top of page
napoleon-bande wix.jpg

                                
 
NAPOLÉON BONAPARTE [ 1 ]

            J'ai mis mon cachet sur la France  ”
 

 

     

 

       Seizing the Italian Relics

 

("Main basse sur les trésors italiens")

      Aquatinte, eau-forte en couleurs

 

           H. 11,2  x L  19 cm

   George Cruikshank, graphiste

                    (1792-1878)

Illustration de "The Life of Napoleon. A Hudibrastic* Poem in Fifteen Cantos, by Doctor Syntax,"

biographie anonyme en vers de Napoléon, attribuée parfois à William Combe (1742-1823), l'auteur du poème comique "The Three Tours of Doctor Syntax",

 

London,  printed for T. Tegg,

W. Allason  & J. Dick, Edinburgh

 

                         1815

d'Hudibras, poème en vers pour lequel Samuel Butler (1612-1680) a inventé une forme héroïque basée sur le tétramètre iambique.  

    

                                                                                                  

napoleon-bonaparte-hudibrastic poem-cruikshank-1815.jpg

Introduction

Première Campagne d'Italie

« Entre feu et lumière »

Campagne d'Egypte (1) :  Talleyrand

Campagne d'Egypte

Les cerveaux de Brumaire

Pierre-Louis Roederer

Antoine Boulay

Michel Regnaud

intro

       

 

          Introduction

 

 

 

Napoleone Buonaparte (il francisera  son nom par la suite), d'une famille d'origine italienne installée en Corse à la fin du XVe siècle, est issu d'un milieu de notables aisés et instruits (la bibliothèque de son père Charles contenait mille volumes à sa mort). "Aucun Bonaparte n'a jamais travaillé de ses mains",  soulignera un grand spécialiste de la question, l'historien Michel Vergé-Franceschi  (cf. interview de Breizh-info, 25 mars 2023). Charles Bonaparte, docteur en droit de l'université de Pise, anzani (membre du Conseil municipal) d'Ajaccio, appartient à l'élite de la ville, d'une noblesse confirmée par Louis XV en  1771. Il vit avec "un revenu égal à celui d’un capitaine des vaisseaux du Roi à Brest, Toulon ou Rochefort (...) Ne jouissant que de 1200 livres d’appointements annuels comme magistrat, il a bien géré la dot de Laetitia (7000 livres) l’une des plus importantes d’Ajaccio et la plus forte qu’un Bonaparte n’ait jamais obtenue. Il a bien géré ses 23 hectares des Salines plantés en mûriers avec le soutien de l État. Ses terres, ses troupeaux de vaches et surtout ses vignes. Il leur a appris un goût du luxe certain achetant les plus beaux meubles d’Ajaccio et de très beaux vêtements et habits et chaussures et perruque poudrée." (cf. interview  précitée et M. Vergé-Franceschi, "Charles Bonaparte, Père de Napoléon Ier", préface de Jean Tulard, Editions Passés/Composés, 2023)

 

Les premières manifestations de pouvoir de Napoléon Bonaparte, en tant que jeune officier militaire, traduit déjà une brutalité qu'il déclinera sans cesse dans différents domaine quand il obtiendra le pouvoir suprême.  Le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), alors très jeune général de brigade (depuis 1793, à 23 ans) commandant la défense de la Convention nationale, il mate dans le sang une insurrection royaliste en faisant mitrailler au canon la foule des insurgés, tuant 300 personnes, sans le moindre effort de résoudre de manière pacifique le conflit avec les sections contre-révolutionnaires de Paris qui ont pris les armes. 

 

"Napoléon foudroya les sections et dit : « J’ai mis mon cachet sur la France. » Attila avait dit : « Je suis le marteau de l’univers, ego malleus orbis. » Après le succès, Napoléon craignit de s’être rendu impopulaire, et il assura qu’il donnerait plusieurs années de sa vie pour effacer cette page de notre histoire. Il existe un récit des journées de vendémiaire de la main de Napoléon : il s’efforce de prouver que ce furent les sections qui commencèrent le feu."

 

François-René de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe (1839-1847), Tome 3, Livre premier, , Troisième Partie (1814-1830), Editions Garnier, 1910. 

1e campagne italie

 

       Première campagne d'Italie

 

 

 

et s'il eût fallu faire périr toute l'Italie ou sacrifier deux soldats de mon armée, j'aurais fait périr toute l'Italie ; parce qu'avant tout, je suis de mon armée et pour mon armée.  

N. Bonaparte à la séance du Conseil d'Etat, 30 floréal an X / 20 mai 1802, cité par Antoine Claire Thibaudeau, "Mémoires sur le Consulat. 1799 à 1804. Par un ancien Conseiller d'État. Paris. Chez Ponthieu et Cie, Libraires...1827", p. 120-121

 

 

La première campagne d'Italie (1796-1797) de Bonaparte est sa première occasion de s'appliquer à un sport  auquel de très nombreux chefs de guerre avant lui et après lui se sont adonnés, depuis la plus haute antiquité et qui rattache déjà Bonaparte, avec l'épisode malheureux de vendémiaire, au passé bien plus qu'à l'avenir :  l'enrichissement à grande échelle par le tribut et le pillage en pays vaincu. L'ancien député de Corse, Antoine Christophe Saliceti (1757-1809), nommé commissaire à l'armée d'Italie est en charge des contributions de guerre, sous forme d'impôts directs et indirects, et dès l'entrée du général Bonaparte à Milan, le 16 mai 1796, les deux hommes organisent la levée d'une contribution de guerre de 20 millions de livres or, accompagnée de pillages, s'attaquant même aux objets des Monts-de-Piété, conservés pour partie en gages de prêts à des personnes plus ou moins dans le besoin, tout en rendant les objets d'une valeur inférieure à 200 lires aux pauvres (Candela, 2011). 

"A peine à Milan, Masséna et Saliceti firent main basse sur le Banco di San-Ambrogio, créé en 1593, qui renfermait 100,000 écus, et sur le Fondo di Religione. Ils firent conduire au Broletto tout ce qu’ils purent ramasser d’argent. A ceux qui s’indignaient de cette spoliation, Masséna répondit effrontément : « Vous croyez peut-être que j’ai fait campagne pour ne pas avoir la récompense de mes fatigues ! »

   Au palais Mellerio, Masséna réquisitionna des chevaux de selle tout harnachés et se fit verser le contenu de la caisse de l’octroi, environ un demi-million. Deux jours après, les agents militaires, éperonnés par Saliceti, raflèrent d’un coup toutes les caisses publiques, y compris celles de l’hôpital, des associations et fondations charitables et des congrégations religieuses.

   Au Mont-de-Piété où étaient entassées des richesses considérables, Fesch, le futur cardinal, et le fournisseur Collot dérobèrent une quantité énorme de vaisselle d'or, d’argent, de joyaux, de pierres précieuses et de bijoux. L’établissement était une sorte de caisse d’épargne, avant la lettre, où, à côté d’objets des pauvres ménages, les familles de l’aristocratie lombarde déposaient leurs trésors de famille afin de former une réserve pour constituer des dots au moment du mariage de leurs filles, ce qui explique l’affluence de diamants et de bijoux qu’on y trouva. On en emplit vingt-deux caisses que le garde-magasin Carcano dut livrer au commissaire des guerres Bonnal. Toutefois Saliceti fit restituer gratuitement tous les gages sur lesquels on avait prêté moins de 100 francs ; moyen facile de fermer les yeux du petit peuple et de se concilier ses bonnes grâces.

(Félix Bouvier,  "Bonaparte en Italie — 1796", Paris, Librairie Léopold Cerf, 1899, p.590-591, citation d'un mémoire d'Henri Reboul, Gênes, 23 fèvrier 1796, Archives nationales, série AFIII, carton 185, pièce 849).

Les objets furent tous scellés le 20 mai dans des boîtes et envoyés à Gênes au "banquier  de la République", Emanuele Balbi.  Le frère aîné (de seulement un an) de Napoléon, Joseph Bonaparte (1768-1844), alors commissaire de guerre dans la capitale ligurienne a très probablement participé à l'organisation des transferts de richesse, via Balbi :  "Le réseau de Balbi doit son existence à la décision du Directoire d’utiliser Gênes comme blanchisseur indépendant, car toute occupation par les troupes françaises aurait eu un impact sévère sur l’économie de la ville."  (Stokle, 2020).  

Collot   :   Jean-Pierre Collot (1764-1852) est une personnalité économique importante à compter du Directoire. Jeune adjudicataire partiel de l'armée des Alpes, il est présenté à Napoléon en 1793, puis, en 1796, le financier obtient avec son associé Caillard le service des vivres-viandes pour les armées d'Italie, des Alpes et du Midi. Le frère de Collot, banquier à Gênes, ouvrira des lignes de crédit à Bonaparte  (Bergeron, 1999)

Fesch   :   Joseph Fesch  (1763-1839),  oncle maternel par alliance de Napoléon, alors défroqué, était devenu garde-magasin d'une division de l'armée des Alpes, puis, grâce à son neveu,  commis aux marchés de fournitures pour l'armée d'Italie : "il suit l’ascension de la famille et commence à s’enrichir. C’est aussi, pour lui, le début d’une célèbre collection de tableaux récupérés ou achetés."   (notice biographique, ​​ Napoleon.org). 

napoleon bonaparte-portrait de longhi-1796-italie.jpg

Portrait du Napoléon Bonaparte, d'après nature,

    pendant la première campagne d'Italie

               crayon et aquarelle           1796

       Giuseppe Longhi, dessinateur, graveur

                                  (1766 – 1831) 

      Collections du Château de Malmaison

                        

 

A la différence des pilleurs sans foi ni loi, Napoléon lui,  demandera sans vergogne au vaincu son accord pour être troussé  (mais a posteriori de son méfait),  sous la forme d'un traité signé entre les parties du conflit. Trois mois après le début de sa campagne d'Italie,  est signé l'armistice de Bologne (23 juin 1796) par lequel le pape Pie VI se doit de livrer "à la République française cent tableaux, bustes, vases ou statues, au choix des commissaires qui seront envoyés à Rome, parmi lesquels objets seront notamment compris le buste en bronze de Junius Brutus et celui en marbre de Marcus Brutus, tous les deux placés au Capitole, et cinq cents manuscrits au choix desdits commissaires." (article VIII), mais aussi de payer  "à la République française 21 millions de livres, monnaie de France, dont 15.500.000 livres en espèces ou lingots d'or ou d'argent, et les 5.500.000 livres restant, en denrées, marchandises, chevaux, boeufs, d'après la désignation qu'en feront les agents de la République française" (article IX), sans compter que la "somme de 21 millions portée dans le présent article est indépendante des contributions qui sont ou seront levées dans les Légations de Bologne, Ferrare et Faenza." (article IX). Ces dispositions seront rappelées en substance par le traité de Tolentino, signé le 19 février 1797 et, dès le 20 février, le commissaire citoyen Tinet s'empressait de vider de leurs plus beaux tableaux les églises de Pérouse, comme  Saint-Augustin ou  le couvent Saint-Antoine, principalement ceux de Raphaël ou du Pérugin.

napoleon bonaparte-audience pape-caricature Cruikshank1797.jpg

 

 

 

                   Buonaparte giving audience in state  

 "Je dis n'oubliez  pas d'ôter votre chapeau quand vous attendez un gentilhomme !!!   (gentman, gentleman)

 

                       estampe, eau-forte coloriée

               

                      gravure d(Isaac Cruikshank 

                                                    (1764-1811)

                   

                                       1797


​"L’audience que le futur empereur accorde au pape et à ses cardinaux repose sur l’inversion des valeurs et des convenances, dans la plus classique tradition du monde renversé de la culture carnavalesque. On note en particulier un soldat français hilare en train d’uriner dans de l’eau bénite, tandis qu’au premier plan Bonaparte oblige le pape à se découvrir en sa présence, faisant d’un coup de pied rageur choir la tiare pontificale"  (Dupuy, 2016)

                              

                         Trustees of the British Museum

                            BMC 8997

                     Londres, Angleterre

 

                                                               


Un spécialiste de l'histoire des pillages napoléoniens, Andrew McClellan, affirme que le futur empereur des Français avait peu ou peut-être même aucun intérêt pour l'art, mais il avait parfaitement compris sa valeur symbolique pour la gloire nationale (au travers d'un musée du Louvre concentrant dans la capitale les joyaux de l'art européen, et même au-delà),  comme pour sa gloire personnelle, un peu plus  tard, au travers de grands tableaux de sa propagande impériale, nous en reparlerons (cf.  « Aux origines du Louvre : les spoliations napoléoniennes et l'aventure du "musée universel" », article de Benjamin Dodman, France24).  Par ailleurs, par le vol, toujours, il avait permis au Directoire, sinon de remplir, renflouer à nouveau les caisses bien vides de l'Etat français, mais aussi fidélisé une armée qui formera pour lui un rempart, bientôt, contre les représentants du peuple. En effet, contre la volonté du Directoire, à Milan, il établit, chose exceptionnelle,"le paiement de la solde de l’armée d’Italie en pièces d’or et d’argent en mai 1796... malgré l’avis contraire du Directoire. Cette mesure était « révolutionnaire » pour l’époque car toutes les armées républicaines ne recevaient que du papier déprécié, les assignats. Ce faisant, il fidélisa son armée et assura son maintien à la tête de celle-ci.(Pierre Branda, Interview du Magazine Napoléon.org, pour la sortie de son livre "Napoléon et l'argent", Editions Fayard, 2007)

Revenons maintenant à cette pratique officielle du "prélèvement", du "transfert" des œuvres d'art, n'a pas du tout été instituée par Napoléon mais par la Convention et poursuivie ensuite par le   Directoire :  

"Vous avez ouvert un Muséum [Muséum central des Arts, 1793, NDR] ; rassemblez-y soigneusement tout ce que la République renferme déjà de chef-d’œuvres, tous ceux que produiront vos artistes, ceux que vous pourrez enlever aux nations voisines, et arracher avec de l’or, à leur ignorance ou à leur avarice"

 

"Essai sur les fêtes nationales suivie de Quelques idées sur les arts ; et sur la nécessité de les encourager — Adressé à la Convention Nationale par Boissy d'Anglas - représentant du peuple, député par le département de l'Ardèche... Paris, de l'Imprimerie Polyglotte, L'an II",  plus exactement  le 25 pluviôse an II (13 février 1794),  p. 166

"Le Directoire est persuadé, citoyen général, que vous regardez la gloire des beaux-arts comme attachée à celle de l’armée que vous commandez. L’Italie leur doit en grande partie ses richesses et son illustration ; mais le temps est arrivé où leur règne doit passer en France pour affermir et embellir celui de la liberté. "

Le Directoire exécutif au Général en chef Bonaparte, Lettre du 7 mai 1796, 18 floréal an IV.  

"Il semble donc désormais possible de fixer les responsabilités de Napoléon dans le transfert à Paris des œuvres d'art de l'étranger. Elles furent moindres que celles de la Convention et du Directoire. La Convention prit l'initiative de ces extractions et en organisa le mécanisme sous le couvert de réquisitions de guerre. Le Directoire eut la même politique et ses instructions aux généraux, à Bonaparte comme aux autres, montrent qu'il ne l'adoucit en rien. En cette matière comme en bien d'autres, Napoléon fut un héritier de la Révolution. Mais, après le 18 brumaire, le Premier Consul, bientôt Empereur, ne montra pas la même âpre convoitise, et il afficha même de la réserve : il raisonnait en chef politique alors que les administrateurs du Musée du Louvre et Denon (3) se laissaient entraîner par une sorte d'avidité professionnelle. Certes, Napoléon ne condamna jamais le principe de ces transferts d'œuvres d'art, mais il les laissa faire plus qu'il ne les ordonna. Il ne donna pas les ordres que Denon lui demandait pour saisir le meilleur des collections de la Saxe, de Naples et de la Toscane ; en revanche, il lui laissa les mains libres en Prusse et à Vienne parce qu'il jugea bon sans doute de rabattre la vanité des souverains vaincus, et ce qui fut pris le fut, non en vertu des clauses d'un traité comme à Parme, à Modène et à Tolentino, mais par l'exercice immédiat des droits du vainqueur."

 

" (3) ...M. Denon, directeur du Musée et l'un des plus obséquieux serviteurs de l'Empereur, le suivait toujours dans ses campagnes pour choisir dans chaque ville conquise les choses rares qui pouvaient contribuer à augmenter les trésors de cette grande et belle collection."  (Boyer, 1964 ; cf. Jacques Camille Broussolle (1861-1943) " Pèlerinages ombriens : études d'art et de voyage",   p. 64,   Paris,  Librairie   Fischbacher,  1896). 

Si  près de la moitié des peintures italiennes volées par Napoléon retournent en Italie après sa chute, une autre moitié demeure en France et beaucoup n'ont pas encore été restituées, comme les fameuses "Noces de Cana" de Paolo Veronese  ("Restituer les chefs-d’oeuvre pillés? L’exemple du butin de Napoléon", article du New York Times, Farah Nayeri, 9 juin 2021).  

 

napoleon bonaparte-papier a vignette-armee italie-13 janvier 1797.jpg
napoleon bonaparte-papier a vignette-armee italie-1er octobre 1797.jpg

     Lettre du 13 janvier 1797

       du général Bonaparte

            au général Murat. 

Lettre du 1er octobre 1797

            au Directoire

 

 

"L’armée victorieuse a pris les traits d’une Minerve jeune, belle et décidée... A l’évidence, cette Minerve coiffée d’un splendide panache [2e image] décidera de la guerre même si le Directoire veut alors arrêter les conquêtes !  (...) Des artistes de Milan, le peintre Appiani et le graveur Mercoli, ont donné à cette vignette une ampleur exceptionnelle. Avec l’en-tête du général en chef de l’armée d’Italie, elle occupe la moitié de la page. Voilà reléguée dans l’oubli la Marianne qui ornait son papier à lettres huit mois plus tôt [1e image], familièrement juchée sur un affût de canon auprès de quelques emblèmes républicains et d’un cyprès d’Italie transformé en arbre de la Liberté ! La Minerve d’Appiani concrétise d’emblée pour le Directoire le nouveau rapport de forces avec Bonaparte."

                     

                       (op. cité) 

Papier à vignette de l'armée d'Italie, à en-tête du général en chef Bonaparte

           Centre historique des Archives nationales;  Paris,  France

 

"Dès l'armistice de Chérasco signé avec le Piémont, le 28 avril 1796, Bonaparte agit en maître. Dans l'organisation de la Lombardie, dans ses vues sur Bologne et les Légations, dans ses négociations avec la papauté, Parme, Modène et la Toscane, dans ses projets de démembrement de l'État vénitien, à Léoben, à Udine, à Rastadt, il dépasse, contredit ou néglige les ordres du Directoire. Il étend son influence sur tous ses agents, il lui dicte ses résolutions, il l'oblige à capituler entre ses mains. La constitution de l'Italie napoléonienne devient l'objet essentiel de la politique française. Le Rhin est relégué au deuxième plan. Les Directeurs regimbent, « rugissent* »".  

Guyot et Muret, 1903 : sources et citation d'Albert Sorel, "L'Europe et la Révolution Française... Cinquième partie, "Bonaparte et le Directoire — 1795-1799", Paris, Librairie Plon, 1903).  

* " « Les triumvirs rugissent, raconte Carnot : La Revellière est un tigre. Reubell pousse de gros soupirs. » Barras qualifie les articles d' infâmes (...) Les Directeurs trouvent qu'on l'acclame trop. Il joue trop au proconsul en Italie ; mais il menace de revenir en France : si redoutable que soit sa carrière militaire, sa carrière civile le serait davantage."  (op. cité, p. 163). 

 

 

image_napoleon bonaparte-entree triomphale des monuments-1802-musee carnavalet-paris.jpg

 

 

          Entrée Triomphale

             des monuments

          des sciences et des arts

                    en France

                 27  juillet 1798*

                   9 thermidor an VI

           Estampe à l'eau-forte

                    du graveur

          Pierre-Gabriel Berthault,

                       (1737 - 1831),

 

   Musée Carnavalet, Paris

 

 « Il s’agit d’un défilé de juillet 1798 au cours duquel le butin tout juste arrivé d’Italie est exhibé dans les rues de Paris. L’attraction principale sont les quatre chevaux  en bronze doré arrachés d’au dessus de la porte principale de la basilique Saint-Marc. (Ce quadrige en bronze avaient été volé par les Vénitiens à Constantinople lors de la quatrième croisade, quelque six siècles plus tôt).

Le défilé comprend aussi des statues antiques en marbre, des chariots d’animaux vivants (chameaux, autruches, lions et gazelles), des livres et des manuscrits rares, ainsi que des peintures — même si la foule ne peut pas voir ces chefs-d’oeuvre. “Rome n’est plus à Rome. Tout est à Paris”, scande la foule allègrement, raconte Ruth Scurr... », maîtresse de conférences à l’université de Cambridge et auteure d'une récente biographie de Napoléon, “Napoleon : A Life in Gardens and Shadows” : "Napoléon: une vie entre jardins et ombres"  

 

("Restituer les chefs-d'oeuvre...", op. cité) 

  chevaux    :  Ils seront placés plus tard en haut de l'Arc de triomphe du Carrousel, à Paris. 

        

 

L'entreprise prédatrice en Italie s'accompagne, on s'en douterait, de toutes sortes de trafics lucratifs.  Le futur  administrateur de la Lombardie, Henri Reboul (1763-1839, chimiste, député), signalait déjà, en février 1796, les «"malversations révoltantes" des administrations et la misère qu'elles engendraient chez les soldats. » (Bouvier, op. cité, p.17).  Reboul précise que "« les abus, les dilapidations ne sont pas partiels ; le mal est général, il est érigé en système, il est en pleine organisation... La masse des employés y est dirigée vers un but unique, celui de s'enrichir à quelque prix que ce fût. Son dogme fondamental est qu'il faut faire sa fortune dans six mois... Aux voleurs par inclination se sont joints les voleurs par besoin. »" (in op. cité, p. 24).  Le commissaire Chauvet arrêta plusieurs fonctionnaires (certainement pas les grands serviteurs de l'Etat, cela n'a guère changé), mais mourut juste après,  tandis qu'un autre commissaire, Saliceti (cf. plus haut) concédait que l'administration était "si horriblement gangrénée" que tout n'avait pu être corrigé, même si "peu à peu les dilapidateurs seront démasqués"  (Saliceti, rapport au Directoire, avril/mai 1796, Archives Nationales, série AFIII, carton 185, in Bouvier, op. cité, p. 96 ).  ​Vu ce qu'on sait maintenant de Saliceti, c'est encore l'hôpital qui se moque de la charité !   

En plus des banquiers de Gênes, Bonaparte reçoit le concours de financiers comme  Romain Antoine Hamelin (1770-1855), proche de Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, dite Joséphine de Beauharnais (1763-1814) remariée il y a peu, en mars, avec Bonaparte. Fils d'un Premier commis aux Finances qui a servi sous l'abbé Terray (Joseph Marie T., 1715-1778),  puis Necker et enfin, Napoléon Bonaparte, Hamelin épousera une des célèbres "Merveilleuses",  Jeanne Geneviève Fortunée, née Lormier Lagrave (1776-1851), fille d'un riche industriel, "planteur" de canne à sucre de Saint-Domingue : appellation dévoyée, il ne plantait rien lui-même, bien sûr.  Hamelin réussit à s'associer aux élites de Ferrare, en particulier les Massari, riches négociants, propriétaires de pêcheries. Lors de la prise de contrôle des mines de mercure d'Idria, en Carniole, par exemple, ils en retirèrent des revenus, en même temps que des officiers généraux français obtenaient diverses gratifications (Candela, 2011).  Ces opérations frauduleuses étaient permises en particulier par une comptabilité à partie simple, changée ensuite pour une comptabilité à partie double par un nouvel administrateur des finances de l'armée d'Italie, Emmanuel Haller (1747-1833).  Brillant spéculateur, ce grand aristocrate bâtit sa grande fortune sur des opérations risquées mais très lucratives. Marié d'abord à la fille d'un directeur de la compagnie des Indes Orientales à Delft  (Vereenigde Oostindische Compagnie , VOC),  devenu associé de la banque Isaac Vernet (puis Necker-Girardot), il a tissé un réseau d'affaires serré dans toute l'Europe qui fut un très solide atout pour l'armée d'Italie. Haller apurera les comptes, mais il sera lui-même soupçonné de vol et de détournement  de fonds par le général Henri-Jacques-Guillaume Clarke (1765-1818), envoyé par le Directoire en mission d'inspection en Italie, mais aussi pour surveiller de près le très ambitieux général en chef  (Candela, 2011).  Haller n'est pas le seul officier dont Clarke dénoncera les agissements : "Sur place, il dénonce l’enrichissement personnel de certains généraux, tout en prenant garde d’épargner l’homme qu’il admire de plus en plus, le général Bonaparte.(Haegele, 2008).   Il semblerait que Bonaparte lui-même ait attendu d'être empereur pour s'enrichir de manière colossale, jusqu'à devenir "le monarque  le plus riche du monde, juste devant le roi d’Angleterre. Sa liste civile s'élève à 25 millions par an(Pierre Branda, "Waterloo : où sont passés les 100 millions de Napoléon ?", interview du magazine Le Point, 18 juin 2015).  Pendant la cmpagne d'Italie, même quand il découvre  un million en nature dans une mine de fer, il  la partage entre ses officiers, selon l'historien Pierre Branda  (interview..., op.cité). 

Un autre volet de prévarications concerne la fourniture aux armées, si importante à l'époque que l'Etat a été incapable d'assurer seul cette très lourde charge, et qu'il a dû la sous-traiter à des compagnies privées : nous examinerons ce sujet dans la deuxième partie de cette étude, cf. "Du Directoire : Il fallait à tout prix que je m'enrichisse". 

talleyrand

Joséphine de Beauharnais "avait, par son dévergondage, obligé, plusieurs années auparavant, son mari, Alexandre de Beauharnais, à se séparer d’elle ; elle avait été la maîtresse de Barras, de Hoche, du palefrenier de Hoche, Vanakre, et d’une kyrielle d’autres (Idem, p. 54). À son prénom habituel qui était Rose. Bonaparte substitua celui de Joséphine, afin qu’il y eût au moins quelque chose d’à peu près neuf dans cette femme qui avait tant servi et qui, du reste, allait continuer à servir à d’autres que son nouveau mari."

 

Gabriel Deville, "Thermidor et Directoire (1794-1799)", tome V, chapitre XIV, p. 342, dans "Histoire socialiste (1789-1900", dirigée par Jean Jaurès entre 1901 et 1908, Paris, Jules Rouff et Cie. 

 

“ Entre feu et lumière ” :

 

          La campagne d'Egypte (1) :

                         Talleyrand

A peine revenu de la campagne d'Italie, le général Napoléon Bonaparte décide d'une expédition militaire en Egypte (1798-1801). L"idée n'est pas du tout neuve : "de Louis XIV à Louis XVI, les rois de France avaient regardé une expédition en Egypte comme un bon moyen de lutter contre l’hégémonie commerciale des Anglais et des Hollandais ou comme une contrepartie acceptable de la perle des colonies américaines."  (Masson, 1987).  En février 1798, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, dit Talleyrand (1754-1838), ministre des Relations Extérieures depuis le 18 juillet 1797, présente au Directoire un mémoire très documenté, sur le sujet des relations franco-égyptiennes et propose que les Français s'installent en Egypte et ouvrent l'isthme de Suez, "ce qui détournerait le commerce des Indes si profitable aux Anglais.  Détruisant la puissance anglaise en Inde, la France affaiblirait d’autant la position anglaise en Europe." (Masson, 1987).  Rompu à l'exercice du pouvoir depuis les années 1780, et fin connaisseur des affaires politiques, Talleyrand avait compris très vite qu'un avenir brillant s'offrait à Bonaparte et, quelques jours après sa nomination ministérielle, il lui écrit une sorte de panégyrique propre à le flatter et à poser les jalons d'une relation profitable : "...j’ai besoin de me rassurer par le sentiment de La Revellièrece que votre gloire doit apporter de moyens et de facilités dans les négociations [dues au futur  traité de Campoformio]. Le nom seul de Bonaparte est un auxiliaire qui doit tout aplanir." (lettre du 6 thermidor an V / 24 juillet 1797). A Benjamin Constant, qui avait accouru pour annoncer à son ami  la bonne nouvelle de sa nomination, l'ancien évêque d'Autun aurait affirmé pendant le trajet en voiture qui les conduisait au Palais du Luxembourg, pour remercier Barras, un des trois Directeurs (en plus de La Revellière-Lépeaux et Rewbell/Reubell) qui avaient voté pour lui (et poussé par Mme de Stael, alors ambassadrice de Suède, de choisir l'ancien prélat),   : "Nous tenons la place, il faut y faire une fortune immense, une immense fortune." (cité par Georges Lacour-Gayet, "Talleyrand — 1784-1838", 1928, volume 1, 1784-1799, p. 233). Talleyrand se devait de remplir à nouveau ses propres caisses, il était aux anges, car son traitement de ministre, environ cent mille francs-or, soit deux millions de francs en 1982,  en plus de cinquante-cinq mille francs de frais de représentation, lui offrait "non seulement l'aisance mais la possibilité de contracter des dettes, et Talleyrand ne s'en priva pas." (Duc de Castries, "Talleyrand et le Directoire", [compte-rendu du livre de Michel Poniatowski, "Talleyrand et le Directoire 1796-1800", Edition Librairie Académique Perrin, 1982], Revue des Deux Mondes, N° 10, octobre 1982, pp. 104-114),    Quelques mois plus tard éclate "l'affaire XYZ", en plein conflit naval avec les Américains, qui s'étaient tellement rapprochés des Britanniques que la France avait autorisé ses corsaires à arraisonner les navires américains (près de 300 navires seront touchés)  faisant commerce avec les Britanniques. Les lettres XYZ   désignent, dans des dépêches codées puis dans le rapport Adams, le président des Etats-Unis,  trois agents français de Talleyrand qui complotèrent pour obtenir, par corruption, des sommes très importantes via des négociations de paix franco-américaines. Il fut ainsi demandé aux républicains d'outre-Atlantique de "souscrire un emprunt de 32 millions de florins de Hollande, d'offrir au Directoire 50,000 louis d'or, enfin, de prévoir des `douceurs' pour le ministre et des `faux frais' pour les intermédiaires" (Waresquiel, 2003 : 224).  Les "douceurs" du ministre Talleyrand se seraient concrétisées par un pot-de-vin de 250.000 dollars  (Fohlen, 2006).  Il fut mis en procès, fut l'objet de nombreuses  critiques et d'autant de libelles imprimés contre lui, et  "réussit à temps sa sortie"  (Duc de Castries.. op. cité), en présentant sa démission le 14 juillet 1799, remplacé six jours après par Karl Friedrich Reinhard (1761-1837). 

affaire xyz-satire corruption francaise-fores-1798.jpg

 

 

 

                   Property protected, a la Francoise   

 

                        eau-forte coloriée à la main

               

                     édité par Samuel William Fores 

                                                    (1761-1838)

                   

                                 1er juin 1798


Caricature, satire de l'affaire XYZ moquant les relations américaines et la corruption française, au travers de cinq agents français pillant une Amérique féminisée (symbolisant la faiblesse, la crédulité), sous le regard de cinq autres figures représentant d'autres pays européens. Assis, sur un sommet ("Shakespeare's Cliff"), se tient John Bull, personnage créé par John Arbuthnot en 1712. qui rit de la situation. John Bull symbolise le Royaume-Uni, représenté en bourgeois au gilet taillé dans l'Union Jack.

                               H  26,7 x 42,3 cm 

                Bibliothèque du Congrès Américain, 

                    Washington, Etats-Unis

 

                                                               

    Talleyrand, prince des voleurs ,   

 

                             Talleyrand et l'argent, en quelques dates.

"M. de Talleyrand évaluait lui-même à soixante millions ce qu'il pouvait avoir reçu en tout des puissances grandes ou petites dans sa carrière diplomatique." 

 

Charles-Augustin Sainte-Beuve, "Monsieur de Talleyrand", texte paru en 1869 au long de cinq articles, dans le Journal Le Temps (1861-1942) ,, où Sainte-Beuve était un critique attitré et a fait paraître des études sous la rubrique "Nouveaux Lundis"; de 1863 à sa mort, en 1869. Le texte se base sur un "Essai sur Talleyrand", de Sir Henry Lytton Bulwer, (traduction Georges Perrot, Paris C. Reinwald 1868) et sera publié de manière posthume dans le tome XII des "Nouveaux Lundis", à Paris, chez Michel Lévy frères, en 1870.  

1775  :  Talleyrand, de très vieille noblesse mais d'une branche désargentée,  orienté vers une carrière ecclésiastique du fait d'un pied bot, devient abbé commendataire cette année-là de l'abbaye de Saint-Denis de Reims, bénéficiant ainsi d'une rente de 24.000 livres par an  ("Talleyrand, le diable diplomate...", article d'Hérodote). 

 

1780 - 1785  :  Talleyrand est nommé "Agent général du clergé de France"; qui administre les biens fonciers de l'Eglise et gère le "don gratuit"  que fait l'Eglise chaque année à l'Etat, pour compenser son exemption des impôts. En 1782, le roi obtint de lui un don gratuit de plus de quinze millions de livres  (Waresquiel, 2003)

 

Cette première grande responsabilité de pouvoir le place "en relations continuelles avec les ministres, leurs services, les tribunaux royaux d’une part, les évêques, les diocèses, les bénéficiers d’autre part. Une telle fonction donne une connaissance intime des ressources, de la fiscalité et des privilèges de l’Eglise, de ses rapports avec l’Etat. Elle permet des contacts fructueux avec le personnel politique comme avec le monde ecclésiastique."  (Dinet, 2011

1788  :  Devenu évêque d'Autun, il accède "à l’indépendance financière avec les revenus de son évêché, des abbayes de Saint-Denis de Reims, de Celles en Poitou et d’autres encore (chapelain de la chapelle de la Vierge Marie de l'église Saint-Pierre le Viel à Reims - détruite - , chanoine honoraire au chapitre de la cathédrale de Reims, vicaire général du diocèse de Reims, chapelain de la chapelle de St-Jean l'évangéliste - église Saint-Venant à Tours - ), soit au total environ cent mille livres par an.("La fortune de Talleyrand", article de Claude Jambart et Philippe Maillard, "Les Amis de Talleyrand", janvier 2020

14 septembre 1789  :   "Cet homme, connu par une immoralité scandaleuse, par un agiotage infâme, par une ambition sans bornes, entretient avec M. de Calonne des relations très intimes et très habituelles ; mais je suis persuadé qu’il se joue et de M. Calonne et de M. Necker, et qu’il se sert de tous deux pour s’élever à son but"   ("Journal d’Adrien Duquesnoy sur l’Assemblée constituante. 3 mai 1789-3 avril 1790", publié par Robert de Crèvecœur, Paris, 1894,, p. 338) 

 

A. Duquesnoy, député du Tiers de Bar-le-Duc, comme le marquis de Ferrières, soupçonnent Talleyrand d'être lié, avec d'autres "capitalistes" au  parti des "agioteurs"  (cf. Mémoires du Marquis de Ferrières, 2e éd. par MM. Berville et Barrière, Paris, 1822, t. I, p. 198-199).  

 

"AGIOTAGE, s. m. -  Ce mot désigne L’espèce de trafic qu’on fait des effets publics en papier, on les achetant ou les vendant, suivant l’opinion qu’on a qu’ils baisseront ou hausseront de valeur." (Dictionnaire de l'Académie Française, 1798)  

"Avec la Révolution, Talleyrand, tout en s’engageant résolument au service des temps nouveaux, entre de plein pied dans le monde des affaires et de la spéculation (« agiotage » selon le vocabulaire de l’époque). On évoque des opérations sur les changes, la dette et les fournitures à l’armée américaine, les biens nationaux, et aussi ce que nous appellerions des délits d’initié … Les journaux de l’époque s’en firent l’écho à loisir."   (La fortune de T...., op cité). 

1791   :  "Maintenant, disait-il, que la crainte de me voir élever à la dignité d’évêque de Paris est dissipée, on me croira sans doute. Voici l’exacte vérité : j’ai gagné, dans l’espace de deux mois, non dans des maisons de jeu, mais dans la société et au Club des Échecs, regardé presque en tout temps, par la nature même de ses institutions, comme une maison particulière, environ 30,000 francs. Je rétablis ici l’exactitude des faits, sans avoir l’intention de les justifier. Le goût du jeu s’est répandu d’une manière même importune dans la société. Je ne l’aimai jamais, et je me reproche d’autant plus de n’avoir pas assez résisté à cette séduction ; je me blâme comme particulier, et encore plus comme législateur, qui croit que les vertus de la liberté sont aussi sévères que ses principes, qu’un peuple régénéré doit reconquérir toute la sévérité de la morale, et que la surveillance de l’Assemblée Nationale doit se porter sur ces excès nuisibles à la société en ce qu’ils contribuent à cette inégalité de fortune que les lois doivent tâcher de prévenir par tous les moyens qui ne blessent pas l’éternel fondement de la justice sociale, le respect de la propriété. Je me condamne donc, et je me fais un devoir de l’avouer ; car depuis que le règne de la vérité est arrivé, en renonçant à l’impossible honneur de n’avoir aucun tort, le moyen le plus honnête de réparer ses erreurs est d’avoir le courage de les reconnaître."

(Talleyrand, Lettre du 8 février 1791 à différents journaux, dans "Monsieur...", de Sainte-Beuve, op. cité)

Mars 1794  Suite à l'Alien''s act, la loi sur les étrangers, Talleyrand est expulsé par le roi Georges III et se réfugie aux Etats-Unis, où il essaie de profiter de l'opportunité donnée aux Européens d'acquérir des terrains sur lesquels les spéculations prospéraient,  développant "une intense activité financière, en relation avec des correspondants européens"  (La fortune de T...., op cité),, mais c'est un échec et ne fait pas fortune en Amérique. 

1797-1798   :  Affaire XYZ, cf. plus haut.

 

1800 - 1802 Différents traités de paix sont signés par la France :  Traité de Mortefontaine (30 septembre 1800), entre la France et les Etats-Unis, Traité de Lunéville  ( 9 février 1801), avec l'Autriche, après la victoire de Marengo, et enfin, le Traité d'Amiens (25 mars 1802) avec le Royaume-Uni et l'Espagne. Les négociations de paix permettront à Talleyrand de beaucoup s'enrichir, par des manipulations diverses  (Lacour-Gayet, "Talleyrand...,", op. cité) 

1803 Recès (Résolution) de la Diète d'Empire de Ratisbonne, fruit d'un travail diplomatique de paix réussi par Talleyrand, qui permet à l'Allemagne de conserver une indépendance sous influence française et qui "a pour atout non négligeable de rapporter au ministre une dizaine de millions de francs. Des projets de paix, Talleyrand en a et en propose plusieurs fois à son empereur et roi. En vain. Tout à ses victoires, Napoléon ne sait résister à en tirer un profit maximum, quitte à grever l'avenir. A suivre ainsi la collaboration entre les deux hommes, elle s'avère vite insatisfaisante pour le diplomate. Dès Presbourg (1805), la rupture est prévisible. Napoléon n'en fait qu'à sa tête. Le prince de Talleyrand n'en peut mais."  (Jourdan, 2004)

Le 18 octobre 1803 est signé à Bâle un traité qui enjoint l’Espagne de verser une contribution financière mensuelle à l’effort de guerre français.  Sur 5 millions mensuels, Bonaparte fait au royaume ibérique une remise de 2,5 millions, mais ce dernier n'en eut pas connaissance. On soupçonne fort que Talleyrand ne soit pas étranger à cette combine (cf. La fortune de T...., op cité),.

"G. Lacourt-Gayet fait état d’une fortune estimée à une trentaine de millions dès le 18 brumaire, sans certitude cependant. Mais l’achat de l’hôtel de la rue d’Anjou en 1800, comme celui du domaine de Valençay en 1803, supposaient des moyens considérables."   (op cité),.

1804 :  Le général Jean Lannes, vainqueur à la bataille de Montebello (il sera fait duc de Montebello en 1808), avait été envoyé en ambassade au Portugal comme ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire à Lisbonne, en 1801. En conflit avec le ministre des Affaires Etrangères portugais, Juan d'Almeida, il finit, par être rappelé en France en 1804, grâce aux manœuvres de Talleyrand, qui ne l'aimait pas non plus : "Le gouvernement portugais, disait-on, avait dépensé quatre millions à Paris pour empêcher le retour du général à Lisbonne. Où la majeure partie de ces sommes avait-elle passé ? Ce ne fut un mystère pour personne"  (Lacour-Gayet, "Talleyrand...,", op. cité, vol. 2, p. 77), ;  sources citées par l'auteur :  Claude-François Méneval,  Napoléon et Marie-Louise, t. III, p. 36-42, Librairie d'Amyot, 1844,  et Alfred Dumaine, Le Général Lannes à Lisbonne, dans la Revue d'histoire diplomatique, année 1928). 

La même année, se présente l'affaire juteuse des indemnités du prince Nassau-Orange, ancien stathouder de Hollande. "Un reliquat de six cent mille florins étant resté en souffrance, le roi de Prusse, beau-frère du prince d'Orange, écrivit à Napoléon une lettre confidentielle, alors que l'Empereur était à Aix-la-Chapelle, en septembre 1804. Une enquête fut faite ;  elle établit qu'un bon nombre de millions, dix-sept peut-être, s'étaient égarés en route.  Talleyrand, le président de la République Batave Schimmelpenninck, Durant de Mareuil, Duroc, qui avait négocié à Berlin une convention sur ce sujet, Sémonville, ministre de France à La Haye, d'autres encore, avaient touché des pots-de-vin à titres divers."    (Lacour-Gayet, op. cité, pp. 77-78)

1805  :  Paix de Presbourg (puis, Bratislava), 26 décembre 1805, qui prépare la confédération du Rhin. Les négociations de paix, avec Talleyrand ressemblent en partie à celles des marchands de tapis. Il accorde 10% de rabais sur les conditions imposées à Napoléon (10 millions sur 100), des délais sur les compensations financières : difficile d'imaginer qu'il n'en ait pas encore profité pour se remplir les poches. et que Napoléon ne s'en soit pas douté (cf. Lacour-Gayet, "Talleyrand...,", op. cité, vol. 2, p. 172) :    "Vous m'avez fait à Presbourg un traité qui me gêne beaucoup" (Mémoires du prince de Talleyrand, préface et notes du Duc de Broglie, Paris, Calmann Lévy, 1891), lui dira-t-il, ce qui ne l'empêcha pas de le nommer ensuite Prince de Bénévent.

1806  :  Dans les négociations qui menèrent à la paix de Posen (Poznań, Pologne), en décembre 1806, entre la France et la Saxe, alliée de la Prusse,   "Un million de francs fut mis à sa disposition pour M. de Talleyrand, et cinq cent mille francs pour M. Durant , qui se donnait du mouvement pour les affaires de la Saxe ; ces sommes furent acceptées , mais un nouvel incident vint troubler la marche de la négociation."   "Mémoires du comte de Senfft, ancien ministre de Saxe ; Empire, organisation politique de la Suisse,  1806-1813", Leipzig, 1863, p. 13). 

 

Talleyrand est fait prince de Bénévent par Napoléon, ce qui lui rapporte 40.000 francs par an.


12 juillet 1806 : signature du Traité de la Confédération du Rhin (1806-1813), qui, à la suite du recès de Ratisbonne, dédommage  en particulier des princes allemands de terres au-delà du Rhin qu'ils ont perdues durant les guerres révolutionnaires françaises. A cette occasion, les princes allemands se pressent auprès de Talleyrand pour offrir des sommes très substantielles au ministre contre des promesses, qui seront plus ou moins tenues. Talleyrand aurait gagné à cette occasion près de trois millions de francs de l'époque.
 

1807 Homme de paix, en cela totalement opposé à Bonaparte, Talleyrand,  "tout en profitant de sa position pour augmenter sa fortune par des moyens quelquefois peu délicats, ne s’est jamais laissé engager, même par les motifs d’intérêt les plus puissants, à favoriser des plans qu’il pouvait regarder comme destructeurs pour le repos de l’Europe. C'était lui sans doute qui avait le plus fait dans le principe pour l'asservissement de l'Allemagne, et ayant préparé par une politique artificieuse l'immense prépondérance de la France sur le continent, il s'était ôté lui même les moyens d'arrêter l'ambition insatiable de celui qui gouvernait ce colosse de puissance. Néanmoins, au risque même de déplaire au maître, il s'opposa toujours aux projets qui, au milieu de la paix, tendaient à engager la France dans de nouvelles guerres interminables. C'est par ce motif qu'il refusa constamment son appui aux intérêts de la nationalité polonaise. Une somme de quatre millions de florins, offerte à Varsovie par les magnats pour obtenir son suffrage en faveur du rétablissement de leur pays, leur fut restituée après être restée déposée pendant plusieurs jours entre les mains du baron de Dalberg*. Considérée sous ce point de vue, sa retraite du ministère après la paix de Tilsit fut très honorable." ("Mémoires du comte de Senfft, op. cité, p. 17-18). 

 

 Charles de Dalberg, ancien évêque électeur de Mayence. 

6 mars 1809  Rœderer (cf. plus bas) a une conversation avec Napoléon  à l'Elysée, à propos de Joseph Bonaparte, alors roi d'Espagne, "qui, de Madrid, se plaignait de son frère, se prétendait contrecarré en tout, voulait faire le militaire, être roi indépendant, et, dans des lettres à la reine sa femme et à l’empereur, menaçait par dégoût, si on ne lui laissait pleins pouvoirs, de rentrer dans la vie privée et de revenir planter ses choux à Morfontaine. Napoléon, dans ce tête-à-tête avec Rœderer, se promenant de long en large, s’animait par degrés, et parlant du contenu de ces lettres : « Il y dit qu’il veut aller à Morfontaine, plutôt que de rester dans un pays acheté par du sang injustement répandu… Et qu’est-ce donc que Morfontaine ? C’est le prix du sang que j’ai versé en Italie. Le tient-il de son père ? le tient-il de ses travaux ? Il le tient de moi. Oui, j’ai versé du sang, mais c’est le sang de mes ennemis, des ennemis de la France. Lui convient-il de parler leur langage ? Veut-il faire comme Talleyrand ? Je l’ai couvert d’honneurs, de richesses, de diamants. Il a employé tout cela contre moi. Il m’a trahi autant qu’il le pouvait, à la première occasion qu’il a eue de le faire…"  (Sainte-Beuve, "Monsieur. T...., op. cité)  

1812  :  Talleyrand, avait acheté l'hôtel Monaco, rue de Varennes (devenu hötel Matignon), où "il y tenait un état princier de maison ; mais la faillite d’un banquier l’ayant mis subitement dans une gêne relative, l’empereur s’empressa de lui venir en aide, et lui acheta son palais. On peut lire à ce sujet la décision du 31 janvier 1812, en vertu de laquelle la somme de 1,280,000 fr. pour prix d’achat lui fut payée sans aucune retenue. Il y est question de dettes urgentes auxquelles cette somme devait sans doute être affectée." (Sainte-Beuve, "Monsieur. T...., op. cité)  

"En mars 1812, il paraît que Napoléon, surmontant ses répugnances, avait eu une dernière fois l’idée d’employer M. de Talleyrand en Pologne, et que, sur l’ouverture qui lui en avait été faite sous le sceau du secret, Talleyrand s’était empressé de négocier une opération financière à Vienne. L’empereur encore s’emporta ce jour-là et le maltraita de paroles. Le fond et le thème ordinaire de toutes ces scènes orageuses était le même : reproches et récriminations sur le duc d’Enghien, sur les affaires d’Espagne, sur les vols et affaires d’argent, sur de sourdes intrigues en jeu"  (Sainte-Beuve,  op. cité)  

29 mars 1813  :   Napoléon a une longue conversation avec le grand-juge (ministre de la justice) Louis-Matthieu Molé, que l'empereur fera comte de l'Empire en 1809 et se plaint de Talleyrand, qui continue de le conseiller : 

" — Il est certainement l'homme , et personne ne l'ignore, celui qui ait le plus volé, et il n'a pas le sou, et je suis obligé de le soutenir sur ma cassette et de payer ses dettes encore en ce moment. 

   —  Au moins, dit Molé, l'Empereur m'accordera-t-il que sa conversation est pleine d'agrément, de coquetterie et de charme. 

     —   Oh, c'est son triomphe, et il le sait bien."

(Lacour-Gayet, "Talleyrand...,", op. cité, vol. 2, p. 323),

Ce n'est pas le sujet, dans ces pages, d'étudier la contribution réelle de Talleyrand aux affaires politiques de la France, mais il est certain que l'homme était brillant pour analyser les hommes et les évènements (qu'il a parfois anticipés) et qu'en suivant ses méthodes politiques, axées sur la diplomatie et la paix, des millions de vies humaines causées par les guerres napoléoniennes auraient été bien davantage épargnées. S'il trahit à plusieurs reprises la confiance de Napoléon, dans les affaires politiques (nonobstant ses magouilles personnelles), c'est d'évidence pour sauver la paix sur le continent européen. A l'adresse du baron de Vitrolles, il dira :  "Vous le savez...tout le monde a sauvé la France, puisqu’on la sauve trois ou quatre fois par an ; mais voyez-vous, à Erfurth, j’ai sauvé l’Europe d’un complet bouleversement."  (Baron de Vitrolles, "Mémoires et relations politiques, tome troisième, 1815-1830, p. 445, Paris, G. Charpentier et Cie, 1884). 

1817  :  "Au début de 1817, Talleyrand offre à Klemens Wenzel von Metternich, ministre des Affaires Etrangères de l'Empire d'Autriche, de vendre à l’empereur François-Joseph Ier, non seulement sa correspondance personnelle, mais celle de son successeur, le duc de Champigny". 

(Le Monde Diplomatique,  "Comment Talleyrand négocia en 1817 la cession de ses archives à la Cour impériale d’Autriche", Décembre 1954, p. 6)

                                                                —  * —

   Lettre de Talleyrand  [Grand-Chambellan de France de 1815 à 1830] au Prince Metternich, Paris  6 mars 1817 

J’ai l’honneur de vous envoyer, mon cher Prince, tous les papiers dont je vous ai parlé.

Voici quelles étaient mes intentions. Si j’avais traité à cet égard avec une des autres puissances de l’Europe, j’aurais demandé cinq cent mille francs ; s’ils conviennent à Sa Majesté l’Empereur, il en fixera le prix. Je demande seulement qu’en m’envoyant des mandats, au porteur, (c’est-à-dire sans mon nom) pour toucher en une ou plusieurs fois – mais à époque fixe – vous ayez la bonté d’y faire joindre une autorisation de l’Empereur lui-même pour que moi et ma famille puissions nous établir à Vienne ou dans quelque autre partie de ses Etats à notre choix, si les circonstances dans lesquelles pourrait se trouver la France exigeaient que je m’en éloignasse.

Agréez, mon cher Prince, etc.

 

Talleyrand.

(op. cité)

 

napoleon-bonaparte-paix de presbourg-1805-estampe-bnf.jpg

"Le VI Nivôse, an XIV, à IV heures du matin, La Paix a été signée à Presbourg, entre M. de Talleyrand et MM. le Prince de Lichtenstein et De Guilay." [général Ignác Gyulay, Giulay]

              Estampe, Collection de Vinck, BNF

campagne d'egypte

 

La campagne d'Egypte (2) :

 

 

Bonaparte établira un rapport sur la difficulté de l'opération d'un débarquement en Angleterre, ce qui conduira le Directoire au choix de conquérir l'Egypte. S'agissant des préparatifs de cette campagne, nous pourrions, comme Francine Masson,  parler d'un "exploit" (Masson, 1987) d'organisation du très jeune général corse, tant au niveau militaire que scientifique, mais, à l'instar de tous les autres tours de force de Napoléon Bonaparte, dont nous verrons qu'ils méprisent, entravent ou s'opposent au  bien commun, ils ne feront pas ici l'objet d'une quelconque louange.  Avant la conquête de l'Egypte elle-même, il y eut celle de l'île de Malte, en froid avec la République, qui avait aboli les ordres de chevalerie, et sera prise en un tour de main, dans la seule journée du 11 juin 1798, ce qui permettra à Bonaparte de "se payer largement des peines de la conquête - le butin s’élèvera à plusieurs millions de francs, ce qui aidera bien en Egypte"  (op.cité).  Les pillages, les butins,  finançaient à très bon compte les dépenses courantes de l'Etat et Napoléon était intraitable sur le sujet, faisant piller, incendier les villages récalcitrants, ou encore, prendre en otage des notables. Et, si par malheur, des contrôleurs du Trésor s'avisaient de vérifier les comptes, ils pouvaient être arrêtés par lui, qui décidait d'autorité les sommes à prélever tout comme celles destinées à la dépense ('Les banquiers de Bonaparte", article de Jacques-Marie Vaslin, journal Le Monde  du 5 novembre 2002)

Cinq jours après la prise de Malte, le 16 juin 1798 (28 prairial an VI), le général Bonaparte ordonnait   :

 

"L’esclavage est aboli ; tous les esclaves connus sous le nom de bonnivagli sont mis en liberté, et le contrat, déshonorant pour l’espèce humaine, qu’ils ont fait est détruit." (article 3, dans "C.L.F Panckoucke, Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome deuxième, 1821). 

  bonnivagli   :  "buonavogli" (de l'italien buonavòglia, plur. buonavòglie,  litt. "de bonne volonté", nom donné à des personnes asservies pour dettes, connues dans l'Italie médiévale pour s'enrôler dans des équipages de rameurs afin de rembourser leur dû.  

 

 Le ton antiesclavagiste ne doit cependant pas nous tromper. Non seulement le général faisait acheter des esclaves, quelques semaines après, pour renforcer son armée d'Egypte (Branda et Lentz, 2024), mais surtout, nous verrons qu'il rétablira l'esclavage et sa traite en 1802. Ajoutons pour l'anecdote que Bonaparte, avant de quitter l'Egypte, accepte de recevoir en présent du cheikh El Bekri un affranchi mamelouk du nom de Roustam Raza (1782-1845), qui restera plus d'une dizaine d'années à son service. Il le libère de ses chaînes, lui paie un très bon salaire pour ses services, divers costumes pour assister à son sacre, facilite son mariage, paye ses noces, etc.  (source Napoleon.org).  Il semble donc assez clair que Napoléon Bonaparte, s'il n'est pas fondamentalement partisan de l'esclavage, n'a guère de conviction morale sur le sujet, son rétablissement  officiel en 1802, nous le verrons, étant la plus grande preuve de son manque total d'empathie pour la condition des Noirs dans les colonies. 

Nous avons déjà vu que l'esprit  des Lumières ne faisait pas grand cas de la question sociale, et c'est le même esprit qui habite Napoléon Bonaparte quand il ne voit aucun problème à mener en parallèle une campagne militaire effroyable et un projet encyclopédique concernant le pays des pharaons, mais pour  la gloire du sien propre.  On comprend mieux les visées idéologiques coloniales d'appropriation culturelle et patrimoniale d'une telle entreprise en étudiant les journaux de presse officiels de l'expédition. Axé sur la campagne militaire, le "Courier de l'Egypte" a été pensé par Napoléon comme outil de sa propagande politique personnelle.  Quant à "La Décade égyptienne, journal littéraire et d’économie politique", mensuel puis semestriel, elle est en principe tournée vers l'activité des savants qui accompagnent l'expédition, pas moins de 167 personnalités scientifiques, réunis dans une Commission des sciences et des arts le 16 mars 1798, et pour qui sera créé quelques mois plus tard,  le 22 août 1798, l'Institut d'Egypte, dirigé par le mathématicien Gaspard Monge, installé au "Kaire",  "un Institut pour  les Sciences et les Arts", chargé  par le "Général en Chef Bonaparte" de s'occuper principalement "1¨° Du Progrès et de la propagation des lumières en Egypte" ; 2° De la recherche, de l'étude et de la publication des faits naturels, industriels et historiques de l'Égypte"  (La Décade égyptienne..., op. cité, 1er numéro de janvier 1798). Signalons que déjà "lors de la campagne d'Italie, il s'était fait accompagner par des savants, qui avaient surtout eu pour mission de choisir parmi les prises de guerre ce qui allait enrichir les collections nationales." (Masson, 1987)

napoleon-commission sciences arts-jardin institut egypte-dutertre.jpg

 

 

 Les savants de la Commission des sciences et des arts au jardin de l'Institut d'Égypte au Caire 

                         

        André Dutertre (1753-1842),

               dessin préparatoire

                      XIXe siècle

BNF, département des Estampes et de la Photographie, UB-181 (A)-FT 4, Tome 1, Planche 9

 

 

Comme souvent, ce sont les détails de l'histoire qui nous apprennent le plus. Après la victoire de la bataille des Pyramides contre les Mamelouks, et malgré la défaite d'Aboukir contre l'amiral Horatio Nelson, le général britannique, les Français se rendent vite maîtres de l'Egypte et s'installent comme chez eux. Ne connaissant pas les us et coutumes, les savants portent un uniforme vert,  couleur réservée aux descendants du prophète, ce qui a "profondément choqué les musulmans(Masson, 1987). A l'inverse, les Français ne supportent pas le "manque absolu d’intérêt des Egyptiens pour les expériences scientifiques comme le lancement d’un ballon par Conté et ses aérostiers : les Egyptiens présents n’ont même pas levé la tête !(op. cité).  Il faut imaginer ce que ce peuple ressent, pris entre les intérêts des Mamelouks, des Turcs, des Anglais et des Français, sans compter les factions locales, mais surtout contre les levées répétées d'impôts, pour subvenir aux besoins de l'armée française, et  qui mettent les populations à genoux.  Alors, entre le 21 et 22 octobre 1798,  il manifeste son exaspération, et massacre, par exemple, trois scientifiques dont deux polytechniciens qui étaient allés chercher des instruments scientifiques dans la maison du général Maximilien Caffarelli, où ils ont été surpris par les émeutiers, qui pilleront la maison, où se trouvaient, en particulier, les appareils de physique de l'expédition, ce qui causa une grande perte pour la communauté scientifique  (op. cité). Souvenons-nous que, par la décision unilatérale d'hommes au pouvoir, et sans aucune raison humainement valable, c'est au moins 12.000 Egyptiens qui seront tués dès la première année d'occupation (sans parler des milliers de soldats français qui y perdront la vie), et que l'armée française, face à une rébellion légitime de la population contre un envahisseur (rappelons-nous par exemple la révolte des Palestiniens contre les colons juifs d'Israel : cf. Le livre noir du sionisme), n'hésitera pas à recourir aux méthodes les plus violentes, comme le pillage des villages ou les multiples exécutions sommaires (Juan Cole, Napoleon’s Egypt : Invading the Middle East, Palgrave Macmillan, 2007), bombardant, pillant en particulier la célèbre mosquée d'Al-Azhar (fondée en 970) du Caire, le 22 octobre 1798 : 

"Le mardi 23 octobre au matin, Bonaparte adresse une brève lettre froide au général Berthier. « Citoyen Général, veuillez donner l'ordre à le commandant de la place de couper la tête à tous les prisonniers qui étaient pris les armes à la main. Ils seront transportés ce soir sur la rive du Nil entre Boulaq et le Vieux Caire ; leurs cadavres sans tête seront jetés dans la rivière. » Detroye note dans son journal du 3 brumaire (24 octobre) : « Ils commencèrent à exécuter quelques rebelles. Ces exécutions ont eu lieu à la Citadelle, presque en secret, à coups de baïonnette. » Cette description des exécutions fait des troupes françaises les bourreaux, et, en effet, des meurtriers de masse." (Juan Cole, op. cité).  Pour le même jour, le sergent François rapporte : "Vingt-trois villages reconnus comme les plus rebelles furent pillés et incendiés par nos soins ; leur bétail et leurs céréales furent amenés au camp. Tous les habitants, à l'exception des femmes et des enfants, trouvés dans ces villages furent tués. Plus de 900 personnes furent mises à mort." (Juan Cole, op. cité).  

Le 25 février 1799, Bonaparte s'empare très facilement de Gaza et prend Jaffa le 7 juin. Il écrit alors au Directoire que : « Jaffa fut livré au pillage et à toutes les horreurs de la guerre, qui jamais ne lui a paru si hideuse. » Ces horreurs, qui les avait commandées ?" demande Chateaubriand  (op. cité).   

Avant la (brève) conquête française, "les voyageurs ne parcouraient que les bords du Nil et quelques autres parties limitrophes : la superstition, la méfiance des habitans, la difference du langage, les inquiétudes que la présence des étrangers inspiraient aux oppresseurs du pays [Mamelouks, NDA], rendaient toutes les communications très difficiles. Aujourd'hui tout est changé : maîtres de la totalité de l'Égypte, il nous est facile d'en examiner les mœurs, les usages.." écrit le citoyen Jean-Lambert  Tallien (1767-1820), qui rédige le "Prospectus" en forme d'introduction  à la Décade égyptienne, dont il a la direction. Il y a donc les horribles envahisseurs et les bons, nous précise en substance l'ancien Montagnard, qui envahissent un pays étranger pour de nobles raisons de civilisation et le progrès  : 

 

"La conquête de l'Egypte ne doit pas être utile à la France, seulement sous les rapports politiques ou commerciaux ; il faut encore que les sciences et les arts en profitent.  Nous ne vivons plus dans ces temps où les conquérans ne savaient que détruire là où ils portaient leurs armes ; la soif de l'or dirigeait alors toutes leurs actions ; la dévastation, les persécutions, l'intolérance les accompagnaient par-tout. Aujourd'huin au contraire, le Français respecte non seulement les lois, les usages, les habitudes, mais même les préjugés des peuples dont ils occupent le territoire. Il laisse au temps, à la raison, à l'instruction, à opérer les changements que la philosophie, les lumières du siècle ont préparés, et dont l'application devient chaque jour plus prochaine."   (Tallien, Prospectus, op. cité).  

napoleon-description egypte-mosquee sultan hassan.jpg

 

 

 La Mosquée du Sultan Hassan

                         

                      N-J Conté,

               dessin préparatoire

 BNF, Réserve des livres rares, UB-181 (I)- FT 4, Tome 1, Planche 32

 

 

Derrière ces préoccupations scientifiques, les deux journaux de la campagne d'Orient "font coïncider la saisie patrimoniale (ou non) de l’Égypte antique avec la mise en avant de l’ampleur de l’expédition et de la gloire qu’elle apporte à la France. C’est dans ces journaux que se met en place une reconnaissance de la valeur de l’Antiquité égyptienne, dans un mouvement de saisie et d’appropriation paradoxalement tourné vers l’Europe (...) Ainsi la place de l’Égypte antique en particulier s’affirme dans le Courier ce qui souligne que l’expédition obtient des résultats. Certains sont clairement orientés vers une logique patrimoniale, dont ces fameuses listes d’objets qui seront emportés en France pour être étudiés et mis en musée. Le Courier de l’Égypte montre donc un intérêt particulier pour les objets de l’antiquité égyptienne, leurs caractéristiques, le contexte de leur découverte, et le tout est présenté afin que le soldat participe à cette saisie

(...)  

L’association des deux titres permet la mise en place d’un système complet mêlant un « moniteur » de l’armée, journal officiel et régulier dont la parole est évidemment biaisée pour mettre en avant des réussites militaires mais aussi sociales et politiques ; à une revue au service de la réflexion et du progrès scientifique dont le prospectus annonce qu’elle est là pour que « les sciences et les arts […] profitent » de la conquête de l’Égypte. Ce système montre bien la maîtrise qu’a déjà le Général des modes de communication, et confirme que l’un et l’autre sont des journaux à visée politique, médiatisant avec un succès certes mitigé l’action de l’armée et de son Général, ainsi que la vie quotidienne de l’armée" (Avellaneda, 2022). 

"La frustration de se voir confisquer des biens culturels au nom d’un projet de centralisation universaliste et de la volonté de réunir ces biens en un seul lieu est bien connue des Européens. L’ambition de domination universaliste et civilisatrice de la France napoléonienne a servi presque au même moment que l’expédition d’Égypte à légitimer un pillage sans précédent des biens culturels en Europe et à rassembler des objets volés à Paris. Cela a jeté un certain discrédit sur l’universalisme des Lumières, pour lequel la place de l’objet était négociable non pas en fonction de critères territoriaux, mais plutôt en fonction de leur valeur et de leur accessibilité. Plus encore, ce pillage systématique a réussi à créer de toutes pièces une conscience largement partagée de l’importance des collections pour les cultures nationales en Europe." (Messling, 2015).  

 

La spoliation la plus emblématique demeure sans doute la fameuse "pierre de Rosette", déterrée par l'armée de Napoléon en 1799 et confisquée à la France par l'Angleterre, qui a permis à Champollion, en particulier, de déchiffrer les hiéroglyphes. Elle a fait l'objet en 2022 d'une pétition d'archéologues égyptiens, réclamant la restitution de ce monument fondateur de l'égyptologie  (article Les Echos, 8 octobre 1922). 

Cependant, les journaux officiels de la campagne d'Orient ne réserve qu'une portion congrue aux sujets d'archéologie et plus encore d'ethnographie (cf. Saad, 2019)La plupart des sujets traités dans la Décade concernent au premier plan les armées du nouveau colonisateur qui pensait s'installer là pour longtemps, et qui avait tout intérêt, comme le détaille le n°4 du 1er volume (p. 118-119), à rechercher "les moyens de cultiver la vigne dans cette contrée (...)  le meilleur projet et le plus économique pour l’approvisionnement d’eau de la citadelle", sans parler  des "observations thermométriques et hygrométriques", mais aussi d'autres études sur la nourriture, l'eau, la prévention des maladies, etc..  C'est ainsi que se dessinait une "alliance inaccoutumée de la littérature et des armes", selon l'expression de Joseph Fourier, secrétaire perpétuel de l'Institut du Caire (J. Fourier, "Préface historique" de la seconde édition "dédiée au Roi." (Charles X) de la "Description de l'Égypte, ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'armée française", publiée en 37 volumes par  Charles-Louis-Fleury Panckoucke, de 1821 à 1829), ou qui fait dire à l'écrivain égyptien Mohamed Salmawy que la campagne d'Egypte, "première agression impérialiste de l'époque moderne contre l'Orient musulman" s'était déroulée entre "feu et lumière"  (« Entre "feu et lumière", l'héritage controversé de Bonaparte en Egypte », article du quotidien libanais L'Orient-Le Jour,  3 mai 2021). 

Si Bonaparte avait décidé de publier l'ensemble des travaux effectués par les savants en Egypte (il en avait même fait une condition de leur engagement), La "Description de l'Egypte", œuvre monumentale et très coûteuse (environ 4 millions de francs de l'époque), n'a pas été initiée par Bonaparte, mais par Jean-Baptiste Kléber, nommé par Bonaparte pour le remplacer à la tête d'une armée d'Orient épuisée, décimée par les maladies, pauvre en armes, en poudre et en munitions, et que le Petit Caporal, d'évidence, a fui pour ne pas affronter le désastre à venir : "Il voyait la crise fatale approcher", dira Kléber dans son rapport au Directoire du 26 septembre 1799, accablant pour son prédécesseur :   

 " Citoyens directeurs,  

 

Le général en chef Bonaparte est parti pour la France le 23 août au matin, sans avoir prévenu personne. Il m’avait donné rendez-vous à Rosette le 24 ; je n’y ai trouvé que ses dépêches

(...)

Le général Bonaparte, avant son départ, avait à la vérité donné des ordres pour habiller l’armée en drap ; mais, pour cet objet comme pour beaucoup d’autres, il s’en est tenu là, et la pénurie des finances, qui est un nouvel obstacle à combattre, l’a mis sans doute dans la nécessité d’ajourner l’exécution de cet utile projet. Il faut parler de cette pénurie.

(...) 

Le général Bonaparte a épuisé toutes les ressources extraordinaires dans les premiers mois de notre arrivée. Il a levé alors autant de contributions que le pays pouvait en supporter…"  

(Kléber, cité par le général comte Pajol, "Kléber, sa vie, sa correspondance," 1877, reproduit par Jules Clavé, "Un Général républicain - Kléber", Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 33, 1879 (pp. 139-181).

 

Des soupçons de vol pesaient même sur Bonaparte, de s'être servi sur la bête et d'être parti d'Egypte avec la caisse :  "Le vol était chiffré à deux millions en or par Poussielgue qui fut administrateur des finances en Égypte jusqu’à son remplacement par l’ancien Constituant Lasalle, le 25 frimaire an VIII (16 décembre 1799), sous le Consulat provisoire.(Massie, 1984). 

 

Moins de deux mois après, le 22 novembre 1799 (1er frimaire an VIII),   Kléber, après avoir créé un bureau pour réunir l'ensemble de toutes les connaissances réunies sur l'Egypte,  décide de réaliser "l’idée vraiment libérale et patriotique de confondre tant de belles choses dans un seul et grand ouvrage et de déposer les objets qui en sont susceptibles dans les collections nationales."  (Courrier de l’Égypte, n° 47, 1er décembre 1799 / 10 frimaire an VIII, p. 1).   C'est ainsi que Bonaparte, devenu Premier Consul, décidait en 1802, par arrêté du 6 février, que l'ensemble des documents produits lors de l'expédition d'Egypte seraient publiés par l'Imprimerie  Impériale, au frais de l'Etat, à la suite de quoi l'empereur confia la responsabilité du projet à son ministre de l'intérieur, le chimiste Jean-Antoine Chaptal (qui a théorisé et popularisé une ancienne méthode de sucrage des moûts de raisin qui portera son nom : la chaptalisation). Le 18 février, Chaptal nomme alors, une "Commission d'Egypte", créée pour superviser les travaux, dans laquelle les Egyptiens n'avaient aucune place. ​ 

L'ouvrage complet de l'édition originale (dite "impériale") de la "Description de l'Egypte..". est composé d'un volume de préface et avertissement,  9 volumes de texte, 12 de planches et un atlas géographique établi par l'ingénieur et cartographe Pierre Jacotin (1765-1827), publiés de 1809 à 1829, avec pour titre  "Description de l'Egypte..."  (op. cité).  Par ailleurs, les "propositions de Jean-Joseph Marcel de faire une édition luxueuse a des conséquences sur les formats des papiers et leur nature. La Commission lance une soumission à laquelle répondent cinq papetiers : Dupuis d’Ambert, Montgolfier et Johannot d’Annonay, Desgranges aîné à Plombière et Léopold-Grégoire Desgranges jeune (1759-1816) d’Arches dans les Vosges. Ce dernier remporte le marché qu’il signe le 22 janvier 1807, ce qui servira sa réputation, mais sera aussi source de désagréments. Il y a six formats retenus : papier Écu (38 x 51 cm) et Carré (43 x 54 cm) pour le texte et pour les planches, Grand-Atlas ou Jésus (541 x 704 mm), MoyenÉgypte ou Aigle (704 x 1083 mm), Grand-Égypte (704 x 1354 mm) et Grand-Monde dit Éléphant (812 x 1137 mm)."   (Grinevald, 2024).  

 "L'illustration, 836 planches dont une soixantaine en couleurs, gravées à l'eau forte et au burin dans des formats jusqu'alors inusités (le plus grand couvre près d'un mètre carré), a nécessité la construction de nouvelles formes et cuves pour la fabrication du papier, justifié l'invention, par Nicolas Conté, d'une machine destinée à alléger la besogne des graveurs, et exigé la réalisation de nouvelles presses capables d'imprimer ces images immenses. Certaines d'entre elles ont demandé deux années de travail. Près de 200 graveurs ont reproduit sur le cuivre les œuvres de 62 dessinateurs dont 46 ont participé à l'expédition."   (La Description de l'Egypte... Edition-Originale. com)
 

 

Commission d'Egypte   :  "Claude Berthollet (1748-1822) qui occupe la présidence jusqu’en 1822, remplacé par le commandant d’artillerie baron André Lafont (1779-1844) ; Nicolas-Jacques Conté (1755-1805) est le Commissaire général du gouvernement près la Commission, Michel-Ange Lancret (1774-1807) remplit les fonctions de secrétaire, Louis Costaz (1767-1842), René-Nicolas Desgenettes (1762-1837), Joseph Fourier (1768-1830), Pierre-Simon Girard (1765-1836) et Gaspar Monge (1746-1818), auxquels sont adjoints par la suite : René-Edouard de Villiers du Terrage dit Devilliers (1780-1855), Alire Raffeneau-Delile (1778-1850), Jean-Baptiste-Prosper Jollois (1776-1842) et Edme-François Jomard." (Grinevald, 2014)   

napoleon-memnonium-ramesseum-temple ouest.jpg

 

​  Temple ouest du Memnonium

                (Ramesseum)

Temple funéraire de Ramsès II, vers 1292-1225 consacré au Dieu Amon. Le Ramesseum, situé dans la nécropole thébaine, est un vaste complexe royal bâti pour  Ramsès II.

                         

Dessin de 1821 de Jean-Baptiste Lepère (Le Père), architecte et dessinateur  (1761-1844),  

 

Gravure sur cuivre  (colorisée à la main) des années 1820, par Louis-Jean Allais (1762-1833) 

                  

Description de l'Egypte (op. cité), planche 37 

napoleon-egypte-description-temple philae-le pere-phelippeaux-1809.jpg

 

 

           Temple  de  Philae

Temple funéraire de Ramsès II, vers 1292-1225 consacré au Dieu Amon. Le Ramesseum, situé dans la nécropole thébaine, est un vaste complexe royal bâti pour  Ramsès II.

                         

Dessin de Jacques-Marie Le  Père (homonyme sans lien familial avec le précédent), ingénieur (1763-1841),  

 

Gravure à l'eau-forte, par aquatinte,  et au burin  (colorisée à la main)  d'Antoine Phelippeaux (1767-après 1830)

       

                      1809      

              

Description de l'Egypte (op. cité), vol. 1, planche 18

napoleon-description egypte-frontispice-jomard-panckoucke.jpg

 

 

  "fac-simile des monumens coloriés de l’Égypte d’après le tableau de C.L.F. Panckoucke, Chevalier de la Légion d’Honneur, Éditeur de la Description de l’Égypte, 2e Edition 1825." 

                

      Gravure de Louis-Jean Allais 

                

roederer

 

 

“ Les cerveaux de Brumaire  ”

C'est par le coup d'Etat du 18 et 19 brumaire an VIII (9/10 novembre 1799) que Bonaparte accède au pouvoir, par toutes sortes de méthodes très éloignées des vertus républicaines qu'il affiche, nous allons le voir par la suite.  Le projet de renverser le second Directoire date au moins de l'automne 1797. Il est le fait d'une élite autoproclamée "républicains modérés", mais qui, en réalité, cherchent à établir une république conservatrice, au premier rang desquels on trouve Pierre Louis Rœderer  (1754-1835) avocat, homme politique, dont le père était seigneur d'Escouviez, conseiller du Roy, substitut du procureur du roi au parlement de Metz (Geneanet).  

Sans surprise, on découvre que le Mosellan partage le même mépris aristocratique envers "le peuple" qu'affiche presque tous les privilégiés, nous l'avons vu, qui, par leurs pouvoirs variés, façonnent intellectuellement et politiquement les sociétés depuis les débuts du libéralisme : "Rœderer poussait jusqu’à un point presque incroyable la considération pour la fortune et le dédain pour les classes indigentes"  (Charles Durand, Etudes sur le Conseil d’Etat napoléonien, Paris, Presses Universitaires de France, 1949)

 

Copropriétaire du Journal de Paris (1777-1840) premier quotidien français fondé par  Antoine-Alexis Cadet de Vaux, Jean Romilly, Olivier de Corancez et Louis d'Ussieux, Roederer réclamait déjà, en 1795, "un gouvernement énergique, républicain sans populacité, un gouvernement qui ramène tous les royalistes de bonne foi, ceux qui ne veulent que la sûreté des personnes et des propriétés."  (cité par Jacques Bainville, "Le 18 Brumaire", Paris, Hachette, 1925, p. 23). 

 

Rœderer fondera le "Journal d'Economie publique, de Morale et de Politique",  en 1796, dans lequel il affirmera bien fort son amour de l'ordre, par des paroles qui "résonnent désormais comme un programme pour le Consulat : « L’ordre, l’ordre ; voilà l’objet de toute constitution, la tâche de tout gouvernement, le principe de toute prospérité publique. »" (Menichetti, 2013 ; citation de Roederer : Journal d'économie publique, de morale et de politique, tome premier [n° 1 à 9, 27 août -20 novembre 1796],  n° 1, 10 fructidor an IV [27 août 1796], p. 3 de l'Introduction).   En quoi consiste cet "amour de l'ordre" si capital pour l'organisation sociale dont rêve Roederer qu'il doit devenir  "une religion dans toutes les ames" ?  (Roederer, op. cité).  Malheureusement pour les lecteurs et les lectrices, la réponse n'est pas tout à fait nouvelle et rejoint toutes les antiennes idéologiques dont nous ont abreuvé les premiers philosophes libéraux. A la base de  leurs discussions sur l'organisation sociale, nous trouvons souvent l'idée d'un passage, dans l'histoire humaine, d'un état, d'un droit "naturel", dépourvu de lois,  à un "état social" organisé. Pour celles et ceux qui voudraient se rafraîchir la mémoire, la lecture de "John Locke, Nettoyeur", pourrait s'avérer bien utile avant de poursuivre celle du présent texte. 

 

C'est par un "examen critique de Rousseau de Genève", nous dit l'homme de loi, qui "prétend donner la clef de sa doctrine", que Roederer va exposer sa conception de l'ordre social  dans son propre journal :

 

"Son contrat social a eu trop de part à notre révolution, pour qu'il n'importe pas de discuter le principe de l'égalité,  qui en fait la base ; cette discussion est la matière des douze livres de l'ouvrage que nous analysons.

   L'auteur démontre dans le premier qu'il y a de la folie à vouloir régir l'ordre social par les principes qui régissent l'ordre naturel ; les hommes, néanmoins, dans tous les temps, ont entrevu confusément, et comme par instinct, qu'il devoit y avoir une théorie sociale, et que cette théorie, pour être juste dans ses dispositions, devoit être conforme aux lois générales de l'ordre. Ils ont vu qu'en mathématiques le tout est plus grand que la partie, et comme toutes les vérités mathématiques dérivent de cet axiôme, ils ont cru que de cet axiôme, également vrai dans l'ordre social, où effectivement le tout est plus grand que la partie, devoient se déduire toutes les conséquences pratiques propres à régir l'ordre moral ; de-là dérivent les principes du droit politique de J. J. Rousseau, ou plutôt son seul et unique principe ; car l'égalité des hommes, la volonté générale et la souveraineté du peuple, ne sont qu'une seule idée considérée sous trois faces différentes.

       Qu'a-t-il dû arriver ? Le peuple saisit avidement le principe qui le flatte, et laisse là les conséquences qu'il ne comprend pas, pour peu qu'elles le gênent et le contrarient. Il répète avec transport les mots de liberté, d'égalité, de souveraineté. Mais après les premiers momens d'une si douce ivresse, ce peuple qui n'est pas imbécile lorsqu'il calcule des objets à sa portée, regarde autour de lui et réfléchit. Sommes-nous égaux, dira l'un ? je vois dans l'hôtel qui touche à mon échoppe, un maître environné de dix valets mieux nourris et mieux vêtus que moi. Suis-je libre, dira l'autre ? oui, de mourir de faim, si je cesse mes rudes travaux. Sommes-nous souverains, s'écriera un troisième ? les riches nous commandent, nous achetent, sont les maîtres de tout. On nous trompe, on nous joue....... Secouons le joug des riches, abattons leur tyrannie, soyons libres en effet, et partageons leurs biens.

    Ce partage est l'une des conséquences les plus immédiates de l'application des principes naturels. D'où l'on voit, avec la dernière évidence, que les principes naturels ne tendent à rien moins qu'à dissoudre le corps politique, et qu'ils sont destructifs de l'ordre social ; ensorte que gratifier le peuple de la toute puissance, ou prononcer l'arrêt de sa servitude, est une seule et même chose, puisque, dans tous les temps, le despotisme fut le résultat naturel de l'anarchie*.

    Il existe donc, pour l'état social, deux espèces de vérités qui marchent en sens contraire : les vérités spéculatives ou métaphysiques, et les vérités politiques. Les premières sont conformes aux lois générales de la nature, et les secondes aux lois particulières de la nature humaine. 

    C'est pour n'avoir pas distingué ces deux natures, la nature générale, et la nature particulière de l'homme, que Rousseau est tombé dans un si grand nombre de contradictions. Un système social, ayant pour base les principes naturels, supposeroit dans leur application, des êtres sans vices, sans passions et sans mauvais penchants ; des êtres également organisés, également éclairés, et que la droite raison détermineroit dans toutes leurs actions. Ils ne sont donc d'aucun usage dans la pratique. Ils n'ont d'utilité que dans les livres."

P. L. Rœderer, "De l'Egalité, ou Principes généraux sur les institutions civiles, politiques et religieuses",  dans Journal d'économie publique, de morale et de politique, tome second [n° 11 au n° 18, 30 novembre 1796 - 18 février 1797], n° XVII, 20 pluviôse an 5 [8 février 1797], pp. 339-342.    

"Arnarchie" dans le texte imprimé, ce qui ne peut être qu'une coquille d'imprimeur, l'orthographe de ce mot n'ayant jamais changé depuis son apparition dans la langue française, au XIVe siècle (cf. CNTRL). 

La démonstration de Roederer est de la même eau que celles des premiers philosophes libéraux que nous avons examinées, un salmigondis où les principales idées sur l'organisation sociale n'ont aucun fondement rationnel et qui, par un dispositif artificiel, aboutit à des positions idéologiques occupées de facto par les auteurs, cherchant à rebours une justification théorique de leurs idées sur le sujet. 

. "Les hommes dans tous les temps..." De manière extrêmement réductrice, la multiplicité, la complexité des sociétés humaines, comme chez les philosophes précités, sont réduites à une humanité globale, informe, traversant le temps avec l'intuition d'une "théorie sociale", un terme aussi vague que vide de sens réel dans ce contexte. Nous ne reviendrons pas ici sur les  formules tout aussi idéologiques, déjà évoquées ailleurs,  qui séparent l'histoire du monde régie par un  "principe" ou "droit naturel, imprescriptible, le droit imposant du plus fort" de celle fondée sur un  "principe politique" (op. cité)  conforme à un ordre nécessaire.  Notons au passage que, ni Roederer, ni d'autres théoriciens du même acabit, à notre connaissance, ne se sont penchés sur l'existence et l'organisation des sociétés de type égalitaire, tels les Arawaks ou les Tupis, pourtant découverts très tôt par les colonisateurs européens et qui n'avaient pas besoin d'un état centralisé, gouverné par des chefs, pour mettre à mal "la loi du plus fort" et assurer une "société civile(op. cité) à leurs communautés.  N'oublions pas non plus que l'archéologie, comme beaucoup d'autres sciences, n'existe pas encore et que les "savants" du XVIIIe siècle n'ont pas beaucoup de connaissances solides, scientifiques, sur  l'histoire antique du monde (et aucune sur la période préhistorique)  et s'appuient essentiellement, nous l'avons vu ailleurs, sur toute une littérature largement nourrie par les idéologies.  C'est en tout cas  tout ce piètre attirail philosophique et scientifique qu'ont rabâché les philosophes du XVIIIe siècle que Roederer utilise pour persuader le lecteur qu'il n'y a aucune autre façon d'envisager l'ordre social que celui de l'inégalité : 

 

 "Avant l'établissement de la société civile, la souveraineté réside dans la volonté du plus grand nombre des individus d'une peuplade agreste. Mais du moment que la société s'établit,  la souveraineté se combine des forces de la multitude, des conseils de la sagesse,  et de la direction d'un ou plusieurs chefs éclairés, et la société se trouve placée dans le balancement des puissances physiques et morales ; au principe naturel de la volonté du plus grand nombre, succède un nouveau principe tout opposé, et qu'on découvre plus conforme au but qu'on s'est proposé en se réunissant ; le tout cesse de commander à la partie, et la partie commande au tout.  Les hommes plient sous l'impérieuse nécessité des choses, et consentent, pour leur bonheur, à élever au-dessus d'eux un petit nombre d'hommes plus éclairés, à s'en laisser conduire et gouverner. 

   C'est ainsi que le principe politique de l'inégalité, devient le seul fondement solide de l'édifice social. Aussitôt, par une conséquence nécessaire, la souveraineté se partage. Elle cesse d'appartenir toute entière à la multitude ; celle-ci n'en retient que ce qu'elle peut garder sans se nuire à elle-même. Le petit nombre s'en est trouvé revêtu par la nature même des choses et pour le bonheur de tous. Tel est le vrai contrat social, fondé, non sur une transaction avec des chefs, encore moins sur la subtilité métaphysique d'un engagement de s'obéir à soi-même, mais sur l'essence de toute réunion d'hommes. Cette essence ne peut se concevoir sans qu'il y ait des chefs pour la direction, des membres éclairés pour le conseil,  et une multitude ayant de la docilité  à la voix des guides en qui elle a mis sa confiance. Les chefs qui dirigent, sont l'élément monarchique ou monocratique ; les sages, l'élément aristocratique, et le peuple, l'élément démocratique. Les trois ensemble sont les élémens de la société civile, ses élémens constitutifs, et tels que, sans eux, on ne peut la concevoir."

P. L. Rœderer, "De l'Egalité...", op. cité. 

 

Commentant la brochure de Rivarol (Antoine de Rivarol, 1753-1801), intitulée "De la Philosophie moderne", Rœderer affirmera plus tard que les "philosophes modernes" ont  proclamé "l'égalité indéfinie parmi les hommes"  et décrété  "que les hommes étaient naturellement égaux sans restriction" et leur rétorque que les "constitutions de 91 & de l'an 3 ont proclamé l'égalité des droits, jamais l'égalité naturelle, ni l'égalité indéfinie. Aucun philosophe n'a proclamé l'égalité naturelle, il auroit parlé contre le fait le plus évident de la Nature. Sieyes a dit, tout au contraire dans sa belle exposition raisonnée des droits, que ce qui a rendu nécessaire la garantie de l'égalité des droits par l'état social, c'est l'inégalité des moyens. « La loi sociale, a-t-il ajouté, n'est point faite pour affoiblir le foible & fortifier le fort, mais pour mettre le foible à l'abri du des entreprises du fort, couvrir de son autorité tutélaire l'universalité des citoyens & garantir à tous la plénitude de leurs droits. »" (Pierre-Louis Rœderer, "De la philosophie moderne, et de la part qu’elle a eue à la Révolution française", Paris, Imprimerie du Journal de Paris, frimaire an VIII / décembre 1799, p. 6-7  ; citation de l'Abbé Sieyès : "Préliminaire de la Constitution françoise : Reconnoissance et exposition raisonnée Des Droits de l'Homme & du Citoyen", 1789, p. 25)

Comme Sieyès, une autre figure centrale de Brumaire, le Mosellan  partage une vision oligarchique de la société, où les forts conservent leurs avantages sur les faibles, et gouvernent sans (théoriquement) les écraser de leur pouvoir. "Le conservatisme social de Roederer est indéniable, et en particulier dans la seconde moitié de sa vie",  et il "se traduit par l’exclusion des prolétaires de la scène politique" (Menichetti, 2013), tout comme l'envisageait Sieyès (cf. Révolution Française, 5), et une large partie des élites de l'époque. Rœderer entretiendra une relation épistolaire soutenue avec l'abbé défroqué dès 1788 et finira par espérer "réaliser enfin à nous deux la grande faction des insociables". 

On ne sera guère étonné d'apprendre que l'homme reste attaché à un "système d'institutions morales... celles qui éclairent l’esprit, comme l’enseignement public ; celles qui échauffent l’âme comme les monumens et solemnités nationales, celles qui conduisent toutes les facultés de l’homme par la coutume, comme les institutions domestiques (Roederer, "Journal d'économie publique..." op. cité, tome premier, N° 1, 10 fructidor an IV [27 août 1796],),  autant de corsets idéologiques qui continueront à leur manière de participer à l'embrigadement de beaucoup de consciences dans un système de valeurs que les ploutocraties ont entretenu de différentes manières depuis des millénaires au profit des élites au pouvoir.  Il en va ainsi de sa volonté de "rétablir les mœurs par la police domestique", qui, là encore, est parfaitement conforme à ce que sera la politique autoritaire de contrôle et de gouvernement de la population sous le Consulat et l'Empire. Il en va de même avec les idées que le journaliste empruntera en particulier à Charles-Philippe-Toussaint Guiraudet, tirées de  son livre "De la famille considérée comme l’élément des sociétés" (Paris, Desenne, 1797-an V), par lequel il cherche à rétablir l'autorité des chefs de famille, qui seuls seraient considérés comme des citoyens  : "Cette nécessité de raffermir l’autorité des chefs de famille, dans ce contexte de rétablissement de l’ordre, ne fait déjà plus question : elle va de soi, du moins au sein de l’élite politique au pouvoir (...)  Il ne s’agit donc pas seulement de réintroduire un roi dans la famille pour n’en point avoir dans l’État – solution de peu d’avenir, au demeurant – ; l’enjeu réside surtout dans la mise en place d’un véritable pouvoir d’influence sur les citoyens" (Verjus, 2008).

 

Par opposition, les femmes continuent en ce monde-là à occuper un rôle de faire-valoir vis-à-vis des hommes, et on ne compte plus les ouvrages qui  leur reconnaissent une  puissance, une "influence... très grande... sur  le caractère d'une nation"*, elles qui ne seraient "douées que de vertus privées"**, qui ne peuvent donc se réaliser que dans les espaces domestiques, exerçant avant tout une "action bienfaitrice...sur les mœurs, le comportement et le caractère des hommes." (Verjus, 2008).

                                           --------------------------------------------- 

 

* Discours au Cercle social. De l’influence des femmes sur le caractère des peuples » (fin déc. 1790), publié dans La Bouche de Fer, 6 janvier 1791 (éd. par É. Badinter in Paroles d’hommes (1790-1793), Paris, P.O.L., 1989).

**   « De l’influence de la Révolution sur les femmes », Révolutions de Paris, 83, 12 février 1791, in Paroles d’hommes…, op. cité, p. 67-77.

 

                                                  -------------------------------------------------- 

Citons seulement un extrait "Des Femmes de Paris" de Roederer, qui suffira à évoquer cet autre trait de sa mentalité  conservatrice  :

 

"Nous venons de lire, avec un intérêt très-vif, dans les Nouvelles Politiques,  du 2 de ce mois, un morceau excellent de Lacretelle le jeune, sur la honteuse folie qui déshonore aujourd'hui une foule de femmes de Paris ;  sur le luxe, la bizarrerie, l'indécence de leurs vêtemens si tant est qu'elles soient encore vêtues. Elles ont donc résolu d'enlever aux jeunes vierges tous les voiles de la pudeur,  de débarasser les mères du soin de veiller sur une inutile vertu. Ainsi, les jeunes hommes ne trouveront plus à qui offrir le prix de la modestie, de la chasteté, de l'innocence

P. L  Roederer,  Journal d'économie publique..., op. cité, tome second, n° 1er, 10 frimaire an 5e, p. 40.  ​                                       

boulay

 

Pendant le second Directoire, Rœderer entretient une correspondance avec Antoine Boulay de la Meurthe (1761-1840, fils d'un cultivateur lorrain aisé, Romary B., maréchal-ferrant et lieutenant du maire vosgien  de la seigneurie de Chaumousey (notice biographique, Geneanet). Antoine Boulay deviendra avocat, politologue et politicien, et ses échanges épistolaires avec Rœderer ne manquent pas d'allusions à propos du coup de force qui serait nécessaire au rétablissement de "l'ordre républicain" (Ayad-Bergounioux, 2014).  Boulay fait partie, comme Rœderer, de cette élite robine qui a façonné le nouvel ordre social recherché par le coup d'Etat de Brumaire. Théorisant des idées issues de débats néo-jacobins entre 1795 et 1799, autour d'une "république représentative", conservatrice, qui viendrait concurrencer la république dictatoriale,  et dont la constitution de l'an VIII sera le pilier,  Boulay élabore des idées capitales sur la manière dont la domination des puissants devra s'exercer pour ne plus se heurter sans cesse aux grandes convulsions de l'histoire qui lui ont été préjudiciables. Alors que, jusque-là, la force des dominants s'était exercée sur les dominés de manière directe et coercitive, il prit conscience que "la domination visible nourrissait l’exaspération populaire et menaçait directement, en focalisant toutes les haines, la stabilité du régime. Conservateur, il ne peut pas envisager la société sans hiérarchie sociale et assigne donc à chaque individu, sauf exception, une place déterminée par son milieu (...) Selon lui, l’élaboration d’une nouvelle forme de domination symbolique, c’est-à-dire légitime, intériorisée par le plus grand nombre, est devenue vitale. En effet, comme le soulignent Claude Mazauric et Jean-Pierre Jessenne : « L’exercice de la domination sociale de la bourgeoisie implique, pour la classe dirigeante dans l’ordre économique libéral, qu’elle fasse idéologiquement disparaître de la vue de tous l’existence trop manifeste de sa réalité de classe ». L’analyse de Sarah Maza semble trouver sa justification : c’est l’invisibilité de la domination bourgeoise qui expliquerait son inexistence en tant que classe" (Ayad-Bergounioux, op. cité,  citations : Mazauric et Jessenne, 2007 ; Maza, 2006). 

 

Ces idées ne sont pas tout à fait nouvelles, et les philosophes des Lumières, on l'a vu, avaient commencé de réfléchir sur cette invisibilisation  (cf. Les Lumières).  Mais Boulay la théorise plus finement. Dans un ouvrage qui connaît un grand succès, il analyse la première révolution anglaise au travers d'un prisme idéologique qui lui permet de justifier "la domination socio-économique des nouvelles élites issues de la Révolution française(Ayad-Bergounioux, 2010).  A la base de son raisonnement, des ingrédients de la mentalité aristocratique, avec une minorité éclairée exerçant le pouvoir sur une majorité plus ou moins inculte et incapable de gouverner  :  d'un côté "la classe gouvernante comprend généralement la portion des citoyens qui ont le plus de talens, de vertu, d’ambition, de fortune et d’intrigue", de l'autre,  "la grande majorité est simplement gouvernée, et ne peut être que gouvernée. Cette majorité comprend d'abord la portion nécessairement très- nombreuse du peuple, qui est occupée de tous les travaux qui ont pour objet de se procurer les choses nécessaires, utiles et agréables à la vie ; portion qui n’a ni assez de tems, ni en général assez de lumières pour gouverner"  (A. Boulay, Essai sur Les causes qui, en 1649, amenèrent en Angleterre l’établissement de la République ; Sur celles qui devaient l’y consolider ; Sur celles qui l’y firent périr", Paris, Baudouin, imprimeur du Corps législatif et de l’Institut national, prairial an VII). 

boulay-essai sur les causes-juin 1799.jpg

 

 

Ce n'est pas le regard sur les classes sociales qui a changé, comme on vient de le voir, mais la manière dont les rapports de force devraient désormais, selon l'auteur, dans le contexte post-révolutionnaire qui est le sien, s'établir entre dominants et dominés : 

"Apparemment respectueuse du principe de souveraineté populaire, la République idéale de Boulay est en réalité un moyen de contrôler la participation du peuple à la vie politique. Le député lorrain craint qu’une prise de conscience du décalage entre la définition politique et la définition sociale de la République n’aboutisse à de brusques tensions sociales. C’est du moins le constat qu’il établit au lendemain de la Terreur. Ces révoltes sociales prendraient une tournure bien différente si elles s’accompagnaient d’une politisation des « gouvernés » et pourraient se solder par le choix de « gouvernants » partageant leurs convictions. C’est pourquoi il s’attache à construire une nouvelle forme de domination symbolique. Cette dernière, bien réelle, mais difficilement perceptible par les gouvernés, s’appuie, selon le mot de Karl Marx, sur le fait que « les dominés, dominés par leur domination », sont inconsciemment acteurs de celle-ci. Dans cette circonstance la notion de « force d’opinion » est centrale. La légitimité de tout pouvoir, et donc de ses détenteurs, dépend de la croyance collective. Suivant cette logique, l’expérience, le bon sens seuls, et non la politisation, doivent guider le peuple dans le choix de ses représentants (...) Le champ politique, bien loin d’être considéré par Boulay comme un lieu de débat démocratique favorisant la normalisation des relations entre divers groupes sociaux, apparaît comme un espace autonome et conflictuel, qui n’a de sens et d’intérêt que pour ceux qui en saisissent les règles..(Ayad-Bergounioux, 2010). 

 

On voit bien là comment la domination sociale a été pensée, théorisée, pour faire perdurer une antique domination des forts sur les faibles en fonction d'un nouveau cadre, celui de la disparition de la féodalité, de la monarchie absolue,  et de la recomposition politique et sociale qui en est issue, avec ses tensions, ses dynamiques nées de la transformation progressive des élites, dont la famille idéologique de Boulay, la robinerie (qui n'est elle-même pas monolithique), est une composante majeure. 

 

Boulay est donc un penseur du capitalisme moderne, et traite d'une préocupation primordiale qui se pose aux élites libérales, qui doivent organiser leur domination  politique et économique sans le recours de la coercition, mais au contraire, par des formes d'acceptation, de consentement du citoyen aux nouvelles règles sociales que les puissants vont établir à leur profit, mais dont les citoyens doivent penser qu'ils en sont, au moins en partie, les artisans. Ainsi, Boulay a bien compris qu'il faut invisibiliser la domination, par la pratique symbolique,  d'où sa patiente étude de la Révolution anglaise ("Essai..", op. cité), où il montre la disparition d'un gouvernement bien visible qui consiste "principalement par une force réelle" (op. cité). primitivement en une force brute (telle l'armée de Guillaume le Conquérant), avant de se réaliser "dans le domaine et la richesse(op. cité),   au profit d'une force plus invisible mais très efficace, celle des classes entreprenantes.  Un aspect symbolique d'une importance capitale pour ces élites post-révolutionnaires, est la sacralisation, la sanctuarisation de la représentation du peuple par le suffrage "universel", qui  transfert son pouvoir, sa volonté, par délégation, à un mandataire chargé de l'exécuter. D'aucuns auront tôt fait de comprendre (et l'exemple de la "démocratie" grecque, peut aussi nous y aider)   l'opportunité offerte aux hommes de pouvoir par cette "République représentative" de "contrôler la participation du peuple à la vie politique, afin d’assurer aux nouvelles élites le maintien de leur position dominante. C’est toute l’ambiguïté de la notion de délégation."  (Ayad-Bergounioux, 2010).  On touche là à un sujet très important, un talon d'Achille de la démocratie représentative, qu'est  la nature, les problématiques du suffrage, du vote visant à élire des représentants du peuple, devenu un véritable tabou dans l'espace public, liée à ce que le sociologue Pierre Bourdieu a appelé "le fétichisme politique" :

"On a occulté la question du fétichisme politique, et le processus au terme duquel des individus se constituent (ou sont constitués) en tant que groupe mais en perdant le contrôle sur le groupe dans et par lequel ils se constituent. Il y a une sorte d'antinomie inhérente au politique qui tient au fait que les individus —et cela d'autant plus qu'ils sont plus démunis— ne peuvent se constituer (ou être constitués) en tant que groupe, c'est-à-dire en tant que force capable de se faire entendre et de parler et d'être écoutée, qu'en se dépossédant au profit d'un porte-parole. Il faut toujours risquer l'aliénation politique pour échapper à l'aliénation politique. (En réalité, cette antinomie n'existe réellement que pour les dominés. On pourrait, pour simplifier, dire que les dominants existent toujours, tandis que les dominés n'existent que s'ils se mobilisent ou se dotent d'instruments de représentation. Sauf peut-être dans les périodes de restauration qui suivent les grandes crises, les dominants ont intérêt au laisser-faire, aux stratégies indépendantes et isolées d'agents à qui il suffit d'être raisonnables pour être rationnels et reproduire l'ordre établi)(Bourdieu, 1984).

regnaud

 

Le prochain personnage que nous allons présenter,  Michel Louis Etienne Regnaud (Regnault, Regnauld, puis comte R. de Saint-Jean -d'Angély, en Saintonge, 1760- 1819) est encore étroitement lié à Roederer. Comme lui député du Tiers aux Etats généraux de 1789, ayant  fréquenté ensemble le Club des feuillants, pendant un temps, tout comme Sieyès (qui se rapproche de Roederer dès 1791),  sans compter que leurs "deux fils, Auguste Regnaud et Antoine-Marie Roderer, élèves à Polytechnique, entretiennent également des liens étroits, et seront personnellement impliqués dans le coup de force brumairien(Ayad-Bergounioux, 2010).  Regnaud  appartient lui aussi à la robinerie, son père lui-même ayant été bailli de Saint-Fargeau, en Orléanais (Yonne, auj.) d'où proviennent son parrain et sa marraine, le marquis Michel-Etienne Le Pelletier (Le Peletier, Lepeletier, 1736-1778) de Saint-Fargeau et son épouse Suzanne, dont leur filleul partagera les cours du percepteur de leurs enfants. Mais son père deviendra malade et ne pourra plus prendre en charge sa famille et son fils arrêtera ses études et s'établira à Rochefort comme lieutenant de la prévôté de la Marine (notice biographique, Napoléon & Empire). On a encore là un exemple intéressant d'un homme ayant pu commencer sa vie avec un patrimoine culturel et social relativement enviable, qui lui a permis, lors d'un revers de fortune, de trouver des moyens de réalisation sociale, puisqu'il étudia le droit tout en travaillant. Ici se combinent  la capacité propre d'un individu dans sa volonté de réussir, et un certain nombre d'avantages dus à sa naissance, sans lesquels il n'aurait sans doute pas pu accéder au même statut.  

Pendant la première campagne d'Italie, en 1796,  Bonaparte nomme Regnaud administrateur des hôpitaux de l'armée d'Italie. Avec le général, il rédige le journal intitulé La France vue de l’armée d’Italie (op. cité),  qui paraît à partir du 3 août 1797 (16 thermidor an V), qui nourrit, comme d'autres journaux la propagande de Bonaparte, à commencer par le quotidien qui porte son nom et qu'il a très probablement subventionné, le Journal de Bonaparte et des hommes vertueux, qui paraît du 1er ventôse au 11 germinal an V (19 février - 31 mars 1797).   

 

"En 1797, par exemple, 60 % de la surface consacrée par le Moniteur aux nouvelles en provenance de toutes les armées le fut pour décrire les prouesses de l'Armée d'Italie.(Bertaud, 1998). Il faut aussi citer  Le Courrier de l'Armée d'Italie, ou Le Patriote français à Milan, par une Société de républicains,  dont le premier exemplaire paraît le 20 juillet 1797. La rédaction du journal a été confiée à Marc-Antoine Jullien (1775-1848), journaliste, commissaire pendant la Révolution, mais Bonaparte y rédige lui-même les principaux articles : 

"Bonaparte vole comme l’éclair et frappe comme la foudre. Il est partout et il voit tout. Il sait qu’il est des hommes dont le pouvoir n’a d’autres bornes que leur volonté, quand la vertu des plus sublimes vertus seconde un vaste génie.

Courrier de l’armée d’Italie, n° 48, 23 octobre 1797, p. 206.

 

Marc-Antoine Julien n'a  pas eu beaucoup de mal, de son côté, à percevoir les ambitions très peu républicaines du général en chef :

 

"La politique italienne de Bonaparte, conservant la monarchie piémontaise, son compromis avec le Pape, son refus de soutenir les revendications des démocrates italiens qui réclamaient la proclamation d’une république italienne unifiée, enfin le maquignonnage de Campo-Formio aux dépens de la République vénitienne, firent l’objet de critiques assez vigoureuses de la part de Jullien. Il ne faut pas oublier les étroites relations nouées par lui, peut-être déjà par l’intermédiaire du Buonarroti, avec les démocrates italiens et en particulier avec Cerise (8). Ils avaient trouvé en la personne de Jullien un des premiers et des plus zélés partisans de l’unité italienne. La politique de Bonaparte, qui avait profondément désenchanté les républicains italiens, se trouva également condamnée par Jullien." 

"(8)  Durant son séjour en Italie, Jullien désigna Cerise son exécuteur testamentaire..."

(Daline et Champenois, 1966)

A cela, il faut ajouter une presse libérale, habile à contourner la censure du Directoire, tenue par les néo-jacobins, avec lesquels  Lucien Bonaparte entretiendra longtemps de bonnes relations, citons le Journal des Hommes libres de tous les pays ou le Républicain (1792-1799), le  Journal des Francs (1798),  ou  L'Ennemi des oppresseurs de tous les temps (1799).  Sans parler des pièces de théâtre "composées pour retracer les épisodes marquants de la campagne d'Italie(Bertaud, 1998),  ou encore les chansons populaires "dans lesquelles excellaient Poirier ou Nougaret étaient éditées en feuilles volantes ou se trouvaient imprimées dans les journaux tels le Rédacteur , le Courrier Républicain ou bien encore les Rhapsodies du jour . Des chansons furent ainsi publiées de 1796 à 1797."  (op. cité).   Enfin, Bonaparte, répondant à une demande de tout un public qui ignorait encore les traits de son visage, s'entoura d'une "pléiade de peintres et de graveurs comme Gros, Appiani, Vernet ou Denon qui tirèrent de lui plusieurs portraits. Ils furent copiés avec plus ou moins de fidélité par les dessinateurs et les graveurs français et étrangers, les images représentant seul le général supplantèrent celles où il se trouvait au sein de son armée. Comme le voulait Bonaparte, il fut représenté moins comme un conquérant que comme un homme dont le destin était d'établir la paix, ce que n'avaient pas su faire les autres généraux."  (op. cité)

"Bonaparte entoure de publicité ses rapports au Directoire, met en scène des envois de drapeaux ou d’objets d’art et les exploits de l’armée d’Italie. Il n’ignore pas que la République est un régime instable et que les luttes entre partisans d’un retour au jacobinisme et agents royalistes rendent le Directoire fragile. Pour qui saura le mieux tirer parti des circonstances, l’armée d’un chef bien résolu apparaîtra prochainement comme le meilleur rempart d’une république incertaine de son avenir et où il faut ménager tous ceux qui ont tiré un profit quelconque de la Révolution : la voie est tracée pour le jeune héros de l’armée républicaine, mais le coup d’Etat du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) (1) accompli avec son aide se fait sans lui. Il faudra le retour d’Egypte pour transformer Bonaparte en Premier consul (...)  Désormais, rien ne se fera plus sans larmée d’Italie ni sans son chef providentiel. Bonaparte prend une dimension politique que le Directoire n’a pas prévue : il dispose d’une armée, d’un important butin et de plusieurs journaux.

Luce-Marie Albigès, conservateur de la direction des Archives de France, "Bonaparte et la propagande pendant la campagne d'Italie", mai 2003, Histoire par l'image

"Un mythe est en train de naître : Lodi [10 mai 1796], Arcole [15-17 novembre 1796] ne sont que de modestes batailles, mais elles prennent dans ces journaux l’allure d’une épopée et enflamment les imaginations. Pensez au pont d’Arcole que l’on se dispute sous la mitraille, à Muiron qui fait rempart de son corps pour sauver son général. Et voilà l’opinion déjà subjuguée."    (Jean Tulard, Napoléon ou la maîtrise de l’opinion publique,  Communication du 5 février 2018 à l'Académie des Sciences Morales et Politiques)

napoleon bonaparte-courrier armee italie-22 sept 1797.jpg

 

 

Revenons maintenant aux présentations et terminons par Félix-Julien-Jean Bigot de Préameneu (1747-1825), que Sieyès a introduit  au club de Valois, fondé en février 1789 et mettra "dans le secret des événements brumairiens(op. cité). Juriste breton, de noblesse de robe, il deviendra comme son père avocat au Parlement de Rennes, puis dans une section du Tribunal de la Seine (1797), et nous verrons qu'il fera partie des solides architectes du système politique napoléonien.  Il faut aussi évoquer en passant Claude-Ambroise Régnier (1746-1814), avocat au parlement de Nancy, qui sera fait comte d'Empire (1808) et duc de Massa et de Carrara l'année suivante par l'empereur  Napoléon Ier. On le voit, nous sommes donc toujours dans la bourgeoisie robine, "c’est-à-dire à ces lignées de juristes qui, après un siècle d’investissement lignager, se voient brutalement écartées du cursus honorum robin, dans les années 1780. À la suite de la crise de reproduction qui affecte la société absolutiste, tous s’engagent dans le processus révolutionnaire pour s’en éloigner ensuite ouvertement, à compter de la Terreur. Ils s’estiment alors spoliés d’un pouvoir qu’ils ont arraché de haute lutte, et qu’ils considèrent comme leur revenant de droit. Sous le Directoire, ils risquent un coup de force, en brumaire an VIII. Il s’agit de pallier l’instabilité de la période directoriale, afin de pérenniser leur position. C’est à cette fin que Sieyès et Rœderer se rapprochent d’Antoine Boulay, de Félix Bigot Préameneu, de Michel Regnaud et de Régnier. Les cinq derniers seront rejoints sous le Consulat par Joseph Bonaparte (1768-1844)"  

                                                                   

 

 

 

                                                       BIBLIOGRAPHIE

AVELLANEDA  Morgane, 2022, "Le traitement du patrimoine égyptien dans la presse napoléonienne lors de la Campagne d’Égypte (1798-1801) : reconnaissance et appropriation", Dossier "Presse et patrimoine", sous la direction de Morgane Avellaneda, Lucien Derainne et Apolline Strèque, dans Médias 19, [M 19, Littérature et culture médiatique],   revue scientifique  associée à l'Université de Laval, Québec, Canada. 

AYAD-BERGOUNIOUX Soulef, 2010, "La « République représentative » selon Antoine Boulay de La Meurthe (1761‑1840) : une figure de la bourgeoisie libérale et conservatrice",  dans Annales historiques de la Révolution française, 2010/4, N° 362, pp. 31-54

AYAD-BERGOUNIOUX Soulef, 2014, "De Brumaire à la formation de l’État bureaucratique consulaire : le rôle des républicains conservateurs", Annales historiques de la Révolution française, N° 378, pp. 51-72, octobre-décembre 2014.

BERGERON Louis, 1999, 'Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire', chapitre VI, Les financiers et l’État : la fin d’une tradition, pp. 147-166, Éditions de l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). 

BERTAUD Jean-Paul, 1998, "L'expédition d'Egypte et la construction du mythe napoléonien." article des Cahiers de la Méditerranée, n°57, 1, 1998. "Bonaparte, les îles méditerranéennes et l'appel de l'Orient",  Actes du Colloque d'Ajaccio 29-30 Mai 1998, pp. 281-288. 

BOURDIEU Pierre, 1984, "La délégation et le fétichisme politique". In : Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 52-53, juin 1984. Le travail politique. pp. 49-55.

BOYER Ferdinand, 1964, "Les responsabilités de Napoléon dans le transfert à Paris des œuvres d'art de l'étranger", Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine  Année 1964  11-4  pp. 241-262.

BRANDA Pierre et LENTZ Thierry, 2024, "L’esclavage aux colonies : « maintien » à Paris,          « rétablissement » en Guadeloupe,", article de  Napoleonica  la revue, n° 49, Mai 2024.

BRUYÈRE-OSTELLS Walter, 2024, "Les fournisseurs aux armées. Logistique et intérêts privés du Directoire à l’Empire",  article de   Napoleonica. La Revue, N° 51 / 4, pp. 79-93.

CANDELA Gilles, 2011, "L'armée d'Italie", chapitre IX., Finances, logistique et services à l’épreuve de la guerre de mouvement, pp. 259-289,  Presses Universitaires de Rennes (PUR). 

CHAPPEY Jean-Luc, 2001, "Les Idéologues face au coup d'Etat du 18 brumaire an VIII. Des illusions aux désillusions". In : Politix, vol. 14, n°56, "Inconstances politiques". pp. 55-75.

DALINE Victor et CHAMPENOIS Jean, 1966, "Marc-Antoine Jullien (après le 9 thermidor) (III)", article des Annales historiques de la Révolution française, n°185, pp. 390-412. 


DINET Dominique, 2011, "Talleyrand, Evêque ou Administrateur ?", dans "Au cœur religieux de l’époque moderne — Etudes d'histoire", Recueil d'articles de l'auteur, édité par Catherine Désos et Jean-Pascal Gay, Collection Sciences de l'histoire,  Presses universitaires de Strasbourg,

DUPUY Pascal, 2016, "Quand Bonaparte était déjà Napoléon : aux sources de l’image caricaturale de Napoléon en Grande-Bretagne", article  des Cahiers d'Histoire,  131 | 2016, pp. 21-37.

FOHLEN Claude, 2006, "Les pères fondateurs et la Révolution française", dans "Les États-Unis face aux révolutions, de la Révolution française à la victoire de Mao en Chine", dir. Pierre Mélandri et Serge Ricard, Editions L'Harmattan, pp. 25-36. 

GRINEVALD Paul-Marie, 2014,  "Jomard et la Description de l’Égypte, 1777-1862", Bulletin de la Société des amis de la bibliothèque et de l'histoire de l'Ecole polytechnique (SABIX), 54 | 2014,

GRINEVALD Paul-Marie,  2024, " Un monument éditorial : la description de l’Égypte", Napoleonica. La Revue, N° 48 (1), pp. 87-113.   

GUYOT Raymond et MURET Pierre, 1903, "Étude critique sur «Bonaparte et le Directoire» par M. Albert Sorel", article de la Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome 5 N°4 / 1903, pp. 241-264.

 

HAEGELE Vincent, 2008, "Le général Clarke au ministère de la Guerre", article de la Revue historique des armées, n° 251, pp.  94-103.    

 

JOURDAN Anne, 2004,  "Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand, le prince immobile. Paris: Fayard, 2003...", Compte-rendu de l'ouvrage, dans H-France Review, vol. 4, mai 2004, n° 49, pp. 180-182. 

 

MASSIE Michel, 1984,  "Sieyès et Roger Ducos se sont-ils partagés devant Bonaparte le trésor secret du Directoire ?." In : Annales historiques de la Révolution française, n°257,  pp. 407-417.

https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1984_num_257_1_4349       

 

MASSON Francine, 1987,  « L’expédition d’Egypte et la "description"  », Bulletin de la SABIX,  1 | 1987,

MAZA Sarah,  2006, "The Myth of the French Bourgeoisie : An Essay on the Social Imaginary, 1750-1850", Cambridge, Harvard University Press.

MAZAURIC Claude et JESSENNE Jean-Pierre,  "Présentation", dans dans Jean-Pierre Jessenne (dir.), "Vers un ordre bourgeois ? Révolution et changement social", Rennes, PUR, 2007,

MENICHETTI Johan, 2013, "Pierre-Louis Roederer : la science sociale au Conseil d'État", Napoleonica. La Revue, 2013/1, N° 16.

MESSLING, Markus, 2015,  "Les Hiéroglyphes de Champollion — Philologie et conquête du monde", chapitre "Histoire matérielle : pillage sur les bords du Nil et naissance de l’idée de protection du patrimoine",  traduit par Kaja Antonowicz, UGA Éditions. 

PLESSIS Alain, 2000, "La Banque de France, Une des Grandes Institutions Napoleoniennes", Revue du Souvenir Napoléonien, N° 430, pp. 35-43, août-sept, Yale School of Management, 

SAAD Raghda Abou Fouthouh, 2019, "La Décade Égyptienne ou L’impossible Mission Civilisatrice", Revue de la Faculté des  arts, Université d'Alexandrie, Faculté des Lettres, volume K98, pp. 1-35.

STOKLE Mark, 2020, "The bankers of Brumaire: the financiers behind Napoleon's ascent.", thèse de doctorat soutenue à l'Université de Glasgow. 

TULARD Jean, 2012, "Dictionnaire amoureux de Napoléon",  Lettre J,  Jourdan...,  Editions Plon.

VERJUS Anne, 2008,  "dans "« Rétablir les mœurs par la police domestique ». « Influence des femmes » et « organisation sociale » dans la pensée de Pierre-Louis Roederer à l’issue de la Révolution française",  "Ce que le genre fait aux personnes", ouvrage collectif dirigé par Irène Théry et Pascal Bonnemère, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociale (EHESS)

WARESQUIEL Emmanuel de, 2003, "Talleyrand : Le Prince immobile", Editions Fayard,

ZYLBERBERG Michel, 2001,"Capitalisme et catholicisme dans la France moderne — La dynastie Le Couteulx", Chapitre IX. "Un long adieu aux affaires", Éditions de la Sorbonne, 

bottom of page