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critique et utopie   

 sociales 

Les  Grecs

 

 

 

Jheronimus van Aken, dit Jérôme Bosch

 

          Jardin des délices, détail

 

         Triptyque,  vers 1480-1503

                     H 220 x L 386 cm

                 Musée du Prado

 Monastère royal de Saint-Laurent de                                l'Escurial

        (San Lorenzo de El Escorial)

                   Madrid, Espagne 

 

 

La Cité idéale

 

 

 

Les îles de Syriè ou de Schérie (Scheria) abritent dans l'Illiade non pas des communautés fondées sur un système politique (politeia), mais des "body utopia…obtenues sans intervention humaine", selon Sargent (1994). A Syrié, "la faim n'atteint jamais le pays et d'ailleurs aucune maladie douloureuse n'abat les malheureux mortels." A Schérie, royaume des Phéaciens, l'abondance est symbolisée par le jardin d'Alcinoos (Alkinoos, Alcinoüs), et les princes vivant de fêtes et de festins, de concours sportifs et de danses. Dans les Travaux et les Jours d'Hésiode, la race d'or (qu'on appellera "âge d'or") ne connaît pas non plus ni maladie, ni vieillesse, et la terre produit ses fruits en abondance, etc. mythe que revisitera plus tard Ovide dans ses Métamorphoses. Longtemps avant la Révolution industrielle, les Grecs avaient imaginé un monde où la terre produit "d'elle-même" (automatè), et cette automatisation s'étendait à de nombreux objets, dont certains "robotisés", qui faisaient bien des choses à la place de l'homme. Ainsi les portes automatiques (automatoi pulai, Iliade 5, 749-751; 8, 393-395) et infranchissables de l'Olympe forgées par Héphaïstos, comme les trépieds qui se déplacent d'eux-mêmes (Iliade 18, 373-377) à l'assemblée des dieux, ou encore des servantes d'or (Iliade 18, 418-419), des chiens de garde pour le palais d'Alcinoüs (Odyssée 7, 91-94), et beaucoup d'autres objets et instruments qui allègent ou supprime la peine des hommes  :  

"Si chaque instrument était capable, sur une simple injonction, ou même pressentant ce qu’on va lui demander, d’accomplir le travail qui lui est propre, comme on le raconte des statues de Dédale ou des trépieds d’Héphaïstos, lesquels dit le poète : “Se rendaient d’eux-mêmes à l’assemblée des dieux”, si, de la même manière, les navettes tissaient d’elles-mêmes, et les plectres pinçaient tout seuls la cithare, alors, ni les chefs d’artisans n’auraient besoin d’ouvriers, ni les maîtres d’esclaves."

Aristote, Politique, I, 4, 1253-1254, traduction Tricot, Paris J. Vrin 1962  

Et Cratès, dans Les Bêtes, de rêver, à la fin du Ve siècle, que  l’«automatisation » des objets va permettre aux hommes une vie merveilleusement confortable  (Athénée, 6, 267 e-268 a).

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Plan de  Palmanova (Nova Palmae), près d'Udine en Italie,

               Georg Braun et Frans Hogenberg, 1593

Un peu avant Platon, sous le règne de Périclès, des penseurs grecs ont imaginé des cités idéales, censées apporter à tous aidôs, dikê et eudaimônia : respect, justice et bonheur. Hippodamos de Milet et Phaléas de Chalcédoine, nés probablement dans la première moitié du Ve siècle avant notre ère, sont sans doute les premiers utopistes grecs. En 443, l'architecte et urbaniste Hippodamos (Hippodame) de Milet, qui passe pour l'inventeur du plan orthogonal qui deviendra partout en Occident une norme architecturale de la Cité.  Il dessine le plan de la colonie de Thurium  (Thourioi, Thurii), divise la cité en trois classes égalitaires : artisans, agriculteurs et soldats, de même la terre, en trois  parties : privées, sacrées et publiques, sans qu'on sache, nous dira Aristote, qui va nourrir les guerriers qui possèdent des terres collectives qu'ils ne savent cultiver.

 

C'est à Protagoras qu'aurait été confiée la législation de la cité (Diogène Laërce [pour la suite : DL], 180-240, Vie des Philosophes,  IX, 50), de nature démocratique à ses débuts selon Diodore (XII, 11). On ne connaît pas beaucoup de détails non plus des projets de Phaléas, dont nous parle seulement Aristote (Le Politique, Livre II,  chapitre 5). Il souhaite établir l'égalité des fortunes par un moyen assez farfelu d'échanges matrimoniaux entre pauvres et riches, les uns recevant des dots sans les donner, les autres les donnant sans les recevoir. Selon Aristote, le but de Phaléas était « d'établir dans sa république la double égalité de l'éducation et de la fortune ; mais il faudra dire quelle sera cette éducation. Quand l'éducation serait une, égale pour tous, croyez-vous avoir beaucoup fait ? Où est la preuve que cette éducation, bien qu'elle soit égale pour tous, n'excitera pas dans le cœur des hommes l'ambition des honneurs ou la soif des richesses, et peut-être ces deux passions ensemble ? L'inégalité des honneurs révolte autant les hommes que l'inégalité de la fortune ; les motifs seuls forment la différence. La multitude regarde d'un œil jaloux l'inégalité des fortunes, la classe distinguée se  soulève contre l'égalité des honneurs, lorsqu'elle voit  “le lâche et le brave partager le même honneur [1].” »  (Aristote, Politique II, 5). Nous avons déjà vu l’assimilation des petites gens aux “méchants”, aux “puants” de la cité, n’y revenons pas.  Le Stagirite comprend pourtant que le pauvre veuille "l'égalité des biens pour se garantir du froid et de la faim autrement que par le brigandage" et propose sa solution toute condescendante, sinon méprisante : "Faites que le pauvre ait un petit héritage, et donnez-lui des occupations utiles ;" Quant à Phaléas, il « n'établit l'égalité que pour les propriétés foncières. Mais, des esclaves, des troupeaux, de l'argent, des étoffes, enfin toutes les propriétés mobiliaires, ne sont-elles pas aussi des richesses ? Il fallait établir aussi l'égalité pour ce genre de fortune, ou la soumettre à des règlements fixes, ou bien ne rien statuer sur le mode de propriété.  Du reste, sa législation ne paraît faite que pour un petit Etat ; car il ne veut pas que les artisans soient partie intégrante de la cité, et il les réduit tous à la condition d'ouvriers publics. »

Encore et toujours, la discrimination touchant aux métiers manuels. Le bonheur collectif d'une cité idéale a encore plus occupé Socrate (vers 470-399) et sa pensée nous a été transmise par Platon (428-347) dans la République, les Lois, et ses dialogues du Timée et du Critias. C'est par la pensée et la critique d'Aristote, une fois encore, que nous allons éclairer sa pensée, qu'Aristote explore dans le livre II de sa Politique (335-322). 

 

[1]   Homère, Illiade, IX, 31

« Quelle est la meilleure forme de constitution pour procurer aux membres de l'association politique la plus grande somme de bonheur ?  Voilà le problème que nous cherchons à résoudre. (…) Il faut que tout soit commun entre les membres de la société politique, ou que rien ne le soit ; ou que certaines choses soient communes et que d'autres ne le soient pas.  D'abord il est impossible qu'il n'y  ait rien de commun à tous. En effet, une organisation  politique est en quelque sorte la propriété de tous. Or cette organisation exige d'abord un local commun; car, qui dit cité dit unité de lieu, qui dit citoyen dit jouissance commune de la même cité. Mais ce point, une fois convenu, une bonne constitution doit-elle ordonner que tous les biens susceptibles d'être communs appartiendront à tous ; ou bien serait-il plus sage de statuer, qu'abstraction faite des biens qui doivent être communs, il y aura des propriétés individuelles ? »  "

Aristote, Le Politique, Livre II, 335/322, traduction François de Champagne, 1797.

Il n’est guère de philosophes antiques qui ont su poser aussi clairement la question essentielle de la propriété. Immédiatement après, cependant, il n'échappe pas à toutes sortes de préjugés qui perdureront pendant de très longs siècles, à commencer par l'infériorité des femmes, dont nous savons qu’elles font en quelque sorte partie du cheptel d'un citoyen, au même titre que ses enfants, son mobilier ou ses autres propriétés :

 

"Dans la première supposition, les femmes, les enfants et les biens pourraient être communs à tous les membres du corps social, comme le veut Platon dans sa République. En effet, Socrate dit formellement, qu'enfants, femmes et biens doivent être communs. Adopterons-nous une pareille institution, ou préférerons-nous les lois sur la propriété telles qu'elles existent aujourd'hui ?"

Autre chose sont les mentalités de classe qui enferment dans des catégories sociales non seulement les sexes, mais aussi les professions : guerriers, laboureurs ou artisans, ce qui est une constante chez les auteurs antiques, grecs ou autres. Page après page, abondent   raisonnements (voire syllogismes) et arguments (voire arguties) où les mentalités, l'idéologie, empêcheront, comme ce sera le cas pendant des siècles, de poser les termes du problème autrement qu'en ces termes de classe : Si, comme chez Socrate, dans la République de Platon, tous les enfants appartiennent à tous, "chacun aura mille fils, qui ne seront pas plus les siens que ceux des autres, qu'arrivera-t-il : qu'ils seront tous négligés",  ou  encore : « comme souvent une maison est plus mal tenue avec beaucoup d'esclaves qu'avec un petit nombre. » ... «  Il est bon qu'il y ait peu d'union parmi les hommes faits pour obéir ; c'est un moyen de prévenir les révolutions. »  

 

Diviser pour mieux régner : une stratégie classique de domination que les puissants connaissent depuis longtemps.

« Platon veut encore qu'on fasse passer des enfants de laboureurs et d'artisans dans la classe des guerriers, et réciproquement. (…) Que les laboureurs soient propriétaires individuels ou qu'ils possèdent tout en commun, s'il y a communauté de femmes dans cette classe, qui prendra soin de l'intérieur des maisons, pendant que les hommes seront occupés à la culture des champs ? Il est absurde d'établir une comparaison avec les animaux pour ordonner que les femmes remplissent les mêmes fonctions que les hommes, qui ne s'entendent guère aux détails du ménage. (…) Il veut que les laboureurs soient propriétaires des fonds, sous la condition d'une redevance. Cette classe serait évidemment très difficile à contenir. Comment n'a-t-il pas vu qu'elle serait plus entreprenante, que les hilotes de Lacédémone, les pénestes de Thessalie et les esclaves de tous les autres Etats ? »

On voit bien là qu’il est impossible alors, de fonder l’organisation, le devenir de la personne humaine sur la base de la personne, de l’individu. Il s’agit toujours de penser en terme de groupe, de classe, de communauté : Les précédents chapitres nous ont donné un aperçu de la formation de ces mentalités, communes à tous les peuples pendant des millénaires. Ici, les préoccupations d'Aristote sont de protéger un ordre bien établi de dominants sur des dominés qu'il s'agit de cantonner à un espace politique et économique restreint, contrôlable.  Ce qui n'empêche pas le Stagirite de poursuivre sa critique platonicienne sur la production économique de la cité, où les champs restent des propriétés privées, mais les récoltes partagées entre tous :

 « Si les terres étaient cultivées par d'autres mains que celles des citoyens, peut-être serait-il possible de trouver un mode de partage. Mais si les  récoltes sont le fruit des sueurs des citoyens eux-mêmes, la répartition présente mille difficultés. Si les produits ne sont pas départis dans la proportion du travail, tel aura moins travaillé, qui enlèvera ou consommera davantage; tel autre n'aura qu'une faible part pour indemnité de travaux plus considérables : or, il est rare de voir les hommes vivre en bonne intelligence, lorsqu'ils forment ensemble des sociétés d'intérêt : que sera-ce, dans l'ordre de choses que nous supposons ? Voyez les sociétés de voyageurs : une bagatelle, un rien amène souvent entre eux la discorde et des scènes violentes. Les domestiques qui nous servent journellement au sein de nos maisons, ne sont-ils pas les plus exposés à nos reproches et à notre humeur ? En général, toute propriété commune, quel que soit le mode de jouissance, présente de graves inconvénients. »   (Politique, Livre II)

Aristote commet, à mon sens, la même erreur que les libéraux feront plus tard, en donnant aux comportements humains (ici d'appropriation) une intangibilité qu'ils n'ont pas. Dans une société où règne la logique d'intérêt que pointe Aristote, bien avant Adam Smith, il y a tout une éducation, toute une culture, toute une formation de l'esprit qui construit cette logique égoïste, de profit personnel, depuis la plus tendre enfance. Dans une société égalitaire traditionnelle, on se serait posé la question de savoir l'âge du travailleur, de ses besoins (est-il enfant ? jeune adulte ou vieillard ? sédentaire ou chasseur ? etc. Cela pose le sujet de la complexité de la fabrication du réel social, qui fait intrinsèquement partie de la réponse au sujet de la propriété, nous le verrons, et qui sera l'énorme lacune de la pensée libérale.

"Tenons-nous-en donc à nos lois actuelles sur le droit de propriété : avec de bonnes mœurs et de sages institutions, elles l'emportent sur toutes les théories de communauté universelle. Ces lois peuvent réunir le double avantage de la communauté des biens et de la propriété individuelle. Il faut pour cela que les biens appartiennent aux individus, et que les produits soient communs. En partageant les soins, on tarit la source des querelles, et on donne plus de ressort à l'industrie qui tend à l'amélioration. Faites en- suite que la vertu soit dispensatrice de ces biens, suivant la maxime que tout est commun entre amis. (…) Là, chaque citoyen a sa propriété qu'il partage avec ses amis ; mais il use du bien des autres, comme s'il était commun. Ainsi, à Sparte, on fait usage d'un esclave étranger comme du sien ; chacun se sert des chevaux et des chiens qu'il rencontre sur sa route, et dont il a besoin pour son voyage. Il est donc évident que la plus sage des lois serait celle qui, en consacrant le principe de la propriété individuelle, porterait les citoyens à regarder leurs biens comme communs. Mais comment y  parvenir ? c'est la tâche du législateur. N'est-il pas vrai qu'on ressent un plaisir inexprimable, lorsqu'on peut se dire : ceci est à moi ? Ce n'est pas une illusion que l'amour de nous-mêmes : ce sentiment est tout naturel. (…) Est-il encore un plaisir plus pur que de secourir ses semblables et de répandre des bienfaits dans le sein de ses amis, de ses compagnons, de ses hôtes ? L'homme qui a des propriétés peut seul connaître cette jouissance. Ils en ignorent le prix, ceux qui ordonnent la communauté des biens pour donner plus d'unité à leur Etat.(…) La générosité consiste dans le noble emploi de la fortune. Quel moyen lui laissent-ils de développer ce beau sentiment ? Ils lui enlèvent donc encore de la libéralité."

 

Politique, Livre II)

Il y a plus de 2000 ans Aristote avait donc émis l'idée d'une forme de coopération-partage des biens, avant de la rendre inopérante en la faisant reposer sur la libéralité, la philantropie du propriétaire et le laisse donc, de fait, en position de pouvoir absolu sur ses biens, ce qui est tout à fait conforme à sa mentalité aristocratique.  On touche ici au  principe de la propriété privée qui, s’il n’était pas aussi inviolable qu’il le deviendra plus tard, était bien établi dès l’aube des civilisations, nous l’avons vu. Et Aristote d'enfoncer le clou de ce “prétendu fléau de la propriété”, évoquant la corruption des richesses qui n'est pas le sujet du “tien ou du mien”  (de la propriété, donc), mais plutôt “de notre propre méchanceté”, ce qui nous ramène au sujet de l'acquis et de l'inné que nous évoquions plus haut. Ainsi, "s'il est juste de calculer les maux dont la communauté nous délivrerait, il faut aussi compter les biens qu'on nous ôterait. En somme la communauté des biens est chose impossible; Socrate, en adoptant cette erreur, est parti d'un principe faux. Sans doute il faut de l'unité dans la famille, mais cette unité ne doit pas être exagérée ; il ne faut pas centraliser jusqu'à n'avoir plus de cité : une pareille cité, qui cesserait presque d'être elle-même, serait un détestable gouvernement. Que diriez-vous d'une harmonie faite sur un seul ton, d'un rythme, d'une mesure uniforme ? C'est par la sagesse des institutions qu'il faut donner de l'unité à l'Etat, qui comme nous l'avons dit, est composé d'éléments divers. Mais établir la communauté des biens comme moyen universel pour rendre un Etat vertueux, c'est une absurdité."   (Politique, Livre II)

Notons au passage la notion d'hétérogénéité évoquée par le philosophe, au travers de l'allégorie musicale toute pythagoricienne, contre une uniformité et une centralisation extrême de la cité. Cette pluralité de mesures et de tons fait défaut à bien des projets utopiques dans l'histoire, nous le verrons, ce qui les a empêchés de résoudre (en plus des questions patriarcales) une question difficile, celle de l'étendue optimale de la liberté individuelle au sein d'une communauté de biens.

"Sans doute il y a un bien réel dans le nivellement des fortunes. C'est un moyen de prévenir des discordes, mais étouffera-t-il tous les germes de division ? non. Il n'empêchera pas la classe distinguée de se soulever contre cette égalité qu'elle traitera d'injustice, prétention qui a plus d'une fois troublé les Etats et causé des révolutions. (…) Ainsi le point essentiel n'est pas de niveler les fortunes, mais de faire des lois telles, que l'homme né pour la vertu ne veuille pas être injuste, et que le méchant ne puisse jamais l'être. Le moyen d'enchaîner ainsi la cupidité est de réduire les méchants en minorité, sans cesser d'être juste à leur égard."

 

N’établissons donc pas l’égalité des richesses, nous dit Aristote, car les riches ne seraient pas d’accord. Faisons plutôt en sorte que ces derniers soient des parangons de sagesse. Ce sont plus que des arguments bancals, ce sont des arguments ineptes, mais voilà, encore une fois, la mentalité élitiste du philosophe ne lui permet pas de poser le problème de manière rationnelle, c’est toujours l’idéologie qui l’emporte.  La vertu, le juste, l'injuste, l'ordre, l'harmonie ou au contraire le désordre, la démesure, l'excès (hubris ou hybris) :  la philosophie grecque antique pense la société en terme d'équilibre, de catégories, de classes où la justice sociale, parfois brièvement évoquée, n'a pas vraiment sa place.

 Pythagore [2] (vers 580-497) est un des initiateurs de ces manières de penser. Si le maître acceptait dans sa communauté des hommes et des femmes, tous versés en sciences ou en arts, qui mettaient en commun leurs biens, ce n'était pas dans le but de créer une société partageuse dans son ensemble mais au contraire une communauté secrète, initiatique, élitiste, religieuse, aux richesses intellectuelles diverses mais bien ordonnées. La secte pythagoricienne est ainsi ancrée à un ordre aristocratique qui domine Crotone et d'autres cités, parmi lequel on trouve le fameux athlète Milon de Crotone, beau-fils de Pythagore et époux de sa fille Mya, elle-même poétesse et pédagogue (ses frère et sœurs, comme leur mère étaient aussi lettrées et initiées). Aristocratique mais aussi, cela va presque toujours de pair, farouchement antidémocratique, au point de provoquer des insurrections [3] populaires. Ces soulèvements sont nés en partie du refus de la classe au pouvoir de ne pas redistribuer les terres conquises après la victoire contre Sybaris (- 510). Impossible d’établir le pouvoir sans la propriété, dont Platon affirme, dans son dernier Dialogue (les Lois, - 349) qu'elle est incompatible avec l'égalité des citoyens, en même temps que la richesse doit être limitée au quadruple du revenu de la dernière classe, car son excès est incompatible avec la sagesse et la vertu :

« car dans cet État seul commanderont ceux que rendent vraiment riches, non pas l’or, mais la sagesse et la vertu, les seules richesses de l’homme heureux : mais partout où l’on voit courir aux affaires publiques des mendiants, des gens affamés de biens, qui n’en ont aucun, et qui s’imaginent que c’est là qu’ils doivent en aller prendre, il n’y a pas de bon gouvernement possible. Le pouvoir devient une proie qu’on se dispute ; et cette guerre domestique et intestine finit par perdre et les hommes qui se disputent le gouvernement de l’État, et l’État lui-même »

Platon, La République, Livre VII, 520e

 

[2]  Pythagore : Jamblique, et Laërce ont fait bien après lui sa biographie, et on en trouve des témoignages divers chez d'autres auteurs comme Apollonios, Aristoxène ou encore Porphyre. 

[3]  stasis : état de crise sociale. Le grec ancien n'a pas vraiment de mots pour désigner ce que nous désignons par “révolution”.

Moralité, quand ce sont les “meilleurs” qui s’enrichissent, on ne craint rien, mais quand ce sont les pauvres, on court à la catastrophe !

Abolition de la propriété, limitation de la richesse privée, on pourrait croire que Platon se rapproche d'un égalitarisme communautaire possiblement enviable, mais il n'en est rien.  Comme dans beaucoup de projets ultérieurs de "cité idéale", la communauté des biens a beaucoup de mal à s'accorder avec des libertés essentielles et présente invariablement des aspects totalitaires, Platon en est l'exemple le plus éclatant, parmi les tout premiers, qui prive tous les citoyens, selon leurs classes,  de nombreuses libertés   fondamentales :  Aux classes inférieures le droit de former famille, d'avoir un petit lopin de terre, en étant exclu totalement du champ politique : "La nature n'a fait ni cordonniers, ni forgerons ; de pareilles occupations dégradent les gens qui les exercent, vils mercenaires, misérables sans nom, qui sont exclus, par leur état même, des droits politiques." (Lois, Livre XI). Aux classes  supérieures, donc,  l'interdiction de former des familles mais avec les pleins pouvoirs politiques. Dans sa République, Platon avait accepté, mettant en lumière l'importance de l'éducation (paideia), que les enfants doués des "classes inférieures" soient placés dans la classe supérieure des Gardiens, dont une partie a le pouvoir de l'armée et de la police, et l'autre, intégrant  les philosophes, les sages, sont responsables de la bonne marche, de l'harmonie de la Cité.

En fait, l'inégalité politique rend le discours d'égalité de Platon inaudible. Comme Pythagore avant lui et comme Aristote après lui, il appartient au milieu de l'oligarchie, antidémocratique, qui ne compte aucunement partager le pouvoir avec les plus humbles : on a entendu son mépris pour le travail manuel, perpétué depuis très longtemps.  Pour Platon, « une assemblée qui comprendrait, soit le peuple tout entier, soit les riches seulement, afin d'y permettre aux non-spécialistes, ainsi qu'à tous les gens d'un autre métier de venir s'expliquer à la tribune » ou encore faire « comparaître ceux dont on veut juger la gestion, devant des tribunaux d'hommes tirés au sort », conduirait à une situation “invivable” (Le Politique, 298-299).

"La démocratie naît lorsque, après leur victoire, les pauvres mettent à mort un certain nombre d'habitants, en expulsent d'autres, et font participer ceux qui restent à égalité au régime politique et aux charges de direction." (République, 556e-557a)

Indépendamment du fait que l'idée de démocratie, chez Platon, renvoie péjorativement à un pouvoir populaire tyrannique, ces propos sont bien malhonnêtes de la part du philosophe, qui passent sous silence la terreur qu'ont exercée les Trente Tyrans, dont le chef n'est rien moins que Critias, l'oncle maternel de Platon, secondé par un autre oncle, Charmide, qui fomentent alors des assassinats, exilent de nombreux  démocrates et étrangers (métèques) et s'approprient  leurs biens (Charbit, 2002).

Deux mille ans après, à la naissance du libéralisme, nous verrons que c'est encore et toujours la classe dominante d'une riche aristocratie qui affirmera qu'elle veut pour tous le bonheur, un bonheur dont elle fixera elle aussi la fin (télos), l'ordre, l'harmonie, la paix civile, par les moyens qu'elle a choisis elle-même, en privant les uns et les autres de libertés essentielles, en les soumettant à un contrôle permanent. Pour lors, la liste des interdits est copieuse :

"on mariera les filles selon la loi qui sera édictée, on distribuera les garçons à ceux des citoyens qui manquent de postérité pour qu'ils en fassent leurs fils" (Lois, 740c). En cas d'accroissement brutal de citoyens, on envoie le surplus former des colonies, le but étant d'avoir une cité comportant toujours 5040 citoyens et l'eugénisme est pratiqué, dont l'infanticide, qu' il a évoqué dans La République (rédigée en – 375), pour les enfants handicapés, afin de "conserver la race pure"(460c).  Les femmes devront respecter un âge de 16 à 20 ans pour se marier et les hommes de 30 à 35 ans (Lois, Livre V, 785), un homme non marié à 35 ans révolus étant passible d'amende. Une espèce d'endogamie sociale est assurée par le fait que les conjoints se choisissent "de manière convenable et assortie" (Lois, 773). Des voyages sont envisagés pour s'inspirer de formes différentes d'organisations politiques ou sociales (Lois, 950-952). Dans la République de Platon n'entre pas qui veut : Installée loin de la mer pour éviter trop d'influences extérieures (Lois, 704-705) la cité accueille parcimonieusement les étrangers, les travailleurs saisonniers étant surveillés de près, les touristes, les savants ou encore les artistes étant par contre reçus avec joie (Lois, 952- 953), même si leurs productions, comme celles des littérateurs, sont contrôlées  par la censure. 

En plus de sa cité idéale politique, Platon accouche d'une cité idéale mythique qui, cette fois, n'a rien d'une utopie sociale : c'est une oligarchie classique. Cette histoire, Critias, un des protagonistes du Timée, la tient de son arrière-grand-père, Critias l'Ancien, récit qui aurait été raconté à Solon par des prêtres d'Egypte. Neuf mille ans auparavant, selon la légende, Athènes aurait vaincu un royaume puissant, dont les premiers souverains, Atlas et son jumeau Gadiros descendaient du dieu Poséidon et de la princesse Clito, qui occupait l'île riche et fertile d'Atlantide, au-delà des colonnes d'Héraklès, dont le gardien était Atlas (sa fille s'appelait Atlantis), et qui fut ensuite engloutie en un seul jour avec l'armée athénienne par des tremblements de terre et d'autres cataclysmes. Platon poursuit cette histoire dans le Critias, de nouveau à la manière d'un conte.."Il y a tout juste 9000 ans…", date bien entendue purement fantaisiste, propre à glorifier l'ancienneté et la puissance d'Athènes, qui n'a émergé historiquement (et progressivement) qu'après 900 avant notre ère. 

Des historiens comme Théopompe de Chios (vers 403-320) ou Ephore suivront Platon dans la recherche, contemporaine cette fois, d'un monde à la vie simple et frugale, opposés au règne de l'argent. Le récit utopique de Théopompe, tiré de son histoire de Macédoine, les Philippiques, nous a été transmis en partie par le polygraphe Ælien (Claudius Aelianus, Claude Aélien, 175-235), dans son Histoire variée (Poikilè historia). L'histoire passe, selon l'auteur, pour avoir été révélée par Silène au roi Midas. Elle a pour théâtre l'île de Méropide, où les Méropes, des hommes géants, ont  fondé deux villes antagonistes, Eusebios (Eusèbès, "La Pieuse"), la ville juste et Machimos ("La Guerrière"), la ville guerrière. Aux confins de l'île se trouvait le terrible gouffre d'Anostos (“Non-Retour”), autour duquel coulaient deux fleuves du Plaisir et de l'Affliction. En croquant des fruits poussant sur les berges du premier on supprimait ses désirs, on retournait en arrière dans le temps jusqu'à l'état de nouveau-né et on disparaissait. En faisant la même chose au bord du second fleuve, on mourrait à force de pleurer. Au contraire des habitants de Machimos, qui vivent malgré leurs richesses considérables des combats permanents, connaissent les maladies et d'autres malheurs, les Eusébiens vivent en paix deux fois plus longtemps que la normale, profitent sans travailler des dons “automatiques” de la terre et ne connaissent pas la maladie, et en pieux habitants, sont visités régulièrement par les dieux de l'Olympe.

Ploutos et Penia sont dans un bateau,

 

D'une autre portée sera la conception du monde des Cyniques [4], dont Antisthène (vers 445- 366) aurait été le promoteur. Différents penseurs s'inquiètent alors de ce que l'oikonomia, cette économie qui ne désigne encore que l'économie domestique, celle d'un domaine (oikos), ne se contente plus d'assurer le bien-être de la famille, mais se tourne de plus en  plus vers l'enrichissement, le profit. De même, le commerce et les activités bancaires commencent à être appréciés pour leur pratique même, de plus en plus lucrative, tout comme la monnaie devient elle-même l'instrument d'une richesse illimitée, c'est la chrématistique d'Aristote, opposée à l'oikonomia qui pourvoit aux choses nécessaires et à leur bon usage (Aristote, Politique, I, 3). Il ne faut cependant pas exagérer cette transformation de l'économie : Les centaines de milliers d'esclaves auraient pu permettre, comme pour la période moderne, une rationalisation de l'économie, mais  il n'en a rien été.  Aristophane ira jusqu'à prétendre que des pauvres qui manquaient de nourriture pouvaient avoir plusieurs esclaves oiketai ou amphipoloi, ce qu'on évitera bien sûr de prendre pour argent comptant, bien sûr  (- 411, Lysistrata, 1203-4, Ranae [Les grenouilles], 1338), mais ce qui donne une idée du degré de dénuement dans lequel un certain nombre d'esclaves demeurait : le tribônion (manteau) de Carion a tellement de trous qu'on y voit au travers, illustre Aristophane, dans son Ploutos (Richesse,  714-15).

"l'homme qui me suit n'a jamais souffert, ni jamais ne souffrira des privations dont vous parlez. Vous parliez d'un indigent, qui n'a absolument rien pour vivre. La pauvreté est différente. Cela veut dire mener une vie économe, vous en tenir à votre travail, n'avoir rien qui soit en trop, mais rien qui ne manque non plus".   Aristophane, Ploutos

C'est Pénia, la Pauvreté (ou encore, le Besoin) qui parle, et on le voit ici encore, il ne s'agit pas pour l'auteur de s'intéresser à l'indigence, à la véritable pauvreté, dont le défaut récurrent de subsistance et la précarité du logement sont les premiers signes. Il s’agit plutôt là d'une espèce de frugalité vertueuse désirée par ceux qui peuvent ne pas s’y soumettre, à savoir le gros des auditeurs d'Aristophane : petits entrepreneurs, commerçants, artisans, producteurs, etc., toute une classe moyenne capitaliste qui peut se permettre d'épargner (Urbain, 1939). Aristophane est très proche de l'honnête homme libéral du XVIIIe siècle qui, à l’image inverse qu’on veut souvent donnes des Lumières, nous le verrons plus tard, reste profondément persuadé qu'il faut des riches et des pauvres pour faire tourner le monde, et c'est avec les mêmes sophismes que les uns et les autres veulent élever leurs points de vue idéologiques au rang de vérité. Premièrement, en appelant à la loi économique du besoin, la Pauvreté prétend assurer la bonne marche du système :

"Mais, par mes soins, vous avez abondamment tout ce qui vous est nécessaire, car, comme une maîtresse habile et sévère, je ne quitte pas d’un moment les ouvriers, et, par la nécessité et l’indigence, je les contrains de chercher des moyens de gagner leur vie." Deuxièmement, en arguant de la loi de la saturation des besoins. Plutus a été rendu aveugle par Zeus pour pouvoir distribuer aléatoirement les richesses. S'il recouvrait la vue " il se donnerait à tous également, et il n’y aurait plus personne qui se souciât d’apprendre les arts et les métiers, ni qui voulût les exercer. Cela posé, qui voudra être forgeron, construire des vaisseaux, être tailleur, charron, cordonnier, briquetier, blanchisseur, corroyeur, ou fendre le sein de la terre avec la charrue pour recueillir les fruits de Cérés, si chacun peut vivre dans une lâche paresse et n’est point obligé de travailler ?"

 

[4]  du grec  kuon (κύων), “chien”, nom donné à cause de l'impudicité de ces philosophes, en particulier, mais aussi de leur dépendance domestique.  

ploutos et penia

Sophisme grossier, bien sûr. Dans un monde où seul le travail produit la richesse, si tous étaient riches cela signifierait ou que tout le monde travaille ou qu'un nombre conséquent de travailleurs suffit à produire une richesse qu'ils partagent avec tous les autres, mais jamais parce qu'il n'y a plus que des oisifs.  Et garder l'hypothèse magique d'une richesse produite ex nihilo par les dieux ne résout pas le problème pour autant : si tous s'abandonnent à l'oisiveté, la vie est impossible car il est impossible pour personne de se nourrir, et la monnaie ne peut plus avoir aucune valeur de référence, notion très bien comprise par Aristophane, qui évoque à plusieurs reprises dans ses comédies différents rouages de l'économie [5], ce qui suggère, soi dit en passant, un intérêt de la part de certains intellectuels Grecs pour cette matière, dès cette époque. Le besoin (penia) des satisfactions est à la base de la production économique, du commerce :

" Je démontrerai que seul je suis cause, moi, de tous les biens qui vous arrivent et que c'est moi qui vous fais vivre" (Plutus). La saturation des besoins, contrairement à celle de l'argent : "On se lasse de tout le reste : d'amour/De pain/De musique/De friandises/De gloire/De gâteaux/ De bravoure/De figues/D'ambition/De pain d'orge/De commandement/ De lentilles/ Mais de toi jamais personne ne s'en est lassé, et si quelqu'un a treize talents, il désire en avoir seize. S'il arrive à seize, il en souhaite aussitôt quarante, sans quoi la vie lui est insupportable."

 

Plutus, dialogue de Chrémyle et Carion.

Une telle affirmation tient encore de la mentalité. De tout temps il y eut des gens à posséder cet amour de l'argent et d'autres cherchant seulement à en avoir assez pour combler leurs besoins essentiels et, avec modération, leurs désirs superflus : Ces mentalités différentes distinguent jusqu'aujourd'hui très souvent les classes privilégiées des classes pauvres, on n'en aura un écho, par exemple, dans les doléances des femmes et des hommes à la Révolution. On trouve un autre trait de cette mentalité dans l'Assemblée des femmes, où Aristophane évoque clairement l'hypothèse d'une société communiste :

« PRAXAGORA. Tout d'abord que personne, en ce moment, ne me contredise ni ne m'interroge avant de connaître ma pensée et d'écouter ma parole. Je dis qu'il faut que tous ceux qui possèdent mettent tous leurs biens en commun, et que chacun vive de sa part ; que ni l'un ne soit riche, ni l'autre pauvre ; que l'un ait de vastes terres à cultiver et que l'autre n'ait pas de quoi se faire enterrer ; que l'un soit servi par de nombreux esclaves, et que l'autre n'ait pas un seul suivant : enfin, j'établis une vie commune, la même pour tous.

BLÉPYROS. Comment sera-t-elle commune pour tous ?

PRAXAGORA. Toi, tu mangeras de la merde avant moi.

BLÉPYROS. Est-ce que nous nous partagerons aussi la merde ?

PRAXAGORA. Non, de par Zeus ! mais ta brusquerie m'a interrompue. Or, voici ce que je voulais dire : je mettrai d'abord en commun la terre, l'argent, toutes les propriétés d'un chacun ; ensuite, avec tous ces biens mis en commun, nous vous nourrirons, gérant, épargnant, organisant avec soin.

BLÉPYROS. Et celui de nous qui ne possède pas de terres, mais de l'argent, des dariques, des richesses cachées ?

PRAXAGORA. Il les déposera à la masse ; et, s'il ne les dépose pas, il sera parjure.

BLÉPYROS. Mais c'est comme cela qu'il les a gagnées.

PRAXAGORA. Elles ne lui serviraient absolument de rien.

BLÉPYROS. Comment cela ?

PRAXAGORA. Rien ne se fera plus sous l'impulsion de la pauvreté ; tout appartiendra à tous, pains, salaisons, gâteaux, manteaux de laine, vin, couronnes, pois chiches. Quel profit à ne point mettre à la masse ? Dis ce que tu en penses.

BLÉPYROS. Ne sont-ce pas, en ce moment, les plus voleurs, ceux qui ont tout cela ?

PRAXAGORA. Jadis, mon cher, quand nous usions des lois anciennes ; aujourd'hui que la vie sera en commun, quel profit de ne pas mettre à la masse ?

BLÉPYROS. Si quelqu'un voit une fillette qui lui plaise et s'il veut en jouir, il lui sera permis de prendre sur ce qu'il a pour lui faire un présent, et de participer aux biens de la communauté, tout en couchant avec elle. ».

Etc.

Aristophane, L'Assemblée des Femmes, 392 avant notre ère, traduction Eugène Talbot, 1897.

Aristophane joue avec les idées nouvelles pour les besoins de son art. Il fait parler aussi des femmes, mais pas des femmes prises au hasard, il s'agit d'épouses de citoyens libres, pas de jeunes filles, ni d'esclaves, ni d'étrangères (Damour,  2018). Ces épouses sont déguisées en homme qui décrèteront, entre autres, que dans la nouvelle société elles appartiendront à tous les  hommes : ce vaste baisodrome est d'abord au profit des hommes, bien sûr, pas des femmes, que l’auteur raille par ailleurs dans ses autres pièces, et il ne faut pas être dupe du vernis féministe de l'œuvre : mais ceci dépasse le cadre de cette étude. C'est autour du sujet du sexe qu'Aristophane poursuit l'essentiel de son propos, pas du sujet social. Le corollaire de cette vie communautaire comporte, encore une fois, des procédés liberticides :

« PRAXAGORA. La vie commune à tous. Je veux faire de la ville une seule habitation, où tout se tiendra, de manière à ce qu'on passe de l'un chez l'autre. » (op cité)

Comme d'autres philosophes après lui, Aristophane comprend que la société doit se construire avec tous, qu'elle ne peut pas continuer de diviser profondément l'élite et le peuple, mais il conservera toujours sa mentalité aristocrate en donnant sa classe comme exemple à suivre aux classes inférieures, jugées influençables, idiotes et bornées, mais qui peuvent évoluer en prenant pour modèle les meilleurs (aristoi) les plus vertueux (Acharniens, 628, 658 ; Cavaliers (Hippeis), 510, 578, 635 ; Les Guêpes (Sphễkes, Vespae en latin), 1045,1238, 1462, etc.).

« Malheureux ! Pourquoi êtes-vous assis là comme des idiots, notre proie à nous les habiles ! Vous êtes des pierres ! Nombre ! Vain troupeau de moutons ! Tas d'amphores ! »

 

Aristophane, Nephélai (Les Nuées), 1201-3

[5]  Aristophane utilise souvent des concepts  économiques dans ses pièces :  loi fondamentale du besoin, loi de la saturation, lois sur le capital et la production, lois de la contagion et de la substitution des besoins,  notions de rareté et utilité de la valeur, loi de l’offre et de la demande, solidarité des prix, loi de Gresham, valeur et fonction de la monnaie, commerce international : cf. Urbain, 1939

Mépris aristocratique du peuple, encore et toujours,  qui n'était pas près de disparaître, loin de là, lui qui était incrusté si profondément dans les mentalités élitistes qu'on le retrouve tout au long de l'histoire, et toujours bien vivace au XXIe siècle : qu'on songe seulement à toutes les saillies du président Macron sur la question.

Pour s'opposer à la vie dispendieuse, coûteuse  (poluteleia) en argent comme en efforts, qui de plus causent "des angoisses, des craintes, des maladies et des douleurs" (Helmer, 2014), les Cyniques vont choisir et promouvoir la vie simple, fruste ou euteleia. Bien avant les altermondialistes et autres acteurs de la décroissance, ils avaient compris l'aberration de la course folle aux profits et à l'accumulation et l'avaient corrélé non seulement à des maux spirituels mais aussi à des pathologies physiques (Diogène Laërce [D.L, par la suite], Vie et doctrine des philosophes illustres, , VI, 53).  Bien avant l'heure de l'écologie, les Cyniques limitaient le gaspillage et préconisait l'économie de moyens, pour une autarcie optimale de l'individu au sein de la cité. Ainsi Diogène de Sinope (413-327), par exemple, voyant un jour un enfant boire dans ses mains qui jeta le gobelet dont il se servait (D.L, VI, 35). L'observation des animaux, aussi, leur aurait permis de trouver des solutions simples et économes, comme l'escargot, dont on dit que c'est de son imitation que Diogène eut l'idée d'habiter un tonneau (DL, VI, 105). S'ils buvaient de l'eau à la place du vin, des légumes crus ou avec peu de préparation, certains ne répugnaient pas à manger la viande crue (omophagie) et, au moins en parole, la nécrophagie ou l'anthropophagie  n'est pas condamnée (DL, VI, 73).

A la différence d'autres systèmes philosophiques, le cynisme est porté par des hommes qui mettent en acte ce qu'ils pensent :

"Quand on prêche la morale sans la mettre en pratique, on ne diffère en rien d’une cithare. Celle-ci en effet n’entend ni ne perçoit" (Diogène, D.L VI, 64)

La pauvreté est un préalable pour un certain nombre de ces philosophes, et par conséquent,  les riches qui y adhèrent se dépouillent de leurs richesses, comme l'ont fait Antisthène (Saint Jérôme, Contre Jovinien II, 14, 34), Diogène (Plutarque, Moralia) ou encore Cratès de Thèbes (Plutarque, op.cité). Notons au passage que Cratès se maria avec la féministe Hipparchia de Maronée, fille de la bonne bourgeoisie athénienne qui se révolta contre sa famille pour vivre avec lui une vie ascétique et libre, allant jusqu'à copuler en public avec son mari. Elle fréquenta des banquets d'hommes, se mesura à eux en paroles, écrivit des Hypothèses philosophiques et d'autres textes.

Cependant, l'acte de pauvreté demeurera un choix personnel et différents philosophes cyniques respecteront le topos classique concernant à distinguer bonne (olbos : richesse heureuse, félicité) et mauvaise richesse (aphenos ou ploutos : la richesse ostentatoire, “le fric”),  richesse "perçante" ou richesse "aveugle", selon Platon (Lois, I, 631c). Ainsi, Antisthène ne condamne pas la richesse mais précise qu'une richesse sans vertu n'est pas plus agréable qu'une richesse sans conversation (Jean Stobée, Edition Wachsmuth et Hense [W.H], III, 1, 28). Métroclès, disciple de Cratès, qualifie la richesse de "nuisible à moins qu'on en use  de façon valable" (DL VI, 95) et Bion de Borysthène dit en substance la même chose : "le riche est blâmé non à cause de sa richesse mais parce qu’il n’en fait rien." (Sur l'autarcie, Fragment 46 de Télès)  ou encore : "Ce n'est pas lui qui possède une fortune, mais c'est la fortune qui le possède." (DL, IV, 50). Nous n'avons pas ici une critique sociale comme nous l'entendons, qui comporte une juste répartition des richesses (jamais réclamée par les auteurs), mais plutôt, comme dans le Stoïcisme [6], une recherche personnelle, une maîtrise, une tempérance de vertu qui concerne bien plus la sagesse du riche (l’idéal aristocratique, encore) que l'amélioration de la condition du pauvre, la réalisation d'un état de perfection à l'imitation de celle des dieux : Vie autarcique, désirs sexuels assouvis au maximum : au moins en parole, le cynique admet l'inceste, le viol, la masturbation publique, la prostitution, etc., sans parler d'une quête de l'âge d'or, qui se caractérise par retrouver l'abondance offerte par la nature, le temps qui précède le geste prométhéen où hommes et dieux n'étaient pas encore séparés, où la nourriture était naturelle et pas cuisinée, etc., mais cela dépasse le cadre de notre étude.

Cependant, la critique sociale n'est pas absente du discours cynique et attaque souvent la pensée orthodoxe de l'époque. Antisthène, Télès, par exemple ne méprisent pas du tout le travail, les tâches vues généralement par les classes supérieures comme dégradantes (Xénophon, Banquet, IV, 40 ; Télès, Sur l'autarcie, 11 H) et Diogène refusera même un jour de se faire servir par des esclaves : « point d'esclaves ici pour le service, nos mains suffiront à cette tâche » (Lettre de Diogène, 37). Cette attitude n'est pas radicalement nouvelle, mais les Cyniques la développent de différentes manières. Antisthène va même jusqu'à se moquer des Athéniens « qui se gonflaient d'orgueil en vantant leurs origines » quand bien même ils « n'étaient pas plus nobles que les sauterelles et les escargots. » Diogène lui-même se proclamait "sans-cité", "l'exilé" "citoyen du monde" (kosmopolítès, qui donnera cosmopolite) et déclarait que « nous ne devons pas vivre en cités et en dèmes, ni user de lois particulières. ». Quant à  Cratès, il aurait affirmé devant Alexandre le Grand que son pays était « l'obscurité et la pauvreté. » (D.L, VI). Il y a donc, aussi, une forme d'anarchisme chez le cynique, qui s'oppose à la société existante sans proposer une autre forme de communauté, mais plutôt par une réaction antisociale de rejet.

 

[6]  De stoa (στοά), “portique”, plus exactement un στοά ποικίλη (“stoa poikilè”, litt. portique varié, bigarré, peint),  dit portique pœcile en latin, monument de l'Agora d'Athènes. 

Comme pour les philosophes des Lumières, cependant, le regard qui est porté sur le travail par les Grecs antiques est presque toujours moralisant d'une manière ou d'une autre. Quand Ulysse fabrique son propre lit (Odyssée XXIII 188-210) ou Alexandre sa propre maison avec les meilleurs charpentiers de Troie (Iliade, Chant VI),  ce n'est pas pour assurer leur subsistance, c'est pour démontrer leur habileté manuelle valorisée chez les agathoi, "les bons", opposés aux mauvais kakoi, tous ces paysans, ces ouvriers qui dépendent, cela a été dit,  d'autres hommes pour vivre, et qui peinent sous la menace constante de la faim.        

Un autre témoignage concerne le discours Euboïque (ou Eubéen, VII) de Dion de Pruse dit Chrysostome (40-120), prononcé au début du IIe siècle. Ce dernier raconte qu'après un naufrage sur une côte de l'Eubée, un chasseur lui offrira l'hospitalité. Tout au long du récit, Dion veut montrer que l'hospitalité des pauvres est bien supérieure à celle des riches, que travailler pour assurer sa subsistance est une activité digne  : 

"Eh bien, pour ce qui concerne la vie d’agriculteur, de chasseur et de berger, voilà notre discours, qui a peut-être pris un temps excessif, comme nous désirions démontrer d’une manière ou d’une autre que la pauvreté n’est pas une condition dépourvue de moyens pour mener une vie et une existence dignes d’hommes libres désireux de travailler de leurs mains, mais qu’elle conduit à des tâches et à des activités bien meilleures et bien plus utiles et davantage conformes à la nature que celles à quoi la richesse incite habituellement la majorité des gens."

Dans sa recherche de communauté idéale Dion n'échappe pas plus que les autres philosophes de l'antiquité aux catégories morales :

" En effet, nous ne construisons pas en ce moment une constitution politique en nous demandant laquelle serait la meilleure ou serait préférable à beaucoup d’autres, mais nous nous sommes proposés de parler de la pauvreté en disant que sa réalité n’est pas dépourvue de ressources comme le croient la majorité des gens pour qui elle est une condition à quoi il faut échapper et qui est malheureuse, mais qu’elle offre d’innombrables moyens d’existence qui ne sont ni sans dignité ni néfastes pour ceux qui veulent travailler de leurs mains. En partant, en effet, de ce point de départ, nous avons été conduits antérieurement à des développements abondants sur l’agriculture et la chasse, et maintenant nous traitons des professions urbaines en nous demandant lesquelles d’entre elles sont dignes et ne sont pas néfastes pour les hommes dont la vie ne devra pas être le comble du déshonneur et celles qui pourraient dégrader les hommes qui les pratiquent."

Revenons maintenant à nos Cyniques. Ils provoquent, bousculent, donc, un certain nombre d'idées de leurs contemporains, tout en présentant un certain nombre d'aspects classiques d'idéal moral de société. Ces philosophes transmettront aux Stoïciens leur volonté d'anticonformisme, et ce dès les débuts de leur mouvement, initié par Zénon de Kition (Citium, auj. Larnaca, vers 330-263). Sa Politeia contient, en effet, de nombreux traits cyniques (qui se retrouvent aussi chez ses successeurs, Chrysippe et Cléanthe), sur l'inutilité des études, de différentes institutions, de la monnaie, sur les permissivités sexuelles, alimentaires, sur l'inutilité des armes, etc. Diogène Laërce dira d'ailleurs, que Zénon écrivit sa constitution "sur la queue d'un chien" (VII, 4). Emile Bréhier, grand spécialiste du stoïcisme, a dit qu'un certain nombre de textes qu'ils avaient pour but de « choquer le bourgeois » (Chrysippe et l'ancien stoïcisme, Paris, 1951)

L'individualisme cynique pousse à l'abolition de la famille, de l'affection mutuelle (philia) des citoyens (Zénon fait d'Eros le dieu tutélaire de la cité), leur sagesse devant les définir encore plus que leur statut familial ou social. Diogène Laërce dit même que sur ce principe, des parents et des enfants peuvent devenir ennemis. Cette distinction éthique essentielle au stoïcisme rappelle, une fois encore, le danger de l'injonction morale récurrente de l'utopie sociale antique. Pendant très longtemps, nous le verrons, il restera un des principaux écueils des idées de progrès social.

Cette confusion des genres a choqué un certain nombre d'intellectuels grecs, tel l'épicurien Philodème de Gadara (vers 110-40), avec en toile de fond cette contradiction flagrante d'une société qui ne peut pas être fondée à la fois sur des lois et sur les principes d'une vie conforme à la nature (katà phúsin).  Cette polémique pourrait nourrir aujourd'hui un certain nombre de débats sur la loi, sur la recherche d'un équilibre social entre prescription et liberté, sagesse individuelle, entre citoyenneté "nationale" et "mondiale" :

"Le sage règlera sa vie de citoyen, non point sur les lois établies, mais selon la loi de la vertu." (Antisthène, D.L, VI, 11)

"Nous sommes les membres d'un vaste corps, et la Nature a institué une parenté entre nous tous." (Sénèque Lettres à Lucilius, 92, 52)

Associés à la philia, chère à Aristote, ce complexe utopique devrait donner du grain à moudre à toutes celles et ceux qui envisagent les paradigmes d'une société nouvelle,  il faudra y revenir.

"L'amitié semble aussi constituer le lien des cités, et les législateurs paraissent y attacher un plus grand prix qu'à la justice même : en effet, la concorde, qui paraît bien être un sentiment voisin de l'amitié, est ce que recherchent avant tout les législateurs, alors que l'esprit de faction, qui est son ennemi, est ce qu'ils pourchassent avec le plus d'énergie. Et quand les hommes sont amis il n'y a plus besoin de justice, tandis que s'ils se contentent d'être justes ils ont en outre besoin d'amitié, et la plus haute expression de la justice est, dans l'opinion générale, de la nature de l'amitié."

Aristote, Ethique à Nicomaque

A cela il faut ajouter un aspect religieux du stoïcisme dont différents chercheurs ont montré qu'il avait puisé aux sources orientales, chaldéennes, surtout, l'identification de la marche du monde avec le destin, révélé aux astrologues au travers des astres (Bidez, 1932 ; Cumont, 1963), et qui conduit Zénon à imaginer sa "cité de contemplatifs où le devoir commande de considérer, d'adorer et de vouloir le cours des choses tel que l'amène la Destinée…" (Bidez, op. cité), et ce syncrétisme religieux poussera Cléanthe à donner au soleil (hélios) une place centrale, auxquels les fervents accordent des principes d'égalité, de justice, et partant, le partage des terres d'une Cosmopolis héliaque chez les Stoïciens, portée par les révoltes d'esclaves  d'Aristonikos ou celles du prolétariat romain : ce qui tord un peu le cou à la fréquente association entre stoïcisme et acceptation de la destinée, de la douleur,  résignation du sort des individus, qui marquera fortement  la philosophie chrétienne, et partant, toute la culture occidentale, pain béni pour les classes dominantes, qui enfoncent le clou de l'intangibilité des classes sociales, et dont les effets n'ont pas disparu :

"En posture de victime de la crise économique, un stoïcien devrait donc supporter la pauvreté, supporter les malheurs extérieurs et finalement accepter son sort. Il n'est en effet pas de sa responsabilité de sortir de son malheur alors pourquoi désirer un bonheur aussi vain qu'utopique ? A l'instar du Sisyphe de Camus dans le Mythe de Sisyphe, c'est justement en vivant au présent sans chercher une impossible issue à son tragique destin que l'on parvient à être heureux."

Jean-Baptiste Roncari, Le stoïcisme, une philosophie intemporelle, Le Journal International,  2015

http://www.lejournalinternational.info/le-stoicisme-une-philosophie-de-vie-intemporelle/

Allez dire ça aux millions de gens sans travail ou sans toit. Allez dire ça à ceux qui ont de la peine à nourrir leurs enfants.

 

On retrouve le culte des astres dans les dernières utopies sociales de l'antiquité grecque connue, celles d'Evhémère (vers 340-260) et de Jambule (Iambule, Iamboulos, vers -240). Evhémère était l'ami et l'ambassadeur du roi de Macédoine, Cassandre, dont le frère Alexarque, qui se faisait appeler Hélios fonda une cité idéale sur l'isthme, d'Athos, en Chalcidie, la ville d'Ouranopolis, d'inspiration théocratique, au travers du dieu Ouranos, dieu suprême, et des divinités astrales. Alexarque, qui était savant et philologue, avait par ailleurs créé une langue dédiée à ce monde céleste apporté sur terre. Evhémère s'en inspira pour écrire son récit utopique, Inscription Sacrée que nous ne connaissons que par Diodore de Sicile (V, 41-46 et VI,1). La Panchaïe de l'auteur rappelle la luxuriante Atlantide. Chaque famille nucléaire y possède un terrain avec une maison et un jardin : Deux millénaires séparent l'idéal de vie évhémériste de celui qui sera proposé à l’homme du XXe siècle, ce "home sweet home" qui, indépendamment de sa forme, est certainement au  cœur de bien des rêves de bien-être des hommes plutôt que le tonneau de Diogène. L'esclavage n'existe probablement pas, ce qui indique une fois de plus qu'on sait, depuis très longtemps, que l'asservissement des hommes est une anomalie, une erreur, et non une situation normale et indéfinie. La Cité est dirigée, éduquée sous le regard de Zeus par des prêtres, qui ont toutes sortes d'avantages en nature et là, comme dans de nombreuses utopies sociales, on fait un pas en arrière, vers la morale religieuse, mais aussi la domination économique  bien terrestre et bien réelle. 

Environ cinquante ans plus tard, Jambule imagine sa Cité du Soleil (Hiélopolis), dont quelques chapitres nous ont été transmis par Diodore (II, 55-60). Le récit emprunte traditionnellement au voyage, par la mer, où Jambule et son compagnon débarquent sur l'île promise après des tempêtes. Un peuple étrange les attend, des femmes et des hommes au corps beau et souple, dont la langue bifide permet de reproduire avec fidélité tous les sons de la nature, leur permettant même de s'adresser à deux interlocuteurs en même temps. La maladie n'existe presque pas, et les habitants vivent en paix très longtemps, avec une limite de 150 ans. Au-delà, l'euthanasie est de mise, comme pour les infirmes et les handicapés, phénomène connu dans différentes cultures traditionnelles. A noter qu'à Heliopolis elle est sans douleur, produite en se couchant sur des plantes vénéneuses, qui endorment les gens pour toujours. Les nouveaux-nés, quant à eux, subissent une épreuve pour tester leur vigueur en étant attachés sur le dos d'un grand oiseau qui prend ensuite son envol. Un mal de mer ou des cris d'effroi et c'est l'élimination, soupçonné d'incapacité physique ou morale. Les Hiélopolitains n'ont pas besoin de cultiver car la terre et la mer abondent de produits et d'animaux et  ils  respectent un régime équilibré et plutôt frugal. Iambule reprend à son compte la communauté platonicienne des femmes et  des enfants, qui appartiennent à tous les hommes, ce qui n'empêche pas une parfaite concorde entre tous. On retrouve le culte des astres et des corps célestes en général. L'esclavage n'existe pas et les citoyens partagent, suivant la pensée d'Aristote,  les travaux nécessaires à tour de rôle, tous frères, tous égaux. Egalité la plus absolue possible à leurs yeux  (jusque dans les corps quasi-identiques), pour que naissent dans la société ni jalousie, ni envie, ni ambition, ni rivalité : Ce sont des aspects des problèmes inextricables que doit résoudre toute société idéale, à savoir l'équilibre entre liberté, action individuelle et profit commun des richesses sociales. Comment ne pas permettre au riche d'écraser le pauvre ?  En donnant un peu plus au pauvre, en contrôlant la richesse individuelle ou en la supprimant ? Doit-on être pêcheur, bouvier, artisan  à vie ou doit-on permettre à celui-ci ou celui-là l'accès à la politique ? Et pas seulement pour l'expression démocratique, mais aussi pour que les hommes renouvellent leur pensée, pour que l'homme politique puisse être au contact proche de la nature ou que l'artisan se frotte à l'exercice de la politique. C'est encore pour Jambule et pour d'autres philosophes un idéal de vertu, mais c'est déjà une mise en œuvre intellectuelle révolutionnaire, c'est déjà le refus de paradigmes, de règles sociales qu'on rejette avec force, c'est un appel à repenser les fondements, les bases de la société pour éliminer ce qu'elle connaît de pire : la guerre, la violence des relations humaines, et si les anciens grecs ne passe pas l'histoire directement au crible de la justice, de l'égalité, ils y parviennent en théorie à leur manière, et en partie, en conjuguant leurs efforts sur ce que produisent les injustices et qui ravagent les sociétés, tant anciennes que modernes : l’égoïsme, la cupidité, l’envie, la corruption, etc.

                     BIBLIOGRAPHIE           

 

 

 

 

BIDEZ Joseph. La Cité du Monde et la Cité du Soleil chez les Stoïciens. Paris, Les Belles Lettres, 1932.

 CHARBIT Yves, 2002, La cité platonicienne : histoire et utopie. In: Population, 57ᵉ année, n°2

https://www.persee.fr/docAsPDF/pop_0032-4663_2002_num_57_2_7340.pdf

CUMONT Franz, 1963, Les Religions orientales dans le paganisme romain, Paris, Librairie orientaliste P. Geuthner.

DAMOUR Carmen, 2018,  De qui se moque-t-on ? Les travestis sur la scène de l’Assemblée des femmes d’Aristophane. Archimède : archéologie et histoire ancienne.

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01825132/document

HELMER Étienne, 2014,  « Les cyniques : une économie de la frugalité », Revue de philosophie économique, (Vol. 15).

https://www.cairn.info/revue-de-philosophie-economique-2014-2-page-3.htm

URBAIN Yves, 1939, Les idées économiques d'Aristophane. In: L'antiquité classique, Tome 8, fasc. 1.

https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1939_num_8_1_3092

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