
Un État policier
( II )
Le Livre noir de
NAPOLÉON BONAPARTE [ 5 ]
La « rançon de la dictature »
Hell hounds rallying round the idol of France
« Les chiens de l'enfer se rassemblent
autour de l'idole de la France »
Caricature de Thomas Rowlandson (1757-1827)
publiée à Londres par Rudolph Ackermann
Gravure colorée à la main
8 avril 1815 26.8 x 37.4 cm
The Elisha Whittelsey Collection
Metropolitan Museum of Arts
59.533.1593
New-York, Etats-Unis
Des sortes de diables forment la ronde autour du buste de Napoléon, idole des français, qui émerge parmi les nombreuses victimes de ses guerres ou de sa police. Les personnages maléfiques sont les ministres de la Police, Fouché et Savary, les maréchaux "Davoust" (Davout); Ney, "Le Febre" (Lefebvre), et les généraux Vandamme et "Caulincourt" (Caulaincourt).
A gauche, à l'arrière-plan, des soldats brûlent des marchandises anglaises, illustrant les autodafés publics de 1810-1811, réclamés par le décret de Fontainebleau, du 19 octobre 1810, dans le cadre d'un renforcement du Blocus continental européen, décidé par décret le 21 novembre 1806.
Deux démons ailés s'apprêtent à poser une couronne sur la tête de Napoléon : "Il mérite une couronne de poix".
“ le machiavélisme incarné ? ”
La construction d'une police napoléonienne supérieure en monstruosité à celles qui l'ont précédée, à laquelle se sont livrés bon nombre d'auteurs à la Restauration, appartient plus à l'idéologie qu'à l'histoire. Talleyrand et Fouché n'avaient pas l'apanage du "vice appuyé sur le bras du crime", malgré la formule de Chateaubriand, dans ses Mémoires d'outre-tombe ; de même, Napoléon est loin d'être le premier souverain à avoir commis des actions sans pitié et lui-même et sa police ne sont pas plus "le machiavélisme incarné" que leurs prédécesseurs au pouvoir, comme Stendhal (1783-1842) et d'autres voudraient le faire croire (Stendhal, "Vie de Napoléon", écrite à Milan en 1817-1818 mais parue de manière posthume en 1876 ; citation de l'édition Le Livre du Divan, Paris, 1930, pp. 243, 259). Pour ne parler que du Directoire, Napoléon hérite "d’un arsenal associant justice de choc (la loi du 26 floréal an V punit de mort les violences exercées dans les maisons par des gens armés, celle du 29 nivôse an VI étend la compétence des conseils de guerre aux civils pour les vols commis à force ouverte sur les routes et dans les maisons) et réforme de fond de la gendarmerie (loi du 28 germinal an VI)" (Deluermoz et Lignereux, 2015).
Mémoires d'outre-tombe : ouvrage de François-René de Chateaubriand (1768-1848), entamé en 1809 sous le titre de Mémoires de ma vie, jusqu'en 1822, semble-t-il, pour le reprendre après la révolution de 1830 sous le titre que nous connaissons (BNF, Mémoires de ma vie). Terminé en 1841, le livre ne sera publié qu'à titre posthume, d'abord sous forme de feuilleton dans le quotidien La Presse, du 21 octobre 1848 au 3 juillet 1850, puis à Paris, chez Eugène et Victor Penaud frères, Editeurs, et Dion-Lambert, Libraire-Editeur, en 12 volumes, entre 1849 et 1850 ; citation du tome IV de l'édition Garnier, Paris, 1910, p. 57
Comme pour beaucoup d'autres institutions, là encore, Napoléon et ses hommes n'inventent rien. Que ce soit du côté du préventif ou du répressif, la police du Consulat et de l'Empire s'appuie en grande partie sur le corps de la police parisienne, qui s'est progressivement modernisé depuis le XVe siècle, avec le Châtelet, puis la Lieutenance de police, en 1667, mais développée plutôt au XVIIIe siècle comme une police moderne, notamment avec un "département de la Sûreté", dévolu à la prévention du vol, qui devient une entité bien distincte entre 1747 et 1755 (Le Quang, 2018). Toute une police "du secret et de l'invisibilité" se met alors en place, de plus en plus structurée et centralisée, dans le but avoué d'une surveillance "totale", dira Jean Charles Pierre Lenoir (1732-1807), le lieutenant général de la police de Paris (1774-1785), dans son plan de travail pour la sûreté de Paris, en 1778 (BNF département des manuscrits, Nouvelles acquisitions françaises, 3247, fol. 129-147, cité par Le Quang, 2018).
Les historiens de l'Ancien Régime estiment à 3000 le nombre d'espions et d'informateurs sous la magistrature de Nicolas-René Berryer, lieutenant général de police entre 1747 et 1757, et à un millier, sous celle de Lenoir, chiffres qu'il faut comparer aux "deux à trois cents mouchards de manière simultanée" estimés pour la période du Consulat et de l'Empire (Le Quang, 2018). Ces milliers d'« agents secrets » de l'Ancien Régime ne font pas véritablement partie d'une police politique (le terme de haute police est encore très peu employé), mais participent en général au maintien du "bon ordre" et de la tranquillité publique (op. cité). Leur action ressemble à celle qui est rapportée depuis au moins deux siècles, à savoir la lutte contre les délits toujours moralisés par les élites, mais qui découlent en réalité de l'état de pauvreté d'une grande partie de la population, le vol, en particulier : cf. Le grand renfermement des pauvres. On sait, par ailleurs , depuis longtemps, que les lettres de cachet, dans l'Ancien Régime, n'étaient pas autant d'affaires d'Etat, de mesures arbitraires contre des ennemis politiques, mais en très grande majorité des affaires de police courante et de famille : cf. Lettres de cachet.
Avant de parler des spécificités de la police napoléonienne, évoquons d'abord la part de son activité qui n'a guère changé dans le principe depuis plusieurs siècles. C'est ainsi qu'une très large frange de la population parisienne est classée et surveillée de près par des informateurs variés : "agents secrets", "espions", mouchards (on utilise aussi le terme de "mouches") policiers ou simples citoyens. Ces indicateurs réguliers ou occasionnels collaborent avec les forces de l'ordre, reçoivent, pour les plus modestes, une indemnité liée aux résultats variant entre 6 et 25 livres. Les mouchards chargés de missions plus sensibles ont des rémunérations fixes hebdomadaires (12 ou 24 livres), par exemple, pour arrêter des "évadés des fers" ou pour jouer le rôle de "mouton", comme faux prisonnier infiltré dans les prisons. Les informateurs des milieux aisés reçoivent quant à eux un salaire mensuel qui peut dépasser 1000 francs (Le Quang, 2022b).
Tout ce petit monde est encadré par des officiers de paix, un corps de police créé en septembre 1791, qui ont sous leurs ordres des inspecteurs de police ou assimilés (Hicks, 2009). Ces hommes et femmes du secret occupent des professions très variées : patrons de maisons de spectacles, de de jeux, ou de prostitution, par exemple, mais aussi "de nombreux métiers de bouche, limonadiers, boulangers, marchands de vin, aubergistes, ou traiteurs ; ainsi que d’autres artisans tenant également boutique dans le quartier (serruriers, perruquiers, tapissiers, etc.). La deuxième section, faite d’indicateurs occasionnels, regroupe des informateurs issus de couches sociales plus basses, travaillant dans la rue, ce qui leur permet une plus grande mobilité – utile notamment en cas de filature – et une écoute plus aisée des conversations dans les espaces publics. Les femmes y sont beaucoup plus nombreuses (11 femmes, soit 21,5 % des mouchards mentionnés dans cette section). Ces indicateurs sont souvent marchands à la toilette, marchands d’habits, ou encore brocanteurs." (Le Quang, 2022b). D'anciens malfrats offrent aussi leur service, car leur connaissance, leur appartenance aux populations ciblées par la police peuvent être un solide atout pour la police secrète. Le plus célèbre d'entre eux est sans doute François-Eugène Vidocq (1775-1848), qui sera placé à la tête d'une brigade de sûreté.
Ajoutons que la police n'hésite pas à se livrer au chantage devant les récalcitrants qui refusent de coopérer : "La police exige des propriétaires de cafés eux-mêmes qu’ils écoutent les conversations, et rapportent les propos séditieux, sous peine de faire fermer leur établissement." (op. cité).
Les salons de la haute-société sont aussi infiltrés par des mouchards, à particules, cette fois, cultivés et passant donc inaperçus dans un milieu auxquels ils appartiennent. Officiers et auxiliaires notent en observateur une foule de textes, qui vont du simple billet au compte rendu établi sur plusieurs pages, rapportant "faits, bruits et discours surpris dans les lieux publics où ils se postent régulièrement." (Malandain, 1995), tout cela compilé dans ce qu'on nomme les "gazetins de la police secrète", seize volumes de manuscrit appartenant au fonds "Archives de la Bastille", de la Bibliothèque de l'Arsenal.
On ne s'étonnera pas que c'est la population pauvre, aux professions "dangereuses", qui continue d'être le plus surveillée, contrôlée et dont un certain nombre de groupes subissent des mesures autoritaires et liberticides, les étrangers étant tenus d'être dûment inscrits chez les aubergistes, les logeurs, à l'hôtel ou dans les garnis, en particulier.
"Quelques uns d’entre-eux qui n’avaient pas de métiers avaient été classifiés. Tels étaient les forts des halles, les cochers de place etc... Ils étaient par là plus immédiatement sous l’inspection de la police; ils étaient enregistrés par la police, ainsi qu’ils le disaient eux-mêmes, qui leur assignait des places ... La police assignait aussi des places dans les divers quartiers de la ville et des fau bourgs aux portefaix, revendeurs, aux revendeuses, aux regratiers habitués à Paris. Les manouvriers ne pouvant être conduits par les mêmes mesures d’administration et de discipline propres aux ouvriers qui faisaient partie des corps et communautés, la police les avait ainsi séparés pour les mieux discipliner."
Mémoires de J-C-P Lenoir, médiathèque d'Orléans, Mss 1399.
Les ecclésiastiques, en particulier les prêtres, feront aussi l'objet d'une surveillance de la part de la police, mais en 1811, après les tensions dues à la naissance du roi de Rome, ce sont plutôt les moniales qui sont inquiétées : "À la fin de la période, Napoléon demande enfin à la Préfecture de police de dresser un état des couvents parisiens, afin de surveiller l’esprit des religieuses, leur attachement au pape, et mesurer l’influence de leurs idées dans l’éducation des filles." (Le Quang, 2022b). Là encore, c'est une personne appartenant au milieu religieux qui est sollicitée pour la mission de surveillance.
"Le classement et l’enregistrement des individus ont ici évidemment pour premier objectif de maintenir le bas-peuple dans la subordination, de surveiller et punir les mendiants.. Mais c’est aussi ce qui fonde les entreprises d’assistance de la police puisqu’elle doit à la fois prévenir les «murmures» de la populace mais aussi «ses besoins»" (Milliot, 2003).
On relativisera, enfin, les réflexions laissées par les différents patrons de police des Lumières, Lenoir d'abord, mais aussi son prédécesseur Gabriel de Sartine (1759-1774) ou encore le commissaire Jean-Baptiste Lemaire, composant dans le sillage du Traité de la police de Nicolas Delamare (N. de la Mare, 1639-1723), Commissaire au Châtelet, des Mémoires par trop apologétiques, accordant à leur institution un poids et des qualités d'amélioration sociale bien plus grands qu'elle n'en possédait véritablement. Ainsi, Lenoir, dans ses Mémoires (op; cité) fait du service public "«la plus élevée des fonctions des commissaires" et met en avant les missions utiles de la police, comme les ateliers de charité, qu'elle finance, ou "la constitution depuis Sartine d’un service de porte-fallots parmi les petits «savoyards» enregistrés, au motif que ce complément d’éclairage public permet de faire travailler et subsister des hommes et des enfants, en les tirant de la misère et de la corruption" (Milliot, 2003).
porte-fallots : (porte-falots), porteurs de falots : lanternes, de lampes, éclairages à base de suif et de poix, en particulier (cf. CNTRL)
petits « savoyards » : "Il est vrai que l’on prête alors beaucoup à la Savoie : vers le milieu du XIXe siècle, Jean-François Destigny, écrivait, dans un ouvrage relatif aux « étrangers de Paris », que l’on confond généralement à Paris, sous le nom de Savoyards, les Savoisiens, les Piémontais, les habitants des Alpes françaises et les Auvergnats ». D’ailleurs, cette étiquette était répandue depuis fort longtemps dans toute l’Europe, en particulier dans l’Empire germanique. L’adjectif « savoyard » désignait tous les pauvres migrants incultes, sales et grossiers, vivotant de métiers marginaux ; la confusion entre le duché de Savoie proprement dit et l’état ducal beaucoup plus vaste ajoute à l’ambiguïté du terme." (Gonin, 2016).
Force est de constater pourtant que la face répressive de la police continuait alors d'être, sans grande surprise, plus saillante que son volet mélioratif :
"Il n’est pas indifférent de constater que Lemaire appartient à ce petit groupe d’une dizaine de commissaires repérés pour s’être distingués dans le durcissement de la répression à l’encontre des mendiants au cours des années 1750-1784. Tous ceux-là, Ferrand, Chenu, Delaporte, Guyot, Vanglenne accèdent aux commandes de la compagnie entre 1764 et 1788. Si l’on compte avec eux, outre Chenon, le « commissaire de la Bastille », les commissaires Fontaine qui s’occupe des rapports avec la garde de Paris, Convers Des Ormeaux, qui a en charge les patrouilles de pédérastie, Belle qui semble s’être occupé de la police des logeurs et des chambres garnies, on s’aperçoit que ce sont les magistrats les plus impliqués dans des tâches de police active et administrative, de maintien de l’ordre, comprenant un volet répressif, qui contrôlent la compagnie avec la probable bénédiction de Sartine, puis de Lenoir qui valorisent ce type de tâches plus que les fonctions civiles et lucratives de l’office de commissaire." (Kaplan et Milliot, 2009).
“ Surveillez tout le monde, excepté moi”
La haute police
introduction
Au-delà de la police générale, l'idée d'une "haute police" de sûreté, prévenant des dangers contre l'Etat, se développe à la période révolutionnaire mais le terme est encore peu usité et flou jusqu'à la fin du Directoire (le mot n'entrera dans le dictionnaire de l'Académie française qu'en 1835), même si la police se centralise encore plus, avec la création d'un ministère de la Police générale, le 12 nivôse an IV / 2 janvier 1796 (Le Quang, 2018). Cette haute police ne fait pas l'objet d'un corps de police particulier mais constitue une mission de sûreté "spécialement chargée de la police d’État, c’est-à dire de la recherche de tous les complots et projets contre la constitution, le gouvernement et la personne des premiers magistrats, ainsi que de la poursuite des provocateurs, auteurs ou complices de ces manœuvres. Elle surveille les libraires, la fausse monnaie et faux quelconques intéressant le gouvernement, les réunions clandestines et les hommes marquants de tous partis et opinions, les étrangers. Elle a [...] la direction des agents secrets et agents d’exécution attachés au Ministère ; propose au Ministre les arrestations des individus prévenus de conspiration."
P-M Desmarest, "Quinze ans de haute police sous le Consulat et l’Empire", citation dans l'édition annotée par Léonce Grasilier et précédée d'une étude sur Desmarest et la Haute police, par Albert Savine, Paris, Garnier Frères, 1900.
Par ailleurs, le flou juridique qui entoure la haute police contredit l'ambition du Code pénal de 1791, puis celui de 1810, de donner un cadre rigoureux à toutes les matières pénales. Très peu nommée dans la loi, cette dernière ne définit pas précisément ses compétences et ses limites, ce qui permet de larges interprétations et ouvre la voie à toutes sortes de dérives autoritaires et coercitives de la part de la police. Ce n'est pas donc pas Napoléon qui inscrit tout un champ de la police dans un no mans land juridique, et le "décret en forme d'instruction pour la procédure criminelle" du 16 octobre 1791 est instructif à cet égard, qui affirme : "Les fonctions de police sont délicates. Si les principes en sont constants, leur application du moins est modifiée par mille circonstances qui échappent à la prévoyance des lois, et ces fonctions ont besoin, pour s'exercer, d'une sorte de latitude de confiance qui ne se peut reposer que sur des mandataires infiniment purs." (cité par Napoli, 2003 : 220). le ministre Fouché, dès l'an VIII, ira dans le même sens, expliquant sa conception de la police dans une lettre à Bonaparte : "la police, telle que je la conçois, doit être établie pour prévenir et empêcher les délits, pour contenir et arrêter ceux que les lois n’ont pas prévus." (Lettre de Fouché à Bonaparte, an VIII, collection privée d'Etienne Charavay, vente du 15 juin 1891). C'est ainsi que préfets, sous-préfets ou ministres de Napoléon "ne se fondèrent plus sur la loi ou sur des preuves légales mais sur une appréciation morale de ses actions passées et de sa réputation. Les qualificatifs famille de scélérats, terreur de son canton, fléau du pays ou encore fripon de honte, escroc de caractère sont fréquemment avancés par les autorités pour légitimer leur action. Dans ce contexte, les vagabonds, récidivistes, déserteurs et autres forçats libérés font l’objet de toute l’attention des autorités et représentent une part importante des détenus." (Berger, 2011).
Police politique avant tout, c'est une police du soupçon, chargée de protéger le pouvoir politique et de le renforcer... C'est sur la réputation, et non à partir de preuves tangibles, que s’établit la distinction policière entre bon sujet et suspect. Ce brouillage entre criminels et opposants politiques apparaît comme le fruit d’une entreprise policière délibérée. Il permet à la fois d’étendre le champ de la surveillance policière à la totalité de la société – c’est du moins ce que le ministère de la Police appelle de ses vœux – mais également de dépolitiser certains individus appartenant à la sphère de l’opposition politique, susceptibles de contester le régime." (Le Quang, 2020).
Etienne Charavay (1848-1899) a été à l'école des Chartes, et deviendra archiviste paléographe, marchand et collectionneur d'autographes à la suite de son père Jacques. Il sera consulté comme expert dans le procès Esterhazy (1898), dans le cadre de l'affaire Dreyfus.
voeux : Le projet panoptique de cette police, assez implacable à Paris, lieu de pouvoir, ne reflète cependant pas la réalité dans l'ensemble de la province, faute de moyens humains en particulier (op. cité)
Au fur et à mesure, vont se développer ainsi une multitude de mesures répressives : "(exil intérieur, déportation, emprisonnement, internement, etc.)", accompagnées de "production de statistiques émanant des ministères de la police générale et de la justice : états des individus faisant l’objet d’une mesure de surveillance (haute police, mise à la disposition du gouvernement, surveillance spéciale du gouvernement), états des réfractaires, des déserteurs, des amnistiés, des condamnés, etc.
(...)
"Les mesures de haute police représentent sans doute l’une des dispositions les plus emblématiques du régime napoléonien et plus particulièrement de son caractère policier. L’historiographie n’a pas manqué depuis 200 ans de souligner leur nature liberticide. Des milliers de citoyens furent placés en détention pour des durées indéterminées, sans jugement." (Berger, 2011).
“ ...victime d'un arbitraire atrôce ”
L'exil intérieur
Les mesures politiques de relégation ont une origine très ancienne, si on songe au bannissement dans la Grèce ancienne ou, plus tard, à la fin du moyen-âge et dans l'Ancien-Régime, où la peine devient très courante (cf. l'ordonnance criminelle d'août 1670, sous le règne de Louis XIV). A la Révolution, sont prises de nombreuses mesures de déportation lointaine (vers la Guyane, surtout), particulièrement terribles sous la Terreur. Mais c'est surtout le décret du 27 germinal an II (16 avril 1794) qu'il nous faut citer ici. Il éloigne les anciens nobles et les étrangers des pays en guerre avec la France des cités stratégiques du pays et sont placés en résidence surveillée : c'est presque en tout point ce à quoi s'applique la "surveillance spéciale" ou "exil intérieur" du Consulat et de l'Empire, qui relègue des individus considérés comme suspects par la police (souvent déjà condamnés), loin de leur domicile et de lieux stratégiques et soumis à résidence surveillée et à une obligation de se présenter régulièrement aux autorités locales (Le Quang, 2018). Cette mesure aurait concerné entre trois et quatre mille personnes entre 1799 et 1814, estimation rendue cependant difficile par la conservation inégale des archives départementales (Sibalis, 2001). Différents témoignages d'exilés intérieurs dénoncent une mesure qui les empêche d'assurer leur propre subsistance et les conduit à tomber dans l'indigence : "Le statut d’exilé empêche ainsi fréquemment ces individus de trouver du travail comme de bénéficier de gestes de charité, comme en témoigne le grand nombre d’individus qualifiés de « sans état » dans les tableaux statistiques conservés" (Le Quang, 2018).
“ Vainement pour trouver du travail je parcourus la ville de Bourges, celle de St Amand, celle de Vierzon, partout l’idée de ma surveillance éloignait la volonté de me recevoir. Enfin dénué de tout, sans espoir d’échapper à la faim, j’osai enfreindre mon ban et me déterminai à suivre en qualité de garçon un roulier qui se rendait à Bayonne”
Archives Nationales, AN O2 1434, dossier n° 320, lettre d'Honoré Fontaine à la Commission sénatoriale de la liberté individuelle, 1er août 1811 / cité par Le Quang, 2018.
“ Extraordinairement victime d’un arbitraire atrôce qui paralyse mes droits individuels ouvertement méprisés [...] Ma propriété et même la loi manifestement violées, ma personne comme celle de mon épouse, outrageusement opprimées. L’un et l’autre violemment arrachés de nos foyers, par récidive, et trainés en prison, ensuite, tels que des proscrits, expulsés despotiquement de la ville d’Anvers, sans avoir au préalable eû connoissance de cause ni d’arrétté légal, ou de jugement, y relatif”
AN O2 1431, dossier n° 584, lettre de Jean Smagghe à la Commission sénatoriale de la liberté individuelle, 29 décembre 1813. Les termes sont soulignés dans la source originale. / op. cité
“ Je considère, Messieurs, l’ordre verbal qui m’a été signifié [le renvoi de Paris] ou comme une lettre de cachet ou comme un ordre très arbitraire. Ou je suis coupable ou je suis innocent. Dans le premier cas il faut qu’on me fasse mon procès juridiquement et je suis prêt à paroitre devant mes juges. Ou je suis innocent, et dans ce cas on ne devoit pas me traiter comme un malfaiteur en me chassant de Paris et en m’en interdisant l’approche”
AN O2 1435, dossier n° 128, lettre de Coussaud (ou Coussaux) à la Commission sénatoriale de la liberté individuelle, 28 ventôse an XIII (19 mars 1805). / op. cité.
Cette relégation particulière, bien que pratiquée par la haute police, ne sera légalisée que par le Code pénal de 1810. Huit jours après le coup d'Etat de Brumaire, les Consuls établissent une liste d'une soixantaine de Jacobins qu'ils veulent déporter par-delà l'océan, mais se ravisent devant la réception hostile de la mesure et promulguent un décret le 4 frimaire an VIII (25 novembre 1799), qui transforme cette peine en exil intérieur. Pour cela, il suffit que les mouchards de la police aient consigné des propos "outrageans" ou "injurieux" contre l'Empereur lui-même ou son gouvernement, des critiques sur l'action de ce dernier, ou encore, la diffusion de mauvaises nouvelles, par exemple (Le Quang, 2018).
Les émigrés en feront particulièrement les frais. Le sénatus-consulte "relatif aux Émigrés", du 6 floréal an X (26 avril 1802), qui décrète leur amnistie prévoit dans le même temps de les soumettre à une surveillance spéciale de dix ans, assortie d'un possible éloignement de vingt lieues de leur domicile habituel, à l'exception d'un millier d'émigrés non radiés des listes, considérés comme dangereux par la police. Cet éloignement est aussi appliqué à des forçats libérés :
"Art 1 : Tout forçat libéré sera tenu de déclarer dans quel département et dans quelle commune il veut établir sa résidence. Il ne pourra l’établir ni dans une ville de guerre, ni à moins de trois myriamètres de la frontière. [...] Art 3 : Arrivé dans le département où il aura fixé sa résidence, il se présentera à la préfecture, y déclarera la commune où il veut aller résider, et sera mis, par le préfet, sous la surveillance de l’autorité locale" (Décret du 19 ventôse an XIII / 10 mars 1805).
"La surveillance spéciale apparaît donc utilisée, de facto et sans encadrement juridique aucun, comme une solution alternative à la déportation pour des individus encore jugés suspects, et ce, dès le Consulat, dans un contexte où la déportation décroît pour des raisons techniques – l’Angleterre maîtrise progressivement les mers." (Le Quang, 2018).
Le terrible attentat de la rue Saint-Nicaise, dit de la "machine infernale", du 3 nivôse an IX (24 décembre 1800), marquera ensuite les débuts d'un durcissement de la politique pénale de Napoléon, par le développement d'une police d'arbitraire et d'exception. Encore plus que la sûreté de l'Etat, celle du Premier Consul est la mission primordiale de la haute police. N'avait-il pas demandé à Pierre-Marie Desmarets, chef de la police secrète : "Surveillez tout le monde, excepté moi" (P-M Desmarets, "Témoignages historiques, ou Quinze ans de haute police sous Napoléon", Paris 1833, p. XXX). Rappelons que Desmarets restera à ce poste pendant toute la période où Napoléon Bonaparte a été au pouvoir, de 1799 à 1814. Le soir même, chacun allait de sa théorie à propos des auteurs de l'attentat, et Fouché "attribua le crime à l'or de l'Angleterre. On éleva des doutes sur cette opinion ; il répondit : C'est leur jeu de payer ici des hommes pour tuer le premier consul. Moi, j'en use bien ainsi pour les hommes dangereux de la Vendée. Quand j'y veux faire tuer un homme, je dis à mes gens : Voilà 200 ou 300 louis, apporte-moi telle tête. Pourquoi les Anglais ne feraient-ils pas de même ?" (Œuvres du Comte P. L. Roederer, Pair de France, Membre de l'Institut, etc. etc., etc., publiées par son fils le Baron A. M. Rœderer, ancien pair de France... Tome troisième, Paris, Typographie de Firmin Didot Frères... M DCCC LIV" (1854), p. 355). Sans aucune information sur quoi s'appuyer, Napoléon affirma : "Ceci n'est pas une carmagnole ; ceci n'est ni une conspiration de royalistes, ni une machination anglaise ; c'est un complot des terroristes." Roederer et le Comte Réal échangèrent à part leurs impressions : " « Le consul veut punir des masses ; je trouve cela détestable — Et moi aussi, répondis-je'" (op. cité). Deux jours après, Napoléon trahit une nouvelle fois sa mentalité despotique, lors d'un discours au Conseil d'Etat, qui glacera l'assistance, où il finit par déclarer :
" L'action du tribunal spécial serait trop lente, trop circonscrite. Il faut une vengeance plus éclatante pour un crime aussi atroce il faut qu'elle soit rapide comme la foudre ; il faut du sang ; il faut fusiller autant de coupables qu'il y a eu de victimes, quinze ou vingt, en déporter deux cents, et profiter de cette circonstance pour en purger la république. Cet attentat est l'ouvrage d'une bande de scélérats, de septembriseurs, qu'on retrouve dans tous les crimes de la révolution. ."
Napoléon B., discours au Conseil d'État, 5 nivôse an IX / 26 décembre 1800, cité par A. C. Thibaudeau dans ses "Mémoires sur le Consulat. 1799 à 1804. Par un ancien Conseiller d'État. Paris. Chez Ponthieu et Cie, Libraires...1827", p. 29).
« Ce jour-là, il accusa encore plus clairement la fraction la plus révolutionnaire d'être responsable de l'attentat : "ce sont des hommes qui remontent à Chaumette, à Hébert. Ils n'ont pas de chef ; ils sont trop aristocrates pour cela. C'est l'arrestation de Chevalier qui les a décidés à accélérer le crime (...) J'ai un dictionnaire des septembriseurs, de conspirateurs, de Babœuf et autres, qui ont figuré aux mauvaises époques de la révolution" ("Œuvres du Comte..." op. cité, p. 359).
"Ce discours changeait entièrement l'état de la question. Il ne s'agissait plus de juger d'après les lois existantes ou d'après une loi à faire, mais de déporter et de fusiller par mesure de salut public. Et qui ? non pas des coupables avérés, reconnus, mais à tout hasard des hommes de la révolution que l'on désignait, à tort ou à raison, comme des scélérats. Cette violence répugnait au conseil." ("Thibaudeau, op. cité, p. 31).
Chevalier : Alexandre-Joachim Chevalier, un chimiste, qui sera arrêté par la police le 8 novembre 1800, pour avoir fabriqué et testé une "machine infernale" le mois précédent, près du jardin des plantes à Paris. Il sera fusillé le 11 janvier 1801.
cf. Kronobase : Chronologie des attentats contre Bonaparte.
Moins de deux semaines plus tard, le sénatus-consulte n°440 du 5 janvier 1801 (15 nivôse an IX), était pour la première fois "relatif à des mesures de haute-police" (Bulletin des lois de la République Française, 3e série, Tome deuxième, n° 46 à 76, Paris, Germinal an IX, p. 196). Celui-ci ratifiait dans le même temps une liste de 133 noms de proscrits (op. cité, p. 199) : anciens jacobins et mais aussi beaucoup de babouvistes (cf. plus bas), innocents du crime de la rue Saint Nicaise, soumis à une "surveillance spéciale hors du territoire européen de la république" : "L’arrestation puis la déportation des jacobins, la création des tribunaux criminels spéciaux sont désormais bien connus et montrent comment Bonaparte utilise cet événement pour renforcer son pouvoir." (Salomé, 2010).
Un mois plus tard, en effet, le 7 février 1801 (18 pluviôse an IX), est promulguée la "loi relative à l'établissement des tribunaux spéciaux", qui devaient se composer de trois juges (sur huit) issus des rangs de l'armée, nommés par Napoléon, tout comme deux autres juges citoyens, en plus de trois magistrats des tribunaux criminels ordinaires. Le tribunal spécial évinçait les jurys populaires issus de la Révolution, mais aussi, elle "mettait en cause un principe cher aux Constituants : la séparation, en matière de justice criminelle, du pouvoir de juger les faits de celui d’appliquer les lois. Pour des tribuns tels que Chazal et Constant, une telle confusion rappelait l’Ancien Régime. Lors des débats législatifs, Chazal compara les tribunaux spéciaux aux cours prévôtales du XVIIIe siècle, tandis que Constant soutenait avec passion qu’ils risquaient de réveiller le spectre de la justice arbitraire, en accordant aux magistrats des pouvoirs exorbitants. Mais leurs arguments ne prévalurent pas dans les assemblées napoléoniennes. Les législateurs se rangèrent derrière l’avis du rapporteur du projet de loi, Duveyrier, qui préconisait des mesures fermes pour éradiquer « un poison domestique, une cause intérieure de destruction, une vaste conspiration de brigandage et de crimes […] »." (Robert, 2005 ; citation d'Honoré-Nicolas-Marie Duveyrier, 1753-1839, juriste, fait baron de l'Empire en 1810, dans un rapport du 29 nivôse an IX, Archives Nationales, archives départementales de la Mayenne AN AD III 53).
Le 23 floréal an X (13 mai 1802), sont créés d'autres tribunaux criminels spéciaux, spécialisés dans les faux en écriture, la fausse monnaie, ou encore les incendies volontaires, souvent punis de la peine capitale, comme le vol aggravé.
“ séquestré de la société ”
La détention arbitraire
Dans une lettre adressée aux Consuls, le 21 fructidor an X (8 septembre 1802), Fouché indique clairement son intention de sacrifier les libertés individuelles pour garantir la sûreté publique, qui ne pouvait que satisfaire la volonté de Bonaparte de tenir le pays d'une main très ferme :
"L’esprit qui a dicté le Sénatus consulte a bien senti que dans une République aussi vaste, après de si longs troubles, au milieu de tant de passions, de souvenirs, de nouveautés et de séductions étrangères, un délai de dix jours devait rarement suffire pour prendre une résolution sage et juste sur les personnes arrêtées ; [...] [respecter ce délai] c’était lutter vainement contre la nécessité et laisser aux infractions une éternelle excuse"
Dans la même lettre, Fouché ne manque pas de rappeler que le Sénat a appuyé cette volonté, pour la haute police, d'échapper au cadre légal, lors du sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802, article 55), en autorisant les détentions extrajudiciaires à se prolonger au-delà des dix jours règlementaires prévus par la Constitution de l'an VIII (article 46). Certes, il existe des disparités régionales en terme de jugements prononcés contre les accusés, mais au total, de "nombreuses personnes ont ainsi payé de leur vie la volonté de Napoléon de rétablir l’autorité répressive de l’État dans le Midi et l’Ouest du pays. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les registres de Rouen pour se rendre compte de certaines conséquences de sa justice d’exception. En thermidor an X (1802), un homme comparut pour avoir cambriolé une maison en Seine-Inférieure et emporté un gilet, une paire de bas, un mouchoir, une paire de souliers, et six livres de pain. Le tribunal spécial le fit exécuter. Il n’eut pas davantage de pitié pour un autre homme jugé la même année, et qui avait dérobé des vêtements, des draps, des mouchoirs, des boutons d’argent, une croix en or, et une douzaine de pièces d’or" (Robert, 2005).
"De fait, la police de Fouché ne s’embarrasse pas du respect de la loi lorsqu’un cas précis l’exige, en fonction du suspect considéré. Cela apparaît dans les archives à plusieurs reprises, notamment au fil des nombreuses lettres écrites par le ministre de la Police en réponse aux sollicitations de la Commission sénatoriale de la liberté individuelle, à qui des détenus écrivent pour protester contre leur détention sans jugement." (Le Quang, 2018).
Les multiples récidives sont pour la Haute Police des indices très aggravants de dangerosité, quand bien même la plupart des délits ne relèvent, en réalité, que la police ordinaire : fraudes, vols, vagabondage, par exemple. Ce qui n'empêche pas d'enfermer quiconque, au vu de ses antécédents, serait, selon les autorités, hautement susceptible de provoquer du désordre public, tout particulièrement à l'approche d'évènements importants pour la propagande du régime.
Pour calmer les oppositions, le pouvoir créera un organe que l'on peut qualifier de fantoche, la "Commission sénatoriale de la liberté individuelle", créée par la Constitution de l'an XII. Elle est censée prendre connaissance des détentions ayant dépassé le cadre des dix jours sans jugement (article 60), permettre aux personnes concernées ou à leurs proches d'y recourir par voie de pétition (article 61), inviter le ministre concerné à libérer le détenu ou à le renvoyer devant des tribunaux ordinaires (article 62), et, après trois invitations infructueuses en l'espace d'un mois, la Commission demande une assemblée du Sénat, qui doit prononcer "s'il y a lieu...de fortes présomptions que N. est détenu arbitrairement." (article 63).
Divers historiens ont, en effet, souligné ce caractère fantoche de la Commission, notamment Michel Vovelle et Michael Sibalis (Vovelle, 1985 ; Sibalis, 2002), "qui ont largement condamné l’échec de cette Commission (Le Quang, 2018/b). L'historienne abonde dans leur sens, montrant par des exemples le caractère discrétionnaire, arbitraire de la Commission, qui, en réalité, seconde et facilite le travail de la haute police : "En effet, cet organe adhère largement à l’idée que le respect de la loi doit s’effacer devant les intérêts supérieurs de l’État (...° Dans ce cadre, la Commission sénatoriale a un rôle majeur de façade, visant à rassurer les citoyens, sans réellement jouer son rôle de contre-pouvoir. " (op. cité). Mais, les pétitions des détenus (souvent aidés par des écrivains publics), elles, s'appuient de manière constante et appuyée sur la loi pour dénoncer leur arrestation arbitraire ou sans jugement, d'une durée parfois extrêmement longue (de plusieurs mois à ... dix ans !). Par ailleurs, un cinquième d'entre eux disent "ignorer jusqu'au motif de leur détention, parfois après des mois d'emprisonnement" (op. cité). En fait, bon nombre de prisonniers font partie des couches sociales les plus basses et semblent relever davantage de la basse police, la police ordinaire, et rappellent les personnes stigmatisées depuis le Moyen-âge, au comportement considéré comme dangereux ou déviant (op. cité). C'est un tout autre traitement qui est réservé aux royalistes par Fouché : "En témoignent les très nombreux Mémoires de nobles publiés sous la Restauration, louant la modération dont le ministre de la Police Générale a fait preuve à leur égard, qu’ils font contraster avec le despotisme de Napoléon. Germaine de Staël qualifie ainsi l’action de Fouché d’« une sorte de modération adroite dans un système sans bornes »" (Le Quang, 2018). Un certain nombre d'opposants royalistes, de nobles étrangers, connaissent ainsi un enfermement dans des maisons de santé, dans des conditions privilégiées, tout comme des individus placés par leur famille pour leur vie "immorale" : on reconnaîtra ici les anciennes pratiques autorisées par les lettres de cachet.
Dès la deuxième année à peine, après la création de la Commission, et jusqu'en 1814, le nombre des dossiers examinés par la Commission décroît de manière importante, en même temps que celui des individus libérés : "Excepté lors de ses premiers mois de vie, jamais la Commission ne parvient à faire libérer une majorité d’individus détenus par mesure de haute police." (op. cité). Le ministre de la Police ne fait aucun effort pour donner un semblant de légalité à ses décisions. La plupart du temps, il clôt les dossiers par une lettre d'ajournement et pour toute justification, il évoque de manière expéditive la "raison d'État" ou la "sûreté publique" (op. cité). Le pouvoir napoléonien ne s'intéresse jamais aux causes sociales qui aboutissent à des actes délictueux. Fouché considère les multirécidivistes comme perdus pour la société, totalement incapables de changer, et le pouvoir cherche à les retrancher le plus possible de la société :
“ Je pense que l’homme que les rigueurs de la justice ne peuvent déshabituer du crime doit être traité comme le coupable que la sévérité des lois ne peut atteindre. J’ai, en conséquence, ordonné que D’Abadie seroit détenu par mesure de haute police et je crois la tranquillité publique intéressée à l’exécution de cette mesure”
Archives Nationales, AN F7 7010, lettre de Fouché au président de la Commission sénatoriale de la liberté individuelle, 4 juin 1808 / Le Quang, 2018).
“ Cet individu est un de ces mauvais sujets, vagabonds sans ressources et voleurs d’habitude, que la justice frappe en vain et que la police ne saurait trop réprimer. Celui-ci a subi trois procès pour vol, a été détenu à différentes époques et n’a jamais recouvré la liberté que pour commettre de nouvelles fautes. Signalé enfin comme ne vivant que du produit de ses délits, j’ai cru que la sûreté générale exigeait qu’il fut séquestré de la société ”
AN 02 1436, , « Tableau des affaires sur lesquelles la Commission Sénatoriale de la liberté individuelle a demandé le 19 novembre 1808 des renseignements ou l’opinion de Son Excellence le Sénateur Ministre de la Police Générale », adressé par Fouché à la Commission sénatoriale de la liberté individuelle [non daté]. Voir le dossier complet d’Angrand en AN O2 1431, dossier n° 207 / op. cité
Tout cela n'empêche pas Napoléon de supprimer temporairement le ministère de la Police générale en septembre 1802, se méfiant à la fois de Fouché, tout en cherchant à imposer aux yeux de tous le retour à la paix intérieure qu'on lui doit, profitant aussi d'un moment de paix à l'extérieur des frontières : La mesure ne manque pas, cependant, d'être critiquée pour être une porte ouverte à l'arbitraire, mais on sait que son retour n'a aucunement empêché la haute police de continuer ses missions peu reluisantes. En effet, la guerre reprend contre l'Angleterre, en 1803, d'où viendra la conjuration de Cadoudal et de Pichegru, au début de 1804 (cf. partie 7), si bien que le ministère de la Police sera recréé en juillet 1804. Et déjà, au mois de mai, la Constitution de l'an XII ira jusqu'à officialiser une sorte d'arbitraire au titre XIII, intitulé "de la Haute Cour Impériale", affirmant à l'article 131 que "lorsqu'elle acquitte, elle peut mettre ceux qui sont absous, sous la surveillance ou à la disposition de la haute police de l'État, pour le temps qu'elle détermine." Créée pour juger "les crimes, attentats et complots contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, la personne de l’Empereur et celle de l’héritier présomptif de l’Empire' (article 101), la Haute Cour Impériale devient alors le tribunal extraordinaire de la haute police.
“ Alarmiste. Il annonçait que l'Empereur avait été fait prisonnier et que les Autrichiens arriveraient dans 15 jours. Arrêté dans le mois de juin 1809. Décision du 17 août qui maintient la détention jusqu'au 1er septembre”
Archives Nationales, AN F7 4260 / Le Quang, 2018.
“ Le 12 de ce mois, j’ai fait arrêter le nommé Pierre Pintrel, âgé de 29 ans, natif de Paris, garçon boucher, attaché au camp de Camier, près Etaples, armée des côtes du Nord, et qui m’avait été signalé comme ayant dit dans un cabaret des Halles, que sa Majesté l’Empereur, avait perdu la confiance de l’armée, que dans les derniers engagemens nous avions perdu 800 hommes ; que Sa Majesté aurait beau ordonner un embarquement, personne ne lui obeirait, et enfin comme ayant tenu beaucoup d’autres propos tendants à semer la défiance et la crainte sur les opérations de Boulogne ”
AN F7 7012, Lettre de Dubois à Fouché, 21 fructidor an XII / op. cité
Les codes 1808 et 1810
Si un certain nombre de mesures de haute police reçoivent un vernis de légalité dans le Code d'instruction criminelle de 1808 (promulgué en 1811) et dans le Code pénal de 1810, elles sont loin de recevoir alors un encadrement législatif clair, et encore moins de faire disparaître l'arbitraire et l'exception dans les pratiques de police, soit que la loi légalise ces mesures jusque-là extralégales, soit qu'elle n'a pas ou peu d'effet sur les décisions des diverses autorités concernées.
Ainsi, le Code de 1808 encadre la surveillance spéciale, qui discrimine les condamnés pauvres, puisque après avoir subi leurs peines, seuls ceux qui peuvent apporter une caution (dont le montant est à la charge de leur parents ou tuteurs) vont être dispensés de cette peine (article 44). " Les vagabonds ou gens sans aveu qui auront été légalement déclarés tels, seront, pour ce seul fait, punis de trois à six mois d’emprisonnement, et demeureront, après avoir subi leur peine, à la disposition du gouvernement pendant le temps qu’il déterminera, eu égard à leur conduite." (article 271). "Les vagabonds ou mendiants qui auront subi les peines portées par les articles précédents, demeureront, à la fin de ces peines, à la disposition du gouvernement." (article 282).
Alors que le Code pénal révolutionnaire de 1791 reflète la pensée des concepteurs d'une rédemption possible des condamnés, celui de 1810 trahit la mentalité inverse, davantage tournée vers la défense sociale et l'enfermement de sûreté. Le Code pénal de 1810, dont près de la moitié des articles (46,6 %) protègent des intérêts politiques, ne supprimera pas pour autant le flou de la surveillance spéciale :
"le Code reste totalement muet quant aux modalités d’application concrète d’une telle mesure : le choix du lieu de l’exil, les moyens financiers alloués, la manière dont cette résidence forcée doit être surveillée, ainsi que les autorités qui doivent encadrer cette pratique, ne sont pas précisés. Le Code pénal échoue donc largement à encadrer l’exil intérieur. Ce silence de la loi laisse par conséquent une très grande liberté d’action aux autorités en mesure de l’appliquer. Dans les faits, le ministère de la Police générale enfreint largement la loi, à la fois en utilisant la surveillance spéciale hors de tout contrôle judiciaire, et en envoyant en exil les individus qu’il considère comme suspects sans passage devant les tribunaux, et parfois, sans peine de prison préalable. La surveillance spéciale, dans ce cadre, n’est plus le simple prolongement d’une détention, mais s’y substitue, en court-circuitant totalement le rôle de la Justice – c’est notamment le cas pour des vagues de suspects exilés après les principales conspirations qui tentent de renverser le régime (comme celle de Cadoudal et Pichegru, en 1804, ou de Malet, en 1812)" (Le Quang, 2022).
“ la dictature était de toute nécessité ”
L'étude de tout ce système de contrôle et de répression conduira Howard Gordon Brown à qualifier l'Etat napoléonien d'État sécuritaire ("security state"), selon les mots de l'historien américain (Brown, 2006), qui justifie plus qu'il ne s'insurge de ce fait, qu'il impute comme Napoléon lui-même aux désordres, aux ennemis tant intérieurs qu'extérieurs, rendus aussi responsables des guerres qu'il a menées, quand bien même il est loin d'avoir mené seulement des guerres défensives.
"J'ai refermé le gouffre anarchique et débrouillé le chaos. J'ai dessouillé la révolution, ennobli les peuples et raffermi les rois. J'ai excité toutes les émulations, récompensé tous les mérites, et reculé les limites de la gloire ! Tout cela est bien quelque chose ! Et puis sur quoi pourrait-on m'attaquer, qu'un historien ne puisse me défendre ? Serait-ce mes intentions? mais il est en fonds pour m'absoudre. Mon despotisme ? mais il démontrera que la dictature était de toute nécessité. Dira-t-on que j'ai gêné la liberté ? mais il prouvera que la licence, l'anarchie, les grands désordres, étaient encore au seuil de la porte. M'accusera-t-on d'avoir trop aimé la guerre ? mais il montrera que j'ai toujours été attaqué ; d'avoir voulu la monarchie universelle ? mais il fera voir qu'elle ne fut que l'œuvre fortuite des circonstances, que ce furent nos ennemis eux-mêmes qui m'y conduisirent pas à pas. Enfin sera-ce mon ambition ? Ah ! sans doute, il m'en trouvera, et beaucoup, mais de la plus grande et de la plus haute qui fût peut-être jamais ! celle d'établir, de consacrer enfin l'empire de la raison et le plein exercice, l'entière jouissance de toutes les facultés humaines ! Et ici l'historien peut-être se trouvera réduit à devoir regretter qu'une telle ambition n'ait pas été accomplie, satisfaite ! » Et après quelques secondes de silence et de réflexion ; « Mon cher, a dit l'Empereur, en bien peu de mots, voilà pourtant toute mon histoire."
"Las Cases, "Memorial de Sainte-Hélène, ou Journal où se trouve consigné, jour par jour, ce qu'a dit et fait Napoléon durant dix-huit mois", 9 volumes, Imprimerie Lebègue, 1823 ; cité dans l'édition d'Ernest Bourdin : "Mémorial de Sainte-Hélène, par le Cte de Las Cases : suivi de Napoléon dans l'exil par MM O'Méara et Antomarchi, et de l'Historique de la translation des restes mortels de l'Empereur Napoléon aux Invalides", Tome premier, Paris, 1842, p. 534
D'autres historiens vont plus loin et tout ce qui a que toute cette police et cette justice d'exception appartenaient à "un projet plus vaste qui entend assurer un cours normal et sans heurts des choses. La terreur d’État à l’œuvre de 1800 à 1802 pour briser le brigandage est occultée : cette violence fondatrice qui établit manu militari le nouvel ordre de légitimité est transfigurée sous les traits rassurants de la gendarmerie" (Deluermoz et Lignereux, 2015). Un des plus critiques est sans doute Jacques Godechot (1907-1989), qui se demandait si le Premier Empire français n'était pas "le précurseur des États policiers modernes" (J. Godechot, "Institutions de la France sous la Révolution et l’Empire", Paris, Presses Universitaires, 1951), et pour qui la haute police était la "rançon de la dictature" (op. cité), des points de vue partagés plus près de nous par l'historien canadien Michael Sibalis, dans différentes études.
“ tout mendiant sera arrêté ”
Le 1er septembre 1807, l'empereur Napoléon Ier écrivait à son nouveau ministre de l'intérieur Emmanuel Crétet (1747-1809), pour qu'il prenne des dispositions contre les mendiants : "Les choses devraient être établies de manière qu’on pût dire : tout mendiant sera arrêté. Mais l’arrêter pour le mettre en prison serait barbare ou absurde. Il ne faut l’arrêter que pour lui apprendre à gagner sa vie par son travail. Il faut donc une ou plusieurs maisons ou ateliers de charité". Rien de tout à fait nouveau, nous l'avons vu, puisque, depuis longtemps, les élites de France et d'Angleterre, en particulier, n'avaient de cesse de moraliser et de criminaliser les chômeurs réduits à la mendicité, les vieillards, les veuves, les orphelins, les invalides, handicapés physiques et mentaux, etc. tous les gens que les malheurs sociaux forçaient à l'errance, qui n'avaient pas de statut bien défini dans la société.
Le décret du 5 juillet 1808 ordonne l'arrestation des mendiants vagabonds et le ministre met en place des dépôts de mendicité (un par département), là encore, déjà connus sous l'Ancien Régime (cf. Le grand renferment des pauvres ; La prison dans l'Ancien Régime). Guy Thuiller a montré, par l'exemple, comment le dépôt de mendicité de la Nièvre n'avait pu juguler la pauvreté dans le département (cf. G. Thuillier, "Préfets et mendiants, le dépôt de mendicité de la Nièvre (1808-1820)", Paris, Comité d'histoire de la Sécurité sociale, 2002). Le même auteur rappelle que l'empereur voulait construire trois dépôts par mois, mais qu'en 1814, "37 dépôts seulement fonctionnaient, et l'on critiquait vivement leur inefficacité, leur coût, leurs désordres : la Restauration les fit disparaître sans bruit." (G. Thuillier, "Le désordre de l'administration napoléonienne : l'échec des dépôts de mendicité (1808-1815)", article de La Revue administrative, 55e Année, N° 325, janvier-février 2002, pp. 30-36). Napoléon n'était pas seul en cause, affirme l'historien, qui souligne le zèle jacobiniste des préfets, des ingénieurs des Ponts et Chaussées, à tout contrôler, tout centraliser, mais aussi que "l'administration napoléonienne était souvent fort corrompue" (op. cité).
"Cette situation ... se retrouve dans l'ensemble de la France. Le problème était d'autant plus grave que cette chute d'efficacité du système de l'assistance coïncidait avec l'aggravation de la situation économique et sociale. Le nombre des mendiants était plus grand qu'avant la Révolution. En 1802, le maire se plaignait que les rues de Toulouse étaient infestées de mendiants d'allure prospère mais les lois ne permettaient pas leur arrestation. Un an plus tard il écrivait au ministère de l'Intérieur que les hôpitaux étaient menacés d'une ruine totale, les donations et le produit de l'octroi ne suffisant plus aux besoins.
(...)
Dans l'esprit de Napoléon, le dépôt devait être « une institution totale », coupée du reste du monde de manière à modeler la médiocre moralité des pensionnaires. L'administration locale, prétextant l'insuffisante information des bureaucrates parisiens, se montra fort hostile à la nouvelle conception. Dans la session de la Commission administrative des hospices civils et maisons de charité réunies de Toulouse, soutenue par les députés locaux, elle refusa, dans un long rapport, de tranformer un asile en « un lieu d'infamie ». Le rapport faisait preuve de cette sensibilité typique du XVIIe siècle vis-à-vis des différents types de la pauvreté. La Commission voulait défendre les droits de 135 enfants au-dessous de 16 ans, 270 vieillards, et des fous, des épileptiques, des apoplectiques, des paralysés, des rhumatisés, des ulcérés, des cancérés, des scrophuleux, des faibles d'esprit, des soldats à la retraite, et autres pensionnaires de l'hôpital." (Higgs, 1974).
L'auteur rejoint par ailleurs, dans ses conclusions, feu le grand historien de Toulouse, Jean Rives (1937-2021), en affirmant que "la période révolutionnaire et impériale a apporté peu de changements au réseau de pauvreté du XVIIIe siècle" (op. cité).
Le Code pénal de 1810 consacrera ensuite pas moins de quatorze articles au vagabondage et à la mendicité (articles 269-282 du Code Pénal de 1810). C'est que ce ne sont pas seulement les vagabonds (ou "gens sans aveu", article 270) proprement dits qui préoccupent les bourgeois, mais les composantes plus ou moins nomades de la société et potentiellement dangereuses aux yeux du pouvoir : marchands ambulants, artistes de rues, prostituées, qu'il s'agit de surveiller et de contrôler. Le vagabondage et la mendicité deviennent des délits (articles 269 ; 274-275).
“ les contestations sont multiples ”
introduction
On a trop longtemps cru à une adhésion massive du peuple au régime napoléonien, à un attachement sans bornes au général corse. Sans doute qu'on avait l'œil trop rivé sur les élites, dont une grande partie a tiré un bien meilleur profit de cette période que le monde ouvrier, nous le verrons, et a soutenu le monarque beaucoup plus par intérêt que par conviction ; sans doute aussi que la propagande massive, le muselage forcené des opinions, l'enrégimentement des esprits ont beaucoup occulté les oppositions, les résistances à ce rouleau-compresseur idéologique, qui a forcé les voix dissidentes au silence et au secret. Heureusement, de rares historiens, tels Natalie Petiteau ou Jean-Paul Bertaud, ont réussi, à force de recherches, à écorner le mythe, en montrant à la fois la grande diversité et la vivacité des oppositions à Napoléon, mais aussi, l'importance de ce mouvement réfractaire au modèle de société qu'il a imposé par la puissance de son pouvoir.
Il n'est pas question de nier qu'un grand nombre de gens, ayant assisté à la mise au pas de la chouannerie, à la pacification religieuse du Concordat, aux paix (néanmoins très coûteuses) avec l'Autriche ou l'Angleterre, aient fini d'accorder une large popularité à Bonaparte. Mais il n'est pas question non plus de taire les nombreuses voix dissidentes qui aspiraient à une autre société, à commencer par ceux qui se sont prononcés contre le plébiscite sur la constitution de l'an VIII, truqué rappelons-le, pour gonfler artificiellement l'adhésion de la population. Si l'opposition jacobine a été bien étudiée, on connaît moins la contestation des maires qui prenaient la défense de leurs administrés, des villageois soucieux de protéger leurs biens communaux, des contribuables révoltés par le retour aux impôts indirects, source d'inéquité fiscale : "Notables récalcitrants, sous-préfets négligents, magistrats municipaux rétifs et curés réfractaires à la dévotion napoléonienne ou instituteurs opposés au gouvernement, ils semblent nombreux à miner le régime de l’intérieur, à contester l’ordre administratif et social et à multiplier les actes séditieux et inciviques." (Petiteau, 2008 : cf. Triolaire, 2009).
"l'exemple vauclusien illustre comment l'ordre théoriquement établi peut être contesté, souvent de façon diffuse et peu retentissante, dans des communes où les disfonctionnements administratifs résultent par ailleurs des incompétences ou des réticences des fonctionnaires locaux. De même, dans le département de la Manche, on observe que sur les 28 maires mis en accusation sous l'Empire, 18 le sont pour avoir soutenu des déserteurs et avoir ainsi, précisément, manifesté une indéniable réticence à l'égard du régime et une nette préférence de la cause de leurs administrés." (Petiteau, 2003). Natalie Petiteau date l'effritement du large consensus autour de Napoléon vers 1807, dont les causes principales sont les malheurs de la guerre et les difficultés croissantes de beaucoup de gens pour travailler et assurer leur subsistance (Petiteau, 2008, cf. Triolaire, 2009).
Puis vient la guerre d'Espagne, en 1808, et son ambition de pouvoir démesurée pour lui et sa famille. Le monde des affaires est empêché par le blocus anglais, et l'année d'après, le conflit avec le pape Pie VII dégrade les relations entre le pouvoir impérial et le clergé (déjà remonté contre le catéchisme impérial: cf. partie 11) , et par voie de conséquence, de l'ensemble des fidèles catholiques. La mauvaise récolte de 1811 conduit à une crise des subsistances dans différents départements (Isère, Calvados, etc.), qui conduisent à des mouvements sociaux contre la cherté du pain, la difficulté de travailler et de se nourrir. Des émeutes de colère sont parfois sévèrement réprimées, comme à Caen en 1812, et les deux années qui suivent connaissent de grandes défaites militaires et une aggravation de la conscription, qui suscite inquiétude et colère dans la population (Petiteau, 2008, cf. Lévêque, 2009).
"Celui qui la récupère le mieux à son profit, c’est Napoléon. Aux premiers troubles de mars 1812, il montre sa force et sa détermination à punir les perturbateurs, mais quelque temps plus tard il publie les décrets de mai : l’un interdit les opérations de vente hors marché, dans le secret des granges ou des auberges (indissociables des spéculations des gros fermiers et des marchands, et préjudiciables au public, à la vue duquel toutes les ressources disponibles doivent être mises), l’autre crée carrément un Maximum départemental, un prix plafond reprenant le vocable associé à la crise de l’an II et à la Terreur." (Bourguignat, 2006).
La parenthèse des Cent jours, qui voit la Restauration des Bourbons n'apportera que des déceptions, que ce soit au niveau social, militaire, ou sur bien d'autres plans, et provoquera un nouveau ralliement d'une partie du pays à Napoléon, très fragile cependant, puisqu'il conduira rapidement à sa seconde abdication (Petiteau, 2008, cf. Triolaire, 2009).
“ Nous demandons à notre bon empereur la diminution du pain à 3 sols la livre, de l'ouvrage pour les pauvres qui meurent de faim et de froid, vu la cherté de tout ”
Placard trouvé à Fontainebleau le 16 janvier 1813, Archives Nationales (AN, AF IV 1525), rapport du 3 février 1813 / cité par Petiteau, 2006
L'opposition républicaine
Pour évoquer les républicains qui manifestent diversement leur opposition au régime, les rapports de police reprennent le vocabulaire qui désignait les opposants les plus radicaux pendant la Révolution : Ce sont des "exclusifs", des "exagérés", ou encore des "enragés" ou des "anarchistes" (Petiteau, 2006). Au début du Consulat, les différentes assemblées bruissent des discrètes oppositions en leur sein, mais la plupart des opposants choisissent de s'exprimer dans des réunions secrètes, pour leur sécurité. L'espoir est encore là de pouvoir renverser le gouvernement, en obtenant gain de cause par des séances extraordinaire des assemblées, ou même par la formation d'un parti autour du général Lafayette. Contrairement au vocabulaire évoqué de la police, on voit donc de suite que cette opposition (du moins, celle de droite) est très loin de représenter le visage le plus contestataire de la Révolution. Qu'on songe seulement à Lazare Carnot (cf. partie précédente), le seul à ne pas avoir voté pour le Consulat à vie de Napoléon, un des rares opposants à refuser de proclamer Napoléon empereur : cela ne l'empêchera pas de lui offrir ses services en 1814, de recevoir promotion sur promotion et finalement, d'accepter de devenir compte d'Empire l'année suivante.
En février 1801, l'élite républicaine se réunit dans des dîners donnés par l'avocat et tribun Jacques-Charles Bailleul (1762-1843), qui a aussi été député au Conseil des Cinq-Cents. On y trouve des gens bien connus comme Daunou, Benjamin Constant, Chénier, mais aussi un certain Arnold Barthélémy Beerembroeck (1751-1824), député du département des Deux-Nèthes (fondé en 1795 en Belgique actuelle), qui sera exclus du Corps législatif en raison de la virulence de son opposition. Déjà, à l'automne 1801, des rapports de police soulignent que "plusieurs tribuns craignant d'être arrêtés ne couchent plus chez eux" (Archives Nationales, AN, F7 3830, rapport du 25 frimaire an X (16 décembre 1801), cité par Petiteau, 2006).
"Si fidélités républicaines il y a eu sous l'Empire, il ne faut pas oublier que cela s'est fait dans le cadre d'un régime policier recourant aux « mesures de haute police » pour enfermer des opposants sans jugement. Si bien que l'on peut supposer que bien des républicains anonymes ont fini par taire leur fidélité." (op. cité)
D'autres réunions secrètes ont lieu chez des acteurs moins connus, mais qui avaient dirigé néanmoins divers comités et tribunaux révolutionnaires ou diverses administrations et certains seront placés en résidence surveillée, loin de Paris. En 1802, les mouchards rapportent les propos "séditieux" des "exclusifs", qui accusent les riches de voler le trésor public, dénoncent les inégalités sociales, affirment "que la misère était extrême dans les départements, qu'elle le deviendrait bientôt aussi à Paris et qu'il fallait s'attendre cet hiver à de grands malheurs. À tous ces propos, ils joignent ordinairement les plus grossières plaisanteries contre l'ordre actuel des choses." (op. cité). Ils tentent de susciter la colère chez les ouvriers des faubourgs, mêlant des informations vraies ou fausses, comme de nouveaux impôts indirects à venir sur le beurre, les œufs ou d'autres produits de première nécessité. En 1806, les républicains répandent d'ailleurs dans le Pas-de-Calais deux mémoires sur les impôts indirects (Petiteau, 2006).
L'opposition babouviste
Après 1804, le mouvement républicain reçoit la proclamation de l'Empire comme un coup de massue. Un certain nombre d'entre eux abandonne le combat politique proprement dit, mais d'autres continuent la lutte à leur manière. A l'instar des meneurs de l'opposition libérale, les militants politiques plus égalitaires sont souvent des révolutionnaires de la première heure.
Préoccupé par le bonheur social, Jacques-Rigomer Bazin (1769-1818), fils et petit-fils d'épiciers du Mans, regroupe autour de lui, vers 1793-1794, des ouvriers et des artisans. Partageant alors beaucoup d'idées avec Babeuf, il dénoncera l'iniquité du procès de Vendôme et fera de Babeuf et de Darthé des "martyrs de la Liberté", dans la Chronique de la Sarthe, où il est rédacteur. Dès 1796/97, ses idées sont celles des jacobins ralliés au babouvisme et en 1799, à Paris, il participe aux réunions républicaines du Club du "Manège", devient très proche des Babouvistes comme Antonelle ou Sylvain Maréchal et anime un journal, Le Démocrate ou le Défenseur des Principes, avec un autre journaliste, René-François Bescher (1763-1837), dont le père est un marchand-teinturier assez aisé. Très éphémère, le journal profite de l'abrogation législative de la censure dictatoriale, le 16 thermidor an VII (3 août 1799), avant d'être interdit de parution un mois plus tard, le 17 fructidor suivant (3 septembre), le Club du Manège ayant été fermé entre temps par le Directeur Sieyès :
"Pour faire fermer le club du Manège, le 26 thermidor, "la taupe de la révolution" comme disait Robespierre, "le prêtre Sieyès", comme disent les démocrates de l’an VII n’a pas attendu la fin de la discussion parlementaire sur la question à l’ordre du jour des Cinq-Cents depuis le 19 prairial, concernant le libre exercice des droits du peuple. Bien secondé par les révisionnistes du conseil des Anciens, récompensés sous le Consulat et l’Empire, qui utilisent tous les moyens procéduriers pour refuser l’entrée du droit de réunion politique dans le droit positif, Sieyès resurgit sur la scène politique pour clore la révolution. C’est pourquoi il est la cible privilégiée du Démocrate." (Peyrard, 1988 ; cf. aussi Révolution Française, 5)
Maréchal : Contrairement à ce très misogyne babouviste, Bazin défendra les droits des femmes dans ses Lettres Philosophiques, affirmant lire dans la nature, "l'éternelle déclaration des droits de la femme", réclamant pour elle la liberté de se perfectionner dans tous les arts, ou, comme Condorcet une éducation égale à celle des hommes (Lettres philosophiques n°24 et 25 dans Fayolle, 2022)
Au même moment, d'autres revues défendaient les mêmes droits, dont les femmes étaient en majorité les rédactrices, comme l'Athénée des dames, fondée en 1808 par Sophie de Renneville (1772-1822), où écrivaient Anne-Marie de Montgeroult (comtesse Beaufort d'Hautpoul, 1763-1837) ou Constance de Salm (cf. partie 2), par exemple. Moins connu, Le Petit Magasin des dames, fondé par un libraire parisien, Pierre Louis Solvet, a paru de 1803 à 1810 où, là encore on trouve principalement des rédactrices, comme Marie-Emile Mayon, dite Madame de
Montanclos (1736-1812), ou Fortunée Briquet, 1782-1815 (Fayolle, 2022), connue pour son Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises et des étrangères naturalisées en France, publié en 1804.
éphémère : Tout comme le Journal des hommes libres de tous les pays, fondé en novembre 1792 (Le Républicain, journal des hommes...), interdit en 1798, réapparu en juin 1799 et interdit trois mois plus tard (Rétronews)
A Paris, Bescher « fait travailler Théodore Lamberté [Lamberthé], l’imprimeur des journaux de Babeuf, acquitté à Vendôme, en éditant à partir de fructidor an V Le Défenseur de la Vérité et des principes jusqu’à sa suppression le 13 frimaire an VI ; puis, Le Défenseur des Principes en ventôse, avec, en exergue, la même phrase du Contrat Social : "Sous les mauvais gouvernements, l’égalité n’est qu’apparente et illusoire : elle ne sert qu’à maintenir le pauvre dans sa misère et le riche dans son usurpation" » (Peyrard, 1988). Lamberté fera partie de la liste des 133 proscrits du 5 janvier 1801 (cf. plus haut), condamné et déporté dans la colonie pénitentiaire de Cayenne, en Guyane, l'année suivante, d'où il s'échappera une première fois, puis une deuxième, en 1804, évasion définitive cette fois, vers la Nouvelle-Orléans en Louisiane, où il reprendra son métier d'imprimeur. De nombreux babouvistes, on l'a dit, figuraient sur cette liste, car Napoléon ne les avait pas oubliés. Il les citait régulièrement et d'évidence, n'écartait pas la possibilité qu'ils puissent, par leurs actions, représenter un danger pour son pouvoir. Napoléon rendra tout de même un hommage tardif à Buonarroti, dans son dernier exil à Sainte-Hélène :
'Napoléon lit Le Moniteur. Il lit le procès des Babouvistes et cela l’intéresse... Buonarroti était un homme d’un grand talent... C’était un ami du bien commun, un niveleur. Je le fis mettre en liberté. Je ne crois pas que Buonarroti m’en ait remercié, ni que jamais il s’est adressé à moi. Peut-être fut-ce fierté de sa part, peut-être se croyait-il trop peu de chose. Peut-être ai-je oublié qu’il m’ait écrit; j’étais alors si occupé ! Buonarroti était un niveleur si éloigné de mon système qu’il est possible que je n’y ai pas pris garde. Il pouvait cependant m’être fort utile dans l’organisation du royaume d’Italie. Il aurait été un très bon professeur. C’était un homme de talent extraordinaire, descendant de Michel-Ange, poète italien comme l’Arioste, écrivant mieux le français que moi, dessinant comme David, jouant du piano comme Paesiello."
Général Henri Gatien Bertrand (1773-1844), Grand maréchal du Palais, "Cahiers de Sainte-Hélène" écrits de 1816 à 1821 ; années 1818-1819, édiion Albin Michel, 1959.
Parmi les autres partisans babouvistes de la liste, dont beaucoup sont envoyés aux îles Seychelles, on trouve les noms de Mathurin Bouin, Jean-Antoine Rossignol , Guillaume Massard, Claude Fiquet, Mennessier, Choudieu, Lepelletier (Lepeletier), Marchand, l'imprimeur René Vatar, Fyon, Goulard (Jean-Baptiste), Brochet, Vannec (Jean-Baptiste Vanneck), Fournier l'Américain, que l'on peut retrouver dans notre étude sur Gracchus Babeuf, (cf. aussi Daline, 1970), ou encore, le limonadier Pierre-Nicolas Chrétien, mort noyé pendant sa traversée de déportation en 1802 ; le brodeur Jacques Cordas, devenu policier sous la Terreur, qui meurt de fièvres à Cayenne en 1801 ; François Dufour, et d'autres, dont on ne sait presque rien. Après la disparition de la Revue Philosophique en 1807, Bazin lancera une campagne de souscription pour publier ses Lettres philosophiques, trente-neuf fascicules in-12 qui se donnent pour but "d’ouvrir entre toutes les personnes éclairées une correspondance publique, où les opinions diverses sont soumises à un libre examen" (Rigomer Bazin, Les Lettres Philosophiques, Paris, chez l’éditeur, rue d’Aboukir n° 31, 1807, p.10, B.N.F. Z 15354. Fondées en juillet 1807, les Lettres étaient interdites de parution par la police dès septembre. Interrogé l'année suivante (24 juin 1808) dans l'affaire Malet, que nous examinerons plus bas, Bazin précise que ce fut à cause d’un article intitulé Dialogue entre Constantin et le Sénateur Maxime (Archives de la préfecture de police de Paris, Aa316, cité par Fayolle, 2022). Mais la police interdit aussi "une parution qu’elle soupçonne, vraisemblablement avec raison, de divulguer des informations codées à un réseau de lecteurs sûrement alertés par la signature de cette lettre : Philadelphe, soit le nom, connu des services d’espions de l’empereur, d’un mystérieux réseau composé surtout de militaires et de démocrates, partageant un idéal maçonnique et qui voudrait attenter à la vie de « l’usurpateur »"
(Serna, 2001) : Nous examinerons au prochain chapitre la réalité multiforme qui se cache derrière cette société des Philadelphes.
Abordons maintenant la liste d'abonnés de Bazin. Les expéditeurs appartenaient à des milieux aussi différents que les libéraux ou les babouvistes "d’Antonelle à Mme de Staël, en passant par Saint-Simon et Buonarroti." (Peyrard, 1988). Certains noms, qui ne partagent pas du tout les idées de Babeuf, ne concernent pas notre sujet, comme Lazare Carnot, Mme de Stael, Chénier, Cabanis, ou encore Bertrand Barère (cf. Gracchus Babeuf, ), le juriste Pons de Verdun (1759-1844, Philippe-Laurent Pons, dit), ancien Montagnard, député de la Convention, accusateur public sous le Directoire, déjà abonné au Tribun du Peuple, ou encore le philosophe Saint-Simon (Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, 1760-1805), qu'on trouve sous le nom d'Henry de Saint-Simon ou sous le pseudonyme de "M. Bonhommet". On peut citer aussi plusieurs sénateurs opposés à l'Empire, comme Roger Ducos, ancien Directeur de la République en 1799. On peut y avoir une sorte de lien sacré qui unit intellectuellement ceux qui défendent un certain nombre de valeurs républicaines contre le despotisme napoléonien, mais qui demeurent profondément séparés politiquement par leur projet social : plutôt libéral, individualiste et capitaliste pour les uns ; plutôt égalitariste, solidaire et collectiviste pour les autres.
Ce qui nous intéresse ici, c'est la foule de noms de partisans babouvistes, actifs du temps de Babeuf, à commencer par Buonarroti et ses compatriotes : En premier lieu, Luigi Giovanni Battista Angeloni (1758-1842), qui a été le contact le plus important de Buonarroti à Genève, expulsé de France en 1823 (Lehning, 1956 ; Dautry, 1960 ; Schiappa, 1999), mais aussi Miotti et Piorri, des républicains dont on peine à connaître des détails. Dans l'article consacré à Gracchus Babeuf, , nous avions arrêté le récit du babouvisme sur l'île d'Oléron, où il avait été exilé, déporté avec d'autres compagnons de lutte après le procès de Vendôme. Il sera transféré à Sospel, dans les Alpes-Maritimes) en décembre 1802, puis à Genève, en 1806, où son activité révolutionnaire sera autrement importante, jusqu'en 1813, où il sera expulsé et déplacé à Grenoble, avant de commencer un second séjour à Genève l'année suivante, dès le 16 mai 1814 (Lehning, 1956). Lors de son premier séjour, en 1806, le révolutionnaire italien loge chez l'horloger Jean-Pierre Marat (1767-1858, d'origine italienne lui aussi, les Mara), le plus jeune frère de "l'Ami du peuple" assassiné. Les deux hommes "ont de l'influence dans « une certaine classe du peuple de Genève qui a encore toutes les idées révolutionnaires dans la tête et dans le cœur »" (Gainot, 2001 ; citation Archives nationales : AN, F7 6331, Rapport du préfet Capelle du 23 avril 1812). Pendant ce premier séjour à Genève, de 1806 à 1818, "Buonarroti avait remis en activité la loge des Amis Sincères, tombée en sommeil vers la fin du siècle précédent" (Vuilleumier, 1970), loge maçonnique qui sera fermée en 1811 par mesure administrative et remplacée aussitôt par une autre dénommée Triangle. L'Italien en devient le Vénérable, sous le pseudonyme de Camille.
Depuis 1803, Buonarroti s'était enquis des anciens babouvistes, et plusieurs des abonnés au Tribun du Peuple avaient fini par rejoindre la loge buonarrotienne, comme l'ancien officier Jean Favre, de Thonon, inscrit sur les listes babouvistes ; Antoine Bonnet, 2e surveillant, connu sous le nom de Gonnet chez les babouvistes, Blanc de Carouge, manifestant en 1796, Louis de Villevieille, connu surtout par son nom qu'il s'est donné à la Révolution : Pavée. Louis Pavée de Villevieille était un "agitateur babouviste de premier plan dans l'Hérault et passe quelque temps en prison à cause de cela ; en 1802, il se réunit avec les anciens babouvistes Tiranty, Teste et Antonelle" (Schiappa, 1999).
Tiranty : Victor Tiranty (1765-1836), républicain, appartient à une loge maçonnique, juge civil et criminel, il entre en 1792 à la Société populaire de Nice, mais se lance aussi dans le négoce de l'huile, qui lui permettront d'acquérir de beaux biens nationaux et une très grande richesse, qu'on lui reproche après la chute de Robespierre. Il est considéré comme le chef de file des partisans de Babeuf dans les Alpes Maritimes et pour avoir été désigné par le Tribun du Peuple pour siéger à la Convention qui aurait été issue de la Conjuration des Egaux. (Albert Gallatin Mackey 1807-1881, E:ncyclopaedia of Freemasonry : "Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie", 1874)
Il est très vraisemblable que les Amis sincères ont été "la couverture légale des Sublimes Maîtres Parfaits" (op. cité), une société initiatique secrète et internationale, à but révolutionnaire : le premier degré, celui des "Sublimes Maïtres Parfaits" (Sublimi Maestri Perfetti, en Italie), était d'ordre humaniste et non politique, approfondissait les valeurs principielles de la franc-maçonnerie, de morale, de fraternité et d'égalité. Le second degré des "Sublimes Elus" est au contraire pleinement politique, s'intéressant aux sujets constitutionnels, autour de la république et de la souveraineté populaire. On ne connaît pas le nom du grade le plus élevé, qui touche aux problématiques communistes, contre la propriété privée et la collectivisation des biens. Comme chez les Illuminati bavarois ( Illuminatenorden : "l"Ordre des Illuminés") d'Adam Weishaupt, société secrète fondée en 1776, seuls les membres au grade le plus élevé connaissaient les buts finaux du mouvement (Vuilleumier, 1970). Le 14 janvier 1812, l'année du second complot du général Malet, "le commissaire spécial du gouvernement impérial à Genève, De Melun, signale l'existence d'une société secrète qui abrite ses activités subversives sous le couvert d'une loge maçonnique genevoise, les Amis sincères, dont le vénérable est Filippo Buonarotti. Ce dernier réunit clandestinement d'anciens terroristes appartenant aux classes inférieures dans cette association dite « Les Amis de Moreau ». Leur mot d'ordre (mot de passe) est : « Phila. ch. del. D. phia ». Ce qui amène le préfet du département du Léman, Capelle, à faire le rapprochement avec une branche de l'association des Philadelphes, dans un rapport au ministre de la Police, Savary, le 20 mars 1812 : « II me paraît difficile qu'elle [le duc de Rovigo, ministre de la Police] n'ait point d'anciennes notions sur cette association des Philadelphes que tout annonce exister en France depuis plusieurs années et avoir des ramifications dans l'armée. »" (Gainot, 2001).
Revenons maintenant à la liste des abonnés de Bazin, dans laquelle on trouve les noms de conventionnels proches du babouvisme, comme l'avocat montagnard Florent Guyot (Guiot de Saint-Florent, F. Guiot, 1755-1834), député bourguignon des assemblées nationales successives, de 1792 à 1814, mais surtout Laignelot ou Ricord (cf. Gracchus Babeuf, ). Citons aussi Bescher (cf. plus haut), mais aussi Antonelle, Baudement, Toulotte (cf. Gracchus Babeuf, ), Faugeau d'Agde, un correspondant de Babeuf, un temps confondu avec Félix Lepeletier de Saint-Fargeau (Schiappa, 1999) ; Bouilhon neveu, connu sous le nom de Gracchus Bouilhon à la Révolution ; le dessinateur Blanchet, ancien secrétaire du club des Jacobins de Paris, missionnaire auprès des armées pendant la Révolution, dont tout le monde, Aulard y compris, semble ignorer le prénom. Abonné au Tribun du Peuple, il avait, "lors des affaires de Grenelle et de Vendôme... fait des collectes pour les prévenus" (Arch, de la préf. de poh, A a 316, f° 42, cité par Schiappa, 1999). Jacobin comme lui était le robespierriste et bouillant comédien Eve Démaillot (1747-1814, Antoine-François Ève D., dit), opposant très actif à Napoléon, incarcéré à différentes reprises à Sainte-Pélagie (1804), à la Force (1806), mais surtout, de 1808 à 1814, pour participation au complot de Malet ; citons aussi Jean-Louis Chalmel (1758-1829), commissaire du Directoire exécutif, député aux Cinq Cents en 1798, opposé à Brumaire, devenu conservateur de la Bibliothèque de Tours entre 1800 et 1807, ami d'Emile Babeuf et de Pierre Nicolas Hésine ; citons Jean-François Gaultier de Biauzat (1739-1815).
Aulard : "La Société des Jacobins — Recueil de documents pour l'histoire du Club des Jacobins de Paris", Tome V, janvier 1793 à mars 1794, Paris, 1895.
Hésine : Pierre Nicolas H. (1762-1821), élève du mathématicien Jacques Antoine Joseph Cousin (1739 -1800), professeur de mathématiques puis homme politique qui participa à la Terreur, inquiété pour complicité dans neuf exécutions à Blois, en frimaire an II, de rebelles vendéens, il sera finalement blanchi. Il hébergera la femme de Babeuf et son fils Emile pendant le procès de Vendôme, au cours duquel il publie quotidiennement le Journal de la Haute Cour , ou l’Écho des Hommes vrais et sensibles, qui contient une demi-feuille du Journal des Hommes libres.
Un décret l'éloigna de Vendôme comme les autres fonctionnaires publics destitués ou amnistiés, pendant la session de la Haute Cour. Poursuivi à cause du n°33 du journal, où il signe une défense de Babeuf, il sera condamné à la déportation le 7 avril 1797 (18 germinal an V), après avoir été appréhendé à moins de dix lieues de Vendôme, mais il fut libéré en octobre. Il fut accepté parmi les avoués du tribunal de première instance de Vendôme et obtiendra sa licence en droit en 1805, doublant son métier d'avoué de celui d'avocat (Dictionnaire biographique du mouvement social ouvrier Le Maitron ; Bouis, 1960)
Biauzat : Avocat dont la famille dispose de la châtellenie de Vodable (Puy-de-Dôme), dont les mariages renforcent l'homogamie. Biauzat "ne dérogera pas fondamentalement aux stratégies de ses pairs et parents" (Bourdin, 1997), et son appartenance à une franc-maçonnerie progressiste ne l'empêche pas de faire passer ses intérêts familiaux avant tout. Au fur et à mesure de la Révolution pourtant, Biauzat penchera de plus en plus à gauche et, au procès de Vendôme, il fut un des trois jurés sur seize à défendre Babeuf et confirme son "républicanisme exemplaire" sous le Directoire. Sans doute que cet humanisme n'était pas assez enraciné, car il répond sous Napoléon, aux sirènes de l'opportunisme et du pouvoir en acceptant différents postes, avec l'appui de Cambacérès (Bourdin, 1997).
Certains se sont retirés de la politique, comme Armonville (cf. Gracchus Babeuf ), ou Félix Lepeletier, qui "accueille ses amis à l’intérieur de ses propriétés où il établit des « colonies démocratiques »" (Schiappa, 1999). Il n'empêche, un certain nombre de militants de la première heure continuent, à leur manière, la lutte politique : "Pierre-François Pâris, ancien commissaire des guerres, l’ancien agent babouviste pour le 7e arrondissement, se répand en propos contre le gouvernement en 1803 ; P.-N. Hésine, défenseur des babouvistes à leur procès, combat l’inscription des conscrits en 1804 ; Didier, la cheville ouvrière de la Conjuration, et quelques anciens sectionnaires se réunissent encore en 1807. Il existerait une réunion de partisans de la Constitution de 1793 et « anarchistes » à Marseille (...) en 1815, à Vendôme, quand Blondeau, déporté babouviste de 1797, cherche à rencontrer Hésine, la police affirme que les habitants de la région ne veulent pas de Babeuf et du « bonheur commun » (...) Mais s’agit-il de la partie visible ou de la globalité ?" (op. cité).
Sans parler de toute la mouvance des patriotes italiens qui commencèrent la lutte pour l'unité et l'indépendance de l'Italie, et qui avaient diverses relations avec les babouvistes. Citons en exemple Felice Bongioanni (1770-1838), avocat de Mondovi, dans le Piémont, très certainement lié à la società dei "Raggi" ("Société des Rayons"). Lors de l'invasion russe de sa province, "Bongioanni se réfugie en France, et l’une de ses premières visites est pour l’ancien conventionnel Amar. Un autre de ces patriotes italiens, Cerise, avait été signalé, en 1799, comme ayant été « secrétaire de Babeuf ». Ce point n’a jamais pu être établi avec précision, mais il est certain que Cerise a contresigné plusieurs lettres que Buonarroti a envoyées au ministre des Relations extérieures, Charles Delacroix, en 1796" (Godechot, 1960).
Toujours a propos de la liste d'abonnés de Bazin, Jean-Luc Chappey estime qu'en "dépit des réserves nécessaires, cette liste permet néanmoins de lever le voile sur une partie des individus et des groupes qui, sous l’Empire, pouvaient se retrouver autour de la défense, plus ou moins affirmée, de l’idéal encyclopédique." (Chappey, 2020). Cette dernière expression est à utiliser avec des pincettes. Nous avons examiné ailleurs combien l'idéal encyclopédique n'était pas, le plus souvent, un idéal social : cf. Naissance du Libéralisme, Les Lumières), alors que le bien commun était la préoccupation majeure des babouvistes. Les abonnés de la liste attachés aux Lumières faisaient partie des gens attirés dans le même temps par des idées progressistes en matière sociale, beaucoup plus pour la défense de la liberté que celle de l'égalité. Ils sont libraires, collaborateurs de revues, bibliothécaires, enseignants, artistes (tels différents peintres de l'atelier de David) et même membres de l'administration impériale (op. cité). Ainsi le Lyonnais Joseph-Marie de Gérando, rédacteur des Archives littéraires de l'Europe, un des premiers à ouvrir la voie de l'ethnologie, qui fait partie des fondateurs de la Société d'encouragement pour l'éducation industrielle du peuple, en 1802, ou de la Société pour l'instruction élémentaire, en 1815, qui a pour objet de procurer "à la classe inférieure du peuple le genre d'éducation intellectuelle et morale le plus approprié à ses besoins." ("Nouveau Dictionnaire de Pédagogie et d'Instruction primaire", dirigé par Ferdinand Buisson, 1887 ; édition de 1911 numérisée, article "Gerando (de)") : Là encore, Condorcet n'est pas loin, qui faisait, rappelons-nous, une distinction de classe dans l'éducation (cf. Les Lumières, Condorcet). Citons aussi Jean-Jacques Leuliette (1767-1808), professeur à l'école centrale de Seine-et-Oise, fils d'artisan, autodidacte, qui fonde avec Eve Démaillot l'Orateur plébéïen, ou le Défenseur de la République en novembre 1795, ou encore Jacques Louis Moreau de la Sarthe (1771-1826), médecin et bibliothécaire de l'Ecole de médecine de Paris, collaborateur de La Décade, qui lutte contre la théorie de Joseph Gall et Johann Gaspar Spurzheim, qu'on a appelée craniométrie, cranioscopie, puis, phrénologie, qui établissait un lien entre morphologie du crâne et facultés mentales.
Malheureusement, l'œuvre sera saisie par la police le 6 janvier 1808, en même temps que des listes de noms auxquels Bazin adressait ses Lettres, à titre d'abonnés ou de manière publicitaire, dont une est datée du 6 juillet 1807, comportant 205 noms. Toute cette saisie a d'évidence aggravé le dossier policier de Bazin. Accusé d'être une des têtes pensantes de la première conspiration de Malet, il sera emprisonné jusqu'en 1814, à la suite de quoi il rééditera l'ensemble des Lettres philosophiques en 1815, et publiera un journal politique, Le lynx, coup-d' oeil et réflexions libres sur les écrits, les opinions et les affaires du tems, qui fera l'objet de deux volumes, en 1815 et 1817. Animal politique assez étrange que ce Bazin, qui propose de loger la démocratie au sein de la monarchie bourbonienne, tant sur les domaines des libertés fondamentales, que sur ceux touchant à la vie sociale : "À la lecture, elles peuvent donner l’impression d’une série de textes mis bout à bout sans grande cohérence, l’un abordant l’éducation, l’autre un projet d’assurance sociale, un autre le fonctionnement de la justice. En réalité ces textes offrent une représentation complexe d’un système politique inachevé en tant que tel, où différentes facettes d’un projet de société présenté, doivent être améliorées, à l’aune d’un horizon démocratique sans cesse repoussé. " (Serna, 2001).
L'assurance sociale dont parle l'auteur, Bazin l'appelle "assurement" : "Je laisse donc le mot assurance au commerce : assurement me semble convenir mieux à la garantie de la personne" (R. Bazin, Le Lynx, volume 2, 1817, p. 271). C'est typiquement une mesure libérale visant à compenser les injustices sociales, qui tient à une politique de rustines toujours pratiquée avec autant de vigueur qu'aujourd'hui, et non une politique qui se fonde sur des bases d'équité : " Qui donc enfin doit venir au secours de la personne dont on aura violé le domicile ; qu'une poursuite judiciaire aura fait jeter dans les prisons ; qu'une procédure iniquement prolongée y retiendra dans l'inaction et la misère, sous la verge des plus minces agens de l'autorité locale, sous l'empire des gardiens que leur responsabilité rend les arbitres souverains des ses actions, de ses paroles et de ses moindres volontés. Qui dira aux citoyens : « Assurez-vous les uns les autres : formez une masse de garantie et de cautions qui résiste à toute action contraire aux lois : l'union des faibles devient force ? » Qui le dira ? moi qui ai passé les plus belles années de ma vie dans les prisons, moi qui n'ai plus d'autre moyen d'être utile à mon pays." (R. Bazin, Le Lynx, volume 2, 1817, p. 280).
Nous sommes très loin de la radicalité babouvienne, et, à l'instar de nombre de libéraux, les problèmes sociaux sont chez Bazin le plus souvent effleurées et ne forment pas un socle politique solide : c'est cette tiède ambition sociale qui lui permet d'imaginer ses idées solubles dans la charte constitutionnelle proposée à la Restauration par Louis XVIII le 4 juin 1814.
Les Philadelphes
Parmi tous les réseaux conspirationnistes qui ont agi tout le temps où Napoléon était au pouvoir, celui qui se résume aux "Philadelphes" est sans doute le plus singulier. L'histoire n'a jamais pu en dresser un tableau précis, et t on ne saura sans doute jamais si, réellement, elle a pu être cette sorte de "gigantesque iceberg cohérent et ramifié, qui a pour nom : Société secrète des Philadelphes" (Gainot, 2002). Pour explorer le sujet, intéressons-nous en tout premier lieu à la première conjuration de 1808 contre Napoléon du général Claude-François de Malet ("Mallet", chez plusieurs auteurs de l'époque, 1754-1812), né à Dole, issu d'une vieille famille noble de Franche-Comté, à partir de laquelle nous tisserons du mieux possible les fils qui conduisent aux Philadelphes. Pour cela, appuyons-nous d'abord sur les Mémoires du chancelier Etienne-Denis Pasquier (1767-1862), baron d'Empire en 1808, puis duc en 1844, dit chancelier Pasquier, car le roi Louis-Philippe, sous la monarchie de juillet, a recréé pour lui la fonction de chancelier de France en 1837, qu'il sera le dernier à porter. On y apprend les rapports conspirationnistes entretenus, en particulier, par le général Joseph Servan de Gerbey (1741-1808), ancien ministre de la guerre, Frédéric François Venceslas Jacquemont du Donjon (1757-1836), membre du Tribunat, et le général Malet.
Républicain proche de la Décade, proche des Brissotins, Servan est connu pour son "Soldat citoyen", qui propose pour l'armée une sorte de conscription. L'auteur se montre sensible au combat contre la pauvreté, alors qu'il partage la mentalité commune sur les vagabonds : "Outre les enfans trouvés , on pourroit aussi se charger des orphelins & des enfans nés de pauvres parens hors d'état de les élever & de leur procurer une subsistance suffisante jusqu'à l'âge de puberté . Ces différens moyens augmenteroient le nombre des recrues, & en rendant ces enfans à l'état, leur affureroient un fort doux & heureux.
Ce seroit peut-être ici où l'on devroit examiner si les vagabonds ou autres citoyens à charge à l'état, ne devroient pas être préférés pour faire des soldats . En suivant cette idée, on pourroit déterminer quelles seroient les fautes dont on puniroit les coupables par un certain tems de service ."
"on prendroit pour soldats , ainsi que nous l'avons déjà dit , tous les orphelins & enfans trouvés bien constitués , tous les enfans des citoyens qui auroient servi ou qui serviroient encore le roi, les enfans des pauvres gens chargés d'une nombreuſe famille qu'ils ne peuvent pas faire vivre."
"J. Servan, "Le soldat citoyen ou Vues patriotiques sur la maniere la plus avantageuse de pourvoir à la défense du royaume", Dans le pays de la liberté, 1780, pp. 54 et 64.
Ancien Girondin, rallié à Bonaparte depuis 1799, fait chevalier de la légion d'honneur en 1804, comment se fait-il qu'il ait pu être à l'origine d'un complot contre Napoléon ? Toujours est-il que son opinion évolua (au contact des Idéologues qu'il fréquente ?), laissant échapper de discrètes critiques dans les salons, avant d'élaborer avec d'autres un projet pour éliminer Napoléon. Le Sénat demeurant la seule assemblée active depuis la Constitution de l'an X, Servan se serait tourné vers divers sénateurs proches des Idéologues, dont Garat, l'abbé Grégoire, Destutt de Tracy, Volney, ou encore les juristes Charles Lambrechts et Jean Denis Lanjuinais, mais aussi le tribun Jacquemont ou encore, Florent Guyot (Gainot, 2001) déjà cité, devenu substitut du procureur général impérial auprès du Conseil des Prises (maritimes).
Beaucoup d'initiés ou collaborant à quelque degré que ce soit dans le comité relatif au projet de Servan avaient un lien avec la Franche-Comté, souligne l'historien Frédéric Masson (1847-1923). En plus du général Malet, en effet, Démaillot est Dolois comme lui, Bazin "avait fait de l'agitation anarchiste dans le Jura, de l'an V à l'an VII" (Frédéric Masson, "La vie et les conspirations du Général Malet — 1754-1812 — Paris, Ollendorf, 4e édition, 1921 p. 87) ; introduisons maintenant les franc-comtois que nous ne connaissons pas encore :
— Pierre-Alexandre Lemare (Lémare, 1766-1835), descendant de serfs mainmortables de l'abbaye Saint-Claude, dans le Jura, qui figure dans la liste des abonnés de Bazin, qui sera maire de Grande-Rivière et président de l'administration départementale du Jura. Médecin, linguiste, inventeur, il crée en particulier le "caléfacteur", en 1822, premier autocuiseur pour aliments qui a eu un grand succès commercial. Responsable principal de la Terreur, il fut condamné et emprisonné en l'an III, puis amnistié, et après Brumaire, il s'était lié aux généraux Pichegru et Moreau. Déclarant Napoléon traître à la patrie, il rédigea un arrêté incendiaire "provoquant l’insurrection et la révolte, le vol des caisses publiques, le licenciement des armées, le meurtre des représentants du peuple" qui demeura cependant dans ses tiroirs (Pingué, 2001). Mais il se fit remarquer des autorités en cherchant à destituer de force la municipalité de Lons, jugée trop modérée, en posant des pistolets sur le bureau (op. cité), ce qui le fit condamner à dix ans de fers, peine qu'il fit casser, et le fit s'installer à Paris, où il fonda l'Athénée de la Jeunesse.
l'administration départementale du Jura : Celle-ci, longtemps avant le 18 brumaire, avait libéré les classes "perpétuellement" proscrites, à savoir les déportés et les émigrés, que ce soit les prêtres dits réfractaires ou les émigrés détenus (R. Bazin, "Histoire des Sociétés secrètes de l'armée et des conspirations militaires qui ont eu pour objet la destruction du gouvernement de Bonaparte", Paris, 1815 , p. 321).
— Philippe Corneille (1765- ?), ancien officier royal, qui fut maire de Dole, d'où vient aussi Malet et Démaillot, était venu à Paris solliciter une place de conseiller d'Etat.
— Gindre, natif de Lons-le-Saunier, ancien administrateur du Jura comme Lemare, médecin à Chilly, avait comme lui déclaré Bonaparte hors-la-loi lors du 18 brumaire.
— Liébaud (Liébault, Liébaut), "natif de Salins, commissaire des suppléants à la ci-devant Assemblée constituante, est établi jurisconsulte à Paris,, rue du Four-Saint-Germain, n° 17, et jouit d'assez de considération pour être membre du corps électoral de Paris." (Masson, op. cité, p. 89).
— Claude Joseph Rouget dit Rouget de Lisle (1760-1836), originaire de Lons-le-Saunier, le célèbre compositeur de l'hymne de la Marseillaise (25 avril 1792), cousin du général Malet.
En dehors de ce groupe franc-comtois, Malet réussit à recruter d'autres membres :
— Jean-Geoffroy Saiffert (v. 1747 - 1810, Jean-François S., chez Masson, op. cité p. 91), "confident de Servan" (Masson, op. cité, p. 135), médecin particulier de la princesse de Lamballe, révolutionnaire d'origine saxonne (Leipzig), qui avait initié la Légion germanique avec Anacharsis Cloots en 1792.
"Saiffert appartenait à cette espèce de philosophes qui rêvaient d'une sorte de Salente où tous les abus devaient être détruits, où la fraternité régnerait en maîtresse souveraine sur les cœurs." (Docteur [Augustin] Cabanès., "La Princesse de Lamballe intime", Paris, 1922, p. 37"),
En plus de ceux-là, il faut citer des anciens babouvistes déjà cités comme Blanchet, Ricord et Baude. Peintre en décor, ce dernier ouvrira un commerce de masques. Ayant conservé des relations avec d'anciens septembriseurs comme Méhée (Jean Claude Hippolyte Méhée de la Touche, 1762-1827), il sera plusieurs fois incarcéré, déporté par la haute police de Napoléon, mais il finira par devenir un espion à son service. Voisin et ami d'un certain François Delavigne, qui tenait l'Hôtel du Commerce, rue Bourg-l'Abbé, dans le troisième arrondissement du Paris, c'est par cette entremise que le groupe conspirationniste s'est réuni plusieurs fois dans l'établissement, d'où le nom de "Comité de la rue Bourg-l'Abbé" (Masson, op. cité, p. 92). En plus des anciens partisans de Babeuf, citons aussi un certain Maillot, employé à la loterie ou Bournot, chef du 2e bataillon du 4e régiment de Vétérans, ou encore :
— Alexandre Ricard, parisien un de ses proches, "marchand, ancien canonnier de l'artillerie parisienne" (Ernest Hamel, "Histoire des deux conspirations du Général Malet", Paris, 1873, p. 37).
— Pierre Paganel (1745-1826), ancien député de la Convention, missionnaire des armées, fonctionnaire du Directoire au Ministère des Relations Extérieures, chef de division à la chancellerie de la Légion d'honneur pendant le Consulat, il publiera en 1810 un Essai historique et critique sur la Révolution française, ouvrage saisi par la censure impériale et détruit en 1813.
-— Jacob Poilpré, ancien aide de camp de Malet, qui passa les dernières années de sa vie à écrire une relation de la conjuration de 1808, découverte après sa mort, dissimulée par une tapisserie (Hamel, op. cité, "Préface de la seconde édition", p. II), où il raconte "qu’il a tout fait pour empêcher le général d'entrer dans la conjuration à laquelle on le conviait, et pour lui démontrer qu’il était la victime d’une manœuvre de la police. Il s'efforce en un mot de prouver que la conspiration de 1808 n’a été qu'une œuvre imaginée par la police impériale pour perdre Malet." (op. cité).
-— Pierre Joseph Guillet (1765-1836), qui a fait toute sa carrière dans l'armée, fait général de brigade en 1799, obtient la légion d'honneur en 1804, qu'un rapport de police déclare affilié aux Philadelphes (op. cité, p. 70).
— Gariot, négociant quincailler parisien ; d'après les papiers saisis à son domicile, on voit "qu'il est lié avec l'ex-général Dutertre, avec Baudement, Emile Babeuf, Mathieu Montalan (?), Chanousse et Antonelle.
Chanousse : "César-Antoine Chanousse, ex-fournisseur — condamné à huit années de fer par la Cour criminelle pour crime de faux." (Masson, op. cité, p. 82).
Différents auteurs n'ont pas manqué de déduire des multiples origines comtoises des conjurés, des liens plus ou moins solides avec d'autres "patriotes" de la région qui ont constitué une société secrète. Passionnés par l'étude des insectes et, au-delà, de la faune de Franche-Comté (on notera encore là le lien aux Encyclopédistes), ce sont cinq jeunes gens qui créent une société d'amis dite des Philadelphes (du grec : "qui aime ses frères", on parlera aussi de Philadelphie), dont le règlement, du 5 frimaire an VI (25 novembre 1797) est cité dans la correspondance du plus connu d'entre eux, Charles Nodier (Archives et Manuscrits de la Bibliothèque de l'Arsenal, Supplément 4 : Ms-12728 à la fin > Ms-14602 à 15071, dossier Ms-15050, folios 102-121, correspondance entre Charles Nodier, Charles Weiss, D. Arbey, Charles Pertuisier, Deiss, Jean de Bry, an Van VI, règlement d'une société de philadelphes, 5 frimaire an VI, diplôme de la société des philadelphes délivré à D. Arbey, 5 pluviôse an VI, notes sur cette société, conservé à la Bibliothèque Nationale de France). Ajoutons que le terme avait déjà été employé à Narbonne avant la révolution pour une loge maçonnique fondée le 27 novembre 1779 par le vicomte de Chefdebien d’Aigrefeuille et ses six fils ("Dictionnaire universel de la Franc-Maçonnerie", dirigé par Daniel Ligou, Paris, Editions du Prisme, Editions de Navarre, 1974).
Charles Nodier (Jean-Charles-Emmanuel N., 1780-1844), est un bibliothécaire et écrivain prolifique, qui a connu un grand succès populaire de son vivant, qui fait de lui un des précurseurs méconnus du roman populaire. C'est un passionné d'entomologie comme plusieurs de ses amis philadelphes, le bisontin Charles Weiss (1779-1866), bibliothécaire ou François-Marie-Julien Luczot de la Thébaudais (1770-1844), un ingénieur d'origine bretonne, qui dirigea les travaux du canal d’Ille-et-Rance de 1804 à 1819, et qui se liera au groupe lors d'un séjour d'études à Besançon entre 1793 et 1798. Par ailleurs, il publiera en 1797 avec Nodier une "Dissertation sur l'usage des antennes dans les insectes et sur l'origine de l'ouïe dans les mêmes animaux" (Dr Antoine Magnin, "Charles Nodier Naturaliste", Paris, 1911) et trois ans après, Nodier publiera une "Bibliographie entomologique" qui sera saluée par Lamarck. Un quatrième philadelphe, passionné de sciences naturelles, s'appelle Joseph Deis, dont les auteurs sur le sujet ne connaissent presque rien, que l'historien Alfred Richard Oliver associe à son frère Pierre, tout en citant un autre philadelphe qu'on connaît essentiellement par la correspondance de Nodier, à savoir Jean-Joseph Goy, un de ses amis d'enfance (cf. Alfred Richard Oliver, "Charles Nodier : Pilot of Romanticism", Syracuse Univrsity Press, 1964, p. 18 ; Léonce Pingaud, "La Jeunesse de Charles Nodier. Les Philadelphes", Besançon, Imprimerie Dodivers, 1914). A ceux-là s'ajoute Charles Pertusier (1779-1836), polytechnicien, natif de Baume-les-Dames, officier d'artillerie qui servit en Dalmatie et fut de 1811 à 1814 attaché à l'Ambassade de France à Constantinople et membre de la Société géographique de Paris. A ce petit noyau, s'agrégea un jeune et charismatique capitaine de l'armée, Jacques Joseph Oudet (1771-1809, supposé mort à la bataille de Wagram), né à Mayna, dans le Jura, et deux de ses neveux, Gabriel et Jean-François Arbey (Oliver, op. cité). Il s'avère qu'en 1796, le jeune Oudet était sous les ordres de Malet, à Besançon, qui a pu, dans les années qui suivent, entrer à son tour entrer dans la Philadelphie, sous le noms de Léonidas (Dautry, 1960).
C'est l'influence d'Oudet qui transforma rapidement le petit club littéraire et épicurien en une société secrète militante, activiste, dont il réforma les règles (en particulier l'acceptation d'un nouveau membre par l'unanimité du groupe. Ce dernier commit différentes actions politiques subversives. Une nuit, il démolit, par exemple, la guillotine placée en permanence place Saint-Pierre à Besançon (Oliver, op. cité, p. 19), alors même que le père de Nodier, Antoine Melchior, était au même moment président du tribunal criminel et responsable de ce dispositif meurtrier. Oudet, dont le nom d'initié est Philopœmen (Rétat, 2007) est alors fait "archonte" de la société secrète. En 1799, le groupe se fait remarquer "en parodiant un club républicain sur la voie publique. La représentation se termine en échauffourée avec les forces municipales. Charles Nodier perd son poste de bibliothécaire et s'installe à Paris pour quelques mois." ("Besançon..", BNF).
Philopœmen : "Du nom d'un général grec (250-182 av. J.C.) qui dirigea la confédération achéenne contre Sparte. Il fut chanté comme « celui qui donne à la Grèce la glorieuse couronne de la liberté » (Polybe)." (Gainot, 2001).
La société des Philadelphes évolue ensuite, au gré des carrières de chacun, sans qu'on puisse suivre pas à pas son développement. Elle "semble s'éteindre après 1802, quand Nodier, qui a quitté Besançon pour Paris, y fait connaissance du groupe des Médiateurs et s'enthousiasme pour eux" (Rétat, 2007). Oudet, devenu colonel, sera envoyé en garnison sur l'île de Saint-Martin-en-Ré, où 150 jacobins subissaient un exil intérieur avant d'être envoyé, pour certains, en déportation, et avec certains desquels il avait tissé des liens, en particulier Méhée, qui deviendra un espion de Napoléon et fera part de ses rendez-vous "en tête à tête avec lui", à un des meilleurs agents anglais, Francis Drake, auprès de qui il se faisait passer pour un contre-révolutionnaire. (Citoyen Méhée,"Alliance des Jacobins de France avec le ministère anglais...", Paris, Germinal an XII, p. 147 ; " Dictionnaire de la conversation et de la lecture — Inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous, par une société de savants et de gens de lettres", direction William Duckett, Tome Quatorzième, Paris, 1861, p. 454). Plus intéressante, sans doute, est l'information donnée par Charles Nodier dans son livre publié anonymement et consacré aux sociétés secrètes (Histoire des sociétés secrètes de l'armée et des conspirations militaires qui ont eu pour objet la destruction du gouvernement de Bonaparte, Paris, Gide fils et Nicolle, 1815), où, rappelle Destrem, l'auteur affirme que le colonel Oudet "confia ses projets d'insurrection à plusieurs des patriotes en surveillance." Félix Lepeletier, par exemple, était aussi déporté à "Saint-Martin-de-Rhé" en même temps que Méhée, d'où il s'évadera en 1803 (Jean Destrem, "Les déportations du Consulat & de l'Empire (D'après des Documents inédits) — Index biographiques des Déportés"), Paris, 1885, p. 167 ; Daline, 1970).
Cependant, le romancier fantasque Charles Nodier a, de l'avis de nombreux auteurs, a brodé une sorte de fresque historico-mythologique autour des Philadelphes mêlant réalité et fantaisie, (qui deviendra la marque de fabrique de l'écrivain) où l'appartenance de son père à la franc-maçonnerie et à d'autres associations n'est peut-être pas étrangère à son goût pour le secret (Oliver, op. cité, p. 17). Pour cette raison, il est difficile de suivre Antoine-Alexandre Barbier, quand il attribue l'ouvrage à trois compères, Nodier, Lemare et Bazin, d'autant qu'il admet d'entrée, comme beaucoup de commentateurs, que le "catalogue de la Bibliothèque nationale qualifie, à juste titre, cette publication de romanesque", qui est la qualité indiscutable de Nodier (Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes, 4 volumes publiés de 1822 à 1827, Tome II, Paris, 1874, p.767). Pour cette raison, nous nous attachons ici aux faits qui, sans nous permettre de dresser un tableau fidèle des Philadelphes, donnent une idée des hommes concernés et de leur combat démocratique contre Napoléon, comme ce poème subversif qu'écrit Nodier, en 1802, La Napoleone, qui dénonce l'aspect tyrannique et despotique du régime. Rappelons cependant que Nodier est un monarchiste constitutionnel, comme Malet ou Bazin, des hommes qui représentent cette fraction libérale défendant les libertés, les droits de l'homme, voire des femmes, mais pour lesquels l'égalité sociale n'est pas un but politique majeur. Pour cette raison, la Philadelphie n'a jamais été une société secrète aussi radicale, du point de vue de la lutte sociale, que celle de la conjuration babouviste.
Revenons maintenant au projet du général Servan, qui meurt brutalement le 10 mai 1808, ce qui conduit Malet à prendre la direction des opérations, probablement introduit dans le cercle de Servan par Jacquemont, si l'on suit Pasquier. Le problème, c'est que la mort de Servan (tout comme celui de Bazin, déjà fiché et surveillé par la police), a provoqué des perquisitions à son domicile, où on a découvert un plan "très détaillé de l’organisation d’un gouvernement provisoire", qui déclenche une enquête, de la surveillance, des filatures, aussi.
"La marche de la raison humaine réglera celle des événements et les événements nous conduiront nécessairement à une époque où la force morale reprendra le dessus sur la puissance militaire et cette époque sera celle où la victoire abandonnera les armées de l'Empereur. Tout s'use et la période de la gloire touche à sa fin. C'est alors que la Constitution, si longtemps oubliée, sortira de sa léthargie, que l'autorité souveraine du Sénat déploiera sa puissance pour conserver et que les amis des lois trouveront une garantie dans un acte légal et solennel qui appellera la nation à reprendre ses droits. Jusqu'à ce moment, toute tentative serait dangereuse.
Ainsi parlait le général Servan.
Quels eussent été les moyens d'exécution ? Proclamer un sénatus consulte qui, dans une circonstance militaire fâcheuse, eût été accueilli par la multitude qui ne s'attache qu'aux gens heureux ; opposer l'autorité imposante et constitutionnelle du Sénat à la garnison de Paris ; s'emparer de son commandement, réorganiser des gardes nationales, proclamer la liberté individuelle, celle de la presse, etc.
Quels eussent été les résultats ? Un peuple ému par la nouveauté, exalté par la jouissance de ses droits qu'il croyait à tout jamais perdus et par les promesses séduisantes qui en résulteraient, l'Empereur réduit au royaume d'Italie, l'Empire aboli et la Constitution de l'an VIII remise en activité." (Lettre de Rigomer Bazin au ministre de la Police, datée de la Préfecture de Police, le 22 juin 1808, cité par F. Masson, op. cité, p. 85)
On voit bien, là encore, que nous sommes loin de l'idéal babouviste, mais avant tout, dans une perspective libérale de la défense des libertés individuelles et publiques.
Le général de brigade Malet était, dès les débuts de la Révolution, un patriote "très chaud", et que son "républicanisme fort ardent, qu'aucune des horreurs de la Révolution n'avait ébranlé (il était de ceux, en très petit nombre, qu'on qualifiait, dans l'armée, de terroristes), lui avait fait voir avec un grand déplaisir l'élévation du général Bonaparte au Consulat." ("Mémoires du chancelier Pasquier, Première partie, Révolution — Consulat — Empire, II. 1812-1814, Tome deuxième, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1893, p. 12). Pasquier évoque un projet de complot de divers généraux à l'époque du Concordat, dont il aurait fait partie, "qui avait donné assez d'inquiétude au premier Consul", mais déjà, en l'an IX, Malet avait imaginé kidnapper Napoléon à Dijon, avec la complicité du général Guillaume Brune (1763-1815), demeuré républicain malgré ses avancements de carrière pendant le Consulat (il entre au Conseil d'Etat, devient commandant en chef de l'armée d'Italie) et les débuts de l'empire (il devient un des premiers maréchaux de l'Empire).
On sait, par ailleurs, que Malet se fait remarquer quand il est en poste aux Sables d'Olonne, en rendant souvent visite aux proscrits de l'île d'Oléron ("Mémoires du chancelier Pasquier, op. cité) et qu'près avoir voté contre le Consulat à vie et l'Empire il démissionne de l'armée et accepte différents poste de gouverneur en Italie, à Pavie, puis à Rome, d'où il est chassé par le vice-roi d'Italie, Eugène de Beauharnais, pour propagande républicaine mais aussi pour concussion dans divers trafics liés à des maisons de jeux et une confiscation de bateaux de prise. C'est en s'installant à Paris, à son retour de Rome, en 1807, qu'il se serait lié avec différents opposants au régime, en fréquentant des lieux propices aux informations politiques, devenant membre de la loge Sainte-Caroline, à l'Orient de Paris ("Dictionnaire universel de la Franc-Maçonnerie", op. cité).
On sait qu'il prit langue avec Florent Guyot, et ce dernier "rapporta ces propos à Wenceslas Jacquemont, personnage considérable que la police connaissait pour avoir, en 1802, abouché Moreau avec Cabanis, Chénier et Daunou, en vue de renverser Bonaparte (...) Il était un des convives du Tridi, le dîner où se réunissaient les Idéologues." (Frédéric Masson, "La vie et les conspirations du Général Malet — 1754-1812 — Paris, Ollendorf, 4e édition, 1921 p. 95). Nous savons aussi, par Démaillot, cette fois, que l'ancien général Joseph Guillaume (1756-1830), destitué en 1802, qui trahira les conjurés, prétexta de le connaître pour se rapprocher du cercle de Malet ("Tableau historique des prisons d'État en France sous le règne de Buonaparte ; Par M. Eve, dit Démaillot, vieillard infirme et prisonnier d'État pendant dix ans", Paris, 1814).
Napoléon était loin de Paris, à Bayonne, au mois de mai 1808, et les comploteurs auraient eu environ quatre jours devant eux, car il n'y avait pas de sémaphore autour des Pyrénées et le seul moyen de communication était alors le courrier à cheval. L'idée était de produire un faux-document de senatus-consulte déclarant Napoléon hors-la-loi. Bazin et Corneille ont aussi préparé trois documents, en particulier le "Décret du 29 mai 1808", constitué de douze articles :
"Article Premier. — Les armées françaises quitteront les territoires étrangers sitôt après que les conventions respectives avec les ministres des diverses puissances auront été ratifiées par leurs gouvernements.
Art. II. — La conscription militaire est abolie et le sénatus-consulte ordonnant la levée de 1809 est annulé. Il est accordé amnistie à tout déserteur et à tout individu condamné pour le fait de conscription militaire.
Art. III. — Les droits réunis et les droits connus sous la dénomination d'octrois sont supprimés.
Art. IV. — La dette publique est garantie dans son intégrité. La Banque de France est maintenue et rétablie dans son indépendance.
Art. V. — La Garde Nationale s'organisera sur-le champ aux termes de la loi du 29 septembre 1791.
Art. VL — La Garde Impériale prendra le nom de Garde du gouvernement et ne sortira dans aucun cas des limites de la première division militaire.
Art. VII. ~ La peine de mort est abolie excepté pour crime de rébellion. Seront coupables de rébellion, tout fonctionnaire, tout chef militaire, tout citoyen ou soldat qui refuserait d'obéir aux décrets et réquisitions de la Dictature et de ses délégués; qui donnerait, transmettrait, exécuterait d'autres ordres que ceux qui en seraient émanés.
Art. VIII. — La liberté de la presse, des cultes, de l'instruction publique, du barreau, du commerce, de l'industrie, des théâtres et du port d'armes est rétablie.
Art. IX. — Les ports français sont ouverts aux vaisseaux des puissances neutres.
Art. X. — Toute personne détenue, exilée ou condamnée pour cause d'opinion ou de fait politique, sera sur-le-champ mise en liberté à la diligence du maire de chaque commune.
Art. XI. — Chaque ministre remettra sur-le-champ son portefeuille au secrétaire général de son département. — Tous les autres fonctionnaires resteront à leur poste.
Art. XII. — Le général Malet, membre de la Dictature, est chargé de la direction des troupes et de la force armée.
Florent Guyot, président.
Corneille, secrétaire général" (Masson, op. cité, p. 101).
L'interrogatoire de Guillaume, arrêté le 8 juin, allait en apprendre un peu plus sur la nature du projet : "installation d'une dictature de neuf membres, qui fait la jonction entre l'opposition sénatoriale et l'opposition radicale. Elle comporterait trois militaires, trois sénateurs et trois membres pris parmi le peuple. Jonction qui ne va pas sans soulever des problèmes : les trois sénateurs (Garât, Lambrechts et Destutt de Tracy) « répugnaient à se donner pour collègues les sieurs Lemare et Bazin », mais « ils étaient nommés par le Peuple [...]. Cette nomination n'avait pu avoir lieu par des assemblées légales, mais [...] des hommes que l'on appelle à Paris Philadelphes avaient été chargés de les proposer au Peuple, qui les avait acceptés comme devant être leur garantie [...]. Les Philadelphes se composaient d'une secte qui approchait de la franc-maçonnerie [...]. Ils n'étaient reçus que sur de bons et amples renseignements [...]. Il y avait à Paris au moins quatre cents Philadelphes [...]. Les régiments en avaient également [...]. Tous ces hommes étaient républicains et paraissaient s'être ainsi organisés pour arriver à un autre ordre de choses." (Gainot, 2001, citation de Guillaume, Archives de la Police parisienne : APP, Aa 314).
Le préfet Dubois avait déjà en sa possession des renseignements obtenus de sa haute police, mais le général Louis Lemoyne (Le Moyne, Lemoine) surprit une altercation entre Démaillot et Guillaume sur la nature de leur plan, aux abords du Palais Royal, et en informa de suite le préfet, qui commence, dès le matin du 8 juin 1808, par l'arrestation des deux hommes, puis de Corneille, Guillet, Gariot, Malet et Poilpré, le 9 juin ; Florent Guyot, le 12 ; Bazin et Ricord le 23 ; Liébaud et Baude le jour suivant ; Le 4 juillet, c'est au tour de, Saiffert, le 7, celui de Blanchet, le 12, celui de Jacquemont, et enfin, le 14, celui de Gindre (Louis Garros, "Le Général Malet", Plon, 1936 ; Masson, op. cité). Quant à Lemare, il s'était enfui en Autriche et réfugié à sous le nom de Jacquet à Montpellier, où il commença des études de médecine.
"Baude, Baudement, Bazin, Florent Guyot, Guillaume, Guillet et Jacquemont furent, en avril 1809, exilés à quarante lieues de Paris ; en juin, on donna le choix à Bournot, chef de bataillon des Vétérans : destitué ou éloigné de Paris. Jacquemont obtint même une place d'inspecteur général des droits réunis. Gariot et Gindre furent mis en liberté lors du mariage de l'Empereur. Sur un rapport de Savary, qui adoptait presque les conclusions de Fouché, seuls restaient en prison au mois de juillet 1810, Demaillot et Corneille. De plus, Bazin qui, ayant rompu son ban, était revenu du Mans à Paris, s'y était fait arrêter et, refusant de retourner à son lieu d'exil, avait préféré la prison." (Masson, op. cité, p. 152-153).
Le général Malet sera emprisonné à Paris, d'abord à la Grande Force, puis à Sainte-Pélagie, et, en janvier 1810, transféré dans la maison de santé du docteur Dubuisson, dont le fonctionnement confirme ce qui avait été dit sur les prisons d'Ancien Régime, à savoir l'inégalité de traitement des condamnés, selon la fortune :
"En vérité, cette maison était un « Eden pour prisonniers politiques », où la fidélité royaliste ou républicaine « se traduisait en poulardes truffées, en pâtés de foie gras et en paniers de Château Margaux ». En revanche, la pension était extrêmement chère : 150 francs par mois, sans compter le vin et le bois." (Marc Allégret, "Malet..." article biographique de la Revue du Souvenir Napoléonien, n° 2004).
Le 22 octobre 1812, le général Malet s'évade de la maison de santé en compagnie de Jean-Baptiste Hyacinthe Lafon, dit l'abbé Lafon (vers 1765-1836), qui n'avait reçu que les ordres mineurs, un royaliste qui avait été incarcéré en raison de ses activités politiques, pour lesquelles il avait diffusé la bulle d'excommunication de Napoléon du pape Pie VII et participé à des manifestations contre l'occupation des territoires pontificaux, en 1809 (Jean Tulard, "Lafon", Dictionnaire Napoléon, Paris 1987). Avec la complicité de Lafon, et de plusieurs autres, Malet va alors réaliser un deuxième complot contre Napoléon, de couleur plutôt royaliste, au vu des différents protagonistes mêlés à l'affaire : Pour cette raison, le détail de ce complot ne nous intéressera pas ici. Malet répandra la fausse nouvelle de la mort de Napoléon en Russie, au moyen d'un faux procès-verbal, mais sera découvert en quelques heures, condamné et fusillé, cette fois, avec plusieurs de ses complices. L'abbé Lafon qui s'est enfui quand il vit que l'affaire tournait au vinaigre, et surtout Desmarets, l'ancien chef de la police secrète, ont plus tard témoigné de ce projet (L'abbé Lafon, Histoire de la conjuration du général Malet, avec des détail officiels sur cette affaire", Paris, 1814 ; Albert Duruy, "La Conspiration du Général Malet — D'après les documents inédits", article de la Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 31, 1879, p. 632-661)
“ Ne me parles pas du grand homme ; il donna à la révolution le coup de grâce et acheva à son profit l’œuvre d’iniquité que l’immoralité et l’aristocratie avaient depuis longtemps commencé. Il eût pu tout réparer, il a tout perdu. Voilà son grand crime”
(Lettre de Filippo Buonarroti au fils de Babeuf, datée de Bruxelles, le 30 juillet 1828, Archives départementales de la Somme, F 129/106 ).
“ A plusieurs traits de cette nature, la nouvelle aristocratie dut reconnaître dans ce général, déjà célèbre par la reprise de Toulon et par la journée du i3 vendémiaire, l’homme qui pouvait un jour lui prêter un solide appui contre le peuple ; et ce fut la connaissance qu’on avait de son caractère hautain et de ses opinions aristocratiques, qui le fit appeler au 18 brumaire de l’an VIII, effrayé de la rapidité avec laquelle reparaissait alors l’esprit démocratique. Buonaparte fut porté au suprême pouvoir par une sorte de marche rétrograde qu’imprima à la révolution le 9 thermidor de l’an II, époque funeste, depuis laquelle l'autorité qui gouvernait le squelette de la république s'étant séparée du peuple, eut sans cesse à lutter contre les royalistes d'un côté , et contre le parti démocratique mutilé , de l'autre. (...)
Dans les derniers mois de l'an VII, l'orage populaire grondant plus fort que jamais, etles armées ennemies devenant plus menaçantes , les usurpateurs de la souveraineté nationale se sentirent pressés entre les vengeances de l'ancien régime et la justice du peuple ; mais , trop ennemis de l'égalité pour avoir recours à une capitulation qu'ils eussent facilement obtenue du parti populaire , ils aimèrent mieux s'exposer à toutes les chances du despotisme militaire, en livrant, le 1 8 brumaire de l'an VIII, la république française au pouvoir illimité d'un soldat impérieux, dont ils se flattèrent en vain de contenir l'ambition et l'audace.
Ce fut aussi par une conséquence de la politique qui prévalut au 9 thermidor de l'an II, que ceux qui présidaient aux destinées de la France furent amenés à envisager la guerre d'invasion comme un puissant moyen d'absorber l'attention de la nation , de la détourner du soin de ses droits, d'évacuer progressivement l'humeur démocratique des armées, de corrompre les citoyens , et de fournir un aliment à l'ambition des généraux ; il est difficile d'expliquer autrement la conduite tenue en Italie et en Suisse, et surtout cette impolitique et criminelle expédition d'Egypte.
Le consulat et l'empire furent donc autant les suites de la guerre d'invasion, d'où sortit Buonaparte, que de la politique intérieure ; ces deux causes ont leur source commune dans les complots dont Robespierre fut la victime.
Buonaparte pouvait, par la fermeté de son caractère et par l’ascendant de ses exploits militaires, être le réparateur de la liberté française ; ambitieux vulgaire, il aima mieux lui porter les derniers coups : il tint entre ses mains le bonheur de l’Europe et il en fût le fléau par l’oppression systématique qu’il fit peser sur elle, , et par celle bien plus terrible, dont il prépara les élémens, et sous laquelle furent, après sa chute, engloutis, au nom même de la liberté, tant de peuples de cette partie du globe. Plus on réfléchit sur l'enchaînement des événemens, plus on demeure convaincu que la contre-révolution commença le 9 thermidor.”
Flippo Buonarroti, ("Conspiration Pour L'Egalité Dite de Babeuf, Suivie Du Procès Auquel Elle Donna Lieu, Et Des Pieces Justificatives, Etc. Etc", Tome premier, Bruxelles, 1828, pp. 108-109. (cf. Gracchus Babeuf).
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