt le danger posé par l'immigration juive en Palestine, en particulier ceux pour qui les immigrants représentaient une menace directe :  paysans, puis artisans et marchands.  Citons, le frère du mufti Amin al-Husseini, Mohamed (Muhammad) Tahir al-H. (1842-1908), lui même mufti de Jérusalem de 1865 à sa mort,  avait dès les années 1880, suivi  l'évolution de l'immigration juive dans Jérusalem et ses environs et adopté une attitude active en opposition au sionisme. Le 15 mars 1893, une lettre adressée par J. Frutiger  & Co  au consul allemand de Jérusalem, von Tischendorf, se plaint aussi bien du gouverneur de Jérusalem Ibrahim Hakki Pacha, que de la "Commission des ventes" dirigée par al-Husseini.  Utilisant toutes les méthodes à sa disposition, le mufti entravait au maximum la vente de terres, non seulement aux Juifs étrangers, mais aussi aux Juifs ottomans  (Beška, 2007).  En 1897, il réussit même à créer un comité local, autorisé par les autorités ottomanes à la suite d'enquêtes qu'il avait appelé à réaliser sur les transferts de terres dans la mutasarrifiya de Jérusalem. Les mesures diverses prises par le comité permettront ainsi de suspendre les ventes pendant plusieurs années   (op. cité). 

Evoquons aussi  Youssouf (Yusuf, Yusef, Yousef)  Diya' (Dia, Zia)  addin (ad din, uddin) Pasha (Pacha, Basha) al-Khalidi (Al-Khalidy, 1842-1906),  membre de la famille hyérosolomitaine renommée des al-Khalidi.  Trois fois maire de Jérusalem, député au Parlement ottoman en  1877-1878, opposant à l'autocratie du sultan ottoman Abdulhamid.  Le premier congrès sioniste de 1897 a représenté un formidable déclencheur pour l'ensemble des intellectuels et des journalistes arabes d'une prise de conscience des problèmes posés par l'idéologie sioniste. Deux ans après, le 1er mars 1899, il adressait une lettre  au Grand Rabbin de France, Zadok Kahn, où il exprimait en français son opinion sur le sionisme de manière courtoise mais directe   :

 

 

                                         "Constantinople, le 1er mars 1899,

                                           Péra, Khédivial Hotel, 

                                                      Monsieur,

                                                                           Sachant combien le sort de vos corélégionnaires en Orient vous touche le coeur, je prends la liberté de vous adresser les lignes suivantes :

      Je me flatte de penser que je n’ai pas besoin de parler de mes sentiments envers Votre peuple. Tous ceux qui me connaissent savent bien que je ne fais aucune distinction entre juifs, chrétiens et musulmans. Je m’inspire toujours de la sublime parole de votre prophète Moléachi [Malachie, NDA], n’est-ce pas que nous avons un père commun à nous tous ? N’est-ce pas le même Dieu qui nous a créés tous ? En ce qui concerne les Israélites, je prends cette parole au sens de la lettre, car, en dehors de ce que je les estime pour leurs hautes qualités morales et intellectuelles, je les considère vraiment comme parents de nous autres, Arabes ; pour nous ils sont des cousins ; nous avons vraiment le même père, Abraham, dont nous descendons également. Il existe beaucoup d’affinités entre les deux races, nous avons presque la même langue. Politiquement, d’ailleurs, je suis convaincu que juifs et arabes feront  bien de se soutenir pour pouvoir résister aux envahissements des autres races.

          Ce sont ces sentiments qui me mettent à l’aise pour Vous parler franchement de la grande question qui agite actuellement le peuple Juif.

          Vous Vous doutez bien que je veuille parler du Zionisme.

          L’idée en elle-même n’est que toute naturelle, belle et juste. Qui peut contester les droits des Juifs sur la Palestine ? Mon Dieu, historiquement, c’est bien Votre pays ! Et quel spectacle merveilleux ça serait si les Juifs, si doués, seraient de nouveau reconstitués en une nation indépendante, respectée, heureuse, pouvant rendre à la pauvre humanité des services dans le domaine moral comme autrefois !

                        Malheureusement, les destinées des nations ne sont point gouvernées seulement par ces conceptions abstraites, si pures, si nobles qu’elles puissent être. 11 faut compter avec la réalité, avec les faits acquis, avec la force, oui, avec la force brutale des circonstances. Or, la réalité est que la Palestine fait maintenant partie intégrale de l’empire ottoman, et, ce qui est plus grave, elle est habitée par d’autres que d'israélites. Cette réalité, ces faits acquis, cette force brutale des circonstances ne laissent au Zionisme, géographiquement, aucun espoir de réalisation, et ce qui est surtout important, menace d’un vrai danger la situation des juifs en Turquie. 

                           J'ai été pendant dix ans maire de Jérusalem, et après député de cette ville au Parlement impérial, et je le suis encore ; je travaille maintenant pour le bien de cette ville, pour y amener de l'eau salubre. Je suis en état de Vous parler en connaissance de cause. Nous nous considérons nous Arabes et Turques, comme gardiens des lieux également sacrés pour les trois religions, le Judaïsme, la Chrétienté et l'Islam. Eh bien, comment les meneurs du Zionisme peuvent-ils s'imaginer qu'ils parviendraient à arracher ces lieux sacrés aux deux autres religions qui sont l'immense majorité ? Quelles forces matérielles les juifs possèdent-ils pour imposer leur volonté eux qui sont 10 millions au plus, aux 350 millions des chrétiens et 300 millions des musulmans. Les Juifs possèdent certainement des capitaux et de l'intelligence. Mais si grande que soit la force de l'argent dans ce monde, on ne peut acheter tout à coups des millions. Pour arriver à un but comme celui que le Zionisme doit se proposer, il faut d'autres coups, plus formidables, ceux des canons et des cuirassés. Or, quelle est la Puissance qui pourrait bien mettre ces choses-là à la disposition du Dr Herzl ? Est-ce la Russie ? Ou peut-être son alliée la France ? Croyez-vous que l'empereur Guillaume trouvera que cela vaut quelques os des soldats poméraniens ? Et même les nations les mieux disposées envers les Juifs, comme les anglais et les américains, je ne crois pas qu'elles consentent jamais de partir en guerre contre les autres nations pour aider les Juifs de s'installer en Palestine.   Il est vrai que les Américains ont fait dernièrement la guerre aux espagnols pour la liberté des cubains et philippins. Mais le peuple juif se trouve, comme peuple, dans un état beaucoup plus malheureux que ceux-ci, qui sont dans leurs pays, tandis que les Juifs sont dispersés, ne sont pas concentrés dans un endroit.

                       C'est donc une pure folie de la part de Dr. Herzl, que j'estime d'ailleurs comme homme et comme écrivain de talent, et comme vrai patriote juif, et de ses amis, de s'imaginer que, même s'il était possible d'obtenir le consentement de S.M. le Sultan, ils arriveraient un jour de s'emparer de la Palestine. Mais je ne me croirais pas en droit d'intervenir si je ne prévoyais pas un grand danger de ce mouvement pour les israélites en Turquie et surtout en Palestine.

                            Certes, les Turques et les Arabes sont généralement bien disposés envers vos coreligionnaires. Cependant, il y a parmi eux aussi des fanatiques, eux aussi, comme toutes les autres nations même les plus civilisées, ne sont pas exemptes des sentiments de haine de race. En outre, il y a en Palestine des Chrétiens fanatiques, surtout parmi les orthodoxes et les catholiques qui, considérant la Palestine comme devant appartenir à eux seulement, sont très jaloux des progrès des juifs dans le pays de leurs ancêtres et ne laissent passer aucune occasion pour exciter la haine des musulmans contre les juifs. Il y a lieu de craindre un mouvement populaire contre Vos coreligionnaires, malheureux depuis tant de siècles, qui leur serait fatale et que le gouvernement turc, avec les meilleures dispositions du monde ne pourra étouffer facilement. C'est cette éventualité très possible qui me met la plume dans la main pour vous écrire.

                             Il faut donc pour la tranquillité des juifs en Turquie que le mouvement zioniste, dans le sens ographique du mot, cesse. Que l’on cherche un endroit quelque part pour la malheureuse nation juive, rien de plus juste et équitable. Mon Dieu, la terre est assez vaste, il y a encore des pays inhabités ou l'on pourrait placer les millions d'israélites pauvres, qui y deviendraient peut-être heureux et un jour constitueraient une nation. Ce serait peut-être la meilleure, la plus rationnelle solution de la question juive. Mais, au nom de Dieu, qu'on laisse tranquille la Palestine.
                         Notre Prophète imposa aux israélites de Khaïbar comme condition de paix de reconnaître sa mission divine. Aucun musulman cependant n'exige cela des Juifs qui viennent en Palestine. Ils sont les bienvenus, mais à la condition de n'avoir aucune autre pensée que d'être, comme nous-mêmes, des fidèles sujets ottomans.
                   Je dois accomplir un devoir sacré de conscience en adressant cet avertissement à ceux qui sont à la tête du judaïsme. Je m'imagine que cela peut être affligeant pour un cœur juif. Mais, croyez-moi, monsieur, que c'est un vrai ami d'Israël qui Vous parle et comme l'a dit si bien Votre grand et sage roi, les plaies causées par un ami valent mieux que les baisers d'un ennemi.

 

Agréez monsieur l'assurance de mes sentiments fraternels,

Youssuf Zia alkhalidy,

Député de Jérusalem"

Sionisme

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Zadok transmit la lettre à Theodor Herzl et la réponse qu'il fera (en français, elle aussi), confirme bien, au vu de ce que nous savons déjà,  sa volonté de cacher ses intentions réelles aux adversaires du sionisme, en brossant un tableau avantageux et très édulcoré de la situation : 


"Wien-Wahring
Carl Ludwigstrasse 50
19 mars 1899

Excellence,

Je dois à la gentillesse de M. Zadok Kahn le plaisir d'avoir lu la lettre que vous lui avez adressée. Permettez-moi tout d'abord de vous dire que les sentiments d'amitié que vous exprimez pour le peuple juif m'inspirent la plus profonde appréciation. Les Juifs ont été, sont et seront les meilleurs amis de la Turquie depuis le jour où le sultan Selim a ouvert son Empire aux Juifs persécutés d'Espagne.

Et cette amitié ne consiste pas seulement en paroles, elle est prête à se traduire en actes et à aider les musulmans.

L'idée sioniste, dont je suis l'humble serviteur, n'a aucune tendance hostile envers le gouvernement ottoman, mais bien au contraire, ce mouvement se préoccupe d'ouvrir de nouvelles ressources pour l'Empire ottoman. En permettant l'immigration à un certain nombre de Juifs qui apportent leur intelligence, leur perspicacité financière et leurs moyens d'entreprise dans le pays, nul ne peut douter que le bien-être du pays tout entier en serait le résultat heureux. Il est nécessaire de le comprendre et de le faire connaître à tous.

Comme Votre Excellence l'a très bien dit dans votre lettre au Grand Rabbin, les Juifs n'ont aucune puissance belligérante derrière eux, et ils ne sont pas eux-mêmes de nature guerrière. C'est un élément tout à fait paisible, et très satisfaisant s'ils sont laissés en paix. Il n'y a donc absolument rien à craindre de leur immigration.

La question des Lieux Saints ?

Mais personne ne pense à y toucher. Comme je l'ai dit et écrit plusieurs fois : Ces lieux ont perdu à jamais la faculté d'appartenir exclusivement à une seule foi, à une seule race ou à un seul peuple. Les Lieux Saints sont et resteront saints pour le monde entier, pour les musulmans comme pour les chrétiens comme pour les juifs. La paix universelle que tous les hommes de bien espèrent ardemment aura son symbole dans une union fraternelle dans les Lieux Saints.

Vous voyez une autre difficulté, Excellence, dans l'existence de la population non-juive en Palestine. Mais qui penserait à les renvoyer ? C'est leur bien-être, leur richesse individuelle que nous augmenterons en y apportant la nôtre. Pensez-vous qu'un Arabe qui possède un terrain ou une maison en Palestine d'une valeur de trois ou quatre mille francs sera très fâché de voir le prix de sa terre augmenter en peu de temps, de la voir augmenter de cinq à dix fois en valeur peut-être en quelques mois ? D'ailleurs, cela se produira nécessairement avec l'arrivée des Juifs. C'est ce que la population indigène doit réaliser, qu'elle gagnera d'excellents frères comme le Sultan gagnera des sujets fidèles et bons qui feront prospérer cette province, cette province qui est leur patrie historique.

Quand on regarde la situation sous cet angle, qui est le vrai, il faut être l'ami du sionisme quand on est l'ami de la Turquie.

J'espère, Excellence, que ces quelques explications suffiront à vous donner un peu plus de sympathie pour notre mouvement.

Vous dites à M. Zadok Kahn que les Juifs feraient mieux d'aller ailleurs. Cela pourrait bien se produire le jour où nous réaliserons que la Turquie ne comprend pas les énormes avantages que notre mouvement lui offre. Nous avons expliqué notre objectif publiquement, sincèrement et loyalement. J'ai soumis à Sa Majesté le Sultan quelques propositions générales, et je suis heureux de croire que l'extrême lucidité de son esprit lui fera accepter en principe l'idée dont on pourra ensuite discuter des détails de l'exécution. S'il ne l'accepte pas, nous chercherons et, croyez-moi, nous trouverons ailleurs ce dont nous avons besoin.

Mais la Turquie aura alors perdu sa dernière chance de réguler ses finances et de retrouver sa vigueur économique.

C'est un ami sincère des Turcs qui vous dit ces choses aujourd'hui. Souvenez-vous de ça !

Et je vous prie d'agréer, Excellence, l'assurance de ma très haute considération.

Dr. Theodore HERZL"
 

 

A la même époque, Naplouse se dotera d'une Société de la jeunesse de Naplouse, tandis qu'à Jaffa,  le journal Al-Asma'ï, s'opposera lui aussi à l'immigration juive pour des raisons d'injustice sociale, les immigrants juifs (et avant eux les Juifs achkénazes installés depuis longtemps en Palestine)  bénéficiant de privilèges issus du régime des Capitulations  :

"Ils nuisent à la population locale et lui font du tort, en s’appuyant sur les droits spéciaux accordés aux pouvoirs étrangers dans l’Empire ottoman et sur la corruption et les tricheries de l’administration locale. De plus, ils se dégagent de la plupart des taxes et des exigences imposées aux sujets ottomans. Leur main-d’œuvre est en compétition avec la population locale et crée leurs propres moyens de subsistance. La population locale ne peut affronter leur concurrence."   (Neville J. Mandel, The Arabs and Zionism before World War I,  Berkeley, Los Angeles, London : University of California Press, 1977).  

Capitulations    :  "privilèges accordés, à partir du 15e siècle, par les souverains ottomans aux Etats chrétiens dont les ressortissants pouvaient commercer librement dans l'Empire, tout en bénéficiant d'exemptions fiscales et de la protection de la mission diplomatique dont ils dépendaient. Les Capitulations seront définitivement abolies par le traité de Lausanne, signé le 24 juillet 1923."  (Benbassa, 1989).  

 

Conscient comme beaucoup d'autres de l'inégalité technologique entre Juifs sionistes et Palestiniens, al-Asma'ï reconnaissait l'infériorité de la situation des fellahs et suggéraient d'apprendre les techniques juives pour améliorer leur sort (Khalaf, 2009), constat qui ne légitimait aucunement la colonisation. De son côté,  Falastin, était alors porté par deux combats principaux :  L'arabisation de l'Eglise orthodoxe,  sa libération du contrôle hiérarchique, hellénique, du patriarcat orthodoxe sur l'Eglise (ses biens en particulier), conforté par la loi ottomane de 1875,  mais aussi, l'opposition au sionisme, en montrant concrètement les injustices qu'il représentait pour les fellahs palestiniens.

l'Eglise orthodoxe   :   Le 6e Congrès arabe palestinien de 1923 soutiendra la lutte des laïcs orthodoxes arabes contre le Patriarcat orthodoxe de Jérusalem, dominé par les Grecs. 

 

Ainsi, le journal diffusait des informations factuelles concernant les spoliations permises par la complicité de différents notables avec les colons sionistes. Conscient des attentes de son lectorat rural, qui recevait souvent le journal avec retard, le jeune journaliste et directeur du journal  ‘Issa al-‘Issa décida d'envoyer des exemplaires gratuits aux mukhtars de chaque village du district de Jaffa, dans le but, précisera-t-il dans un éditorial, "de faire connaître au fellah ce qui se passe dans le pays et de lui apprendre ses droits, en vue d’empêcher ceux qui ne craignent pas Dieu et ses prophètes de le subjuguer et de lui voler ses biens ."  (Khalaf, 2009)Car c'est bien au moyen de vols, d'accaparements illégitimes que différents notables, par appât du gain, revendaient à des organisations juives des terres confiées naguère aux paysans locaux par le sultan : 

 

"En juin 1913, Falastin reproduisit deux télégrammes signés par les leaders des villages de la région de Beisan, ses tribus et ses notables, adressés au sultan et au wali de Beyrouth. Les signataires protestaient contre la volonté des autorités ottomanes de vendre les terres étatiques de Beisan, sur lesquelles ils s’étaient installés définitivement avec l’autorisation du sultan. Par ailleurs, ils rappelaient au sultan que son administration était chargée de la protection de ses sujets qui payaient les impôts et servaient leur patrie, ainsi que de la sauvegarde de leurs intérêts.

 

À la fin du même mois Falastin écrivait :

« Ce dont a besoin notre peuple bien-aimé, c’est de la grâce de l’indépendance, mais nous ne pouvons la souhaiter tout haut. Les mots seuls ne peuvent faire face au financement, à la science et à la solidarité, éléments entièrement acquis aux sionistes. »"  (Khalaf, 2009)

Soucieux d'un journalisme de qualité, Falastin publia même une chronique sioniste écrite par l'agronome juif d'origine russe Menashe Meirovitch (1860-1949), sous le pseudonyme d'Abou Ibrahim. Pour lui, comme pour beaucoup de réformateurs du système agraire en Palestine, il fallait mettre fin au système de propriété mushâ' (masha’a, "communale"), « un système consistant en "la répartition égalitaire des terres" parmi les paysans » (Mundy, 1996).  

Ce système était considéré comme archaïque par Meirovitch, ce que le chercheur israélien Gabriel Baer, d'origine allemande, affirmera en substance, en traitant l'introduction de la propriété privée dans le Moyen-Orient arabe comme "l'apport civilisateur de l'Occident (1966) dans une région où l'administration ottomane n'avait pas assuré l'enregistrement de la terre comme propriété privée de ces possesseurs (1975, 495). Le mushâ', en tant que propriété communale sur 70 % des terres de Palestine, représentait aux yeux de Baer l'indice le plus frappant de la stagnation et de la nature traditionnelle de l'économie de la région (1975, 495)."   Pour le chercheur Ya'akov Firestone, le mushâ n'est pas un système de propriété commune ou collective, mais d'association ("sharikat milk"), selon les catégories du fiqh, le droit islamique.  Il rappelle que, depuis le XVIe siècle,  une lourde imposition fiscale ottomane frappait collectivement un village, par l'Etat ou un propriétaire terrien, ce qui rendait très compliqué le traditionnel système de mushâ, déjà complexe, basé sur des quote-parts de terres dont la surface était déterminée par la force de travail et les lots redistribués  périodiquement par tirage au sort,  pour limiter les inégalités.  Le code foncier (Land Code) de 1858 annonça la fin du système mushâ en un système de privatisation des terres qui, comme un peu partout dans le monde, et tout au long de l'histoire, a permis aux plus forts d'accaparer encore plus la terre, et partant, la richesse.  Jusque-là, la quasi-totalité des terres, environ 90%, étaient miri  ("de l'émir" : erasi-i-amierié), terres sous l'autorité du sultan, qui ne pouvaient être vendues : La nouvelle législation ne pouvait alors qu'attiser les appétits et les convoitises de l'aristocratie, nous allons le voir. Les paysans, ignorant  les effets pervers du nouveau code, n'ont pas inscrit en leur nom les terres qu’ils cultivaient, d'une part par crainte d'être frappés par de nouveaux impôts préjudiciable à leur situation déjà précaire, et d’autre part, pour éviter la conscription. D'autre  part, nombre d'entre eux étant endettés auprès du fermier des impôts, le multazim,  ils échangèrent leurs terres contre le droit d'inscription de propriété, ce qui permit à leurs créanciers de devenir les propriétaires officiels de ces terres (Sanbar, 2004). C'est ainsi que la réforme profita aux cheiks locaux ou aux notables des villes (a'yan), qui concentrèrent la propriété terrienne dans les mains de quelques grandes familles. A la fin de l’empire ottoman, ce sont 100.000 dunums que les Shawa, de Gaza, auraient possédés, pendant que dans la région de Naplouse, les Abd Al Hadi en auraient détenu 60.000, les Husseini de Jérusalem (dont sont issus plusieurs maires de la ville) et les Taji de Ramallah, 50.000, les Tayan de Jaffa, 40.000  (Picaudou, 1989 : 31) et les Sursuq de Beyrouth, plus de ...250.000 (Khalidi, 1997), etc.  Ceux qui pâtiront des réformes ne sont pas les occupants des terres au même moment, mais leurs descendants, cinquante ans plus tard, quand ces grands propriétaires vendront des villages entiers aux gestionnaires de fonds juifs. 

Ajoutez à cela la méconnaissance profonde de la législation ottomane par les associations juives, les charlatans et les intermédiaires véreux de tout poil qui "se font de l'argent sur le dos des immigrants" (Cohen-Muller, 2005),  en jouant en particulier sur les notions de propriété privée et de propriété d'usufruit (tasarruf), et plus encore, en utilisant la technique du prête-nom, d'homme de paille, déjà bien rôdée par toutes les puissances étrangères installées dans le pachalik (division administrative gouvernée par un pacha) de Jérusalem : "Cette pratique se généralise et devient l'une des méthodes d'acquisitions de terres par des organisations sionistes, pour contourner l'interdiction d'achat faite aux personnes morales."  (Cohen-Muller, op. cité)  On  touche là une nouvelle fois à toutes les pratiques dissimulées du sionisme dans l'exécution de son entreprise de colonisation, qui ont été décrites.  

Au final, c'est le fellah qui paie le coût le plus élevé de toutes les entourloupes juives ou arabes, le pire étant de se faire expulser brutalement par des colons sionistes nouvellement acquéreurs (Sanbar, 2004).  Et ne parlons pas des awqaf (sing. waqf) fondations pieuses octroyées aussi aux communautés non islamiques, qui, selon le droit musulman, ne pouvaient être ni vendues, ni données, mais qui, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ont fait l'objet comme le patrimoine foncier de multiples convoitises, tout particulièrement à Jérusalem,  où, entre 1858 et 1917,  la propriété des biens awqaf s'est muée progressivement en propriété privée, légalement ou illégalement  (Sror, 2008).   C'est ainsi que, alors que la surface totale de terres occupées par les sionistes étaient encore modeste, les tensions étaient déjà très vives, en partie à cause de nombreuses expropriation des paysans, que l'endettement généralisé rendait captifs,  et qui, même indemnisés, refusaient qu'on les force à quitter leurs terres.  On a vu, par exemple, avec indignation, des Juifs danser la hora (danse populaire)  près de fellahin contraints de quitter leur village d'Al-Foula, ou encore des habitants de Wadi al-Hawarith, dont les  familles étaient présentes depuis plus de 300 ans, expulsés de leur terres, où ils avaient des droits de pâture, vendues par une riche famille absentéiste au FNJ. Le 6 septembre 1930,  malgré l'ordre du tribunal aux locataires de quitter les terres, ces derniers tentèrent pendant trois ans d'utiliser les voies légales pour se défendre, jusqu'en décembre 1932. Entre temps, les colons avaient planté 43.000 arbres, et ont été décrits par le FNJ comme "soldats défendant leur patrie"  (Adler, 1988 : 205).  

 

Ce qui se joue ici est une forme de domination où, cela a été dit,  on trouve du côté des forts les élites ottomanes, les grands propriétaires arabes, les associations juives de colonisation financées par les riches mécènes de la diaspora, bien mieux dotées pour affronter les réformes modernes, de l'agriculture intensive, en particulier, que les paysan pauvres et endettés et, enfin, toute la puissance coloniale britannique après la chute de la domination ottomane. Ces forces de domination s'estiment justes parce qu'elles indemnisent, donnent parfois des terres (ailleurs, loin de chez soi), alors qu'elles modifient profondément la structure traditionnelle paysanne en violentant leur mode de vie, leurs personnes, leur culture.

 

C'est ainsi tout un contexte délétère pour les familles de paysans qui permet d'expliquer les sensibilités exacerbées des fellahs, en rapport avec la nature de la colonisation sioniste, au début du XXe siècle  : "Lorsque la guerre de 1914 éclata en dépit du gouvernement turc qui était loin de faciliter les ventes de terrain et qui restreignait considérablement le chiffre des immigrants la colonisation de la Palestine était prospère ; quarante-trois colonies comptant 11500 personnes occupaient l'Ouest du Jourdain plus de 400 000 dunams de terre (soit 36 000 ha.)"  (Arnaud, 1927).  Des économistes comme Abdo-Zu’bi (1984, 1992), Khalaf (1997) ou encore Yazbak (2000) ont aussi montré que la pénétration du capitalisme, entre la fin de l'empire ottoman et celui du mandat britannique a appauvri les paysans et provoqué l'essor d'un prolétariat palestinien, ce qui a constitué   "un paramètre essentiel dans les révoltes palestiniennes de la première moitié du 20ème siècle"(Al-Labadi, 2015).

D'autre part, pour mieux comprendre les craintes et les  oppositions des Arabes (mais aussi des chrétiens)  palestiniens, il faut avoir à l'esprit toutes les actions entreprises par les colons juifs dès avant la fin du XIXe siècle, dont il a été donné un aperçu plus haut, qui, cumulées, conduisaient naturellement beaucoup d'autochtones à prendre la mesure du danger représenté par le projet sioniste, bien résumé par un des premiers nationalistes arabes palestiniens, le Syrien Choukri al-Asali (Shukri al-Asali, 1868-1916)  : 

 

"Ils ne se mêlent pas aux Ottomans et ne leur achètent rien. Ils détiennent une banque, l’Anglo- Palestine Bank, qui leur consent des prêts à un taux inférieur à 1 %. Dans chaque village et chaque colonie, ils ont fondé un bureau administratif et une école, dans chaque kaza [petite circonscription administrative, N. W.] une administration centrale et chaque district a son administrateur général. Ils ont aussi un drapeau bleu au milieu duquel figure une étoile de David et, en dessous, un mot hébreu qui signifie “Sion” parce que dans la Torah Jérusalem est appelée “fille de Sion”. Ils hissent ce drapeau au lieu du drapeau ottoman au cours de leurs rassemblements. Et ils chantent l’hymne sioniste. Ils ont trompé le Gouvernement par des mensonges et des faussetés lorsqu’ils se font inscrire dans les registres comme ressortissants ottomans car ils continuent à détenir des passeports étrangers qui les protègent ; et chaque fois qu’ils comparaissent devant un tribunal ottoman, ils sortent leurs passeports et en appellent à la protection étrangère ; ils règlent leurs litiges et leurs différends entre eux, au su de l’administrateur, et ne s’adressent pas à cette fin au Gouvernement. Ils enseignent à leurs enfants l’éducation physique et l’emploi des armes ; on voit leurs maisons bourrées d’armes, dont de nombreux fusils Martini. Ils ont leur propre service postal, leurs propres timbres, etc., ce qui prouve qu’ils ont commencé à mettre en œuvre leurs desseins politiques et à installer leur gouvernement chimérique  (C. al-Asali, article du journal al-Karmil (El-Carmel : quartier de Haïfa), daté du 8 décembre 1910).

   timbres     :  "Dans certaines colonies, il y a une poste privée qui vend des timbres au profit d'œuvres charitables : on colle à l'intérieur de la lettre une sorte de timbre à cette fin. (...) Celui qui souhaite pratiquer la charité par des moyens économiques achète une quantité de ces timbres et les distribue aux pauvres ; les Juifs les acceptent entre eux comme des pièces"   

 

Gurgi Zaydan, dans Anne-Laure Dupont,  "ĞURĞĪ ZAYDĀN 1861-1914, Écrivain réformiste et témoin de la Renaissance arabe", Annexe III. Les craintes d'un journaliste arabe devant la colonisation juive en Palestine à la fin de l'époque ottomane, Beyrouth, Institut Français du Proche-orient (ifpo), 2006.  

"Nous voyons les Juifs s’exclure totalement des Arabes, qu’il s’agisse de leur langue, de leurs écoles, de leur commerce, de leurs coutumes ou de leur vie économique. De la même manière, ils se coupent du gouvernement indigène qui leur offre sa protection, de sorte que la population les tient pour une race étrangère, […] ils [les Arabes de Syrie et de Palestine, N. W.] voient leur existence même menacée par les Juifs. Nombre d’entre eux redoutent également du point de vue politique que les Juifs conservent leur nationalité étrangère et procèdent ainsi à la conquête du pays pour le compte d’États étrangers."

Refik (Rafiq) Bey ibn Mahmud al-Azm (1865-1925), cité par Yaacov Ro'i, "The Zionist attitude to the Arabs 1908–1914", dans Elie Kedourie et Sylvia G. Haim, "Palestine and Israel in the 19th and 20th Centuries",  Frank Cass, Londres, 1982, p. 35.

Dès le début, donc,  les colons sionistes font tout pour créer des mini-Etats dans l'Etat. En créant un embryon de marché, d'économie,  des entités autonomes politiques, économiques, éducatives, hospitalières, etc., "les pratiques sionistes sur le terrain ne pouvaient être que ségrégationnistes et chauvines"   (Khader, 1984).  Un tournant anti-arabe est pris pendant la seconde aliya, nous l'avons vu, et avec le témoignage d'al-Asali, nous touchons au domaine de l'armement des colons, qui  remplacent les gardiens musulmans des villages agricoles sionistes, des kibboutz, par des gardiens juifs. Si ce choix est en partie motivé par des raisons de sécurité, face à des pillages (parfois meurtriers) auxquels se rendraient souvent complices les gardiens, d'autres raisons moins avouables sont à chercher du côté d'une vague d'immigrants d'Europe de l'Est rompus aux premières unités d'autodéfense populaire initiées dans leurs pays d'origine par le Bund et des sympathisants du Poalé-Tsiyone, pour lutter contre l'autocratie tsariste.  Désireux "d’affirmer sa combativité virile face à ceux qui traitaient les victimes des pogroms de pleutres" (Weinstock, 2011), un groupe de dix-huit immigrants de la deuxième vague constitue en septembre 1907 une garde juive élitiste et clandestine, à la tête de laquelle on trouve le Juif d'origine polonaise Israël Shochat (Yisrael Shohat, 1886-1962). Cette garde était appelée  Bar-Giora (Bar Guiora), du nom du dernier résistant de Judée (Yehoud) à l'occupant romain, Siméon B.G.  Celle qui deviendra bientôt l'épouse d'Israël en mai 1908, Mania Vilboshvitz (Wilbuszewicz, Vilbusevich, 1880-1961), d'origine russe, tient un rôle important dans les premières organisations collectives et d'auto-défense des premiers colons juifs en Palestine. Elle est la principale initiatrice de la première ferme collective organisée en coopérative, fondée en 1907 à al-Shajara (Sejera, en hébreu : Ilaniya), sur des terres de Basse Galilée achetées par Edmond de Rothschild (M. Shohat, Darki Be'Hashomer ("Mon chemin vers Hashomer"), dans Sefer Hashomer; Divrei Chaverim, édité et publié par Yitzhak Ben-Zvi, Israel Schochat, Mati Meged et Yochanan Taversky, Tel Aviv, Dvir, 1957). En 1909, elle participe avec son futur mari à la fondation d'une  structure de défense un peu plus étoffée que Bar-Giora, appelée  Hashomer (Hachomer, "le Garde", "le Gardien"),  à laquelle appartiendra Ben Gourion (cf. Mania Wilbushewitch Shochat, article de Tamar Kaplan Appel, dans The Shalvi/Hyman Encyclopedia of Jewish Women). Active au sein du Gdud Haavoda (Gdoud H, "Bataillon du Travail"), fondé en 1920 en hommage à Joseph Trumpeldor (cf plus bas), mais aussi de Poale Zion et de l'Histadrout (cf. plus bas), Mania Shohat (Manya S.) occupera un rôle important dans la contrebande d'armes mais aussi dans les réseaux d'immigration ou la récolte de fonds pour la défense des communautés juives, auprès de riches mécènes américains, grâce à des réseaux de la Hadassah (cf partie II) ou ceux de Louis Brandeis (cf. partie III), en particulier  (Chazan, 2007).

 

Hashomer n'est pas encore, comme nous le verrons plus loin, une véritable force paramilitaire comme la Haganah, mais déjà,  l'organisation "se montre prêt à en découdre, n’hésitant pas au besoin à se servir d’armes à feu et pas toujours dans une optique purement défensive. Les organisations foncières sionistes prennent l’habitude de faire appel à ses militants qui constituent des « groupes de conquête » pour occuper les terrains acquis en attendant l’installation sur les lieux des propriétaires définitifs".  Les groupes armés, mettaient sous pression les exploitants agricoles qui n'embauchaient pas assez de Juifs en raison du coût salarial beaucoup plus élevé que celui des non-Juifs. Les exploitants reprochaient aussi aux membres du Hachomer "de se montrer inutilement agressifs, voire violents, notamment envers la main-d’œuvre arabe : à Re’hovoth, on se plaint de leur « brutalité » et de leur « inhumanité » envers les villageois arabes auxquels il serait même arrivé de subir des coups de fouet." (Weinstock, 2011). Un délégué palestinien au Ve Congrès de l'Union mondiale des Poalé-Tsiyone (Vienne, 1920) exprimera son mépris et sa colère pour Hachomer, dont les gardiens sont toujours prêts à tirer quand "des Arabes qui souffrent, qui crèvent de faim et que nous exploitons s’aventurent nuitamment sur les plantations sur lesquelles ils travaillent à longueur de journée pour un salaire situé en dessous du minimum vital pour y dérober quelques raisins ou des feuilles de chou" (op. cité).   

"Montés sur leurs chevaux, les miliciens de l’Hashomer ont attaqué quelques colonies arabes pour punir les habitants qui avaient fait du mal aux Juifs, parfois en les battant, parfois en les exécutant. Dans un cas, une assemblée clandestine spéciale de membres de l’Hashomer décida d’éliminer un policier bédouin, Aref al-Arsan, qui avait aidé les Turcs et torturé des prisonniers juifs. Il a été abattu par l’Hashomer en juin 1916."  (Ronen Bergman, Rise and Kill First : The Secret History of Israel's Targeted Assassinations ["Lève-toi et tue le premier : L'histoire secrète des assassinats ciblés d'Israël"], John Murray, London, 2018 ).  

 

Il faudrait  encore préciser beaucoup de choses sur la manière de faire des premiers colons juifs. Sur l'école en particulier, dont on ne saisit pas toute l'ampleur idéologique si on ne sait pas la "véritable explosion d’activités culturelles de toutes sortes : fondation de jardins d’enfants, d’écoles, des lycées hébreux de Tel-Aviv (que fréquentent déjà 721 élèves en 1914) et de Jérusalem, de la future école technique supérieure de Haïfa, d’une académie de musique, d’associations culturelles et politiques, de journaux, de périodiques (telle une revue médicale qui voit le jour à Jaffa en 1910), de maisons d’édition et de bibliothèques. Les écoles maternelles – comme celle de Jérusalem, ouverte en 1904 – contribuent à l’hébraïsation des parents"(...) À la veille de la Première Guerre mondiale, le Yichouv s’est doté en outre d’un réseau impressionnant d’institutions sanitaires et hospitalières, de cantines populaires ainsi que d’une unité de gardiennage paramilitaire, organisations généralement liées aux deux partis travaillistes sionistes qui entreprennent d’asseoir de la sorte leur hégémonie sur le Yichouv. (Weinstock, 2011). 

Dans les colonies sionistes de Palestine, toutes les formations diverses des parents (qui commençaient le plus  souvent dès avant le départ de l'Europe), mais surtout, l'éducation des enfants, permettaient une inculcation de l'idéologie sioniste. Ainsi, quand Ernst Simon  émigre en Palestine en 1928 et adhère, rappelons-le, à Brit Shalom, il exerce comme professeur de lycée et "s'effraie du contenu des manuels d'études des écoles hébraïques. L'absence totale de référence aux habitants arabes ou, dans le pire des cas, leur représentation comme des « sauvages du désert », uniquement portés à l'agression et au crime, déforment la conscience nationale et la rendent dangereuse, en creusant un abîme entre les deux communautés. La référence aux lieux comme « terre des ancêtres », et de ce fait patrimoine exclusif des juifs, ne contribue pas non plus à la coexistence souhaitable. Le nationalisme messianique en dédaignant l'autre prépare le terrain pour des actes d'hostilité futurs. Le cynisme, l'indifférence et le culte de la force, qui se répandaient ainsi parmi la jeunesse hébraïque, l'effrayaient et lui rappelaient les processus survenus dans la jeunesse allemande durant les années 1930."  (Shlomo. Sand, "Deux peuples pour un État ? Relire l'histoire du sionisme", traduction de l'hébreu par Michel Bilis, Edition du Seuil, 2024).  En 1941, invité par l'éducateur Siegfried Lehman (1892-1958),  à donner une conférence dans le village de jeunes de Ben-Shemen ("Fils de l'huile") Youth Village, qu'il avait fondé, ses remarques, en particulier sur le droit naturel des Arabes à demeurer dans le pays,  lui valurent des critiques acerbes "de la part des porte-parole de l'establishment sioniste. Une grenade fut jetée contre son domicile ; une autre fois, des étudiants firent irruption lors de l'une de ses conférences (il enseignait alors à l'Université hébraïque) et l'agressèrent physiquement."   (op. cité).   

"Les sionistes, en élaborant leur projet de foyer national juif en Palestine, ont eu tendance à se comporter comme si ce pays était une terre vide d’habitants. La formule célèbre (quoiqu’apocryphe) qui définit la Palestine comme une « terre sans peuple, pour un peuple sans terre » résume assez bien cet état d’esprit. Les dirigeants sionistes se sont, dans l’ensemble, assez peu souciés de la question des relations avec une population arabe issue, pour une part, des plus anciens occupants du pays. Quand ils s’expriment sur ce sujet, c’est pour affirmer la conviction que Juifs et Arabes pourront vivre en bonne intelligence et que l’immigration juive ne peut avoir que des effets bénéfiques."  (Perrin, 2000) 

De la même façon, les conquérants européens nommaient au moyen-âge "terra nullius" la terre "qui n’appartient à aucun souverain chrétien. Plus tard, c’est celle qu’aucun pays européen n’a encore revendiquée, la terre qui revient de droit au premier pays européen à l’envahir. Une terre vide. Une terre déserte."    (Sven Lindqvist, Terra nullius, Editions Les Arènes, 2007). 

 

Le philosophe juif Martin Buber (1878-1965) rapporte ainsi une anecdote à propos de Max Nordau qui, ayant appris pour la première fois la présence en Palestine d'une population arabe, se serait précipité chez Herzl tout affolé pour lui confesser "«Je ne le savais pas ! Si cela est vrai, nous commettons une grave injustice ! »"  

"on a bien affaire à une population non autochtone aspirant à exercer une domination politique, au détriment et sans le consentement de la population locale, et qui, pour parvenir à ses fins, s’appuie sur l’autorité d’une puissance étrangère faisant office de métropole. En outre, la dernière garantit à la première la liberté d’immigration et la liberté d’acheter des terres, deux mesures auxquelles Ben Gourion, devenu le leader politique de la communauté juive en Palestine, a tenu comme à la prunelle de ses yeux, car le sort du Yichouv était suspendu à leur maintien." (Charbit, 2009) 

C'est donc en grande partie par le contexte colonisateur déjà décrit qu'il faut comprendre pourquoi douze gardiens juifs ont perdu la vie entre 1909 et 1914 (op. cité),  ou que deux hôtels de Jaffa, le Baruch et le Spector, appartenant à des Juifs immigrés de Russie, ont été attaqués sauvagement par des Arabes la veille de la fête de Pourim (Purim), le 16 mars 1908,  blessant plus ou moins grièvement treize Juifs, les assaillants ayant été semble-t-il excités par le kaïmakam de Jaffa, Asaf Bey, depuis un moment mal disposé envers les Juifs (The Reform Advocate [hebdomadaire juif de Chicago], 18 avril 1908, p. 269),  phénomène de violences encore très exceptionnel, comme le confirme Ruppin lui-même,  témoignant des relations "pacifiques" avec les Arabes  (Kedourie et Haim, 1982).  On peut contester ici l'usage fait par certains historiens, comme Weinstock, du terme  "pogrom", pour désigner les différentes explosions de violences perpétrées à l'encontre des Juifs en Palestine, depuis le début de la colonisation sioniste. Rappelons que ce mot a commencé par désigner de très violentes manifestations de violence envers les Juifs en Russie ou ailleurs, pour des raisons gratuitement antisémites, donc racistes, alors que les communautés attaquées n'étaient coupables de rien.  Ce n'est pas du tout le cas ici, qui voit le début de violences extrêmes survenir après de nombreuses années de développement du colonialisme sioniste, et alors que les Arabes ont utilisé bon nombre de moyens pacifiques pendant tout ce temps pour manifester un refus catégorique de se voir coloniser par des étrangers, ce que nous avons clairement montré.  

Tout ceci n'empêche pas de faire état des frictions régulières entre les deux communautés, les Juifs subissant par exemple régulièrement des actes de stigmatisation de la part des musulmans, dont certains apprenaient à leurs enfants à leur lancer des pierres, la lapidation, plus ou moins grave, étant une pratique séculaire au Moyen-Orient, dont les chrétiens ont aussi fait les frais (Morris, 1999).  On ne doit cependant pas confondre les animosités ancestrales et archaïques, fruits de la domination ottomane en particulier, avec les tensions intercommunautaires apparues depuis les premières installations de colonies sionistes,  et de toutes ses conséquences, nous l'avons vu, qui ont impacté la vie des autochtones. Cette situation fera dire de manière prémonitoire au journaliste nationaliste Arif al-Arif (Aref al-Aref, né Arif Shehadeh, 1892-1973), dans les colonnes du Falastin en 1913,  que "si cet état de choses se poursuit […] les sionistes deviendront les maîtres de notre pays, village après village et ville après ville. Demain c’est Jérusalem tout entière qui sera vendue et ensuite la Palestine dans son intégralité."  (Weinstock, 2011).  

En  1914, Isa al-Isa a l'idée de publier, avec des commentaires, de juillet à août, l'ouvrage que Menahem Ussishkin avait fait paraître en 1904 en Russie (qu'il quittera en 1919 pour la Palestine), et qui avait pour titre Nasha programma ("Notre Programme"), pour éclairer, là encore, les ambitions sionistes : 

 

"Tous les vrais sionistes [...] considéraient le programme du premier congrès de Bâle [...] comme l'incarnation des désirs de la nation [al-umma], notamment dans sa première déclaration explicite, afin que le monde entier entende que nous luttons pour le création d’un gouvernement juif en Palestine.  En réalité, le courage moral dont le Congrès a fait preuve en proclamant les droits de la nation israélite [al-umma al-Isrāʼīlīya] de Palestine et le programme clair et manifeste qu'il a élaboré pour réaliser cet objectif [...] avait un effet miraculeux sur le peuple juif [ash-sha‘b al-yahūdī], et cela les a réveillés de leur profond sommeil.

(...)

Le sujet principal du programme du Congrès de Bâle est la création d'une patrie politique libre, indépendante pour le peuple israélite en Palestine [watan siyāsī ḥurr mustaqill li ash-sha‘b al-Isrāʼīlī fī Filastīn]. En conséquence, il en découle clairement que le seul objectif du mouvement sioniste est la création d’un Etat libre et politiquement indépendant pour les Juifs  de  Palestine et non la création d'un refuge ou d'un centre spirituel pour eux. La Palestine a été mentionnée et aucun autre pays n'a été évoqué parce que tous les efforts dirigés vers un pays autre que la Palestine ne sont en aucun cas une option pour le Sionisme." 

al-Brūghrām aṣ-Ṣahyūnī as-siyāsī ["Le Programme politique sioniste"],  Filasṭīn, 22 juillet et 25 juillet 1914, 338–342), dans Beška, 2016

 

 

     

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de l'adoubement

 

                De l'adoubement du sionisme  :

                        La Déclaration Balfour

                       

                           

Dès janvier 1915, Herbert Samuel (1870-1963), premier Juif non converti à faire partie d'un cabinet britannique, écrit "un premier  mémorandum  à ses collègues du cabinet de guerre [War Office : WO ] afin de leur présenter l’intérêt que représenterait pour la Grande‑Bretagne une immigration juive d’ampleur en Palestine" (Rota, 2017). , texte écarté par Herbert Henry Asquith, le premier ministre,  mais qui suscita l'intérêt de David Lloyd Georges, alors ministre de l'armement.  

Entre 1915 et 1916, on aurait pu croire, pourtant, que la chute de l'Empire Ottoman pouvait permettre de s'épanouir un grand Etat arabe : 

"Les accords Sykes-Picot font suite aux négociations secrètes entre le Chérif de La Mecque, Hussein, et le Haut Commissaire britannique d’Égypte, Henry McMahon, conduites entre 1915 et 1916 et visant à garantir la stabilité de la région en même temps que les intérêts de l’empire britannique. Ils précèdent d’autre part la Déclaration Balfour de 1917 [cf. plus bas, NDR]. Les accords Sykes-Picot sont à ce titre une étape importante dans la reconnaissance des besoins stratégiques britanniques pour l’après-guerre.

Les échanges entre Hussein et McMahon, dont les échos nous sont parvenus en marge de la popularisation de Thomas E. Lawrence « d’Arabie », tendaient à la création d’un grand empire arabe indépendant, une fois les hostilités terminées et la Turquie ottomane vaincue. Les Britanniques s’engagèrent à garantir la formation de cet État en échange du soulèvement des tribus arabes de l’Empire ottoman contre le suzerain turc. Les archives révèlent toutefois que dès la fin 1915, à l’heure où McMahon négociait encore l’appui des troupes de Hussein contre les Turcs, les Britanniques étaient à la recherche d’autres partenaires.

Ils craignaient en effet qu’un État arabe indépendant s’étendant sur la Syrie, la Mésopotamie, le Liban et la Palestine ne soit un facteur d’instabilité politique de plus dans la région."   (Bardet, 2015).

Sykes-Picot   :   Mark Sykes (1879-1919), militaire, diplomate, député britannique et François Marie Denis Picot (1870-1951, patronyme changé en Georges-Picot en 1910, autorisé par décret présidentiel), avocat, diplomate français. 

En échange du déclenchement d'une insurrection arabe contre  l'Empire ottoman, Hussein ben Ali al-Hachimi (Hashimi : famille des Hachémites) avait demandé le  14 juillet 1915  à Henry McMahon l’indépendance des pays Arabes  "limitée dans un territoire comprenant au Nord, Mersin, Adana et limitée ensuite par le 37e parallèle jusqu’à la frontière persane ; la limite Est devrait être la frontière persane jusqu’au Golfe de Bassorah ; au Sud, le territoire devait border l’océan Indien, tout en laissant de côté Aden ; à l’Ouest enfin, il devait y avoir pour limite la Mer Rouge et la Méditerranée jusqu’à Mersin"  (Gonzalez-Quijano,  2017).  McMahon n'avait  pas confirmé ces frontières mais avait répondu à Hussein le 30 août 1915 et approuvé "l'indépendance de l'Arabie et de ses habitants" (Cloarec,  2015), sans préciser s'il s'agit de la Péninsule arabique ou de l'ensemble des pays arabes. 

Revenons maintenant au camp sioniste, pour rappeler que la grande majorité des promoteurs du sionisme étaient européens, et partageaient la même culture que les dirigeants occidentaux qui allaient bientôt redessiner la carte géopolitique du Moyen-Orient,  après la chute de l'Empire Ottoman. Mieux, certains membres du lobby sioniste faisaient même partie du gouvernement britannique. Deux ans après l'intervention de Samuel, le 17 février 1917, Lord Lionel Walter Rothschild (1868-1937, juif, député tory de 1899 à 1910), accepte de participer à une réunion importante au domicile du grand rabbin Moses Gaster, tout comme James de Rothschild et son père Edmond, tous les deux très engagés dans la cause sioniste). Sont aussi présents Samuel, Nahum Sokolow (Sokolov, 1859-1936)un dirigeant sioniste de premier plan,  qui deviendra président de l'Organisation sioniste mondiale entre 1931 et 1935, mais aussi deux dirigeants sionistes britanniques, Joseph Cowen (1829-1900) et surtout Herbert Bentwich (1856-1932), fondateur de la British Zionist Federation en 1899, conseiller de la Jewish Colonial Trust, première banque sioniste, en 1899, qui prendra ensuite le nom de Leumi Bank.  

 

Le débat est organisé et dirigé par Haïm (Chaïm) Weizmann (1874-1952), juif d'origine lithuanienne qui deviendra président de l'Organisation sioniste mondiale (World Zionist Organization) en 1920 et le premier président de l'Etat d'Israël en 1949. Professeur de biochimie à l'Université de Manchester, Weizmann sera recruté par un autre chimiste, Charles Dreyfus (1848-1935), qui avait créé une société de textile à Manchester, et qui lui fera rencontrer des personnalités importantes dans les cercles dirigeants, dont Lord Balfour.  Weizmann invente  en 1916 un moyen peu coûteux de produire de l'acétone à partir d'un microbe, Clostridium acetobutylicum qui, depuis, a été surnommé organisme de Weizmann.  Sa découverte ouvre la voie à une production industrielle d'un explosif appelé cordite, ce qui allait donner un avantage très appréciable aux Alliés pendant la première guerre mondiale. "Weizmann refusa les honneurs et les récompenses dont le gouvernement de Londres voulut le combler. Tel Moïse, il ne réclama qu'une faveur : " Donnez un foyer à mon peuple. " nous raconte Edouard Sablier du journal Le Monde du 11 novembre 1952, tandis que l'historien Georges Ayache nous apprend qu'il fut gratifié de 10 shillings par tonne d'acétone produite   (Ayache, 2019) Une chose est sûre, sa découverte,  en contribuant de manière importante à la victoire des Alliés, avait ravi une personnalité de choix : Lloyd Georges, le ministre de l'armement  qui avait accueilli positivement le mémorandum de Samuel.  C'est ainsi que s'ouvrit grand la porte aux revendications sionistes auprès du gouvernement britannique, que Weizmann entama surtout avec Nahum Sokolow, qui dira "au beau milieu des émeutes, que la question arabe ne faisait absolument pas partie de la réalité"  (Gershom Scholem,  note de "juillet 5691", selon le comput juif, soit 1931 de l'ère chrétienne, journal Od Davar, pp. 91-92).   

 

Soulignons ici le fait que le débat autour de ce sujet n'était pas neuf au sein du gouvernement britannique. En 1904, déjà, un projet de création d’un foyer national juif en Afrique orientale était débattu à la Chambre des communes (Sergeant, 2012).  Après la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne à la Turquie, le 5 novembre 1914, l’idée d’une patrie juive poursuivit son chemin, en spéculant sur la défaite des Turcs, suivie du dépeçage le leur empire.   Le 9 novembre 1914, Lloyd George,  influencé par son éducation religieuse, dans l'Eglise galloise , en vint à s'exprimer au sein du Cabinet ministériel  à propos du  "destin ultime de  la Palestine'', qu'il voyait, confia-t-il à Herbert Samuel,  devenir un État juif  (Monroe, 1963).  En mars 1916, le ministère des Affaires étrangères de sa Majesté répondit à une suggestion du journaliste juif Lucien Wolf (1857-1930), un des fondateurs de la Jewish Historical Society of England, sympathisant des thèses eugénistes comme Ruppin ou Jabotinsky, qui cherchait  démontrer le caractère supérieur d'une prétendue race juive   (Langton, 2014).  Adversaire du sionisme, ayant régulièrement des passes d'armes avec Weizmann, il suggéra aux Alliés de faire une déclaration soutenant l'installation en Palestine de Juifs persécutés, dans le seul but de leur trouver un refuge. Le Ministre des Affaires étrangères (Secretary of State for Foreign), Edward Gray était prêt pourtant, à aller plus loin en soutenant une colonie juive autonome en Palestine, pensant ainsi gagner l'attachement de la communauté juive mondiale pour  la Grande-Bretagne. C'est nourri de tous ces débats que Sokolov développera le sujet de la communication sioniste à forger en direction de ses adversaires,  qu'il désigne dans les années 1920 par hasbara (Kouts, 2011) littéralement "explication", en hébreu, que les sionistes entendaient comme "guerre psychologique". Ils faisaient ainsi passer pour de la diplomatie publique ce qui était en réalité une propagande d'Etat doté d'arguments sophistiques, fallacieux, souvent utilisés, comme nous continuerons de le voir, en particulier pour promouvoir et justifier la colonisation (avant de s'en défendre plus tard), et au-delà, l'ensemble des pratiques injustes, discriminatoires, voire criminelles, à l'encontre des Palestiniens. 

 

Revenons maintenant au petit groupe qui  se réunit  en février 1917 au domicile du rabbin Gaster et qui  élabore une stratégie pour négocier avec les Alliés la colonisation juive en Palestine. Est présent à titre privé un personnage important, Mark Sykes (cf. accord Sykes-Picot, plus haut), qui a adhéré au sionisme en 1916 après une première rencontre avec Moses Gaster, puis celle avec un sioniste non juif, James Aratoon Malcolm (1868-?), journaliste, financier, marchand d'armes irano-anglo-arménien. Cette conversion n'est pas un évènement négligeable, car à partir de là, Sykes paraît avoir incité les gouvernants britanniques à considérer  une déclaration sioniste comme un gage de succès dans l'obtention du soutien américain dans la guerre et joua pendant l'année 1917 le rôle d'intermédiaire entre le gouvernement et les dirigeants sionistes. Lord Arthur James Balfour (1848-1930), alors secrétaire d'Etat britannique des affaires étrangères revient d'ailleurs des Etats-Unis en avril 1917 avec l'assurance du soutien américain du président Wilson sur la déclaration qui portera le nom du dirigeant britannique, soutien conforté par celui de Jules Cambon, secrétaire  général des Affaires Etrangères françaises, approuvant "la colonisation juive en Palestine"  (Lettre de Cambon à Sokolov, 4 juin 1917, The National Archives : TNAFO [Foreign Office371/3058/123458).  Le même mois, Weizmann alerte Londres sur un plan allemand, réel ou supposé de récupération du mouvement sioniste, qui n'a pas été non plus sans influence sur la décision de hâter de finaliser la Déclaration Balfour.  Certes, l'Association centrale des citoyens allemands de confession juive, la CV (Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens), créée en 1893, pourtant très assimilationniste, a cherché par opportunisme à encourager un soutien allemand à l'établissement d'un foyer national juif  (Trimbur, 2002),  mais absolument rien n'indique que l'Etat allemand lui-même s'est intéressé à cette affaire. Weizmann, n'était pas dépourvu de duplicité, donc on peut raisonnablement douter de ce fait. Il laissa entendre aux Britanniques, par exemple, que la majorité des Juifs dans le monde étant sioniste, c'est tout un pays qui applaudirait les décisions britanniques. Assertion totalement mensongère, rappelle l'historien David Fromkin (1932-2017), tout en calculant qu'en 1913, dernière date où l'on possède une mesure sur le sujet, seulement  un pour cent des Juifs du monde, environ, ont manifesté leur adhésion au sionisme (D. Fromkin, A Peace to End All Peace : Creating the Modern Middle East, 1914-1922, Penguin, London, 1991, p. 29).  

 

C'est aussi Sykes qui convertit au sionisme le député Leopold Amery (L. Charles Maurice Stennett Amery, dit Léo A., signant ses livres L.S Amery, 1873-1955, ), qui deviendra secrétaire d'Etat aux colonies, de 1924 à 1929. Amery développera à son tour ses idées du sionisme en termes stratégiques.  Il pensait que la Grande-Bretagne avait tout à gagner de la reconnaissance d'une population juive en Palestine, sans compter la diminution de l'antisémitisme qui en résulterait. Et c'est lui qui a apporté des modifications significatives au projet final de la déclaration Balfour (Alcott, The rape..., op. cité,  424. HMG reverts to Partition, voir partie II). Aux noms déjà cités, il faut ajouter ceux de Lord Alfred Milner (1854-1925), au Cabinet de guerre de Lloyd entre décembre 1916 et novembre 1918, du général Jan Christiaan Smuts (1870-1950), général boer, participant aussi au Cabinet susdit, et de Lord Robert Cecil (Edgar Algernon Robert Gascoyne-Cecil, 1864-1958 1er vicomte de Chelwood, prix nobel de la paix en 1937), qui adopteront les idées sionistes et qui exercèrent leur influence "enthousiaste et active"  (George Lloyd, Memoirs of the Peace Conference, Vol. 2,  Yale University Press, New Haven, 1939, p. 723).  On passera sur la dualité ambivalente des sentiments d'un certain nombre de dirigeants britanniques qui ont déjà été évoqués, mêlant antisémitisme et crainte de la puissance supposée du lobby  juif, voire même d'une conspiration secrète juive, capable de financer la guerre dans tel ou tel sens et qu'il fallait à tout prix amadouer. Lloyd Georges écrira plus tard qu'il fallait conclure "un contrat avec la communauté juive." (G. Lloyd,op. cité, p. 726)

 

A l'opposé de cette dynamique sioniste, deux personnages influents, le président du Jewish Board of Deputies, David Lindo Alexander, conjointement avec le rabbin et président de l’Anglo-Jewish Association, Claude Montefiore (petit-neveu de Moses Montefiore), bien au fait des négociations très avancées en vue de la Déclaration Balfour, rédigent une lettre au quotidien The Times, publiée le 17 mai 1917, dans laquelle ils affirment ne pas pouvoir soutenir le sionisme, les juifs formant pour eux une communauté religieuse et non nationale. En conséquence de quoi, ils s’opposent à la création d’« une nationalité séculière juive qui se fonderait sur un vague et obscur principe de race et de particularité ethnologique ».  Montefiore écrira ensuite un pamphlet sur le sujet, où il affirmera : "Nous savons que les sionistes s’obstinent à affirmer que les juifs, même hors de Palestine, possèdent une nationalité propre. Et nous savons à quel point les antisémites sont d’accord avec les sionistes."  (C. Montefiore, The dangers of ZIonism, "Les Dangers du sionisme", 1917 ) La semaine suivante, les désaccords entre Wolf et Weizmann finissent en controverse publique. Une lettre est envoyée le 24 mai,  au Times par  un comité conjoint formé par le Conseil des députés juifs (Jewish Board of Deputies) et l'Association Anglo-juive (Anglo-Jewish Association), qui condamne un plan sioniste jugé non seulement mauvais mais aussi dangereux, en revendiquant des droits particuliers aux Juifs dont la majorité des habitants seraient dépourvus. Le texte rejette l'idée selon laquelle les Juifs sont un peuple sans abri qui ont besoin d'un foyer en Palestine.

Seul ministre britannique à s’opposer à la Déclaration  et au projet sioniste en général, Edwin Samuel Montagu (1879-1924), ministre de l'armement en 1916, était l'unique membre juif du cabinet de David Lloyd George.  Le Mémorandum qu'il adresse alors à son gouvernement témoigne d'une vision lucide de la situation. Il lui semble, en effet, "inconcevable que le sionisme soit officiellement reconnu par le gouvernement britannique, et que M. Balfour soit autorisé à dire que la Palestine devait être reconstituée en tant que « foyer national du peuple juif ». Je ne sais pas ce que cela implique, mais je suppose que cela signifie que les Mahométans et les Chrétiens doivent faire place aux Juifs, que ces derniers doivent tous obtenir un rang de préférence et être particulièrement associés à la Palestine de la même manière que l’Angleterre l’est aux Anglais ou la France aux Français. que les Turcs et les autres Mahométans de Palestine seront considérés comme des étrangers, de la même manière que les Juifs seront désormais traités comme des étrangers dans tous les pays, sauf en Palestine. Peut-être aussi que la citoyenneté ne doit être accordée qu’à la suite d’un test religieux."  (Memorandum of Edwin Montagu on the anti-semitism of the present government, document à l'adresse du gouvernement britannique, août 1917). Jusqu' à la déclaration finale, Montagu n'a pas mâché ses efforts pour enrayer son processus, soutenu  à la dernière minute par Lord Curzon (George Nathaniel C., 1859-1925), alors au Cabinet de guerre de Lloyd George et Leader de la Chambre des Lords (House of Lords).   Curzon a alors exposé les aspects irréalistes du plan sioniste pour la Palestine, exprimant ses doutes sur des questions importantes et de bon sens. Comment les Juifs du monde entier sont-ils censés tenir dans un si petit pays ? Quel sorte d'Etat les sionistes ont-ils vraiment l'intention de créer ? Et que devait-il arriver aux populations arabes indigènes qui n’accepteraient jamais leur subordination ? interrogera  en substance l'ancien vice-roi des Indes (Lord Curzon, "The Future of Palestine", Mémorandum adressé au Cabinet, 26 octobre 1917, TNA, FO 371/3083/207407) N'allez pourtant pas croire que ces interrogations ont des fondements de justice. L'ancien vice-roi des Indes, de 1898 à 1905,  glorifiait de mille manières l'action coloniale de son pays dans le Raj britannique (Empire des Indes), par exemple comme ceci :  "Les deux derniers siècles pendant lesquels les Britanniques  étaient en Inde ne peuvent être effacés.  Ils ont profondément affecté l'entière ossature de l'existence et de la pensée nationales. Ils ont vivifié les veines atrophiées de l'Orient avec le fluide vital de l'Occident. (...) Vous ne pouvez pas vous passer de nous."  (G. Curzon, "National developpement — Convocation of Calcutta University", discours du 15 février 1902, dans "Lord Curzon in India : Being a Selection from His Speeches as Viceroy & Governor-General of India, 1898–1905, with a portrait, explanatory notes and an index and with introduction by Sir Thomas Raleigh, K.C.S.I",  p. 488-489, Londres,  Macmillan, 1906.

K.C.S.I   :  ou KCSI : Knight Commander of the Star of India 

Ces oppositions ont obligé le gouvernement à discuter et amender à différentes reprises le texte de la future Déclaration Balfour, au sein du Cabinet de Guerre, les  3 septembre, 4 et 31 octobre  1917   ("Cabinet minutes", TNA, CO [Colonial Office]  733/347/7). Les Le 4 octobre, en particulier, Amery raconte comment, une demi-heure avant la réunion, Milner lui a demandé de rédiger des clauses contribuant à répondre aux inquiétudes suscitées par la déclaration, à la fois côté pro-arabe et côté Juif, mais sans en changer la substance  (L.S Amery,  My Political Life, Vol. 2, Hutchinson, London, 1953, p. 116).   Pendant que le Cabinet de Guerre débattait de la cause sioniste, Weizmann était même logé chez un ami et contributeur de marque de la déclaration, William George Arthur Ormsby-Gore (1885-1964), 4e baron Harlech, alors secrétaire adjoint du Cabinet, avant de faire partie de la mission sioniste en Terre Sainte, de mars à août 1918, avec l'assentiment de Weizmann  (Oren Kessler, Mandate100 | ‘A Clean Cut’ for Palestine: The Peel Commission Reexamined, dans Fathom, mars 2020).            

 

Les pouvoirs de la Couronne se montreront ainsi, par diverses influences chrétiennes et sionistes, ouverts aux propositions de Weizmann et les Juifs obtiendront par la déclaration Balfour du 2 novembre 1917, un signal d'engagement  de la Grande Bretagne, sous la forme d'une très courte lettre que Lord Balfour adresse à Lord Lionel Walter Rothschild, qui avait pourtant abandonné la vie politique depuis 1910 pour consacrer la plupart de son temps à la zoologie, qui lui doit une prestigieuse collection. Mais voilà, le baron est issu d'une famille d'où sont issus les premiers hommes d'Etat à la fois britanniques et juifs : "Le baron est en effet le petit-fils de Lionel Nathan Rothschild, premier Juif siégeant comme député à la Chambre des Communes en 1858. Son père, le baron Nathaniel Rothschild (1840‑1915), député aux Communes à partir de 1865 et premier Juif non converti à entrer à la Chambre des Lords, était considéré comme le principal dirigeant du judaïsme britannique – il n’était pas favorable au sionisme même s’il avait été impressionné par la personnalité de Theodore Herzl."  (Boukara, 2017). Par ailleurs, il est très investi dans la cause sioniste, à la fois idéologiquement et comme banquier richissime et très influent.  La lettre de Balfour stipule que "le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juifet emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays."   La fin différait quelque peu de celle du brouillon de Milner, du 4 octobre, appelant à donner aux   Juifs de Palestine les mêmes droits "dont les Juifs jouissent dans les pays où ils sont pleinement satisfaits de leur nationalité présente".     

Le choix de l'expéditeur et du destinataire ne doivent rien au hasard. Nous connaissons déjà Lord Rothschild, et Lord Balfour, lui, a été élevé dans les milieux évangéliques où le peuple juif a une aura particulière. Depuis longtemps, il pensait que le christianisme avait une dette envers le peuple juif et que permettre à ce dernier de trouver pour ses membres meurtris un abri à Sion aurait donné à la Grande Bretagne l'honneur de réparer les torts qui leur avaient été faits   (cf. Blanche Dugdale, née Balfour, Arthur James Balfour, 1906-1930, Hutchinson, London, 1936, p. 159-60).  Par ailleurs, quand Balfour devint secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, à la fin de 1916, ses rencontres avec Weizmann se firent plus intenses, et il finit par informer le Cabinet ministériel de son adhésion au sionisme en mars 1917  (cf. L.S Amery, My Political Life, op. cité, p. 114). 

A propos du texte de la Déclaration Balfour, on notera que seuls les Juifs sont ici reconnus comme peuple, et non les Arabes de Palestine : On imagine alors à quel point a pu sonner creux à toute une population  "le souhait et le désir du Gouvernement de Sa Majesté que le gouvernement futur de ces régions soit fondé sur le principe du consentement des gouvernés" ("the consent of the governed", formule qui figure dans la Déclaration d'indépendance américaine de 1776. Nous avons bien vu que durant tout le processus d'élaboration de la Déclaration, les Arabes étaient complètement absents, et cela n'a rien d'étonnant.  Les Juifs sionistes n'ont jamais eu l'intention de leur demander le moindre avis sur la question, et le Cabinet de guerre britannique estimait très probablement que les Arabes palestiniens n'avaient aucun droit politique. A la conférence de San Remo, le 24 avril 1920, alors que les Français tentaient d'insérer la qualification politique des droits des "non-Juifs", dans le cadre de la protection mandataire, les Britanniques ont refusé cette suggestion, arguant du fait que les Français cherchaient, en fait, à avantager politiquement leurs communautés chrétiennes et non les musulmans. En réalité, les Britanniques semblaient craindre, après la Déclaration Balfour, de voir l'ensemble de la communauté juive mondiale se retourner contre les Alliés. 

Dans les réactions arabes, et même internationales, les termes de "foyer juif" a été compris immédiatement un peu partout comme une manière de masquer le mot "État" et ceux de "collectivités non-juives" ont semblé volontairement dénigré les communautés natives de la Palestine.  Une semaine après (9 novembre 1917),  le texte de la Déclaration Balfour paraissait dans le Times, qui titrait : "Palestine for the Jews. Official Sympathy".   La lettre de Balfour aurait pu demeurer ce qu'elle était, un vœu pieux, symbolique, formulé dans un document sans valeur juridique, sans compter que la Grande-Bretagne ne disposait pas des territoires concernés, encore sous domination ottomane. Par ailleurs, ce texte contredisait la Convention n°4 de La Haye de 1907  (et plus tard, le pacte de la SDN) qui reconnaissait aux principales communautés de l'Empire Ottoman le droit d'obtenir leur indépendance. Les autorités britanniques avaient soumis au président américain Woodrow Wilson  une première version de la déclaration, le 11 septembre et ce dernier leur avait répondu que « le moment n’est pas opportun pour une déclaration précise, autre que, peut-être, de sympathie ». Mais le 16 octobre, après en avoir lu une nouvelle version, il avait finalement donné son accord au projet sioniste  (Persyn, 2017)

"La date de la lettre est celle de la victoire décisive que l’armée britannique remporte contre les forces ottomanes à Gaza. Celle-ci survient suite à la « Grande révolte arabe » qui a considérablement facilité la défaite des Ottomans. N’ayant plus autant besoin des Arabes, la Grande-Bretagne se tourne vers les sionistes, ce qui ne peut que provoquer les protestations des nationalistes arabes à qui Londres a promis, notamment dans l’accord Hussein — MacMahon, conclu en 1915, de favoriser la mise en place d’un grand État arabe indépendant. Il n’est pas difficile d’y entrevoir la stratégie millénaire du « diviser pour régner »." (Rabkin, 2017)

Il est évident que la déclaration Balfour doit être aussi interprétée à travers le  prisme de divers intérêts du pouvoir britannique, tout particulièrement pendant la première guerre mondiale    :

"Au nombre des autres raisons qui pesèrent à un moment ou à un autre dans la balance, il faut citer le souhait de surenchérir sur la déclaration faite par la France en juin 1917 de soutenir la « renaissance de la nationalité juive » en Palestine, mais aussi la volonté de séduire les Juifs russes, dont on pensait qu’ils pourraient agir en faveur du maintien de l’effort de guerre de leur pays, ou alors l’espoir de convaincre les Juifs américains de poursuivre leur financement de l’effort de guerre.​

 

De fait, les motivations nées du fantasme de l’influence juive ne sont ainsi pas tout à fait absentes des calculs politiques du cabinet de guerre : certains de ses membres pensent qu’une déclaration de bonne volonté à l’égard du sionisme permettrait de rallier l’ensemble des Juifs – que l’on imagine dans leur grande majorité pro‑allemands – à la cause britannique, ce qui pourrait se révéler déterminant pour écourter la guerre."    (Rota, 2017).

La déclaration Balfour impulse naturellement une formidable énergie dans le camp sioniste, et marque les débuts de la troisième aliya (1917-1923), qui verra l'installation en Palestine de 37.000 immigrés juifs supplémentaires (Weinstock, 2011).  De l'autre côté de l'Atlantique, pourtant si loin de la scène palestinienne,  certains avaient déjà bien compris ce qui était en train de se jouer : "l’implantation juive en Palestine est bâtie sur la ruine des Arabes", avait déclaré Moyshè Olgin, dans les pages du quotidien yiddish Forverts ("En Avant !), à New-York, le 3 juin 1916  (cité par Weinstock, 2011).  Les craintes plusieurs fois multipliées par les Palestiniens d'un péril pour leur communauté vont en effet redoubler d'intensité devant la volonté évidente des sionistes d'occuper le pays à leur place. Dans le Jewish Chronicle du 13 décembre 1918, Israël Zangwill plaide, comme beaucoup d'autres avant lui, pour le déplacement des Arabes. Avec  cynisme et  hypocrisie, il affirme d'abord   : "La planète entière est sous l’emprise de la droite alliée qui cherche à remodeler toutes les frontières raciales et les relations internationales (...)  Ici, il n’y a pas de place pour la diplomatie secrète. Toutes les revendications et tous les intérêts doivent être clairs, prouvables et publics, et c'est à la lumière du contentement des peuples et non dans l'obscurité des intrigues diplomatiques que le partage doit être effectué."  Avant de finir par admettre que "dans certains cas, où le chaos des populations constitue une menace pour l’établissement permanent, il doit y avoir des ajustements mutuels, voire (dans les cas les plus graves) des mesures graduelles de redistribution raciale (...) Les gens parlent du déplacement des Arabes de Palestine comme d'une atrocité inimaginable, alors que la France est en ce moment en train d'expulser des milliers d'Allemands d'Alsace-Lorraine".  

Comme toujours, l'argumentation sioniste n'est pas rationnelle, et ne peut pas l'être car elle est forcée chaque fois de contredire, maquiller ou ignorer les faits pour défendre ses thèses.  Alors elle se fait sophistique, voire puérile, et dans tous les cas idéologiques :  "le chaos des populations..."  ; "expulser des milliers d'Allemands...", comme si les faits comparés étaient de même nature, ou que les exactions devenaient permises dès lors qu'un autre Etat les pratiquaient sans vergogne, ce qui ne manquait alors pas de se pratiquer à grande échelle. 

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La Grande-Bretagne trahissait là sa promesse d'un Etat indépendant faite aux Arabes deux ans plus tôt, avec la complicité de la France, qui avait donné "son assentiment de principe au projet de constitution d'une « souveraineté arabe en faveur du chérif de La Mecque »" (Cloarec,  2015).  Les instructions données par le gouvernement français au diplomate Paul Cambon, spécifient, par ailleurs, la création d'un "Etat arabe indépendant" (op. cité).  Une autre promesse, non tenue, encore, vit le jour par la "Déclaration aux sept nationalistes arabes" de juin 1918,  des Syriens qui s'étaient réfugiés au Caire après la Révolte arabe menée par Hussein entre 1916 et 1918. Elle avait été dirigée contre un Empire ottoman qui, acculé par de nombreuses forces hostiles, avait donné carte blanche au Levant à Djemal Pacha, dit Djemal "le boucher" (As-Saffah), qui déclencha une grande terreur aussi bien chez les Juifs que chez les Arabes, par des répressions, des exécutions, des déportations, conjuguées par malheur à une famine et une invasion massive de sauterelles (criquets pèlerins) qui feront des centaines de milliers de victimes  (Weinstock, 2011) Et ne parlons pas de la promesse de création d'un vaste Etat arménien, et surtout, d'un Etat kurde en Anatolie, prévu plus tard par le traité de Sèvres de 1920. 

Dans le camp arabe du Proche-Orient, c'est à dire l'écrasante majorité  de la population, Palestine y compris, la Déclaration Balfour provoqua  consternation et colère, nous le verrons, qui donna un nouvel élan aux constructions diverses d'identité nationale :

"L'unité de toute la population se retrouve  dans le refus du projet sioniste, mais les chrétiens veulent une Grande Syrie sous tutelle française, les jeunes éduqués une Syrie arabe indépendante et les notables une Palestine sous tutelle provisoire britannique (...) après l'occupation de Damas par les Français en juillet 1920, les jeunes reviennent désillusionnés en Palestine et se montrent prêts à composer avec les notables. On trouve la formule, équivalent à un compromis, au congrès de Haïfa au mois de décembre 1920 : les comités islamo-chrétiens déclarent qu'ils représentent « le peuple arabe palestinien »" (Laurens, 2008). 

Les colonisateurs  avaient sans doute renforcé involontairement  ce nationalisme, car le traité de Londres de 1840 nommait indifféremment la Palestine septentrionale : Syrie du Sud, et la diplomatie française ne distinguait pas la Syrie de la Palestine  (Porath et Torrent, 2005).   Beaucoup de liens se tissent alors entre Syriens ("Syriens du Nord") et Palestiniens ("Syriens du Sud"),  à Damas surtout, reliés en particulier par le "Club arabe"  (al-Nadi al-'Arabi, النادي العربي), dont Amin al-Husseini, le futur mufti de Jérusalem, devient président en 1918, par le "Club littéraire" (litt : "Société / Forum littéraire" : al-Muntada al-Adabi, المنتدى الأدبي), ou  encore au travers du premier journal officiellement nationaliste arabe, Suriya al-Janubiyya / Souriya al-Janoubiya ("La Syrie du Sud"), qu'Arif al-Arif publie avec l'avocat Muhammad Hasan al-Budayri, en septembre 1919, d'abord à Jérusalem, puis à Gaza, Hébron, Tulkarem, (Tulkarm, Toulkarem) en Galilée, etc., qui sera rapidement interdit par les Britanniques.  Par ailleurs, le fait qu'il y ait aussi eu des arrière-pensées coupables derrière les intentions des comités islamo-chrétiens, n'enlèvent rien à leur sentiment d'appartenance à un peuple, ni à la légitimité de leur refus d'une appropriation étrangère de leur territoire. C'est ainsi qu'ils défendent en particulier les Lieux saints et adressent des pétitions au pape pour que ceux-ci ne tombent pas dans les mains des "déicides" juifs, grief bien connu qui fait partie de toute une panoplie idéologique propre à susciter la haine  et la criminalisation des Juifs.  Beaucoup plus nombreuses sont les revendications nationalistes arabes qui "cimentent la construction d’une légitimité historique face au projet sioniste en Palestine et alimentent le débat opposant les Arabes aux sionistes sur la « palestinité » du territoire et sur les droits que l’histoire attestait. Les manuels scolaires d’histoire dévoilent la tonalité des discours du moment. Entre les deux guerres, un certain nombre de professeurs engagés, formés à l’université américaine de Beyrouth – foyer de la pensée nationaliste arabe dans les années 1920 et 1930 – ou dans les universités et écoles du Caire et d’Istanbul, ont utilisé l’histoire pour éveiller le sentiment d’unité de la communauté arabe chrétienne et musulmane face à la menace étrangère."   (Sfeir-Khayat, 2005).  

 L'Association islamo-chrétienne (AIC) est fondée fin 1918 et ses doléances, comme bon nombre des préoccupations palestiniennes à propos du sionisme, font état de la situation de manière aussi directe, réaliste, argumentée, que les propos et actions des sionistes servent entièrement à leur idéologie de puissance et de domination conquérante, que nous n'allons cesser de démontrer tout le long de cet exposé. Ainsi, l'AIC refuse "toute position privilégiée ou tous droits politiques aux Juifs qu’ils ne considèrent pas comme étant des citoyens du pays"  (Weinstock, 2011)"discute des moyens à mettre en œuvre pour résister au sionisme, contrecarrer la création de nouvelles implantations juives et empêcher l’achat de terres "  (op. cité), ou encore, affirme que la "Palestine est arabe, sa langue est l’arabe et nous souhaitons qu’il soit officiellement tenu compte de ces faits.  C’est la Grande-Bretagne qui nous a sauvés de l’oppression ottomane. Par conséquent, nous ne nous attendons pas à ce qu’elle nous livre aux griffes du sionisme" (Abdelaziz A. Ayyad, Arab Nationalism and the Palestinians, 1850-1939, PASSIA (Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs), Jérusalem, 1999, p. 76,  in Weinstock, 2011). 

 

Précisons que, du côté britannique, l'occupation militaire de la Palestine commence fin 1917 et se termine en juillet 1920, laissant la place à un gouvernement civil, britannique, toujours. Le général Edmund Allenby (1861-1936), qui commande la Force expéditionnaire en Egypte entre victorieux des troupes ottomanes dans Jérusalem le 11 décembre 1917 (de manière théâtrale, car la ville est libérée deux jours avant), et n'évoquera jamais "la Déclaration Balfour alors qu’elle constituait cependant le fondement de la prétention britannique à gouverner la Palestine. Et il faudra attendre jusqu’au 18 février 1920 pour que le sujet soit officiellement abordé par le lieutenant-général Bols, alors administrateur général du pays."  (Weinstock, 2011). Ce qui n'empêche pas la Commission sioniste, déléguée par l'Organisation sioniste et présidée par Weizmann de débarquer en Palestine en mars 1918, pour "effectuer en quelque sorte un tour du pays, à la manière d’un nouveau propriétaire prenant possession des lieux"   (op. cité). Théoriquement sous l'autorité d'Allenby, elle agit à sa guise de manière si indélicate qu'elle agace les gouverneurs militaires de Jérusalem et de Jaffa, Ronald Storrs et Pearson. "De l’avis des militaires anglais, les membres de la commission se comportent avec arrogance et indisposent inutilement la population arabe au risque de compromettre les intérêts de la puissance occupante" (Weinstock, 2011).  

 

 

 

      Destructions dans Gaza par l'armée britannique

  mars/avril 1917

source  : Rami Atwan

Palestineremembered.com

                                   

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      9 décembre 1917, le maire de Jérusalem, Hussein al-Husseini et un groupe de civils rencontrent  à 8 h du matin les sergents Sedgewick et Hurcomb, du 19e bataillon de régiment de Londres (Saint-Pancras), munis d'un drapeau blanc, pour accuser  de la reddition de la ville, abandonnée par les Turcs ottomans, et pour leur remettre les clefs  de la ville.

Library of Congress (Bibliothèque du Congrès), Washington, 

Etats-Unis

LC-DIG-ppmsca-13291-00011

                                   

 

 

 

En octobre 1918, arrive à Damas l'émir Fayçal. Le prince Fayçal (Faysal, Feyçal, Feisul...) ben Hussein al-Hachimi (1885-1933), qui deviendra le premier roi d'Irak en 1921, est le fils du Chérif  de la Mecque Sayed Hussein (Husayn) Ibn Ali (Ben Ali, 1853-1931), dernier calife sunnite.  Le 3, un gouvernement constitutionnel arabe est proclamé, ce qui suscite beaucoup d'espoir d'indépendance, et les nationalistes arabes se mettent à rêver d'une grande nation unissant la Palestine et la Syrie (Porath et Torrent, 2005). Des manifestations antisionistes suivent le premier anniversaire de la déclaration Balfour, que la Commission sioniste invite à célébrer par une parade publique le 2 novembre 1918 à Jérusalem. Ce jour-là, les bannières  brandies par les sionistes causent de l'irritation chez les Arabes et quelques escarmouches. Cinq jours après, le 7 novembre 1918, une déclaration franco-britannique est publiée en forme de promesse aux Arabes : 

"Le but que la France et le Royaume-Uni se proposent, en poursuivant en Orient la guerre déclenchée par l'ambition de l'Allemagne, est la libération complète et définitive des peuples (arabes), et l'établissement de gouvernements nationaux et d'administrations nationales qui tiendront leur autorité de l'initiative et du choix librement exercé des populations indigènes."

Chérif  :  (plur. chorfa)  : descendant de Mahomet, par extension : "noble". On parle d'un royaume chérifien, d'une famille chérifienne.

 

Les agents français en profitent  pour propager des idées antisionistes et antibritanniques en Palestine et promeuvent une union syro-palestinienne qui a déjà le vent en poupe dans la région. La partition de l'empire ottoman, entamée à la suite de la première guerre mondiale, entre 1918 et 1923, a donc entamé une période radicalement différente pour le monde, dopant de manière énergique le projet sioniste en même temps qu'il était source de grande inquiétude dans les communautés arabes de Palestine. 

 

Dès 1918, l'économiste et historien Charles Gide (1847-1932) est un des rares soutiens français au sionisme, proposant de "donner aux Juifs la Palestine libérée du joug ottoman" (C. Gide, article de la revue de l'Ecole de Nîmes, L'Émancipation, janvier 1918 ; La colonisation sioniste, Paris, Imprimerie Nationale, 1918).  Ses positions rappellent l'ambiguïté du comportement des gouvernements britanniques, rappelant que le droit des Arabes ne sont pas inférieurs à ceux des Juifs en Palestine tout en comptant sur les capitaux, la supériorité culturelle, le soutien de la diaspora et l'appui des chrétiens, pour voir se développer une puissante  communauté juive en Palestine. 

 

En février 1919, l'Organisation Sioniste soumet un projet de résolution à la Conférence de la Paix, à Versailles, et y envoie un Comité des délégations juives, dirigé par Weizmann. Elle y affirme  "les titres historiques du peuple juif sur la Palestine et le droit des Juifs à reconstituer leur foyer national en Palestine" (Al Smadi, 2012).  Se sentant des ailes pousser depuis la Déclaration Balfour, Weizmann demandera de favoriser une immigration juive  "à grande échelle"  (op. cité), de nommer un gouverneur juif en Palestine, mais revendiquera d'autres territoires "en plus de la Palestine, le Sud du Liban, le Sud-Ouest de la Syrie et tout l’Ouest du chemin de fer du Hedjaz jusqu’au golfe d’Akaba, autrement dit les châteaux d’eau de la région et les plaines fertiles à l’est du Jourdain"  (op. cité), demande rejetée à la fois par les puissances alliées, dont la France, particulièrement hostile au projet qui empiétait sur "sa zone d'influence au Levant."  (op. cité).   Weizmann s'exprima beaucoup sur le sujet à cette conférence historique. Au secrétaire d'Etat américain, Robert Lansing, qui demanda à la "délégation sioniste" (Mémorandum du Royaume Uni, cf. op. cité ci-dessous) ce que représentait pour elle l'expression "foyer national juif" (Jewish National Home, JNH), Weizmann fit une réponse diplomatique mais claire sur ses ambitions de conquête :

 

"L’organisation sioniste ne voulait pas d’un gouvernement juif autonome, mais simplement d’établir en Palestine, sous l’autorité d’une puissance mandataire, une administration qui ne serait pas nécessairement juive, ce qui permettrait d’envoyer en Palestine 70 à 80 000 Juifs par an. L’Association sioniste aurait besoin d’avoir en même temps l’autorisation de construire des écoles juives, où l’hébreu serait enseigné, et dans ce cas, il s’agirait de construire progressivement une nationalité qui serait aussi juive que la nation française était française et la nation britannique britannique. Plus tard, lorsque les Juifs formeraient la grande majorité, ils seraient mûrs pour établir un gouvernement qui répondrait à l’état de développement du pays et à leurs idéaux."

Memorandum du Royaume-Uni, Commission ad hoc sur la question palestinienne, Communication de la délégation du Royaume-Uni à l'Organisation des Nations Unies,  Point n° 12, New-York, 18 août 1947) 

Ussishkin, qui faisait partie de la délégation juive, prononça un discours à la Conférence sur le droit du peuple juif qui fit d'autant plus sensation qu'il le fit en hébreu, langue dont il fut un des grands et vigoureux promoteurs, critiquant de manière virulente l'usage du yiddish dans la communauté juive :   "Moi, fils de ces exilés, je viens à vous au nom de mon peuple démuni, vers vous qui êtes les héritiers des Romains sur le plan politique et culturel, et je vous fais ma demande.  Rectifiez l’injustice de ce vol historique, rendez-nous notre terre !"    (The Treaty of Versailles: A gathering of hope that gave way to hell on earth : "Le Traité de Versailles : un rassemblement d’espoir qui a laissé place à l’enfer sur terre", article de Colin Shindler, The Jewish Chronicle, 26 juin 2019). 

"La renaissance de l’hébreu en Erets Israël est le salon d’honneur de notre édifice, alors que les pays de l’Exil sont autant de couloirs où nous devons nous initier à notre langue avant d’entrer dans cette salle de séjour. […] Nous avons fait nôtre cette cause, qui consiste non seulement à lutter pour l’hébreu, mais aussi à mener un combat sans merci contre les langues rivales de notre hébreu. Et toute l’idéologie prétendant nous imposer une langue étrangère comme langue nationale n’est que prostitution intellectuelle."   (M. Ussishkin, La question de la prononciation, dans Œuvres complètes (en hébreu), éditions Azriel, Jérusalem, 1934). 

On notera au passage l'inanité de l'argument infondé sur le "vol historique" subi par les Juifs, pour faire valoir les demandes sionistes à la communauté internationale : primo,  l'histoire des peuples antiques n'a été pendant très longtemps qu'une longue suite d'occupations, d'appropriations de territoires de la part de toutes les nations qui ont formé des royaumes ou des empires, et secundo, des myriades de petits royaumes  comme celui d'Israël ont disparu à la suite de multiples reconfigurations historiques,  évènements qu'on ne pouvait pas faire endosser aux Arabes de Palestine, pas plus que les exils successifs imposés ou non dans l'histoire à la communauté juive, il y a plus ou moins 2000 ans. 

 

Concernant la langue hébraïque, comme  souvent dans la pensée sioniste, les prises de position révèlent une grande intolérance, un rejet viscéral des autres Juifs, encore une fois, qui vivent et pensent autrement.  Ce rejet procède d'une morale qui oppose un judaïsme pur, originel,  contre toutes les autres pratiques abâtardies de la religion mosaïque, cela a déjà été évoqué.  Ainsi, Ussishkin refusera à plusieurs reprises la demande du poète Haïm Nahman Bialik (1873-1934)  de nommer le romancier  Mendele Mokher Sefarim (1836-1917) comme membre d'honneur de l'Association des amis de la langue hébraïque, au prétexte qu'il  écrivait ses livres en yiddish.  Et quand "une chaire de yiddish sera envisagée à l’Université hébraïque de Jérusalem en 1927, il écrira qu’une véritable guerre était sur le point d’éclater et qu’une telle création signerait ni plus ni moins « l’arrêt de mort » de l’Université hébraïque."    (Bendavid, 2021). 

De leur côté, les Arabes, représentés par le prince Fayçal, refuseront de signer le traité de Versailles à cause de la déclaration Balfour. Fayçal ne défendra pas pour autant les revendications palestiniennes des comités islamo-chrétiens, qui n'ont pas été autorisés à se rendre dans la capitale française, créant ici ou là de l'amertume dans les rangs palestiniens. D'après le journal tenu par Khalil al-Sakakini , la grande majorité des notables palestiniens réunis à Jérusalem le 12 avril 1919 s'étaient accordés sur plusieurs points : seuls les Juifs qui habitaient dans le pays avant la première guerre mondiale jouiraient des mêmes droits et des mêmes devoirs que les autres Palestiniens ; le sionisme, le projet d'un Foyer national juif sont très massivement rejetés ; le territoire palestinien est appelé "Syrie du Sud" et doit faire partie d'un gouvernement arabe indépendant de Syrie ; envoi de délégués palestiniens à la conférence de Paris en plus des représentants officiels syriens, gage d'une autonomie palestinienne.  

Khalil al-Sakakini    (1878-1953), chrétien de la communauté orthodoxe, pédagogue, poète, leader du nationalisme arabe. S'il commence par être "révulsé et atterré par tant de folie humaine" (Segev, 2000) devant les évènements de Nabi Musa (cf. plus bas) , il finit par faire l'apologie de la violence et glorifier ses auteurs face aux crimes perpétrés contre des Juifs pendant les grèves sanglantes de 1936 et qualifiés d'actes glorieux  (Segev, op. cité). Sakakini, sans partager profondément les idées du nazisme, a soutenu Hitler en pensant qu'il libèrerait la Palestine des Juifs  (Segev, 1999). 

Une autre action importante de ces mois de janvier-février 1919 est celle du premier Congrès arabe palestinien, organisé par Mohamed Izzat Darwaza (1888-1984), ancien fonctionnaire de l'administration ottomane et   Aref Basha al-Dajani (1856-1930), maire de Jérusalem entre 1917 et 1918, président le la Société islamo-chrétienne de Jérusalem.  Ce Congrès, tenu entre le 27 janvier et le 10 février 1919, rédigea un texte officiel adressé par câble à la Conférence de paix de Paris demandant en particulier l'annulation de la Déclaration Balfour et le rattachement de la Palestine à une Grande Syrie. 

Le 3 janvier 1919  aurait aussi pu être une date à graver dans le marbre par un accord historique passé entre entre  Fayçal et Weizmann, sur la base de  la déclaration Balfour, augmentée de la constitution d'une "grande nation arabe"  (al-qawmiyya al-'arabiyya)  : celle-ci, on le sait,  ne verra jamais le jour.  S'il faut en croire les propos que Weizmann rapporte dans une première rencontre avec le prince du Hedjaz au Sinaï, en juin 1918, selon un de ses biographes, l'historien  anglo-israélien Norman Anthony Rose (né en 1934), la vision de Fayçal de cette grande nation arabe, n'inclut pas les Arabes palestiniens "qu'il ne considère même pas comme des Arabes".   Ce n'est pourtant pas du tout le langage que l'émir tiendra à Lord Rothschild  lors de sa venue en Grande-Bretagne : "Des personnes se considérant elles-mêmes comme civilisées m’ont raconté que les Juifs veulent faire de notre mosquée à Jérusalem un temple, et qu’ils veulent puiser et éradiquer la paysannerie de Palestine. Pour ma part, je sais qu’aucun véritable juif ne tient ces vues. Ces insinuations n’ont aucun effet sur aucun d’entre nous. Nous réclamons la liberté pour les Arabes, et nous nous montrerions bien indignes, si nous ne disions pas maintenant, comme je le fais – bienvenue chez eux aux Juifs – et si nous ne coopérions pas avec eux dans les limites d’un État arabe." (Article du Jewish Chronicle, The Emir Faisul on Relations between Jews and Arabs, 1er mars 1918).  

 

Accord Fayçal-Weizmann / 3 janvier 1919

Son Altesse Royale l’Émir Fayçal, représentant et agissant au nom du Royaume arabe du Hedjaz, et le Dr Chaïm Weizmann, représentant et agissant au nom de l’Organisation sioniste, conscients de la parenté raciale et des liens anciens existant entre les Arabes et le peuple juif, et conscients que le moyen le plus sûr de réaliser leurs aspirations nationales est une collaboration aussi étroite que possible au développement de l’État arabe et de la Palestine, et désireux de confirmer la bonne entente qui existe entre eux, sont convenus des articles suivants :

 

 

Article I

 

L’État arabe et la Palestine, dans toutes leurs relations et entreprises, seront soumis à la bonne volonté et à la compréhension les plus cordiales et, à cette fin, des agents arabes et juifs dûment accrédités seront établis et maintenus dans leurs territoires respectifs.

 

Article  II

Immédiatement après la fin des délibérations de la Conférence de paix, les frontières définitives entre l’État arabe et la Palestine seront déterminées par une Commission qui sera approuvée par les parties présentes.

 

Article III

 

Lors de l’établissement de la Constitution et de l’administration de la Palestine, toutes les mesures seront adoptées pour offrir les garanties les plus complètes pour l’exécution de la déclaration du gouvernement britannique du 2 novembre 1917.

 

Article  IV

 

Toutes les mesures nécessaires seront prises pour encourager et stimuler l’immigration des Juifs en Palestine sur une grande échelle, et aussi rapidement que possible pour installer les immigrants juifs sur la terre par une colonisation plus étroite et une culture intensive du sol. En prenant de telles mesures, les paysans et les métayers arabes seront protégés dans leurs droits et seront aidés à promouvoir leur développement économique.

 

Article V

 

Aucun règlement ni aucune loi ne pourra être fait interdisant ou interférant de quelque manière que ce soit avec le libre exercice de la religion ; De plus, le libre exercice et la jouissance de la profession religieuse et du culte, sans discrimination ni préférence, seront à jamais autorisés. Aucun test religieux ne sera jamais exigé pour l’exercice des droits civils ou politiques. 

 

Article Vl

 

Les Lieux Saints Mahométans seront sous le contrôle des Mahométans.

 

Article Vll

 

L’Organisation sioniste propose d’envoyer en Palestine une commission d’experts chargée d’étudier les possibilités économiques du pays et de faire rapport sur les meilleurs moyens de le développer. L’Organisation sioniste mettra la Commission susmentionnée à la disposition de l’État arabe afin d’étudier les possibilités économiques de l’État arabe et de faire rapport sur les meilleurs moyens de le développer. L’Organisation sioniste fera de son mieux pour aider l’État arabe à fournir les moyens de développer les ressources naturelles et les possibilités économiques de celles-ci.

 

Article VIII

 

Les parties présentes conviennent d’agir en parfait accord et en harmonie sur toutes les questions abordées dans le présent document devant le Congrès de la Paix.

 

Article IX  

 

Tout différend qui pourrait s’élever entre les parties contractantes sera soumis à l’arbitrage du gouvernement britannique.

  

Etabli sous notre seing à LONDRES, ANGLETERRE, le TROISIEME JOUR DE JANVIER MIL NEUF CENT DIX-NEUF.

 

Pourvu que les Arabes obtiennent leur indépendance, comme je l’ai demandé dans mon mémorandum daté du 4 janvier 1919 au ministère des Affaires étrangères du gouvernement de la Grande-Bretagne, je souscrirai aux articles ci-dessus. Mais si la moindre modification ou le moindre écart devait être fait, je ne serai pas lié par un seul mot du présent Accord qui sera considéré comme nul et sans signification ni validité, et je ne serai pas responsable de quelque manière que ce soit.

 

 

(signé) FAISAL IBN HUSAIN (en arabe)

 

(signé) CHAIM WEIZMANN

 

 

Fayçal rencontre la même année Kalvaryski, encore une fois pour tenter de parvenir à un accord entre Juifs et Arabes, à qui il a demandé un projet en ce sens. Et là encore, le gentil colonisateur de la Galilée poursuit la gageure de satisfaire à la fois l'appétit impérialiste juif, en conservant un foyer ouvert à une immigration juive illimitée,  tout en notant "dans le projet que le foyer national juif ne doit pas être basé sur la ruine des autres, et donc il a affirmé que la réflexion sur l’avenir du pays devait prendre en compte les Arabes. Cette proposition a échoué en raison de l’absence d’accord au sein du mouvement sioniste."  (Jacobson, 2004). L'historienne Abigaïl Jacobson, de l'Université hébraïque de Jérusalem n'hésite pas à soupçonner l'agronome d'avoir souvent soudoyé des Arabes, confortée par l'étude d'Hillel Cohen sur les collaborateurs arabes du sionisme (Cohen, 2004).  D'autre part, après "la guerre, il a également été impliqué dans le soutien aux Associations nationales musulmanes, qui ont agi contre les Associations nationales chrétiennes-musulmanes, une implication qui le rend suspect de tentatives de « diviser pour régner »" (Jacobson, 2004). 

 

Fayçal entamera aussi des négociations avec Georges Clémenceau en décembre 1919,  qui font redouter aux Britanniques une extension de l'influence française et eux-mêmes annoncent mettre en œuvre la Déclaration Balfour le 18 février 1920, un mois avant le couronnement et le règne éphémère du roi de Syrie.  La communauté palestinienne se sent alors menacée à court terme et de février à avril 1920, on assiste aux premières violences coordonnées par les organisations palestiniennes contre plusieurs membres de la communauté juive  (Porath et Torrent, 2005).  

 

Le président américain Woodrow Wilson n'avait, quant à lui,  aucunement la main sur la partition du Proche-Orient, les Etats-Unis étaient alors "puissance associée" aux puissances alliées de la Triple Entente : France, Royaume-Uni et Russie, et les deux premiers allaient bientôt redessiner les frontières du Croissant Fertile. Wilson se présentera à la Conférence de la Paix de 1919 en rappelant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce qui ne doit pas faire oublier qu'il a finalement donné son accord à la Déclaration Balfour . "C’est pour combler ce fossé entre les principes de Woodrow Wilson et leur propre cupidité que Lloyd George et Clemenceau inventent le « système des mandats ». Personne n’avait entendu parler d’un tel système auparavant. Ce concept nouveau de « mandat » est en fait un compromis entre les idéaux de Wilson en faveur de l’autodétermination des peuples et la rapacité des puissances coloniales européennes" (Daumas, 2005).

 

Cette idée de mandat va faire son chemin,  acceptée dans son principe par les grandes puissances à la conférence internationale de San Remo le 25 avril 1920, puis reprise dans le traité de Sèvres, traité de paix avec la Turquie, signé le 10 août de la même année. Confirmés par le Conseil de la Société des Nations (SDN) le 24 juillet 1922, deux mandats entreront en vigueur, l'un pour la Palestine mandataire, confiée à la Grande-Bretagne, officiellement le 29 septembre 1923, qui se terminera le 14 mai 1948, jour officiel de la création de l'Etat d'Israël, l'autre pour la Syrie mandataire,  confiée  à la France, composée de la Syrie et du Liban, où l'occupation française s'achèvera  en 1943 pour le Liban et en 1946, pour la Syrie.  C'est ainsi que la Palestine passe de l'administration militaire britannique en 1917 à une administration civile en 1920, et enfin, une administration mandataire, concrètement à compter de 1922. 

       

Une fois encore, partagé entre ses idéaux et son pragmatisme politique, le président américain nomme une commission d'enquête menée par Henry Churchill King et Charles R. Crane, d'où l'appellation connue de la Commission King-Crane, officiellement dénommée Commission inter-alliée sur les mandats en Turquie.  En 42 jours, la commission alla visiter 36 villes de la Grande Syrie, recevant 442 délégations non seulement des villes mais aussi de 1520 villages  (Reimer, 2006).  80,4 % de la population interrogée demandait l'unité de la Syrie (sans que l'on ait défini vraiment les limites de cette entité) et 73,5 % sa complète indépendance, 72,3 % affirmant leur hostilité au sionisme (op. cité), ce qui montre encore une fois qu'il n'y avait aucune ambiguïté sur ce qu'était le sionisme,  une entreprise de colonisation de la région appelée historiquement Palestine, pour y installer un nouvel Etat juif.   Le rapport de la commission King-Crane, rendu à l'automne 1919, atteste lui aussi de la stratégie coloniale sioniste : 

"Le fait est apparu à plusieurs reprises lors de la conférence de la Commission avec les représentants juifs, que les sionistes attendaient avec impatience une dépossession pratiquement complète des habitants non juifs actuels de la Palestine, par diverses formes d’achat."  

Memorandum du Royaume-Uni, op. cité, point 13, 18 août 1947) 

Hélas, l'état de santé dégradé du président Wilson, mais aussi le rejet du traité de Versailles et de retrait de la Conférence de la Paix des dirigeants américains sont autant de raisons qui expliquent le classement sans suite du rapport King-Crane au sein de l'administration étatsunienne. Quand il sera rendu public, en décembre 1922, Français et Britanniques se seront déjà répartis les différents mandats octroyés sous l'égide de la Société des Nations.  Dès l'année 1924 débute la quatrième aliya (1924-1932), qui verra l'immigration juive augmenter très significativement par rapport à la précédente,  de 86.000  personnes (Weinstock, 2011). 

mandat
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Palestine  mandataire

                 

       Carte générale

               avec

       colonies citées

                 

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       Palestine , 1843

 

         Carte générale

     de William Hughes

 

                  Cartes du peuplement de la Palestine par l'immigration juive, de 1882 à 1989.

 

 

 

 

“la Palestine sans aucune amputation ni restriction”    

 

En 1919, pendant la cinquième session du Conseil Temporaire des Juifs de Palestine, Yosef Sprinzak (1885-1959), un des fondateurs et leader d'Hapoel Hazair (H. Hatzaïr, H. Hatsair), premier parti socialiste sioniste en 1905, qui sera 1er président par intérim d'Israël et président des trois premières Knesset (parlement israélien),  affirme sans complexe à son auditoire : "Nous devons recevoir la Palestine sans aucune amputation ni restriction.  Mais il existe un nombre connu d’Arabes qui vivent en Palestine et ils recevront leur dû.  Celui qui veut travailler cultivera sa parcelle. Quiconque ne veut pas y travailler recevra une compensation et cherchera fortune dans un autre pays."  (Y. Sprinzak, Procès-verbal de la cinquième séance du Conseil temporaire des Juifs de Palestine, 11-13 Sivan 5679 (9-11 June 1919), p.134, CZA J1/8777).

Depuis que la déclaration Balfour avait paru dans la presse britannique, le 9 novembre 1917, le camp sioniste avait compris qu'il avait remporté une victoire décisive, et ses ambitions hégémoniques sur la Palestine avaient été confortées.  Dans la communauté arabe de Palestine, mais plus largement dans tout le Moyen-Orient, la Déclaration Balfour fit au contraire l'effet d'une bombe :  "il faut noter que les Arabes, Musulmans et Chrétiens, à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine, s’opposèrent vigoureusement à la Déclaration Balfour, qui, comme en témoigne cette note envoyée à Paris le 8 février 1918, « […] a produit une profonde impression parmi les Syriens (chrétiens et musulmans) d’Egypte. Cette impression fut particulièrement pénible parmi les réfugiés palestiniens… ». Ces mêmes Syriens, réunis dans le Comité syrien du Caire, envoyèrent une note de protestation au Gouvernement britannique. Nous pouvons citer aussi le Comité islamo-chrétien de Jaffa et le Congrès palestinien à Jérusalem qui insistèrent tous deux sur le caractère indivisible du peuple arabe de Palestine, majoritaire par le nombre et par la possession de terres" (Al Smadi, 2012). 

"De leur côté, les Arabes disaient : « Non contents d'être des intrus, des étrangers venus en Palestine, où nos familles sont installées depuis des générations, les Juifs servent d'instruments à la puissance étrangère occupante. En effet, si la déclaration Balfour n'avait pas été prise en considération dans le mandat sur la Palestine, si le but du mandat n'avait pas été, en premier lieu, d'établir un foyer national juif, il aurait été impossible de prolonger ce mandat plus longtemps, par exemple, que celui sur l'Irak, qui prit fin en 1930. La Palestine serait alors devenue un pays libre et souverain. Ge sont donc les Sionistes qui mettent obstacle à cette solution. Ils sont les alliés de l'occupant anglais, qui a intérêt à se maintenir dans le pays et s'y maintient grâce à eux. »" (Yeredor, 1948)

Entre 1918 et 1920,  la protestation antisioniste se développe sous diverses formes pacifiques : manifestations, pétitions, articles de presse, créations de mouvements, boycotts divers, et enfin, des grèves éclatent en février 1920 dans différentes villes, pour protester contre l'annonce faite de l'application de la Déclaration Balfour par le général Sir Louis Jean Bols (1867-1930), administrateur militaire de la Palestine. Des émeutes antijuives éclatent ensuite entre le 4 et le 7 avril 1920 dans un quartier de Jérusalem, Nebi Musa (Nabi Moussa : le prophète Moïse), lieu de pèlerinage traditionnel musulman sur la tombe présumée du prophète. Circonscrite auparavant à ce lieu, c'est dans toute la Palestine que se forment depuis quelques années des rassemblements auxquels se joignent aussi les chrétiens arabes, avec, dès 1919, de plus en plus de slogans nationalistes ("Vive l'émir Fayçal !" "Vive le roi Hussein !"), et en 1920, une bannière derrière laquelle défilent les manifestants, qui affirme "La Palestine fait partie de la Syrie" (Weinstock, 2011). Le  20  janvier les dockers arabes entament une grève générale et une manifestation antsioniste  se monte en parallèle.  En juillet, c'est le secteur commercial  qui se met en grève à la demande des leaders palestiniens et de très nombreux commerçants arabes ferment boutique. La plupart du temps, les sionistes  dénient le caractère nationaliste,  délégitiment les actions de résistance palestinienne en les mettant sur le compte  d'intérêts divers de riches palestiniens : politiciens, gros propriétaires, effendis etc.    (op. cité).   

 

Comme dans d'autres épisodes de violences qui ne vont pas tarder  à survenir, la foule est excitée, chauffée par les discours enflammés des leaders, en l'occurrence le maire de Jérusalem Musa Kazem al-Husseini (Moussa Kazim, Qazem al-Husayni., 1853-1934) et son neveu Amin al-Husseini, qui finira comme quelques leaders arabes par défendre les thèses antisémites hitlériennes et sombrer dans une étroite collaboration avec les nazis, ou encore Arif al-Arif, ces deux derniers ayant œuvré ensemble à promouvoir le gouvernement hachémite de  Fayçal pendant la consultation de King-Crane, en 1919. 

 

Les émeutes de Nebi Musa causeront une dizaine de morts chez les Juifs, deux centaines de blessés, certains grièvement, deux viols, aussi  (Segev, 2001 ; Morris, 1999). Certains historiens s'appuient sur un certain nombre de faits pour avancer qu'il y a eu complicité de la part d'officiers britanniques dans les émeutes, pour attiser le conflit selon l'antique méthode de "diviser pour mieux régner" ou encore pour soutenir les Arabes, tels Bols ou le colonel Bertie Waters-Taylor , chef d'état-major d'Allenby, qui, le 20 janvier, encourage Fayçal à revendiquer la Syrie entière.  D'autres indices sont suspectés, et les croix  dessinées sur les maisons des commerçants chrétiens qui devaient être distinguées de celles des Juifs, comme l'apathie des forces militaires face au désordre, sont autant de faits qui interrogent. 

la palestine sans...

collaboration avec les nazis  Des sympathies, des connivences, voire des complicités idéologiques ou de circonstances  sont attestées entre représentants nazis du IIIe Reich et certains dirigeants politiques arabes. Le cas le plus emblématique de Palestine est celui du Mufti de Jérusalem, Amine el-Hussein, dont la poignée de mains du 30 novembre 1941 avec Hitler a été immortalisée par une photographie reproduite un peu partout dans les articles sur le sujet, diffusion propice, aussi à son instrumentalisation. Le sujet des nazis reconvertis dans le monde arabe est bien réel mais concerne au premier plan l'Egypte, et dans une moindre mesure la Syrie, (cf. le film documentaire de Géraldine Schwarz, Exil nazi, la promesse de l'Orient, 2014). D"autre part, nous avons vu ailleurs que l'Orient ne détient pas l'exclusivité de cette sombre collusion, loin de là, massivement présente aux Etats-Unis après guerre, en particulier, mais aussi dans différents pays d'Europe... dont l'Allemagne. 

 

Le panislamiste et sympathisant fasciste Chakib Arslan (1889-1946) est un druze du Liban, le théologien Rachid Rida  (1865-1935), d'abord dreyfusard avant de devenir très antisémite, est un intellectuel syrien. Le Club Al Muthanna, à la fois antijuif, et anticommuniste, est créé en 1935 en Irak. .L'ultranationaliste Rachid AL Gaylani est aussi irakien, il se réfugiera à Berlin après le terrible pogrom contre les Juifs de Bagdad, appelé Farhüd, qui fit 180 morts et blessés. 

"Largement discrédité dans le monde arabe, sinon en Palestine, avant même son exil européen, Al-Husseini rencontra si peu d’écho que, malgré toutes ses exhortations à rejoindre les troupes de l’Axe, seuls 6 300 soldats originaires de pays arabes, selon les calculs d’un historien militaire américain, « passèrent par les différentes organisations militaires allemandes », dont 1 300 originaires de Palestine, de Syrie et d’Irak, le reste en provenance d’Afrique du Nord. Ces chiffres doivent être comparés aux 9 000 soldats arabes de la seule Palestine engagés dans l’armée britannique et aux 250 000 Maghrébins qui combattirent dans les rangs de l’armée française de la libération et fournirent la majeure partie de ses morts et blessés."  (Gilbert Achcar, Dans la guerre de propagande d'Israël, Inusable grand mufti de Jérusalem, Le Monde Diplomatique, mai 2010, p. 23). 

Al-Husseini est fanatiquement anti-juif, et il ne doit pas idéologiquement occulter tous les nationalistes arabes (y compris al-Husseini) dont nous avons parlé, qui se sont battus ou continuent de se battre pour une cause qui, au nom du droit des peuples, est légitime. Le chercheur allemand René Wildangel a dépouillé minutieusement la presse arabe de 1930 à 1940 et a constaté que les critiques parfois virulentes du national-socialisme ne sont pas rares, en particulier dans Filastin ou l"hebdomadaire Al Akhbâr (René Wildangen,  Zwischen Achse Und Mandatsmacht: Palästina Und Der Nationalsozialismus, Berlin, 2007 ; Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, Editions Actes(Sud, 2009). 

 

Les Israéliens, depuis 1945, ont régulièrement instrumentalisé le cas Husseini, demandant, sans succès, qu'il soit déféré devant le tribunal international de Nuremberg, comme un rouage nazi (Achcar, op. cité). Netanyahou, reprenant de vieilles lanternes, est même allé jusqu'à faire du Mufti "un des architectes clefs" de la solution finale, ce qui lui a valu un rappel à l'ordre de l'historienne en chef du mémorial Yad Vashem elle-même, Dina Porat. (Top Analyses and Opinion About Natanyahu's Controversial Claims About Hitler and the Mufti, Haaretz, 22 octobre 2015).  Et ne parlons pas de toutes les occasions où les dirigeants israéliens on traité diverses personnes ou se sont traités eux-mêmes de "nazis", dans des contextes qui n'ont rien à voir avec l'horreur que cette interpellation doit susciter : cf. exemples dans Motivations et paradoxes de la référence au « nazi » dans le discours israélien, article de Sylvain Cypel, Orient XXI du 3 novembre 2015

 

 

 

De manière diamétralement opposée à un récit simplificateur, nous voyons bien qu'en retraçant minutieusement les faits, nous nous rendons ici que, contrairement à des pogroms de nature profondément raciste, antisémite, comme dans la Russie tsariste (cf. La question juive), il y a eu pendant de longues années, hormis quelques frictions entre communautés) un très long chapelet de doléances, de protestations, de délégations arabes pacifiques, contre le refus de la colonisation sioniste (quel pays aime être colonisé ?), largement ignorées mais surtout bafouées par les colonisateurs européens eux-mêmes qui n'auront de cesse de diviser, attiser les dissensions, et finalement les haines en trahissant les promesses faites aux Palestiniens par de hauts dignitaires européens, en donnant de manière idéologique et totalement injuste le droit aux Juifs de recréer un Etat en Palestine au mépris des habitants natifs du pays. Plus de cent ans plus tard, dans des conditions bien plus dramatiques, le désespoir et la haine accumulés pendant des dizaines d'années d'humiliations, d'injustices, de crimes subis par les Palestiniens, ont ouvert la voie à de terribles actes de vengeance le 7 octobre 2023, par la main du groupe armé Hamas. Et encore une fois, l'Etat d'Israël n'a rien fait pour répondre aux revendications légitimes des Palestiniens, il au contraire répandu un déluge de feu qui ne peut que renforcer des désirs de vengeance et de crimes. Déjà, en 1920, le gouvernement de Grande Bretagne répondait aux Arabes par le mépris en remplaçant, le 1er juillet 1920, le général Sir Louis Jean Bols (1867-1930), haut commissaire et administrateur militaire de la Palestine, par le Juif  Herbert Samuel (jusqu'au 30 juin 1925), qui, nous l'avons vu, a fait résonner le sionisme au cœur même du pouvoir de la Couronne. Les Arabes ne voulaient pas que les Juifs forment un Etat en Palestine, alors on leur envoyait un Israélite pour diriger  le pays :  ce n'était pas arrivé depuis la révolte de Simon Bar Kochba en 132. Inutile de dire que beaucoup d'habitants ont considéré cette nomination comme une provocation révoltante.  En réaction, l'association islamo-chrétienne adressa pourtant un télégramme au général Bols  d'une politesse exemplaire : 

"Samuel Sir Herbert est considéré comme un dirigeant sioniste, et sa nomination comme la première étape dans la formation de la maison nationale sioniste au milieu des peuples arabes contraires à leurs souhaits. Les gens ne parviennent pas à le reconnaître et l'Association islamo-chrétienne ne peut pas assumer la responsabilité de émeutes ou d'autres troubles de la paix"

Pour la petite histoire, précisons que, pour ses bons et loyaux services auprès de la Couronne, Samuel sera fait, le 8 juin 1937,  1er Vicomte Samuel du Mont Carmel (en Palestine) et de Toxteh (à Liverpool) !  

Les autorités militaires britanniques ayant interdit tout rassemblement politique suite à la Conférence de San Remo, le 2e Congrès arabe palestinien a dû se tenir en secret, le 31 mai 1920, à Haïfa, et fit l'objet d'une proclamation publique de protestation contre l'introduction de la Déclaration Balfour dans le texte légiférant le mandat britannique  (Pappé, 2010).  Un 3e Congrès, tenu à la fin de la même année, le 4 décembre 1920, rappellera les engagements de Mac-Mahon envers Hussein, refusera le principe d'une nation et d'une immigration juives en Palestine, ou encore la reconnaissance de l'Organisation sioniste mondiale, et demandera l'établissement d'un gouvernement représentatif arabe en Palestine  (Pappé, 2010).  

 

Le mouvement de rejet du sionisme en Palestine était devenu national, et la très grande majorité des sionistes, au lieu de reconnaître l'insoutenabilité de leur projet en l'état, et chercher une solution viable en concertation avec les Britanniques, ont continué de se montrer aveugles et sourds  aux aspirations générales de la population arabe de Palestine. Au mois d'avril 1920, plus de 2000 Bédouins du Hauran, armés, avaient même conduit un assaut contre une troupe militaire britannique à Zemah, suivant un plan des nationalistes palestiniens retranchés à Damas, qui avaient compté, en vain, susciter un soulèvement général du pays   : "l’aveuglement manifesté par les dirigeants sionistes au sujet de cette position quasiment unanime des Arabes palestiniens est proprement confondant. Généralement ils niaient carrément – et contre toute évidence – la réalité de ce rejet et taxaient le mouvement nationaliste arabe de création artificielle manipulée par les chefs « féodaux » hostiles au progrès ; ou bien encore ils lui déniaient toute légitimité."  (Weinstock, 2011).

Il y a incontestablement dans la Palestine de l'époque une culture arabe encore très marquée, par exemple, par des mentalités claniques associées à une importante hiérarchisation sociale, mais ces éléments ont été instrumentalisés, en effet, par les sionistes, pour invisibiliser une fois de plus la lutte d'indépendance arabe contre une colonisation étrangère. Des évènements survenus au cours du premier trimestre 1920 en sont une bonne illustration. Plusieurs colonies juives kvousoth s'étaient installées dans une espèce de no man's land tout au nord de la Galilée appelé "doigt de Galilée",  à Tel-Haï, Kfar-Guiladi (K-Giladi),  Metoullah (Metoula) et Hamrah. C'est un territoire abandonné par les Anglais la même année, proche de zones d'occupation française au Liban, et où sévissent des bandes armées paysannes appelées isabat.  Trop souvent dépeints comme de sauvages brigands de grands chemins, ce sont en fait des formations proto-militaires, organisées, encadrées, formées et armées. Certes, ces "bandes armées sont financées et organisées dans le cadre de hiérarchies de notables, et le recrutement fonctionne selon des liens traditionnels de clientélisme",  (Flateau, 2016) mais elles sont animées par des buts politiques  : 

"Les Français sont convaincus que ces forces ne mènent pas une guerre privée mais ont une vocation nettement politique. Le simple désir de pillage ne suffit pas à expliquer leur action. Parfois, elles « s’abattent à l’improviste sur les campagnes, pillent les villages et coupent les communications », mais elles ne pratiquent pas une économie du pillage systématique et indifférenciée. En témoigne par exemple l’attaque d’Antioche, menée le 12 mars 1920 par une bande de chérifiens. Aucun acte de pillage ne se produit dans les quartiers de la ville où les troupes ont pénétré, mais les fonctionnaires sont sommés de démissionner. Pour les militaires français, il est clair que l’objectif de l’organisation ennemie, à la fois turque et chérifienne, est national. Il s’agit de faire régner dans toute la région nord de la Syrie un état d’insécurité ; d’entretenir les sentiments irrédentistes de la population turque ; de favoriser la résistance de la population contre l’établissement du système administratif mandataire." (op. cité)

 

Le 12 décembre 1919, un habitant de la colonie juive de Tel-Haï est tué, puis un autre en février 1920. Par qui ?  Très probablement par de vrais brigands, cette fois, car plusieurs villages arabes ont aussi été attaqués  (Morris, 1999). Ce qui ne change rien à la peur causée aux villageois dont certains se replient.  En 1920, Yosef (Yossef Joseph)  Trumpeldor est missionné  par Hashomer en Galilée, pour protéger les colonies agricoles de  la région. Fils de militaire, légionnaire juif, Trumpeldor est fondateur avec Jabotinsky, d'une milice juive ("le corps des muletiers de Sion"), puis en 1917, de la "Légion juive", en réalité "38e bataillon de fusiliers de sa Majesté",  toutes deux sous le commandement général des armées britanniques.  En 1918, il rejoint le mouvement He-Halutz (HeHalutz, HeChalutz, הֶחָלוּץ : "le pionnier") fondé par  Eliezer Joffe en 1905, aux Etats-Unis, afin d'encourager et d'aider  un peu partout dans le monde de jeunes ḥalutzim  à s'installer en Palestine, où ce dernier fonde l'association Ha-Ikkar ha-Ẓa’ir ("Jeune agriculteur") à Woodbine, dans le New Jersey, dont les membres étaient étudiants dans une école d'agriculture (Eliezer Lipa Joffe, entrée de l'Encyclopaedia Judaica, 1971-1994). Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres déjà cités montrant à quel point le mouvement sioniste a grandement bénéficié de l'installation de sa diaspora conquérante dans les pays économiquement développés. ​

 

En février-mars, Ben Gourion et Trumpeldor défendent et reprennent certains villages occupés  de Galilée, mais la trentaine de défenseurs sont obligés de céder face aux attaques de centaines de... Bédouins, dit-on, mais Hellprin (1977) et Frankel (1986) ont montré que l'identité de l'ennemi à cette époque était encore ambiguë pour les Juifs et qu'on utilisait "de façon interchangeable les termes "bédouins", "voleurs" et "Arabes".  Par ailleurs, ce sont des officiers  à cheval qui dirigent les opérations et prétendent que les Juifs aident les Français, ce qui tend  à montrer encore un environnement politique, et non une attaque sauvage, selon les sources juives les plus fiables, qui évoquent aussi la fouille d'une maison  réclamée par ces officiers, mais aussi  l'ordre de tirer donné par Trumpeldor, causant des ripostes meurtrières en tout sens  (cf. Joseph  Trumpeldor, Le Monde Juif  n° 18, 1949 | 4, pp. 11-12).   "Le Lion" de Tel-Haï blessé à mort, mourra en prononçant ces mots : "Il est bon de mourir pour son pays", et connaîtra au fur et  à mesure une postérité héroïque chez les sionistes (et une mythologie variée selon les sensibilités), et plus tard dans l'histoire israélienne,  toute auréolée de l'idéologie sioniste :  

"Il est le symbole du Juif nouveau. C’est le premier Juif à mourir pour son pays. Il est donc légendaire (...) Il nous montre aussi que nos différences, apparemment contradictoires doivent être rassemblées pour ne former qu’un seul peuple. Un peuple complexe, hétérogène mais uni…" (Ashkenazes francophones, 28 mars 2021). 

Pourtant, les dirigeants sionistes eux-mêmes savent parfaitement le bien-fondé de la réaction des Arabes autochtones s'opposant à des étrangers envahisseurs, qui cherchent à coloniser et conquérir leurs terres, ils l'ont admis à différentes reprises, et en 1923,  Jabotinsky n'en fait pas mystère non plus,  dans un article  paru le 4 novembre 1923 dans le principal journal sioniste d'expression russe, l'hebdomadaire L'Aube (Рассвет : Rassvet, Razsviet, Rassvyet), n° 42/43, édité alors à Berlin et dirigé de fait par Jabotinsky, son rédacteur principal. Son titre, О железной стене  ("A propos du mur [ou muraille] de fer"), deviendra célèbre, car cette "muraille de fer", (Iron wall), désignera plus tard, nous le verrons, une des nombreuses stratégies de la colonisation juive en Palestine.  En désaccord avec l'Organisation mondiale sioniste, dont il veut réviser la philosophie, Jabotinsky  s'en sépare la même année et créera en 1925 l'Alliance sioniste révisionniste. Dans La Muraille de Fer, l'auteur montre bien comment, en balayant rapidement ses arguties pacifistes, il n'entend aucunement négocier avec les Arabes la domination juive en Palestine, tout en ne manquant pas, comme beaucoup de dirigeants sionistes et britanniques, d'afficher son mépris pour la culture arabe :

"L’auteur de ces lignes est considéré comme un ennemi des Arabes, un partisan du déplacement, etc. Ce n’est pas vrai. Mon attitude émotionnelle envers les Arabes est la même qu’envers tous les autres peuples : une indifférence polie. Mon attitude politique se définit par deux principes. En premier lieu, le déplacement des Arabes de Palestine, sous quelque forme que ce soit, est absolument impossible ; il y aura toujours deux peuples en Palestine. Deuxièmement, je suis fier d’appartenir au groupe qui a élaboré le programme Helsingfors. Nous ne l’avons pas formulée seulement pour les Juifs, mais pour tous les peuples ; Et sa base, c’est l’égalité des nations. Comme tout le monde, je suis prêt à jurer pour nous et nos descendants que nous ne violerons jamais cette égalité et que nous ne tenterons pas d’évincer ou d’opprimer. Credo qui, comme le lecteur peut le voir, est assez paisible. Mais sur un tout autre plan se pose la question de savoir si des plans pacifiques peuvent être réalisés par des moyens pacifiques. Car cela ne dépend pas de notre attitude envers les Arabes, mais uniquement de l’attitude des Arabes envers le sionisme.

(...)

Une réconciliation volontaire entre les Arabes palestiniens et nous est hors de question, que ce soit maintenant ou dans un avenir prévisible. J’exprime cette conviction d’une manière si forte, non pas parce que j’aime à attrister les braves gens, mais simplement parce qu’ils n'en seront pas bouleversés : A l’exception de ceux qui sont nés aveugles, ils ont depuis longtemps compris l’impossibilité absolue d’obtenir le consentement volontaire des Arabes de Palestine à la transformation de cette même Palestine d’un pays arabe en un pays à majorité juive.

(...)

Toutes les populations indigènes du monde résistent aux colons tant qu’elles ont le moindre espoir de pouvoir se débarrasser du danger d’être colonisées. C’est ce que font les Arabes de Palestine, et ce qu’ils persisteront à faire tant qu’il leur restera une seule étincelle d’espoir qu’ils seront en mesure d’empêcher la transformation de la « Palestine » en « Terre d’Israël »."

(...)

On dit que les Arabes sont souvent corrompus, mais il ne s’ensuit pas que l’arabisme palestinien dans son ensemble soit capable de vendre son patriotisme jaloux, que même les Papous n’ont pas vendu. Chaque nation se bat contre les colonisateurs tant qu’il y a ne serait-ce qu’une étincelle d’espoir pour se débarrasser du danger de la colonisation. C’est ce que font les Arabes palestiniens, et les Arabes palestiniens aussi, tant qu’il y aura une étincelle d’espoir.

(...)

Chaque lecteur a une idée générale de l’histoire de la colonisation d’autres pays. Je lui suggère de se souvenir de tous les exemples connus ; Et qu’il essaie, après avoir parcouru toute la liste, de trouver au moins un cas où la colonisation a eu lieu avec le consentement des indigènes. Il n’y a pas eu de cas de ce genre. Les indigènes, qu’ils soient cultivés ou incultes, ont toujours lutté avec opiniâtreté contre les colonisateurs. Dans le même temps, le modus operandi du colonisateur n’a pas affecté l’attitude de l’indigène à son égard. Les compagnons de Cortés et de Pizarro, ou, disons, nos ancêtres au temps de Josué, se comportaient comme des brigands ; mais les « Pères errants » anglais et écossais, les premiers véritables pionniers de l’Amérique du Nord, étaient des hommes d’une grande élévation morale, qui ne voulaient pas offenser les Peaux-Rouges, et croyaient sincèrement qu’il y avait assez de place dans la Prairie pour les Blancs et les Rouges. Mais l’indigène s’est battu avec la même férocité contre les colonisateurs, qu'ils fussent mauvais ou bons. 

(...)

Les conciliateurs parmi nous essaient de nous persuader que les Arabes sont soit des imbéciles qui peuvent être trompés par une formulation diplomatique de nos véritables objectifs, soit une tribu corrompue qui nous cédera sa primauté en Palestine pour des avantages culturels et économiques. Je refuse d’accepter ce point de vue des Arabes palestiniens. Culturellement, ils ont 500 ans de retard sur nous, spirituellement ils n’ont ni notre endurance ni notre volonté ; Mais c’est là toute la différence intérieure. Ce sont des psychologues tout aussi subtils et fidèles que nous et élevés dans des siècles de ruse : peu importe ce que nous leur disons, ils comprennent la profondeur de notre âme aussi bien que nous comprenons la profondeur de la leur. Et ils considèrent la Palestine avec au moins le même amour naturel et la même jalousie viscérale que les Aztèques possédaient pour leur Mexique, ou les Sioux pour leurs prairies. 

(...)

La question n’est pas de savoir si nous utilisons des mots herzliens ou samueliens pour expliquer nos efforts colonialistes. La colonisation elle-même porte sa propre explication, la seule, inaliénable et compréhensible pour tout Juif ou tout Arabe en bonne santé. La colonisation ne peut avoir qu’un seul but ; Pour les Arabes palestiniens, cet objectif est inacceptable ; Tout cela est dans la nature des choses, et il est impossible d'en changer la nature.

(...)

Notre colonisation doit s’arrêter ou se poursuivre contre la volonté de la population indigène. Par conséquent, il ne peut continuer et se développer que sous la protection d’une force qui ne dépend pas de la population locale, un mur de fer que la population locale est incapable de franchir. C’est là tout l’enjeu, tel que de notre politique arabe  « devrait être » et qui est déjà de fait réellement, peu importe à quel point nous sommes hypocrites. Quel est l’objectif de la Déclaration Balfour ? À quoi sert le mandat ? Leur signification pour nous est qu’une puissance extérieure a entrepris de créer dans le pays des conditions de gouvernement et de protection telles que la population locale, quel que soit son désir, serait privée de la possibilité d’interférer administrativement ou physiquement avec notre colonisation. Et nous tous, sans exception, exhortons chaque jour cette force extérieure à remplir son rôle avec fermeté et sans indulgence. (...) Mais en même temps, pour une raison quelconque, nous gâchons nous-mêmes notre travail en parlant d'accord, suggérant à la Puissance mandataire qu’il ne s’agit pas d’un mur de fer, mais de pourparlers de plus en plus nombreux. Cette déclaration ruine notre cause ; Par conséquent, le discréditer, montrer à la fois sa fantaisie et son manque de sincérité, n’est pas seulement un plaisir, mais aussi un devoir.

(...)

La question n’est pas réglée, j’y reviendrai dans le prochain article. Mais je pense qu’il est nécessaire de faire ici deux brèves remarques.

En premier lieu, au reproche éculé selon lequel le point de vue ci-dessus est contraire à l’éthique, je réponds : ce n’est pas vrai. De deux choses l’une : soit le sionisme est moral, soit il ne l’est pas. Nous avons dû résoudre ce problème par nous-mêmes avant de prendre le premier shekel, et nous avons décidé positivement. Et si le sionisme est moral, c’est-à-dire juste, alors la justice doit être appliquée, indépendamment du consentement ou du désaccord de quiconque. Et si A, B ou C veulent empêcher la réalisation de la justice par la force, parce qu’ils la trouvent désavantageuse pour eux-mêmes, alors ils doivent être empêchés de le faire, encore une fois par la force. C’est une question d’éthique ; Il n’y a pas d’autre éthique."

Zeev Jabotinsky,  "La muraille de fer", op. cité, traduction basée sur la version originale russe :   О железной стене.

Le texte, en grande partie limpide, éclaire encore un peu plus la mentalité sioniste, faite de prédation décomplexée, reconnaissant que le sentiment arabe d'agression, de dépossession, est parfaitement compréhensible chez les Palestiniens comme chez tous les peuples colonisés. Cette sincérité, cette part de vérité oblige Jabotinsky, quand il vient enfin, se placer  sur le terrain de la justice, à recourir comme tous les sionistes sont obligés de le faire, cela a été dit,  à des artifices rhétoriques indigents et fallacieux. Au tout début de son texte, d'abord, quand il prétend respecter l'égalité des nations et se défend de toute oppression tout en se contredisant ensuite tout du long, en montrant le vrai visage de la colonisation juive en Palestine, celle de la domination sans partage des forts sur les faibles. A la fin de son texte, ensuite, quand il conclut que les sionistes font œuvre de justice, alors qu'il a en grande partie démontré le contraire tout au long de son exposé. 

 

Et le saviez-vous ? Son secrétaire s'appelait Bentsion Netanyahou, le père du sinistre président actuel de l'Etat d'Israël, Benyamin Netanyahou. Un mois plus tard, en décembre 1923, Jabotinsky fondait le Betar (Beitar),  à Riga, en Lettonie, en référence au dernier combattant juif de la révolte de Bar Kokhba en 136. Le but était d'inculquer les idéaux nationalistes aux jeunes Juifs et les former à l'action militaire. Plus tard, Ben-Gourion lui-même, autre grand héros sioniste, sera un des très rares dirigeants juifs à s'exprimer sincèrement sur la question,  qui plus est à deux reprises au moins, et confirme sans la moindre ambiguïté l'insoutenabilité rationnelle et morale de l'entreprise sioniste :  

"Un Etat juif partiel n’est pas une fin, mais seulement un début ; je suis certain que nous ne pourrons pas être empêchés de coloniser d’autres parties du pays et de la région …. Nous et eux (les Palestiniens) nous voulons la même chose, nos voulons tous les deux la Palestine. Et c’est le conflit fondamental. …. Ne nous racontons pas d’histoire….. Quand nous disons que les Arabes sont les agresseurs et que nous nous défendons, ce n'est qu'à moitié vrai. En termes de sécurité et de vie quotidienne, certes, nous nous défendons. Mais, (...) en termes politiques, nous sommes les agresseurs, et eux se défendent. (...)  C’est leur pays parce qu’ils y habitent, alors que nous voulons venir ici et coloniser, et de leur point de vue, nous voulons nous emparer de leur pays."

 

D. Ben Gourion, Discours devant le Mapai Political Committee, le 7 juin 1938, cité par l'historien israélien Simha Flapan (1911-1987), dans "Zionism and the Palestinians", Croom and Helm, Londres, 1979, p. 141-142 ; cité aussi par Noam Chomsky dans "Fateful Triangle, The United States, Israel and the Palestinians", South End Press, 1983, p. 91-92. 

 

"« Je ne comprends pas ton optimisme », me déclara Ben Gourion. « Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays. Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais, pour l’instant, il n’y a aucune chance. Alors, c’est simple : nous devons rester forts, avoir une armée puissante. Toute la politique est là. Autrement, les Arabes nous détruiront. » J’étais bouleversé par ce pessimisme, mais il poursuivit : « J’aurai bientôt soixante-dix ans. Eh bien, Nahum, me demanderais-tu si je mourrai et si je serai enterré dans un État juif que je te répondrais oui : dans dix ans, dans quinze ans, je crois qu’il y aura encore un État juif. Mais si tu me demandes si mon fils Amos, qui aura cinquante ans à la fin de l’année, a des chances de mourir et d’être enterré dans un Etat juif, je te répondrais : cinquante pour cent. » Mais enfin, l’interrompis-je, comment peux-tu dormir avec l’idée d’une telle perspective tout en étant Premier ministre d’Israël ? « Qui te dit que je dors ? » répondit-il simplement.

 

Nahum Goldmann, Le Paradoxe Juif, Conversations en français avec Léon Abramowicz, p. 121, Edition Stock, 1976. 

Abba Ahimeir   :  D'origine biélorusse, il émigre une première fois en Palestine à 14 ans, conduit par sa soeur aînée, Bluma, déjà fervents sionistes tous les deux. Il fréquente deux ans le lycée de Tel Aviv puis revient en Russie voir ses parents sans pouvoir retourner ensuite en Palestine à cause de la première guerre mondiale. De jeune sympathisant socialiste, il prend le communisme en horreur pendant la guerre civile en Russie et choisira plus tard de prendre le nom d'Abhimeir en souvenir de son frère Meir, décédé dans les rangs de l'Armée Rouge. Il fuit le pays et étudie à Liège puis à Vienne, où il obtient un doctorat de philosophie en 1924 et émigre de nouveau en Israël, où il exerce comme bibliothécaire, ouvrier, puis enseignant dans diverses structures sionistes. Il s'intègre au HaPoel HaTzair et écrit beaucoup d'articles de presse dans les journaux de gauche dont un certain nombre sont refusés pour ses positions nationalistes ou extrêmistes. En 1926, il écrit sans le publier Le Livre des sicaires sorte d'apologie du terrorisme individuel, qu'il dédie à Fanny Kaplan, qui avait tenté d'assassiner Lénine, et Charlotte Corday, qui a assassiné Marat.    

 

En 1928, il rejoint le mouvement révisionniste de Jabotinsky, fonde en 1930 L'Alliance des voyous, sous-entendu des guerriers contre l'occupation britannique, et commence de sympathiser avec le fascisme, dont il est clair d'après ses écrits qu'il adoptera un certain nombre de principes (Bergamin, 2016). Il crée alors une faction secrète en marge du parti, Brit Ha'Birionim, qui s'arme en vue de futurs attentats. Il travaille pour Doar Hayom et crée la rubrique "Diary of a Fascist" ("Journal d'un Fachiste"),analyse de ses propres écrits sur la question.

"Aujourd’hui, j’ai vu – enfin – une photo de fascistes sur la couverture d’un hebdomadaire illustré (...) sur la photo  (...) on voit les fascistes vêtus de chemises noires, bras droit tendu, pas de chapeau couvrant leurs cheveux noirs. Certaines jeunes filles sont tombées amoureuses de ces jeunes, de leur rapide démarche et de leurs yeux brillants. Est-il possible de ne pas tomber amoureux de jeunes en chemises, noires, de leurs yeux brillants d'une abondance de foi en ces moments déterminants, de leurs bras droits levés à leurs côtés ? Comment les filles pourraient-elles ne pas alors tomber amoureuses ?"

Abba Ahimeir, "Rayonot Bodedim al HaFashizm", HaToren, août 1923, p. 150 

"Il n'y a rien de surprenant qu'il  [Mussolini] aspire à transférer ces Allemands tyroliens du nord de l'Italie jusqu'en Calabre au sud, et à déplacer des Italiens de Calabre pour les installer au Tyrol",  note Ahimeir dans Tirol HaDromit (‘Tyrol du Sud"), dans HaAretz, 13 décembre 1927, ce qu démentira ensuite le comité de rédaction du journal. 

 

"En 1928, le Partito Natzionale Fascista comptait environ 2 500 membres juifs (sur une population juive totale d'environ 45 000 en Italie), un chiffre qui avait triplé en 1933.  Comme Michael E. Ledeen le note : « Trois des "martyrs fascistes" étaient juifs, tout comme […] deux des plus importants "sansepolcristi", ces fascistes de la première heure. Au fil du temps, la participation juive à l'État fasciste a continué à être très active depuis les plus hauts échelons de l'armée et de la marine jusqu'au ministère des Finances. »"  (Bergamin, 2016, citation de Michael Arthur Ledeen, "The Evolution of Italian Fascist Antisemitism", Jewish Social Studies, Vol. 37, No. 1, 1975). 

 

 

Au début 1933 Ahimeir déclarera dans Hazit Ha’am qu’il y a du bon en Hitler, à savoir la « chair anti-marxiste ». Jabotinsky en est irrité mais ne rompt pas avec lui. La même année, Jabotinsky le défendra avec force quand il sera mis en cause dans l'assassinat Arlozorof, une affaire qui entraînera la fin des Birionim

Avec, entre autres, le poète Uri Zvi Greeberg (1896-1981), né dans le royaume de Galicie et de Lodomérie, ou l'écrivain Yehoshua Yevin (1891-1970), né en territoire ukrainien, il faisait partie de ce qu'on nommera la branche maximaliste du mouvement révisionniste. Greenberg parlera ainsi du sionisme le 8 août1923 dans la revue hebdomadaire Haolam (ha'Olam) : "Le sionisme ne sera pas sauvé tant qu’il n’aura pas atteint le niveau d’un mouvement fondamentalement guerrier, tant qu’il n’aura pas choisi le droit d’être dominant, même sans parti ou diplomatie.".  Arrêté et emprisonné à différentes reprises par les Britanniques. Il co-édite  Le Front du peuple  (1932-1934), qui passe pour un socle idéologique important des organisations clandestines, comme l'Irgoun. Il publie de très nombreux articles, écrit des livres. 

sionisme-abba ahimeir-boycott recensement palestine 1931.jpg

 

Abba Shoïl (Shaul) Gaïssinovitch dit Abba Ahimeir (1897-1962), devant un mur, en novembre 1931, où est inscrit un graffiti contre la participation au deuxième recensement de la Palestine, en 1931,

 

Revenons maintenant à Herbert  Samuel, qui a décrété très rapidement une amnistie générale pour tous les Arabes et les Juifs condamnés après les émeutes de Nabi Musa, sans doute en guise d'apaisement social. Ces derniers étaient représentés par ce qu'on a appelé "l'armée de Jabotinsky".  Peu de temps avant le déclenchement des émeutes, la milice armée de Jabotinsky, qui sera accusée de troubles à l'ordre public et détention d'armes, a arpenté militairement les rues de Jérusalem, évènement qui s'ajoute aux diverses manifestations dominatrices et invasives qui ont été citées, et que l'historien israélien Ilan Pappé  place en tête des moments déclencheurs des émeutes  (Pappe, 2000).   Le rapport Palinun rapport secret, non publié à l'époque, sur les émeutes de Nabi Musa, sera produit en août 1920 par la commission Palin, du nom de l'officier qui la présidait, le colonel Sir Philip Charles Palin (1864-1937).   On reste atterré devant ce texte (dont nous recommandons chaudement la lecture), qui montre avec acuité la collusion entre sionistes et puissance mandataire, cette dernière dressant le même portrait méprisant et raciste des Arabes que les sionistes    :

"il faut garder à l'esprit qu'au fond de tout, il y a une crainte profonde du Juif, à la fois comme dirigeant possible et comme concurrent économique. Ils craignent, à tort ou à raison, le Juif comme souverain, considérant sa race comme l'une des plus intolérantes de l'histoire (...) .c'est en tant que concurrent économique que le Juif inspire vraiment l'inquiétude la plus profonde dans l'esprit des autochtones. Ces derniers n'ont aucune illusion sur leurs propres pouvoirs de concurrencer le juif, que ce soit en tant que marchand, agriculteur ou administrateur. Avant la guerre, le progrès du sionisme n'était guère suffisant pour exciter son anxiété et, bien que la colonisation réelle ait causé quelques inquiétudes, elle n'était suffisante ni en quantité ni en succès pour le réveiller sérieusement. Néanmoins, il a pu constater que là où le juif devenait propriétaire foncier, le propriétaire paysan arabe et chrétien fellah était réduit à la condition de travailleur salarié. (...) La perspective d'une immigration juive massive le remplit d'une peur panique, peut-être exagérée, mais néanmoins réelle. Il voit la race la plus noble du monde intellectuellement, anciens maîtres dans tous les arts de l'éviction des concurrents, que ce soit sur le marché, à la ferme ou dans les bureaux bureaucratiques, soutenus par des fonds apparemment inépuisables donnés par leurs compatriotes dans tous les pays et possédant une influence puissante dans les Conseils des nations, prêt à s'inscrire sur les listes contre lui dans chacune de ses occupations normales, soutenu par la seule chose qui voulait les rendre irrésistibles, la force physique d'une grande puissance impériale, et il se sent dépassé et vaincu avant le début  de la compétition. (...) Le fellah est extrêmement arriéré dans ses méthodes et apathique et lent dans son intelligence : une inoculation raisonnable avec la force mentale vigoureuse du Juif serait inestimable pour le développement du pays et du peuple. Cela est même reconnu par les Arabes les plus intelligents et nous avons le Grand Mufti, le représentant de l'Islam en Palestine et un membre de la plus ancienne noblesse du pays qui dit : "Je crois aussi que les Juifs pourraient grandement aider notre pays, mais ce qui nous terrifie, ce sont les extrémistes et l'immigration incontrôlée."  (Rapport Palin, op. cité)

En réaction aux émeutes de Nabi Musa, est créée l'Irgoun (Irgun, "organisation") haHaganah, dite Haganah (הגנה : "défense"), issue du syndicat sioniste Histadrout  (Histadrut), créé la même année 1920, en absorbant différents groupes  d'autodéfense, Hashomer, avant tout, qui lui fournit une partie de ses cadres. La Haganah luttait contre l'antisionisme, même s'il provenait de Juifs eux-mêmes. Tel Jacob Israël de Haan, journaliste néerlandais, juif ultra-orthodoxe (Haredim), qui répandait trop efficacement la croyance traditionnelle de l'établissement d'un Etat juif seulement possible par le Messie promis, et non par la volonté des hommes. Ainsi, selon ladite croyance, les  sionistes, par un processus d'accélération, étaient en train de commettre un grave péché  (R. Bergman, op. cité).   Finalement, Yitzhak Ben- Zvi, dirigeant de la Haganah, fit assassiner de Haan le 30 juin 1924, acte perpétré sur l'ordre de Ben Zvi, par Avraham (Abraham) Tehomi (né  Silberg, Zilberg, à Odessa, dit Gidéon, 1903-1990), émigré en Palestine en 1923, commandant de la Haganah entre 1929 et 1931 et fondateur cette année-là de la Haganah B, avec 19 officiers sécessionnistes, opposés à la havlagah, la "retenue" demandée par les leaders modérés du Yishouv, face aux manifestations de violences antisionistes.  Tehomi avoua cet assassinat  dans une interview donnée en 1985 à la télévision israélienne (Shlomo Nakdimon et Shaul Mayzlish, De Haan: ha-retsah ha-politi ha-rishon be-Erets Yisrael  ["De Haan : le premier assassinat politique en Terre d'Israël"].  Dans toute la presse sioniste, on ne trouva alors qu'une seule voix pour condamner cet assassinat, celle du travailliste Moshè Beilison  (Weinstock, 2011)  

Le 2 mai 1921, ce fut cette fois une bagarre à Jaffa entre manifestants juifs du parti ouvrier (travailliste) Ahdut Ahavoda (A’hdouth Ah’avodah, A. Ha'avodah, A. HaAvoda  : "Unité du travail"), dirigé par Ben Gourion, et manifestants  "Mopsistes" (membres du MPSI, voir plus loin) appelant à créer une "Palestine des soviets", qui incita les Arabes à envenimer la situation. La police finit par intervenir et, ses agents étant, dans l'ensemble, chrétiens ou musulmans, tirèrent quelques coups de feu, causant une panique  générale et des rumeurs auprès des musulmans, qu'on vit un peu partout agresser des Israélites avec des gourdins ou des tiges de fer,  les blessant, certains Juifs se défendant alors avec des armes à feu (Rapport de l'AIU, dans Laurens, 1998).  Les violences se sont ensuite propagées aux alentours de la ville, et, au total, feront 95 morts, dont presque autant d'Arabes que de Juifs (48 contre 47),  l'écrivain hébreu Yossef Haïm Brenner (1881-1921) figurant au nombre des victimes, et 219 blessés (146 Juifs et 73 Arabes), auxquels il faut ajouter plusieurs viols de femmes juives  (Weinstock,  2011).  Une commission d'enquête sur ces émeutes, dirigée par Sir Thomas Haycraft, parviendra à la conclusion que la "cause fondamentale des émeutes de Jaffa et des actes de violence qui s’ensuivirent était un sentiment parmi les Arabes de mécontentement et d’hostilité envers les Juifs, en raison de causes politiques et économiques, et lié à l’immigration juive, et à leur conception de la politique sioniste dérivée des représentants juifs."  (Memorandum du Royaume-Uni, Commission ad hoc sur la question palestinienne, Communication de la délégation du Royaume-Uni à l'Organisation des Nations Unies, Point n° 11, New-York, 18 août 1947) 

 

Tout être humain sensé ne peut qu'être horrifié par des manifestations de violences aussi extrêmes, mais, au-delà de reconnaître ici les crimes dont se sont rendus responsables des membres de la communauté arabe envers les Juifs (et vice versa), il commence à apparaître avec évidence, au vu de l'exposé qui précède, que la colonisation sioniste a causé, année après année, de tels traumatismes  physiques, spirituels ou symboliques dans les communautés autochtones de Palestine, qu'à défaut de les panser, de cesser de les alimenter, il n'est pas étonnant qu'ils aient fini par causer en retour une violence exacerbée de toutes ces blessures.  Le gouvernement britannique, les colonisateurs juifs, de concert, auraient dû faire machine arrière depuis longtemps et reconnaître que cette voie était une impasse : Encore une fois, quel pays accepte d'être colonisé ? Il n'est que de regarder, dans toute l'histoire, jusqu'aujourd'hui, la sensibilité épidermique d'une grande partie des peuples devant les problèmes (réels ou supposés) de l'immigration, pour comprendre l'exaspération croissante des Palestiniens, après des années de protestation pacifique, par les manifestations, la presse, etc., devant toutes les entreprises  qui ont été décrites  de conquête de la Palestine par les sionistes, et  allaient malheureusement  s'aggraver d'années en années.  Aucune sagesse n'a prévalu aussi bien du côté des dirigeants britanniques que celui des dirigeants sionistes, et il s'est déroulé ensuite un terrible scénario à la mesure de ces suprêmes injustices, que nous allons  continuer de disséquer. 

On aura beau présenter les moments les plus terribles d'exaspération palestinienne, d'hier à aujourd'hui, les véritables responsables, au regard de l'histoire, sont ceux qui ont enfanté la violence qui a permis toutes les autres,  en s'acharnant à conquérir un pays qui ne leur appartenait pas, que leurs familles n'avaient jamais habité, duquel ils n'avaient jamais été chassés par les Arabes. Car, s'il suffisait de montrer que de très lointains ancêtres, aussi nombreux soient-ils, avaient occupé un lieu à un moment de l'histoire pour avoir le droit de se l'approprier, beaucoup de gens de par le monde pourraient s'estimer être le propriétaire légitime d'un lopin de terre tout autour de la planète.  Alors, quand dans les moments les plus terribles, comme à Nebi (Nabi) Musa (cf. plus bas), les Arabes crient "Mort aux Juifs" ou "Les Juifs sont nos chiens", que le journal d'Arif al-Arif publie un numéro spécial aux manchettes accrocheuses ("Arabes, soulevez-vous ! La fin des étrangers est proche. Les Juifs seront noyés dans leur propre sang !"),  ils s'expriment dans un moment paroxystique où, comme on dit trivialement, la cocote-minute explose, de tant de pression accumulée par le mépris et le déni de leur existence, causée par la volonté  d'appropriation inexpugnable de la Palestine par les sionistes fermement soutenus par les puissances occidentales complicesce qui finit par plonger les Arabes de Palestine dans un désarroi profond, existentiel, et suscite des réactions extrêmes. Sans ces violences originelles, la montée en puissance de beaucoup d'autres ne seraient pas survenues, il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître devant tous les faits exposés, malgré l'horreur que l'on peut éprouver devant de tels actes, et même si on reconnaît le droit à la société de condamner individuellement leurs auteurs pour leurs crimes.  

Le 25 juin 1921, le 4e Congrès arabe palestinien, à Jérusalem, entérine l'envoi à Londres d'une délégation palestinienne. Celle-ci  sera menée par Musa Al-Husseini, qui rencontrera Chaïm Weizmann en novembre, pour demander  "un gouvernement national responsable devant une chambre élue parmi ceux qui résidaient en Palestine avant la guerre, Musulmans, Chrétiens et Juifs." (Carré, 1977).   Notons au passage que l'ouvrage du sociologue Olivier Carré est un de ces livres permettant d'analyser l'histoire des revendications nationales palestiniennes, dont l'étude montre bien à quel point elles sont pétries d'une recherche de paix et de justice entre les communautés religieuses du pays : 

"De la fin de la sujétion ottomane aux récents en jeux politiques libanais, il est impressionnant de voir se suivre dans leur constance les revendications nationales palestiniennes par delà les époques et les circonstances, par delà les divergences politiques tactiques, par delà aussi les religions.  On ne peut en effet qu'être frappé à la lecture de tous ces textes de l'absence d'une idéologie religieuse partisane et confessionnelle, ce qui finalement place l'utopie d'une Palestine laïque dans le droit fil du mouvement palestinien historique."  (Hamès, 1977).   

 

Revenons maintenant à la rencontre Weizmann-Husseini.  Malgré  la réaction choquée de Nathan Weinstock (2011), il n'est pas complètement aberrant, dans cette situation que,  tourmenté par les ambitions de conquête juive en Palestine,  ce dernier interpelle le leader sioniste sur le fameux texte connu en français sous le nom de "Protocole  des Sages de Sion",  qui énonce point par point les projets d'un prétendu complot juif mondial. Le propos délirant de ce texte, bric-à-brac idéologique, a été publié en partie en Russie en 1903, dans une version abrégée, sous le titre "Programme de la conquête du monde par les Juifs",  puis intégralement en 1905. On a tôt démontré qu'il était un faux... en 1921, justement, l'année de la rencontre des deux hommes. Al-Husseini ne peut donc pas, a priori, avoir ce recul historique que nous avons sur cette triste entourloupe : "dès 1921, le correspondant du Times à Constantinople, Philip Graves, dénonce la tromperie et révèle l’origine du texte : il s’agit de la laborieuse reprise d’un pamphlet contre Napoléon III publié en 1864 par Maurice Joly, un avocat républicain de gauche (1829-1879), sous le titre Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu (ce qui vaudra 15 mois de détention à son auteur). Pamphlet bien oublié, si tant est qu’il ait jamais connu un quelconque succès, qui pouvait donc être utilisé sans grands risques plus de trente ans après sa parution…"  (Bock, 2018).  

 

Face aux émeutes arabes de 1921, Winston Churchill, tout nouveau ministre des Colonies (Secretary of State for the Colonies"réaffirme la nécessité de poursuivre l’immigration Juive tout en précisant que celle-ci ne saurait excéder les capacités économiques du pays à absorber des nouveaux immigrants. Il affirme également que les promesses faites par Sir Mac-Mahon au Roi Hussein ne concerneront pas les territoires situés à l’Ouest du Jourdain. La Transjordanie (à l’Est) devient une région autonome sous contrôle de l’Emir Abdallah, et prendra son indépendance en 1946 pour former le Royaume Hachémite de Transjordanie, puis de Jordanie (1949) [Laurens H., 2002 : 197-198]."  (Al-Labadi, 2015).  Dans ce contexte, Churchill et ses conseillers, autour d'Herbert Samuel, proposent le premier Livre Blanc (Churchill White Paper), publié  le 3 juin 1922, qui réaffirme que la présence des Juifs en Palestine est de droit et non pas tolérée ("of right and not on sufferance"), que la mise en application de la Déclaration de 1917 entraîne le développement du peuplement juif par une immigration qui, cependant, ne doit ni excéder les capacités économiques du pays ni devenir une charge pour les Palestiniens ("people of Palestine"), ou représenter une menace pour leurs emplois. Comme beaucoup de paroles politiques, surtout dans le domaine social, nous verrons qu'elles n'ont pas grand-chose à voir avec la réalité.

Livre Blanc  :  Comme pour les autres qui suivront, c'est une dénomination officieuse.  L'intitulé officiel du document est Palestine Statement of policy : "Déclaration de Politique pour la Palestine" 

"La délégation arabe de Palestine", dirigée par Moussa Kazim El Husseini, estime donc "tout à fait insatisfaisante" la constitution proposée par les autorités britanniques et argumente point par point son opposition à celle-ci auprès du secrétaire d'Etat aux colonies le 21 février 1922, en particulier :

a) refus de la Déclaration Balfour comme base de discussion

b) refus du paragraphe  4 de l'article 22 du pacte de la SDN, qui place la Palestine dans la catégorie A  qui affirme : "certaines communautés appartenant autrefois à l’Empire turc ont atteint un stade de développement où leur existence en tant que nations indépendantes peut être provisoirement reconnu sous réserve de la prestation de conseils et d’assistance administratifs par un mandataire jusqu’à ce qu’il soit en mesure de gagner son autonomie."

d)  refus du mode de scrutin de ce Conseil,  où "la majorité arabe...ne pourra porter aucune mesure contre la prépondérance officielle des voix."

f)  refus de la "reconnaissance de l'hébreu comme langue officielle de l'Etat, comme le prévoit l'article 80", ce qui représente "une nouvelle preuve de la volonté d’encourager le nationalisme sioniste en Palestine, alors que seulement 10 % environ des habitants juifs actuels du pays parlent cette langue. Cette innovation est totalement injustifiée et s’ajoute aux dépenses de l’État, qui tire ses principaux revenus de la population arabe."

  (Correspondance du Royaume-Uni avec la délégation arabe de Palestine et l’Organisation sioniste sur la politique britannique en Palestine et le Livre blanc de Churchill,  Hôtel Cecil, Londres , 21 février 1922). 

 

Remarquons ici que ce n'est pas Churchill qui répond à la délégation, mais son sous-secrétaire au département du Moyen-Orient, John Evelyn Schuckburgh, ce qui donne une idée du degré d'importance de la délégation aux yeux du Secrétaire d'Etat aux colonies. Rien d'étonnant, Churchill, pétri comme toute la classe dirigeante européenne des mentalités racistes et colonialistes, avaient choisi le camp sioniste depuis longtemps. Un peu après la parution du Livre Blanc,  il avait défendu à sa manière l'idée que le développement économique de la Palestine insufflé par les sionistes avait été une aubaine pour l'Empire Britannique comme pour les Arabes :

 

"On me dit que les Arabes auraient développé eux-mêmes la Palestine. Mais qui peut donc le croire ? Livrés à eux-mêmes, les Arabes de Palestine ne parviendraient pas en mille ans à prendre des initiatives efficaces concernant l’irrigation et l’installation de l’électricité en Palestine. Ils se satisferaient de demeurer – une poignée de philosophes – dans les plaines perdues et brûlées par le soleil, en laissant les eaux du Jourdain continuer à affluer, sauvages, inexploitées, dans la mer Morte"   (Churchill, discours au Parlement britannique, 1922, dans The Times of Israël,  "Émeutes de Jaffa en 1921 : La première attaque de masse en Palestine mandataire", 28 mai 2021)

Dans sa lettre, Shuckburgh confirme la ferme résolution du gouvernement britannique de respecter les termes de la Déclaration Balfour. Il rappelle, entre autres, que "la reconnaissance de l'hébreu est prévue à l'article 22 du projet de mandat pour la Palestine, conformément à la politique  d'établissement dans ce pays d'un foyer national pour le peuple juif" et  l'interprétation donnée publiquement par le Haut-Commissaire de la Palestine de l'expression "foyer juif", le 3 juin 1921, dont on repèrera facilement les assertions vagues et trompeuses : 

"Ces mots signifient que les Juifs, qui sont un peuple dispersé dans le monde entier, mais dont le cœur est toujours tourné vers la Palestine, devraient être en mesure d’y fonder leur patrie, et que quelques-uns d’entre eux, dans les limites fixées par le nombre et les intérêts de la population actuelle, devraient venir en Palestine afin d’aider par leurs ressources et leurs efforts à développer le pays à l’avantage de tous ses habitants."  (Correspondance..., op. cité)

"Dans le troisième paragraphe du préambule du mandat, le peuple juif, et seulement le peuple juif, est décrit comme ayant un lien historique avec la Palestine. Aux yeux des rédacteurs, tout l’environnement deux fois millénaire du pays, avec ses villages, ses sanctuaires, ses châteaux, ses mosquées, ses églises et ses monuments datant des périodes ottomane, mamelouke, ayyoubide, croisée, abbasside, omeyyade, byzantine et antérieures, n’appartenait à aucun peuple, ou seulement à des groupes religieux amorphes. Il y avait des gens là-bas, certes, mais ils n’avaient pas d’histoire ou d’existence collective, et ils pouvaient donc être ignorés. Les racines de ce que le sociologue israélien Baruch Kimmerling a appelé le « politicide » du peuple palestinien sont pleinement exposées dans le préambule du Mandat. Le moyen le plus sûr d’éradiquer le droit d’un peuple à sa terre est de nier son lien historique avec celle-ci.

Nulle part, dans les vingt-huit articles suivants du mandat, il n’est fait référence aux Palestiniens en tant que peuple ayant des droits nationaux ou politiques. En effet, comme dans la Déclaration Balfour, les mots « arabe » et « palestinien » n’apparaissent pas. Les seules protections envisagées pour la grande majorité de la population palestinienne concernaient les droits personnels et religieux et la préservation du statu quo sur les sites sacrés. D’autre part, le mandat définissait les principaux moyens d’établir et d’étendre le foyer national du peuple juif, que, selon ses rédacteurs, le mouvement sioniste n’était pas en train de créer, mais de « reconstituer ».

Sept des vingt-huit articles du Mandat sont consacrés aux privilèges et facilités à accorder au mouvement sioniste pour mettre en œuvre la politique intérieure nationale (les autres traitent de questions administratives et diplomatiques, et l’article le plus long traite de la question des antiquités). Le mouvement sioniste, dans son incarnation en Palestine en tant qu’Agence juive, a été explicitement désigné comme le représentant officiel de la population juive du pays, bien qu’avant l’immigration massive de sionistes européens engagés, la communauté juive comprenait principalement des Juifs religieux ou mizrahi qui, pour la plupart, n’étaient pas sionistes ou qui s’opposaient même au sionisme. Bien sûr, aucun représentant officiel de ce type n’a été désigné pour la majorité arabe non nommée."

(Khalidi, 2020)

 

En 1922, toujours, Samuel écrit un projet de constitution pout la Palestine, dans lequel est prévu la création d'un Conseil législatif mêlant membres élus et nommés, composé de de telle sorte, une nouvelle fois, à priver les Arabes du pouvoir de décision, puisqu'il "était astucieusement conçu de manière que les nationalistes arabes ne pussent y détenir la majorité"  (Weinstock, 2011),  Les nationalistes arabes ne seront pas dupes de la manœuvre et donneront des consignes de boycott à la population lors du vote des représentants, qui seront largement respectées. Par ailleurs, ils continuent de croire à la négociation pour faire entendre leurs doléances, et le 5e Congrès arabe palestinien, tenu à Naplouse à partir du 22 août 1922, et dirigé par Musa Kazem al-Husseini (Moussa Qazem al-H., 1853-1934), président du Comité exécutif arabe, formulera différentes résolutions en ce sens  : refus de la constitution de Samuel ; boycott de produits juifsdu projet électrique de Pinhas Rutenberg (cf. plus bas), rejeté par le 6e Congrès de Jaffa en juin 1923 ;   interdiction de l'immigration ou de la vente de terres aux sionistes, etc. (Kayyali, 1978),  

En 1921, alors que le vieux Mufti de Jérusalem, Kamal (Kamel, Kamil) al-Husseini (Husayni, Hussaini, 1867-1921) connaissait ses derniers instants de vie, les Husseini firent campagne pour qu'Amin al-Husseini, son neveu, lui succède. Les Nashashibi avaient bien entendu leur poulain, le cheikh Husam al-Din Jarallah (1884-1954), très respecté des oulémas (uléma, sing. ālim : savant musulman) et qui remporta l'élection prévue par la loi ottomane, causant la fureur des Husseini qui voient là un complot visant à faire élire un "mufti sioniste". C'est là qu'entre en scène les Britanniques et l'intriguant Herbert Samuel, qui fait pression sur le détenteur légitime du poste pour qu'il se désiste  (Weinstock, 2011).   Et voilà comment un homme qui n'était ni  savant musulman, ni diplômé d'une école coranique pour être cheikh, devenait non pas seulement mufti, mais "Grand Mufti", un titre prestigieux qui n'existait pas, et qui allait de pair avec un salaire plus élevé que les autres mufti. Puis, l'année suivante, en janvier 1922, la puissance mandataire crée un Conseil Suprême Musulman (Suprem Muslim Council, SMC),  dirigé par le Grand Mufti  lui-même, qui  était aussi fait Raïs-al-Oulama, chef de la communauté musulmane, payé plus de 100.000 livres par an, nommant les qadis et les muftis, administrant les tribunaux de la Charia et le patrimoine awqaf  (Weinstock, 2011).     Et ce n'est pas fini. Non seulement, le gouvernement britannique payait tout le personnel de la SMC,  près de 1200 personnes,  mais  il n'exerçait aucun contrôle sur sa gestion ploutocratique, qui allait donner au mufti, avec toutes ses prérogatives, un pouvoir considérable, se constituant par favoritisme une clientèle captive en nommant les imams, les cadis, etc., parmi ses partisans, ou, à l'inverse, en destituant des notables jugés trop philosémites ou ayant refusé de rejoindre le courant nationaliste par fidélité au pouvoir ottoman.  En 1923, naissait  le Parti National (National Party, al-Hizb al-Watani), qui formalisait la nouvelle opposition des Nashashibi aux Husseini.  On voit ici, comme très souvent dans l'histoire, les complicités d'intérêts entre élites colonisatrices et élites colonisées, au mépris du bien commun de la population. Difficile de ne pas penser à la devise  : "diviser  pour régner", pratique elle aussi récurrente dans l'histoire, d'autant plus que ce sont les Nashashibi, nous le verrons, qui sont politiquement du côté modéré,  prompt à la diplomatie, au consensus, à l'inverse des Husseini, qui, bien qu'obligés des Britanniques par autant de  privilèges,  n'auront pas peur, plus tard, de faire parler les armes contre tous ceux  qui  se dresseront contre la libération nationale, Arabes y compris. 

 

De 1922 à 1932, malgré les atermoiements de façade des sionistes et les hypocrisies des pouvoirs britanniques,  ces derniers permettront à la communauté juive de grossir de plus du double de la décennie précédente, soit 250.000 immigrés. Au total, de  1922 à 1947, ils auront permis à la communauté juive de croître de manière extrêmement importante, de 84.000 à 610.000 personnes (cf. graphiques, plus bas), tandis que, pour à peu près la même période (1922-1945), l'immigration arabe s'est élevée à 49.000 personnes environ.  Dopé par ses succès, Weizmann adressera un mémorandum  à la Société des Nations (SDN), qui n'avait pas encore accordé aux Britanniques  le mandat  définitif sur la Palestine, où il affirme que le projet sioniste est de "rendre la Palestine aussi juive que l'Angleterre est anglaise", (Weinstock, 2011), formule qu'il a emprunté au rabbin de Bordeaux Joseph Cohen, dans une lettre adressée par ce dernier au Times le 19 septembre 1919  (Rapport Palin, op. cité, p. 17), et qui démontre, une fois de plus, la dimension impérialiste des buts sionistes, dans sa volonté phagocytaire, dès les débuts du mouvement,  de faire disparaître toute trace de la présence arabe en Palestine.  Sur le sujet, il confiera le même genre de pensée à Einstein, que ce dernier rapportera à Lilienthal, venu à Princeton pour le voir : "il m'a également parlé d'une conversation marquante avec Weizmann. Einstein lui avait demandé : « Qu'en serait-il des Arabes si la Palestine était donnée aux Juifs ? » Et Weizmann lui avait  répondu : « Quels Arabes ? ils comptent pour si peu »" :  They are hardly of any consequence   (Alfred Lilienthal, "The Zionist Connection : What Price Peace ?" New York, Middle East Perspectives, 1979, p. 341)

 

On ne s'étonnera guère donc,  des dispositions britanniques, prises entre 1927 et 1930, pour permettre au Yishouv de prendre progressivement le contrôle du pays, en le dotant en particulier de capacités d'autonomie qui le transformait déjà en mini-Etat  : "Ainsi fut créée une sorte de gouvernement propre au Yichouv, avec des compétences étatiques en matière d’éducation, de santé et de sécurité. L’Agence juive, créée en 1929, remplaça progressivement le « comité national » et prit en charge l’organisation de l’immigration, l’acquisition des terres, la sécurité et les relations extérieures de la communauté juive. Le « Jewish Settlement Police » assura la défense armée des colonies et constitua avec l’organisation militaire juive la « Haganah », le noyau de l’armée"  (Al Smadi, 2012).  

 

Associé plus tard à l'Agence juive, le Conseil National Juif préparera la constitution de l'Etat d'Israël bien avant la fin du mandat britannique. D'autres entreprises sionistes, en apparence pacifiques, elles aussi, montrent bien à quel point la période mandataire, poussée par la Déclaration Balfour, a permis aux Juifs de jeter les bases de leur futur Etat au beau milieu d'une nation étrangère.  La présentation ici, de Pinhas Rutenberg, ingénieur hydraulique  né en Russie en 1879, permet d'introduire un  domaine stratégique dont les sionistes comptent bien s'emparer en priorité Dès le mois de juin 1920, Rutenberg, qui avait développé dès son arrivée un ambitieux projet hydraulique, centré autour de l'exploitation des eaux du Jourdain, n'avait pas caché la nature sioniste de son travail   (Lemire, 2011)   :  'La Palestine ne sera juive que si la totalité du travail nécessaire à la construction de la destinée juive demeure dans les mains des travailleurs juifs" :  (P. Rutenberg,,  Water ressources of Palestine, Jérusalem, 1920).  Rutenberg rejoint ici tous les membres de l'élite juive européenne qui œuvrent efficacement à un futur Etat juif où les Arabes, comme cela a été montré très clairement, ne comptent pour rien. On soulignera une nouvelle fois que ces élites juives font partie de cette intelligentsia européenne qui possède à la fois le capital culturel, économique et politique lié à la puissance occupante britannique, qui confèrent aux sionistes des atouts de taille dans leur conquête économique et politique de la Palestine. Le rôle de Rutenberg n'a rien d'anecdotique : "Son projet hydro-électrique, il faut le souligner au passage, pèse directement sur les négociations en cours entre la France et la Grande-Bretagne pour la fixation définitive de la frontière entre les deux mandats : les autorités britanniques s'appuient à de nombreuses reprises sur ses propositions pour tenter d'élargir les limites de la future Palestine mandataire, en affirmant que les réserves hydrauliques du lac de Tibériade, en particulier, sont indispensables à l'approvisionnement de la Palestine... on est là au début d'une longue histoire, encore d'actualité aujourd'hui avec l'occupation israélienne du Golan syrien." (Lemire, 2011).  

A la chambre des Lords, les orientations prosionistes trouvent une majorité proarabe, mais Samuel, et surtout Churchill, accordent un large soutien au sionisme et pour défendre les concessions accordées à Rutenberg. Churchill "prétend déléguer la charge financière du développement économique de la Palestine, que le gouvernement britannique se refuse de prendre en charge."  (Lemire, 2011).  Churchill, bien que mis en minorité à la chambre des Lords, obtiendra gain de cause le 4 juillet 1922 "en faisant approuver sa politique à la Chambre des communes"  (op. cité).  Au cœur de ce dossier, un ensemble de droits concédés à l'homme d'affaires grec Euripide Mavrommatis, dont les différentes juridictions, même internationales, ont confirmé la légitimité, mais que Samuel cherche à saper à tout prix, en demandant à Churchill de ne rien céder à Mavrommatis "faute de le voir devenir incontournable dans tous les projets de développement de la région, à Jérusalem, mais également autour de Jaffa et même dans la vallée du Jourdain"  (op. cité, sources :  Israël  State Archives / ISA, RG. 2 Chief Secrtary's Office, dossier 233/1, H. Samuel à W. Churchill, 4 mai 1922).  L'affaire est saisie par le tribunal international de La Haye en 1925,  et avait au fur à mesure sensibilisé les nationalistes arabes qui, par voie de presse, par pétitions, par courrier, font connaître leur opposition aux projets de Rutenberg, y voyant la violation des droits arabes en Palestine. Les juges de la Haye confirmeront la validité des deux concessions de Mavrommatis à Jérusalem, contre la décision des autorités mandataires qui, sans cette bataille, et au mépris du droit, auraient tout accordé aux sionistes. Et ce sera bien au nom de l'idéal sioniste que le Jewish Daily Bulletin déplorera la décision de la Haye (Lemire, 2011)  ou qu'il rapportera les propos de Rutenberg,  avouant  que sa compagnie "convoitait le réseau de Jérusalem pour d'autres raisons que des raisons économiques."   (J. D. Bulletin, New-York, 29 mars 1925, p.1)

 

Cette bataille judiciaire fait donc intrinsèquement partie du projet sioniste de domination globale des Arabes de Palestine, comme l'indique aussi la présence du banquier  J. H. Kann au tribunal, mais aussi les diverses prises de position de sir Douglas Hogg, représentant du gouvernement britannique, pour prendre "délibérément la défense de Pinhas Rutenberg contre l'opinion publique arabe"   (Lemire, 2011), soutien confirmé par la fin de sa plaidoirie, quand il conclut "que la Grande-Bretagne est présente en Palestine dans le but exprès [express purpose] de mettre en place un Foyer national pour les Juifs sans exproprier quiconque [without expropriating others]"  (op. cité).   Il faut rappeler ici que le gouvernement britannique a donné délégation de la charge financière du développement économique de la Palestine "à la seule communauté juive, considérée comme la plus dynamique et la mieux dotée en capitaux"  (op. cité)  : Nous l'avons déjà dit en substance : le fait de disposer de cadres et scientifiques sionistes (ingénieurs en particulier) formés en Europe occidentale, dans les pays techniquement les plus avancés, conférait un atout de taille pour les Juifs sionistes, qui avaient le double avantage d'être très soutenus politiquement par la puissance occupante.  Ainsi, la "plaidoirie de Douglas Hogg illustre donc parfaitement,  à son échelle, l'ambiguïté fondatrice du projet mandataire : les Arabes ne sont considérés que comme les « autres » de la Palestine, entité inaudible et invisible en face de la communauté juive, dont les institutions représentatives sont reconnues par tous."  (Lemire, 2011)

Une autre bataille de l'eau, que nous donne aussi à comprendre Vincent Lemire, se montre aussi riche d'enseignements sur le sujet de la colonisation.  Avant d'exposer ses divers aspects, il faut évoquer en préambule un ressentiment général de la population arabe, vis-à-vis de la délégation de pouvoir dont nous avons parlé plus haut,  qui octroie aux autorités juives la gestion des affaires palestiniennes.  Nous avons vu que Samuel est alors la plus haute autorité du pays, mais, au fur et à mesure de la mandature britannique, des cadres Juifs issus principalement de grandes communautés immigrées d'Europe centrale vont investir "massivement les postes clés de l'administration mandataire." (Lemire, 2011)et obtenir des postes à haute responsabilité (Laurens, 2002/a : 202).  Dans le même temps,   le Yichouv bénéficiait d'une autonomie à peu près totale en Palestine (Khalidi, 2007 : 94), l'Organisation sioniste obtenant par le mandat britannique un statut d'agence publique coopérant et conseillant les autorités mandataires dans le seul intérêt de la population juive (Al-Labadi, 2015),  

 

Pour  le  cas qui nous occupe, c'est Andrew Koch qui a été nommé directeur du Water Supply Departement (1922-1933), qui gère l'ensemble du réseau hydraulique de Jérusalem à partir d'avril 1923. Juif d'origine hongroise,  c'est un ingénieur diplômé de l'université de Budapest.  Dès son arrivée, son action amplifie  considérablement la "fracture  hydraulique, dont on avait perçu les premiers indices en 1919, en favorisant nettement les quartiers Juifs dans le partage de l'eau, par la construction de 30 fontaines, contre 8 dans les quartiers non juifs et 12 dans les quartiers mixtes."   ("Municipal Affairs", The Palestine Weekly, 30 novembre 1923),  

Le 25 mai 1925,  le haut-commissaire Herbert Samuel,  promulgue le détournement d'une partie des eaux d'Ortas (Urtas, Artas).  Ce village situé juste au-dessous de Bethléhem, abrite une des sources principales d'approvisionnement hydraulique de Jérusalem.  Pendant des siècles elle a été détournée à maintes reprises au profit de Jérusalem et les paysans d'Ortas ne manquaient pas de s'y opposer, bien sûr, mais cette fois c'est au nom d'une "identité arabe palestinienne" que la population proteste, en lutte contre "l'immigration sioniste", dans un contexte de manque pluviométrique qui cause beaucoup de tensions dans les villages.  Le Conseil municipal des Juifs de Jérusalem (Vaad Hair) ira même jusqu'à proposer son aide financière, à condition d'obtenir (et il aura gain de cause sur ce point) deux représentants à la Commission des Eaux  :  "ce qui ne pourrait être interprété que comme un abandon de souveraineté de la part de la municipalité et par conséquent comme une provocation à l'encontre de la population arabe." (Lemire, 2011)  Concrètement, la décision des sionistes va permettre d'apporter beaucoup d'eau au projet de l'Université hébraïque, qui ne répond à aucune urgence vitale, tout en privant d'eau pendant une année les importantes productions potagères et maraîchères palestiniennes autrement plus nécessaires à l'alimentation des villageois, dans un moment de crise pluviométrique sans précédent : ces pratiques allaient causer les plus vives protestations chez les paysans d'Ortas, et elles seront vécues "comme une véritable provocation par les habitants."  (Lemire, 2011) 

 

En juin 1925, le Comité exécutif du Congrès arabe palestinien adresse un mémorandum très documenté au Colonial Office, le Ministère des Colonies britanniques. Une toute autre version des évènements que celle de l'exécutif juif se dessine, montrant que malgré le problème de faible pluviosité, la situation aurait pu être gérable sans l'immigration  et l'expansion urbaine  juives  de la partie occidentale de Jérusalem.  C'est en effet "indéniablement l'augmentation exponentielle de la demande qui est la cause structurelle du déséquilibre", souligne Lemire, chiffres à l'appui, non seulement ceux des volumes d'eau dépensés, mais aussi ceux qui montrent un pic migratoire de "34.000 immigrants juifs en 1925, contre par exemple 8500 en 1922, 8000 en 1923, 3000 en 1927 ou 2000 en 1928." (Lemire, 2011). Les griefs de la communauté arabe sur la démesure de la construction immobilière liée à l'immigration juive seront confirmés par la Commission permanente des mandats émis par la SDN  (Lemire, 2011),  l'ancêtre de l'Organisation des Nations Unies, dont les résolutions multiples contre l'Etat Israélien, nous le verrons plus tard, tomberont dans les sourdes oreilles de ses dirigeants successifs

Pinhas Rutenberg ne s'est pas contenté de s'occuper du problème de l'eau. Dès 1923, il fonde la Compagnie électrique de Palestine et inaugure la première centrale à vapeur de Tel Aviv, construction qui précédera celles d'Haïfa et de Tibériade. Ne pouvant se contenter du volume d'énergie total qu'elles représentent, il s'attaque au projet d'une grosse centrale hydroélectrique, au confluent du Yarmouk et du Jourdain, alors même qu'elle est située dans une zone frontière peu définie, entre les territoires occupés par la Grande-Bretagne, la Jordanie et la France. Il finira cependant par le réaliser, aux "termes d’efforts techniques et diplomatiques considérables"  (Amsellem, 2014).  Là encore, il ne s'agit pas de dénier aux colonisateurs ni leurs talents, ni leur âpreté au travail, mais de constater que tous leurs efforts sont dirigés exclusivement vers la prospérité du Yichouv et jamais pour le bien commun.  En effet, en presque trois ans, cette centrale fournira plus des trois quarts de l'électricité consommée dans les colonies, sans compter celle que fourniront de nouvelles centrales, à Haïfa en 1935 et une seconde à Tel Aviv en 1938.  A l'inverse, "le reste du territoire où résident exclusivement les populations arabes est encore très mal équipé, comme le confirme une étude réalisée au début de l’année 1946 par les Britanniques sur la situation générale en Palestine. Celle-ci précise en effet que la compagnie électrique de Rutenberg fournit l’électricité à toutes les grandes villes de Palestine sauf Ramallah, Bethléem, Naplouse, Hébron, Beersheva et Jéricho, des villes largement peuplées d’Arabes"   (Amsellem, op. cité).    Pour cette raison, la carte du réseau électrique créé par Rutenberg  épouse parfaitement celle de l'implantation coloniale juive : 

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 Réseau électrique créé par Rutenberg à                     la fin des années 1930

                  (Amsellem, 2014)

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  Cartes des implantations coloniales juives

                             de Palestine

 

                             1881 - 1948

                                     (Perrin, 2000)

   étude    :  "A Survey of Palestine : Prepared in December 1945 and January 1946 for the Information of the Anglo-American Committee of Inquiry (AACI) : "Commission d'Enquête Anglo-Américaine" (volume II), p. 973" (note Amsallem, op. cité)

On ne peut alors que confirmer l'aveu énoncé par  Schuckburgh, le haut représentant du Colonial Office, relatif au pouvoir octroyé à Rutenberg  : "nous donnons à l’organisation juive une emprise sur l’ensemble de la vie économique de Palestine"  (Reguer, 1995).   

brit shalom

 

         

 

 ברית שלום     Brit Shalom

 

 

 

 

 

En avril 1926,  cinq hommes signaient  un petit texte en forme d'appel à la paix civile, paru dans Doar Hayom, un quotidien de Jérusalem, puis dans Jüdische Rundschau ("Revue Juive'), une revue sioniste allemande. Il dénonçait et réclamait l'annulation d'une directive du gouvernement mandataire visant à créer une milice publique juive, pratique discriminatoire excluant les Arabes et source inévitable de tensions entre les communautés   (Zadoff, 2017) :

"Nous constatons avec un grande tristesse que les gouvernements et les nations continuent de choisir la protection armée plutôt que  celle qui découle de relations justes et amicales, et qu'ils privilégient  les armes plutôt que l’élévation du niveau culturel et économique des masses. Selon nous, les armes et les sentiments de méfiance et de peur ne protègent pas des guerres, mais au contraire, les créent. Notre vision, en accord avec les aspirations spirituelles des prophètes d'Israël, c'est que tous nos efforts doivent viser à déraciner en nous-mêmes l'esprit militaire et les illusions proclamées au nom des principes d’héroïsme et de fierté nationale."  

Parmi les signataires, se trouvaient Rabbi Binyamin, Hugo Bergmann et Gershom Scholem, qui avaient fondé le mois précédent un mouvement appelé Brit Shalom (Berit S., Brith Chalom) : "Pacte / Alliance  pour la paix", 1925 à 1933), qui existait déjà depuis 1925 de manière plus informelle, en une sorte de club  (Zadoff, 2017) Dans ce  groupe d'intellectuels juifs, pour un certain nombre de tendance  socialiste, à l'origine, figurent des hommes bien différents comme Arthur Ruppin, et Martin Buber, mais aussi, Gershom Scholem (1897-1982), Hugo Bergmann (1883-1975) professeur de philosophie à l'Université hébraïque de Jérusalem à partir de 1928 ; Hans Kohn (1891-1971), ami et disciple de Buber, Yitzhaq Epstein, Yaakov (Yacov, Yaacov, Jacob) Yohanan Thon (1880-1950), né en Pologne, arrivé en 1907 en Palestine, responsable au Département de colonisation de l'Agence juive entre 1916 et 1920, un des fondateurs du Vaad Leumi en 1920, puis directeur du PLDC à partir de 1921 ;  le philosophe et éducateur Ernst Akiva Simon (1899-1948),  Norman de Mattos Bentwich (1883-1971), fils d'Herbert B., Robert Welsch, l'agronome Haim Margaliot Kalvarisky (H. Margaliyot Kalvaryski, 1868-1947), dont nous avons parlé du travail de bon petit soldat sioniste,  ou encore Henrietta Szold (1860-1945), une des premières femmes à entrer au Jewish Theological Seminary de New-York,  et Schmuel (Samuel) Haïm.  Yehuda Magnes (Yehua, Judah Lei (Leib, Leon) M., 1877-1948), premier recteur de l'Université hébraïque de Jérusalem, a été très proche du mouvement mais ne l'aurait jamais rejoint (Laqueur, 1972). Quant au galicien Yehoshua Radler-Feldman, dit Rabbi Binyamin (1880-1957), premier rédacteur en chef du mensuel de Brit Shalom, Sheifotenu (She’ifoteinu : "Nos aspirations"), qui exigeait un accord avec les Arabes sur la base d’une immigration juive illimitée, il fut remplacé lorsqu’une majorité de membres se déclara prêt à accepter une limitation temporaire de l’immigration pour faciliter un accord avec les Arabes. (Sheifotenu 1930–33 ; Susan Lee Hattis, The Bi-National Idea in Palestine in Mandatory Times, Haifa, Shikmona Publishing Co., 1970)

Dans ses statuts le mouvement affirme  : "Le but de cette Association est de parvenir à une entente entre Juifs et Arabes sur la forme que revêteront leurs relations sociales en Palestine, sur la base d'une absolue égalité politique entre deux peuples culturellement autonomes,  et de définir les grandes lignes de leur coopération au développement du pays." (A land of Two Peoples : Martin Buber on Jews and Arabs, préface et commentaires de Paul Mendes-Flohr des textes réunis de Martin Buber, New-York, Oxford University Press, 1983, p. 74). 

Le Manifeste de Brit Shalom  "réclame comme base d’accord l’égalité des droits des deux peuples et leur reconnaissance mutuelle" (Gershom Scholem, Sur les trois crimes du Brit Shalom, Réponse à Yehuda Bourlaarticle du quotidien juif de gauche de Tel Aviv, Davar : "parole",  n°1379, du 12 décembre 1929).  Scholem répondait ainsi à l'article du romancier Y. Bourla du 27 novembre 1929, paru lui aussi en Palestine dans Davar,  sous le titre Brit Kishalon : "L'Alliance de l'échec". Inutile de préciser à quel point le mouvement a été décrié par la plupart des partis sionistes . 

 

 "La conséquence ultime du programme du Brit Shalom, déclarait Bourla, était la “profanation du saint des saints de la nation: son espoir de rédemption intégrale. Notre espérance messianique historique est aujourd’hui présente dans le cœur de l’homme nouveau d’Israël, sous la forme du sionisme politique, d’une façon bien plus achevée qu’elle ne l’était autrefois dans le cœur du Juif religieux” (Scholem, op. cité).  Scholem récuse le fait que Brit Shalom, selon les mots de Bourla, se soit rendu coupable "de ne pas oser dire ouvertement que les Arabes doivent reconnaître avant toute chose que notre arrivée et notre existence sur cette terre sont pour nous un droit et non pas un acte de charité ou de générosité." (Scholem, op. cité),  alors que Brit Shalom  "réclame comme base d’accord l’égalité des droits des deux peuples et leur reconnaissance mutuelle" (op. cité).   C'est sur la raison et le pragmatisme que  Brit Shalom base sa réflexion, affirmant avec Scholem que le "mouvement sioniste doit définir dans quelle mesure et sur quelle base il est disposé à collaborer avec les populations arabes pour le bien du pays tout entier. Que celui qui a des propositions à faire sur la question se fasse entendre. Les propositions de Hugo Bergmann allaient dans ce sens. Il y en aura peut-être d’autres, mais l’argument de Bourla selon lequel les propositions sur le contenu de la coopération bi-nationale devraient inclure aussi des garanties qui empêcheraient qu’échoue l’alliance pour la coopération (qui n’a aucun rapport avec l’essence même de leur contenu) ne tient pas debout."

(...)

Ici, dans ce pays, où domine l’idée (du moins dans de larges cercles) que tout ce qui émanera de l’autre partie nous causera du tort, on assiste à une sorte de rétrécissement de l’image du sionisme. D’après cette vision, toutes les déclarations des Congrès sionistes, et particulièrement la résolution célèbre de Karlsbad sur nos rapports avec les Arabes, pierre angulaire du Brit Shalom (et quand le mouvement sioniste la réalisera effectivement, le Brit Shalom sera inutile, car il aura alors atteint son objectif principal), ne sont rien d’autre qu’hypocrisie politique et escamotage.

(...)

Nous reconnaissons le droit de propriété des deux peuples sur Eretz-Israël et nous avons encore assez de lucidité pour faire la distinction entre bi-nationalisme et négation de soi. 

(...)

Mais voici que nous arrivons à la troisième critique de Bourla (la seconde pour lui): nous sommes étrangers à notre rédemption politique. En vérité, cet argument est très flou et demande des éclaircissements: comment parvient-on à la rédemption politique? Bourla pense-t-il à l’idée messianique évoquée dans sa forme politique au début de son article? Si c’est le cas, je le dis ouvertement, ce n’est pas une question à poser au Brit Shalom, mais à tout le mouvement sioniste. En tant que membre du Brit Shalom je m’oppose, comme des milliers de sionistes qui n’en font pas partie et étaient radicalement éloignés de ses opinions, à l’idée de brouiller et de mélanger les notions religieuses et politiques. Je réfute absolument que le sionisme soit un mouvement messianique et qu’il s’arroge le droit (et il ne s’agit pas seulement ici de rhétorique vide) d’utiliser une terminologie religieuse à des fins politiques (...) Le mouvement sioniste, dans ses racines profondes, n’a rien à voir avec le mouvement sabbatéen et les tentatives d’y intégrer cet esprit-là ont causé déjà de nombreux dégâts. " (op. cité).

Le philosophe Martin Buber est une des grandes figures du mouvement et se consacrera beaucoup au dialogue entre Juifs et Arabes.  Il dénoncera comme perversion tout nationalisme qui débouche sur un "égoïsme collectif"  (Morabia, 1987),  repoussera l'idée de rechercher une majorité numérique dans la période mandataire et se prononcera pour un programme commun de gouvernement respectant les appartenances ethniques et religieuses. 

"Nous avons besoin pour ce pays d’autant de Juifs qu’il est possible économiquement d’en absorber, mais pas dans le but d’installer une majorité contre une minorité."

 

" L’immigration juive ne doit pas conduire à la détérioration du statut politique des habitants actuels."

(Martin Buber, The meaning of Zionism,  dans A Land of Two Peoples, op. cité, p. 183.)

La même année, les kaymakam  (kaimakanqaiqamam : "gouverneur") de Tibériade,  Emin (Amin) Aslan (1868-1943) mais aussi de Nazareth,  Choukri al-Asali  (Shukri al-Asali, 1868-1916), issu d'une riche famille de propriétaires terriens, s'indignent et s'opposent à la vente au Fonds National Juif par Elias Sursock (Sursuk, Surquq) d'une surface considérable de terres villageoises au pied des montagnes de Nazareth, autour d'al-Fula :

"M. Ossovetsky, qui agissait en tant qu'agent, et les propriétaires ne prêtèrent aucune attention au sort de ces locataires, et a insisté pour leur expulsion, car le terrain avait déjà été acheté et payé. Cela a conduit à un conflit entre les locataires et Ossovetsky. Le Wali (gouverneur) a soutenu Ossovetsky, tandis que le Kaimakam (officier de district) de Tibériade, l'émir Amin Arslan s'est rangé du côté des locataires. On a tiré sur Ossovetsky ; on fit venir des troupes et de nombreux locataires furent arrêtés et emmenés en prison.... C'est alors que, pour la première fois, je suis entré en contact avec le nationalisme arabe.  Rashid Bey, le Wali, qui était un Turc, ne se souciait guère de savoir si le district de Tibériade était habité par des Arabes ou des Juifs, il était donc, prêt à ordonner l'expulsion des locataires. Mais l'émir Amin (Arslan), le Kaimakam de Tibériade, qui était un Arabe Druze, insista non seulement pour que l'indemnisations soit payée aux Arabes expulsés, mais aussi, comme je l'ai su plus tard, a résisté à la désarabisation du quartier. ... Sous le sultan Abdul Hamid la population était tellement terrorisée que personne n'osait proclamer son nationalisme arabe. Après la chute d'Abdul Hamid et la proclamation de la Constitution, les questions constitutionnelles prirent une nouvelle tournure... et les Arabes commencèrent à se battre au sein du Parlement turc pour leurs aspirations nationalistes. Ils considéraient le Sionisme comme un ennemi qui tentait d'envahir des districts qu'ils considéraient comme purement arabes"  

Chaim Margalit Kalvarisky, :  ha-Yahasim ben ha-yehudim veha-caravim lifrie ha-milhama, dans : Sheifotenu, vol. II, n° 11, 1931, pp. 50 - 55.

 

Notons qu'en 1924, Shlomo Kaplansky (1884-1950), chef de l'Union mondiale de Poale Zion, à Vienne,  qui sera partisan d'un état binational, avait accepté alors l'idée d'un parlement commun, même s'il devait y avoir une majorité arabe, mais Ben Gourion veillera à ce que ce projet restât bien au fond d'un carton, promouvant au contraire une solution à deux Etats, sous supervision britannique, précédé d'un développement accéléré des colonies juives (Teveth, 1985). Buber mettra en garde les Juifs sur le fait de ne pas succomber au racisme et à l'ostracisme dont ils ont été eux-mêmes victimes, et demande aux Arabes de refuser les allégations simplistes sur les Juifs. Dans l'activité politique, il considère que la seule injustice tolérable est celle qu'on est contraint de pratiquer pour sa propre survie (Morabia, 1987).  C'est mal interpréter les leçons de l'histoire, dira-t-il, que "d'enseigner que la renaissance d'un peuple puisse être accomplie au moyen de la violence."  (A land of two peoples... op. cité, p. 191).   

 

C'est donc le binationalisme que privilégiaient les membres de Brit Shalom, qui ont dénoncé à différentes reprises les formes de ségrégation  entre Juifs et Arabes instaurées par les sionistes, demandant à ce que toutes les institutions juives soient ouvertes aux Arabes, que les fonctionnaires de l'Etat soient trilingues (anglais, arabe, hébreu), ou encore que la langue arabe soit enseignée avec l'hébreu dans les écoles juives  (Abitbol, 2013).  Brit Shalom tenta de se rapprocher des organisations arabes et de ses chefs,  comme Musa Kazim al-Husseini,  Raghib al-Nashashibi, maire de Jérusalem et chef de la grande famille hyérosolomitaine, rivale du clan Husseini, qui étaient tous prêts à négocier sur l'immigration juive.  Mais la plupart des dirigeants arabes ne s'intéressaient pas à Brit Shalom, en regard de son très faible poids politique. Quand Kalvarisky fonda la Ligue pour le rapprochement et la coopération judéo-arabe, en 1939, il interpella Awni Abdul-Hadi, membre du Comité exécutif arabe (ou  Exécutif arabe), qui lui fit une réponse en forme de douche froide : 

"Quant à moi, je vous dirai franchement que j’aime mieux traiter avec Jabotinsky ou Ussischkin qu’avec vous. Je sais que ces hommes sont des ennemis jurés qui veulent nous écraser, prendre notre terre et nous forcer à quitter le pays, et que nous devons les combattre. Mais toi, Kalvarisky, tu as l’air d’être notre ami, mais, dans le fond je ne vois aucune différence entre ton but et celui de Jabotinsky. Vous aussi, vous vous en tenez fermement à la Déclaration Balfour, au Foyer national, à l’immigration sans restriction et à l’acquisition ininterrompue des terres occupées par les Arabes."   (Schweigmann, 2015).

      binationalisme       "en 1944 encore, les binationalistes ont recueilli 42 % dans les dernières élections syndicales du Yishouv. Bref, on ne peut pas parler du sionisme comme d’un mouvement monolithique"  (Vidal, 2001)"      

            rivale                :   Les partisans de la famille Husseini sont appelés majlisiyyun (majlesiyoun, sing. majlisin)   du nom du Conseil (majli) suprême musulman (al-majlis al-islami al-a’la), que le clan monopolise, tandis que leurs adversaires Nashashibis sont les mu'aridin (mu'aridun, muaridin, muaridun) : "opposants" (de mu'arada (muarada, mouarada) : "opposition".                                           

Vingt ans auparavant, Kalvarisky avait proposé au Comité Provisoire de la communauté juive en Palestine, un plan pour la création d'un état binational.  Yehuda Magnes, avait même travaillé avec Brit Shalom pour lancer une campagne pour la création d'un état binational,  mais Ben Gourion y opposa un refus farouche (Weinstock, 2011)., car contrairement aux binationalistes, les sionistes radicaux n'avaient aucunement l'intention de reconnaître la dimension majoritaire de la population arabe, qui aurait eu dans un tel cadre une position politique beaucoup trop avantageuse  :   "Il  nous  incombe  de  renoncer  une  fois  pour  toutes  à  l'idée d'une « Palestine juive », au sens d'un pays juif qui supplantera la Palestine arabe [...]. Le sionisme n'existait pas au début du judaïsme et, s'il ne s'accorde pas avec le judaïsme du point de vue moral, malheur au sionisme !"  (Leon Magnes, lettre à Felix Warburg, 13 septembre 1929, cité par Shlomo Sand, "Deux peuples..., op. cité).

"Le droit historique [des Juifs sur le pays] relève de la catégorie métaphysique et non politique, ainsi [...]. il n'oblige pas les Arabes, mais nous-mêmes. C'est une catégorie interne au judaïsme."  (Ernst Simon, Contre les sadducéens, 1931, cité par S. Sand, Deux peuples..., op. cité).

 

L'idée de Ben Gourion, après les émeutes de 1929, était plutôt un genre de solution à deux Etats, en créant un Etat fédéral : "En échange d'un accord sioniste en vue d'une Constitution palestinienne, d'une fédération et d'un  parlement au sein d'un gouvernement fédéral, les Arabes autoriseraient la liberté d’immigration et d’établissement dans les districts juifs, qui auraient eux aussi leur propre constitution, leurs propres gouvernement et parlement ."  (Teveth,1985).  C'est une solution de cet ordre que proposera Mussolini à Weizmann, lors de sa rencontre avec le Duce, en février 1934, ou encore George Khabib Antonius (1891-1942), brillant intellectuel arabe chrétien, diplômé du King's College de Cambridge, auteur de The Arab awakening ("Le Réveil arabe") en 1938, dans une de ses quatre entrevues avec Ben Gourion, organisée par Magnes, le 17 avril 1936.  Mais Antonius ne risquait pas de trouver un terrain d'entente avec Ben Gourion, car le penseur arabe posait toujours les problématiques de manière très rationnelle, lui qui occupa, par ailleurs, les vingt ans de sa vie passés en Palestine mandataire à rendre le peuple palestinien plus instruit, plus autonome (Susan Silsby Boyle, "Betrayal of Palestine : The Story of George Antonius", Boulder, Westview Press, 2001).  Son supérieur britannique, au ministère de l'Education conspirait sans cesse pour le remplacer  par un Anglais, tant ses collègues ne supportaient pas que ce wog (gentleman oriental, occidentalisé) soit plus instruit et plus intelligent qu'eux  (Boyle, op. cité).  Antonius conclura un de ses entretiens avec le leader travailliste sur l'avis, qu'il n'y avait guère de place, selon lui,  pour "une seconde nation dans un pays déjà habité (...) par un peuple dont la conscience nationale est pleinement éveillée, et dont l’affection pour son pays... demeure naturellement inaltérable (Oren Kessler, Palestine 1936 : The Great Revolt and the Roots of the Middle East Conflict, Rowman & Littlefield, 2023)et que les Juifs devraient se résigner à un statut de minorité, à la manière sans doute d'une cantonalisation inspirée du modèle suisse, qui était depuis un moment en débat. Ben Gourion, comme les autres dirigeants sionistes, n'en voulaient pas, bien sûr,  obsédés maintenant par l'idée de mettre la main d'une manière ou d'une autre sur l'ensemble de la Palestine. 

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Bien que sympathisants ou militants socialistes, les membres de Brit Shalom se sont heurtés aux organisations politiques qui voulaient se servir de la lutte des classes pour favoriser le projet sioniste.  Schmuel Hugo Bergman, par exemple, était membre d'Ahavat Poalim ("Fraternité ouvrière"), dissous par le gouvernement mandataire en 1930. La première assemblée du mouvement reconnut dans sa résolution le droit plein et entier de la classe ouvrière arabe au libre développement social et national  en même temps qu'il acceptait de la part des Juifs une immigration illimitée, deux résolutions parfaitement contradictoires. En 1930 toujours, Bergman, face à cette position exprimée par Moshe Erem, un membre du mouvement, avait répondu :

"Utiliser l'organisation commune afin de réaliser les aspirations politiques d'un peuple particulier signifie la destruction de toute possibilité d'organisation commune. [...] L'immigration juive, malgré tout ce  qu'elle a apporté de bien à l'ouvrier arabe, affaiblit le pouvoir politique de l'un des peuples [en Palestine] et renforce le pouvoir politique de l'autre camp, au moment où se déroule une lutte acharnée entre les deux peuples, que toute l'idéologie de classe du camarade Erem ne saurait combattre, du moins pas pour l'instant, aussi longtemps qu'aucun accord judéo-arabe n'ait été trouvé. Utiliser  l'organisation commune à l'heure actuelle afin d'éliminer les barrières opposées à l'immigration juive ‑ aucun patriote arabe, aucun ouvrier arabe ayant des sentiments nationalistes, ne serait d'accord avec cela." (Lockman, 1996),

Certains membres de Brit Shalom, tel Ruppin, nous l'avons vu, qui a dirigé le mouvement jusqu'en 1928, ou Norman Bentwich, n'ont guère, au cours du temps, suivi l'orthodoxie du mouvement et ont pratiqué un sionisme politique qui cherchait avant tout à avantager les Juifs. Procureur général de la Palestine jusqu'en 1931, nommé par les Britanniques, le fort engagement sioniste de Bentwich lui valut une grande animosité de la part des Palestiniens,  qui manifestèrent à plusieurs reprises contre sa présence dans l'administration coloniale, de laquelle il fut finalement écarté, après notamment avoir été pris pour cible par un jeune employé de la police palestinienne en novembre 1929,  qui le blessa à la jambe, et finit par être condamné à quinze ans de travaux forcés.  (Norman and Helen Bentwich, Mandate Memories, 1965, Londres, The Hogarth Press. pp. 136–139 ; Bernard Wasserstein, The British in Palestine, 1978, Londres, Royal Historical Society. pp. 209–215.).  Hans Kohn a été le seul, à l'inverse, à vouloir rompre avec le sionisme lui-même à la suite des émeutes arabes de 1929  (Rose, 2005 ; Salah, 2010, Shumsky, 2011) : 

"Nous prétendons être d’innocentes victimes. Bien sûr, les Arabes nous ont attaqués en août. Comme ils n’ont pas d’armée, ils n’ont pas pu respecter les règles de la guerre .  (...)  Nous sommes forcés de rechercher les causes plus profondes de cette révolte (...) nous n’avons sérieusement tenté d’obtenir par des négociations le consentement des peuples indigènes."  (Zionism is not Judaism, Lettre de résignation de Hans Kohn, envoyée de Keren HaYesod, 1929, dans "A Land of Two Peoples...", op. cité, p. 97-100).

Le sionisme modéré extrêmement minoritaire de Brit Shalom a très vite échoué : "le sionisme meurt d'avoir gagné", confiera  Gershom Scholem à son ami, le grand philosophe Walter Benjamin (Correspondance, vol. II, lettre 206, du 3 octobre 1931, trad. fr. G. Petitdemange, Aubier, Paris, 1979).

 

 

 

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Les révoltes d'Al-Buraq                           

 

Cinq années passent, entre 1922 et 1927 sans grave incident, et en 1928, est ravivé un conflit autour du Mur occidental (Kotel, Kosel Hamaaravi, HaKotel HaMa'aravi), plus couramment appelé le Mur des Lamentations (EL-Mabka, "le lieu des pleurs"), à Jérusalem, dernier témoin du second Temple, sacré pour les Juifs, qui forme, du côté occidental, la limite d'une aire non moins sacré pour les musulmans, Haram-al-Sharif  (Haram-al-Chérif,  "le noble sanctuaire", que nous appelons "esplanade des mosquées", car elle abrite deux mosquées : la mosquée al-Aqsa et la mosquée d'Omar, plus couramment appelée "Le Dôme du Rocher".  Le mur des Lamentations fait partie d'un ensemble de type waqf, dont le baron Edmond de Rothschild avait tenté vainement d'acheter une partie, tout comme le rabbi Haïm Hirschesohn en 1895 (Lang, Yossef.  The Hirschensohn Family of Publishers in Jerusalem, 1882–1908, Kesher, n° 29) ou encore la PLq avant le début de la première guerre mondiale, sans compter la demande du Vaad Leumi, le Conseil National Juif, d'exproprier le mur pour le donner aux Juifs  (Wasserstein, 1978)En 1840 et 1911, les Juifs avaient souhaité installer un écran pour séparer les fidèles des deux sexes, mais aussi faire des travaux de réfection, chaque fois refusé par les autorités  ottomanes, qui rappelaient que les Juifs avaient l'usage des lieux mais pas la propriété.  En 1922, la polémique avait refait surface et le SMC avait communiqué tous azimuts sur le sujet, pour prévenir du danger d'une prétendue mainmise sur les lieux  saints musulmans. Pendant la célébration du Yom Kippour ("le Jour des propitiations" dit "Jour du grand pardon") le 24 septembre 1928, les Juifs installèrent la fameuse cloison, des bancs pour les vieillards, interdits eux aussi, et la police britannique est intervenue pour enlever le matériel illégal, non sans violences envers des femmes en particulier, qui tentaient d'empêcher ce démantèlement, ce qui provoqua la colère des Juifs qui attaquèrent un poste de police  (Hillel Danziger, The Kosel Affair, Guardian of Jerusalem. New York: Artscroll, pp. 452–470).  Certains Juifs appelèrent à la reconstruction du Temple,  et au printemps 1929, Jabotinsky appela au cours d'une longue campagne à "l'insubordination et à la violence" (Mattar, 2006).  Il n'en fallait pas plus pour que le mufti  Amin al-Husseini  ravive avec force la polémique en convoquant une conférence islamique mondiale à Jérusalem tout début novembre, en faisant des appels à la prière très bruyants du côté du Mur des Lamentations. Pendant l'été 1929, il ordonne même que soit pratiqué une ouverture non loin du mur pour faire passer des mules le long du mur des Lamentations, qui ne manquaient pas de déféquer le long du parcours. Et ne parlons pas des tracts envoyés dans tout le monde arabe, affirmant que les Juifs prévoyaient de s'emparer de la mosquée al-Aqsa  (Segev, 1999 ; 2000).    

Cependant, du côté du riche clan Husseini, la cause arabe n'était pas la seule préoccupation. Le mufti saisissait probablement là une opportunité politique pour son clan qui commençait à connaître des revers dans les urnes (élections municipales de  1927), et qui, s'il n'écoutait pas l'exaspération sociale, risquait de se mettre  à dos l'opinion arabe.  Enfin, c'est un moment où les Britanniques, pour des raisons de paix civile, ont invoqué la législation ottomane sur la propriété et confirmer différents firman (du persan : "décret") royaux pour débouter à chaque fois les Juifs de leurs réclamations au sujet du mur.  Les Juifs ont répondu aux provocations du mufti par une provocation, en particulier, dont la nature sioniste  ne pouvait qu'attiser la colère des autochtones.  Ainsi, le 14 août 1929, pendant le jeûne de Tisha Beav ("neuvième jour du mois d'av") des centaines de jeunes ont hissé le drapeau sioniste et chanté devant "leur" mur  l'hymne d'Hatikva (Hatikvah, Hatikqwa : "L'espoir"), écrit par le Galicien Naftali Herz Imber en 1878 et mis en musique par le musicien moldave Samuel Cohen en 1888 :

massacres d'août 1929
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Kol ode balevav P'nimah
Aussi longtemps qu'en nos cœurs,
Nefesh Yehudi homiyah
Vibrera l'âme juive,
Ulfa'atey mizrach kadimah
Et tournée vers l'Orient
Ayin l'tzion tzofiyah
Aspirera à Sion,
Ode lo avdah tikvatenu
Notre espoir n'est pas vain,
Hatikvah bat shnot alpayim
Espérance vieille de deux mille ans
L'hiyot am chofshi b'artzenu
D'être un peuple libre sur notre terre,
Eretz Tzion v'Yerushalayim
Le Pays de Sion et Jérusalem.                               

 

 source  :  cf :  "hymne d'Hatikva",  ci-dessus

 

 

L'inflexibilité, l'attitude franchement hostile et provocante des autorités musulmanes seraient difficiles à comprendre dans un contexte paisible entre communautés religieuses. Pourquoi ne pas concéder aux Juifs la propriété de ce petit espace sacré si important pour eux ?  Tout d'abord, les musulmans considèrent que le mur des Lamentations fait partie de la mosquée d'Al-Aqsa, où, selon la tradition islamique, Mahomet avait attaché son destrier Buraq, avant de s'envoler au ciel durant la nuit (d'où le nom donné de "révoltes d'Al-Buraq" aux émeutes qui suivront).  D'autre part, ils craignaient que cette première étape ne soit suivie par d'autres pour transformer le site en synagogue  (Segev, 1999) Les actions et les propos déterminés des sionistes nous l'avons vu,  n'avaient cessé d'inquiéter les Palestiniens. En 1925, l'année, rappelons-le,  où il crée son mouvement révisionniste, Ussishkin ne prononçait-il pas un discours  en forme de déclaration de guerre aux Arabes, réclamant "un État juif sans compromis et sans concessions, de Dan à Beer Sheva, de la grande mer au désert, y compris la Transjordanie " ? En guise de conclusion, il avait proclamé  : "Jurons que le peuple juif ne se reposera pas et ne restera pas silencieux jusqu’à ce que son foyer national soit construit sur notre mont Moriah », une référence au Mont du Temple" (Segev, 1999)Cette ambition dominatrice, de conquête totale du territoire devenait un refrain de plus en plus courant chez les sionistes et ne pouvaient que provoquer la colère des habitants de Palestine. 

Reprenons maintenant le déroulé des évènements d'août 1929. Le 15 du mois,  une foule de quelques milliers d'Arabes manifeste autour du mur des Lamentations, où un des cheiks de la mosquée d'al-Aqsa, Hassan Abu Al-Saud (Abou al-Saoud),  prononce un discours incendiaire, et où la foule  bouscule le bedeau (shammas), déchire ses vêtements,  brûle des livres de prières, des supplications introduites dans les interstices du mur et aussi,  du mobilier liturgique.  Le journal Doar Hayom (Do'ar ha-yom), journal révisionniste dont Jabotinsky est rédacteur en chef,  publie un tract lui aussi enflammé, fondé en particulier sur des assertions du leader révisionniste, le Dr Wolfang von Weisl et  "qui sur des points importants étaient incorrects"   (Report of the Commission on the Palestine Disturbances of August, 1929,  mars 1930, Londres, Majesty's Stationnery Office, p.161-162, appelé couramment Shaw  Report :  "Rapport Shaw", du nom du président de la commission qui enquêta sur les émeutes tragiques d'août 1929).   Cette situation inspirera au journal Haaretz, le 18 août, le fameux dicton : "celui qui sème le vent récolte la tempête".   Le 17, un incident banal survient qui montre, comme à beaucoup d'autres moments de l'histoire, combien des évènements mineurs, dans des moments de grande tension sociale, peuvent entraîner des réactions en apparence disproportionnée. Un jeune juif envoie par erreur une balle de football dans un plant  de tomates appartenant à un Arabe, qui réagit en lui cherchant querelle et finit par le blesser gravement avec un couteau. Une rixe finit par éclater entre Juifs et Arabes, où de part et d'autres on compte une dizaine de blessés. La police finit par débarquer, arrête le premier coupable, mais est pris à parti par une foule juive qui s'en prend à la fois aux policiers et à leur prisonnier. Ensuite, la foule s'attaquera à des maisons arabes environnantes, blessant quelques occupants.  Suivent plusieurs jours d'agressions mutuelles entre Arabes et Juifs, à Jérusalem, principalement, mais aussi à l'extérieur de la ville. Le jeune joueur blessé finit par mourir de ses blessures le 20 août, et pendant ses funérailles, des Juifs en colère tentèrent en vain de rejoindre des quartiers arabes près de la porte de Jaffa, et se virent réprimander par voie de communiqué par l'Agence juive. Ensuite, l'escalade des violences a continué. Le 23 août, une foule arabe tue un étudiant et blesse le sacristain de la yeshiva (yechiva : école juive pour l'étude de la Torah et du Talmud) d'Hébron.  Le 24 août, c'est un véritable massacre qui se produit dans la même ville, où la communauté juive de l'ancien Yishouv a décliné le soutien de la Haganah, pensant que les Arabes ne s'attaqueraient jamais à eux. Et c'est en partie vrai, car les émeutiers s'en sont pris  très majoritairement (4/5e) à des Juifs achkénazes, issus donc de la récente colonisation (Campos, 2007), s'attaquant à plus de la moitié des colonies juives, détruites ou évacuées par les autorités britanniques (Anderson, 2018). Par ailleurs, les colons abandonneront leurs projets d'implantation dans divers lieux, comme Acre, Naplouse, Beersheba, Ramle, Tulkarem, Beisan ou Gaza  (op. cité) A Hébron, les Palestiniens causèrent le pire massacre de cette longue série de crimes qui allait encore se poursuivre, faisant près de soixante-dix victimes juives, dont une quarantaine d'étudiants et de maîtres de l'école juive. Une infirmerie, une synagogue ont été vandalisées, mais surtout d'horribles crimes (éventrations,  mutilations, tortures, viols) ont été commis sur les Juifs, y compris par un membre arabe, au moins, des forces de police, Issa Sherif   (Morris, 2003) Le même jour, d'autres communautés déplorent des tueries similaires mais de moindre ampleur dans des villages à l'ouest de Jérusalem, à Kfar Uria ou à Motza,  où plusieurs femmes de la famille Mkleff (Maklev) ont été violées et assassinées, mais aussi à Tel Aviv.  Le lendemain, une autre famille, les Awn (A'oun), à Jaffa, musulmane, cette fois, dont le père était imam (Cheikh Abed Al-Ghani A’oun), a été massacrée par un policier  juif, Shimchas Hinkis, condamné mais libéré par amnistie six ans après. D'autres crimes, une dizaine, ont été commis par des Juifs,  en réaction à la violence subie.  Le lendemain, c'est un groupe de Juifs qui détruit en partie la mosquéee Nebi Akasha, profanant des tombeaux de prophètes.  Le 29 août, de nouveau à Safed, et dans une moindre mesure à Ein Zeitim, c'est sur des membres du vieux Yichouv, parfaitement intégrés donc, au tissu social et notoirement antisionistes, car très conservateurs en matière de religion, que la violence extrême des assaillants a porté, faisant presque une vingtaine de victimes juives.  Il est donc clair que la montée des violences a déclenché chez les Arabes une fureur en partie aveugle, de celles causées par une exaspération extrême que l'on trouve régulièrement dans l'histoire de tous les peuples en révolte ou en révolution, qui explosent le plus souvent après une longue accumulation de mépris, d'indifférence, d'injustices et de souffrances, de doléances restées lettres mortes, de protestations demeurées sans réponse. C'est aussi l'avis du  Rapport Shaw,  qui souligne "que les frustrations palestiniennes ont engendré une « animosité raciale », mais précise qu’il s’agit d’un phénomène de second ordre produit par des frustrations politiques et socio-économiques."   (Anderson, 2018).  

 

Il est impossible ici d'établir un déroulé exhaustif des incidents qui ont eu lieu, en particulier dans les villes qui déplorent différents blessés et peu ou pas de crimes : Naplouse/ Nablus, Beisan, en particulier). En contrepoint,  il faut souligner le fait que des centaines de Juifs ont été sauvés par des familles arabes qui les ont protégés dans leurs foyers  (Segev, 1999).  Au total, on déplorera la mort de 133 Juifs (et 339 blessés) et de 116 Palestiniens, qui compteront 232 blessés dans leurs rangs  (Anderson, 2018). 

 

Différents leaders, intellectuels, journalistes et même poètes arabes, d'hier à aujourd'hui, élèveront en martyrs les criminels des émeutes du Mur des Lamentations, appelées par les Arabes "révoltes d'Al-Buraq"  : ثورة البراق, Thawrat al-Burāq  (cf.   Learning each other's historical narrative : Palestinians and Israelis, Prime, 2003). Quand le 17 juin 1930 sont exécutés Fuad (Fouad) Hassan Hijazi, ‘Ata Al-Zeer (Ataa Al-Zir, A. Zeir) et Muhammad Khalil Jamjoum, pour des crimes particulièrement horribles (et tandis que beaucoup d'autres ont vu commuer leurs peines),  les gros titres du quotidien Filastin annonçaient : "Exécution de Fouad Hijazi, Ata Al-Zeer et Mohammed Jamjoum Un résultat de la politique de la Déclaration Balfour. Que le sang de ces martyrs, les justes les enfants de Palestine arrosent les racines de l’arbre de Indépendance arabe. Commémorez cette journée chaque année."  (op. cité, p. 15).  

Alors que la dépression économique, le chômage, les révoltes d'août 1929, avaient poussé beaucoup de Juifs à émigrer  à nouveau, l'arrivée au pouvoir d'Hitler allait inverser la tendance. Les sionistes avaient cependant retiré quelques avantages des tragiques évènements, notamment en recrutant des Juifs à la place de ces  Arabes qui avaient déserté à cette occasion les plantations d'agrumes juives et même des Juifs yéménites, qui ne sont pas affiliés à l'Histadrout. C'est une des mesures qui font partie du nouveau plan d'action des chefs sionistes, au premier rang desquels on trouve encore le fougueux Ben Gourion, qui cherche, dès septembre 1929, de nouveaux moyens de défense pour mettre à l'abri sa communauté tout en continuant d'augmenter sa puissance.  Il reprend ainsi à sa manière l'idée de la  "Muraille de fer" de Jabotinsky (cf. plus haut), mais aussi le vieux concept de maillage du territoire d'Edmond de Rothschild, déjà évoqué, en recommandant fermement d'implanter les nouvelles colonies en fonction de celles déjà installées, pour permettre une continuité territoriale érigée en mur de défense, mais aussi en insistant sur le recrutement d'une main d'œuvre exclusivement juive, là encore une disposition qui n'est pas neuve chez les sionistes, nous l'avons vu aussi   (cf. Teveth, 1985)  Comme souvent ces incitations viennent des dirigeants, et non des simples colons. Dans les grèves, comme celle des chauffeurs en 1931, arabes et juifs défendent d'abord ensemble leurs emplois, avant que la Histadrout ne pousse les travailleurs à  créer un syndicat exclusivement juif.  Depuis 1923 déjà, alors que les militants du Poalei Tzion Smol  ("Ouvriers de Sion de Gauche") avaient pris le contrôle du syndicat RWA (Railway Workers Association) et l'avaient renommé Union of Railway, Postal and Telegraph Workers  (URPTW) : “Syndicat des ouvriers des chemins de fer, postes et télégraphes”,  ils avaient déclaré le syndicat international, ouvert aussi bien aux Arabes qu'aux Juifs, provoquant une réaction de l'Histadrout, dont la direction décida en avril 1924  l'exclusion des communistes de ses organisations.   L'orientation sioniste  de l'URPTW, qui exclut définitivement 13 militants communistes, poussa beaucoup d'Arabes à quitter le syndicat et à l'été 1925, fut créée la “Société des travailleurs arabes de Palestine” (“al‑Jamiyyah al‑Umal al‑Arabiyya al‑Filastiniyya” , جميعة العمّال العربية الفلسطينية, ou “Palestinian Arab Workers Society”, la PAWS   ("Le mouvement communiste en Palestine 1919‑1949")

Acteurs engagés d'une manière ou d'une autre dans la politique de ségrégation raciale en Palestine mandataire, aussi bien le syndicat  Histadrout, l'Agence Juive que l'administration britannique  "séparent rigoureusement dans leurs tableaux « Juifs » et « Arabes ». Une séparation statistique qui alimente la tendance à comparer les deux camps pour ainsi rendre compte de la compétition qui les oppose dans le partage du pays [Khalidi R., 2007 : 60]. A ce titre, la posture « dualiste » traduit d’abord la volonté sioniste d’y établir une communauté juive autonome et séparée de son environnement arabe, condition essentielle pour pouvoir bâtir son propre Etat. La production de données détaillées sur le secteur juif en expansion constitue également un aspect déterminant du plaidoyer pour requérir un plus grand soutien de l’Administration britannique et de la diaspora juive dans la colonisation , de même qu’elle permet la mise en œuvre de politiques économiques mieux adaptées aux besoins de la communauté juive. A posteriori, l’historiographie israélienne a ainsi considéré le développement de la communauté du Yichouv de manière autonome, en vertu des valeurs et des compétences importées d’Europe par la génération des pionniers, et indépendamment de ses rapports avec la société autochtone palestinienne. Les Arabes, eux, y apparaissent comme essentiellement primitifs et n’ayant que peu d’importance pour l’histoire du mouvement en lui-même [Asad T., 1975 ; Shafir G., 1989]."  (Al-Labadi, 2015). 

«chaque membre de la Histadrout devait payer deux cotisations obligatoires : la première “pour le travail juif” – fonds pour l’organisation de rassemblements … contre l’emploi des travailleurs arabes, et la seconde pour “produire juif” – l’organisation du boycott de la production arabe»   (Weinstock, 1979). 

 

Le dirigeant travailliste Vitaly Viktor Haïm (Chaïm)  Arlozoroff  (Arlosoroff, Arlozorov, 1899-1933)  ira même jusqu'à suggérer, en 1927, que le sionisme devrait prendre exemple sur la méthode sud-africaine d'exclure les travailleurs noirs des emplois qualifiés et syndiqués (Lockman, 1996)  Il caressait, par ailleurs, l'idée d'une grande révolte juive déclenchée dans le but de s'approprier des terres arabes par la force, pour constituer un Etat juif  (Laqueur, 1972 )

 

Pendant plusieurs années, la colonisation de la cinquième aliya (1929-1939) comptera  beaucoup de nouveaux arrivants faisant partie de milieux sociaux plus ou moins aisés, beaucoup de réfugiés allemands ayant un capital à fructifier, et cet apport conséquent de talents et de richesses dopera en particulier l'équipement industriel et le développement agricole des colonies du Yishouv, notamment en faisant bondir la surface des acquisitions foncières "de manière considérable", au détriment des paysans palestiniens, entre 1928 et 1936   (Weinstock, 2011)  Le développement culturel est à l'image du reste : ouverture de la Bibliothèque nationale et universitaire juive en 1930, de la  Grande Synagogue de Tel Aviv l'année d'après, organisations des premières "Maccabiades"(Maccabiah Games, Olympiades juives) dans le même temps, etc. 

 

 

un combat entre un juif...

 

 

un combat entre un juif et une chèvre     

 

Ces terribles évènements marquent un tournant dans l'histoire de la région. En effet, il était de plus en plus évident pour tous que le développement de l'immigration juive, soutenu puissamment par la puissance britannique, était devenu  intolérable à l'ensemble de la communauté arabe de Palestine. Avec la coopération d'avocats palestiniens, le Comité exécutif arabe a affirmé que la violence du pays est  "un produit direct de la politique sioniste-britannique qui vise à l’extinction de la nation arabe dans son foyer naturel afin de la remplacer par une nation juive inexistante"   ( Protest of Arab lawyers in Palestine against the written statement of the High Commissioner : "Protestation des avocats arabes de  Palestine contre la déclaration écrite du Haut-Commissaire", 2 septembre 1929, dans  Watha'iq al-muqawama al-Filastiniyya didd al-ihtilal al-Baritani wa-l-Sahyuniyya 1918–1939, compilé par 'Abd al-Wahhab al-Kayyali (Beyrouth / Beirut  Mu'assasat al-dirasat al-Filastiniyya, 1988, dans Anderson, 2018).

La nature nationaliste et antisioniste de la violence des dernières grandes révoltes a été confirmée par le Haut-Commissaire John Chancellor (1928-1931) et, dans une note de janvier 1930, il égrènera le chapelet de causes ayant abouti aux violentes émeutes, en particulier la pénurie de terres cultivables, le doublement de la base territoriale du Yishouv au cours des années  1920,  la manque de protection des paysans arabes,  un risque de plus en plus accru de créer une "classe sans terre" (land-less classexpression reprise, nous le verrons, par le rapport Shaw), une politique intenable du Royaume-Uni ayant interprété à sens unique la Déclaration Balfour au détriment des arabes, inscrivant ce favoritisme dans les articles 2, 4, 6 et 11 de la charte du mandat délégataire et en violation de l'article 22 du pacte de la SDN  (High Commissioner (HC) to CSS, [Colonial Secretary, NDR] , 17 janvier 1930, pp.46–52, 54–6, 58, 72, BNA – CO 733/182/9 ; K.W. Stein, The Land Question in Palestine, 1917–1939 : "La question de la terre en Palestine...", Chapel Hill,  University of North Carolina Press, 1984, p.226. dans Anderson, 2018).

 

Chancellor appela donc à modifier cette charte "pour supprimer le statut privilégié accordé aux Juifs et au projet sioniste"  (Anderson, 2018) et à opérer un certain nombre de restrictions pour la communauté juive :  gel de l'extension territoriale, limitation de la croissance démographique, immigration vers les colonies agricoles pour répondre seulement aux besoins des colonies existantes, suppression de l'aliénation des terres aux non-juifs, contrôle des transferts de terre, etc. etc.  Le rapport Shaw minimisera tous les points soulevés par Chancellor à propos du mandat  et, en dépit de ses nombreuses critiques, ne remettra nullement en cause la politique sioniste du Royaume-Uni.  Evoquons en passant la première lettre, en ce mois de janvier 1930, d'une brève correspondance entre le grand physicien Albert Einstein et le journal Falastin, qui avait publié le 19 octobre 1929 un article intitulé  Relativity and Propaganda.  Le savant avait vanté l'idéal sioniste auprès d'un journal arabe emblématique du nationalisme arabe, et pensant  qu'un comité composé de huit Arabes et Juifs pouvait aplanir les graves difficultés du pays.  Concours de circonstances peu étonnant en regard des actualités du moment, il recevait le mois suivant une lettre de Sigmund Freud d'une toute autre tonalité, mais ambiguë elle aussi.  Le père de la psychanalyse, qui a souvent témoigné un grand attachement à sa judéité (cf. Lakhdari, 2004), manifestait de l'empathie pour la cause sioniste, tout en trouvant son entreprise irréaliste, demeurant fermement opposé par ailleurs à la création d'un Etat juif sur des bases religieuses, puisqu'il était athée et profondément épris de lumières intellectuelles et de science : 

 

"J’ai assurément les meilleurs sentiments de sympathie pour des efforts librement consentis, je suis fier de notre université de Jérusalem et je me réjouis de la prospérité des établissements de nos colons.  Mais, d’un autre côté, je ne crois pas que la Palestine puisse jamais devenir un État juif ni que le monde chrétien, comme le monde islamique, puissent un jour être prêts à confier leurs lieux saints à la garde des Juifs. Il m’aurait semblé plus avisé de fonder une patrie juive sur un sol historiquement non chargé ; certes, je sais que, pour un dessein aussi rationnel, jamais on n’aurait pu susciter l’exaltation des masses ni la coopération des riches. Je concède aussi, avec regret, que le fanatisme peu réaliste de nos compatriotes porte sa part de responsabilité dans l’éveil de la méfiance des Arabes. Je ne peux éprouver la moindre sympathie pour une piété mal interprétée qui fait d’un morceau de mur d’Hérode une relique nationale et, à cause d’elle, défie les sentiments des habitants du pays*.

Jugez vous-même si, avec un point de vue aussi critique, je suis la personne qu’il faut pour jouer le rôle de consolateur d’un peuple ébranlé par un espoir injustifié." 

 

(Lettre de S. Freud à A. EinsteinVienne, IX, Berggrasse 19,  26 février 1930, traduction  Jacques Le Rider, dans Elisabeth Roudinesco,  À propos d'une lettre inédite de Freud sur le sionisme et la question des lieux saints, Cliniques Méditerranéennes,  2004 |2, n° 70, pp. 5-17.

 

*  allusion très claire aux provocations juives qui ont alimenté les révoltes arabes l'année précédente, qui se rapporte à son refus "de signer la pétition condamnant les émeutes arabes de 1929 qui avaient causé la mort d’une centaine de Juifs. Il se déclare inapte à donner sa caution en raison de la neutralité de ses positions qui ne peuvent enflammer les foules, ni attirer les dons des riches, ce qui était un des buts principaux de l’organisme sioniste chargé de financer les implantations en Terre sainte."  (Lakhdari, 2004),  

 

Dans sa lettre, Freud fait allusion à la création de l'Université hébraïque de Jérusalem, à l'inauguration de laquelle Einstein a participé en 1923, et pour la création de laquelle ce dernier avait fait un voyage avec Weizmann aux Etats-Unis, en 1921,  en vue de réunir les fonds nécessaires au projet.  Le "nouvel historien" israélien Benny Morris rappelle que le grand physicien avait été un fier nationaliste juif, qui avait fait un éloge appuyé des jeunes pionniers "cassant des pierres et construisant des routes sous les rayons brûlants du soleil palestinien", et de leurs  "colonies agricoles florissantes qui surgissent du sol déserté depuis longtemps"  (Einstein, lettre au Manchester Guardian, 1929, cité par B. Morris, article de The Guardian, 16 février 2005)En 1938, Einstein craignait que l'entreprise sioniste fût menacée par des "Arabes fanatiques hors-la-loi" (Einstein, "Our debt to Zionism", discours de célébration du 3e Séder, organisé par le National Labor Committee for Palestine, Commodore Hotel, New York City, 28 avril 1938).  Au cours du même discours,  il déclarait  : "Il serait, à mon avis, plus raisonnable d'arriver à un accord avec les Arabes sur la base d'une vie commune pacifique que de créer un Etat juif… La conscience que j'ai de la nature essentielle du judaïsme se heurte à l'idée d'un Etat juif doté de frontières, d'une armée, et d'un projet de pouvoir temporel, aussi modeste soit-il. Je crains les dommages internes que le judaïsme subira en raison du développement, dans nos rangs, d'un nationalisme étroit… Nous ne sommes plus les juifs de la période des Macchabées. Redevenir une nation, au sens politique du mot, équivaudrait à se détourner de la spiritualisation de notre communauté que nous devons au génie de nos prophètes." (A. Einstein, Our debt... op. cité).  Force est de constater que, malgré les prises de position modérées de Freud ou d'Einstein sur le colonialisme juif en Palestine, il n'est jamais question pour eux de le critiquer au nom des pratiques discriminatoires, raciales, ségrégationnistes,  qui ont cours dans la Palestine mandataire au nom du sionisme, sous la protection du pouvoir britannique. 

Le rapport Shaw  fera le point sur la question de l'immigration juive en Palestine.  Il rappellera alors que "Sir John Campbell avait raison quand il rapporta que les crises de 1927 et 1928 étaient dues « au fait que les immigrants sont arrivés en trop grand nombre, en regard de la capacité économique du pays à les intégrer»",  qu'entre "1921 et 1929, il y eut beaucoup de ventes de terres qui entraînèrent une expulsion de nombre d'Arabes sans compensation de nouvelles terres à cultiver.", en conséquence de quoi "une classe d'hommes mécontents et sans terre est en train de se créer"  qui est "un danger potentiel pour le pays." (Rapport Shaw, op. cité).  Cette inquiétude se mêle à des sentiments de précarité économique, plusieurs domaines s'étant passablement dégradés depuis 1926, avec une sévère crise du chômage, de l'endettement paysan, ou encore une grande épidémie de peste bovine. Se surajouteront le grave tremblement de terre de juillet 1927 et une sécheresse aggravée par une invasion de criquets en 1928  (op. cité, p. 25).   Le rapport Shaw réitère par ailleurs l'inégalité économique entre communautés arabe et juive : "Les injections régulières et considérables d’argent étranger dont dépendait le yishouv et sa direction compétente et énergique avaient créé l’impression que non seulement les Arabes étaient contraints à une lutte inégale pour déterminer l’avenir et l'identité de la Palestine, mais que le mouvement des colons n'était guère porté aux compromis : « Pour les Arabes, il doit sembler improbable que de tels concurrents se contentent dans les années à venir de partager le pays avec eux. »  (Anderson, 2018).  

A cette époque a lieu une transaction de grande valeur,  240.000 dounams de terres très fertiles, appartenant à des propriétaires absentéistes libanais, dans la vallée de Jezréel, que les Arabes appellent Marj Ibn Amir. Cette vente avait permis l'évacuation de 22 villages arabes et leur remplacement par 23 villages juifs  (Anderson, 2018).  Comme dans d'autres affaires similaires, à la fois la puissance britannique et les organisations sionistes trouvent la situation équitable puisqu'ils procèdent à des dédommagements financiers, tandis que les Palestiniens ont à plusieurs reprises dénoncé le sort réservé à ces paysans privés de terre, qui pouvaient encore, quelques années auparavant, trouver des terres de substitution mais qui dorénavant, n'en trouvaient guère. Arthur Ruppin, dans son journal intime, évoquera ce problème avec acuité  en 1928  : 

"Est-il impossible de fournir un champ d’activité au nombre toujours croissant de Juifs en Palestine sans opprimer les Arabes ? Je vois une difficulté particulière dans la quantité limitée de terres. D’ici peu, le temps viendra probablement où il n’y aura plus de terrain vacant disponible, et chaque Juif qui s’installera provoquera l’expulsion d’un fellah (sauf dans la région côtière, où il reste une bonne quantité de terres propices aux plantations)."   (A. Ruppin, Memoirs, Diaries, Letters, A. Bein, éd., K. Gershon, trad., Londres et Jérusalem : Weidenfeld et Nicolson,  1971, p. 236). 

Autre exemple, cette fois à Wadi al-Hawarith (Wadi el-Hawareth), en bord de mer au sud d'Haïfa. Après avoir acquis aux enchères 30.826 dounams de terres en 1928 pour 41.000 livres, encore une fois  à des propriétaires absentéistes, le Fonds National Juif avait entamé une procédure judiciaire pour expulser une grande partie des locataires récalcitrants, des Bédouins appauvris qui s'opposaient à leur éviction  :

"La commission s’attendait à ce que les résidents perdent non seulement leurs terres, mais aussi leur identité sociale, l’expulsion risquant de faire d’eux « une communauté dispersée ». Elle craignait également que la police ne soit régulièrement amenée à procéder à des expulsions massives. L’impression laissée par ces transferts était décourageante : un « état d’extrême appréhension » s’est emparé de l’opinion publique palestinienne dans son ensemble, dont les membres craignaient qu’ils ne subissent eux aussi le même sort de déplacement aux mains des colons juifs."  (Anderson, 2018, citations du Rapport Shaw, op. cité, pp. 118-119). 

Le rapport Shaw fit naître un soupçon d'optimisme chez les Arabes et une délégation de l'Exécutif arabe, au mois de mai 1930, portera au gouvernement britannique des revendications qui témoignent d'une volonté de justice et de paix : arrêt de l'immigration juive, interdiction de toute acquisition foncière juive, réparation des dommages causés aux paysans, restitution des terres prises aux Arabes par l'administration coloniale sans accord écrit, et formation d'un gouvernement représentatif proportionnel au nombre de personnes des communautés, indépendamment de la race et de la religion. 

Cependant, face à l'interdiction demandée des transactions foncières aux Juifs, les représentants du pouvoir britannique, rejetant la demande de la délégation, rappelleront à juste titre qu'à part Jamal (Jamaal) al-Husseini, tous les autres membres "ont vendu des terres aux organisations juives" et "sont donc peu crédibles" (Bensoussan, 2023), à savoir :  Moussa al-Husseini  et son neveu Amin al-Husseini (cousin de Jamal al-H.),  Raghib Nashashibi,  le chrétien Alfred Rock (Rok, Roch ou Roque), qui a été maire de Jaffa et vient d'une grande famille de planteurs, et enfin, Awni Abd al-Hadi (Aouni, Auni  Bey Abdelhadi, Abdul Hadi, 1889-1970), un des membres fondateurs de l'association nationaliste Al-Fatat, créée en 1911. Il fut l'époux d'une célèbre militante des droits des femmes palestiniennes, Tarab Abdul Hadi (1910-1976), qui fut au premier plan dans la fondation de la première organisation féminine en Palestine mandataire, en 1929, au travers du Congrès des femmes arabes palestiniennes (Palestine Arab Women's Congress, PAWC). 

 

Certes, l'hypocrisie déjà évoquée des riches arabes de la délégation, complices pour la plupart des expropriations des paysans par la vente de grandes surfaces de terre aux organisations juives, nous ramène ici à la part ploutocratique de la majorité des sociétés du monde, mais le sujet était un prétexte bien léger, de la part des Britanniques, pour ne pas prendre sérieusement en compte des propositions qui auraient pu mettre fin au conflit :  on sait hélas, qu'elles n'auront quasiment aucun écho dans les décisions futures du gouvernement britannique, tout comme les rapports que ce dernier commandait lui-même et qui témoignaient largement des injustices faites aux pauvres paysans palestiniens. 

 

Ceci étant dit, s'il n'est pas rare de voir ce sujet évoqué dans les ouvrages sur la question  israélo-arabe, celui des riches Juifs ayant collaboré avec les nazis est, par contre, d'une grande invisibilité. Qui connaît Le Pays d’Israël, un marxiste en Palestine (1929), de l'auteur belge Emile Vandervelde ?  Ce socialiste à la recherche d'une alternative au communisme converti au sionisme, taisant les conquêtes territoriales du Yichouv,  défendit 'l'accord de transfert' (Heskem Haavara, HHa'Avarah), appelé couramment la Haavara, ("transfert"), signé le 7 août 1933 entre le ministre de l'économie du Reich et l'Association sioniste pour l'Allemagne (Zionistische Vereinigung für Deutschland, ZVfD), dont les plus hauts hauts dirigeants sionistes ont travaillé les dispositions : Ben Gourion, Moshe Shertok  (Chertok, 1894-1965, né russe, il adoptera un nom hébreu,  Sharett, après la création de l'Etat d'Israël), secrétaire du département politique et arabe de l'Agence juive en 1931,  Golda Meyerson (la future G. Meïr, 1898-1978), membre du Mapai, dirigeante d'Histadrout,  mais surtout,  Arlozoroff, figure de proue du Mapaï, alors directeur de l'Agence juive, et Levi Eshkol, qui appartenait au Haut-Commandement de l'Hagana, et succèdera plus tard à Ben Gourion comme premier ministre et ministre de la Défense (cf.  Segev, 1993). Organisée par une société créée à cet effet à Tel Aviv, la Trust and Transfer Office Haavara Ltd., la Haavara permettait à de Juifs allemands aisés  de conclure un contrat avec un exportateur allemand et de transférer une partie de leur capital (l'accord les nomme "capitalistes") à partir d'un compte d'une société fiduciaire juive en Allemagne, la PALTREU (Palästina Treuhandstelle zur Beratung deutscher Juden G.m.b.H : "Bureau palestinien chargé de conseil pour les Juifs allemands SARL).  Les contreparties en livres  palestiniennes, issues de la vente des marchandises dudit exportateur étaient ensuite transférées en Palestine via une autre institution, la Allgemeine Treuhandstelle  : "Bureau fiduciaire général", Alltreu  (Safrian, 2007).  Vandervelde présente d'ailleurs une photo prise en Palestine de moissonneuse allemande Lanz pour illustrer son ouvrage. 

   Arlozoroff    :    Le meurtre d'Arlozoroff, le 16 juin 1933, par deux inconnus sur une plage en compagnie de sa femme, n'a jamais été vraiment élucidé. L'hypothèse la plus romanesque et tout à fait vraisemblable, est celle d'un meurtre commandité par Goebbels lui-même, dont la femme, Magda Friedlander, avait été avant lui la maîtresse de la victime, qu'elle avait connu par sa soeur, Lisa Arlosoroff-Steinberg, qui était une amie d'enfance de Magda à Berlin.  Un jour, Teresa Flesch découvre une cassette où figurait un enregistrement de son mari, Max Flesch, copain d'école d'Arlozoroff, étiqueté 'Témoignage Goebbels-Max Flesch".  Médecin,  Flesch avait été cité comme témoin le 29 mai 1983 dans le cadre d'une commission d'investigation israélienne sur le meurtre d'Arlozoroff, et y avait affirmé qu'il détenait des preuves de l'implication du régime nazi dans ce crime. Pendant son séjour en Allemagne, au printemps 1933, Arlozoroff avait découvert avec stupéfaction dans la rue, par une photo de magazine, que la femme qu'il avait aimé et qui s'était un temps entiché du sionisme, était devenue la femme de Goebbels. Il lui vint vite à l'idée qu'elle pouvait l'aider à rencontrer une personnalité hautement placée pour l'affaire qui le conduisait à Berlin, à savoir les Accords de transfert, la Haavara., mais malgré ses diverses tentatives il ne parvint pas à ses fins. Selon une lettre envoyée de à Lisa par Arlosoroff, plusieurs jours avant sa mort, ce dernier lui avait confié toute l'histoire et craignait désormais pour sa vie. Une dizaine de jours après, il revenait en Palestine et y était froidement assassiné. Lisa avait ensuite confié à Max Flesch ce qu'elle savait.  (cf. Ronen Bergman, article de Ha'Aretz, Tel aviv, traduit pour l'hebdomadaire catalan El temps,  sous le titre :  La increïble historia de la dona de Goebbels, 19-25 décembre 2000 ;  Jerry Klinger, The Murder of Chaim (Victor) Arlosoroff Conspiracy and History)

 

La Haavara était donc tout un mini-système économique qui a permis à l'Allemagne nazie d'engranger 140 million de Reichmarks, soit 8 millions de livres palestiniennes (Barkai, 1990) forcément utiles à ses sinistres entreprises, car l'accord a été maintenu jusqu'en 1939, et même bien au-delà, si l'on suit Segev, après même la Shoah par balles en 1942  (Segev, 1993). L'accord ne pouvait  concerner que des Juifs émigrant avec un capital conséquent.  En effet,  si les prétendants au départ étaient autorisés à "emporter un millier de livres sterling en devises étrangères et à envoyer par bateau un volume de marchandises d’une valeur de 20000 marks et même au-delà", une "somme minimale de mille livres sterling était réclamée par la Grande-Bretagne pour être autorisé à s’installer en Palestine comme Capitaliste – selon la dénomination de ce type d’immigrants.  C’était une somme importante,  sachant qu'une famille de quatre personnes pouvait vivre dans un confort bourgeois avec moins de 300 livres sterling par an. (Segev, 1993).

Profondément inégal, donc, cet accord faisait de facto un tri entre riches et pauvres Juifs dans la capacité à se dégager de l'étau hitlérien, et l'argument qui consiste à dire que les dirigeants juifs étaient tenus par les conditions imposées par la Grande Bretagne peut paraître assez indigent. Tout d'abord, d'autres pays pouvaient accueillir les émigrés juifs. Ensuite, quelques mois à peine après l'arrivée d'Hitler au pouvoir, personne ne pouvait encore imaginer les horreurs à venir de la "solution finale".  Enfin, la Haavara a aussi permis à l'Allemagne de contourner le boycott imposé par les Etats-Unis  en ne sortant pas de devises de leurs comptes lors de cette opération tout en exportant des biens allemands.   Nul ne doute que certains ont pu voir dans la création de la Haavara une  dimension humaniste du projet, celle de sauver des familles juives des persécutions de l'Allemagne nazie. Mais on a vu à plusieurs reprises, dans l'histoire du sionisme (et dans le cas qui nous occupe Ben Gourion est le premier concerné), que pour certains dirigeants, la colonisation de la Palestine était l'objectif majeur auquel certains étaient même prêts à sacrifier  des Juifs, surtout les assimilationnistes purs et durs qu'ils méprisaient et qu'ils ne considéraient parfois plus comme des Juifs authentiques. On comprend donc pourquoi la Haavara a beaucoup choqué  certains Juifs dès son existence. Jabotinsky  et Hannah Arendt, par exemple,  y ont vu un pacte avec le diable (cf. Lettre 19 du 28 janvier 1946, dans Hannah Arendt, The Jewish Writings, Jerome Kahn et Ron H. Feldman (éds.), New York, Schocken Books).  

"Jusqu’en 1938, la situation des Juifs dans l’Ostmark n’eut rien à voir avec celle des Juifs du Vieux Reich. Ceux-ci ne vivaient pas constamment dans la peur d’être arrêtés ou assassinés ; en outre, il y avait des institutions officielles qui s’occupaient du transfert des richesses en direction de la Palestine, comme la Haavara. Il était encore possible de quitter l’Allemagne en emportant des meubles, des ustensiles de ménage, des tableaux ou des objets d’art sans être inquiété. Vues d’Autriche, les conditions d’émigration des Juifs allemands paraissaient incroyablement favorables" 

 

Charles J. Kapralik, Erinnerungen eines Beamten der Wiener Israelitischen Kultusgemeinschaft : "Souvenirs d'un responsable de la Communauté culturelle israélite de Vienne", 1938-1939, dans Leo Baeck Institut Bulletin, 20 / 1981, n° 58, p. 58.

 

"Lorsque l’Organisation sioniste, contre les impulsions naturelles de l’ensemble du peuple juif, décida de faire des affaires avec Hitler, d’échanger des marchandises allemandes contre les richesses de la communauté juive allemande, d’inonder le marché palestinien de produits allemands et de se moquer ainsi du boycott des articles fabriqués en Allemagne, elle ne rencontra que peu d’opposition dans la patrie nationale juive. et encore moins parmi son aristocratie, les soi-disant kibboutzniks. Lorsqu’ils étaient accusés de traiter avec l’ennemi de la communauté juive et du Parti travailliste, ces Palestiniens avaient l’habitude d’affirmer que l’Union soviétique avait également prolongé ses accords commerciaux avec l’Allemagne. Ce faisant, une fois de plus, ces Palestiniens ont souligné le fait qu’ils ne s’intéressaient qu’au Yishouv existant et futur, la colonie juive, et qu’ils n’étaient pas du tout disposés à devenir les protagonistes d’un mouvement national mondial."  

Hannah Arendt, Zionism..., op. cité.

Jusqu'en septembre 1939 c'est environ 60.000 Juifs allemands qui ont pu émigrer en Palestine grâce à ce dispositif, malgré la condamnation sans appel, dès 1933, du régime nazi par le Congrès juif mondial (Edwin Black, The Transfer Agreement : The Dramatic Story of the Pact between Nazi Germany and Jewish Palestine : "L’accord de transfert : l’histoire dramatique du pacte entre l’Allemagne nazie et la Palestine juive", Dialog Press, 1984).  Un premier arrangement du même type avait précédé la Haavara,  en mai 1933, sous couvert d'une société sioniste, là encore, appelée Hanotea  ("Le planteur"), une plantation d'agrumes. Selon l'accord passé avec l'Allemagne nazie, Hanotea versait sur un compte séquestre le capital des Juifs allemands émigrés et l'utilisait ensuite pour acheter des biens allemands livrés alors en Palestine. Cette collaboration économique n'a cependant rien à voir avec celle, par exemple, des Etats-Unis ou de la France,  où beaucoup de grands patrons ne défendait que leurs intérêts capitalistes. Dans ce cas, pour éviter des persécutions de leurs coreligionnaires, les Juifs avaient utilisé ce moyen pour parvenir à les faire quitter  l'Allemagne nazie, dont la législation était alors très contraignante vis-à-vis de la sortie des capitaux, pour pouvoir saigner au maximum les prétendants au départ. Nous sommes donc loin de la négociation d'un père de famille pour que les membres de sa famille "puissent quitter Vienne juste à temps", comme invite Weinstock à le penser avec ce témoignage du sociologue Tosco Raphaël Fyvel, 1907-1985  (Weinstock, 2011)

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Revenons maintenant à l'année 1930 et aux suites du rapport Shaw, quand l'ancien député libéral de Taunton, dans le Somerset, John Hope Simpson (1868-1961) se voit confier après différentes missions celle d'enquêter à nouveau, après les polémiques causées par le rapport Shaw, sur la question de la terre et de l'immigration en Palestine, travail qui conduira au Rapport Hope Simpson, rendu public en octobre 1930.  Le fait qu'Hope-Simpson n'échappe pas, comme beaucoup d'autres avant lui, de jeter sur l'agriculture palestinienne un regard européen nourri des nouvelles visions capitalistes, productivistes du monde ("l'agriculture arabe est éminemment arriérée" : 'agricultural practice is eminently backward", Rapport Hope Simpson) ne l'a pas empêché d'enquêter sur toutes les injustices qui étaient faites aux paysans palestiniens. Comme les rapports similaires précédents (King-Crane, Palin, Shaw), celui-ci met aussi en lumière les multiples problèmes que causent la colonisation juive et qui continuent d'exacerber les mécontentements arabes : 

"Hope Simpson attribuait en grande partie la responsabilité de la crise qui affligeait la sphère rurale arabe à l’État colonial et à la politique impériale. Le principal impôt agraire,  la dîme ('ushr), saignait les paysans producteurs, réclamant plus de 20 % de leur revenu net. Comme Hope Simpson l’a appris, les paysans étaient tellement endettés que la collecte de l’impôt leur causait d’autres pertes. Pour payer la dîme, les paysans contractaient parfois des emprunts, généralement auprès de marchands prêteurs qui pratiquaient des taux exorbitants allant jusqu’à 50 % d’intérêt pour une seule saison (le taux annuel maximum officiel de 9 % demeurant « lettre morte »). Les paysans pauvres avaient des nantissements relatifs à leurs produits, les privant de la capacité de les commercialiser de manière optimale (interférant avec le moment de leurs ventes et jouant sur les prix qu’ils en obtenaient) tout en les obligeant à payer des gardes postés pour sécuriser les récoltes. Par conséquent, la taxe contribuait à la diminution des exploitations moyennes, car les cultivateurs vendaient des portions de leurs terres afin de s’acquitter de leurs obligations.  La refonte de la dîme à la fin des années 1920 avait involontairement aggravé les choses. En fixant les « prix de rachat » des récoltes à des taux nettement supérieurs aux valeurs réelles du marché, la réforme a en fait augmenté la fiscalité. L’effet de tenaille pour les agriculteurs, pris entre la taxe et l’effondrement des prix des produits de base à la fin des années 1920 (à la suite de la dépression mondiale), s’estompait. Alors qu’auparavant le revenu net annuel moyen des propriétaires-cultivateurs et des métayers était respectivement estimé à 35,2 et 20 livres palestiniennes (£P) et, avec des valeurs actuelles en 1930, ces sommes ont été réduites à seulement 11,8 £ et 3,6 £P, ramenant le produit agraire à ce que Hope Simpson a appelé à juste titre le « point de fuite ». Étant donné que la dette moyenne d’une famille était estimée à 27 £, le résultat pour les petits exploitants a été la pénurie et le désastre. 

(...) 

Son rapport partageait l'opinion selon laquelle il n'y avait plus de terres vacantes disponibles pour les colonies juives et révélait en outre que la colonisation provoquait une foule d'autres effets secondaires négatifs, allant de la prolifération de mulots dévoreurs de récoltes (sur des terres détenues comme réserves incultes) à une montée en flèche des loyers dans les zones adjacentes à la colonisation juive et une inflation des prix de l'immobilier.  De même, il fait écho aux remarques de Chancellor et de la Commission Shaw sur l'absence de protections adéquates pour les locataires, soulignant que sans « droit d'occupation » légal pour les fermiers, il n'y aurait aucune chance d'enrayer leur expulsion."   (Anderson, 2018). 

Le rapport Hope Simpson indique que 16 % de la superficie cultivable est désormais entre les mains des Juifs, ce qui montre un avancement important de la colonisation des terres  depuis la première guerre mondiale. Hope Simpsson s''appuiera aussi sur les travaux du rapport de la Commission Johnson-Crosbie (J-C Committee Report, 1930), qui avait étudié un échantillon représentatif de 104 villages de population agricole. Celle-ci avait conclu "que 29,4 % de familles ne possédaient pas de terre et vivaient comme ouvriers. Cela n’incluait pas ceux dont le revenu principal provenait du métayage, qui avaient également tendance à être légalement sans terre." (Anderson, 2018).   S'agissant de l'achat de terres par le Fonds National Juif,  le rapport précise qu'il "ne s'agit plus d'une terre dont l'Arabe peut tirer quelque avantage que ce soit, maintenant ou à tout moment dans l'avenir. Non seulement ne peut-il jamais espérer la louer ou la cultiver, mais, en vertu des dispositions rigoureuses du bail du Fonds national juif, il est privé pour toujours d'un emploi sur ces terres. Personne ne peut non plus l'aider en achetant la terre et en la restituant à l'usage commun. La terre est de main-morte et inaliénable. C'est pour cette raison que les Arabes ne tiennent pas compte des professions d'amitié et de bonne volonté des sionistes au vu de la politique que l'Organisation sioniste a délibérément adoptée."  

Sir John Hope Simpson, Palestine: Report on Immigration, Land Settlement and Development, Londres, octobre 1930, 

 

Au cours de sa visite en Palestine, le chef de la PLDC de l'époque avait confirmé les dires de Ruppin, deux ans plus tôt, sur le sujet (cf. plus haut) en lui confiant que, désormais, les Juifs ne pouvaient acquérir guère plus de 100 000 dunums, seuil au-delà duquel déplacer davantage les Arabes risquait fort de les empêcher de se réinstaller ailleurs sur des parcelles productives   (Rapport Hope Simpson).  Avec le rapport Hope, les enquêteurs allaient encore plus loin dans l'analyse de la responsabilité des gouvernements de sa Majesté, soulignant que "les Britanniques avaient ignoré leurs engagements envers les Palestiniens, qu’ils n’avaient pas moins juré de respecter que ceux envers les sionistes" (Anderson, 2018)  Rien  de bien étonnant quand on sait que c'est Passfield (Sydney Webb, 1er baron P., 1859-1947), secrétaire d'Etat aux Colonies, qui avait été chargé par son premier ministre, Ramsay Mac Donald,  de réorganiser la politique britannique en Palestine, les deux hommes faisant partie de ce cercle de dirigeants adeptes de théories raciales et antisémites. Comme beaucoup d'autres, Passfield, néanmoins antisioniste, nous le verrons,  pensait que les Arabes n'étaient pas une race parvenue à maturité, incapables comme d'autres populations colonisées de se gouverner eux-mêmes  (Kelemen, 2012 ; Rose, 1973) Le texte de Hope-Simpson avait beaucoup ennuyé Ramsay MacDonald, qui "estimait que les commissaires avaient outrepassé leur mandat en touchant à des éléments de haute politique (c’est-à-dire l’immigration et la colonisation) et suggéra lors d’une réunion avec Chaim Weizmann et les partisans sionistes que son gouvernement cherchait un moyen de « laver » le rapport. Lors de la même réunion, Weizmann, le principal homme d’État du sionisme, s’est insurgé en disant que la lutte pour la terre était « un combat entre un Juif et une chèvre » : il suffisait de se demander si les plantations d’agrumes juives ou de simples bergers arabes devaient délimiter l’avenir de la Palestine."  (Anderson, 2018) 

Plus intéressant encore est le propos du rapporteur sur la modernisation économique de la Palestine, peu souvent liée aux problèmes de la colonisation, et qui était au contraire un des arguments positifs brandis par les sionistes ou leurs partisans britanniques : 

"Peut-être que la ligne de critique la plus surprenante de son rapport concernait l’industrie juive, qui avait longtemps été considérée comme le meilleur espoir pour la modernisation économique de la Palestine. Elle a conclu que la dépendance du noyau industriel naissant à l’égard des protections tarifaires du gouvernement était préjudiciable aux intérêts du pays, puisque « le reste de la population est taxé afin que les propriétaires de ces entreprises industrielles puissent être en mesure de payer les salaires de leurs ouvriers et de réaliser un profit pour eux-mêmes ». Loin d’être une panacée pour le développement, l’emprise des industries juives en Palestine nécessitait des soutiens gouvernementaux qui nuisaient directement aux producteurs ruraux."   (Anderson, 2018, citation du rapport Rapport Hope Simpson).  

Le rapporteur affirme ainsi : « Il est clair que la "Nesher" Cement Factory [cimenterie, NDR] dépend de la protection non seulement pour ses profits, mais aussi pour ses existence. Sans tarif protecteur, elle n'aurait pas pu concurrencer le ciment importé. La suppression des droits sur les importations les graines oléagineuses apparaissaient comme une nécessité pour le succès de l'usine oléagineuse  "Shemen". Quant aux Caves Richon Le Zion et Zichron Jacob, elles doivent leur existence, non pas à l'action économique, mais à la libéralité et à l'intérêt du baron Edmond de Rothschild. L'industrie continue de prospérer grâce aux droits de protection imposés sur les importations. de vins et de spiritueux. Le commerce du textile profite, lui, de l'importation de ses matières premières en franchise de droits et d'une taxe ad valorem de 12 pour cent sur les marchandises similaires importées dans le pays. En fait, la grande industrie en Palestine semble dépendre du tripotage tarifaire. Le reste de la population est imposé de telle manière que les propriétaires de ces entreprises industrielles soient en mesure de payer les salaires de leurs ouvriers et de réaliser un profit pour eux-mêmes."

Alors, certes, un certain nombre de ces privilèges ont été supprimés les années suivantes, et ces compagnies ont continué de vivre, mais il est indéniable qu'ils avaient été assez importants pour faire naître et prospérer les industries juives de manière inéquitable. Ainsi, plus cette enquête avance, plus nous voyons les liens que l'entreprise sioniste a avec les pratiques ploutocratiques, toutes ces entourloupes (plus ou moins) légales mais injustes qui fabriquent la puissance et la domination, presque entièrement absentes des débats qui entourent la question de la colonisation juive de la Palestine et pourtant très significatives.   Le député de Somerset avait ainsi bien compris que la population arabe était "économiquement impuissante face à un mouvement aussi fort"  et qu'elle devait être protégée  (Anderson, 2018, citation de Ruppin, Memoirs op. cité, p. 251). 

Au final, il apparaît avec une grande évidence qu'un grand fossé n'a cessé de se creuser entre le travail rigoureux des rapports successifs, commandés par le gouvernement de sa Majesté (His Majesty's Government's, HMG) , qui pointent chaque fois du doigt les conséquences néfastes de la politique prosioniste en Palestine mandataire, et les mesures nécessaires au rétablissement de la paix civile, jetées dans l'ensemble aux orties.  C'est aussi, nous l'avons évoqué, que beaucoup de grands dirigeants britanniques, Churchill en tête, soutenaient personnellement le projet sioniste. On a vu ainsi refaire surface, autre exemple de plus, la vieille idée de transfert des Palestiniens, pour faire place nette aux Juifs en Palestine,  partagée par le Dr Drummond Shiels, sous-secrétaire pour les Colonies, Lors Snell et d'autres, incitant les sionistes à faire des propositions. Pinhas Rutenberg ne se fit pas prier et proposa un million de livres sterling en contrepartie d'une colonisation juive et d'une réinstallation des Palestiniens en Transjordanie. 

 

Hope-Simpson avait relevé quant à lui un autre fossé, qui existait entre "les sentiments les plus nobles ...exprimés dans les réunions publiques et dans la propagande sioniste"   (Anderson, 2018) et l'activité réelle des organisations sionistes elles-mêmes, Fonds National juif en tête, ce qui allait à l'encontre de toute coopération ou de recherche d'intérêts communs avec les Arabes.  En avril 1930, par exemple, Weizmann publia une lettre dans le Times de Londres, niant le fait qu'il existât une "classe sans terre" en arguant du fait que 90 % des paysans déplacés avaient été "réinstallés sur une terre" grâce au soutien sioniste.  Ce chiffre était bien entendu mensonger,  à la fois par les faits et par les intentions du dirigeant sioniste que nous connaissons déjà  : Lors d'une discussion avec le secrétaire des Colonies, en juillet , "Weizmann fustigea sans ménagement la politique de double engagement, annonçant que le sionisme n’était « pas intéressé par la construction d’un pays pour les Arabes ». Le but du Foyer national juif était d’ériger « une grande colonie juive » et donc de « rassembler autant de Juifs en Palestine que possible »"   (Anderson, 2018, citations de Rose, 1973, p. 14 ). Rappelons-nous les propos mielleux de Herzl,  affirmant à al-Khalidi, en 1899, lui avoir exposé l'objectif sioniste "sincèrement et loyalement" quand quatre ans auparavant, dans son journal intime, il parlait déjà, nous l'avons vu, d'exproprier les arabes à l'aide d'agents secrets. Souvenons-nous, aussi, des manigances de Kalvarisky et des autres dirigeants sionistes, à la fin des années 1900, pour agglomérer petit à petit des territoires juifs, et tout le reste dont il a été fait état de la sorte, et nous ne pourrons qu'abonder dans le sens de Tom Segev, racontant que les chefs sionistes "ne devaient en aucun cas parler comme si le programme sioniste exigeait l’expulsion des Arabes, car cela ferait perdre aux Juifs la sympathie du monde." (Segev, 1999). 

S'inspirant des travaux d'Hope-Simpson, un nouveau Livre Blanc sur la Palestine voit le jour sous la plume de Lord Passfield  (Passfield white paper, 20 octobre 1930)  un des rares dirigeants britanniques de l'époque ouvertement antisioniste. Cet énième rapport sur la situation de la Palestine reprend la plupart des faits qui ont déjà été exposés par les précédents, insistant sur le déséquilibre des forces entre Arabes et Juifs, nécessitant un réaménagement du territoire et un développement agricole, de la culture intensive, en particulier, pour permettre à la colonisation juive d'obtenir plus de terres sans léser les paysans arabes. Dans cette idée d'équité, le Livre Blanc de Passfield recommandait par exemple la règlementation des loyers fonciers, la création de coopératives rurales (afin de fournir un crédit abordable),  le partage des droits de propriété, la protection de l'emploi arabe ou encore, la limitation  d'une "immigration excessive" : 

"Toute décision hâtive concernant une immigration juive plus libre doit être fortement déconseillée, non seulement du point de vue des intérêts de la population palestinienne dans son ensemble, mais même du point de vue particulier de la communauté juive. Tant qu’il y aura un soupçon généralisé, et il existe effectivement, parmi la population arabe, que la dépression économique, dont elle souffre indubitablement à l’heure actuelle, est due en grande partie à une immigration juive excessive, et tant qu’il existera des motifs sur lesquels ce soupçon peut être plausiblement représenté comme étant fondé, il peut y avoir peu d’espoir d’une amélioration dans les relations mutuelles des deux races. Mais c’est de cette amélioration que doivent dépendre en grande partie la paix et la prospérité futures de la Palestine." 

Passfield White Paper, op. cité.

La publication du Livre Blanc provoqua une telle avalanche de protestations et de dénonciations injurieuses aussi bien des sionistes que de leurs partisans, "qu’en moins de quinze jours, le Premier ministre MacDonald avait entamé le processus de son sabordage." (Anderson, 2018 ; Rose, 1973). Après avoir protesté vigoureusement de différentes manières (Weizmann avait démissionné de ses fonctions à l'Agence Juive, par exemple), les dirigeants sionistes ont rapidement obtenu du premier ministre MacDonald beaucoup d'assouplissements en matière d'immigration qui ont permis au peuplement sioniste de très vite retrouver de la vigueur  :

"C’est grâce à la lettre que MacDonald m’a adressée qu’un changement s’est produit dans l’attitude du gouvernement et dans l’attitude de l’administration palestinienne, ce qui nous a permis de réaliser les  gains magnifiques des années qui ont suivi. C’est la lettre de MacDonald qui permit à l’immigration juive en Palestine d'atteindre des chiffres de 40,000 pour 1934 et de 62,000 pour 1935, des chiffres inimaginables en 1930."  (Chaïm Weizmann, Trial and Error, 1950. Rapporté par Charles L. GEEDES (dir.), A Documentary History of the Arab-Israeli Conflict, New York : Praeger, 1991, p. 152). 

 

Les craintes des Palestiniens se sont à nouveau réveillées, et l'Exécutif arabe a réagi au Livre Blanc par son Memorandum on the White Paper,  rédigé par   Awni  Abd al-Hadi.  A juste titre, l'Exécutif arabe soulignait que les mêmes principes animaient les Livres blancs de 1922 et de 1930, favorisant le développement du Yishouv, alors que les Palestiniens voulaient voir reconnus et promus leurs "droits nationaux et leurs intérêts économiques."   

Fort du soutien indéfectible de son puissant allié britannique, le mouvement sioniste choisit encore et toujours la poursuite de son action, invitant implicitement à de nouvelles révoltes et violences futures de la part des Arabes.  L'immigration des Juifs en Palestine a alors, non seulement repris une courbe ascendante, mais a été significativement dopée, comme le rappelait triomphalement Weizmann :

1931 : 4.075

1932 : 9553

1933 : 30.327

1934  :  42.359

1935  : 61.854   

     

 (Mattar, 1988)

Cette colonisation de peuplement se conjugue à une colonisation foncière.  De 218.000 dunums de terres en 1900, on passe à 400.000 en 1908   (Encel, 2006 : 233),  puis environ 600 à 650.000 en 1920,  1.200.000 vers 1930, 1.500.000 en 1939 et enfin, 1.625.000 à 1.800.000 en 1947, soit 12 à 14 % des terres cultivables   (Origines et Évolution du problème palestinien, Nations-Unies, 1990 ; Perrin, 2000).

sionisme-graphiques population et terres juives 1922-1947-dominique perrin.jpg

 

 

 

     Graphiques de l'accroissement de la population et des terres juives en Palestine de 1922 à 1947 (terres en dounams)

                                   sources  : Perrin, 2000

 

                                             

                                                               

La ségrégation  entre communautés recherchée par les sionistes se renforce, puisque beaucoup de Juifs vont fuir des zones de mixité pour se réfugier dans des colonies juives, une partition exacerbée ensuite par un mouvement de boycott arabe touchant les Juifs à différents niveaux : refus de location d'appartement dans les villes mixtes, boycott de biens ou de commerces juifs entre 1929 et 1930 (idée déjà émise en 1922 par Issa al-Issa), qui pousse des Juifs à quitter des quartiers arabes pour des quartiers juifs, ou rejoindre des villes juives comme Tel Aviv. Ces mesures cessent ensuite par opposition des cheiks, qui accusent les commerçants de s'en servir pour acculer les villageois à un endettement usuraire (Weinstock, 2011).  On notera aussi l'activité insurrectionnelle en Galilée, autour de Safed, d'un groupe antisioniste et anti-britannique appelé le Gang de Safad, puis le Gang de La Main Verte (al-Kaff al-khadra : أخضر  الكف,  litt. "Paume verte"), mené par Ahmad Tafesh (Ahmed Tafish),  auquel se joignit des combattants chrétiens druzes,  dont Fuad (Fouad) el-Libnani, qui avait participé à la grande révolte syrienne de 1925 contre les Françai (Duff, 1934 ; Taggar, 1973 ; Kayyali, 1985).  Ces évènements n'ont pas empêché le Mufti al-Husseini, juste après les tragiques révoltes du mois d'août,  de chercher à négocier des solutions de compromis avec les Britanniques, comme celles entreprises  en septembre et octobre 1929 de manière indirecte avec Harry Saint John Bridger Philby (1885-1960), chef du service secret britannique en Palestine. Philby, qui allait se convertir à l'islam en 1930 et « considérait la Déclaration Balfour comme  "un acte de trahison qui trouvait son pendant dans les shekels, le baiser et tout le reste qui nous ramènent en arrière, dans le jardin de Gethsémané", pensant que la France et la Grande-Bretagne se devaient de respecter leur engagement du 9 novembre 1918 garantissant l'indépendance d'une Grande Syrie,  tout en défendant le "droit le plus entier" aux Juifs de s'installer en Palestine "sur la base de l'égalité avec la population autochtone" » (Jeremy Salt, professeur d'histoire à l'université de Melbourne et à la Bilkent University d'Ankara , "Palestine and the Other Philby", article de The Palestine Chronicle, 15 octobre 2020) 

 

Des échanges entre le Mufti et Philby émergea une ébauche d'accord sur la création d'un parlement, au sein duquel Juifs et Arabes seraient proportionnellement représentés,  et par lequel la Palestine continuerait de rester sous l'autorité d'un haut commissaire britannique, qui s'appliquerait à sauvegarder aussi les intérêts sionistes, immigration comprise  (Mattar, 1988). Hadj Amin Effendi al-Husseini, accepta cet accord, mais à l'exception de Yehuda Magnes, les autres dirigeants sionistes le refusèrent, que ce soit Weizmann, Ben Gourion ou Rutenberg, tout simplement, encore une fois, parce qu'il reflétait la réalité sociale de la Palestine, où les Juifs, malgré l'immigration, étaient largement minoritaire dans la population (Mattar, 1988).  Le Mufti ne désarma pas et dépêcha à Londres très rapidement après, en décembre 1929, le secrétaire du Conseil suprême musulman, son cousin Jamal al-Husseini,  pour rencontrer le secrétaire d'Etat aux colonies sur la base des mêmes demandes, en particulier la représentation proportionnelle des deux peuples et un droit de veto du haut commissaire sur les décisions législatives. Une nouvelle fois, cette demande a été refusée par Londres (Mattar, 1988). et montre plus que jamais à quel point les Britanniques n'avaient aucune intention de rendre justice, un tant soit peu, aux droits pour les Palestiniens de former une nation libre et indépendante. Et ne parlons pas de toutes les autres formes de protestations du Mufti ou de ses partenaires, qui n'ont jamais abouti. 

 

Et les problèmes ne firent que s'ajouter, comme la captation parfois violente des ressources (la terre et l'eau, en particulier), la détérioration des conditions de vie d'une partie de la population, la menace sur leurs salaires, leurs emplois, sur leurs logements, les humiliations et les inégalités diverses liées à cette tutelle,  le tout appuyé par la puissance de l'argent et encore plus, par une puissance politique, économique et militaire mettant sa force, ses ressources à disposition de son injuste entreprise. Sans parler du mépris éprouvé pour les habitants, dont les souhaits, les sentiments n'intéresseront presque jamais les sionistes. Cet aveuglement sera confirmé en substance par Chaïm Weizmann lui-même qui confesse dans un discours de 1931 :  "Si vous étudiez les publications sionistes d'avant la guerre, vous n'y trouverez quasiment pas un mot concernant les Arabes." (Laqueur, 1972). Cet impensé, cette oblitération d'une altérité pourtant incontournable, et toujours cruellement d'actualité nous le verrons, est incompréhensible sans un aveuglement idéologique et une volonté farouche de domination et d'effacement, et il marque le début d'une entreprise qui, nous allons le voir, va emprunter des voies de plus en plus éloignées de la justice et de l'équité.

palestine-delegation arabe mars 1930 londres-ecole de rawdat el maaref.jpg

 

Assemblée de dignitaires palestiniens réunis à l'école Rawdat al-Maarif de Jérusalem, en mars 1930, en vue d'envoyer une délégation de protestation arabe, à Londres, en mai. Au premier rang, au centre, le leader de l'Exécutif arabe, Musa Kazim, avec Amin al-Husseini à sa droite et Raghib al-Nashashibi, à sa gauche.

Library of Congress (Bibliothèque du Congrès), Washington, 

Etats-Unis

LC-DIG-matpc-03048

                                

 

 

 

les derniers lambeaux de...respect”

 

En février 1931, la lettre du premier ministre britannique MacDonald  à  Chaim Weizmann, nous l'avons vu, a constitué une victoire de plus, et de taille, pour le camp sioniste. Paul Kelemen, chercheur en sciences sociales à l'université de Manchester, affirmera, en effet, que les termes de cette lettre "déclaraient en tous points ... la prédominance du Yishouv dans la politique britannique"  (Kelemen, 2012) MacDonald continuait comme ses prédécesseurs de souligner l'indifférence (sinon le mépris, nous l'avons vu) des dirigeants britanniques au devenir des Palestiniens, en minorant les fondements juridiques et constitutionnels de leurs droits. Sans abandonner complètement la question des paysans sans terre, les critères employés pour les définir étaient devenus extrêmement restrictifs, comprenant uniquement ceux dont "il peut être démontré qu'ils ont été déplacés des terres qu'ils occupaient à la suite du passage des terres aux mains des Juifs, et qui n'ont pas obtenu d'autres propriétés sur lesquelles ils peuvent s'établir eux-mêmes, ou exercer une autre activité tout aussi satisfaisante." (Lettre du Premier Ministre à Chaim Weizmann, 13 février 1931, British National Archives / BNA – FO 371/15325) 

Les polémiques poussent le gouvernement anglais à commander un énième rapport, spécifiquement lié au problème de la terre, rédigé cette fois par Lewis French, directeur du British Government’s Development Scheme, document intitulé : Report on agricultural development and land settlement in Palestine ("Rapport sur le développement agricole et la colonisation des terres en Palestine"), qui sera suivi l'année suivante d'un Supplementary report...in Palestine .  Reprenant les définitions restrictives du Livre Blanc, le rapport French aurait minoré vraisemblablement la réalité de la situation des paysans sans terre, selon Yehoshua Porath, en affirmant que sur 3271 demandes de réinstallation, seules 664 n'avaient pas été honorées.  En effet, l'historien israélien estime que le nombre d’Arabes déplacés a pu être considérablement plus élevé, puisque ceux que French nomme "Arabes sans terre" n'incluaient pas ceux qui avaient vendu leurs propres terres, ou ceux qui possédaient des terres dans d'autres localités, ou encore ceux qui avaient depuis obtenu la location d’autres terres quand bien même ils auraient été incapables de les cultiver en raison de leur pauvreté ou de leur endettement, ou enfin, les personnes déplacées qui n’étaient pas des cultivateurs mais avaient d'autres occupations de type ouvrier ou employé agricole  (Porath, 1977).  

 

Paraît aussi en 1931 à Tel Aviv  le livre en hébreu de Ben Gourion, Nous et nos voisins, où il soutient encore que les Arabes Palestiniens et le Juifs ont autant le droit de vivre en Palestine, affirmant que la "communauté arabe en Palestine est une partie organique et indissociable du paysage. Elle est ancrée dans le pays."  (B. Gourion op. cité).  L'hypocrisie est ici manifeste, car nous avons vu maintes fois que ce respect public envers les Arabes est contredit par les convictions réelles de Ben Gourion et des autres dirigeants sionistes, diamétralement opposées, qui voudraient plutôt voir les Arabes disparaître du paysage en question. Ben Gourion relève d'ailleurs lui-même une autre hypocrisie de son propre camp : A la question qu'on lui posait un jour, de savoir quel dirigeant sioniste américain il estimait le plus, il avait fait une réponse étonnante en lâchant le nom d'un adversaire politique :  "Magnes", après quoi il avait éclairé ce choix, en précisant que lui, au moins, "est venu au pays d'Israël, les autres ne sont pas venus". De fait,  Ben Gourion "dévoilait une vérité que les sionistes ont eu du mal à admettre et à formuler. En Occident, des rives du Rhin jusqu'à celles de l'océan Pacifique en Californie, les juifs, y compris les dirigeants et militants sionistes connus, ont été très peu nombreux à émigrer en Palestine, ou, plus tard, en Israël"  (S. Sand, Deux peuples..., op. cité).  

La lettre de MacDonald avait été un tel coup de massue pour le camp Palestinien, qu'elle a été surnommée "Lettre Noire" (Black Letter) par les Arabes. En réaction, l'Exécutif arabe fit paraître une déclaration publique affirmant que "le nouveau document produit par MacDonald a  détruit les derniers lambeaux de ce respect que chaque Arabe portait avec affection au gouvernement britannique."  (Porath, 1977 : 34).  La formule employée n'était pas du tout rhétorique, elle a enraciné davantage un processus de radicalisation chez les Arabes palestiniens et ôté profondément des esprits de leurs dirigeants l'idée que la diplomatie, les discussions pacifiques, étaient encore des voies possibles vers leur autodétermination politique. Cette radicalisation s'accentue avec les conflits internes de l'Exécutif arabe (qui est dissous en 1934) dont le nationalisme n'attire plus un certain nombre de jeunes qui se tournent vers les mouvements islamiques et suscitent aussi  un mécontentement envers les chrétiens. Les violences autour du Mur des Lamentations, ont  redonné de l'importance aux questions religieuses, qui se sont de plus en plus politisées, et  ont éloigné  les communautés  arabes des communautés chrétiennes par leurs intérêts respectifs (Haiduc-Dale, 2013)  Les musulmans estimaient en particulier très insuffisante leur représentation dans l'administration mandataire, au vu de leur représentation nationale.  Ces tensions ont parfois causé des drames, comme la mort en 1930 du jeune journaliste, écrivain et poète arabe chrétien (melkite), Jamil (Jamel) Habib Al-Bahri (1895-1930), victime d'un conflit  entre communautés chrétienne et musulmane se disputant la propriété d'un cimetière à Haïfa  (Haiduc-Dale, op. cité : 103)., dont il examinait l'état quand il fut pris à parti par deux jeunes hommes et blessé  mortellement par des coups de couteau.  Pourtant, Jamil, comme son frère Hanna, était l'exemple même du fervent nationaliste arabe. Ainsi, le nom des deux frères figurent sur un de ces nombreux jetons patriotiques privés (cf illustration ci-dessous) que les nationalistes arabes avaient émis depuis les révoltes d'al-Buraq, et dont Haïfa a été sans doute le plus gros producteur, en même temps que la ville  avait beaucoup fait entendre la voix des nationalistes pendant l'année 1929  (Tareq A. Ramadan, "The 1929 Haifa "Long live arab Palestine" token of Jamil and Hanna ZL-Bahri", Journal of the Oriental Numismatic Society, juillet 2018, pp. 24-25).  Figurent sur ces pièces  une iconographie hétéroclite de symboles religieux (croissant, croix...) et des inscriptions politiques. Sur l'avers de celle des frères al-Bahri on peut lire en particulier le slogan : "Longue vie à la Palestine", illustration gauche, avec un brin d'olivier, un croissant enveloppant une croix, visibles aussi sur des drapeaux brandis dans les manifestations arabes et témoins du métissage culturel et politique des deux frères.   

 

les derniers lambeaux
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Les multiples efforts de diplomatie ne menant guère à des résultats avantageux pour les Palestiniens, le Mufti s'est vu contesté son leadership, suspecté d'être trop complaisant avec les autorités britanniques, en particulier pour conserver ses charges si  rémunératrices de mufti de Jérusalem et de président du Conseil suprême musulman, raison pour laquelle, en partie peut-être, il ne manquait pas d'œuvrer pour  des actions non-violentes contre les sionistes, alors que les projets d'un état national palestinien ou de Grande Syrie étaient de plus en plus menacé.

D'autre part, malgré la conscience qu'il avait de la politique injuste des représentants coloniaux, le mufti faisait allégeance à sa manière aux Britanniques, bien  conscient du rapport de force si inégal avec les Palestiniens (Mattar, 1988).  En 1932,  il fut bousculé par le nouveau parti arabe de l'Istiqlal ("Indépendance" : Hizb al-Istiqlal al-'Arabi), cofondé en particulier par Darwaza, al-Hadi, ou encore Akram Zuaiter (Zuayter, Zuaytir, 1909-1996), chef de ce parti à Naplouse, enseignant, journaliste, homme  politique, plusieurs fois assigné à résidence par la justice britannique pour son action politique. Contrairement aux muaridin, suspectés d'opportunisme et de collaborationnisme, ceux de l'Istiqlal passaient pour être entièrement dévoués à la cause nationale, mais ne possédaient ni puissance politique, ni moyens financiers pour leurs actions. Et ce n'est pas la création, en 1934, du NDP, National Defense Party  : Parti de la défense nationale (حزب الدفاع الوطني, Ḥizb al-Difāʿ al-Waṭanī), conduit par Raghib al-Nashashibi, qui va satisfaire les Palestiniens frustrés de l'offre politique arabe, car ce mouvement  recherche  avec l'occupant britannique une plus grande coopération encore que le Parti Arabe Palestinien  Al-Hizb al-'Arabi al-Filastini (الحزب العربي الفلسطيني ‘ : "Parti Arabe Palestinien", Palestine Arab Party), formé par Jamal al-Husseini l'année suivante, en 1935.  Cette année voit aussi la création du parti  "La Réforme" (al-Iṣlāḥ), par le Dr Husayn Fakhri al-Khalidi, une grande famille là encore,  pour un parti aussi clientéliste que les précédents, recherchant  non pas des soutiens individuels, mais de familles élargies ou de villages entiers  (Picaudou, 1989).    Toujours pour cette année prolifique, on note la création du Bloc national,  parti modeste créé à Naplouse (Nablus) par Abdul al-Latif Musleh Salah (1882-1960), avocat, ancien fonctionnaire ottoman, réclamant l'indépendance de la Palestine dirigée par la majorité arabe, ou encore la Ligue de la libération nationale en Palestine, issue du Parti communiste palestinien .  

parti arabe palestinien

parti communiste palestinien  

Le PCP ou PKP* est créé en 1922 par des juifs communistes des pays de l'Est et sera incorporé au Komintern en 1924. Il fut précédé par le Parti des Travailleurs Socialistes, MPS  (Mifleget ha-Poalim ha-Sotsialistim), puis, à partir de novembre 1920 MPSI  (Mifleget...Ivrii), Parti des Travailleurs Socialistes Juifs. Appelé d'après ses initiales MopsMopsim (et ses membres mopsistes), le parti connut le succès en gagnant des sièges au sein de l'exécutif de l'Histadrouth en 1920,  avant que ses efforts soient réduits à néant par les émeutes de Jaffa, en 1921. 

Les premiers leaders du  PCP s'appellent Daniel Wolf Averbuch, Joseph Berger, Moshe Kupperman,  Nahum Leshchinsky qui forment son Comité Central, mais aussi Yehiel Kossoi (dit Avigdor, 1892-1938) ou Ilya Teper (Eliahu T, Iakov Tepper, dit Shami), et certains d'entre eux  furent victimes des purges staliniennes des années 1930. Férocement anticommunistes, les Britanniques lanceront au milieu des années 1920 une campagne de répression comportant de multiples formes de coercitions : arrestations, procès, déportations, mais aussi tortures ou persécutions par la police secrète. Dix communistes mourront dans les geôles britanniques pendant la période mandataire (Kessler, 2014).   

* PKP :  sigle pour le yiddish Palestinishe Komunistishe Partey

 

Globalement, le parti communiste palestinien a conservé jusqu'en 1943 une ligne antisioniste comprenant la cessation de l'immigration juive et l'interdiction des achats de terre par les Juifs,  sujet débattu en particulier par Lénine en 1920 ("Thèses sur la question nationale et coloniale") puis dans différentes instances, comme le Komintern,  ou le Congrès des peuples d'Orient à Bakou, dénonçant la Grande-Bretagne : 

"Qu’a fait la Grande-Bretagne à la Palestine ? D'abord, agissant au profit des capitalistes anglo-juifs, elle chassa les Arabes de leurs terres pour les donner aux colons juifs ; puis, essayant d'apaiser le mécontentement des Arabes, elle les a excités contre ces mêmes colons juifs, semant la discorde, l'inimitié et la haine entre toutes les communautés, les affaiblissant toutes deux pour qu'elle puisse elle-même gouverner et commander." 

 

(Manifeste du Congrès aux peuples d’Orient, septembre 1920)

En décembre 1930, lors du 7e Congrès du parti, est proposé le programme suivant : "Mobiliser les ouvriers et les paysans dans la lutte contre l’impérialisme britannique et son instrument sioniste ; lutter contre la bourgeoisie arabe et ses positions qui trahissent le mouvement de libération nationale ; encourager par  tous les moyens le déclenchement de la révolution agraire en Palestine."  (Charif, 1997) 

J. Berger :    (né Itskhak Mordoukhovitch Zheliaznik, à Cracovie, nom russe :  Iosif Mikhaïlovitch Berger-Barzilay, 1904-1978), sa famille fuit l'armée russe pour la Palestine en 1919,  où il cofonde le PKP dont il écrit le programme coupant radicalement les ponts avec le sionisme, décrivant le mouvement national arabe comme "pilier de la lutte contre l'Impérialisme britannique" (Kessler, 2019).  Très vite, à la tête d'une minorité, il demanda une adhésion inconditionnelle à L'Internationale Communiste sous la bannière d'un parti appelé Komunistishe Partay fun Palestine (KPP). Sous la pression d'Averbuch, Il finit par accepter de fondre le KPP dans le PCP pour pouvoir entrer au Komintern  (Rubenstein, 1985). 

Après un séjour en Russie, il est interdit de retour en Palestine par les Britanniques pour activités illégales en 1925.  Libéré, il vit sous une fausse identité dans le village arabe de Beit Safafa.  Il s'entretient cinq heures durant avec Staline le 5 mai 1929 où il reçoit l'ordre de couper les ponts avec le Comité Exécutif arabe et les autres partis nationalistes. Il revient ensuite en Palestine pour prendre les rênes du parti. Expulsé de Palestine par les Britanniques en 1930, il travaille à Berlin pour la Ligue anti-Impérialiste, puis est convoqué à Moscou, où il exerce comme professeur et travaille auprès de Staline, avant d'être condamné comme agitateur trotskyste et envoyé dans des prisons et des camps. pendant que  sa femme et son fils  seront persécutés en son nom.  Il sera finalement réhabilité en 1956  (Kessler, 2014).  

 

D. W. Averbuch  :  (Averbach, Auerbach, né Vladimir Borisovitch Averbukh 1890-1941),  russe, il dirigera Poalei Zion en Ukraine en 1917,  rejoint Israël en 1922, cofonde alors Ahdut Ha'Avoda. Pro-palestinien, surnommé "Daniel, le liquidateur" (Rubenstein, 1985). car, tout en étant attaché à sa culture juive, il était animé d'un "antisionisme extrême" (Léon Uris, "Exodus", New-York, Doubleday and Company, 1958).  Après un discours au second congrès d'Histadrout,  très choquant aux yeux des sionistes, il disparait de la sphère publique et ne travaille plus que pour le parti en particulier pour remplacer les Juifs par des Arabes à la direction du parti, ce qui sera fait en 1929.  Il est exilé en 1930 par les Britanniques pour ses activités. Après différentes arrestations en Russie il est fusillé  le 27 juillet 1941. 

source :  https://ru.wikipedia.org/wiki/Авербух,_Владимир_Борисович

M. Kupperman  :  (Moishe Kuperman, dit Emek), d'origine polonaise, il arrive en Palestine comme "pionnier" dans les années 1920,  travaille à la construction des routes et aux projets d'électrification et d'irrigation de Rutenberg.  Il deviendra ensuite  communiste, passant de la "Société Borochov", au MPSI en 1922, et enfin au PCP, où il parviendra rapidement à sa direction, en charge de sa sécurité, protégeant  ses membres de la police britannique (Rubenstein, 1985).  

N. Leshchinsky  :  (dit Nadav/Nadab, dit Abusiam), d'origine russe, il arrive lui aussi en Palestine comme "pionnier" dans les années 1920,  il rejoint le PCP en 1924, convaincu par Averbuch et devient vite le théoricien principal du parti, en liaison avec le Komintern et très actif en terme de propagande au sein de la Gdud Ha'avoda (Gdoud H., Bataillon du Travail), une organisation de pionniers juifs créée en 1920 et dissous en 1926, l'année où il est élu au Comité Central du parti.  Expulsé de Palestine, comme Berger, par les Britanniques en 1930,  il est encore arrêté en Egypte, où il tentait d'y organiser un parti communiste, puis il retourne en Russie où il publie différents articles sur la situation au Moyen-Orient  (Rubenstein, 1985).  En 1929, les violences meurtrières sont le témoin, selon le Komintern, des "luttes nationales d'émancipation", et cette position crée de vives tensions entre les Juifs communistes et les Komintern, en particulier. Jusque-là, pour ménager la sensibilité juive, le parti avait géré à sa manière une position contradictoire appelée "yichouvisme", qui consistait à rejeter le sionisme  comme idéologie mais accepter que le Yishouv soit une communauté légitime qui continuerait de croître par  l'immigration  (Greenstein, 2011), ce qui était de moins en moins le goût du Komintern. Leshchinsky lui-même, affirme que les évènements étaient un pogrom, et non une rébellion" et les attribue aux "éléments les plus réactionnaires de la communauté arabe" (Rubenstein, 1985).  Arrêté en 1936 en Union Soviétique, il est condamné à des travaux forcés, mais meurt pendant son trajet vers le camp de concentration. 

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Dans les années 1920, déjà, une organisation religieuse secrète avait appuyé la radicalité du mouvement national palestinien en la personne du syrien Izz al-Din al-Qassam (al-Kassam, 1882-1935). Ce dernier s'était auparavant distingué dans sa lutte contre l'occupant français en Syrie, pour laquelle il avait été condamné à mort par contumace par un tribunal militaire français.  Au début des années 1930, le cheik demanda au Mufti d'utiliser les sommes que rapportaient le waqf pour acheter des armes au lieu de réparer des mosquées. Fidèle à sa politique non-violente, le Mufti lui avait refusé non seulement sa demande mais aussi un emploi de prédicateur itinérant pour le Conseil. Al-Qassam finit cependant par trouver une mosquée où il put non seulement  prêcher son Jihad contre les infidèles Juifs et Britanniques, mais aussi acheter des armes pour son nouveau quartier général de Jénine,  en 1932. au nord du pays, tout en recrutant des ouvriers et des paysans qui avaient en majorité perdu leurs biens, et qui pour la plupart vivaient dans les quartiers misérables d'Haïfa  (Xavier Baron, Les Palestiniens, Genèse d'une nation, Editions du Seuil, Points, Collection "Histoire", 2000).  Certains ont sans doute permis d'organiser la milice de la Main Noire  (الكف الاسود,  al-Kaff al-Aswad,  litt : "paume noire"), qui a mené des attaques contre des Britanniques et des Juifs sionistes, trois hommes dans le kibboutz Yagur en 1931,  Yosef Ya'akobi et son fils David tués par une bombe dans la colonie de Nahalal, en 1932, à quoi s'ajoute, par exemple, l'exécution d'un espion britannique à Haïfa, Ahmed Nayef, en 1936. 

 

En 1933, des manifestations et des grèves contre la politique mandataire et  sioniste se sont déroulées à Jaffa, le 27 octobre 1933, puis se sont poursuivies à Haïfa, Naplouse ou encore Jérusalem, et même jusqu'à Damas, dont la tête armée du cortège, en particulier, avait une volonté farouche d'en découdre avec l'autorité coloniale, munis de bâtons et de barres de fer (Taggar, 1973)Les policiers ont répondu en tirant à balles réelles sur les manifestants, causant 11 morts et 20 blessés pour cette seule journée. Au total, la grève entre le 27 octobre et le 3 novembre, aura causé 27 décès, dont un policier arabe, et blessé 187 civils, dont 33 grièvement, et 56  policiers, dont 13 grièvement  (Rapport de la Commission Murison, du nom du juge écossais qui l'a dirigée, James William M., 1872-1945 et rendu public le 4 janvier 1934 ; Taggar, 1973) Le Haut Commissaire  rétablira la loi martiale, déjà promulguée en 1931, qui légalise "une censure généralisée, des arrestations sans mandat et des détentions sans inculpation ni représentation, des expulsions sans appel et des tribunaux militaires secrets", fait savoir un correspondant du New-York Times, qui note que,  ce mois-là, le Haut Commissaire aurait reçu "des pouvoirs dictatoriaux"  (Joseph M. Levy, DICTATORIAL RULE SET FOR PALESTINE ; High Commissioner Proclaims Defense Order, Although Country Is Orderly : "Régime dictatorial établi pour la Palestine ; Le Haut-Commissaire proclame une ordonnance de sûreté bien que le pays soit organisé" article du N-Y Times du 31 octobre 1933, p. 6 ; Anderson, 2019).  Leader éminent de la première manifestation à Jaffa, Moussa Kazim Al-Husseini alors âgé de 80 ans, se fait battre grièvement à coups de matraque par les policiers britanniques.

 

 

L'ancien maire de Jérusalem finira par décéder cinq mois plus tard de ses blessures, le 26 mars 1934, causant un malaise profond dans la résistance palestinienne, avec l'aggravation des clivages et des scissions politiques  (J. Levy, Dictatorial..., op cité ; Naser et Abu Hilal, 2015).  Pendant ce temps, al-Qassam déployait aussi beaucoup d'énergie à aider les pauvres, leur donnant en particulier des cours du soir, tout en s'opposant aux  grandes familles et aux propriétaires fonciers arabes, accusés de faire le jeu de l'occupant  (Baron, op. cité).  Al-Qassam trouva finalement la mort le 20 novembre 1935, dans les bois autour du village de Ya bad, dans le district de Jénine, en combattant contre des forces britanniques. Il avait averti Amin al-Husseini de son insurrection, tout en l'enjoignant de conjuguer leurs forces, lui dans le Nord, le mufti dans le Sud, mais ce dernier lui avait répondu "Moi, je recherche une solution pacifique." (Baron, op. cité).

Du côté hébreu, aussi, on s'active dans les années 1930 à trouver un accord avec les Arabes. En mars 1934, Ben Gourion, n'ayant pas d'appartement à Jérusalem, rencontre Moussa al-Alami (Musa A., 1897-1984) au domicile de Moshe Shertok. Al-Alami est un dirigeant palestinien d'une très ancienne et noble famille, encore une fois, très respecté par tous pour sa droiture, diplômé de Cambridge, dont la sœur a épousé Jamal al-Husseini. L'homme, qui travaille pour le département juridique du gouvernement mandataire, était devenu secrétaire particulier d'Arthur G. Wauchope (1874-1947), haut-commissaire pour la Palestine du 20 novembre 1931 au 1er mars 1938. Il fait bonne impression au dirigeant hébreu, qui lui semble "sincère, direct et sensé" (Ben Gourion, פגישות עם מנהיגים ערביים : "Rencontres avec les dirigeants arabes", Am Oved, 1967). Ben Gourion  lui propose alors de s'unir pour exiger de la Grande Bretagne qu'elle leur permette de participer de manière paritaire au  pouvoir exécutif durant le mandat, à la fin duquel un Etat juif sera créé au sein d'une fédération arabe (Teveth, 1985).  

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Source :

Institute of Palestine Studies (IPS)

Beyrouth 

 collection de photographies

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Au vu du parcours professionnel et du tempérament mesuré d'al-Alami,  Ben Gourion s'attendait peut-être à plus d'empathie pour la cause sioniste de la part de son interlocuteur, plutôt intraitable, puisqu'il était attaché aux faits : Il se plaint ainsi "que les Juifs ont montré du mépris pour l'opinion des Arabes, et aussi du fait que les membres de l'Exécutif [arabe, NDA] avaient agi injustement avant les troubles de 1929. Il a particulièrement souligné le sentiment pessimiste qui prévalait parmi les Arabes : ils étaient progressivement évincés de tous les postes importants, les meilleures régions du pays passaient aux mains des Juifs (tandis que certains Arabes bénéficiaient de ce fait, la situation des masses, elle, était désespérée), les Juifs avaient acquis les grandes concessions, le budget national était dépensé pour des choses dont les Arabes n'avaient pas besoin, il y avait une abondance de travailleurs bien rémunérés." (Ben Gourion, Rencontres... op. cité) 

 

Quelques mois plus tôt,  pendant des manifestations, en octobre 1933, al-Alami regardait la situation avec beaucoup de pessimisme en affirmant  : "Le sentiment dominant est que si tout ce qu’on peut attendre du la politique actuelle est une mort lente, il vaut mieux se faire tuer pour tenter de se libérer de nos ennemis que de subir une disparition longue et prolongée"  (Kimmerling et Migdal, 1993).  En 1930, toujours, Ben Gourion rencontrera aussi Awni Abd al-Hadi en juillet de la même année chez Yehuda Magnes, cette fois, dont il dira qu'il est un leader arabe "patriotique, honnête, et incorruptible" (Teveth, 1985 : 135).  

Il ne faudrait pourtant pas croire, à la lecture des évènements tragiques qui sont évoqués ici, que le pays est paralysé, figé, certainement pas.  Les sionistes, les notables en particulier, sont enthousiastes pour l'avenir,  et  développent un tourisme militant, qui se retrouve dans sa littérature :  La Terre retrouvée, principale revue sioniste française, rapporte régulièrement les impressions  enthousiastes de leurs  voyages,  à l'image du récit du poète et romancier alsacien prolifique, Edmond Flegenheimer, dit E. Fleg (1874-1963), intitulé sobrement Ma Palestine (Rieder, 1932).  Le tourisme de groupe se développe entre 1929 et 1934  :

"En 1929, l’agence Cook offre de passer « Pésach [Pessa'h : la Pâque juive] à Jérusalem » et de visiter « les institutions sionistes », tandis que l’Union universelle de la jeunesse juive monte avec la Palestine & Orient Lloyd une « excursion en Palestine, Égypte, Syrie » . Cette compagnie propose en 1932 un tour du pays à l’occasion des Maccabiades de Tel Aviv, tandis que le KKL et France Palestine traitent avec les Messageries maritimes pour l’organisation de sa « grande croisière en Eretz Israel » au printemps 1933. De même le KKL et La Terre retrouvée pour leur « Croisière juive en Palestine » du printemps 1934." (Nicault, 2008).

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                     Paquebot Patria, par Sandy Hook,

                      annonce des Croisières Fabre

                        dans le Journal L'Illustration

                                    du 23 février 1929,

                                               33 x 43 cm.

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                                              Visit Palestine,

                               Affiche des années 1930

                                      

 

Dans les années 1930, le pays, dans son ensemble fait de grands pas économiques, et l'ensemble de la population voit la qualité d'un certain nombre de services augmenter, grâce en particulier à l'afflux des capitaux juifs ou des recettes provenant des contribuables juifs en augmentation. Les chiffres témoignent cependant du fossé économique qui sépare les deux communautés : 

"En 1935, par exemple, les juifs contrôlaient 872 des 1 212 entreprises industrielles de Palestine employant 13 678 ouvriers quand dans le même temps le reste des entreprises industrielles sous contrôle arabe palestinien employaient 4 000 ouvriers : les investissements juifs s'élevaient à 4,391 millions de Livres Palestiniennes (LP) face aux 704 000 Livres Palestiniennes  (Himadeh, op. cit., p.26-27). des investisseurs arabes palestiniens. La production juive approchait les 6 millions de Livres Palestiniennes (LP) contre 1,545 millions pour les entreprises arabes palestiniennes : de plus le capital juif contrôlait à 90% les concessions garanties par le Mandat britannique pour un total d'investissement de 5,789 millions de Livres Palestiniennes et donnant du travail à 2 619 ouvriers."  (Ghassan Kanafani, "Thawrat 1936-1939 fi Filastin" [La révolte de 1936-1939 en Palestine]  dans "Chou'un filastiniyyah" (Affaires Palestiniennes), nº 6, janvier 1972). 

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       Affiche promotionnelle

   du film de

  Juda Leman 

"The Land of Promise"

1935

               

 

Cette profonde inégalité économique ne touchait pas seulement le capital industriel, mais aussi le capital privé. Un pourcentage relativement élevé de colons juifs étaient considérés comme des capitalistes :  3250 en 1933, soit 11% , puis 5124 en 1934 et 6309 en 1935. 

Si certains cultivateurs arabes profitent des débouchés offerts par  l'expansion urbaine, un certain nombre de signes nourrissent l'inquiétude des milieux arabes : 

 65.  Les Arabes étaient néanmoins inquiets pour leur avenir économique.  Leur nombre augmentait rapidement, il y avait déjà des signes de congestion dans les villages des collines, et les terres plus fertiles des plaines, qui auraient pu être aménagées pour absorber leur population excédentaire, passaient progressivement aux mains des Juifs.

66.  Les deux communautés sont demeurées économiquement distinctes.  l’absence de fusion entre la population arabe indigène et la population juive orientale, d’une part [dites Asiatiques], et les immigrants juifs d’Europe [dits Européens], d’autre part, a été illustrée de manière frappante par les tableaux comparatifs des salaires journaliers officiellement calculés en 1935, dont voici un extrait :

Palestine, salaires journaliers en vigueur en 1935,

calculés en mils (mills), millième partie de la livre palestinienne

au temps du mandat britannique, entre 1927 et 1947

 

Travaux agricoles : 

- Labourage

- Cueillette des oranges

- Pâturage

Travaux industriels

- carriers  expérimentés

-  "     "        débutants

- maçons expérimentés

-  ouvriers du bâtiment

Employés d'Etat

Asphalteurs routiers

Employés généraux

Européens

250-400

220-225

200

 

450-600

350-400

600-700

350-400

 

250-500

120-400

 

  Asiatiques

80-120

120-200

80-100

 

 200-300

 100-140

500-600

100_180

 

 

120-400

70-200   

  source :   Memorandum du Royaume-Uni, op. cité, points 65 et 66 

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Dockers chargeant des caisses                                                               Fabrique de savons

    d'orange sur un bateau     

       Palestine, Jaffa, 1921-1923    

 

   Photos Franck Scholten  (1881-1942)

 

The Netherlands Institute for the Near East (NINO)

  Scholten Collection 

                                             

                                                               

 

"Les écarts de salaires entre les travailleurs juifs et arabes, même les travailleurs ayant des qualifications spéciales, sont restés importants et ont continué d’être une source d’irritation pour les travailleurs et les syndicalistes arabes. Une étude publiée en 1938 par l’Institut de recherche économique de l’Agence juive a révélé de grands écarts entre les salaires arabes et juifs. Par exemple, en 1936-1937, les charpentiers juifs gagnaient en moyenne 37 piastres par jour, tandis que les charpentiers arabes gagnaient 27 piastres. Pour les tourneurs, les chiffres étaient respectivement de 39 et 35 piastres ; pour les maçons 54 et 43 ; pour les plâtriers 53 et 33 ; pour carreleurs de sol 54 et 38. Une partie de l’écart peut résulter de différences dans les niveaux de compétence et de productivité, mais ce n’était certainement pas le cas dans tous les cas. L’étude de l’Agence juive a également révélé que les salaires gagnés par certains travailleurs arabes qualifiés, dans les métiers de la construction par exemple, et peut-être même par les travailleurs non qualifiés, étaient souvent plus élevés que les salaires dans les pays arabes voisins ou même dans certains des pays les plus pauvres et les moins développés d’Europe. En ce sens, l’argument sioniste selon lequel l’afflux d’immigrants juifs et de capitaux avait contribué à augmenter les taux de salaire en Palestine n’était pas sans fondement. Mais la comparaison que les travailleurs arabes en Palestine jugeaient importante n’était pas avec des travailleurs égyptiens ou hawrani [hauranis, NDA] encore plus pauvres, mais avec des travailleurs juifs locaux qui étaient mieux payés pour effectuer les mêmes travaux et dont l’organisation, la Histadrout, semblait également convoiter les emplois des Arabes."   (Lockman, 1996)

 

Précisons que ces importantes inégalités de revenus touchent aussi les travailleurs juifs autochtones, de culture arabe, orientale, donc, "sans que la centrale ouvrière juive ait jamais songé à s'y opposer"  (Weinstock, 2011) :  Ce n'est, on l'a vu, qu'un des multiples aspects idéologiques du sionisme, dont ses défenseurs ont montré à plusieurs reprises leur rejet, parfois jusqu'à l'abjection, des Juifs entachés à leurs yeux  de tares et d'impuretés. Il ne faut pas oublier que le XIXe siècle n'est pas si loin, que nombre de sociétés véhiculent beaucoup d'idées et de sentiments archaïques sur ce qui entoure la notion de race,  de supériorité civilisationnelle, au premier rang desquelles on trouve les pays européens encore férocement colonisateurs.  A cela s'ajoute une situation économique en crise, en 1928,  qui voit s'accroître le chômage,  chez les Juifs en particulier, qui n'acceptent pas, tel les Français d'aujourd'hui, de travailler dans des conditions semi-esclavagistes qu'acceptent les Arabes, comme dans la cueillette des oranges.  On voit ainsi les Arabes travailler dix  à douze heures par jour, et gagner quinze piastres par jour, tandis que les ouvriers juifs ont des journées de 8 heures et touchent dans le même temps un salaire de trente piastres  (Weinstock, 2011).  Un recensement officiel de 1937 indique qu’un ouvrier juif moyen recevait 145 % de salaire de plus que son homologue arabe palestinien, chiffre qui monte à 233 % dans les usines de tabac et jusqu'à 433 % dans les usines textiles employant des femmes juives et arabes  (Himadeh, 1938).  

 

La dépossession d'une partie des  campagnes, par ailleurs, entraîne une transformation de la population arabe qui anéantit progressivement le mode de vie agraire ancestral, et pousse les paysans vers les  villes, produisant une urbanisation  "qui au début des années 1930 avait créé des bidonvilles lugubres et croissants autour des grandes villes, à des hauteurs inconnues"  (Anderson, 2018).  

Mais voilà, cette paupérisation s'accompagne aussi d'une politique de renvoi des ouvriers arabes palestiniens des usines. Par exemple, dans les colonies juives de Malbis, Dairan, Wadi Hunain et Khadira, le nombre des ouvriers  arabes passa de 6214 en février 1935, à 2276 six mois plus tard, puis 617, au bout d'un an (Collection of Arab testimonies in Palestine before the British Royal Commission, al-Itidal Press, Damas, 1938, p.55), période où on assiste à un certain nombre d'attaques contre les ouvriers arabes  (Kanafani, op. cité). Au même moment, les ouvriers de la Histadrout passaient de 74.000 à la fin de l'année 1935  à 115.000 en fin juillet 1936  (Journal Davar, n°3462, du 30 septembre 1936).

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Le thème de la compétition, opposant un secteur économique juif capitaliste et moderne opposé à celui, précapitaliste et prétendument arriéré des Palestiniens sera longtemps présent dans la littérature sioniste pour justifier la colonisation par le progrès, qu'il soit technologique, fiscal, foncier etc., consacrant "l’idée d’une course vertueuse à laquelle participe l’humanité toute entière, remplaçant ainsi le conflit par la compétition"  (Al-Labadi, 2015)Ainsi, l'économiste israélien Jacob Metzer (né en 1942), dans son ouvrage consacré à l'économie de la période mandataire ("The Divided Economy of Mandatory Palestine", Cambridge University Press, 1998)  adopte "sans réserve la perspective téléologique de l’historiographie sioniste traditionnelle qui étudie le développement de la communauté du Yichouv comme étant le résultat d’une dynamique lui étant exclusivement endogène. Cela le conduit à expliquer l’écart de développement grandissant par le fait que chacun des deux secteurs a suivi une trajectoire économique propre dans le cadre général d’un laissez-faire britannique. De même, explique Metzer, la croissance impressionnante des économies arabe et juive durant le mandat, comparé à celles des autres économies de la région, tient à ce que l’accumulation de capital de la communauté juive en Palestine fut économiquement utile à la fois aux Arabes et aux Juifs. En ne travaillant que sur le plan quantitatif, Metzer en arrive cependant à négliger que la forte croissance du secteur arabe va de pair avec la mise sous tutelle de la société palestinienne et l’exploitation [Zureik E., 1979] et la vulnérabilisation de son économie [Zureik E., 1983]."  (Al-Labadi, 2015).  Cette opposition duelle deviendra un paradigme servant "de doctrine à une politique israélienne de monopolisation du territoire et de négation de la société palestinienne" (op. cité), mais aussi d'argument phare, à partir des années 1980, des partisans d'une "solution  à deux Etats" 

En 1935, Wauchope lançait une énième mise en garde, concernant le grave danger représenté par cette expropriation grandissante de terres. Il avertit que "si des mesures n’étaient pas prises rapidement pour endiguer le flux de terres hors des mains des Arabes, une nouvelle série de « troubles » comme ceux qui se sont produits en 1929 pourrait se profiler à l’horizon."   (HC to CSS, 31 December 1935, BNA – CO 733/297/1, dans Anderson, 2018)Discours une nouvelle fois témoin des positions contradictoires des responsables britanniques sur la question palestinienne, défendant mordicus la politique sioniste de leur gouvernement, tout en alertant régulièrement sur ses mille et uns travers, parfois de manière très documentée, on l'a vu dans leurs multiples rapports. S'agissant de Wauchope, le haut commissaire considérait la colonisation sioniste comme une "grande aventure" : "je considérais de mon devoir d’encourager le peuplement juif et je n’avais d’autre ambition que de voir sa sécurité assurée."  (citation d'Alain Gresh, op. cité).  D'autre part, c'est lui qui, seize mois plus tôt, avait repoussé l'idée d'une protection nécessaire aux propriétaires cultivateurs, arguant du fait "qu’ils ne risquaient pas d’être déplacés."  (HC to CSS, 23 August 1934, BNA – CO 733/252/14, dans Anderson, 2018) 

Et la réalité, encore une fois, c'est l'aggravation de cette situation par les sionistes, que l'on constate, malgré tous les avertissements faits sur les dangers de cette pratique. En 1930, les Juifs détenaient plus d’un million de dunums (quatre millions d’acres) de terres dans le pays et avec 62 000 dunums achetés en 1934, les acquisitions de terres par les Juifs étaient supérieurs à ceux des trois années précédentes combinées, atteignant même 73 000 en 1935. Cette année-là le haut-commissaire confiera sa  crainte que la manière dont la communauté juive "dévore la terre" (cité par Lesch, 1979)  ne se fasse sentir "dans chaque ville et village de Palestine" (op. cité ;  cf. Kelly, 2013).   

Des disparités se font jour aussi en termes d'éducation, puisque le système palestinien dépendait presque entièrement des deniers publics, alors que l'enseignement juif obtenait au moins...  85 % de son budget  en 1935 d'autres financements. D'autre part, le parent pauvre arabe dépendait du ministère de l'Education, tandis que la communauté juive avait son propre Conseil National, le Vaad Leumi  (Memorandum du Royaume-Uni, op. cité, op. cité, point 68).  Du contenu très nationaliste des deux systèmes scolaires on peut noter que des rudiments de langue arabe sont appris seulement à partir de l'école secondaire, alors que c'est la langue pratiquée par les neuf-dixièmes de la population, quand commence la colonisation, ce qui est très cohérent avec la politique de ségrégation sioniste qui a été décrite. A l'inverse, on peut comprendre, à ce stade des relations judéo-palestiniennes, que les Arabes n'enseignent pas officiellement une langue qui n'était plus parlée depuis très longtemps, cela a été dit, et qu'ils ne fassent aucun effort d'apprendre la langue de ceux qui cherchent à les évincer. 

Enfin, il faut évoquer un énième sujet de colère des Palestiniens, à savoir la contrebande  d'armement organisée par la Haganah depuis 1929. Les gens bien informés savaient que la Haganah avait établi des contacts en Belgique, en France ou encore en Italie et faisait entrer des armes clandestinement. Un des soutiens fidèles au sionisme en Europe, le bourgmestre socialiste Camille Huysmans (1871-1968),  œuvra  non seulement à faire entrer le sionisme dans l'Internationale, ce qu'il détaillera  dans The Jewish State (1945), mais aussi à l'aider militairement : 

 

"Camille Huysmans donna au sionisme plus que de la sympathie. C’était pendant les émeutes des années 1936-38 lorsque la «Hagana» (l’organisation pour la défense de la communauté juive de Palestine) dut renouveler et renforcer son arsenal pour sa lutte contre les terroristes. Dans ce but, des délégués furent envoyés en Europe. Parmi eux se trouvait David Hacohen qui rencontra Camille Huysmans à Bruxelles et lui demanda son aide. La réponse de Huysmans fut positive quoi qu’il était déjà engagé dans des actions d’aide similaires pour les combattants républicains en Espagne. L’aide de Huysmans dépassa de beaucoup ce qu’on espérait. Il nous aida non seulement à nous procurer des armes, mais aussi à organiser leur transfert clandestin et ceci grâce à ses relations personnelles avec les dirigeants des syndicats maritimes néerlandais»." (Leon Hochstein, "Camille Huysmans, our true friend", The City and East London Observer, 23 juillet 1943, dans Wim Geldolf, Camille Huysmans et le peuple juif. Une amitié pour la vie, Bulletin trimestriel de la Fondation AuschwitzDriemaandelijks tijdschrift van de Auschwitz Stichting,  N° 82,  janvier-mars 2004, pp. 111-134)

 

Le 16 octobre 1935, le fait éclata au grand jour, par la découverte accidentelle, dans le port de Jaffa, d'une cargaison d'armes de fabrication liégeoise, cachées dans des fûts de ciment, transportée par un cargo belge, le Léopold II, et destinée officiellement un marchand juif de Tel Aviv, Isaac Katan, destinataire en réalité fictif.  Au cours de cet "incident du ciment" comme on appellera l'affaire, une enquête de la police criminelle britannique mettra à jour une importante cache d'armes, sans jamais trouver les organisateurs de ce trafic  (Matthews, 2006),  Cette découverte déclencha très vite des manifestations dans toute la Palestine, mais aussi à l'étranger, dans de grandes capitales arabes  : Amman, Damas, Bagdad, Le Caire. L'inaction des autorités pour rechercher les coupables, ajoutée à l'inquiétude de la presse arabe entraînent une grève générale le 26 octobre largement suivie (Segev, 1999). Cette découverte poussa aussi al-Qassam de passer à l'action, ce qui a déjà été évoqué plus haut et excita encore plus la colère des Palestiniens, qui furent convaincus que les Juifs s'armaient de manière conséquente pour une guerre prochaine contre les Palestiniens Du côté des modérés, une coalition de cinq partis rédigent un mémorandum commun adressé le 25 novembre 1935 au Haut Commissaire  : Parti arabe de Palestine, Parti de la Réforme, Parti de Défense Nationale, Bloc National et enfin, Parti du Congrès de la Jeunesse arabe, fondé en 1932 au premier Congrès de la jeunesse arabe, à Jaffa, par Yaqub al-Ghusayn (Yacoub, Yaacoub al-Ghussein, Ghossein, 1899-1947), diplômé de Cambridge, membre d'une grande famille de propriétaires terriens, encore une fois. Les revendications principales de ce mémorandum étaient : 

- L'établissement d'un gouvernement démocratique

- L'interdiction du transfert de terres aux Juifs et la promulgation d'une loi similaire à la "loi des Cinq Feddans" en Egypte, édictée en 1913 pour mettre un terme à la confiscation ou à la vente des terres de petits exploitants possédant moins de cinq feddans de terre (unité de mesure de surface,  le feddan égale 1,038 acres, soit 0.42 ha). 

- Arrêt immédiat de l'immigration juive et formation d’un comité compétent pour déterminer les capacités d'accueil du pays et en déduire les bases d'une politique  d'immigration

- Elaboration d'une législation exigeant que tous les résidents légaux obtiennent et portent une carte d'identité

- Hâter une enquête rigoureuse sur l'immigration illégale.  (Taggar, 1973).

On appelait  ma’apilim (maapilim) les immigrants juifs illégaux, du nom, dit-on, d'un de ces premiers bateaux, Hama’apilim,  en 1934, qui les avait transportés (The Jewish Chronicle, Ma'apilim, 5 juillet 2018)

         

On le voit donc, c'est l'ensemble des domaines politiques, sociaux et économique, qui se détériore de plus en plus pour les Palestiniens, et qui n'en finit pas de nourrir une grande partie de la colère et des  révoltes arabes dans le pays et pour lesquels les responsables palestiniens n'ont cessé de proposer des solutions, des réparations, tout au long des années mandataires, réunissant même à plusieurs reprises, malgré les composantes complexes de la communauté arabe de Palestine,  à s'unir sur les demandes principales de la population. 

Les lecteurs et lectrices comprendront que, tout ce que nous savons déjà de la réalisation coloniale sioniste en Palestine ne peut guère faire penser à un avenir radieux entre les deux communautés.  D'autre part, le nationalisme palestinien était alors à peine né, quand il a été complètement empêché de se réaliser, non seulement à cause de toutes les recompositions géopolitiques organisées par les grandes puissances coloniales, mais aussi, et surtout, par une conjuration de forces sionistes et britanniques, coloniales elles aussi,  travaillant main dans la main pour réduire ses ambitions à néant.  Nous avons vu aussi, à de nombreuses reprises que des chrétiens avaient non seulement pris une  grande part, dès le début, de ce mouvement nationaliste arabe, mais qu'ils étaient même des initiateurs à part entière. Chrétiens et musulmans arabes ont œuvré ensemble, c'est indiscutable, et rien n'empêchait les juifs arabes d'y participer. Il ne s'agissait donc pas du tout, pour les Arabes, d'une exclusion des Juifs a priori, mais d'un projet politique où les Juifs, au vu de leur importance démographique très négligeable, ne pouvait naturellement pas avoir la prééminence sur les choix régaliens. Ainsi, le mouvement nationaliste palestinien est historiquement arabe parce que la terre, la culture, la langue, en Palestine le sont depuis très longtemps, ceci explique cela et tous les éléments historiques rapportés jusqu'ici montrent que ce sont les Arabes palestiniens qui défendent la justice dans cette affaire.  

 

Alors,  la  minorité juive  de départ aurait pu défendre sa petite place, numériquement s'entend, et défendre ses particularités que les dirigeants arabes n'ont jamais niées, en écoutant les déclarations et les choix de paix de très nombreux Juifs de la diaspora ou les propositions des différentes délégations arabes. En acceptant de respecter la représentation très modeste que les Juifs avaient dans le pays, une immigration raisonnée des Juifs de la diaspora aurait sans aucun doute été acceptée par les Arabes palestiniens, mais au lieu de ça, et même contre les Juifs autochtones arabes, est né un projet colonial non seulement très hostile mais ségrégationniste et totalitaire, et qui, malheureusement comme beaucoup d'entreprises de domination, a été soutenu de manière extrêmement vigoureuse par une des plus grandes  puissances coloniales du moment, la Grande Bretagne, ce qui ne pouvait que provoquer la détresse, la colère, et finalement, des révoltes parfois d'une violence  des plus terrifiantes de la part des habitants de Palestine, de celles qui échappent parfois à tout contrôle de la raison humaine et qui prennent racine dans une violence originelle sans cesse alimentée.    

coalition

 

 

 

 

 

 

 

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