Travail, Famille, Profit Occupation et collaboration
1940 - 1945
Affiche de Joseph Guérin (Jo99) pour l'exposition de l'association Paï Paï à Angers, mars 2017, détail.
« La terre, elle, ne ment pas. »
Les troupes allemandes envahissent Paris le 14 juin 1940. Trois jours après, le maréchal Philippe Pétain est nommé président du Conseil, après la démission de Paul Reynaud, et dès ce premier jour d'exercice, il appelle dans une allocution à la Radiodiffusion nationale à "cesser le combat", décision nécessaire à ses yeux :"Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés, voilà les conditions de notre défaite.", constat très différent de celui du Général de Gaulle : "Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous ont fait reculer. [...] Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire." (Charles de Gaulle, Appel du 18 juin 1940 sur les ondes de la BBC (Radio-Londres).
Le 25 juin 1940, trois jours après l'armistice, Pétain tient à son tour un discours radiodiffusé d'une tout autre teneur, très moraliste, très culpabilisateur, tenant responsable le peuple lui-même de sa défaite, à laquelle il confère une glorieuse opportunité de métamorphose, de régénération, pour tout un pays coupable, pendant la période qui a précédé, la IIIe République, donc, d'avoir perdu son civisme, de s'être amolli par sa recherche du bien-être. C'est un message de culpabilisation, de moralisation porté par des siècles de mensonges et d'oppression physico-spirituelle de la religion chrétienne, celui de la souffrance, de la sanction divine inévitable de par le poids de ses fautes, et qui fait d'un ennemi de guerre un instrument de justice et de châtiment divins :
"Vous serez bientôt rendus à vos foyers. Un ordre nouveau commence. Certains auront à le reconstruire. Vous avez souffert. Vous souffrirez encore. Beaucoup d'entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure. Ce n'est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c'est une portion de France qui meurt. Une jachère de nouveau emblavée, c'est une portion de France qui renaît. N'espérez pas trop de l'Etat qui ne peut donner que ce qu'il reçoit. Comptez pour le présent sur vous-mêmes et, pour l'avenir, sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir.
Nous avons à restaurer la France, montrez-la au monde qui l'observe, à l'adversaire qui l'occupe, dans tout son calme, tout son labeur et toute sa dignité. Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié. C'est à un redressement intellectuel et moral que, d'abord, je vous convie. Français, vous l'accomplirez et vous verrez, je vous le jure, une France neuve surgir de votre ferveur."
La terre, elle, ne ment pas
[cf. discours du 25 juin 1940, ci-dessus]
Estampe de Limoges,
Imagerie du Maréchal, 1942
37 x 47 cm
Bibliothèque Forney, Paris
Le manifeste du commandant en chef des armées, le général Maxime Weygand (1867-1965), du 28 juin 1940, qu'il fait lire et approuver par Pétain avant de la remettre en note au ministre des affaires étrangères Paul Baudouin (1894-1964), est un éclairant corollaire du discours de Pétain, dans le droit fil du courant de pensée nationaliste chrétien, sujet examiné dans l'article précédent :
"I. L’ancien ordre de choses, c’est-à-dire un régime politique de compromissions maçonniques, capitalistes et internationales, nous a conduits où nous sommes.
La France n'en veut plus.
II. La lutte des classes a divisé le pays, empêché tout travail profitable, permis toutes les surenchères de la démagogie. Le relèvement de la France par le travail ne peut être réalisé sans l’institution d’un nouveau régime social fondé sur la confiance et la collaboration entre ouvriers et patrons.
C’est ce régime social qu’il faut instituer.
III. La baisse de la natalité, en diminuant le potentiel de la France, nous a amenés, du point de vue militaire, à défendre notre territoire avec une proportion inadmissible de contingents nord-africains, coloniaux et étrangers ; du point de vue national, à effectuer des naturalisations massives et regrettables et à livrer une partie de notre sol et de nos richesses à des exploitants étrangers.
La famille doit être remise à l’honneur.
IV. La vague de matérialisme qui a submergé la France, l’esprit de jouissance et de facilité sont la cause profonde de nos faiblesses et de nos abandons. Il faut revenir au culte et à la pratique d’un idéal résumé dans ces quelques mots : Dieu, Patrie, Famille, Travail.
L’éducation de notre jeunesse est à réformer.
V; Ces réformes sont trop fondamentales pour qu’elles puissent être accomplies par un personnel usé qui n’inspire plus confiance. La France ne comprendrait pas qu’on la livre encore une fois à lui. Elle en perdrait foi en son redressement.
A programme nouveau, hommes nouveaux.
Le temps nous presse.
Les vieux cadres responsables qui craignent le châtiment travaillent dans l’ombre pour reconquérir le pouvoir. L’ennemi occupe notre sol et cherche à s’y faire une clientèle. Demain, il sera trop tard. Aujourd’hui, c’est une équipe composée d’un petit nombre d’hommes nouveaux sans tâches et sans attaches, animés de la seule volonté de servir qui doit, sous la direction du Maréchal Pétain, chef reconnu de tous, proclamer son programme et se mettre à l’œuvre."
M. Weygand, in Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement, Paris, Éditions de la Table ronde, 1948, pp. 224-225. Les soulignements ont été faits par l'auteur.
Nous avons affaire là à une idéologie clairement opposée au bien-être général auquel a travaillé le Front Populaire entre 1936 et 1938. La "jouissance et la facilité" se rapporte d'évidence aux lois sur la réduction du temps de travail et des congés payés compris comme "l’origine d’une vague matérialiste et hédoniste ; la recherche des biens matériels et de satisfactions immédiates aurait fait oublier tout idéal élevé et toute forme d’esprit de sacrifice" (Centre international d'études et de recherches de Vichy (Cierv), https://cierv-vichy.fr/wp-content/uploads/2020/12/28-juin-1940-Le-manifeste-Weygand.pdf). Nous sommes clairement dans la poursuite d'une conception sociale inégalitaire aussi bien chrétienne que libérale (cf. Naissance du libéralisme) de la souffrance, de la peine au travail pour le peuple, de l'obéissance aux chefs, de l'ordre coercitif, de la prééminence du groupe sur l'individu, une idéologie aux valeurs opposées clairement à la lutte des classes, au communisme, au marxisme, mêlée à une idéologie raciste, à l'antisémitisme ici déguisée : "Compromissions...capitalistes et internationales..." Ce sont toutes ces idéologies que les hommes au pouvoir à Vichy décideront d'imposer autoritairement à la population par de nombreux moyens que nous détaillerons : suppression des cadres républicains, démocratiques et des acquis de la gauche ouvrière ; propagande, épuration de fonctionnaires indésirables, conditionnement des masses ; encadrement, contrôle, correction morale et religieuse de la population ; contrôle, censure des médias ; répression policière, etc.
En soumettant systématiquement toutes les populations bénéficiant d'allocations à des contrôles de santé divers et variés (en particulier les plus précaires, les marginaux, les chômeurs, etc.), l'Etat s'assura un contrôle de populations souvent perçues comme dangereuses (L’Institut National d’Hygiène est créé par Vichy en 1941). Le gouvernement de Vichy instituera pour la première fois le carnet de santé obligatoire (par une loi pas appliquée dans les faits), et fait passer une loi relative à la protection de la maternité et de la première enfance, le 16 décembre 1942. Il y a de grandes différences dans les buts politiques recherchés en 1945 lors de la création de la PMI (voir Les Trente Glorieuses : L'âge d'or du capitalisme, 1) . Si la loi de 1945 vise surtout à freiner l'importante mortalité infantile qui menace l'équilibre démographique, celle de 1942 a pour objectif "« la sauvegarde physique et morale de la race »" (Terrenoire, 2005), les auteurs de la loi, signant, par ailleurs, la première mesure d’eugénisme dans la législation française. En effet, la protection voulue par cette loi ne s’adresse pas aux citoyens français, mais à la « race française »". C'est surtout sur le corps des femmes que s'exerçait le contrôle de ce "gouvernement des grossesses" qui, néanmoins, a permis une réduction de plus en plus grande de la mortalité infantile, tout en promouvant activement la famille traditionnelle et la répression de celles qui pouvaient s'écarter de ce modèle : "Il en est ainsi de plusieurs mesures prises en 1942 : loi renforçant la répression de l’avortement, loi sur l’enseignement ménager obligatoire pour les filles, loi sur la tutelle aux prestations familiales. Il en est ainsi également dans le soutien à la création d’une union des associations familiales, l’Union nationale des associations familiales (UNAF) qui est maintenue, sous une forme plus démocratique, après la Libération." (Henri Pascal, "Les cadres institués des politiques sociales (1940-1949)", In, Henri Pascal (dir.), "Histoire du travail social en France. De la fin du XIXe siècle à nos jours", Rennes, Presses de l’EHESP, 2014, p. 122).
Le 4 juillet 1940, le vice-président du Conseil, Pierre Laval, fait en conseil des ministres la lecture de son projet de loi rédigé avec Raphaël Alibert. Dans le travail considérable qu'a consacré le chercheur Renaud Meltz à Pierre Laval ("Pierre Laval, Un mystère français", Paris, éditions Perrin, 2018), on découvre un homme opportuniste, clientéliste, sans foi ni loi, à la recherche du pouvoir à tout prix. Contrairement à ce qu'on lit ici ou là, Laval, alors d'étiquette socialiste, n'est pas à l'origine de ce qu'on appellera l'Etat-Providence. On doit la création du premier régime d'assurances maladie et vieillesse, fondé alors sur la capitalisation, au long combat mené par la CGT et, en particulier, à son chef, Léon Henri Jouhaux (1879-1956), et ce sont ces efforts que couronne la loi du 5 avril 1928, alors que Laval n'a encore jamais eu aucune responsabilité de gouvernement. Sa loi du 30 avril 1930, forgée quand il sera ministre du Travail, sous le gouvernement Tardieu, n'est qu'une modification de la première, dont le but est de s'ouvrir aux revendications des mutualités et des médecins. Cette mutualisation des assurances sociales sera très contesté par le syndicat CGT, qui dénoncera "le recul en matière de protection sociale que représenterait le dévoiement de cette loi de protection sociale en loi d’assistance pour les plus humbles." (Souchet, 2001). Si on manque de preuves pour l'établir, il est difficile de ne pas rattacher l'enrichissement rapide de l'homme au fait qu'il fut "défenseur des profiteurs de guerre, spéculateur favorisé par des prêts complaisants et probablement jamais remboursés, ministre corruptible, trafiquant d’influence, il a fait feu de tout bois, tôt affranchi de la morale et de la loi." (Meltz, P. Laval..., op. cité : 268). C'est à la tête du gouvernement de Vichy, à partir du 18 avril 1942, que Laval négociera avec des chefs nazis arrivés en poste à peu près au même moment que lui, Albert Speer au ministère de l'armement et surtout Fritz Sauckel comme plénipotentiaire général de l'emploi et de la main d'oeuvre. Raphaël Alibert, quant à lui, est issu de la petite noblesse, monarchiste, catholique traditionnel, proche de Charles Maurras. En un temps record (il fut démis de ses fonctions en janvier 1941), le premier garde des Sceaux de l'Etat français sera un des principaux fossoyeur du régime républicain et l'architecte du premier statut des juifs (Cointet, 2017 : 191-200). Ce premier statut du 3 octobre 1940 regarde "comme Juif...toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de même race, si son conjoint lui-même est juif" (article 1) et interdit aux Juifs ainsi considérés l'accès à de très nombreuses professions :"fonctions publiques" (art. 2), "directeurs, gérants, rédacteurs, […] entrepreneurs de presse, de films, de spectacle, de radiodiffusion […]". La loi conduit (art. 7) au "recensement, à l’identification, à la localisation des juifs français (les étrangers sont déjà recensés et localisés). Cette loi n'est cependant pas la première à discriminer la population de confession juive. La loi du 10 septembre avait déjà exclu les avocats juifs de l'Ordre des avocats, et l'ordonnance du 27 septembre avait établi le recensement des Juifs. Il est bien établi que toutes ces mesures antisémites n'ont pas été réclamées par l'occupant allemand, mais a bien été décidé par Pétain, bien décidé en particulier, à ce que "la justice et l'enseignement ne contiennent aucun Juif ". Ce témoignage de Paul Baudouin, ancien ministre des Affaires étrangères de Vichy, publié en 1946, sera corroboré bien plus tard par la découverte du document original sur le statut des Juifs, "annoté puis durci de la main même du maréchal Philippe Pétain."
"Ça s'est passé aujourd'hui - 3 octobre 1940 : Le "1er statut des Juifs" en France", article du CRIF,
3 octobre 2019,
Pétain, statut des Juifs,
3 octobre 1941 annotations
Le 10 juillet, dans la salle du Casino de Vichy, les parlementaires de l'Assemblée Nationale et du Sénat présents adoptent le projet loi proposé par le vice-président du Conseil, Pierre Laval, et confèrent les pleins pouvoirs à Pétain avec 85 % des voix. A l'idéal du PSF, résumé par la formule : Dieu, Patrie, Famille, Travail", Laval et Pétain, peu portés vers les choses religieuses retireront Dieu pour former la trilogie bien connue, qui apparaît dans l'article unique de ce projet de loi :
"L'Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer, par un ou plusieurs actes, une nouvelle constitution de l'État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les assemblées qu'elle aura créées."
Ce 10 juillet, sur 669 parlementaires, seuls quatre-vingts s'opposent à ce changement radical de régime (vingt autres s'abstiennent), qui ne proposera pas le lendemain la constitution promise, ce qui justifie en partie le terme de coup d'état qui a été employé.
présents : 669 sur 907, les communistes, tout particulièrement, n'y siègent pas, déchus de leur mandat par la loi d'Édouard Daladier du 26 septembre 1939.
Les hommes de Vichy n'ont pas la paternité de la formule "Travail, famille, patrie", concoctée entre 1932 et 1934 par le colonel François de La Rocque (1885-1946), président de la ligue des Croix-de-Feu, transformée en Parti Social Français par stratégie politique, pour pénétrer en particulier le monde ouvrier : cf. Travail Famille Profit, 1e partie
La république redevient une sorte de monarchie autoritaire, prête à appliquer "un ordre nouveau", "une révolution nationale" chère aux partis de l'ordre et des valeurs morales traditionnelles d'extrême-droite. Citons le Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot, qui a fini par se battre aux côtés des Allemands en 1941 (Manzoni, op. cité), le Francisme ou Parti Franciste de Marcel Bucard, né en 1933, ou encore le Rassemblement National Populaire (RNP) de Marcel Déat, crée en 1941, spécialisé dans la propagande.
Culture militaire, de l'ordre, du chef, de la morale : Le 25 août 1940 est créée la Légion française des combattants (puis le Service d'Ordre Légionnaire, SOL, en 1942), le 30 juillet 1940 annonce la naissance des "groupements de jeunesse", qui deviendront, le 18 janvier 1941, "les chantiers de la jeunesse", où tous les hommes de 20 ans passeront obligatoirement huit mois. On enrôlera les plus jeunes, isolés de leurs familles, fragilisés par la guerre, dans les Compagnons de France, un scoutisme d'état où on apprendra aux esprits encore bien malléables "l’amour du travail, de la discipline, de la patrie, du Maréchal et de son régime" (Marcel Ruby, "Lyon et le Rhône dans la guerre, 1939-1945", éditions Horvath, 1990). Pour imposer partout son ordre nouveau, le pouvoir met en place un état policier. Une phase d'épuration lui permet d'écarter un certain nombre de fonctionnaires indésirables, aux idées détestées par le régime, qui ont trait à la lutte sociale, à la fraternité humaine : syndicalisme, socialisme, franc-maçonnerie, etc (cf. Gérard Chauvy, Lyon 40-44, Plon, 1985).
Dès le début, nous le voyons bien, et indépendamment des contraintes de la guerre, il y a un certain nombre d'affinités idéologiques, autoritaires, qui rapprochent le pouvoir de Vichy de celui de l'Allemagne nazie. Ce qui éclaire la collaboration immédiate et volontaire de Pétain avec le führer, expressément affirmée après l'entrevue de Montoire (24 octobre 1940), alors que, quelques heures auparavant, le maréchal peaufinait cette rencontre en compagnie de Pierre Laval à la préfecture de Tours, mais surtout, de l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, Otto Abetz :
"Français, J'ai rencontré, jeudi dernier, le chancelier du Reich. Cette rencontre a suscité des espérances et provoqué des inquiétudes. Je vous dois à ce sujet quelques explications. [...] La France s'est ressaisie. Cette première rencontre, entre le vainqueur et le vaincu, marque le premier redressement de notre pays. C'est librement que je me suis rendu à l'invitation du Führer. Je n'ai subi, de sa part, aucun "dictât", aucune pression. Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J'en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement. [...] C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles dans le cadre d'une activité constructive du nouvel ordre européen, que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration. [...] Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d'agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant. L'armistice, au demeurant, n'est pas la paix. La France est tenue par des obligations nombreuses vis-à-vis du vainqueur. Du moins reste-t-elle souveraine. Cette souveraineté lui impose de défendre son sol, d'éteindre les divergences de l'opinion, de réduire les dissidences de ses colonies. Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C'est moi seul que l'histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu'ici le langage d'un père. Je vous tiens aujourd'hui le langage du chef. Suivez-moi. Gardez votre confiance en la France éternelle."
Philippe Pétain, 30 octobre 1940, discours à la Radiodiffusion française nationale.
Montoire, 24 octobre 1940,
Pétain, Paul-Otto Schmidt l'interprète et Hitler
Affiche de René Vachet, 1941-42, pour le Centre de propagande de la Révolution Nationale d'Avignon
Le pouvoir de Vichy a donc saisi l'opportunité de la guerre pour appliquer son programme idéologique. Celui de l'Allemagne avait déclenché la guerre avec le but principal qu'ont toujours eu les puissants de faire la guerre : c'est le pillage des richesses (confiscation, détournement, captation, vol, etc.), en priorité à destination des élites, comme pour toutes les guerres de tous les temps. Il n'en sera pas autrement de l'Allemagne du Reich, en violation de la Convention de La Haye du 18 octobre 1907. Hermann Göring (ou Goering, 1893-1946), suivant les directives d'Adolphe Hitler et de l'OKW (Oberkommando der Wehrmacht : commandement suprême de l'armée allemande) de juin et juillet 1940, ordonne par divers arrêtés à compter du 14 août 1940, stipule le rapatriement (Rückführung) des matières premières et des biens économiques des régions occupées en Belgique et en France, mais aussi le placement des commandes indirectes du matériel de guerre tombé aux mains de l'armée allemande, dont seront responsables les ZAST (Zentralauftragsstelle : Office central pour la répartition des commandes). Après le "pilleur" Göring, le "légaliste" Elmar Michel chef des sections économiques de l’administration militaire allemande en France (Militärbefehlshaber in Frankreich, MBF) confirme "la conduite de l'économie par tous les moyens" (saisie, réquisition, etc.) détaillée dans ses instructions du 13 septembre 1940 (cf. Lacroix-Riz, 1999 ; 2011b). Les dirigeants allemands ayant d'abord plutôt imaginé une guerre éclair (Blitzkrieg), l'économie nazie fut donc d'abord une économie prédatrice, de vol, de butin : "Selon Arne Radtke-Delacor et d’autres auteurs, les six premiers mois de l’occupation allemande se réduisirent à une phase de pillage." (Boldorf, 2009).
Le "pillage est une affaire allemande" organisé par la Dienstelle Westen, à la fois dépendante et distincte de l'ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg : Équipe d'intervention du Reichsleiter Rosenberg), chargé de la confiscation des biens, une section du bureau de politique étrangère du NSDAP, dirigée par Alfred Rosenberg depuis 1933, idéologue important du nazisme, principal acteur du pillage et du génocide des Juifs.
La "spoliation fut pour l’essentiel mise en œuvre par l’État français." (Wieviorka, 2012). Pillage, spoliation deux mots qui recouvrent un vol pur et simple, en réalité, mais qui désignent deux formes différentes de dépouillement. Le pillage est effectué de manière sauvage, brutale, et laisse peu de traces, peu d'archives. La spoliation a un vernis de légalité, car les opérations sont dûment consignées et archivées, effectuées dans le cadre d'une politique d' "aryanisation" économique. C'est une administration spécialisée, employant environ un millier de personnes, qui fut chargée de la besogne, le Commissariat général aux Questions juives (CGQJ), "véritable ministère à l’antisémitisme" (Wieviorka, 2012).
"Le chiffre total du pillage de la France – rançon économique, production pour l'Allemagne, confiscations, appropriations – est sans doute plus proche des 1 000 milliards de francs de l'époque, soit 1 200 milliards d'euros d'aujourd'hui."
Fabrizio Calvi, interview au Journal Le Monde, 21 mai 2014.
aryanisation : Victor Klemperer a montré l'importance de la Lingua Tertii Imperii : « Langue du Troisième Empire » (LTI), un outil idéologique qui aurait été forgé principalement par Goebbels, associé à Hitler et Göring, utilisé d'abord par le groupuscule nazi avant d'être diffusé à l'ensemble de la société. La LTI augmente la fréquence de certains mots : "spontané", "instinct", "fanatique, fanatisme", "aveuglément", "éternel", "étranger à l'espèce", "total", dont Klemperer dira qu'il est le "mot clé du nazisme". La LTI crée quelques néologismes, "tels que Untermenschentum (sous-humanité, p. 177), entjuden (déjudaïser), arisieren (aryaniser), aufnorden (rendre plus nordique, p. 291)." (Krieg, 1997). La LTI privilégie la déclamation, le cri, abolit le distinguo entre public et privé, oral et écrit : "Le hurlement remplace la parole, le cri se substitue au verbe. La langue n’est plus". (V. Klemperer, Lingua Tertii Imperii. Notizbuch eines philologen, Berlin-Est, Aufbau Verlag, 1947 / La langue du 3e Reich. Carnets d'un philologue, collection Bibliothèque Idées, traduit de l'allemand par Elisabeth Guillot, Paris, Albin Michel, 1996).
"Le pillage systématique des appartements est sans précédent. Il frappe par sa radicalité et sa sauvagerie : les logements, ceux des beaux quartiers comme ceux comme des quartiers populaires, sont entièrement vidés : mobiliers, œuvres d’art, instruments de musique (les pianos notamment), linge de maison literie, vaisselle, vêtements, fournitures pour tailleur et cordonnier, papiers de famille (dont les polices d’assurance), photos, jusqu’aux prises de courant et aux garnitures de cheminées. Cette radicalité est l’expression de la volonté d’extirper – Ausrottung – les Juifs d’Europe." (Wieviorka, 2012).
Précisons que, contrairement à une propagande soutenue (et de vieux préjugés) du Juif roulant sur l'or, ce sont les Juifs les plus pauvres qui seront le plus dépossédés de petits biens comme des ateliers, des échoppes de cordonnier, etc., et non les banquiers juifs, dont la propagande antisémite cherchait, comme dans le passé, à faire un modèle, un archétype de l'identité juive. Moins d'un quart des entreprises volées seront profitables aux Allemands, qui ne bénéficieront d'à peine 5% de leur valeur, sans compter que les biens séquestrés intéresseront très peu d'acquéreurs (Histoire économique de Vichy. L’État, les hommes, les entreprises, Fabrice Grenard, Florent Le Bot et Cédric Perrin, Paris, Perrin, 2017).
Le pillage des objets rares (Spar-und Mangelgüter), quant à lui, avait débuté dès juin 1940, après que les troupes allemandes avaient envahi Paris, en particulier le vol des objets d'art appartenant à des familles juives, dans des galeries ou chez des particuliers dont Otto Abetz, ambassadeur du Reich en France, aura préalablement établi une liste qu'il aura largement eu le temps de peaufiner, vu sa connaissance du pays et de nombreuses informations qu'il avait pu recueillir en poste. Ces œuvres vont s'entasser dans des dépôts du Reich, augmenter les collections particulières des dignitaires nazis ou celles des musées allemands, ou encore alimenter le marché de l'art, étant entendu que tout ce trafic n'aurait pu être généré sans la participation complice du négoce international, qui fournit alors au marché de "l'art germanique", des "oeuvres inachevées" ou issues de cet "art dégénéré" qu'Hitler avait depuis longtemps prévu d'extirper des musées (cf. Lynn H. Nicholas, Le pillage de l'Europe, les oeuvres d'arts volées par les nazis, Seuil, 1995 ; Hector Feliciano, Le Musée disparu. Enquête sur le pillage d'œuvres d'art en France par les nazis, Folio, 2012.).
Les qualités incomparables de l'idéologie : l'extraordinaire souplesse et la liberté presque infinie d'adaptation qu'elle donne à ses doctrinaires dans l'interprétation du réel. Ainsi la la collaboration très fructueuse entre le clan des frères juifs Joseph et Mordhar Joinovivi et les autorités allemandes, au travers du plus gros bureau d'achat, "le fameux « bureau Otto », géré par l’industriel-espion Hermann Brandl, qui gérait près de 400 employés au printemps 1941 et qui fit sans doute plus de cinquante milliards de chiffre d’affaires".
Les bureaux d'achats allemands ont été "créés par l’occupant pour se payer – avec l’argent des frais d’occupation, versé par le Trésor français – toutes les marchandises souhaitées. (...) Les prix s’envolent, les profits des intermédiaires français aussi. À ce jeu, Joseph Joinovici devient un expert, sans doute celui qui a amassé la plus grosse fortune de toute l’Occupation – peut-être quatre milliards de chiffre d’affaires. Pour cela, sa petite entreprise de chiffonnier-ferrailleur d’avant-guerre s’est transformée en une véritable firme spécialisée dans le trafic avec l’occupant." Les bureaux d'achats honoraient les commandes de la ROGES (Rohstoffhandelsgesellshaft, avec qui les Joinvici négociaient aussi directement) une société allemande créée en janvier 1941 pour l’achat de matières premières, "qui répartissait les marchandises auprès des entreprises allemandes."
extraits de "La collaboration, 1940-1945", exposition des Archives Nationales, Hôtel de Soubise, 26 novembre 2014 - 2 mars 2015, Livret de visite, n° 98-99 : Le cas Joinovici
Les frères Joinvici,
photos anthropométriques
Archives nationales
, Z/6/845 dossier 5751
Le 11 mai 1941, l'amiral François Darlan rencontre Adolf Hitler et son ministre des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, à Berchtesgaden, en Bavière, et prépare les protocoles de Paris signés le 28 mai, qui aboutiront à la collaboration militaire entre la France et l'Allemagne :
"L’accord vaut pour la Syrie et l’Irak, l’Afrique du Nord et l’Afrique occidentale et équatoriale; la France s’engageant dans les trois cas à un soutien logistique – la mise à disposition d’aérodromes, la fourniture de matériel et de vivres à l’Afrika Korps, l’utilisation du port de Bizerte et de la voie ferrée Bizerte-Gabès pour acheminer du ravitaillement vers la Libye."
La collaboration, 1940-1945..., op. cité, n° 4 : Mai 1941 : compte rendu des réunions dites des «protocoles de Paris»...
"Darlan, après sa rencontre avec Hitler, avait facilité le transit des armes allemandes vers l’Irak. Il avait proposé à des Allemands en civil d’utiliser Bizerte. Il était prêt à livrer des camions et permettre l’utilisation par l’Axe de la voie ferrée vers Gabès." (Bossuat, 2001).
Protocole de Paris,
Archives Nationales, 3W/110
Vichy et le capitalisme
Le "vainqueur de Verdun" critique à plusieurs reprises, nous l'avons vu, le "capitalisme international" et entame contre lui une lutte qui porte sur quatre axes forts : La constitution d'un régime corporatif s'appuyant sur des Comités d'organisation (CO) professionnelle, une réforme du régime des sociétés anonymes visant le grand capital, une charte du travail censée intégrer pleinement les ouvriers à la société et mettre fin à la lutte des classes, et enfin, une politique fiscale pénalisant les capitalistes (Liebman, 1964).
Comités d'organisation : Ils sont "chargés de regrouper les entreprises par produit ou par branche et d’opérer entre elles la sous-répartition des matières premières en aval de la répartition opérée par l’OCRPI (Office central de répartition des produits industriels), fortement surveillé par l’occupant et par le MPI [Ministère de la Production Industrielle, NDA]" (Margairaz, 2009).
Toutes ces mesures ne produiront pourtant que de piètres résultats : Des représentants du monde des affaires infiltrent comités d'organisation et ministères techniques, qui verrouillent, inféodent les instances aux pouvoirs des grandes sociétés :
"A l'instar de leurs confrères d'autres secteurs industriels, les dirigeants électrotechniciens prirent en conséquence une part active dans les Comités d'organisation (CO) et dans les sections de l'Office central de répartition des produits industriels (OCRPI), de même qu'au sein de la Délégation générale à l'équipement national (DGEN)." (Lanthier, 1992). Par ailleurs, la loi du 16 novembre 1940 sur les sociétés anonymes consacre pour la première fois (du moins en principe) le pouvoir d'un président directeur général (PDG), tout en étant mal préparée, confuse, laissant le champ aux interprétations sur les délégations de pouvoir, ce qui permet aux dirigeants d'interpréter à leur guise ce flou juridique (Joly, 2009). Et si les patrons se voient taxer des excédents sur les bénéfices, sur les plus-values boursières, c'est à une hauteur bien peu spectaculaire, dues en particulier aux résistances des affairistes de l'entourage de Pétain (Liebman, 1964). Plusieurs mois plus tard, le maréchal lui-même rendra compte de la résistance et de la puissance des dirigeants économiques :
"Quant à la puissance des trusts, elle a cherché à s'affirmer, de nouveau, en utilisant, pour ses fins particulières, l'institution des comités d'organisation économique. Ces comités avaient été créés, cependant, pour redresser les erreurs du capitalisme. Ils avaient en outre, pour objet de confier à des hommes responsables l'autorité nécessaire pour négocier avec l'Allemagne, et pour assurer une équitable répartition des matières premières indispensables à nos usines.
Le choix des membres de ces comités a été difficile. On n'a pu, toujours trouver réunies, sur les mêmes têtes l'impartialité et la compétence. Ces organismes provisoires, créés sous l'empire d'une nécessité pressante ont été trop nombreux, trop centralisés et trop lourds. Les grandes sociétés s'y sont arrogé une autorité excessive et un contrôle souvent inadmissible.
A la lumière de l'expérience, je corrigerai l'oeuvre entreprise, et je reprendrai contre un capitalisme égoïste et aveugle la lutte que les souverains de France ont engagée et gagnée contre la féodalité. J'entends que notre pays soit débarrassé de la tutelle la plus méprisable: celle de l'argent."
Discours du maréchal Pétain, 12 août 1941.
L'anticapitalisme de Pétain ressemblait donc fort à une tentative, comme il y en aura beaucoup, de moralisation du capitalisme, en agitant ce qu'il comporterait, à des moments de son histoire, de dérives, d'excès, par rapport au modèle d'un grand marché tempérant, vertueux et bénéfique pour tous, ce qui, nous n'aurons de cesse de le montrer, n'est qu'une vaste tromperie idéologique.
D'autre part le gouvernement de Vichy dans son ensemble n'a rien d'anticapitaliste, loin s'en faut. En juillet 1940, déjà, Jacques Barnaud (1893-1962), entre au gouvernement de Pétain comme délégué général aux questions économiques, négociant avec la MBF allemande, mais aussi comme directeur de cabinet auprès d'un ministre inexpérimenté du Travail, René Belin, qu'il influence sur le choix des cadres du nouveau ministère, très stratégique, "et, aux yeux de plusieurs contemporains, il apparaît comme le ministre de fait, soucieux d’une véritable rénovation de l’appareil industriel." (Margairaz et al., 2012). Polytechnicien, Barnaud avait contribué à l'élaboration de la politique financière de la France dans l'entre-deux guerres, comme chef de cabinet, avant d'aller pantoufler dans la banque d'affaires fondée par Hippolyte Worms, qu'il n'allait quasiment plus quitter jusqu'à sa mort, tout en étant membre de divers comités : Comité des prêts du Crédit colonial (co-administrateur avec Henry du Moulin de Labarthète), Comités de surveillance : Air France ou Société Lyonnaise des Eaux et de l'Eclairage, du groupe Mercier, par exemple. Directeur, puis associé-gérant, il côtoie Gabriel Le Roy Ladurie (fondé de pouvoir) et Pierre Pucheu (1899-1944). Barnaud fonda en 1937, avec l'industriel Auguste Detœuf, la revue bimensuelle des Nouveaux Cahiers, dirigée par Jean Coutrot (cf. plus bas), favorable à la collaboration économique, anticommuniste, anti lutte des classes (on retrouve une partie des idées du catholicisme social), corporatiste et réclamant davantage de pouvoir pour l'élite des technocrates (on retrouve les idées de X- Crise, cf. plus bas). Précisons que Deteuf, polytechnicien, fondateur d'Alsthom (ALSace-THOMpson, 1928), sera aussi un collaborationniste actif du régime de Vichy :il sera président du Comité d'organisation des industries de la construction électrique et membre du Conseil d'études économiques en lien avec le ministre de l'Economie, à Vichy, au moyen de deux réunions par mois : "Il faut renoncer à toute coopération économique, accepter le désordre, l’autarcie dans les mots et l’anarchie dans les faits, la prolongation indéfinie de l’incertitude et du désespoir, ou s’entendre économiquement avec l’Allemagne." (A. Detoeuf., archives privées in F. Perthuis, "Auguste Detoeuf 1883-1947 ou l’ingénieur de l’impossible paix", Paris, IEP, DEA d’histoire du XXe siècle, 1990, p. 65).
Le mouvement de contre-pantouflage de plusieurs inspecteurs des Finances après la défaite de 1940 que note la chercheuse Carré de Malberg (C de M, 2012), ne doit rien au hasard. L'amiral François Darlan remplace Pierre-Etienne Flandin à la tête du gouvernement en février 1941, et propulse plusieurs de ses proches, "fidèles de la « popote » de la Banque Worms" (Margairaz et al. , 2012), comme Pierre Pucheu et François Lehideux (1904-1998), qui deviendront tour à tour ministres (plus exactement secrétaires d'Etat) de la Production Industrielle. Le normalien Pierre Pucheu deviendra directeur des services d’exportation du Comptoir sidérurgique de France et administrateur des Établissements Japy, détenus par la banque Worms. Lehideux, issu de la banque familiale Lehideux et Cie, occupera (entre autres) le poste d'administrateur de l'Union des Entrepreneurs français pour l'Europe du Nord, propriété de la banque Worms, ou celui de Renault (cf. plus bas). Jacques Guérard (1897-1977), qui deviendra secrétaire général du gouvernement de Laval le 18 avril 1942, est un autre pantouflard, diplômé de Centrale, qui sera directeur de la Banque nationale de l'Iran et conseiller économique du shah d'Iran Reza Chah, avant d'entrer au comité d'administration de la compagnie d'Assurance La Préservatrice, via la banque Worms, qui en prend le contrôle ou encore des Japy. Guérard, fera au moins aussi "bien" que Bichelonne "personnage emblématique de la baisse de 50 % du salaire réel des ouvriers et employés sous l’Occupation." (Lacroix-Riz, Le grand capital, de l’entre-deux-guerres à l’Occupation, Revue Cause Commune, N° 01, septembre-octobre 2017
"Le désordre du ravitaillement a été à un certain moment si grand que la population de la région parisienne et de toute la zone occupée était à deux doigts de la révolte. C'est sans doute ce que désiraient les organisateurs de la famine. Aujourd'hui enfin, tandis que le chômage augmente, malgré les statistiques officielles, tandis que les salaires de base sont au-dessous du minimum vital, tandis que les classes moyennes sont menacées d'écrasement, tandis que les paysans, victimes de contrôles vexatoires, attendent en vain des engrais, des semences, des bêtes de trait, des tourteaux pour le bétail, nous constations avec amertume que l'État remet le commandement économique à une banque d'affaire et à ses grands vassaux industriels."
L'Oeuvre, article "Sur la politique économique et sociale", 8 mars 1941
Mais les commentaires sur la banque Worms, on s'en douterait, se cantonnent rarement, comme ici, aux collusions avérées du politique et de l'économique, et sautent à pieds joints dans la caricature du juif assis sur un tas d'or :
"Voilà à quoi nous sommes réduits pour avoir été confiants sans défense, obligeants, charitables, accueillants, pour avoir traité les youpins sur un plan d'égalité, pour avoir accepté les grands faux principes de la judéo-maçonnerie, pour nous être empêtrés dans le labyrinthe capitaliste de la République juive, pour avoir écouté Blum, supporté Mandel, pour ne pas avoir botté Rothschild, secoué Lazard, dégringolé Halphen, chassé Worms, foudroyé Cornélius Herz, pulvérisé les Lévy... On nous tua 1.700.000 des nôtres entre 1914 et 1918, on nous vola tout notre argent, on nous poussa à la catastrophe 1940, deux millions d'entre nous sont prisonniers, tout cela pour des intérêts juifs, pour que Rothschild, Worms, Lazard, Halphen, Stern, David-Weill, Bloch-Lainé, Fould, Heine, Beckmann, Cahen d'Anvers, Mayer et autres repus d'or puissent suer leur graisse dans les châteaux de province... Ah ! Le Juif Worms continue à nous défier !... Eh bien, ils crèveront avant... " (Paul Riche, article Mort aux Juifs du Journal Au Pilori, 8 mars 1941).
Cet anticapitalisme nationaliste et antisémite ne date pas d'hier :
"Aujourd’hui, grâce au Juif, l’argent auquel le monde chrétien n’attachait qu’une importance secondaire et n’assignait qu’un rôle subalterne est devenu tout-puissant. La puissance capitaliste concentrée dans un petit nombre de mains gouverne à son gré toute la vie économique des peuples, asservit le travail et se repaît de gains iniques acquis sans labeur." (Édouard Drumont, La France juive, Paris, Flammarion, 1886 : introduction, p. XIV-XV).
D'autre part, au-delà du rôle particulier de la banque Worms pendant l'époque de Vichy, ce sont dans leur ensemble les banques françaises qui "ont participé directement ou indirectement (par des filiales financières) à la structuration de l’Europe économique nazie ; elles ont cofinancé des entreprises orientées vers la Collaboration industrielle et commerciale ; et leurs dirigeants ont montré un penchant trop marqué vers des formes de collusion avec l’Occupant au sein de la vie élitaire parisienne... la logique business as usual l’a emporté sur toutes considérations géopolitiques, patriotiques et civico-morales." (Bonin, 2011a). A l'image des autres Comités d'organisation, celui des banques n'échappent pas à la main mise patronale (cf. Andrieu, 1990). En effet, ils "donnent à voir les compromis opérés entre les Finances, la Banque de France et les dirigeants des grandes banques dans la rationalisation et le contrôle de la profession . Et les réformes opérées en décembre 1945 s’ajoutent plus qu’elles ne se substituent à celles de juin 1941, sous le signe de la cartellisation bancaire, avec toutefois l’adjonction de la nationalisation des grandes banques de dépôts et de la Banque de France ainsi que la création du Conseil national du Crédit." (Margairaz, 2009).
Dans le même temps, il faut noter que, pendant la période de l'Occupation, les banques connaissent une révolution, "qui marque le passage du libéralisme au dirigisme : les établissements de crédit, qui fonctionnaient de manière totalement libérale depuis 1867, se trouvent en effet à partir de 1941 soumis à une réglementation qui pour une bonne part demeure encore en vigueur aujourd'hui" résume Alain Plessis, dans l'analyse qu'il fait du travail de Claire Andrieu sur le sujet (Plessis, 1993). Il faut savoir que "les premières mesures de l'autorité allemande, avant même l'armistice, paraissent lourdes de menaces pour les banques françaises" (Plessis, op. cité) et décide les banquiers de s'organiser, ce qu'elles feront au travers de leur propre CO. Les premières lois bancaires des 13 et 14 juin réglementent donc la profession, tout en conservant beaucoup de contrôle sur leur activité. Tout d'abord, il y a "la Commission de contrôle des banques où ils sont largement représentés" (Plessis, op. cité) : Nous avons là un système qui ressortit du conflit d'intérêt qui, nous le verrons plus tard, ne fait même pas encore clairement, en 2021, l'objet de lois fermes et transparentes, tant au niveau européen que mondial. C'est un moyen très employé par l'économie capitaliste, nous l'avons vu et continuerons de le voir davantage dans le temps, que cette intimité du politique et de l'économie qui permet de contrôler le système par leurs propres acteurs : C'est sur ce modèle que la puissance publique politiques acceptera que les cigarettiers, les groupes pharmaceutiques, etc., produisent des études pour démontrer la non dangerosité de leurs produits et qu'elle laissera les représentants de ces groupes occuper ici et là des places dans les agences de contrôle gouvernementales. C'est comme si on confiait le contrôle de la Banque de France par les faux-monnayeurs eux-mêmes ! A ce sujet, justement, la Banque de France, (où rappelons-le, les intérêts privés sont encore nombreux) est extrêmement importante dans le dispositif, puisqu'elle a réussi à garder son autonomie et sa prééminence : Tout ceci relativise grandement la fonction dirigiste de l'Etat au cœur de cette révolution bancaire et nous ramène à la collaboration économique des banques, qui ne concerne pas que les banques de l'Hexagone, bien sûr, mais aussi celles de bien d'autres pays d'Europe, mais aussi d'ailleurs, et tout particulièrement les Etats-Unis (cf. Etats-Unis : Le Big Business, 1939-1945).
Le 23 septembre 1941, est créée l'Association Financière pour le Développement de l'Industrie en France et aux colonies, regroupant IG-Farben Konzern, Le géant allemand de la chimie (cf. plus bas), premier mondial jusqu'en 1945, et de grandes banques françaises. Parmi les banques françaises, on trouvait au premier plan : Paribas, la Société Générale, la Banque de l'Union européenne et le Crédit lyonnais, "qui plongeront dans la collaboration avec un délice non dissimulé" (Jacques Dion / Pierre Ivorra, Sur la piste des patrons, Messidor, Editions sociales, 1987). Les patrons de toutes ces banques passent des soirées festives avec les Allemands, au Ritz, à la Tour d'Argent, en tout premier lieu le commissaire nazi à la Banque de France, le futur tortionnaire Paul Schaeffer, condamné en 1997 en Argentine pour des actes criminels commis pendant la dictature de Pinochet : pédophilie (il dirigeait la fameuse secte d'immigrés allemands, Dignidad), mais aussi tortures, viols, trafics d'armes, etc. A l'ambassade d'Allemagne viennent festoyer des banquiers comme Alfred Pose, patron de la BNCI (Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie) ou Henri Ardant, de la Société Générale (Dion/Ivora, op. cité).
La banque parisienne de l'aviation allemande, l'Aérobanque, créée en 1941, était quant à elle liée à des groupes électrochimiques et des aciéries électriques français, comme Péchiney, Ugine ou Bozel-Malétra (Jacques Duclos, L'avenir de la démocratie, Editions sociales, 1962). La Banque de l'Union Parisienne (B.U.P) aune activité intense. Elle octroie des crédits à des sociétés travaillant pour l'Allemagne, "par exemple, Unic, fabricant de camions (cautions de 70 millions de francs, 1941),, la Compagnie générale de construction de locomotives (Batignolles-Châtillon) (80 locomotives pour le Reichsbahn en 1941), les Aéroplanes Morane-Saulnier (pour 13 millions de francs, 1941), De Dietrich (tracteurs à chenilles, 1942), Simca (des engins à chenilles en 1942), Hotchkiss (pour des livraisons de matériel antiaérien et de mitrailleuses à la Roumanie pronazie), des sociétés de machines-outils, etc." (Bonin, 2011b). Mais il faudrait y ajouter des prêts pour l'importation de sucre ou d'acier allemand ou encore l'intégration de la banque à un "pool qui finance des contrats du Comptoir des ventes de l’aluminium français avec des sociétés allemandes (33,3 millions, 1941)." (Bonin, op. cité).
"Dans la banque, pourtant mouillée jusqu'au cou, il n'y aura que quelques emprisonnements temporaires et guère plus de démissions" (Dion/Ivora, op. cité), à la Libération.
IG-Farben :
Le géant allemand de la chimie, premier mondial jusqu'en 1945, avait un conseil d'administration dont la quasi-totalité des membres, en 1937, étaient militants au parti nazi. On comptait dans le conseil d'IG Farben, jusqu'en 1945, l'homme qui deviendra le banquier le plus puissant de la RFA, Hermann Josef Abs (1901-1994). Bien entendu, cette collaboration d'IG Farben avec d'autres entreprises des pays occupés est loin de ne concerner que la France, citons : " Kuhlmann (France), l.C.I. (Royaume-Uni), Montecatini (Italie),Aussiger Verein (Tchécoslovaquie), Boruta (Pologne), Mitsui (Japon), et Du Pont, Dow et Standard Oil (Etats-Unis)." (Frédéric F. Clairmont, "I .G Farben et le IIIe Reich", Le Monde Diplomatique, décembre 1978).
Pire encore, IG Farben est l'entreprise qui produisait le tristement célèbre Zyklon B, ce dérivé de l’acide cyanhydrique (CHN), destiné en particulier à des usages pesticides (puces, vermines, etc.), que les SS (Schutzstaffel : litt. "escadron de protection") ont employé pour assassiner des millions de femmes et d'hommes, en majorité des Juifs, dans les chambres à gaz. Il est, par ailleurs, désormais démontré que le groupe Ugine, dans son usine de Villers Saint-Sépulcre, dans l'Oise, "a
Jusqu'aujourd'hui, le silence, la dissimulation générale des acteurs, la destruction de beaucoup d'archives n'ont pas permis de prouver la complicité des dirigeants des firmes concernées par l'usage du zyklon B dans les crimes contre l'humanité perpétrés par le régime nazi, mais l'ampleur de la collaboration entre les élites et l'Allemagne hitlérienne (bien évidente chez les dirigeants, alors, de la société) l'avidité des grands capitalistes, peu soucieux des détresses sociales (et tout spécialement alors, de celle des juifs), ajoutés à l'antisémitisme largement répandu en Europe, peuvent entretenir logiquement de sérieux doutes à ce sujet.
Enfin, cette dimension ploutocratique est soulignée à l'époque par le pouvoir emblématique de "Deux Cents familles" les plus riches censées tenir les hommes politiques entre leurs mains :
"Deux cents familles sont maîtresses de l'économie française et, en fait, de la politique française. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n'eût pas tolérées dans le royaume de France. L'influence des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l'opinion publique, car elles contrôlent la presse.."
Edouard Daladier, congrès du parti radical de Nantes, 28 octobre 1934
Les 200 familles, "dénoncées aussi bien par des hommes politiques (Édouard Daladier ou Maurice Thorez) que par des publicistes en vue de l’époque (Augustin Hamon, Francis Delaisi) sont accusées d’exacerber les tensions sociales et de nourrir la guerre civile, y compris en fomentant des émeutes sanglantes, ainsi que tend à l’expliquer Georges Michon dans un ouvrage publié en 1934 et intitulé Les puissances d’argent et l’émeute du 6 février." (Dard., 2001).
Ce symbole se réfère aux statuts de la Banque de France fondée en 1800 sous Napoléon Bonaparte, premier consul, qui prévoient qu'elle soit administrée par ses deux cents plus gros actionnaires qui en composeront l'Assemblée Générale (loi du 24 germinal an XI/14 avril 1803, article 11).
Ce type de raccourci symbolique s'est métamorphosé depuis. Ainsi, de nos jours on parlerait plutôt des 1% les plus riches qui détient plus d'argent que les 60 % de l'humanité, par exemple. Mais il ne s'agit pas seulement de souligner la part de "mythologie patronale" (Dard., 2001), comme le fait Olivier Dard, mais aussi, d'analyser la puissance politique et économique réelle des plus riches, constamment en recherche dans l'histoire, nous l'avons vu, des meilleurs moyens possibles de conserver les inégalités sociales nécessaires à leur enrichissement. Ceci n'a jamais cessé d'être une réalité d'une importance capitale dans la conduite de très nombreuses sociétés, en particulier les plus avancées économiquement, et il est indubitable que le symbole ici, de moins en moins caricatural au fil de l'histoire du capitalisme, traduit, cristallise la réalité historique cruciale des inégalités sociales qui n'a rien de mythique, bien au contraire, comme nous ne cessons de l'explorer dans ces pages, à travers le temps et l'espace.
Affiche du Parti Communiste,
Maîtres et Valet,
Contre les 200 familles,
Front Populaire
Revenons maintenant à la banque Worms, qui représente alors de manière emblématique, fichée au cœur du pouvoir politique, ce "cartel" qui contrôle les banques, l'économie, la presse, etc. En dépit de la construction idéologique autour dudit cartel, il n'en reste pas moins vrai que le gouvernement de Vichy est solidement contrôlé par un noyau dur de la crème de l'élite capitaliste, car en plus de la "clique Worms" on y trouvera, entre autres :
— Jean Bichelonne, X-Mines, Directeur Général des aciéries de Senelle-Maubeuge, chaud partisan de la collaboration économique (cf. plus bas) et principal artisan dès février 1943, comme ministre du Travail, à l'organisation du STO (Service du Travail Obligatoire).
— Paul Baudouin, X, président de la Banque d'Indochine de 1941 à 1944 : "Je suis prêt à envisager une collaboration économique pour l'organisation d'une Europe moins absurde que celle de 1939, mais ce qui concerne la liberté individuelle, le développement de l'âme, si totalement niés par le régime hitlérien, m'angoisse. La France représente une conception de l'homme opposée à celle des nazis. Là réside sa richesse essentielle qu'il faut sauver. Ce côté "âme" échappe complètement à Pierre Laval. Le mot "honneur" le fait également sourire" (P. Baudouin, Neuf mois au gouvernement, Paris, La Table ronde, 1948, 22 juillet 1940, page 259). Il deviendra, en tant que secrétaire d'état à la Présidence du Conseil, un des artisans principaux de l'arsenal idéologique de Vichy en direction de la jeunesse (Chantiers de Jeunesse, Ecole des cadres d’Uriage, etc.), assisté de responsables comme Borotra ou le général de la Porte du Theil. Il se verra confier aussi les services de l'Information, de la Radio et de la Propagande. Dès le mois de décembre 1940, Baudouin charge Jacques Grizeaud, à la tête d'un cabinet de conseil publicitaire, "d'organiser un Service Secret de Propagande." et lui demande de "constituer une équipe de choc avec des hommes jeunes, ardents, purs. (...) Votre action personnelle devra s'entourer des plus grandes précautions. En dehors de votre équipe assermentée, l'on devra ignorer l'ampleur et le caractère de votre mission. (...) Vos rapports secrets seront remis à moi-même, soit à Monsieur Celier." (P. Baudouin, lettre de mission à J. Grizeaud, du 20 décembre 1940, AN AJ/72/584, dossier 508).
— Jean Berthelot (1897-1985), X-Mines, membre de la commission de Wiesbaden, directeur général adjoint de la SNCF et secrétaire d’État aux Transports et aux Communications, de 1940 à avril 1942. Berthelot est au premier plan des négociations avec les allemands sur le rôle de la SNCF, en liaison avec d'autres responsables comme Robert Le Besnerais, le délégué militaire français au chemin de fer. Il s'agit surtout de savoir "si l’on met en place une Collaboration (Zusammenarbeit) ou un Diktat (principe de la réquisition)." (Pouly, 2015). Sortant d'une logique d'armistice, où la SNCF perdrait sa rentabilité, les parties s'accordent sur le fait que la SNCF sera "rémunérée directement par la Wehrmacht (ou par des expéditeurs comme Schenker )" et "assure ainsi non seulement les transports de transit, mais aussi tous les transports allemands dans les deux zones dès 1940. Cette sortie hors du cadre contraignant de l’Armistice tient compte d’intérêts communs bien compris." (Pouly, op. cité). N'oublions pas qu'alors, la Société Nationale des Chemins de Fers français, même si elle assure des missions de service public, est une entreprise "d'économie mixte, dont le capital financier est réparti entre l’État (51 %) et les anciennes compagnies privées (49 %)." (Pouly, op. cité). Il est impossible aux Allemands de contrôler seuls un outil tentaculaire de plus de 40.000 km de ligne nécessitant 450.000 cheminots, qui aurait pu devenir d'emblée un formidable outil de résistance, les négociateurs français, appartenant à la fine fleur capitaliste, se sont comportés avec la même logique que les barons du rail face à Léon Blum, qui ont tout fait pour éviter la nationalisation. L'argent. Le profit. Les intérêts privés avant tout. Cela est d'autant plus dommageable que, "incontestablement, l’économie du IIIe Reich est une économie qui repose sur la circulation." (Pouly, op. cité). Les autorités de Vichy freineront ces négociations, peinant à voir les contreparties que l'Etat peut retirer de cette collaboration. Mais à l'inverse, " les industriels privilégient la Collaboration économique directe servant leurs intérêts immédiats. La présence de ministres à double fonction « privée-publique », tel Jean Berthelot, montre combien la Collaboration économique directe et politico-économique d’État sont différentes mais imbriquées." (Pouly, op. cité). C'est, en fait, sur les même bases qu'en temps de paix, c'est à dire des négociations directes entre entreprises ferroviaires, que des marchés commerciaux classiques sont établis entre la clique politico-économique de Pétain et les différentes autorités du troisième Reich. Et ainsi, la SNCF est devenue pour les Allemands "une courroie secondaire, un partenaire volontaire (Freiwillige), pour les circulations dans un vaste Kontinental-Europäische Zusammenarbeit, dont la motrice est la Reichsbahn." (Pouly, op. cité).
— Henri-Régis-Marie-Joseph Pavin de Lafarge (1889-1965), sénateur de 1930 à 1945, il vote les pleins pouvoirs à Pétain et siège au Conseil National du gouvernement de Vichy et participe à la collaboration économique avec sa célèbre société de ciments : cf. plus bas. Hervé Joly rappelle que "le secteur du BTP est très bien représenté au Conseil national par des hommes de grand renom : deux cimentiers, Joseph Merceron-Vicat et Henri Pavin de Lafarge, ainsi que deux entrepreneurs de travaux publics, Lucien Lassalle et Georges Hersent." (Joly, 2004).
— Robert Gibrat, cf. plus loin
— Jean Jardin (1904-1976), alias "le Nain jaune", membre de l'Ordre nouveau, d'inspiration dite "personnaliste", qui s'apparente à l'idée de non-conformisme de l'X-Crise (cf. plus loin), dont la revue promeut une révolution "contre le désordre capitaliste et l'oppression communiste, contre le nationalisme homicide et l'internationalisme impuissant, contre le parlementarisme et le fascisme." ( Journal Les Echos, 6 août 2009,
https://www.lesechos.fr/2009/08/jean-jardin-de-vichy-a-la-quatrieme-republique-475233).
Jardin rejoint le cabinet Dautry après un passage par la banque Dupont (1927-1933), comme collaborateur aux Chemins de fer de l'Etat. Il deviendra directeur de cabinet de Pierre Laval à Vichy et "n'a fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire à la Libération : trop de services rendus ! (...) La guerre froide et la menace communiste ont fini par favoriser son retour sur la scène, le sien comme d'ailleurs celui de nombreux anciens " vichystes " (Journal Les Echos, op. cité). Chargé d'affaires, à la fin de la guerre, Jean Jardin est un personnage très influent pendant la Collaboration, qui administrera différentes sociétés après le conflit.
— Emile Mireaux, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts dans le gouvernement de Vichy en 1940, co-directeur du Temps, qui a appuyé "sans réserve appuyé le régime dans le domaine de la justice et de la politique de la jeunesse." (Slama, 1972), grand serviteur du Comité des Forges et du Comité des Houillères, derrière qui on trouve les familles de Wendel et Schneider .
— Jean Achard (1908-1953), dit "Achard la marmotte", secrétaire d'État au Ravitaillement, avait été directeur de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) de 1926 à 1939, mais aussi celle des producteurs de lait, les deux plus puissantes organisations agricoles de l'entre-deux guerres : "De plus en plus, à partir du printemps 1941, la presse parisienne présentait Achard comme un « affairiste » profitant de ses fonctions pour s’enrichir. Toute la politique du « betteravier Achard » n’aurait eu comme objectif que de favoriser les intérêts des grandes entreprises agricoles, à travers notamment le système des bureaux de répartition où avaient été placés quelques-uns de ses amis." (Grenard, 2007). Achard fut alors poussé à la démission, le 17 juillet 1941. Sans preuve véritable, le doute demeure, car pendant son procès devant la Haute cour de Justice, en 1945, aucune charge ne fut retenue contre lui (Archives Nationales, 3W45). Cependant, nous avons vu que le noyautage des comités d'organisation par les élites économiques est une chose avérée. Il se peut aussi qu'Achard ait été une de ces victimes de la propagande de Vichy qui, voulant dissimuler à la population la véritable cause des difficultés de ravitaillement, à savoir les prélèvements allemands, dirigeait la vindicte populaire vers le marché noir et ses accapareurs, en dénonçant "le scandale des fortunes bâties sur la misère générale" (Pétain, discours du 12 août 1941 . Ce qui poussa la Résistance, au travers d'une chronique hebdomadaire diffusée à la radio de Londres, sur la BBC, et appelée "Le courrier de France", dès juillet 1941, d'informer régulièrement les Français des pillages et des prélèvements allemands, tandis que le parti communiste multiplia tracts et brochures dès le printemps pour souligner la dimension antisociale de la politique de Vichy : "les riches trouveront toujours à s’approvisionner au marché noir, tandis que les travailleurs sont condamnés à la plus épouvantable misère" (Archives Nationales, 78 AJ 24). De son côté, Georges Boris (ancien directeur de cabinet de Léon Blum au ministère du Trésor) interpellait les auditeurs sur "l’immense majorité des Français n’a pas assez d’argent pour manger et apparaît condamnée à la famine." ("La pénurie de ravitaillement", émission du 30 septembre 1941).
Certaines affirmations sont à relativiser, cependant. L'étude importante sur le marché noir de Fabrice Grenard a posé un nouvel éclairage sur la part de fantasmes entretenus sur le sujet. Certes, la première année d'occupation surtout, on a vu des sociétés structurées autour d'entrepôts clandestins (les "clandés") et de réseaux de rabatteurs, satisfaire une clientèle aisée, mais ensuite c'est plutôt d'un "marché gris" (mais aussi "blanc" ou "brun") dont il faudrait parler, qui intéressent toutes les classes sociales, qui vont directement s'approvisionner dans les fermes. Et si les inégalités d'accès au marché noir façonnent l'image populaire et colportée d'une "tyrannie des épiciers" ou du paysan accapareur et profiteur, l'auteur montre que c'est plutôt aux négociants, aux grossistes, qu'aux petits commerçants, que profite les trafics, qui ne sont généralement pas de grande envergure, même si de véritables fortunes ont pu ici ou là être constituées (Grenard, 2008). Cette mise à distance du chercheur n'était bien sûr pas possible au moment des faits et l'image du profiteur qui ne manquait de rien "pendant que les bons Français mangeaient du son" révolta beaucoup de Français jusqu'à la fin de la guerre : "Cela explique la très forte demande sociale qui exista à la Libération pour que l’épuration ne concerne pas seulement les collaborateurs et que soient également sévèrement sanctionnés les trafiquants et tous les « profiteurs de misère »." (Grenard et Mouré, 2008).
l’épuration : L'épuration économique, dont des comités établis par la Résistance étaient en place dès septembre 1944, est définie officiellement par l’ordonnance du 16 octobre 1944 "relative à l'épuration dans les entreprises" et vise à "purger les personnes qui ont favorisé les actions de l’ennemi ou qui se sont opposées à la résistance des Français." Elle établit une Commission nationale interprofessionnelle d’épuration (CNIE), dépendante du MPI, et par région, un Comité régional interprofessionnel d'épuration (CRIE), ainsi que des comités de confiscation des profits illicites (CCPI).
Quant à l'épuration judiciaire, la mieux étudiée, elle est confiée à trois instances : La Haute Cour (concernant les membres de gouvernement), les cours de justice et les chambres civiques.
Mais, à l'exception des trafics avec les Allemands, l'épuration touchant au marché noir, sur la base de l’ordonnance du 18 octobre 1944 instituant les comités de confiscation des profits illicites (CCPI), se heurta à de nombreuses difficultés : les échanges clandestins échappaient en général à la comptabilité, au contraire des profits de la collaboration économique, mais aussi, comment juger les fraudes qui permettaient de sauver une entreprise ou qui avait permis d'aider les résistants, par exemple ? Sans parler de la disproportion entre l'énorme volume des affaires à traiter en regard des effectifs alloués à cette tâche (Grenard et Mouré, op. cité).
Par ailleurs, qui remplace Achard ? Paul Charbin, centralien, directeur général du groupe industriel textile lyonnais les Manufactures de velours et peluches, président de la chambre de commerce de Lyon, ami de Bouthillier, en particulier. Il ne restera au gouvernement que quelques mois, cependant, écarté par Laval à cause de ses positions anti-allemandes (Grenard, 2007) : il faut souligner ici un jeu de chaises musicales soutenu des différents portefeuilles gouvernementaux qui relativise quelque peu l'action concertée et durable des grands patrons au sein de Vichy (et fragilise encore plus les thèses "synarchiques"), en particulier les pantouflards, dont l'influence s'émousse au plus haut niveau (la bande de Worms, surtout) dès le retour de Laval au pouvoir, en avril 1942.
— Pierre Caziot (1876-1953), Directeur du Crédit foncier et vice-président de la Société des agriculteurs, il deviendra ministre de l'Agriculture et du Ravitaillement en juillet 1940, initiateur de la Corporation Paysanne par la loi du 2 décembre 1940, et sera un des signataires de la loi relative au second statut des Juifs, du 2 juin 1941.
L'Œuvre,
9 janvier 1941,
"Le Ravitaillement, Vichy capitule..."
Malgré les différentes réserves qui viennent d'être faites, nous voyons bien, tout de même, que l'élite économique, au travers du pouvoir politique de Vichy et en relation directe avec l'occupant, défend au mieux ses intérêts par la collaboration économique avec l'Allemagne nazie, étant entendu que pour les grands patrons, d'évidence en regard des faits, les affaires passent avant tout le reste. Par ailleurs, les différents portraits professionnels qui ont été dressés montrent de manière criante comment le pouvoir des riches se démultiplie au travers de leurs nombreuses participations, leurs nombreux mandats simultanés à la tête des entreprises (qui multiplient leurs gains), et au-delà, de leurs nombreux réseaux, quand le simple travailleur n'a qu'un seul emploi (comme le petit patron), pour un salaire sévèrement rogné, cela a été dit, des semaines de travail allongées, au sein duquel il a une liberté très limitée, qui ne concerne la plupart du temps qu'une unique entreprise, et ce pendant toute leur vie, pour un certain nombre d'ouvriers à l'époque. Il revient d'ailleurs à Robert Paxton de nous avoir éclairé sur les conflits entre petite et grande entreprise, entre patronat et administration et sa conclusion n'est pas, en regard de tout ce que nous savons, bien étonnante :
"Ces deux conflits interdépendants sont l’un et l’autre réglés en faveur des puissants et de l’Etat […] c’est un mouvement ascendant vers la rationalisation, la concentration, la modernisation." (Robert Owen Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, trad. fr., nouvelle édition revue et mise à jour, Paris, Le Seuil, 1997, p. 262). Encore faut-il distinguer les "velléités de rationalisation ou de modernisation élaborées dans les bureaux des ministères économiques" et les réalités qui "témoignent de fait d’une profonde régression technologique, économique, sociale, voire biologique et morale, avec son cortège de replis et d’archaïsmes résurgents" (Margairaz, 2009), autant de situations qui "perdurent au-delà de la Libération, et sans doute même au-delà de la fin du rationnement (1949)" (op. cité).
Pendant tout ce temps, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix, les dirigeants ont défendu au mieux leurs intérêts, et leurs stratégies politico-économiques, leurs collusions entre les deux mondes de pouvoir sont permanentes dans l'histoire, nous l'avons vu, et ont toutes un parfum de rencontres confortables et d'ententes dans des hôtels chics, de correspondances personnelles très discrètes, sinon secrètes, aux conséquences cependant très concrètes et souvent néfastes sur les travailleurs. L'histoire qu'on enseigne en général nous montre ainsi les idéologues et les politiciens réactionnaires situés sur le devant de la scène politique, alors que des réalités décisives, comme le montre en particulier Paxton, s'opèrent dans les coulisses par les experts et les technocrates (cf. Paxton, op. cité).
Nul besoin de complot, en vérité, pour expliquer les liens indéfectibles, la permanente coopération des milieux politiques et économiques. Nul besoin de complot pour établir le travail efficient des élites pour renforcer sans cesse, et par tous les moyens possibles, le pouvoir des riches au détriment de la majorité de la population. L'idée de complot, adossée à celle, attractive, du mystère, fera pourtant son chemin, prétendument fomenté par une organisation appelée la Synarchie (du grec syn, "avec", et "archê ("commandement", "pouvoir"), terme forgé, semble-t-il par Thomas Stackhouse (1677-1752) vers 1728 et popularisé par le savant Alexandre Saint-Yves d'Alveydre (1842-1909) pour désigner une forme de gouvernement dans lequel ceux qui ont le Pouvoir sont subordonnés à ceux qui détiennent l'Autorité.
La collaboration économique
I. Introduction
Yves Bouthillier (1901-1977), ministre des Finances de Paul Reynaud, en 1940, "symbole de cette élite économique sur laquelle Vichy s’appuie, est convaincu de l’intérêt de négocier avec le vainqueur." (La Collaboration 1940-1945, op. cité, N° 82 ). Si Bouthillier, dans les négociations de Wiesbaden, veut obtenir des contreparties des Allemands en échange, Laval, quant à lui donne au Reich des gages immédiats de bonne volonté du gouvernement français en pressant le banquier Jean Mirabaud et le magnat de la métallurgie Marcel Champin (apparenté aux banquiers Péreire), qui contrôlaient les mines de cuivre de la Compagnie de Bor, en Yougoslavie, d'en céder les actions, qu'Hermann Goering racheta pour deux fois leur prix, commission de 45 millions en sus (Frédéric Charpier, "De la collaboration économique au recyclage des « collabos » in "Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, Le vrai visage du capitalisme français", direction Benoît Collombat et David Servenay, avec F. Charpier, Martine Orange et Erwan Seznec, Paris, Editions La Découverte / Poche, 2010 : p. 36). La cession est réglée en novembre au titre des "dépenses d'occupation" pour 1.8 milliard de francs (Margairaz, 1991) : Comme la quasi-totalité des hommes d'affaires enrichis pendant la deuxième guerre mondiale, ils ne seront nullement inquiétés à la Libération. Laval fera la même chose avec "les deux cents tonnes d’or belge, confiées à la France en juin 1940 et mises à l’abri en AOF [Afrique Occidentale Française, NDA] : le 29 novembre 1940, Pierre Laval donne l’ordre de transférer l’équivalent à Bruxelles, malgré les réticences de Yves Bouthillier." (Margairaz, op. cité). On aurait cependant tort de croire Bouthillier résistant à la collaboration. Comme il a été dit, c'était la manière de l'établir qui faisait divergence entre les lui et Laval. D'ailleurs, en février 1941, lors des études réalisées par le Comité Economique Interministériel (CEI), Bouthillier, sans demande aucune des dignitaires du Reich, "«...estime que le Transsaharien doit constituer le premier chantier de la collaboration franco-allemande.»" (Archives Nationales. F60 590, p.v. de la séance du CEI du 5 février 1941, in Margairaz, op. cité).
Laval cède aussi aux demandes d'Otto Abetz relatives aux entreprises française de publicité, ce qui conduira à la loi du 27 septembre 1940, par laquelle l'agence Havas sera divisée en deux branches : Celle de l'information est rachetée par l'Etat français et celle de la publicité est cédée en partie à l'agence allemande Mundus, dont la participation s'élèvera à 47.6 %. Auparavant, le numéro 2 de Vichy avait engagé aussi un accord similaire pour les branches de Hachette, en octobre 1940, mais celui-ci n'ira pas à son terme. Différentes cessions de participations française à l'étranger, aussi, s'effectueront dès la fin 1940 : Steaua Romana (Omnium française des Pétroles, Banque de Paris), Compagnie Concordia (Union parisienne, société de pétroles Colombia), mais aussi Charbonnages de Tréfail, Norvégienne de l’Azote, Banque commerciale roumaine, Banque générale de Crédit hongrois, etc. La Banska, en Bohême, est cédée à un groupe allemand dont la Deutsche Bank et la Boemische Bank font partie. Des titres de la dette balkanique, aussi, son cédés en novembre 1941, comme Mines et Tubes de Sosnowice ou Houillères de Dombrowa (Margairaz, op. cité). On citera encore les participations allemandes dans les Champagnes Mumm ou les Carburants Français (F. Charpier, op. cité), pour clore une liste certainement loin d'être exhaustive.
Dans certains cas, les Allemands proposent aux patrons français des affaires (presque ) comme en temps de paix. Ainsi, au printemps 1941, l'Allemagne, dont les besoins en aluminium sont grands, "prend contact avec les dirigeants de l’Aluminium français (Péchiney), puis avec ceux de la Société d’Électrochimie, d’Électrométallurgie et des Aciéries électriques d’Ugine" pour leur proposer une participation à la construction d'une usine d'alumine, dans le midi de la France, pour profiter de gisements de bauxite proches et rentables. "Quelques jours plus tard, une réunion, à laquelle participent les représentants de l’État (Jacques Barnaud et son collaborateur Terray [Jean T. est aussi directeur général des sociétés nationales de construction aéronautique NDA] pour la DGREFA [Délégation Générale aux Relations Economiques Franco-Allemandes, NDA], Pierre Pucheu et Henri Lafond pour le MPI) ainsi que les industriels de l’Aluminium français (Raoul de Vitry, Jean Dupin, d’Auvigny et Matter), fait le point sur la marche à suivre. Du point de vue militaire, industriels, ministres et hauts fonctionnaires partagent les mêmes vues (...) tous s’accordent sur la perspective probable d’une victoire allemande avant la fin de l’année 1942." (Margairaz, op. cité).
Henri Lafond : ingénieur X-Mines, il collabore avec Vichy jusqu'aux alentours de novembre 1942 avant de se rapprocher du Général de Gaulle. Président de la banque Mirabaud, vice-président de la SCAC (Service de coopération et d'action culturelle) :
"Le boum des affaires minières du groupe Bup-Mirabaud en Afrique du Nord (Gafsa), en Afrique subsaharienne et dans les métaux non ferreux (Huaron, Mokta, de façon leader ; Penarroya, Le Nickel, dans le sillage des Rothschild), avec l’impulsion à beaucoup d’investissements financiers (par toujours couronnés de succès) explique l’implication de son président Henri Lafond, un ingénieur à l’origine, dans cette activité, et, comme vice-président de la Scac, il maintient le lien entre transport de pondéreux (charbon), transit et banque, initié par les Talabot dès le Second Empire." (Bonin, 2008).
Lafond dirigera l'Association minière en 1930, deviendra administrateur de la Compagnie des mines du Huaron (puis président en 1943) et administrateur-délégué des Mines d'or du Litcho en 1935, mais aussi administrateur de la Compagnie marocaine à partir de 1939. En 1943 il entre au conseil des Tréfileries et Laminoirs du Havre. Il a contribué à la formation du CNPF (Conseil National du Patronat Français, en 1945. "Président-directeur général de la Société du Djebel-Djérissa de 1945 à 1962, il est également administrateur de la Banque de l'Union parisienne, de la Société des phosphates de Gafsa, de la Société de l'Ouenza, de la Société française des pétroles, de la Société commerciale d'affrètements et de combustibles, des Chantiers et Ateliers de Saint-Nazaire à partir de 1947, de la Compagnie Pechiney à partir de 1948, d'Électricité de France à partir de 1949. Il entre au bureau du CNPF, siège au Comité Franc-Dollar, au conseil de perfectionnement de l'École polytechnique et au comité des Mines du Commissariat à l'énergie atomique (...) De 1947 à 1954, il est désigné par le CNPF membre du Conseil économique et social, inscrit au groupe des entreprises privées où il représente la grosse industrie. Il préside la Banque de l'Union parisienne à partir de 1951 et est nommé président d'honneur de l'Association minière à partir de 1954. En 1962, il entre au conseil de Tréfimétaux (réunion des Tréfileries et Laminoirs du Havre et de la Compagnie française des métaux)." (Les Annales des Mines, "Henri LAFOND (1894-1963)"
Sur la piste des patrons,
Jack Dion et Pierre Ivorra,
Messidor, Ed. sociales, 1987
Les négociations économiques entre Etat français, Etat allemand, industriels français et allemands, que nous ne détaillerons pas ici, ne porteront que sur des intérêts capitalistes (profit, participation au capital, autonomie managériale, débouchés commerciaux, domination européenne après-guerre, etc.) et ce sont bien des questions d'argent (la participation allemande au capital) qui empêcheront les deux parties de faire affaire, et aucunement des questions de guerre. Ce sont les mêmes considérations que prendront en compte d'autres tentatives de participations communes, comme celles qui ont trait au marché du caoutchouc, entre août 1941 et novembre 1942, pour pallier le déficit en gomme naturelle d'Indochine par du buna, une gomme synthétique. Après de difficiles tractations, les négociateurs français du MPI et des Finances acceptent le principe de participations allemandes "dans les firmes Dunlop (sur une fraction de la part des capitaux anglais), Goodrich (sur les actions détenues par des Américains), Hutchinson (pour laquelle un accord de cession de 12 000 actions au groupe italien Semperit est en voie d’être conclu), Englebert, Bergougnan et Michelin, sous réserve de préciser les modalités dans chaque cas." (Margairaz, op. cité). Jean Bichelonne, bientôt ministre de Vichy, "suggère de demander des participations françaises dans des entreprises allemandes." Michelin, de manière bien exceptionnelle, oppose un refus de principe et son cogérant, Robert Puiseux se voit convoqué par Jacques Barnaud, des Relations économiques franco-allemandes, Bichelonne et Georges Perret, à qui l'on a confié la gestion de la "Section caoutchouc et noir de fumée de l’Office central de répartition des produits industriels" et du "Comité d’organisation de l’industrie du caoutchouc". Le procès-verbal de l'entrevue fait entendre "la voix de son maître" au travers de celle des représentants de l'Etat qui confirment "l’acceptation probable par les Allemands de la cession de la filiale tchèque de Michelin et d’une participation minoritaire dans sa filiale belge" et le caractère singulier du refus d'un grand patron de coopérer, qui devient alors un grain de sable dans la grande machine bien huilée de la collaboration franco-allemande. Puiseux persiste dans son refus "par souci de préserver, dans le futur, le marché d’exportation belge, même au prix du non-approvisionnement en buna : « J’ai fait mon choix : sacrifier le présent pour sauver l’avenir »" (Archives Nationales, F 37 27, d. « participations allemandes », « Caoutchouc - buna », 7 feuillets manuscrits sur le c. r. d’une réunion (présents Barnaud, Perret, Puiseux, in Margairaz, op. cité). Ceci étant dit, l'entreprise, depuis les débuts de son histoire, n'est pas, loin s'en faut, un modèle de vertu sociale, nous allons le voir plus loin.
Évoquons maintenant le secteur de l'industrie aéronautique, intéressant à plusieurs titres. Le secteur a été nationalisé en 1936, remplacé par des sociétés mixtes où l'Etat a une part majoritaire. Le problème est qu'une nouvelle fois, le conflit d'intérêt, l'utilisation du politique au service des intérêts économiques est au rendez-vous. Tout d'abord, certains des industriels sont mis à la tête des entreprises comme administrateurs-délégués : Marcel Bloch à la SNCASO (Sud-Ouest), Henri Potez à la SNCAN (Nord) ou encore Émile Dewoitine à la SNCAM (Midi), sans compter Paul-Louis Weiller, patron de SMGR (Société anonyme des Moteurs Gnome et Rhône), qui sera aussi administrateur d'Air France, fruit d'une nationalisation de différentes lignes aériennes depuis 1933.
Marcel Bloch : Il prendra après la guerre le nom de Marcel Dassault, un nom qui dérive du nom de code ("Char d'Assaut") de son frère, le général Darius Paul Bloch, dans la Résistance.
Ces administrateurs "sont amenés à fixer eux-mêmes le montant des indemnisations touchées pour le rachat de leurs entreprises" (D'Abzac-Epezy, 2016), peuvent être, comme Marcel Bloch à la tête de bureaux d'études privés d'où sortiront les prototypes acceptés par l'entreprise nationale dont il a la charge, sa société (SAAMB) recevant alors les droits de licence. Inutile de dire que "les constructeurs-administrateurs étaient intéressés financièrement à la production des avions qu’ils avaient conçus, et il ne fait pas de doute que des profits substantiels furent réalisés". A la Libération, l'ordonnance n°45-1086 du 29 mai 1945 (parue au Journal Officiel de la République, N° 126, du 30 mai 1945), signée par le général De Gaulle, qui transforme la SMGR en la SNECMA, expose des motifs graves contre la société (et à travers elle son ancien patron Paul-Louis Weiller) : "spéculations boursières entre initiés", "technique largement dépassée", "irrégularités dans la qualité", "prix de revient excessifs" : "La cause majeure de ces tares doit être cherchée dans l'impulsion donnée à la société par sa direction : ayant réalisé à son profit un quasi-monopole, elle ne se souciait que de vendre le plus possible, au plus haut prix, non seulement sans aucun souci de l’intérêt général du pays mais encore au mépris de toute règle morale." (ordonnance n°45-1086, op. cité, p. 3082 ).
Il faut noter, en passant, que ces justes motifs d'indignation seront une aubaine pour la droite nationaliste et antisémite, qui, depuis longtemps déjà (rappelons que l'Affaire Dreyfus date de 1894 - 1906), ne perdaient pas une occasion de mettre en cause les Juifs, industriels ou pas, pour des motifs réels autrement plus vils . Le gouvernement de Vichy saura s'en saisir, et profitera du procès de Riom (1940-42), qui fait de la politique industrielle du Front Populaire la principale cause de défaite de la guerre, un moyen de les écarter : "La question des lois sur les sociétés secrètes et du statut des Juifs permettait [...] à l’armée de l’air de se débarrasser des quelques éléments indésirables qu’elle possédait et de ne conserver que des éléments sains, sur lesquels puisse se fonder sa reconstruction." (Service historique de la Défense (SHD), fonds privés de SHD-Air, papiers Bergeret, SHD/DAA Z 29739, « L’action du général Bergeret, pendant la guerre et l’occupation »). C'est le général Jean Bergeret, qui parle ici, alors secrétaire d’État à l’aviation (SEA) à partir de septembre 1940. La chasse aux sorcières commence, où on fait porter la défaite sur l'impréparation de l'industrie aéronautique pendant le Front Populaire (et, à l'inverse, en héroïsant les pilotes), sur l'avidité de certains industriels au détriment de l'Etat, tout en pointant du doigt ceux qui essaient de s'affranchir des autorités de tutelle pour vendre à l'étranger (tel Dewoitine avec les Etats-Unis et l'Angleterre ou Marcel Bloch, avec l'Allemagne).
l'impréparation de l'industrie aéronautique : Là encore, l'affirmation tient de la propagande et non des faits : "si le réarmement français fut plus tardif qu’en Allemagne, il n’en demeure pas moins que l’effort accompli, dès 1936 sur le plan financier (le « plan des 14 milliards », allant bien au-delà des besoins exprimés par les militaires) et en 1938-1940 sur le plan industriel, fut très important tant en termes financiers que de production. Tous les indicateurs quantitatifs en témoignent" (Garraud, 2002).
Le procès de Riom sera donc en grande partie un procès à charge qui condamnera à l'internement administratif Dewoitine, Bloch et Weiller, enfermés dans le Grand Hôtel Notre-Dame, à Pellevoisin, dans l'Indre, transformé en prison d'Etat (trop proche de la ligne de démarcation, les prisonniers seront transférés en janvier 1941 à Aubenas puis à Vals, en Ardèche). Désormais aux commandes de la Direction technique et industrielle du secrétariat d’État à l’aviation ou au Comité d’organisation de l’industrie aéronautique, les ingénieurs militaires auront les coudées franches pour réorganiser l'industrie aéronautique française selon le projet élaboré par Bergeret : "assainir l’industrie aéronautique française afin de trouver un accord avec l’occupant allemand qui assurerait la survie de cette branche", selon les propres mots du secrétaire d'état (Fonds privé Ladoucette (Guy La Chambre), collection des auditions au procès de Riom concernant l’aéronautique, SHD-Air Z 12962). Contre l'avis d'autres membres du gouvernement, Bergeret approche les services ad hoc de la Luftwaffe, et après l'abandon des clauses de l'armistice interdisant à la France toute construction aéronautique, civile ou militaire, en septembre 1940, le général parvient à signer avec l'occupant allemand un programme commun, le 28 juillet 1941, sur la base d'un avion français pour cinq allemands. Ce programme deviendra en novembre 1942 un programme exclusivement allemand, par confiscation de la part française : "C’est bien cette collaboration d’État et non « la survie dans la clandestinité » qui est responsable du maintien en France d’une main d’œuvre qualifiée." (D'Abzac-Epezy, 2016).
Toute cette réalité sera vite balayée, dès 1944, par l'élaboration d'un récit national en forme de storytelling, cet "art de raconter des histoires pour mieux vendre", qui "ne cherche pas la vérité factuelle mais l’impact positif sur le récepteur", au service du "mythe résistancialiste", selon la formule d'Henry Rousso, selon lequel les Français auraient résisté en masse dès les premiers temps de la guerre. De manière unanime chez les élites, tous bords confondus, on choisit l'oubli contre la mémoire, le futur contre le passé, le mensonge par omission contre la vérité, bref, on choisit de tourner la page, en partie pour la paix sociale. Pour cela, on utilise une communication politique utilisant des biais cognitifs, étudiés en particulier par François-Bernard Huygue, comme l'effet de miroir ou de contagion du faux, qui reprend une information sans la vérifier (appelé aujourd'hui le "fake") ou encore de " bulle d'isolement cognitif", selon l'expression du médiologue, qui élabore des versions simplifiées de la réalité qui correspondent mieux à des stéréotypes, des conceptions idéologiques. Ainsi, la première et grande opération de séduction par la communication du ministre de l'Air, le communiste Charles Tillon, est l'exposition "Les Ailes de France" à Paris, en 1945. "Trois éléments de langage extrêmement simples sont lancés par le ministre : l’héroïsme, la survie par la résistance dans la clandestinité, la renaissance d’une industrie indépendante. Ces thèmes forment l’architecture de tous les historiques qui paraissent après la Libération et que l’on retrouve encore dans les historiques récents émis à l’occasion de grands événements organisés par les industriels de l’aéronautique française. S’y ajoute un autre thème : l’industrie aéronautique nationalisée n’a pas failli en 1940." (D'Abzac-Epezy, 2016). Même chose en 1949, avec l'Union syndicale des industries aéronautiques, dans un opuscule qui a pour titre Quinze ans d’aéronautique française 1932-1947, avec tableaux chiffrés censés prouver que l'industrie aéronautique n'est pas responsable des erreurs qui ont précipité la défaite de 1940. Mise au point particulièrement opportune pour un des contributeurs de l'exposition, le polytechnicien et ingénieur de l'air Joseph Roos, qui avait été à la tête du Comité d’organisation de l’industrie aéronautique (INDAERO) pendant l’occupation allemande avant d'être placé à la tête des transports aériens au ministère des Travaux Publics, en 1946 (puis président des usines Chausson en 1947, PDG d'Air France de 1961 à 1967). Dans son texte évoquant le moment de l'Occupation, Roos parle par périphrase, où l'Allemagne devient " les autorités qui se trouvaient en France à cette époque", la collaboration " les commandes qu’on demandait à l’industrie aéronautique d’exécuter", "la clientèle que l'on sait" (D'Abzac-Epezy, 2016). En quelque sorte, négocier, ruser avec l'ennemi, a permis d'éviter le pire. Et d'ailleurs, jusqu'à ce jour, un certain nombre d'historiques pédagogiques, de biographies officielles liés à la seconde guerre mondiale continuent d'être expurgés de toutes les compromissions qu'a connues l'ensemble des industries françaises.
Exposition
"Les Ailes de France",
Paris, 1945,
plaquette (SHD Air/ 3813)
II. La France :
"caverne d'Ali Baba du Reich"
Il y a d'un côté, nous l'avons vu, nombre d'appropriations que l'Etat Allemand du IIIe Reich a effectué de manière coercitive ou dissuasive, mais il y a, comme dans toute guerre d'occupation, tout ce dont les élites politiques et économiques des pays occupés ont pu tirer parti pour leurs intérêts privés ou idéologiques et qui a permis à la puissance occupante, dans le cas de la France, d'obtenir du pays vaincu beaucoup plus qu'elle n'aurait pu l'espérer a priori :
"Il n’a jamais existé dans l’histoire, entre la France et l’Allemagne, une collaboration aussi vive et étroite que celle, dans le domaine économique, durant les quatre années de l’Occupation " (BA-MA, RW 35/714, 1944)
Ce commentaire de la fin de l'année 1944, le plus souvent attribué à Elmar Michel, donne déjà le ton de cet exposé, car il résume d'un trait ce que nous savons du rôle d'une grande partie de l'élite économique française durant l'occupation allemande de la seconde guerre mondiale. A partir des archives allemandes, Alan Milward, dès les années 1970, confirme déjà en partie les propos d'Elmar, soulignant "la part irremplaçable de l’économie française dans l’effort de guerre allemand, elle qui fournit en 1943 près de 40% des produits prélevés dans toute l’Europe occupée." (Margairaz, 2009).
Il est intéressant de noter que l'occupant a commencé d'utiliser un certain nombre d'arguments capitalistes pour convaincre la population de collaborer. Du côté des riches, il pensa compter sur "l’appât du gain du patronat français" (BA-MA, RW 24/18) et du côté des ouvriers, leur réticence à travailler pour lui "fut surmontée en les mettant en concurrence avec le grand nombre de travailleurs étrangers" sans compter la nécessité de gagner leur vie (Rapport secret de l’OKW/Wi Rü Amt a/s Umsteuerung der Wirtschaft, doc. cité, p. 58).
"Avec la guerre et l'Occupation, le patronat français n'a pas écrit les pages les plus glorieuses de son histoire : la plupart des ses membres ont composé avec le régime de Vichy et l'occupant allemand." (Frédéric Charpier, "Les alliances du patronat et de l'Etat planificateur", In "Histoire secrète du patronat... op. cité : p. 17). A de Gaulle, qui s'étonnait auprès des patrons de n'avoir vu aucun d'eux à Londres, le président du CNPF entre 1972 et 1981, François Ceyrac, répondra bien a posteriori et avec colère contre "le dépendeur d'andouilles...Nous étions dans nos usines, avec notre personnel, pour éviter qu'à la débâcle militaire ne s'ajoutent la déroute économique et la mainmise directe des occupants sur nos ressources. Nombreux sont les chefs d’entreprise, au demeurant, qui ont freiné la production pour la machine de guerre allemande. La résistance professionnelle était moins voyante que la résistance armée, elle n’était pas moins efficace ni moins dangereuse." (F. Ceyrac, entretien avec Henri Weber : "Le Parti des Patrons, le CNPF (1946-1986), éditions du Seuil, 1986"). Travestissement mensonger de l'histoire, comme nous allons continuer de le voir. De Gaulle n'en démordra pas : "Car, c’est une révolution, la plus grande de son Histoire, que la France, trahie par ses élites dirigeantes et par ses privilégiés, a commencé d’accomplir." (Charles de Gaulle, Discours du 1er avril 1942, Discours et messages, Pendant la guerre, juin 1940-janvier 1946, Librairie Plon, 1970, p. 176 à 181).
Tronquer la réalité, en rendre compte par de grossières simplifications, faire accroire la recherche commune du bien général, c'est une constante dans les professions de foi des dirigeants et des élites en général, nous l'avons déjà vu à de nombreuses reprises. On sait depuis longtemps que le patronat, dans sa plus large majorité, a collaboré avec le pouvoir de Vichy : " Les chefs d’entreprise résistants, généralement regroupés dans l’Organisation civile et militaire (OCM), sont trop marginaux par rapport à l’establishment patronal, et surtout trop peu nombreux par rapport aux cohortes patronales intégrées à Vichy. D’après la plupart des études existantes, le patronat français, dans sa grande majorité, a été passionnément pétainiste, au moins jusqu’en 1942-1943, et, dans sa masse, réservé ou hostile à la Résistance, même gaulliste." (Henri Weber : "Le Parti des Patrons, le CNPF (1946-1986), éditions du Seuil, 1986").
Les affirmations de Weber sur la collaboration économique du patronat, dans les grandes entreprises surtout, sont largement confirmées par la recherche historique, nous allons le voir, à un point, parfois, que l'on n'imagine même pas avant d'en connaître les faits. Il n'est donc pas du tout étonnant "que des auteurs aussi différents que les journalistes économiques Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera fassent, dans l’introduction de leur livre sur Les Patrons sous l’Occupation, le constat similaire que, « malgré leur familiarité avec le monde des entreprises et des organisations professionnelles, ce n’est pas auprès d’elles – sauf rare exception – [qu’ils] ont trouvé la plupart des informations qu’ils recherchaient. Ils se sont même heurtés régulièrement à des portes closes. Et les courriers sont souvent restés sans réponse. […] Peu nombreuses sont les sociétés qui ont démontré, à l’instar de Total, qu’elles considéraient comme normal, sinon de tout montrer, du moins de recevoir un chercheur en quête de documentation. »" (Joly, 2004 / citation : Renaud de ROCHEBRUNE, Jean-Claude HAZERA, Les Patrons sous l’Occupation, Paris, Odile Jacob, 1995, page 13. ). D'autre part, les recherches historiques sur le sujet ont été rendues difficiles, ceci étant dû "en partie aux destructions volontaires de l’après-guerre ou à la politique de fermeture des archives adoptées par de nombreuses firmes" (Joly, op. cité). D'autr
Soutenus par le gouvernement de Vichy, si complaisant avec l'occupant allemand,"les industriels français...ne se firent guère violence et travaillèrent de bon gré pour l'ennemi" (Radtke-Delacor, 2001). En septembre 1940, les délégués de Vichy, à Wiesbaden ou à Paris firent ressortir le fait que l'occupant était déjà obligé de reconnaître que les résultats obtenus étaient bien ceux qui avaient été escomptés "en partie tributaire de la bonne volonté des industriels et des ouvriers quelles que soient les pressions exercées." (Radtke-Delacor, 2001). Mais les ouvriers n'ont bien évidemment par le pouvoir décisionnaire des patrons et pour les plus militants et résistants se trouvent dans une position très difficile, pris en tenaille entre l'occupant, ses chefs et ses patrons français, qui dans les grandes entreprises, combattent majoritairement les ouvriers syndiqués, particulièrement les communistes, avec le soutien actif du gouvernement français, nous le verrons. Ils sont "ceux qui ont fait l’histoire sociale et politique chez Renault comme ailleurs, luttes et succès sont dûs à des hommes et des femmes engagées dans l’action politique et syndicale. Diffuseurs semi-clandestins de la « Vie Ouvrière » ou de « l’Humanité », collecteurs de timbres, dirigeants des sections syndicales ou de cellules du PCF. Des hommes et des femmes au plus près des salariés, expliquant jours après jours les raisons et la nécessité des luttes quotidiennes pour aller vers des changements plus profonds. Des hommes et des femmes dont personne ne connaîtra le nom, leur histoire, celle d’un engagement de tous les jours contre l’exploitation patronale." (Pierre Fabre, "Renault, De la nationalisation à la privatisation", Colloque Renault : forteresse ouvrière ou haut lieu de la lutte de classes, Cercle Universitaire d'Études Marxistes (CUEM), 17 novembre 2016).
Michelin,
"Trop de largesses nuit, la Cagoule m'a cuit"
Journal l'Unité, février 1938
Le cas MICHELIN
Depuis les débuts de son histoire, la famille Michelin a marqué l'entreprise de son emprise patriarcale, et présenté différents visages peu amènes, autoritaires, colonialistes, et même fascisants.
Tout d'abord il convient de relativiser tout ce que l'entreprise a octroyé aux employés (logements, écoles, stade, piscine, gymnase, hôpitaux, coopératives, etc.) et qui a beaucoup servi à la propagande de ce qu'on a appelé "l'esprit Michelin", car les chercheurs ont bien montré que tout ceci relevait d'une "idéologie qui justifie le capitalisme dont il gouverne les principes éthiques (Boltanski et Chiapello, 1999) (...) Les salariés ont donc adhéré à cet esprit essentiellement parce qu’il proposait en retour un cadre identitaire structurant et reconnaissant, tout en leur assurant une protection et une sécurité sociales (Védrine, 2014). L'entreprise a ainsi "réalisé environ 8 000 logements dans l’agglomération clermontoise, formant 18 quartiers, dont l’austérité et la vétusté témoignent de l’esprit d’entreprise. En 1980, un tiers de l’espace foncier clermontois accueille ainsi une architecture fonctionnelle, répétitive et à plusieurs égards disciplinaire." (Védrine, op. cité). En 1928, déjà, les journalistes l'appelait déjà Michelinville.
Cette stratégie patronale n'est pas propre à la France. A Zlin, en Moravie (Tchéquie act.), l'entreprise BATA, créée en 1894 par Tomáš Baťa, dont la fortune commence à se former pendant la première guerre mondiale par les commandes militaires, devient gigantesque au début des années 1930 et se dote d'une véritable ville ("Bataville") qui dispose de tous les services nécessaires. Après son installation en France, une Bataville sera créée à Hellocourt, près de Moussey (Meurthe et Moselle), sur le modèle tchèque. On ne sera pas étonné d'apprendre qu'il "s’agissait quasiment d’un univers totalitaire, à mi-chemin entre Orwell et Chaplin : Orwell pour les slogans, plus de 600, inscrits sur les façades des bâtiments, martelant « une usine, un but », « propreté et ordre = qualité » ou « le travail anoblit l’Homme » ; Chaplin, pour l’immeuble de l’administration, surplombant l’usine, avec sa pièce-ascenseur aménagée en bureau pour le responsable qui, sans quitter son siège, à l’aide d’une simple pression sur un bouton, pouvait se déplacer d’étage en étage et contrôler chacun des services, chacun des employés." (Le Bot, 2005). Devant le succès et la menace représentée depuis environ 1930 par ce nouveau géant étranger de l'industrie du cuir (dont les Chaussures André est un autre exemple), les entreprises concurrentes sauront saisir l'opportunité de l'aryanisation économique avec les spoliations qui en découlent, sans bien entendu jamais remettre en cause "la dimension totalitaire" de l'entreprise (Le Bot, op. cité).
Nous sommes dans le droit fil du travail de Foucault, que nous avons déjà évoqué au travers de la maîtrise de l'espace et du corps, au travers du "grand renfermement" ou des prisons, en particulier. Ainsi, la dotation d'un jardin à chaque quartier a été décidée, "moins par un souci d’attention portée à une population déracinée, que pour détourner l’ouvrier des fréquentations d’espaces sociaux de rencontres." Tout ceci n'est pas nouveau, et nous avons examiné, depuis le XVIIIe siècle au moins, la préoccupation des élites concernant les supposés désordres et débauches attribués au peuple. Mais les problématiques patronales ont évolué et l'espace du jardin permettant ici de créer alors pour les ouvriers et leurs familles des "îlots de moralité" (Murard et Zylberman, 1976 : 21), n'a pas pour objet, du point de vue de l'entreprise, d'empêcher "que le père de famille s’enivre au café puisqu’elle le laisse se saouler à l’usine pour atténuer la pénibilité de son travail, mais qu’il puisse échanger, prendre conscience de sa condition, voire s’organiser contre le patronat." (Védrine, 2014). Placée à l'écart du centre-ville, Michelinville se distinguait par l'absence d'espaces collectifs (cafés, commerçants, espaces publics), empêchant le développement d'une organisation sociale, les clôtures autour des habitations achevant de se faire replier les unités familiales sur elles-mêmes, dans un but identique, où l'intimité confine à l'enfermement. Gardiens, médiateurs viennent compléter le dispositif moral pour prévenir du concubinage, pour isoler les célibataires. Selon des témoignages, des sous-directrices se déplaçaient même en mobylette pour surveiller la moralité des jeunes filles (Védrine, op. cité). Le nom des rues, par ailleurs, souligne la dimension morale, chrétienne de l'entreprise : "Les rues de la Bienfaisance, de l’Amitié, de la Bonté, de la Confiance, de la Charité, de l’Espérance et de la Foi relèvent des vertus chrétiennes et bienveillantes ; alors que les rues du Courage, du Devoir, de la Vaillance et de la Volonté rappellent les vertus du travail." (Védrine, op. cité).
L'exploitation de l'hévéa en Indochine, dans les plantations Michelin de Cochinchine, à partir de 1925, est un modèle d'exploitation coloniale qui, dans les faits, se différencie très peu de la condition esclavagiste, peinant à assurer la subsistance des ouvriers subissant quotidiennement pressions, violences dans tous les compartiments de leur vie, tout cela pour servir une industrie d'une extrême rentabilité, soutenue sans réserve par l'administration coloniale, et qui, malgré tout, s'appliquait à donner une image de firme philanthropique (Panthou et Trantu Binh, 2013). Au même moment, dans une région Auvergne au patronat alors plutôt hostile aux syndicats, Edouard Michelin encourage la délation (Journal L'Humanité, 23 avril 2020). La première grève de ceux qu'on appelle les "Bibs", en 1920, est violemment réprimée par une troupe de militaires, en partie à cheval. De nombreux ouvriers reçoivent des condamnations et Edouard Michelin établit une sorte de milice appelée "Garde civique", recrutée parmi les ouvriers au profil s'accordant avec la politique répressive de l'entreprise, puisqu'ils sont entraînés à des sports de combats et acceptent de se se servir de lances à incendie crachant de l'eau bouillante (Article du chercheur Eric Panthou, "Le candidat Michelin, Eric Faidy, comme barrage au fascisme ?", paru dans Initiative Communiste (IC), le 15 janvier 2020,
Entre 1936 et 1937, une partie de la direction et de l'encadrement de l'entreprise a joué un "rôle décisif...dans la création et l’essor d’un groupe d’autodéfense au sein des usines, groupe dont une fraction constitua le noyau local de la Cagoule." (Panthou, 2017). Bon nombre d'entre eux étaient membres des Croix-de-feu du colonel de la Roque (cf. Travail Famille Profit, 1e partie), organisation dissoute par la loi du 10 janvier 1936, financée pendant des années par Michelin. En juin 1936, c'est cette garde, forte de centaines de cadres ou de contremaîtres, qui empêche l'occupation des Carmes, le siège de l'entreprise à Clermont-Ferrand. De là sortira un groupe d'autodéfense, plus restreint et plus offensif (il s'arme de mitraillettes), de plusieurs dizaines de personnes, appelé "Les Enfants d'Auvergne", une "organisation secrète, soutenue et financée dès son origine par Pierre Michelin, le nouveau grand patron" qui chassait "impitoyablement tout militant syndicaliste, socialiste et surtout communiste identifié dans l’entreprise, en refusant de reconnaître le droit de grève et de se syndiquer" (Panthou, "Le candidat Michelin..., op. cité), Les liens s'établirent naturellement avec La Cagoule, car c'est "Pierre Michelin qui fut le principal bailleur de fonds de la Cagoule avant de se tuer accidentellement fin décembre 1937" (op. cité), L'organisation était "puissamment armée, se donnant l’objectif de renverser le gouvernement Blum et d’imposer une dictature militaire." (op. cité), Moins de deux semaines après, le complot cagoulard était découvert par l'arrestation de Pierre Locuty, ingénieur chez Michelin, qui avait fomenté un attentat le 11 septembre à Paris, pour faire accuser les communistes. Deux policiers en faction avaient trouvé la mort. L'interdiction du parti communiste et la dissolution du syndicat CGT de Michelin, en 1939, fut une formidable opportunité pour l'entreprise "pour se débarrasser de très nombreux militants communistes et CGT." (op. cité), Un cadre Michelin, en livrant une liste de 55 "suspects", souhaitera même leur internement dans un camp. La délation devint un sport pour un certain nombre de cadres et de 1940 à 1943, une simple distribution de tracts ou une inscription militante suffira à condamner lourdement certains ouvriers. Très à l'aise avec les régimes fascistes, Michelin fournit des pneus au régime franquiste et applaudit la conquête de l'Ethiopie par Mussolini (op. cité)
Michelin,
Journal Bibendum 1936,
Italie fasciste de Mussolini,
colonisation de l'Ethiopie
Michelin,
affiche de Duccio, 1930/31,
Italie fasciste de Mussolini
Tintin et le Lotus bleu vs. Bibendum,
carte postale du Vietnam, 1920/30
Le cas Louis Renault (1877-1944)
Une ébauche de portrait du grand patron Louis Renault, fondateur de l'entreprise du même nom en 1898, nous permet de comprendre qu'à l'avènement d'Hitler, l'homme était plus que prêt à la collaboration économique avec le 3e Reich. Louis Renault est alors la figure du "patron absolu" (Gilbert Hatry, Louis Renault, Patron absolu, Editions Lafourcade, 1982), "une figure symbolique du capitalisme le plus brutal." (Viguier, 2017).
D'ailleurs, les idées communistes ont pendant longtemps du mal à agiter l'usine de Billancourt, "tant la répression patronale y est forte", au point où l'Humanité, met en cause très régulièrement ce "bagne patronal" (Viguier, op. cité). De nombreux témoignages s'accordent sur le fait que Louis Renault était "un admirateur d’Hitler, comme Henry Ford, dont il avait fait la connaissance et dont il a repris l’idéologie industrielle de l’ordre et de la discipline. Renault était un homme brutal qui haïssait les ouvriers et réprimait le moindre mouvement syndical."
Journal l'Humanité, 25 septembre 2015
Ce témoignage rapporté par l'Humanité est celui d'un ancien ingénieur de Renault Georges Hufschmitt, qui, avec d'autres résistants ont voulu, en 2015, que soit apposée à l'entrée de l'usine Renault-Billancourt, une plaque commémorative en souvenir de la mort de 24 fusillés (dont Jean-Pierre Timbaud, 1904-1941) et 150 déportés, tous salariés de Renault. Une liste incomplète, précise Michel Certano, qui fut secrétaire général du syndicat CGT de Renault Billancourt, et qui a beaucoup travaillé à établir la vérité de ces crimes de la police française, responsable de la traque et de l'arrestation d'ouvriers, militants politiques actifs, syndicalistes, communistes, en collaboration avec les renseignements généraux mais aussi, nous allons le voir, de l'entreprise elle-même.
Dès le 12 novembre 1938 Edouard Daladier, qui remplace Léon Blum comme président du Conseil, fera publier par son ministre des Finances, Pauk Reynaud, des décrets-lois surnommés "décrets misère" car ils reviennent sur les conquêtes sociales du Front populaire, en faisant passer, en particulier, la semaine de 40 h de travail à 50 heures maximum. Le 26 septembre 1939, Daladier, prononçait un décret de dissolution des organisations communistes et le 18 novembre, c'est un nouveau décret qui permet l'internement d'individus estimés dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique et le 14 décembre 1939, un autre encore, signé Albert Sarraut qui permet d'éloigner ou d'assigner à résidence les individus concernés. Le 19 novembre 1940, c'est le ministre de l'Intérieur Marcel Peyrouton, cette fois, étend une nouvelle fois les critères de cette coercition aux simples propagandistes "de tracs extrémistes" (Archives Nationales, FIA-3678). ss
Les héritiers de Louis Renault s'opposèrent à l'apposition de la plaque commémorative cité plus haut, tout comme ils réclamèrent que fut retirée de l'exposition permanente du Centre de la mémoire d'Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) une photo montrant l'industriel présentant à Hitler et Göring le modèle Juvaquatre au Salon de l'auto de Berlin de février 1939. La Justice ne se couvrit pas de gloire, le 13 juillet 2010, en condamnant le musée à verser 2000 euros aux plaignants, qui profitèrent de leur succès pour demander la réhabilitation de Louis Renault, une démarche qualifiée de "monstrueuse" par Michel Certano.
(Pour eux, Louis Renault était bien « un collabo » - Le Parisien)
Remontons maintenant en 1936, pour présenter "la garde rapprochée" de L. Renault : Le chef de ses aciéries (UPCMI), le baron Charles Petiet (1879-1958), trésorier de la CGPF (Confédération Générale du Patronat Français, ancêtre du MEDEF) est un des artisans de la manifestation fasciste du 6 février 1934, financier de La Cagoule, au nom du Comité des Forges (1864), qui protège les intérêts des grands industriels de la sidérurgie, et dont Charles de Wendel est le principal initiateur (Lacroix-Riz, 2006) ; René de Peyrecave de Lamarque (inculpé avec Louis Renault le 23 septembre 1944, internés à Fresnes), directeur de la SAUR (Société Anonyme des Usines Renault), cagoulard, lui aussi ; François Lehideux, le neveu de L. Renault, qui finance la Cagoule au nom de Renault, chargé en particulier de la lutte anticommuniste, et dont certains affirment qu'il aurait fait partie des dirigeants d'un groupe politico-économiquement puissant appelé la Synarchie.
Journal L'Humanité, 23 janvier 1938,
Combinaison cagoularde
Lors de la grève de novembre 1938, Lehideux supervise lui-même avec le préfet de police Roger Langeron la répression d'une violence extrême contre les grévistes de Renault-Billancourt, assisté du chef du personnel Henri Duvernoy, ancien officier de la guerre 14/18, aux sympathies avouées tantôt des Croix-de-Feu, tantôt du PPF de Jacques Doriot, qui contrôlait tout, entretenait une ambiance de terreur dans les ateliers, etc. Selon des témoins de l'époque, il aurait été "un honorable correspondant de la Sûreté" (Emmanuel Chadeau, Louis Renault, Plon, 1998), ce qui paraît une évidence à la lecture de son pedigree.
1863 ouvriers de Renault-Billancourt seront licenciés, tous militants politiques, 283 incarcérés (une vingtaine pendant toute la guerre) et renvoyés devant la chambre correctionnelle. Ils seront parmi les tout premiers à être arrêtés et placés dans des camps d'internement, en 1939, puis fusillés ou déportés par les Allemands. Pendant le procès de mars 1939, le défenseur des grévistes, Me Moro-Giafferi, s'appuyant sur les enquêtes de police, démontre le soutien de Renault aux cagoulards, et révèle en particulier un chèque qui leur a été fait de la maison Renault (Lacroix-Riz, "Renault et la collaboration", Colloque Renault..., op. cité).
Grève du 30 novembre 1938
Ouvriers de Renault au commissariat
"...une police qui donne de la matraque, qui insulte les ouvriers grévistes, qui leur tape sur la tête en criant :
« un coup pour Blum !
un coup pour Thorez !
un coup pour Jouhaux ! »
(...) Renault et tout son appareil sont en liaison quotidienne, je dis bien quotidienne, avec les autorités les plus élevées de la répression : François Lehideux bombarde de ses courriers le ministre de l’intérieur, le préfet de police, ainsi le 24 novembre, contre la grève [12], et le préfet de la Seine [13], à propos de tout et n’importe quoi."
"[12] Lettres « recommandée[s] » et signées de Lehideux au ministre de l’intérieur Albert Sarraut et au préfet de police Roger Langeron, co-organisateur de la répression, 24 novembre 1938, BA, 2136, Renault, APP.
[13] Sylvie Schweitzer, « Partis et syndicats aux usines Renault (1936-1939) », mémoire de maîtrise, université Paris 1, 1975, résumé et cité par La défaite du Front Populaire, Paris, Maspéro, 1977, p. 143-149; De Munich à Vichy, p. 95, et chapitre 3; Industriels et banquiers, p. 51-52."
Lacroix-Riz, "Renault et la collaboration", Colloque Renault..., op. cité.
Les héritiers de Louis Renault voudraient faire croire que Lehideux est seul responsable de la collaboration économique avec l'Allemagne, mais non seulement il n'a pas été débarqué de Renault, mais Vichy assura la promotion des alliés haut placés de L. Renault. Lehideux devient directeur du Comité d'Organisation de l’Industrie automobile (COA), et le resta jusqu'en août 1944, quand Petiet est nommé chef du comité d'organisation du cycle et président de la chambre consultative du COA. En dépit d'une prétendue brouille entre L. Renault et son neveu, ce dernier reste pendant toute la guerre administrateur de la SAUR, tout comme Peyrecave, qui administre d'autres sociétés comme Air France, et qui dès l'été 1940, est nommé à la Commission d'armistice (ou Commission de Wiesbaden, basée dans cette ville du sud de l'Allemagne) auprès du général Huntzinger, chargé des commandes allemandes à l'industrie française (Lacroix-Riz, 2011a). C'est donc de manière tout à fait cordiale que Karl Schippert, directeur général des usines Mercedes-Benz à Stuttgart, s'installe avec une équipe de techniciens dans les locaux de Renault, afin de "réorganiser l’industrie automobile en France en trois branches : 1° camions de transport : Renault-Saurer-Latil-Unic; 2° voitures de tourisme : Renault-Citroën-Peugeot; 3° voitures de luxe : Delage-DelahayeHispano-Suiza." (Archives Nationales, DGSN, sans n° (sn), 4 octobre 1940, F7 15307, propagande allemande, « communication de M. Mianney », in Lacroix-Riz, 2011a).
La correspondance entre les dirigeants français et les autorités allemandes montrent avec évidence l'acceptation de Louis Renault lui-même de réparer les chars de la Wehrmacht, qu'il signifia au général Tuckertot par lettre remise le 1er août 1940 (Lacroix-Riz, 2011a). Le patron de Renault ayant donné les pleins pouvoirs à Lehideux sur cette question, c'est un trio formé par lui, Petiet et Albert Grandjean, le directeur commercial de Renault, qui fit le point le 4 août avec les autorités allemandes (op. cité) à la tête desquelles se trouvaient Tuckertot et le ministre d'Etat wurtembourgeois Jonathan Schmidt, chef de la division administrative de la MBF, à l'hôtel Majestic, où était installé le commandement militaire du Reich en France, près de l'Etoile, à Paris (où d'autres palaces avaient été, dès l'été 1940, réquisitionnés par l'armée allemande : Le Crillon, le Meurice, ou encore le Lutetia). Tout cela ne se fit pas cependant sans problème, car il fallut réfléchir aux méthodes pour ne pas heurter de plein front les réticences prévues des cadres de Renault (ingénieurs, agents de maîtrise, etc.). Lehideux demanda donc aux Allemands avec insistance "que la direction des travaux de réparations soit assurée par les autorités allemandes" (Lacroix-Riz, 2011a).
En novembre 1940, Lehideux rencontre Adolf von Schell, le spécialiste allemand de l'automobile, et on voit que cet enchaînement de faits est parfaitement conforme à cette coopération européenne voulue par L.Renault avant la guerre, qui avait assuré à Hitler, en 1935, qu"une "guerre économique entre la France et l’Allemagne n’aurait d’avantages que pour l’Angleterre et l’Amérique." (Patrick Fridenson, "Première rencontre entre Louis Renault et Hitler", Renault-Histoire, juin 1999 : 13 ). Au final, c'est un cartel franco-germano-italien, consigné dans plusieurs rapports, qui fut formé, avec "Giuseppe Acutis, président de l’association nationale de l’industrie automobile (ANFIA) étroitement lié à Giovanni Agnelli" (Lacroix-Riz, 2011a). C'est donc bien un "rapport de collaboration" correspondant "aux temps présents" que présente Lehideux à la presse, et selon ses propres mots (Journal Aujourd'hui, du 24 décembre 1940), le même jour où Hitler débarque de son train blindé dans le Boulonnais, pour y passer Noël. Six sociétés mixtes, franco-allemandes naissent de cette "collaboration constructive": "France-Rayonne en mars 1941 pour fabriquer des fibres synthétiques ; en mai ce sont les Gazogènes Imbert puis les Carburants français pour gazogènes ; Francolor en novembre pour les matières colorantes ; suivent en 1942 France-Actualités et Radio Monte-Carlo." (La Collaboration 1940-1945, op. cité, ° 82 ).
Le 18 mai 1942, en visite à Berlin, Lehideux s'exprimant devant le maréchal de l’Air, Erhard Milch et le général Walter von Loeb, déclare : "La guerre contre le bolchevisme, c’est vraiment la guerre de l’Europe, la défense d’une civilisation commune à tous les peuples européens." (Lacroix-Riz, 2011a) : "Camions, tanks, moteurs d’avions, avions, bombes incendiaires, canons anti-chars, roulements à billes, fabriqués pour le front de l'Est, sans oublier les tracteurs, à usage militaire (pour transport de matériels et armements), etc. toutes les pièces possibles de l’armement allemand furent construites pour le Reich." (Lacroix-Riz, op. cité).
Ajoutons que Lehideux, comme d'autres dirigeants, contribuèrent avec zèle au recrutement allemand de main d'oeuvre forcée, participant même à sa propagande "bien avant le décret de février 1943 sur le STO" (Lacroix-Riz, 2011a).
La Cagoule : Derrière ce surnom se cache l'OSARN (Organisation Secrète pour l’Action Révolutionnaire Nationale), nom donné à l'organisation à ses membres (dont quelques uns auraient revêtu une cagoule), mais qui ne fut prononcé au grand jour qu'en 1937, pendant le procès du mouvement, qui avait été appelé CSAR (Comité secret d'Action Révolutionnaire) "suite à l'erreur d'un informateur de police" (Frédéric Charpier, Histoire secrète du patronat..., op. cité, "La Cagoule, l'école du pouvoir : 28). Mouvement anticommuniste, antirépublicain, antisémite, aux sympathies fascistes, qui pratiqua intensivement le terrorisme, l'OSARN a été fondée en 1935 par deux hommes passés par l'Action Française : Eugène Deloncle (1890-1944), polytechnicien, directeur de la Caisse hypothécaire maritime et fluviale, membre du comité technique du Bureau Veritas, et Jean Filiol (1909 - vers1975), d'origine modeste, l'organisation bénéficia du financement du chimiste et inventeur Eugène Schueller (Lacroix-Riz, 2006), père de Liliane, qui épousera André Bettencourt, qui évolue lui aussi dans la mouvance d'extrême-droite, comme François Miterrand.
(cf. https://devirisillustribusblog.wordpress.com/2016/09/11/vi-filiol-lenigme/)
Schueller fondera en 1909 la Société française des teintures inoffensives (pour les cheveux) qui deviendra L'Oréal en 1939, et rachètera l'entreprise Savons Français (appelée aussi Monsavon) en 1928, ou encore la société de peintures Valentine. La Cagoule pourra compter aussi sur Jacques Lemaigre-Debreuil (1894-1955), directeur des Huiles Lesieur, et d'autres encore : aucun de ces cols blancs ne sera inquiété par la justice lors du procès de la Cagoule (Frédéric Charpier, Histoire secrète du patronat..., op. cité, La Cagoule, l'école du pouvoir : 27-34).
Comité des Forges : Pierre Nicolle, idéologue, grande personnalité de La Cagoule, représentant d'une faction du Comité des Forges, raconte dans ses Mémoires (manuscrit de 1944) qu'il a été missionné par Petiet pour surveiller la banque Worms, suspecte de jouer un double jeu. De cette banque sortiront, nous l'avons vu, plusieurs ministres de Vichy.
La Synarchie : Les lecteurs et lectrices auront vu que les travaux de l'historienne Annie Lacroix-Riz ont été largement mis à contribution dans cet article. C'est que sur beaucoup de sujets de collaboration politico-économique de l'époque de l'occupation allemande de 1940-44, ses recherches ont contribué à enrichir le savoir historique. Cependant nous sommes obligés de reconnaître que l'ensemble de son exposé sur "la Synarchie", développé dans Le Choix de la défaite (Lacroix-Riz, 2006), n'est pas du tout aussi sérieusement documenté que le reste de son travail (y compris d'autres parties très utiles de ce livre). De la fondation initiale présumée de 1922 au rapport du chef de la sûreté de Vichy Henry (Henri) Chavin, de juin 1941, l'historienne accueille les documents disponibles de manière surprenante, sans jugement critique et entretient le mythe sans s'appuyer sur des éléments de preuve.
Le 8 janvier 1941, Marcel Déat, qui a participé à la création du PSF et du RNP (Rassemblement National Populaire, 1941), ardent éditorialiste qui conduira le quotidien L'Œuvre sur la voie de la collaboration et de l'antisémitisme, écrit dans son journal personnel : « Husson me remet un document curieux et époustouflant sur une sorte de société secrète polytechnicienne qui tend à la révolution synarchique par l'élite. Les promoteurs seraient en somme au pouvoir. » (Marcel Déat, Journal, janvier 1941, microfilm n°1, p.226. Archives nationales F 7 15 342.). Raoul Husson, statisticien et très féru d'ésotérisme, l'a peut-être écrit lui-même. Dans tous les cas, Déat communique ses informations au directeur de la Sûreté nationale de Vichy, Henry Chavin, à la fin juillet 1941. Dans son document figure le nom du polytechnicien influent Jean Coutrot, qui le 19 mai s'était écrasé au pied d'un immeuble et une note confidentielle de police fait un lien entre son supposé suicide et une prétendue conjuration secrète dénommée "Mouvement synarchique d'empire", créée en 1922. Chavin écrit alors un rapport confidentiel sur une prétendue société polytechnicienne qui comporterait une liste de 364 puissants "synarques" et l'historienne boit son récit comme du petit lait, alors qu'Olivier Dard (Dard, 1998) y a pointé beaucoup d'erreurs et d'amalgames.
Tout aussi peu étayées sont les pseudos révélations de l'article de Jean Mamy, dit Paul Riche, qui confirmerait l'existence de la Synarchie, paru dans L’Appel du 21 août 1941, hebdomadaire de la Ligue Française de Pierre Constantini, fondateur de la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme (LVF). Ancien dirigeant ("Vénérable Maître") d'une loge maçonnique, Mamy se retourne contre la maçonnerie et défend la Révolution nationale, la Collaboration, et l'antisémitisme, bien sûr, tous accusés d'appartenir à "la criminelle entreprise des synarques.", dénoncée ensuite par tous les journaux.
Coutrot : Il avait fait partie du Centre Polytechnicien d'études économiques (CPEE) plus connu sous son nom d'origine, "X-Crise", initié par les polytechniciens Gérard Bardet et son ami André Loizillon en 1931 (Dard, 1995). Le mouvement se caractérise par de nombreuses condamnations du libéralisme, manifeste ici et là des sympathies socialistes et corporatistes. Mais tous défendent le capitalisme, bien évidemment, dont bon nombre de membres seront d'importants rouages. X-Crise est surtout un mouvement qui s'ouvre à des idées non-conformistes en matière économique : diffusion des idées de John Maynard Keynes, de disciplines nouvelles comme l'économétrie, par exemple. Contre une libéralisation sans frein du marché, le groupe s'appuie sur la prospective, la prévision et partant, la planification, associées à "la rénovation des structures économiques et des relations sociales." (Dard, op. cité). C'est pourtant bien cette élite technocratique, même si elle n'a pas encore "le moindre soutien financier sérieux en particulier du monde patronal" (Dard, op. cité), qui façonne une partie des outils scientifiques propres à rendre efficient le futur néolibéralisme, développe l'utilisation des mathématiques en économie, comme l'ingénieur énergéticien Robert Gibrat, sous-secrétaire d’État puis ministre de l’Armement de Vichy, qui deviendra (entre autres) PDG de SOCIA [Société des Industries Atomiques] en 1960, ou le physicien (polytechnicien lui aussi) Jean Ullmo (La pensée scientifique moderne, Flammarion,1958).
En 2011, Lacroix-Riz continuait d'affirmer sans plus d'éléments probants que la Synarchie était un "club de grands banquiers et industriels qui avaient dès 1934 chargé Pétain et Laval d’abattre la République, et dont les délégués envahirent « l’État français » : ils occupèrent tous ses postes économiques" (Lacroix-Riz, 2011a). L'historienne fait pourtant partie des personnes les mieux placées pour savoir qu'il n'est nullement besoin de complots ésotériques pour démontrer l'association, le concours permanent des puissants entre eux, au détriment et au mépris des peuples, dans la recherche ou la satisfaction effrénées, avides et criminelles de pouvoir et d'intérêts financiers. Ainsi, l'infiltration du gouvernement de Vichy par les banquiers de Worms et d'autres dirigeants économiques, nous l'avons vu, est bien réelle. Il y a bien association, ententes, accords entre le milieux élitiste issu pour la plupart des grandes Ecoles aristocratiques, pour contrôler, autant que possible, le pouvoir : Lacroix-Riz a enrichi cette connaissance, mais elle clairement dépassé son cadre d'historienne en affirmant sans éléments probants l'existence de la synarchie.
La collaboration ne se limita pas aux zones occupées, mais dès l'automne 1940, des accords libres et privés furent conclus pour transférer des poids lourds de zone non occupée en zone occupée. D'autre part, Renault faisait partie d'une "galaxie automobile entièrement mobilisée au service de l’économie de guerre allemande" (Lacroix-Riz, 2011a). En janvier 1941, la MBF agréait les accords pris avec six firmes automobiles : Renault, bien sûr (Boulogne-Billancourt ; deux usines au Pont de Sèvres à Paris, qui construiront les fameux Messerschmitt et des tanks), mais aussi Citroën (propriété alors de Michelin, quai de Javel, à Paris), Peugeot (quai de Passy), Latil à Suresnes et Matford, à Asnières. A la frontière triplolitaine, on livra massivement aux Italiens et aux Allemands des camions en parfait état, des réservoirs d'essence, et même des vivres, notamment des légumes verts, ce qui provoqua "des sentiments d’indignation et de haine dans la population." (Télex de Tunis 655, 8 mai, et 922, 24 juin 1941, Vichy Tunisie, 30, archives du ministère des Affaires étrangères, MAE, in Lacroix-Riz, 2011a).
Malgré des archives toujours introuvables du comité d'organisation de l'aéronautique, de nombreux documents "permettent d’étudier la réalité de cette collaboration industrielle de très grande ampleur qui à elle seule aurait représenté plus de la moitié des ventes de produits industriels de la France de Vichy à l’Allemagne nazie." (D'Abzac-Epezy, 2016).
L' entreprise Caudron est un constructeur d'avions qui est rachetée par Renault en 1933. A l'été 1940, le président du conseil d'administration du groupe Caudron-Renault, René de Peyrecave de Lamarque, collaborateur et cagoulard, est "nommé à la commission d’armistice auprès du général Huntziger, - personnage-clé de la trahison militaire ‑ et affecté aux commandes allemandes à l’industrie française."
(Lacroix-Riz, 2011a ; cf aussi : " L’étonnante aventure de la Cagoule (1936 – 1937")
Peyrecave contribua très activement à la force armée allemande : "Au premier semestre 1944, les usines du « Groupe Caudron-Renault », que présidait Peyrecave, fabriquaient des roulements à billes pour Messerschmitt et des avions Messerschmitt stricto sensu, « travaillaient jour et nuit » et leurs ouvriers « 54 h par semaine »." (Lacroix-Riz, op. cité). Par ailleurs, toujours selon Lacroix-Riz, s'appuyant sur une solide documentation, des usines souterraines continuèrent d'être fabriquées et achevées alors que se repliait la Wehrmacht sur divers fronts, en Russie, en Afrique, et même après le débarquement des Alliés.
La société Gnome-et–Rhône, dans ses usines de Paris et autour de la capitale, fabriquent des moteurs d'avion. Les usines de Gnome & Rhône construisent des moteurs 14M au profit de la Luftwaffe, pour équiper l’avion d’assaut Henschel 129 B. C'est l'entreprise Peugeot, déplacée à Bordeaux le 18 décembre 1940, qui assure les parties arrières de ces moteurs (Bonin, 2020). Avec Renault, elle fera partie des entreprises, très peu nombreuses, à être nationalisées à la Libération pour avoir collaboré avec l'ennemi allemand. D'autres sociétés sont probablement concernées de près comme Martin Mullet, Bronsavia Somua, etc.
A cette liste de constructeurs, il faudrait sans doute ajouter Martin Mullet, Somua à Saint-Ouen, pour ses tanks, sans compter les fabricants de pièces mécaniques : Bronzavia, Air Equipement, Salmon, Isiflex, etc., entreprises sabotées autant que possible par la Résistance ou les bombardements anglais pendant l'Occupation, dont les réparations, après le 28 février 1942, incomberont au gouvernement français (papiers dits « de la malle Pétain, 3 W 217 ) . Dans cette catégorie industrielle, il faut citer un exemple plutôt rare. C'est celui de l'usine d'Hispano-Suiza à Soues (et non pas l'entreprise dans son ensemble comme on peut le lire un peu partout), près de Tarbes (Bigorre, Hautes-Pyrénées), qui, depuis 1943, "fabrique des culasses et des carters pour les moteurs Daimler de l’aviation allemande." (Jean-André Pommiès, Le Corps Franc Pommiès, Privat, 2014) . Sabotée une première fois en mars 1944 par le SOE (Spécial Opération Executive, Service britannique d'opérations de guérilla et de sabotage, initié par Churchill en juillet 1940), elle le sera une deuxième fois le 15 avril 1944 par un commando de résistants français composé de 20 membres du CFP (Corps Franc Pommiès), 10 du CFL (Comité Français de Libération) et un membre du FTFP (Francs Tireurs et Partisans Français, groupes de défense du parti communiste). Les Résistants bénéficièrent, cette fois, de la complicité du sous-directeur et de trois ingénieurs, qui ont indiqué aux saboteurs les points de vulnérabilité de l'usine. Les renseignements fournis étaient de si bonne qualité "que l’usine ne produira plus rien jusqu’à la Libération ! " (J-A Pommiès, op. cité).
papiers dits « de la malle Pétain : "Les papiers dits « de la malle Pétain » (2AG/616 à 618) furent trouvés à Moulins dans une malle ayant appartenu au maréchal. Cette malle, prise par les Forces françaises de l'Intérieure (F.F.I.) lors de l'évacuation de Vichy, échoua après diverses tribulations à la préfecture de Moulins. Après examen par la Haute Cour, certains furent remis immédiatement aux Archives nationales, tandis que d'autres n'y entrèrent qu'en juillet 1966.
.Le fonds est conservé à Pierrefitte-sur-Seine."
FRAN_POG_04 - Salle des inventaires virtuelle (culture.gouv.fr)
La collaboration économique est donc très loin de s'arrêter à Renault ou Michelin, ni même aux automobiles et les "listes successives" et "bien d'autres documents".. qu’adressèrent à Berlin les services économiques du Militärbefehlshaber in Frankreich" sont une "photographie immuable d’une France caverne d’Ali Baba du Reich." (Lacroix-Riz, 2011a). D'autres chercheurs en viennent, en substance, à la même conclusion : "La France finit par devenir une véritable vache à lait pour l’Allemagne, tandis que l’édifice corporatiste ne constitue plus guère qu’un système de répartition de la pénurie entre les entreprises et entre les Français." (Histoire économique de Vichy..., op. cité)
Ainsi, des domaines très variés ont concerné le sujet de cette collaboration franco-allemande. Examinons le vaste domaine des bâtiments et des travaux publics (BTP) : "Au-delà de la participation à l’édification des murs de l’Atlantique (Atlantikwall) et de la Méditerranée (Südwall) à l’Organisation Todt , les firmes françaises travaillent à la construction et à la rénovation d’aérodromes militaires et de pistes d’aviation pour la Luftwaffe, puis, à partir de 1943, à la construction des bases de lancement des V1 et V2 ainsi qu’à la réalisation de bases de sous-marins pour la Kriegsmarine." (Berthonnet, 2003). De 1940 au premier semestre 1943, les entreprises œuvrant sur tous ces chantiers continuent leur activité à peu près normalement, avec un chiffre d'affaires qui progresse même, en moyenne, assez nettement. Ce sont les petites et moyennes entreprises (PME) qui souffrent davantage, ont limité drastiquement leur activité, quand elles n'ont pas mis la clef sous la porte. "En revanche, des grosses firmes ont poursuivi leur développement, certaines avec détermination, même si, sur le terrain, les ouvriers et la maîtrise ont plus résisté que collaboré à l’effort économique du Reich." (Berthonnet, op. cité). Au sortir de la guerre, on ne sera pas étonné d'apprendre que les patrons et les ingénieurs des grosses sociétés seront très peu inquiétés par l'épuration économique, sauvés en particulier par leur importance économique dans le travail de reconstruction du pays : "Face aux entreprises « résistantes » qui n’ont pas ou peu travaillé durant ces années, les entreprises « collaborationnistes », avec leur matériel et leur main-d’œuvre, sont compétitives et se présentent sans complexe aux adjudications de la Reconstruction." (Berthonnet, op. cité).
L'exemple le plus emblématique est sans doute celui de l'entreprise de travaux publics Sainrapt & Brice, dont la collaboration était manifeste, n'a aucunement été inquiétée, se contentant de la démission de son patron, Pierre Brice. Ou encore, la SACER première firme en termes chiffre d'affaires en 1939 dans le domaine de la construction routière, et une des plus importantes, aussi, en terme de collaboration économique, dont plusieurs dirigeants se sont exilés à la Libération (pour revenir en France plus tard et réintégrer l'entreprise). La société "est passée étrangement à travers les mailles du filet de l’épuration." (Berthonnet, op. cité).
SACER : "Société anonyme pour la construction et l’entretien des routes, créée en 1920, par l’homme d’affaires du Dauphiné Gaëtan Brun, célèbre également pour les fameux biscuits « Brun »". (op. cité).
De manière récurrente, on le voit, la guerre, et même la justice en temps de paix, fait ressortir nettement les continuelles inégalités de classe. Ainsi, on constate le "niveau très inégal des sanctions rendues selon les catégories et les professions (les policiers, les artistes, les milieux littéraires font par exemple l’objet d’une épuration très sévère, contrairement aux magistrats, aux médecins, à certaines catégories d’entrepreneurs dans les secteurs les plus indispensables pour la reconstruction comme le BTP)" (Vergez-Chaignon, 2010). D'autres chercheurs vont dans le même sens, soulignant que, dans l'ensemble, l'épuration touchera davantage les petites entreprises que les grandes. Les procès-verbaux des procès ont tendance à montrer leurs agents de maîtrise, conducteurs de travaux ou encore chef de chantiers, transformés en "bouc émissaire facile, derrière lequel se cachent les gros patrons et certains ingénieurs, protégés par les témoins à décharge et bien défendus par leurs avocats." (Berthonnet, 2003).
La Société anonyme des chaux et ciments de Lafarge et du Teil (1919), à la tête de laquelle se trouve Henri Pavin de Lafarge (1889-1965) au moment de la guerre, est une très vieille entreprise, puisque la seigneurie Lafarge exploitait depuis 1749 les gisements de calcaire à chaux en Ardèche, près de Viviers. A la manière de Michelin, et d'autres comme de Wendel, qui l'ont précédée, la société connaît une gestion patriarcale et autoritaire, avec sa "cité blanche" où vivent les ouvriers, dans une autarcie et une discipline morale dont nous ne rappellerons pas les visées capitalistes recherchées par les propriétaires : cf. Le cas Michelin, plus haut. Comme chez Michelin, encore, les grèves de 1938 seront brisées et sanctionnées sévèrement. "Les délégués syndicaux et douze “meneurs” sont licenciés sur le champ, suivis bientôt de deux cents salariés. Les quelques réembauchés seront mutés d’office dans les carrières à casser des pierres, et l’arbre de Noël supprimé pour les enfants d’ouvriers."
("Lafarge, Mur de l'Atlantique et séquestre", in "Dossier Lafarge", Syndicat Unifié du Bâtiment, Confédération Nationale du Travail : SUB/ CNT, http://www.cnt-f.org/subrp/spip.php?article523).
En juin 1941, l'entreprise Lafarge manifeste clairement au travers de son conseil d'administration son ralliement à Pétain (op. cité) et participera à l'édification du mur de l'Atlantique (Atlantikwall), dont le ciment est bien sûr l'élément essentiel, et qui faisait partie d'un programme de construction colossal, du nord de la Norvège au sud de la France, à la frontière espagnole. Les entreprises du groupe seront placées sous séquestre le 27 septembre 1944, le temps d'une enquête : inutile de préciser que, comme presque toutes les grandes entreprises, Lafarge ne fut pas inquiétée par la justice, malgré une longue bataille judiciaire et finit par reprendre le cours normal de ses affaires, en mars 1947.
En 1933, déjà, Hitler créait la Reichsauto bahn, confiée à un de ses premiers compagnons, l'ingénieur Fritz Todt, pour construire des milliers de kilomètres d'autoroute, travail si brillamment mené que c'est naturellement à lui qu'il confie en 1938 le projet gigantesque d'un véritable rempart de béton sur le littoral atlantique, front occidental du Reich : "batteries d'artillerie à longue portée, abris pour sous-marins, aérodromes, stations radar et, à partir du printemps de 1942, les 15 000 bunkers du Mur de l'Atlantique." (Desquesnes, 1992). C'est ainsi que naît l'Organisation Todt (OT), une nouvelle institution à laquelle l'ingénieur favori d'Hitler donna son propre nom, au pouvoir exceptionnellement puissant, directement liée au führer. L'OT pouvait ainsi mobiliser les plus grandes entreprises de travaux publics et du bâtiment du Reich et des pays occupés à l'Ouest. Les entreprises multiplièrent alors les annonces dans les journaux et l'OT "obtenait du gouvernement français l'autorisation de déclencher, en zone occupée comme en zone libre, une vaste campagne de propagande invitant les Français à aller travailler sur les chantiers du littoral." (Desquesnes, op. cité). On attirait les travailleurs volontaires par des salaires élevés et des primes de toutes sortes (ou plutôt des promesses de primes). Par ailleurs, "Laval, chef du gouvernement, s'engageait à fermer plusieurs chantiers de travaux d'intérêt national ouverts, depuis la fin de l'année 1940, par le Commissariat à la lutte contre le chômage et à mettre sur le marché du travail, c'est-à-dire à la disposition des autorités d'occupation, la main-d'œuvre privée d'embauché et plongée dans le désarroi." (Desquesnes, op. cité). A la fin du mois d'août 1942, c'est au moins 100.000 travailleurs français qui travaillaient sur les chantiers de l'OT, et quasiment 200.000 au printemps 1943. Mais les exigences du projet réclamaient davantage de main d'oeuvre. Et c'est cette fois avec des pressions de l'occupant et d'âpres négociations, que le gouvernement de Vichy promulgua la loi du 4 septembre 1942, "relative à l'utilisation et à l'orientation de la main d'œuvre", autorisant de facto la réquisition de femmes et d'hommes dans la force de l'âge : ce sujet sera examiné ailleurs.
I.G Farben Le géant allemand de la chimie, premier mondial jusqu'en 1945, avait un conseil d'administration dont la quasi-totalité des membres, en 1937, étaient militants au parti nazi. On comptait dans le conseil d'IG Farben, jusqu'en 1945, l'homme qui deviendra le banquier le plus puissant de la RFA, Hermann Josef Abs (1901-1994). Bien entendu, cette collaboration d'IG Farben avec d'autres entreprises des pays occupés est loin de ne concerner que la France, citons : " Kuhlmann (France), l.C.I. (Royaume-Uni), Montecatini (Italie),Aussiger Verein (Tchécoslovaquie), Boruta (Pologne), Mitsui (Japon), et Du Pont, Dow et Standard Oil (Etats-Unis)." (Frédéric F. Clairmont, "I .G Farben et le IIIe Reich", Le Monde Diplomatique, décembre 1978).
Pire encore, IG Farben est l'entreprise qui produisait le tristement célèbre Zyklon B, ce dérivé de l’acide cyanhydrique (CHN), destiné en particulier à des usages pesticides (puces, vermines, etc.), que les SS (Schutzstaffel : litt. "escadron de protection") ont employé pour assassiner des millions de femmes et d'hommes, en majorité des Juifs, dans les chambres à gaz. Il est, par ailleurs, désormais démontré que le groupe Ugine, dans son usine de Villers Saint-Sépulcre, dans l'Oise, "a
Jusqu'aujourd'hui, le silence, la dissimulation générale des acteurs, la destruction de beaucoup d'archives n'ont pas permis de prouver la complicité des dirigeants des firmes concernées par l'usage du zyklon B dans les crimes contre l'humanité perpétrés par le régime nazi, mais l'ampleur de la collaboration entre les élites et l'Allemagne hitlérienne, l'avidité des grands capitalistes, peu soucieux des détresses sociales (et tout spécialement alors, de celle des juifs), ajoutés à l'antisémitisme largement répandu en Europe, peuvent entretenir logiquement de sérieux doutes à ce sujet.
Le cas belge,
Le 15 mai 1940, alors que la Belgique est sous le feu de l'Allemagne, les ministres des affaires étrangères et des finances belges, Paul-Henri Spaak et Camille Gutt, convoquent le gouverneur de la Société Générale de Belgique, Alexandre Galopin, le président de la Banque de Bruxelles, Max-Léo Gérard, et le président de la Kredietbank, Fernand Collin. Ce trio d'hommes puissants, qu'on a appelé le "comité Galopin", se verra alors, confier la charge économique du pays pendant la guerre. Il faut savoir que Galopin est à la tête de la Société générale depuis 1935, qui contrôle "la première force économique du pays qui contrôle alors 800 entreprises, soit 40 % du patrimoine industriel belge" (Jacquemin, 2004). On comprend mieux pourquoi le "chef de l’administration militaire allemande, lui-même, appelle Galopin « le roi non couronné de la Belgique »" (Jacquemin, op. cité). Contournant l'article 115 du Code pénal, qui interdit la production au bénéfice de l'ennemi, la "doctrine Galopin" ou "politique du moindre mal", est en théorie toute pragmatique, s'appliquant à éviter de produire des fournitures de guerre, à ne pas placer le profit en tête des préoccupations, à conserver les outils de production et les ouvriers "pour des temps meilleurs", etc. (Lacroix-Riz, 1997). Contre cette thèse de "réserve", la chercheuse rappelle la thèse de John Gillingham (Belgian Business in the Nazi New Order, Gand, Fondation Jan Dhondt, 1977), qui montre "l'empressement du monde industriel et bancaire belge à négocier et à faire de très fructueuses affaires avec l'occupant à peine installé" (Lacroix-Riz, op.cité). Le travail de l'historien américain pointe en particulier le lien étroit entre la monarchie de Léopold III et les holdings, tout en rappelant l'importance du pillage de richesses que la Belgique subira comme la France de la part de l'envahisseur germanique.
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