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                       Le Livre noir de  

              NAPOLÉON BONAPARTE [ 11 ]

    « Dieu... l'a rendu... son image sur la terre » 

                                   

 

 

                                              The Devils Darling

 

​                     Thomas Rowlandson  (1756/7 - 1827) 

                         Caricaturiste, aquarelliste

​  

                                             12 mars 1814

​                 Gravure à l'eau forte colorée à la main, 

           accompagnée d'un texte en forme de poème

                du Diable à Napoléon (cf. ci-dessous)

                                            

                                     23,1 x  32,7   cm 

                         publiée par Rudolf Ackermann,

                                       germano-anglais

                                        The British Museum

                                            Londres,  Angleterre

                                                   

 L'œuvre s'inspire directement d'une estampe allemande : "Das ist mein lieber Sohn an dem ich Wohlgefallen habe" ("Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection", Matthieu 3 : 17). 

                                  

                                   

 

 

      The Devils Darling

 

​                   

Thou art my darling child confess'd ! 

O let me hug thee to my breast,

And view within thy bloated heart,

The foulest crimes I can impart !

Indeed, there is so large a store,

I swear I cannot give thee more.

With an exulting eye I see

The precious crime of Blasphemy,

And proud Ambition-not the flame

That soars from Virtue's fire to Fame ;

But the imperious vice which Hell

Re-echoes through each flaming cell.

Within thy mind I see the plan

To be the bloody Foe of Man : — 

Murder and Massacre, and Spoil

Pursued with unremitting toil,

Thy insatiate soul proclaim,

And stain with blood Napoleon's name.

Such while tou liv'st, —for know, my power

Cannot avert Fate's certain hour ;

But long or short, when life is done,

HELL  shall receive MY DARLING SON ."

    

                                   

 

 

      Le Chéri du Diable

 

​                   

 Tu es mon enfant chéri, je le confesse !

Laisse-moi te serrer contre ma poitrine,

Et contempler dans ton cœur dilaté,

Les crimes les plus ignobles que je puisse raconter !

En vérité, il y en a une si grande quantité,

Je jure ne pouvoir pas t'en donner davantage. D'un œil exalté, je vois

Le précieux crime de Blasphème,

Et la fière Ambition – non pas la flamme

Qui s'élève du feu de la vertu vers la Gloire ; Mais le vice impérieux auquel l'enfer

Fait écho dans chacune  cellule enflammée.

Dans ton esprit, je vois le plan

D'être l'Ennemi sanglant de l'homme :

Meurtre, Massacre et Pillage

Poursuivi par un labeur incessant,

Ton âme insatiable proclame,

Et souille de sang le nom de Napoléon.

Tant que tu vivras, - car sache que mon pouvoir

Ne peut déjouer l'heure inéluctable du Destin ;

Mais longue ou brève, quand la vie sera finie, L'ENFER recevra MON FILS CHÉRI."

                  

 

Au-delà de la domination élitiste et ploutocratique des dirigeants du Directoire et du Consulat, qui a beaucoup été examinée, les projets napoléoniens de 1806 nous permettent cette fois d'étudier un volet corollaire de leur domination, tout aussi important et récurrent dans l'histoire du monde que le premier : celui du contrôle des individus au plus tôt de leur vie, par la formation de leur esprit, par l'imprégnation régulière et profonde des valeurs que les dominants cherchent à infuser dans la société pour assurer la pérennité de leur pouvoir.  C'est ce à quoi Napoléon et ses grands serviteurs vont travailler en 1806, par le biais d'un Catéchisme  officiel et d'une Université impériale.

Depuis la période révolutionnaire, déjà, les garants de la perpétuation d'une société fortement encadrée, dirigée et contrôlée depuis l'enfance par l'Etat sont à l'ouvrage.  Mirabeau, quant à lui, s'oppose farouchement "à toute liberté d’enseignement nuisible à la cohésion nationale. Seuls des maîtres au service de la morale publique peuvent être les garants de la formation de l’intelligence et de l’esprit de la jeune génération. Et Talleyrand insiste en déclarant que l’école crée le bon citoyen. Il ouvre la voie aux propos de Condorcet qui milite pour un enseignement des principes de l’ordre social et la diffusion d’une éthique républicaine."  (Lecomte, 2003).  Il est évident, et il le sera de plus en plus dans l'histoire du XIXe siècle, nous le verrons, que les élites dites républicaines ont, elles aussi à leur manière, un point de vue très idéologique sur l'instruction publique, et qu'elles souhaitent façonner les citoyens dès l'enfance à l'image de leur conception du monde, elle aussi entachée de nombreux biais idéologiques et de préjugés préjudiciables à l'épanouissement des individus et au développement d'une société bâtie collectivement. 

 En 1805, Napoléon dicte une Note sur les lycées différentes idées sur une réforme de l'instruction publique,  qui reflète comme d'habitude sa vision hiérarchique, pyramidale de la société. Sa manière autocratique et liberticide de traiter la société, ne fait qu'ajouter aux autres preuves de son parfait égocentrisme, parfaitement incompatible avec la recherche de l'intérêt commun.  S'inspirant des Jésuites, il se demande s'il ne faut pas soumettre proviseurs, censeurs, professeurs à "un ou plusieurs chefs", mais surtout, s'il ne faut pas réclamer aux jeunes enseignants... un temps de chasteté, au prétexte qu'il ne pouvait pas entrer dans la cour d'un lycée, sans apercevoir aux fenêtres "un grand nombre de femmes" ! 

"Il faudrait qu'un homme consacré à l'enseignement ne pût se marier qu'après avoir franchi plusieurs degrés de sa carrière ; que le mariage fût, pour lui comme pour tous les hommes, un terme placé en perspective où il ne pût atteindre qu'après avoir assuré sa considération et sa fortune par une place dont la rétribution suffirait pour le faire vivre comme chef de famille, sans sortir de l'état auquel il se serait livré." 

Napoléon Bonaparte, "Note sur les lycées. Paris 27 pluviôse an XIII (16 février 1805)", communiquée par le ministre de l'intérieur Champagny (Jean-Baptiste Nompère de C., 1756-1834),  dans Correspondance de Napoléon Ier ,  publiée par ordre de Napoléon III  : 32 tomes, courant de 1793 à 1821,  Paris, Henri Plon et J. Dumaine, publiés de 1858 à 1870) ; citations du Tome X, p. 147

Et comme dans tous les domaines, bien sûr, Napoléon souhaite "protéger les membres les plus distingués" du corps enseignant "les élever par ses faveurs". Enfin, et c'est ce qui va nous occuper le plus ici,  c'est la préoccupation idéologique première de Napoléon touchant à l'école, à savoir conditionner les esprits, les modeler pour en faire des citoyens dociles, soumis à l'ordre politique qui a été conçu pour les gouverner :    

"De toutes les questions politiques, celle-ci est peut-être de premier ordre. Il n’y aura pas d’état politique fixe s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas dès l’enfance s’il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux etc., l’État ne formera point une nation ; il reposera sur des bases incertaines et vagues ; il sera constamment exposé aux désordres et aux changements." 

Napoléon Bonaparte,  "Note sur les lycées", op. cité, p. 148, 

 

Napoléon choisira la religion (logiquement au vu de ses actions politiques passées), comme empreinte marquant de son sceau le nouveau citoyen qu'il cherche à former. Au début de 1806, toujours, il discute avec son ministre Fourcroy et Louis de Fontanes, président du Corps Législatif, et ses propos, rapportés par Fontanes, montrent, une fois de plus, sa manière autoritaire de transformer la société à partir de sa propre personne et de ses croyances idéologiques, où le christianisme n'est qu'un outil parmi d'autres pour  parvenir à ses fins, et certainement pas une préoccupation spirituelle : 

"L'Empereur, dans ce saisissant monologue, ajoutait M. de Fontanes, changeait à chaque instant de ton ; tantôt calme, simple et familier ; tantôt — et alors il marchait à grands pas devant nous, l'œil enflammé, et comme s'enivrant de sa propre parole — s'élevant au sublime par un trait imprévu, à la manière d'Homère et de Bossuet. Il venait de parler de la nécessité de donner un lest à l'âme des jeunes gens par l'éducation : « Il faut, disait-il, me faire des élèves qui sachent être des hommes.... Et vous croyez, s'écria-t-il tout à coup en élevant la voix, et comme s'adressant à un adversaire invisible, vous croyez que l'homme peut être homme s'il n'a pas Dieu ! Sur quel point d'appui posera-t-il son levier pour soulever le monde, le monde de ses passions et de ses fureurs? L'homme sans Dieu, je l'ai vu à l'œuvre depuis 1793 ! Cet homme-là, on ne le gouverne pas, on le mitraille ; de cet homme-là, j'en ai assez ! Ah! et c'est cet homme-là que vous voudriez faire sortir de mes lycées ? Non, non ; pour former l'homme qu'il nous faut, je me mettrai avec Dieu; car il s'agit de créer, et vous n'avez pas encore trouvé le pouvoir créateur, apparemment ! »

Eugène Rendu, "M. Ambroise Rendu et l'Université de France", Paris, 1861,    p. 28.                                "Fontanès avait rapporté ces propos à Ambroise Rendu [que Fontanès fera Inspecteur général de l'Université en 1808], lequel les rapporta plus tard à son fils Eugène, qui les publia dans son livre sur son père"  (Alphonse Aulard, 1849-1928, "Napoléon Ier et le monopole universitaire — Origines et fonctionnement de l'Université Impériale", Librairie Armand Colin, 1911, note 2, pp. 151-152)

 

Le 27 février 1806, reprenant et s'inspirant des propos de Napoléon dans la "note sur les lycées" (op. cité),  le ministre Fourcroy publiait un rapport sur l'instruction publique, en résultat d'un travail ordonné par l'empereur "sur l'établissement et l'organisation d'un corps enseignant" ("Napoléon Ier et le monopole...", op. cité, p. 152), système qui sera appelé "Université impériale", entendue non pas comme un établissement supérieur d'enseignement, mais comme la loi du 10 mai 1806 l'indique, "un corps chargé exclusivement de l'enseignement et de l'éducation publics dans tout l'empire ("Collection complète des Lois, Décrets, Ordonnances, Réglemens, Avis du Conseil-d'État, 1788 à 1830", par Jean-Baptiste Duvergier, Tome quinzième, Paris, Guyot et Scribe, Libraires-Éditeurs, 1836, p. 359).  Pour lors, ce ne sont que trois articles posant les bases de la fondation de ce nouveau système éducatif,  mais il est déjà appelé à devenir  "le triomphe de l’uniformité, des valeurs de hiérarchie, d’ordre, d’autorité, valeurs militaires par excellence."  (Basdevant-Gaudemet, 1995). 

Au même moment, faisant partie d'un même projet idéologique, étaient peaufinées les dernières touches d'un Catéchisme unique, officiel, pour tout l'empire, lui aussi.  Portalis dirigea la rédaction de l'ouvrage, assurée par un petit groupe de prêtres, parisiens surtout, des Sulpiciens et des proches du Cardinal Fesch, principalement son neveu, Paul Thérèse David d'Astros, dit l'abbé d'Astros, 1772-1851 (Fugier, 1938), qui avait déjà œuvré au texte du Concordat.  

 

Conformément au Concordat, dont les Articles Organiques prévoyaient qu'il n'y aurait "qu'une liturgie et qu'un catéchisme pour toutes les églises catholiques de France" (op. cité, Titre III, XXXIX),  des travaux ont été entamés dès 1803  en vue d'établir ce catéchisme officiel, "à l'usage de toutes les Églises de l'Empire Français" ("Catéchisme à l'usage de toutes les Églises de l'Empire français", Paris, 1806), créé par décret du 4 avril 1806.  Napoléon finira par y imposer  un certain nombre d'ajouts qui choqueront une bonne partie du monde ecclésiastique,  dans sa manière de mêler dévotion à Dieu et dévotion à l'empereur :    

Nous devons payer avec empressement les impositions nécessaires pour ]e maintien de l'Etat, et nous ranger sous ses drapeaux pour la défense de notre patrie et de son trône

(...) 

C'est, premièrement, parceque Dieu, qui crée les empires et les distribue selon sa volonté, en comblant notre  empereur de dons, soit dans la paix , soit dans la guerre, l'a établi notre souverain, l'a rendu le ministre de sa puissance et son image sur la terre. Honorer et servir notre empereur est donc honorer et servir Dieu même. Secondement, parceque notre Seigneur Jésus-Christ, tant par sa doctrine que par ses exemples, nous a enseigné lui-même ce que nous devons à notre souverain : il est né en obéissant à l 'édit de César Auguste ; il a payé l'impôt prescrit ; et de même qu'il a ordonné de rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu, il a aussi ordonné de rendre à César ce qui appartient à César.​   

 

"Catéchisme... ", op. cité, pp. 58-59). 

 

 

Contre vents et marées, le pouvoir religieux catholique est lié au pouvoir civil depuis sa naissance, et entame sous Napoléon un nouveau bal à la fois pitoyable et cocasse, dans le même but : s'emparer durablement du contrôle des esprits, les façonner dans un moule adapté à leurs intérêts respectifs. C'est même exactement le terme qu'emploiera Napoléon, en s'adressant à Fourcroy devant le Conseil d'Etat sur le sujet du rapport précité : 

 

"De toutes nos institutions, dit-il, la plus importante est l’instruction publique. Tout en dépend, le présent et l’avenir. Il faut que la morale et les idées politiques de la génération qui s’élève ne dépendent plus de la nouvelle du jour, ou de la circonstance du moment. Il faut avant tout arriver à l’unité, et qu’une génération toute entière puisse être jetée dans le même moule."

Marquis de Noailles, "Le comte Molé, 1781-1855 — Sa vie -Ses mémoires", 6 vol. in-8° parus entre 1922 et 1930 chez Édouard Champion ; citation du Tome Premier, Paris, 1922,    p. 55 .

L'intention ici, est encore claire, l'Etat doit être une sorte de fabrique de bons petits soldats du régime, ce que suggérait à sa manière l'historien André Latreille :

"Catéchisme et Université se complètent ; celle-ci est le moule qui façonnera à l'ordre impérial les cerveaux de la bourgeoisie ; celui-là liera les consciences d'une manière plus générale et plus absolue"  

André Latreille,  "Le catéchisme impérial de 1806 — Etudes et documents pour servir à l'histoire des rapports de Napoléon et du clergé concordataire", Annales de l'Université de Lyon, Paris, Belles Lettres, 1935.

Les nombreux différends entre le monde ecclésial, papauté incluse, aboutiront à des tensions extrêmes, comme le refus d'une dizaine de cardinaux de célébrer le mariage de Napoléon et de Marie-Louise d'Autriche, en 1810, ou celui du pape d'investir des évêques nommés par l'Empereur, mais surtout, la volonté d'annexion par ce dernier des Etats Pontificaux au bénéfice de l'Empire. Le pape sera finalement enlevé et tenu en captivité en juin 1812 pour plus d'une année et demie et tiendra bon face à l'empereur. En effet, si Napoléon parvient à lui extorquer un nouveau concordat le 25 janvier 1813, il se rétracte le 24 mars suivant, à un moment où le pouvoir impérial décline : "Un malaise profond gagne le clergé français et les fidèles. Les guerres et la conscription aggravent la désaffection de l’opinion envers le gouvernement impérial. Les défaites de la fin de l’Empire obligent Napoléon à rendre la liberté à son captif : le pape entre triomphalement dans Rome le 24 mai 1814(Alain Galoin, "Le pape Pie VII, prisonnier de l'empereur Napoléon", article de L'Histoire pas l'image, février 2009).  Au bout du compte, Pie VII restera reconnaissant jusqu'au bout de l'opportunité historique que Napoléon a donné à son Eglise de restaurer son pouvoir, car, même après la déchéance de Napoléon, "il accueillera sa famille à Rome et intercédera auprès de l’Angleterre et des cours d’Europe pour adoucir le régime carcéral du captif de Sainte-Hélène."  (op. cité). 

 

napoleon bonaparte-pie VII-refus de signer le concordat 1813-gravure fontainebleau.jpg

 

     

    Pius VII nimt das Concordat               wom 25 Jaener 1813. Zurück

    "Pie VII accepte le Concordat le 25 janvier 1813. Machine arrière"

                                anonyme

    gravure allemande à l'eau-forte

               18.4  x  12.2  cm 

               

            Musée National

                               du

          Château de Fontainebleau

                           France

               

 

Ainsi, Napoléon applique à l'Université impériale ce qu'il a institué, nous l'avons vu, dans l'ensemble de sa politique d'éducation, "à l'ombre du Trône et de l'Autel", et la circulaire de Fontanes aux recteurs, le 15 janvier 1810, peut se lire comme un "chef-d'œuvre d'idéologie mise à nue"  :

"1.  Faire vivre une institution [ici l'Université] nécessite au delà des lois et des statuts une idéologie commune, un esprit qui anime le tout : « Ce qu’il y a de plus essentiel dans une institution n’est point écrit ».

2.  « Le but de l’université est de former des citoyens attachés à leur religion, à leur prince, à leur patrie, à leurs parents ».

3.   La célébration religieuse est le moyen de l'attachement et de l'unification. Avec ses pratiques graduées : prière à chaque rassemblement, chaque jour ; instruction religieuse chaque semaine par les aumôniers ; hymne chanté collectivement à la gloire de l'empereur, chaque semaine à l'office.

4.   Inutile d'entrer dans la controverse qui divise et se rapporte au passé ; le faire l'emporte sur le discourir. L'exemple l'emporte sur l'argumentation.

Cette circulaire recoupe le Catéchisme impérial de 1806, dans lequel il est déclaré : « Les chrétiens doivent aux princes qui les gouvernent, et nous devons, en particulier, à notre Empereur l'amour, le respect, l'obéissance, la fidélité, le service militaire, les tributs ordonnés pour la conservation et la défense de l'Empire et de son trône ; nous lui devons encore des prières ferventes pour son salut et pour la prospérité spirituelle et temporelle de l'État »."  

 

Textes Rares, "Louis de Fontanes [1757-1821], ou l’éducation à l’ombre du Trône et de l’Autel", article du 1er juillet 2011.

 

Loin d'être une préoccupation d'ordre spirituel,  la religion a beaucoup été instrumentalisée par Napoléon, ses actions en la matière accusant de nombreux  traits  idéologiques, comme l'a bien compris Jean Tulard  :  

"Malgré les terribles persécutions qui frappent autant les protestants que les catholiques, la foi chrétienne ne s’éteint pas. Bonaparte en tire les conséquences en faisant du catholicisme une religion d’État. Par calcul politique plutôt que par conviction religieuse. Déjà en Égypte il avait montré qu’il était prêt à se convertir à l’islam pour des raisons d’opportunité. […] Le sacre […] montre chez Napoléon le souci d’assumer le passé chrétien de la France. Mais c’est un bon moyen de marginaliser le futur Louis XVIII qui n’a pas reçu l’onction religieuse. […] L’invention de cette Saint-Napoléon célébrée en grande pompe le 15 août, date de la naissance de L’Empereur, fait de la religion avant tout un instrument politique." (Jean Tulard, préface au livre de Philippe Bornet, "Napoléon et Dieu",  Editions Via Romana, 2021). 

"J’ai eu besoin de croire, j’ai cru ; mais ma croyance s’est trouvée heurtée, incertaine, dès que j’ai su, dès que j’ai raisonné, et cela m’est arrivé d’aussi bonne heure qu’à treize ans. Peut-être croirai-je de nouveau aveuglément : Dieu le veuille ! je n’y résiste assurément pas, je ne demande pas mieux ; je conçois que ce doit être un grand et vrai bonheur.                Toutefois dans les grandes tempêtes, dans les suggestions accidentelles de l’immortalité même, l’absence de cette foi religieuse, je l’affirme, ne m’a jamais influencé en aucune manière, et je n’ai jamais douté de Dieu : car si ma raison n’eût pas suffi pour le comprendre, mon intérieur ne l’adoptait pas moins. Mes nerfs étaient en sympathie avec ce sentiment.

     Lorsque je saisis le timon des affaires, j'avais déjà des idées arrêtées sur tous les grands éléments qui cohésionnent la société ; j'avais pesé toute l'importance de la religion ; j'étais persuadé, et j'avais résolu de la rétablir." 

Las Cases, "Memorial de Sainte-Hélène, ou Journal où se trouve consigné, jour par jour, ce qu'a dit et fait Napoléon durant dix-huit mois", 9 volumes, Imprimerie Lebègue, 1823 ; cité dans l'édition d'Ernest Bourdin : "Mémorial de Sainte-Hélène, par le Cte de Las Cases : suivi de Napoléon dans l'exil par MM  O'Méara et Antomarchi, et de l'Historique de la translation des restes mortels de l'Empereur Napoléon aux Invalides", Tome premier,  Paris, 1842, p. 112.

 

 

 Enfin, l'article 94 du décret sur l'Université impériale, au Titre XII répond à l'obsession de Napoléon de toujours ajouter des chefs aux chefs. Il déclare : "Chaque Académie sera gouvernée par un Recteur, sous les ordres immédiats du Grand Maître, qui le nommera pour cinq ans et le choisira parmi les officiers des Académies." A l'image de la création des préfets, par exemple, celle de l'Université impériale montre bien la volonté de Napoléon de se doter d'un pouvoir extrêmement hiérarchique, resserré et concentré derrière son pouvoir suprême, avec quelques hommes ayant la haute main sur les principaux rouages de la machine étatique.

 

Par divergence de vues, et au grand dam de Fourcroy, l'empereur ne le nommera pas Grand Maître de l'Université impériale, créée finalement par décret le 17 mars 1808, lui préférant le journaliste et député Fontanes (Louis Jean-Pierre, marquis de F., 1757-1821), à qui il réserve des appointements de ministre (100.000 francs annuels).  C'est un choix qui fit scandale, et qui est encore une fois la marque de son pouvoir personnel et discrétionnaire.  Monarchiste, le littérateur Niortais, d'ancienne noblesse cévenole, se fait connaître comme critique littéraire et poète.  Il se lie d'amitié avec Chateaubriand, et, sans doute par son entremise, entre dans le cercle des Bonaparte et devient très lié à Lucien et Elisa, qui deviendra sa maîtresse, selon Molé  (cf. notice biographique de Fontanes, Fondation Napoléon). Sans cet amical réseau, on ne comprendrait pas pourquoi Fontanes est propulsé tour  à tour député puis président du Corps Législatif  (1802 et 1804), décoré de la légion d'honneur en 1803. Ajoutons à cela les discours invariablement laudateurs envers le régime, et on comprend mieux pourquoi Napoléon préféra lui offrir la place de Grand Maître, plutôt qu'à un homme politique qui avait déjà un bilan politique substantiel.  Napoléon regrettera plus tard son choix. Fontanes votera sa déchéance en 1814 et encensera le retour de Louis XVIII à Paris, le 3 mai (op. cité). 

 

Cependant, Napoléon éleva Fourcroy à la dignité de chevalier puis commandeur de la légion d'honneur, respectivement en 1803 et 1804, mais de plus, "pour lui faire oublier cette préférence pénible, signa un arrêté le nommant comte d'Empire avec une dotation de 10 000 francs de rente. Le 16 décembre 1809, il décéda, frappé d'apoplexie, expirant le matin d'une fête de famille 9- 19. Il avait 54 ans." (Viel, 2003).  

                   

 

                            BIBLIOGRAPHIE 

 

 

 

 

   

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BERGERON Louis, 1974, "Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire",  Éditions de l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Paris, Mouton Editeur, Paris, La Haye, New-york, 

 

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​COLAVOLPE Isabelle, 1987, L'enfant trouvé sous la toise. article de la revue Histoire, économie et société, 6ᵉ année, n°3. L'enfant abandonné,  pp. 409-420

COLSON Bruno, 2022, Napoléon et les stratèges de l’Antiquité article de la revue futuroClassico n° 8, pp. 179-200. 

CRÉPIN Annie, 2007,  Quand les enfants parlaient de gloire. L’armée au cœur de la France de Napoléon, compte-rendu de l'ouvrage éponyme de Jean-Paul Bertaud (Paris, Editions Aubier, collection historique, 2006), paru dans les Annales historiques de la Révolution française,  avril-juin, n¨348,

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ISTASSE Cédric, 2009, "Les « mariages de la Rosière » dans le département de Sambre-et-Meuse Indices sur la réinsertion sociale des anciens soldats de Napoléon Ier", article de Napoleonica. La Revue, 4 / 1, pp. 11-29. 

 

JOURDAN Annie, 2002, Napoléon et la paix universelle. Utopie et réalité, article de l'ouvrage collectif  Napoléon et l’Europe — Colloque de la Roche-sur-Yon  (8-9 juin 2001), dirigé par Jean-Clément Martin et publié aux Presses universitaires de Rennes, pp. 50-70. 

KAPLAN Steven Laurence. et MILLIOT Vincent,  2009, "La police de Paris, une « révolution permanente » ? Du commissaire Lemaire au lieutenant de police Lenoir, les tribulations du Mémoire sur l’administration de la police (1770-1792)",  contribution à l'ouvrage collectif intitulé "Réformer la police — Les mémoires policiers en Europe au XVIIIe siècle", dirigé par Catherine Denys, Brigitte Marin et Vincent Milliot et publié aux Presses Universitaires de Rennes (PUR), pp. 69-115

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