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                           Le Livre noir de  

                 NAPOLÉON BONAPARTE [ 7 ]

   « en proie à un appétit d'assujettissement universel »

                 Château de Fontainebleau, 

             Chapelle Royale de la Sainte-Trinité

                                 1605 -1633

                  peintures de Martin Fréminet

                                  (1567-1619)

            

 

Plus que jamais éclate la mégalomanie du Petit Caporal.  Très peu de souverains ont été sacrés par le pape, comme les empereurs Charlemagne ou Charles Quint, ce qui place Napoléon dans une très longue lignée de monarques de droit divin, même si le nouveau maître de la France se devait maintenant de donner (un peu) l'illusion que le peuple avait un rôle à jouer dans cette affaire : Napoléon deviendra ainsi, selon la formule consacrée, empereur "par la grâce de Dieu et les constitutions de la République", proclamera la Constitution de l'an XII, (article 140), le 18 mai 1804. Encore une fois, Napoléon faisait sa propre et nouvelle cuisine dans de très anciennes casseroles. 

 

Plusieurs mois après, le sacre n'est là que pour la gloire et la splendeur du nouveau monarque, qui affirme sa puissance, en particulier, en faisant la nique au pape, se couronnant lui-même d'une couronne de lauriers en or, avant de déposer une couronne sur la tête de la nouvelle impératrice Joséphine, le pape s'étant contenté de les bénir. Sans compter que le pontife apprend seulement en arrivant à Paris, en novembre 1804, que Napoléon et Joséphine ne sont même pas mariés religieusement. C'est Joséphine elle-même, qui demande une audience privée au pape pour lui apprendre la chose et obliger ainsi son mari au mariage religieux, plus difficile à rompre. L'empereur n'aura pas le choix et improvisera la veille du sacre une cérémonie discrète et à la va-vite, célébrée par son oncle Fesch, le cardinal, avec pour seuls témoins deux aides de camp, probablement Berthier et Duroc (Marc Fourny, "Le jour où le pape refusa de sacrer Napoléon", article du journal Le Point, 30 novembre 2024). 

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         The  Corsican Cuckoo

 

        « Le coucou corse »

 

  Isaak  Cruikshank (1764-1811)

           

          Gravure à l'eau forte

            colorée  à la main  

 

    Publié par Thomas Williamson            

         Londres, 26 juillet 1804    

 

                  24.5  x   34.9  cm 

                    British Museum

                    1868,0808.7282

                Londres, Angleterre

                          

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Ce n'est pas faute d'avoir fait beaucoup d'efforts, et depuis bien longtemps, pour se rattacher à  une  lignée prestigieuse qui remonte à Charlemagne.  Mais au-delà, le nouvel empereur cherche à se tailler une place personnelle et singulière. Ainsi, la cathédrale Notre-Dame, à Paris, au lieu de celle de Reims, est choisie pour son couronnement du 2 décembre 1804, qui a "l’avantage d’être un temple national, où se sont célébrés la fête de la Raison en 1793 et le culte théophilanthropique sous le Directoire, mais aussi le 18 avril 1802, jour de Pâques, la grande fête à l’occasion de la promulgation de la loi sur l’organisation des cultes (Boudon, 2007).  Il faut ainsi une bonne dose de syncrétisme pour rendre indispensable aux yeux de tous, la nouvelle mutation du régime. Napoléon est loin d'être seul, à vouloir cette transformation, et là encore, c'est tout un petit cercle de puissants qui réfléchissent la question, devenue urgente après un énième complot royaliste, conspiré par des généraux, le Chouan Georges Cadoudal (1771-1804) et Jean-Charles Pichegru (1761-1804), député du Jura en 1797, qui a aussi été président du Conseil des Cinq Cents et déjà condamné après le coup d'Etat de fructidor an V.  L'arrestation et l'exécution  de Louis-Antoine-Henri de Bourbon-Condé (1772-1804), dans la nuit du 20 au 21 mars 1804 plus connu sous le nom du duc d'Enghien, est bien plus injuste et expéditive. Fils unique du dernier prince de Condé, il est sauvagement fusillé dans les fossés du Château de Vincennes, condamné sur place par un conseil de guerre présidé par Pierre-Augustin Hulin, grand serviteur de Napoléon, qui sera fait commandeur de la légion d'honneur la même année. Mais c'est le brutal Savary, envoyé par le Premier Consul, qui a un rôle important dans le système policier de Fouché, futur ministre de la police de Napoléon entre 1810 et 1814, et qui plus est intime de la famille Bonaparte par alliance matrimoniale, qui emporte la décision, arrachant un papier sur lequel Hulin était en train d'écrire à Napoléon  un souhait formulé par l'accusé, et demandant de hâter son exécution (cf. Andrea Davy-Rousseau, "Autour de la mort du Duc d'Enghien", article de la Fondation Napoléon)

 

Arrêtés (ainsi que le général Moreau), Cadoudal sera guillotiné le 28 juin 1804 avec plus d'une dizaine de complices, tandis que Pichegru avait été retrouvé mort dans sa cellule, au matin du 6 avril.  Moreau écopera quant à lui de deux ans de prison.  Finalement, les menaces répétées des royalistes  avaient bien servi les desseins despotiques de Napoléon. Elles avaient ouvert la voie au coup d'Etat de Brumaire, elles allaient cette fois hâter le passage à l'Empire. Pendant que les conjurés croupissent au fond de leur geôle, des dizaines d'hommes d'Etat, dès floréal, sénateurs, tribuns, etc., au premier rang desquels on trouve Nicolas François de Neufchateau (1750-1828), président du Sénat, fait comte d'empire par Napoléon en 1808,  prononcent des discours en faveur de l'établissement d'un gouvernement impérial héréditaire (cf.  Recueil de documents sur le gouvernement impérial et héréditaire).  

"Au Conseil d’État, Cambacérès défend le principe du sacre et la venue du pape en France, alors que plusieurs conseillers émettent des réserves sur une cérémonie qui paraît contrevenir au principe de neutralité religieuse formant la base de la politique ecclésiastique du régime. Il rappelle que l’empereur doit être de la même religion que la majorité de la population, car c’est une garantie d’ordre social. Portalis joue également un rôle important dans la venue du pape et la préparation du sacre (Boudon, 2007).   

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Napoléon souille la couronne de France, en déféquant sur le coussin de son siège. (...) Napoléon a le derrière nu. Les « œufs » qu’il pond ainsi, font fuir un Français, probablement un Bourbon, en se pinçant le nez. -  Le caricaturiste, en titrant son dessin « Le Coucou Corse », fait ici évidemment référence à la particularité de cet oiseau, connu pour pondre ses œufs dans le nid d’un autre oiseau, ce qui détruit ceux qui y sont déjà. Comme le coucou, les ordures que Napoléon répand sur la France, contaminent la monarchie en tant qu’institution en France. Mais Napoléon ne semble en avoir cure : il est ainsi certain de s’emparer du nid royal !   

 

Caricatures&Caricatures, Napoléon à travers la caricature (2) 

                                           

    Sacre de l'empereur Napoléon Ier 

et

couronnement de l'impératrice Joséphine

dans la cathédrale Notre-Dame de Paris,

le 2 décembre 1804  

   Jacques-Louis David

(1748-1825)

huile sur toile

             

 

                       1805 - 1807        6, 21  x   9,79  m 

                                       Musée  du Louvre

                                                 INV 3699

                                             Paris, France

                                               

 

​​​​

Tout d'abord, les "conditions dans lesquelles Bonaparte prend le pouvoir lui permettent de jouer un rôle actif dans l’élaboration d’une quatrième constitution depuis 1789 ; mais les institutions envisagées par ce texte s’organisent autour d’un pouvoir personnel qui ne cesse de se renforcer, rendant nécessaire une modification constitutionnelle en 1802 puis une autre en 1804, instituant un nouveau régime.

(...)

Dans ce système, le gouvernement s’organise tout entier autour de la personne du Premier consul, puis de l’Empereur : les assemblées ne cesseront de voir leurs fonctions amoindries : l’Empereur contestera même en 1808 au Corps législatif la qualité de corps représentatif de la nation avant de cesser de le convoquer certaines années ; même le Sénat, pourtant mieux considéré, n’est pas consulté en 1813 lorsqu’il s’agit d’établir de nouveaux impôts, en violation flagrante du texte constitutionnel"   (Bodineau et Verpeaux, 2013).   

En 1807,  l'empereur semble monter de plusieurs crans son tempérament despotique. Le 4 mai, il signe avec la Perse le traité de Finckestein (Finkenstein), du nom du château de Prusse Occidentale où cette alliance est conclue. L'Iran est sur la route des Indes à conquérir, et  "le grand  Empire d'Occident une fois réalisé, c'est vers l'Orient qu'il dirigera ses armées pour asservir le monde

 

Michel Poniatowski, préface de "L'expédition d'Espagne : 1808 - 1810",  de Gaspard de Clermont-Tonnerre, Perrin, 1983, p. 11  (cf. détail éditorial du manuscrit)

 

De retour de Prusse, Napoléon, au dire de beaucoup d'observateurs, connaît un durcissement de son comportement. L'ambassadeur d'Autriche, le prince de Metternich (Klemens Wenzel, 1773-1859), futur ministre et chancelier, rapporte à la cour que l'Empereur "paraît avoir atteint le point où toute modestie ne serait qu'inutile gêne" et qu'il "est en proie à un appétit d'assujettissement universel(op. cité).  Thibaudeau note son "impatience", Talleyrand se dit "effrayé de l'ambition effrénée" de l'Empereur et Fouché remarque "chaque jour les progrès de l'enivrement défigurer ce grand caractère(op. cité). Le bruit se répand même "que le souverain serait atteint d'aliénation mentale(op. cité).  

 

Nous avons clairement établi que le pouvoir de Napoléon Bonaparte était une forme de dictature, mais l'intéressé ou ses thuriféraires, de par leur mentalité aristocratique,  ne voyaient pas du tout les choses ainsi et, surtout, avaient tout intérêt à asseoir chaque jour un peu plus la légitimité de leur maître. La hiérarchie des normes consulaires a été permise avant tout par "la dévalorisation chronique de la loi sous le régime de l’an VIII", l'organe législatif ayant "disparu en tant que tel, cédant le pas à l’enchaînement des interventions de différents acteurs", cédant la place à un Sénat tout puissant, avec ses sénatus-consultes décisifs :  "depuis le sénatus-consulte du 15 nivôse an IX, l’action sénatoriale s’est établie comme primordiale au sein des institutions consulaires. Le Sénat se pose en arbitre et, bien plus, en interprète privilégié de la volonté nationale. Il supplée dans les faits les carences d’une autorité législative défaillante, et s’impose ainsi comme l’un des rouages essentiels du système constitutionnel.(Zacharie, 2008).   Ainsi, le régime de dévolution de la couronne impériale, spécifiant les règles de la transmission héréditaire de la fonction royale, s'appuie sur des sénatus-consultes successifs, à compter de celui du 28 floréal an XII (18 mai 1804), établissant  la Constitution de l'an XII,  du Premier Empire, principalement axée sur cette question de la transmission héréditaire du pouvoir des "Princes français" de la famille impériale, installant, en principe, du moins, un pouvoir infini de la famille napoléonienne sur le pays. C'est ainsi qu'au "mépris du Code civil promulgué le 21 mars 1804, la constitution nouvelle accorde à la famille Bonaparte un statut particulier dans l’État. Le titre III qui lui est consacré donne à ses membres le titre de princes français et les fait entrer de droit, à l’âge de 18 ans, au Sénat et au Conseil d’État. Il revient au Sénat d’enregistrer les actes concernant la naissance, le mariage ou le décès des membres de la famille de Napoléon « qui échappent ainsi aux règles normales de l’état civil »"   (Bertaud, 2014, citation de J. O. Boudon, 2003).

 

A partir de là, certains historiens  distinguent les régimes absolutistes prérévolutionnaires d'avec le régime monarchique napoléonien, mais constatons que dans la réalité, ce distinguo juridique n'a guère d'importance :  les deux formes de gouvernement possèdent en commun presque tous les traits de pouvoir et de domination des régimes despotiques. 

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    The Grand Coronation Procession

of

Napoleone the 1st, Emperor of France,

from the Church of Notre-Dame,

Dec.r  2.d  1804.

 

                     James Gillray (1756-1815), graveur

 

                          gravure à l'eau-forte coloriée

 

                           Publié chez H. Humphrey

        Londres, 1er janvier 1805                

 

                                      21,2 x 75,9 cm

    

                                Collection de Vinck, 7948

                       Bibliothèque Nationale de France (BNF)

                       Département Estampes et Photographies     

                                   RESERVE QB-370 (59)-FT 4

                                            Paris, France

​​                        

"L’Empereur ne se dissimulait pas que la demeure de la capitale n’était parfois pas tenable pour les souverains ; mais, d’un autre côté, Versailles ne l’était pas pour les grands, les ministres ni les courtisans. C’était donc une faute de Louis XIV, s’il n’avait entrepris Versailles que pour le séjour des rois, lorsque Saint-Germain était tout trouvé sous sa main : la nature semblait l’avoir fait exprès pour la véritable demeure des rois de France. Lui-même, Napoléon, avait fait des fautes à cet égard ; car il ne fallait pas, disait-il, se louer dans tout ce qu’on avait fait. Il aurait dû retrancher Compiègne, par exemple, et il regrettait d’y avoir fait son mariage : il eût voulu l’avoir fait à Fontainebleau. « Et voilà, disait-il encore en s’arrêtant sur Fontainebleau, la vraie demeure des rois, la maison des siècles ; peut-être n’était-ce pas rigoureusement un palais d’architecte, mais bien assurément un lieu d’habitation bien calculé et parfaitement convenable. C’était ce qu’il y avait sans doute de plus commode, de plus heureusement situé en Europe pour le souverain, etc. »"   

 

Las Cases, "Mémorial de Sainte-Hélène",  volume 2,  édition Ernest Bourdin , 1842, p. 40

Dès son avènement, en 1804, débute la coûteuse restauration du château de Fontainebleau, qui deviendra la nouvelle résidence impériale. L'année suivante, la galerie François Ier, rebaptisée "galerie de l''empereur",  est transformée par ce dernier  en une sorte de panthéon de grands hommes, dont les bustes en marbre sont commandés à de nombreux sculpteurs attachés aux palais des Tuileries et de Saint-Cloud. La liste des personnages illustres choisis par l'empereur est instructive et sans surprise, Napoléon ayant  préféré majoritairement des hommes d'armes (30) ou des politiques (une douzaine)  à une petite poignée de philosophes et de savants (Caron, 2023).  

Le Consulat avait déjà fait l'occasion, nous l'avons vu, d'un renouveau de bon nombre de pratiques monarchiques. L'empire ne pouvait qu'exprimer davantage l'étiquette et le faste de la royauté :  Les membres de la famille impériale sont faits princes et princesses, ce qui va de pair avec autant de "listes civiles", qui dopent d'un coup et considérablement la richesse de tout ce petit monde.  Le terme de liste civile a été introduit par Mirabeau pendant la séance de l'Assemblée Nationale du 7 octobre 1789, s'inspirant de la civil list anglaise, qui permettait d'encadrer constitutionnellement les finances royales (cf. Salles, 2019). Mirabeau fait la révolution à sa manière royaliste : il n'a pas de souci avec le fait que les mœurs politiques évoluent, du moment que la nation apporte ce qu'elle doit "non seulement à ses créanciers mais au soutien et à la splendeur du  trône.

      La liste civile, c’est-à-dire la somme assurée annuellement au Roi, pour la dépense de sa maison et de celle des princes, le payement de ses gardes, les gages des ministres, des ambassadeurs, et des juges mêmes, la liste civile est votée par le parlement au commencement de chaque règne : elle est assurée sur un revenu fixe, dont le parlement peut bien changer la répartition, mais qui ne peut être diminué, durant la vie du Roi, sans son consentement. Qu’on se figure ce que serait un roi, obligé chaque année de demander à ses peuples les sommes nécessaires pour sa subsistance, pour son entretien et comme particulier, et comme roi ?"  

(Mirabeau, "Discussion de l'article  6 du projet d'organisation du corps législatif, lors de la séance du 7 octobre 1789", Archives Parlementaires de de 1787 à 1860, Première Série, 1787-1799, Tome IX,  Paris, 1877, p. 380-381).  

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                 Château de Fontainebleau, 

                      Chambre de l'Impératrice

 Le plafond date du règne d'Anne d'Autriche (1601-1666), l'alcôve, les lambris de celui de la Polonaise et reine de France et de Navarre Marie Leszczyńska ("de Leszno", 1703-1768) les portes du temps de Marie-Antoinette d'Autriche (1755-1793), exécutées lors de nouveaux travaux d'embellissement en 1787, dirigés par l'architecte Pierre Rousseau, qui décore le salon de jeu, le boudoir,  fait refaire le mobilier (en particulier   le "lit en baldaquin"), fabriqué par le menuisier Jean-Baptiste Sené,  le sculpteur Jacques Laurent et le peintre doreur Louis-François Chatard sous la direction de Jean Hauré,  lit dans lequel Marie-Antoinette ne dormira jamais   ​ (Carlier, 2008) 

                                     

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                 Château de Fontainebleau, 

                               Salle du Trône

    Ancienne chambre du Roi avant la Révolution, fonction et décor fixés par Louis XV (1710-1774). 

   

Le goût pour le luxe commence tôt, et on voit Bonaparte, devant son armée en Italie, dîner somptueusement et avec un cérémonial conçu pour laisser chez les spectateurs une image saisissante de sa personne. Une fois à la tête de l’Empire, il n’a aucune raison de ne pas se laisser aller à son penchant. Même en exil, sur l’île d’Elbe, et plus tard à Sainte-Hélène, il continue à jouer l’empereur des Français, avec une cour diminuée, composée de ses quelques amis et alliés qui l’avaient suivi en exil, remplissant ainsi le rôle de ses rêves. La culture des apparences, semble-t-il, continue à l’inspirer tellement il en est devenu l’esclave.​   

 

(Forrest, 2011).

 

 

Comment imaginer qu'une personne présidant au fonctionnement d'un Etat, s'exclamant après avoir fait le tour des plus beaux palais et châteaux "je choisis celui-ci, il n'est pas parfait mais il me convient bien", puisse véritablement comprendre les besoins des plus démunis et travailler au bien-être de tout un peuple ?   Premier consul à vie, il avait déjà le pouvoir civil et militaire, réinstauré des rites  et des cérémonies protocolaires royaux, menait une vie de cour au Palais des Tuileries, avec ses courtisans, ses bals et ses fêtes magnifiques, le Concordat l'avait fait héritier des anciens rois, il détenait déjà le droit de grâce comme les rois capétiens, battait monnaie à son effigie, une couronne de lauriers à sa gloire : quel sens a donc la proclamation de Napoléon Ier comme empereur des Français, par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804), lui qui est déjà le maître absolu du pays, sinon l'extrême mégalomanie, un orgueil des plus démesurés ? 

La richesse de Napoléon a commencé de se construire au sein du clan familial, assez solidaire au début de son ascension : "Ils étaient plutôt à l’aise, toujours du côté du bon parti, à chercher des pensions, à tenter des affaires ou à récupérer des héritages"  (Pierre Branda, "Waterloo : où sont passés les 100 millions de Napoléon ?",  interview de Marc Fourny, Journal Le Point, 18 juin 2015)Et puis il règne toujours autour des Grands un parfum d'escroquerie, de vol, d'accaparement des richesses, les Bonaparte et les Beauharnais n'échappent pas à la règle. Joséphine a "toujours multiplié les petits et les gros trafics, fait de l'agiotage, pris ses commissions, d'abord dans le dos de Barras, puis dans celui de Napoléon" raconte Branda (op. cité). La créole était parfois en concurrence avec Joseph Bonaparte,  doué dans les affaires, qui s'enrichissait en spéculant, en particulier sur la vente des biens nationaux,  avec l'aide de Napoléon, mais aussi sur les contrats de fourniture pour l'armée, (op. cité).  L'argent appelle l'argent.  Dès l'accession au pouvoir de Napoléon, la richesse de la famille a crû significativement, "les Bonaparte disposaient de beaucoup d’argent et procédèrent à de nombreux achats et placements"   (Lalliard, 2011).   

 

L'empereur Napoléon Ier  deviendra "le monarque le plus riche du monde, juste devant le roi d'Angleterre(op. cité), en faisant tout d'abord de somptueuses économies sur son sa propre et mirifique liste civile. 

 

Un décret  très détaillé de l'Assemblée Nationale, du 26 mai 1791 (complétant un précédent du 9 juin 1790) fixait déjà à l'article 1 le montant de la liste civile du roi : "Il sera payé par le trésor public une somme de 25 millions pour la dépense du roi et de sa maison."  (Philippe-Antoine Merlin, 1754-1838, "Répertoire  universel et raisonné de jurisprudence". Tome 10,  LET. __MED., LISTE CIVILEp. 162).   La liste civile fut supprimée par un décret de l'Assemblée législative du 10 août 1792 et ne sera rétablie qu'en...  1804, par l'article 15 de la Constitution de l'an XII, qui la rétablit sur la base des anciens décrets précités, en plus de faire le bonheur  de l'impératrice et des princes de la famille   : 

 

"La liste civile reste réglée ainsi qu’elle l’a été par les articles 1 et 4 du décret du 16 mai 1791. – Les princes français Joseph et Louis Bonaparte, et à l’avenir les fils puînés naturels et légitimes de l’Empereur, seront traités conformément aux articles 1, 10, 11, 12 et 13 du décret du 21 décembre 1790. – L’Empereur pourra fixer le douaire de l’impératrice et l’assigner sur la liste civile ; ses successeurs ne pourront rien changer aux dispositions qu’il aura faites à cet égard.

 

Et le meilleur est à venir :  Qui a fixé le montant de la liste civile de l'empereur Napoléon ? Ni lui, ni son entourage, mais... Louis XVI lui-même, qui, après avoir fait monter les enchères de ce qui lui semblait nécessaire pour ses besoins personnels et ceux de sa maison, fit connaître aux députés, par lettre du 9 juin 1790 au président de l'Assemblée Constituante, et signée simplement "Louis", que ce n'est pas vingt millions, mais plutôt vingt-cinq, qu'il faudrait pour pourvoir aux dépenses de sa  "maison civile et militaire", et encore, en faisant de très très gros sacrifices : 

"Je crois que vingt-cinq millions, en y ajoutant le revenu des parcs, domaines et forêts des maisons de plaisance que je conserverai, pourront, au moyen de retranchements considérables, suffire convenablement à ces différentes dépenses."

Archives Parlementaires, op. cité, Tome XVI - Du 31 mai au 8 juillet 1790,  "Lettres du roi sur la liste civile et le douaire de la reine, lors de la séance du 9 juin 1790", p. 158

C'est donc une énième potion d'Ancien Régime que Napoléon fait avaler au peuple français, de la meilleure qu'il soit pour notre sire, puisque le nouveau monarque, en plus de son mirobolant traitement, aura non seulement "la jouissance des maisons, parcs et domaines" (décret du 26 mai 1791, article 4), mais percevra aussi tous les revenus de ses "domaines réservés".  Et ne parlons pas de son traitement d'Empereur, pour la bagatelle de six millions, pour son argent de poche. Certes, l'empereur a des frais dignes de son train de vie de nabab : "C’est énorme, mais là-dessus, il doit payer les membres de sa Maison, soit 3 000 personnes, secrétaires, écuyers, chambellan, fourriers, domestiques, etc. Il faut aussi éponger les caprices de Joséphine, toujours dans le rouge : il rembourse régulièrement des dettes annuelles d’un million de francs en robes, bijoux, fanfreluches, décoration..."  ("Pierre Branda..", op. cité).  

En 1813,  la Maison impériale employaient environ 220 personnes, quand Louis XVI et Marie-Antoinette, pointés du doigt pour leur train de vie dispendieux,  n'en avaient "que" 52 à leur service (Forrest, 2011).    

 

Mais en bon économe (merci à sa maman Letizia / Læticia, avare comme Picsou),  "il négocie toujours un rabais de 20 % sur la note [des dépenses de Joséphine] au dernier moment, sous peine de ne pas régler (...)  fait contrôler les comptes de l’État au cordeau, chaque service mettant son nez dans celui du voisin pour déceler les irrégularités..."  et finalement, même s'il "ne lésine jamais sur le faste et l’apparat, parce que ceux-ci participent à sa puissance et à son image...  il ne dépense que 15 millions environ par an et parvient à économiser 10 millions sur sa liste, soit 100 millions sur dix ans. Le bas de laine se transforme en vrai pactole !"  (P. Branda, "Waterloo..", op. cité).   

 

Quel père de famille exemplaire que ce Napoléon ! 

La cour de l'Ancien Régime renaît avec sa Maison des pages, en 1805, ou encore, la grande aumônerie, la vénerie (dont la fauconnerie), etc. La maison civile voit la naissance, ou plutôt la renaissance, de toute une ribambelle de "gouverneurs, de sous-gouverneurs, d’écuyers, d’intendants et de chambellans sous les ordres des grands officiers" (Bertaud, 2014).  Napoléon reconstitue aussi la très large clientèle d'une nouvelle noblesse, à qui on distribue en veux-tu en voilà, toutes sortes de cadeaux : donation de terres, de rentes ou de fiefs, qui ne coûtent pas grand-chose puisque prélevées sur des pays conquis, comme l'Italie et l'ensemble des pays germaniques  (op. cité), dont on exploite , les richesses au maximum, nous l'avons vu. De plus, pour s'attacher une riche clientèle parmi l'élite des pays conquis,  la nationalité française n'était nullement requise pour les heureux bénéficiaires : "Dans la noblesse impériale il y avait un certain nombre d'Italiens et de Polonais et aussi quelques Allemands. Toutes les dispositions concernant les titres et leurs dotations s'appliquaient aussi à ces étrangers." (Senkowska-Gluck, 1970).  On retrouve là une des pratiques de domination bien connues que nous avons vu ailleurs, qui consiste à s'allier aux plus nantis des vaincus, pour contenir plus efficacement les velléités de résistance et de révoltes des classes sociales inférieures. 

 

On doit faire remarquer ici que  les dotations qualifiées de "fiefs" ne reflètent pas tout à fait le droit féodal, car leur souveraineté, la plupart du temps était limitée, sans pouvoir politique et renouvelée à chaque mutation, à l'exception notable des duchés de Bénévent, en Campanie (attribué à Talleyrand), et de Pontecorvo (Ponte-Corvo, Ponte-Corve, Pontecorve, dans le Latium), attribué à Bernadotte, ou encore de la principauté de Guastalla, en Emilie-Romagne (Senkowska-Gluck, 1970).  Mais l'important n'était-il pas que leurs bénéficiaires en plus de leur titre, aient surtout les "revenus attachés à celui-ci" ?   (op. cité).  

En 1805, Napoléon offre à sa sœur Elisa et à son mari Felix Bacciochi, de grande et ancienne  famille corse, les principauté de Piombino et de Lucques, en Italie. Malgré leur mariage contre le gré de l'empereur, ce dernier avait adopté le mari qui, de capitaine d'infanterie, était passé directement colonel du 26e régiment d'infanterie  : "c'était l'homme le plus sot que la terre ait jamais porté. Lors du Consulat on en fit un colonel, quoiqu'il fût à peine en état de com- mander un peloton* ; et lorsque sa femme fut nommée grande-duchesse de Toscane, ne sachant qu'en faire, on le nomma capitaine des gardes de la grande-duchesse"  (« Chronique indiscrète du dix-neuvième siècle. Esquisses contemporaines, extraites de la correspondance du Prince de *** », Paris, Chez les Marchands de Nouveautés, p. 97) Puis la carrière du mari se déroule sur du velours :  Fait membre de la légion d'honneur le 19 frimaire an XII (11 décembre 1803), officier de l'Ordre, le 25 prairial (8 juin 1804), président du collège électoral du département des Ardennes, il revêt l'habit de sénateur le 8 nivôse an XIII (29 décembre 1804), est nommé général, fait, grand-cordon de la Légion d'honneur le 15 ventôse (6 mars 1805) et, last but not least,  prince d'empire la même année**  : c'est pas génial d'avoir un beau-papa comme Napoléon ?

* jugement d'époque, aristocratique, depuis toujours très sévère envers les membres des classes dominantes "inadaptées" à leur milieu, par leur sensibilité, le peu d'appétence ressenti pour les valeurs patriarcales : la domination, la guerre, les "qualités viriles", etc. : "Dans les grandes cérémonies ou réceptions des ambassadeurs, il se tenait debout derrière le fauteuil de sa femme, qui souvent lui faisait ramasser son mouchoir (...) Bacchiochi avait les mœurs douces , il aimait passionnément la musique, quoiqu'il n'y entendît rien, et pendant qu'il raclait du violon, madame prenait ses ébats avec les amis de son mari, comme avec les siens particuliers"  (Chronique... op. cité, pp.  97-98). D'autres témoignages louent plutôt sa grande humanité et sa grande bonté :  "Bienveillant, humain, doux, libéral, juste, aimant et protégeant les arts, cultivant les gens de lettres les plus recommandables, Félix Bacciochi a laissé, en Toscane et partout où il a été connu, une mémoire honorée et des regrets que le temps ne saurait effacer." **

 

** "Fastes de la légion-d'honneur : Biographie de tous les décorés accompagnée de l'histoire législative et réglementaire de l'ordre", de A. Lievyns, Jean Maurice Verdot et Pierre Bégat,  5 volumes de 1844 à 1847, Tome troisième, Paris, 1845,  p. 66).

Et ce n'est pas fini. Napoléon ajoutera plus tard dans l'escarcelle  des époux la province de Massa-Carrara (Carrare), célèbre pour son marbre, en 1806. Cette fois, ce n'est pas en mercantile, mais d'une certaine manière, en capitaliste, que Napoléon va réorganiser, moderniser et exploiter rationnellement la célèbre roche, sans oublier de continuer de travailler à sa gloire par une intense propagande  : "Cela favorisa le repeuplement de la ville, son enrichissement rapide et la réputation dont elle jouit encore aujourd’hui. Furent ainsi produits par milliers les bustes de l’Empereur et de son illustre famille, de toutes tailles, que l’on devait ensuite transporter et installer dans les préfectures, les municipalités et les écoles des territoires français et francisés, comme moyens efficaces de propagande."  (Alessandro Guadagni, "Le marbre blanc de Carrare à l'époque de Napoléon", article de la Fondation Napoléon).  

 

Un Statut impérial du 30 mars 1806 réunit les Etats vénitiens, cédés par l'Autriche, au Royaume d'Italie, et douze provinces italiennes sont érigées en duchés grands-fiefs de l'Empire : "1° La Dalmatie, 2° l'Istrie, 3° le Frioul, 4° Cadore, 5° Bellune, 6° Conegliano, 7° Trévise, 8° Feltri, 9° Bassano , 10° Vicence, 11° Padoue, 12° Rovigo

 

"Statut...", op. cité, article 3, dans "Collection des Constitutions, Chartes et Lois fondamentales des peuples de l'Europe et des deux Amériques ; Avec des Précis offrant l'Histoire des Libertés et des Institutions politiques chez les nations modernes ; Et une Table alphabétique des matières", par les avocats Pierre Armand Dufau, Jean-Baptiste Duvergier et Joseph Guadet,  6 tomes de 1821 à 1823 : Tomes I et II chez J.L. Chanson, Paris, 1821 et  Tome III à VI, Chez Béchet Aîné, Paris, Rouen, 1823 ; citation tirée du Tome IV, pp. 319-320).

 

L'article suivant emprunte à l'institution espagnole du "mayorazgo"  (du latin major : "plus grand"), le majorat, que Napoléon établit à son tour,  en réservant "de donner l'investiture desdits fiefs, pour être transmis héréditairement par ordre des primogénitures, aux descendans mâles légitimes et naturels, de ceux en faveur de qui nous en aurons disposé"  (op. cité, article 4), principe développé par un "décret organique des statuts impériaux du 1er mars 1808, Relatifs aux Titres et Majorats".  L'article 5 réserve 1/15e du revenu du Royaume d'Italie (30 millions de francs) au bénéfice des détenteurs des nouveaux fiefs, et l'article 6 dote la banque Monte Napoleone (fondée en 1805 pour résoudre la dette italienne)  de fonds destinés à des rentes annuelles (à concurrence de 1.200.000 francs) versées à des "généraux,  officiers et soldats qui ont rendu le plus de services à la patrie et à la couronne, et que nous désignerons à cet effet : leur imposant la condition expresse de ne pouvoir, lesdits généraux, officiers et soldats, avant l'expiration de dix années, vendre ou aliéner lesdites rentes sans notre autorisation."  L'année suivante, en 1807, Napoléon faisait un nouveau cadeau aux élites de son armée : "les domaines nationaux du duché de Varsovie, valant 20 millions de francs, furent distribués à 27 donataires — maréchaux et généraux français." Cette année-là, le maréchal François Joseph Lefebvre (1755-1820), qui avait été précieux  le 18 brumaire, devenait Duc de Dantzig, les revenus des domaines de Parme et de Plaisance attachés à son titre  (Senkowska-Gluck, 1970).   

Par un autre décret du même jour, Napoléon dote sa sœur Pauline et le prince Borghèse, son époux, de la principauté de Guastalla (cf. plus haut) : "La principauté de Guastalla étant à notre disposition nous en avons disposé comme nous en disposons par les présentes, en faveur de la princesse Pauline, notre bien-aimée sœur pour en jouir en toute propriété et souveraineté sous le titre de princesse et duchesse de Guastalla."  (Titres et Héraldique sous Napoléon). 

En 1808, et jusqu'en 1814, c'est au tour des nouveaux comtes, barons et chevaliers de faire leur apparition.

C'est Napoléon lui-même, au travers de l'institution du majorat,  qui souligne un trait fondamental du Code Civil, aussi régressif  que beaucoup d'autres actions politiques de Napoléon,  mais que lui vante au plus haut point , bien sûr (mais en secret), puisqu'il conforte les familles qu'il a enrichies :

" j'ai pensé qu'il convenait que le beau-frère de la reine de Naples eût un rang distingué chez vous. Quant aux six autres duchés, je serai bientôt dans le cas d'y nommer. Masséna et Jourdan seraient l'un et l'autre convenables. Tout ce qui est tache disparaît avec le temps, et, les titres de vainqueur de Fleurus comme de vainqueur de Zurich sont des titres qui restent ; on ne se souviendra que de cela en voyant leurs enfants. Lorsque vous serez maître de la Sicile, instituez trois autres fiefs, dont un pour Reynier; aussi bien je pense que c'est lui que vous chargez de l'expédition, et ce ne sera pas un faible encouragement pour lui s'il se doute de ce que je veux faire en sa faveur. Dites-moi les titres que vous voudriez donner aux duchés qui sont dans votre royaume. Ce ne sont que des titres ; le principal est le bien qu'on y attache ; il faudrait y affecter 200,000 livres de rente. J'ai exigé aussi que les titulaires aient une maison à Paris, parce que c'est là qu'est le centre de tout le système; et je veux avoir à Paris cent fortunes, toutes s'étant élevées avec le trône et restant seules considérables, puisque se sont des fidéicommis, et que ce qui ne sera pas elles va se disséminer par l'effet du Code civil.

 

Établissez le Code civil à Naples, tout ce qui ne vous est pas attaché va se détruire alors en peu d'années et ce que vous voudrez conserver se consolidera. Voilà le grand avantage du Code civil... il faut établir le Code civil chez vous ; il consolide votre puissance, puisque, par lui, tout ce qui n'est pas fidéicommis tombe, et qu'il ne reste plus de grandes maisons que celles que vous érigez en fiefs. C'est ce qui m'a fait prêcher pour un code civil et m'a porté à l'établir ». Lettre de Napoléon à son frère Joseph, roi de Naples, du 5 juin 1806*, dans Correspondance de Napoléon, ) 

 

jour où il nomme un de ses autres frères, Louis Bonaparte, roi de Hollande 

Nous avons clairement ici l'aveu du prince des ploutocrates, qui affirme avoir pensé sa législation très loin des idées de bien commun, mais au plus près (et à quel point !) des intérêts privés des plus fortunés, qu'il a fait proliférer dans tout son empire. Cela ne fait que confirmer la nature profondément élitiste et ploutocratique de toute la politique de Napoléon, de toutes ces "masses de granit" qui  taillent dans le marbre une machine sociale propre à creuser les inégalités  dans les moindres recoins de la société, nous l'avons vu, au travail, à l'école, à l'hôpital, à l'armée, etc., tout en forgeant les outils très utiles à cette domination extrêmement verticale et centralisée : conseil d'Etat, préfets, banque de France, franc germinal, livret ouvrier, cour des comptes, université impériale etc. 

 

 

Le rétablissement de l'institution du fidéicommis de famille en France se fit sans délai, mais aussi sans éclat, par le sénatus-consulte du 14 août 1806  qui apparemment ne réglait qu'une affaire concernant la famille de l'Empereur, à savoir la question de la principauté de Guastalla, à Pauline Borghese. La principauté fut cédée au royaume d'Italie. Le sénatus-consulte disposait que le produit de cette cession serait employé pour l'achat, en remplacement, des biens dans le territoire de l'Empire et que ces biens formeraient également un majorât, aux mêmes conditions que précédemment la principauté. Les articles 3 et 4 du sénatus-consulte ce principe à tous les cas où les biens à l'étranger, composant une dotation, seraient échangés contre des biens situés en France, ou vendus et le prix de leur aliénation servirait à l'achat des biens en France. L'article suivant allait plus loin : il autorisait la substitution, par les chefs de famille, de leurs biens libres, pour former la dotation d'un titre héréditaire conféré par l'Empereur et transmissible à leurs descendants mâles, par ordre de primogéniture.

(...)

​Les dispositions du sénatus-consulte étaient cependant en contradiction trop évidente avec l'article 896 du Code civil, prohibant les substitutions sous sanction de nullité. On a écarté cette difficulté en ajoutant, dans l'édition de 1807, un second paragraphe à l'article en question, autorisant l'institution des majorats formant la dotation d'un titre héréditaire érigé par l'Empereur en faveur d'un chef de famille.

(...)

Ainsi, en 1807 les fondements juridiques et de fait de la création d'une nouvelle élite sociale se trouvaient déjà en place. Les pays conquis devaient lui fournir les bases matérielles et la nouvelle disposition de l'article 896 du Code civil formait le cadre dans lequel serait élaboré son statut juridique.​   (Senkowska-Gluck, 1970)

 

 

 Tout démontre, on continue de de voir par des preuves très concrètes, que Napoléon est le véritable fossoyeur de la Révolution. Il redonne une puissante vigueur à l'ancien système ploutocratique, incarne à lui seul le mépris total de toute une classe opulente, qu'il représente de manière la plus extrême et la plus outrancière. Et surtout, il institue et fige pour longtemps un système de domination des élites qui est, aujourd'hui encore, un formidable moteur de reproduction sociale.  Voilà l'œuvre la plus patente de l'Ogre corse, la plus pérenne et la plus nocive dont nous avons  hérité. Comment peut-on, aujourd'hui  encore, au XXIe siècle, glorifier un personnage qui a été aussi nuisible du point de vue de la justice sociale et du bien commun, que les souverains de l'Ancien Régime ?

 

  A l'époque des faits, cependant (mais  les choses ne semblent  guère avoir profondément changé) les Français étaient très divisés  sur la question du pouvoir, et dans l'ensemble, aspiraient à une monarchie constitutionnelle, au pouvoir tempéré, tels les membres du tribunal civil de Rochefort, par exemple, qui soulignent que "la nation lui demande de concilier avec ce pouvoir suprême la liberté et l’égalité qu’elle a conquises au prix de tant de sacrifices sur les rois oppresseurs" (Bertaud, 2014). Au Tribunal de première instance d'Amiens, on accepte au contraire sans réserve que tout le pouvoir soit "entre les mains d’un seul homme car cette forme de gouvernement est la plus rapprochée de la nature, la moins sujette aux tiraillements et aux orages et un chef unique est plus intéressé que plusieurs à faire le bonheur de tous."  (op. cité).  

Ogre corse   :  Un des multiples sobriquets donnés à Napoléon qu'on trouve dans des pamphlets, comme celui de C. J. Rougemaitre, "L'ogre de Corse, Histoire véritable et merveilleuse", 1814,   

                   

                     

 

                       BIBLIOGRAPHIE 

 

 

 

​BERTAUD Jean-Paul, 2014, Napoléon et les Français, "Chapitre 6. L’armée, outil de guerre et creuset national", Editions Armand Colin, pp. 200-241.  ​​

BODINEAU Pierre et VERPEAUX Michel, 2013, "Histoire constitutionnelle de la France",  chapitre II, "Le retour à l'ordre : 1799-1815". pp. 34-46, Collection Que sais-je ?,  Presses Universitaires de France.

 

BOUDON Jacques-Olivier, 2003,  Actes du Colloque intitulé "Ordre et désordre dans le système napoléonien", Dijon, 21-23 juin 2000, organisé par le Centre Georges Chevrier, direction Jean-Louis Halpérin et Jean-Jacques Clère, Collection du deuxième centenaire du Code Civil, Editions la Mémoire du Droit, Dalloz. 

BOUDON Jacques-Olivier, 2007, "Religion et politique en France depuis 1789", Chapitre 3,  "La tentation d’une Église nationale", pp. 31-40, éditions Armand Colin.

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FORREST Alan, 2011, "Pierre Branda, Napoléon et ses hommes — Paris, Fayard, 2011...", compte-rendu des Annales de la Révolution Française, pp. 228-231. 

LALLIARD François, 2011, "Héritages, identités, fortunes : l’argent des Bonaparte entre spoliations et restitutions",  pp. 21-33,  contribution de l'ouvrage collectif  "Les Français et l’argent, XIXe-XXIe siècle", dirigé  par Yannick Marec, Alya Aglan et Olivier Feiertag, édité aux Presses universitaires de Rennes,  

SALLES Damien, 2019, "Un impensé constitutionnel révolutionnaire l’exemple de la liste civile", article  des Cahiers poitevins d'histoire du droit,  Huitième et Neuvième Cahier, Université de Poitiers. 

SENKOWSKA-GLUCK Monika, 1970, "Les donataires de Napoléon, article de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 17 N° 3, Juillet septembre. "La France à l'époque napoléonienne", pp. 680-693. 

TULARD Jean, 2004, "Napoléon et les médecins", article du Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine,  volume 188, N°9,  pp. 1571-1576, séance du 14 décembre 2004

 

VIEL Claude, 2003, "Antoine-François de Fourcroy (1755-1809), promoteur de la loi de Germinal an XI", article de la Revue d'histoire de la pharmacie, 91ᵉ année, n°339, pp. 377-394.

ZACHARIE Clémence, 2008, "Napoléon et les règles de dévolution de la couronne. Contribution à l'étude du droit constitutionnel impérial", article de la Revue française de droit constitutionnel, 76 / 4, pp. 703-731. 

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