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 Un État policier  

        ( I )


 

 
      
Le Livre noir de  

          NAPOLÉON

          BONAPARTE   [4]


  « Je me trouvais dictateur... »

                                           

                                           

 

 

 

    Le Cabinet noir  

ou

Les pantins du 19ème siècle

   gravure anonyme

                 

                                          1815          39.3  x   29.6  cm 

  ​   

                                   Bodleian Library Curzon

                                                 b.07 (103)

                                        Unisversité d'Oxford

                                                Royaume-Uni

​​

Tout en haut,  trois magiciens tirent les ficelles : Le Régent (sous la Restauration), la Chambre haute et la Chambre basse ;  Les marionnettes au bout du fil,  de gauche à droite : 

Arlequin / Napoléon ; "Polichinel" (Polichinelle) / Alexandre

(empereur de Russie) ;  Pierrot / Louis XVIII (un pied sur une  "figure enchaînée", la Pologne) ; "Jocrisse" / François II emp. d'Autriche,  "Crispin"  le roi de Prusse ;  "Le père Cassandre"/ le   roi de Saxe ;  "Paillasse" /  (le maréchal) Murat 

                                               

                  Préambule

                  Introduction

      « jouissons du triomphe et ne le souillons point »

​Quand Bonaparte bâillonnait la liberté d'expression​

                        Le Cabinet noir​

         « l'art du ramollissement des cachets »

                        Projet de Code criminel : 

« des mafaiteurs atroces, qui n'ont que la figure humaine  »

Les préfets : « des empereurs au petit pied »

           Bibliographie

preambule

 

 

 Préambule

Les armées de la République ont fait de grandes choses, parce qu'elles étaient composées de fils de laboureurs et de bons fermiers et non de la canai!!e parce que les officiers avalent pris la place de ceux de l'ancien régime, mais aussi par sentiment d'honneur. C'est par le même principe que les armées de Louis XIV ont aussi fait de grandes choses. On peut appeler, si l'on veut, le projet un ordre ; les mots ne font rien à la chose. Mais enfin, pendant dix ans, on a parlé d'institutions ; qu'a-t-on fait ? Rien. Le temps n'était pas arrivé. On avait imaginé de réunir les citoyens dans les églises, pour geler de froid à entendre la lecture des lois, les lire et les étudier. Ce n'est pas déjà trop amusant pour ceux qui doivent les exécuter; comment pouvait-on espérer d'attacher le peuple par une semblable institution ? Je sais bien que si, pour apprécier le projet, on se place dans la calotte qui renferme les dix années de la révolution, on trouvera qu'il ne vaut rien; mais si l'on se place après une révolution, et dans la nécessité où l'on est d'organiser la nation, on pensera différemment. On a tout détruit, il s’agit de recréer. Il y a un gouvernement, des pouvoirs ; mais tout le reste de la nation, qu’est-ce ? des grains de sable.  Nous avons au milieu de nous les anciens privilégiés, organisés des  principes et d'intérêts, et qui savent bien ce qu'ils veulent. Je peux compter nos ennemis. Mais nous sommes épars, sans système, sans réunion, sans contact. Tant que j’y serai, je réponds bien de la République, mais il faut prévoir l’avenir. Croyez-vous que la République soit définitivement assise ? Vous vous tromperiez fort. Nous sommes maîtres de la faire, mais nous ne l’avons pas, et nous ne l’aurons pas, si nous ne jetons pas sur le sol de France quelques masses de granit.  Croyez-vous qu'il faille compter sur le peuple? Il crie indifféremment Vive le roi, vive la ligue! Il faut donc lui donner une direction, et avoir pour cela des instruments. J'ai vu, dans la guerre de la Vendée, quarante hommes maîtriser un département ; c'est ce système dont il faut nous emparer.​   

 

Napoléon Bonaparte 1er Consul, séance du Conseil d'Etat du 18 floréal an X / 8 mai 1802, cité par Antoine Claire Thibaudeau, "Mémoires sur le Consulat. 1799 à 1804. Par un ancien Conseiller d'État. Paris. Chez Ponthieu et Cie, Libraires...1827, chapitre V,  Légion d'honneur, pp. 84-85). 

 

 

Cette prise de parole du Premier Consul, qui évoque les fameuses "masses de granit", confirme bien la nature des actes de Napoléon depuis sa prise de pouvoir.  Napoléon caricature l'histoire ("Qu'a-t-on fait ? Rien (...) On a tout détruit"), continue de mentir éhontément sur son attachement à la République (Res publica, rappelons-le, "l'Intérêt général') quand il ne cesse de se faire l'architecte d'un pouvoir fort et concentré entre ses mains, et de quelques nantis, de prétendre d'asseoir la République sur des bases solides, alors que le granit dans lequel il veut les façonner matérialise son appétit de soumettre et de dominer l'Europe pour le pouvoir et la richesse de quelques uns, comme les anciens rois, tout en distillant son mépris,  aussi archaïque que le reste, sur les volontés du peuple ("On avait imaginé...", "Croyez-vous qu'il faille compter sur le peuple ?"),  comptant les "anciens privilégiés" comme autant d'ennemis quand ils n'ont jamais cessé d'occuper les meilleures places et que lui-même ne cessera de se faire champion des privilèges.  Nous n'aurons aucun effort à continuer de montrer que Napoléon Bonaparte est profondément un héritier de l'Ancien Régime, de mentalité archaïque à beaucoup d'égards. Cambacérès, alors second consul, ne confiait-il pas dans ses Mémoires que "Napoléon, dès le début de son mandat, était obsédé par « l’idée de donner à son gouvernement le caractère ancien qui lui manque »  . Il aurait préféré jeter un voile sur les autorités qui l’avaient précédé après 1792 et faire du pouvoir consulaire l’héritier de la monarchie. C’est pourquoi, bien plus tard, il essaya de ne pas trouver d’intermédiaire entre Charlemagne et la proclamation de l’Empire.(Hicks, 2009). 

    Mémoires     :   "Après la chute de l'Empire, Cambacérés rédige ses mémoires. À sa mort sous la Restauration, elles seront scellées. Ce n'est qu'au XXe siècle qu'elles sont révélées et depuis 2021, elles sont la propriété des archives de la ville de Montpellier." (Cambacérés, l'atout de Napoléon,  Musée Fabre)

introduction

 

​​

 

 Introduction

 

Il y a quelques années, Bertaud avançait encore les précautions d’usage que Lefebvre ou Soboul mettaient pour caractériser le régime napoléonien comme une dictature. Foin de toutes ces palinodies, désormais, sur la « dictature provisoire de salut public », ou encore la nécessaire « incarnation » du pouvoir dans une société culturellement marquée par l’Ancien Régime, tout en conservant juridiquement les formes de la République. C’est bien d’une des premières dictatures contemporaines qu’il s’agit, c’est-à-dire d’un pouvoir personnel appuyé par la police et la propagande.  

Bernard Gainot, « Jean-Paul Bertaud,  Napoléon et les Français,  Paris, Armand Colin, 2014 », article des Annales de la Révolution Française, 2015 | N° 380/2, pp. 189-192

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         pièce de 40 francs or  (900  ‰)

Gravure de Pierre-Joseph Tiolier

(1763-1819)

Graveur, général des monnaies en 1803

 

Monnaie à l'effigie de "Bonaparte 1er Consul" (titulature avers), avec couronne de lauriers et titulature "République française" (revers).  

 

 an 12  (1804)

 

                    Ø  26  mm      12.9 g

   

          

 La loi du 7 germinal an XI (28 mars 1803) crée un nouveau franc, appelé franc germinal. Napoléon Bonaparte n'a pas inventé le franc, connu depuis 1360, sous le règne de Jean le Bon (monnaie d'or valant une livre tournois) et, avant sa réforme de l'an XI, instauré par la République par la loi du 28 thermidor an III (15 août 1795), précédé de lois sur le système métrique et le système décimal appliqué à la monnaie en 1793  (FranceArchives, Création du franc Germinal). 

Par la loi du 7 germinal, L'argent* est "choisi comme étalon, l’or lui étant complètement subordonné." Pour la première fois en France, la "loi confirme l’abandon de la notion de monnaie de compte utilisée sous la Royauté, qui était une valeur abstraite de la livre tournois représentée par une quantité de métal variable au gré du souverain. Désormais monnaie de compte et monnaie réelle coïncident. Fait notoire, la valeur de la monnaie ne dépend plus de la volonté du législateur." (op. cité)  

 

Le rapport entre l’or et l’argent est fixé à 15,5, soit 4,5 g d’argent pour 0,29 g d’or.

La création du franc germinal a lieu sous le "règne" de Bonaparte Consul à vie, mais on oublie presque toujours  de dire que cet étalon monétaire fut, avant tout, à l'initiative de spécialistes de la question, et le fruit de longs débats de ces techniciens, en particulier au Conseil d'Etat et à l'Administration des monnaies,  dans le but de  résoudre des  questions monétaires complexes, auxquelles le général Corse ne devait, pas plus que beaucoup d'autres, comprendre grand-chose. Ôtons donc à César ce qui n'appartient pas à   César :  

C'est d'abord Léon Basterrèche (1763-1801), originaire de Bayonne, armateur, banquier  qui signe un peu avant sa mort, en tant que "Régent de la Banque de France" son Essai sur les monnaies, en 1800 (an IX), dans lequel il préconise "la démonétisation de l'or", idée reprise en messidor an IX par Antoine Mongez (1747-1835), ancien administrateur des monnaies, alors tribun, soutenu par Martin Michel Charles Gaudin  (1756-1841, fait duc de Gaëte  en 1809), ministre des Finances entre 1800 et 1814 (et brièvement en 1815), qui établit un premier rapport aux Consuls en l'an IX. Mais Gaudin sera combattu âprement par Noël François Mathieu Angot des Rotours (1739-1821), premier commis au Contrôle général des finances de 1782 à 1792, tenu en disgrâce par Calonne, qui préconisait, en particulier, une refonte générale des monnaies d’or, d’argent, de cuivre et de billion, dans son ouvrage "Mémoire sur la nécessité d’une refonte générale", publié en juin 1802. Des Rotours était soutenu, quant à lui,  par le banquier, François Corbaux junior, qui publia son "Dictionnaire des arbitrages simples" en 1802, mais surtout par François Barbé-Marbois, (1745-1837), ministre du Trésor (1801-1806), plus tard, de la Justice (en 1815-1816) ou encore François Gerboux, ancien commissaire des guerres (nivôse an XI), auteur, en 1802 toujours, d'une "Discussion sur les effets de la démonétisation de l'or"    (Thuiller, 1993 ; Portemer, 1994).

Parvenu au sommet du  pouvoir, Napoléon a très rapidement manifesté ses appétits monarchiques. Il est le premier chef prétendument républicain à occuper la demeure des rois, au Palais des Tuileries, rénové alors par l'architecte Etienne-Chérubin Leconte (1761-1818), où le Premier Consul emménage en grande pompe au lendemain du résultat de son plébiscite, le 19 février 1800, dans l'ancien appartement du Roi. 

 

Dès le 20 novembre 1801 (29 brumaire an X),  qui voit la nomination comme gouverneur du Palais (plus tard  Grand maréchal du Palais) le général Géraud-Christophe-Michel Duroc (1773-1813), commence un long développement de l'administration du Palais, à la fois civile et militaire, qui ne cessera d'exhumer des usages royaux inspirés de l'Ancien Régime, formellement établis à partir de 1804, nous le verrons, sous le Premier Empire de Napoléon Ier. Mais en mars 1802, déjà, est établi un premier règlement sur  l'étiquette, alors que le Premier Consul Bonaparte commence, comme un monarque, "à s’entourer d’une Cour et à recevoir des diplomates lors d’audiences solennelles."  (Vial, 2014). L'année suivante, voit le jour un premier règlement général appelé "Règlement pour la Maison du Premier Consul" (24 septembre 1803 / 1er vendémiaire an XII),  par lequel le gouverneur du Palais, appelé aussi Grand maître de la Maison,  "avait sous sa responsabilité les embryons de tous les services des Grands officiers, qu’il s’agisse du Grand chambellan, du Grand écuyer, du Grand veneur"  (op. cité).  Par ailleurs, le Premier Consul voyage en province, de l'organisation aux cadeaux, dont il bénéficie, en passant par les cérémonies protocolaires, Napoléon Bonaparte renoue avec les rites qui accompagnaient les voyages royaux, et sa "volonté d'imitation est manifeste, comme le montrent les références à l’Ancien Régime." reconnaît  l'historien Jacques-Olivier Boudon  (Boudon, 2001 ).  

 

Le 10 mai 1802 (20 floréal an X), un cap est franchi dans l'autocratie par un arrêté des Consuls proclamant : "Le peuple français sera consulté cette question :  "Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie ?".  Deux jours après, le Corps Législatif répondait positivement à l'unanimité, moins trois voix, tandis qu'au Tribunat, il ne manquera que la voix de Lazare Carnot (1753-1823), député au Conseil des Anciens pendant le Directoire, ministre de la guerre entre avril et octobre 1800, membre du Tribunat de 1802 à 1807. De quoi influencer, comme d'autres manipulations de l'opinion, le plébiscite très largement victorieux du 2 août 1802.  En effet, comme auparavant, en l'an VIII, et ensuite en l'an XII, le vote n'est pas secret. Face à leur vote, les citoyens inscrivent leur nom, en présence d'un notable (maire, notaire, juge de paix...) : "Les électeurs sont en fait soumis aux pressions exercées par les administrations.(Bertaud, 2014).   Le même jour, dans la foulée, un senatus-consulte proclamait Napoléon Bonaparte Consul à vie, et deux jours après, le 4 août  (16 thermidor), un autre senatus-consulte proclamait la Constitution de l'an X.  

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  Napoléon Bonaparte sera-til Consul à vie ?  Page du registre sur le vote                                      nominatif  des habitants de Baix, en Ardèche.

 

                                            Archives Nationales de France

 

Derrière le Conducator, comme dans tous les régimes autoritaires avant lui et après lui, sont rangés en ordre de bataille une partie des élites convaincue que seul un régime à poigne, garant de l'ordre et de la stabilité (des propriétés et des affaires, surtout), servira et préservera au mieux leurs intérêts.  Et comment ne pas être séduit par ce nouveau maître qui continue (et ne s'arrêtera pas) de dérouler  le tapis rouge pour les privilégiés ? Exit les listes de notabilités, invention de Sieyès peu prisée par Bonaparte, qui n'offrent peut-être pas assez, selon Jacques  Godechot, "l’illusion nécessaire pour accepter plus facilement la dictature."  (Godechot, 1951 : 573), et  rétablissement d'un suffrage censitaire, avec la loi sur les collèges électoraux (dont les membres siègent à vie) qui "ressemble à une roulette truquée. Encore faut-il pour s’asseoir à la table de jeu avoir une solide fortune.(Bertaud, 2014). C'est ainsi que sur chaque division administrative du pays, régnaient les clients privilégiés du régime :  Parmi les membres du collège d'arrondissement, dix devaient posséder la Légion d'Honneur, accordée par le Premier Consul lui-même, selon la Constitution de l'an X (article 27). Cette distinction créée par Bonaparte le 19 mai 1802 (29 floréal an X), a vite fait l'objet de railleries :

 

"Cette légion devait être composée de quinze cohortes de dignitaires à vie, disposés dans un ordre hiérarchique, ayant un centre, une organisation et des revenus. Le premier consul était le chef de la légion. Chaque cohorte était composée de sept grands-officiers, vingt commandants, trente officiers et trois cent cinquante légionnaires. Le but de Bonaparte fut de commencer une noblesse nouvelle. Il s’adressa au sentiment mal éteint de l’inégalité. En discutant ce projet de loi dans le conseil d’état, il ne craignit pas de faire connaître ses intentions aristocratiques. Le conseiller d’état Berlier, ayant désapprouvé une institution aussi contraire à l’esprit de la république, dit : « Que les distinctions étaient les hochets de la monarchie*. — Je défie, répondit le premier consul, qu’on me montre une république ancienne et moderne, dans laquelle il n’y ait pas eu de distinctions. On appelle cela DES HOCHETS. Et bien ! c’est avec des HOCHETS que l’on mène les hommes. Je ne dirais pas cela à une tribune ; mais dans un conseil de sages et d’hommes d’état on doit tout dire. Je ne crois pas que le peuple français aime LA LIBERRTÉ ET L'ÉGALITÉ. Les Français ne sont point changés par dix ans de révolution ; ils n’ont qu’un sentiment, L'HONNEUR. Il faut donc donner de l’aliment à ce sentiment-là ; il leur faut des distinctions."  

François-Auguste Mignet, "Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814", chapitre 14,  Consulat, Bruxelles et Liège, 1838, pp. 411-412

* "L'ordre proposé conduit à l'aristocratie ; les croix et les rubans sont les hochets de la monarchie.", Théophile Berlier (1761-1844), séance du Conseil d'Etat du 14 floréal an X / 4 mai 1802, cité par Antoine Claire Thibaudeau, "Mémoires sur le Consulat. 1799 à 1804. Par un ancien Conseiller d'État. Paris. Chez Ponthieu et Cie, Libraires...1827, chapitre V,  Légion d'honneur,  p . 81  

Quant aux membres des collèges départementaux, ils étaient choisis parmi les six cents citoyens les plus riches de chaque département, le Premier Consul pouvait "ajouter à chaque collège électoral de département vingt citoyens, dont dix pris parmi les trente plus imposés du département, et les dix autres, soit parmi les membres de la Légion d'honneur, soit parmi les citoyens qui ont rendu des services. Il n'est point assujetti, pour ces nominations, à des époques déterminées.(Constitution de l'an X, article 27)  :  Ce système d'aristocratie élective est clairement un pied-de-nez à la démocratie, un régime ploutocratique à peine déguisé, et il en sera ainsi jusqu'en 1848, année où le suffrage masculin universel sera rétabli.  Et voilà comment Rœderer, avec une généreuse ration de confiture autour des mots,  transforme aristocratie en démocratie : 

"Et que signifie maintenant le mot élective joint au mot aristocratie ? Il signifie que ce petit nombre de sages qui sont appelés à gouverner ne tiennent leur droit que du choix, de la confiance de leurs concitoyens ; en un mot, d’une élection entièrement libre et dégagée de conditions de naissance. Eh bien ! N’est-ce pas justement ce que signifie le mot démocratie joint à celui de représentative ? Aristocratie élective, démocratie représentative sont donc une seule et même chose."  (Discours de Rœderer prononcé devant le Corps Législatif, séance du 13 ventôse an IX / 4 mars 1801, dans "Œuvres du Comte P. L. Roederer,  Pair de France, Membre de l'Institut, etc. etc., etc., publiées par son fils le Baron A. M. Rœderer, ancien pair de France... Tome septième, Paris, Typographie de Firmin Didot Frères... M DCCC LVIII" (1858),  , p. 140). 

Notons que la volonté autocratique de Bonaparte ne s'exerce pas seulement dans la sphère publique, mais aussi dans la sphère privée, sur ses frères et sœurs en particulier, dont il se sert pour pallier la stérilité de son couple, consolider et étendre son pouvoir en Europe. Ainsi,  il imposera à Hortense de Beauharnais, la fille de Joséphine qu'il a adoptée, et à son frère cadet, Louis Bonaparte,  qui deviendra roi de Hollande en 1806, de se marier contre leur volonté, union, qui sera célébrée le 4 janvier 1802.  Autre exemple, il imposa à Emilie de Beauharnais, dont Louis s'était épris, d'épouser son adjudant, Lavalette, qui deviendra directeur général des postes (Wertheimer, 1896).        

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   The Hand-Writing upon the Wall  

  ("La main écrivant sur le mur")

   Caricature de James Gillray (1756-1815)

                   Gravure, Aquatinte colorée à la main               

 

                                         24   août 1803        

                                     Library of Congress

                                  (Bibliothèque du Congrès)

                                 Washington, Etats-Unis

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Festivité de Napoléon, entouré de Joséphine et d'officiers. Le Premier Consul lit avec effroi les lettres écrites sur le mur par la main de Dieu : "Mene mene, tekel, upharsin" : מנא מנא תקל ופרסי, expression hébraïque qui se trouve au chapitre 5 du livre biblique du prophète Daniel, adressée au roi Belchatsar (Balthazar, Belshazzar), qui parle littéralement de devises monétaires antiques : mine, shekel (ou sicle) et demi-sicle, qui s'entendent allégoriquement comme une menace prochaine de la fin de son royaume, ôté par Dieu de son pouvoir, qui sera partagé entre Mèdes et Perses : "Compté, compté, pesé, divisé" (Daniel 5 : 25), selon la traduction de Louis Segond  (1880).  

                                     

jouissons

 

   

jouissons du triomphe et ne le souillons point

 Quand Bonaparte bâillonnait la liberté d'expression

 

Cinq ans encore avant l'arrivée au pouvoir du général Bonaparte, l'abbé Henri-Baptiste Grégoire (1750-1831) rédigeait un "Rapport  sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française", dans lequel il affirme "assurer sans exagération qu'au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale ; qu'un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ; qu'en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent n'excède pas trois millions, et probablement le nombre de ceux qui l'écrivent correctement encore moindre." (Assemblée de la Convention Nationale, séance du 16 prairial an II / 4 juin 1794).  Sans entrer dans la réalité de cette analyse, elle peut être mise en regard avec le niveau global d'alphabétisation, beaucoup ne sachant encore ni lire ni écrire. Pour la génération 1800-1804, ce sont 48 % d'illettrés que compte alors la France (Blum et Houdaille, 1985), Paris restant une exception.     

Ainsi, la presse, mais aussi la lecture, sous Napoléon, est encore réservée généralement à une certaine élite :   "Le Journal des débats, devenu Journal de l’Empire, compte 20 105 abonnés ; la Gazette de France 3750 ; le Journal de Paris 9000."   (Jean Tulard, Napoléon ou la maîtrise de l’opinion publique,  Communication du 5 février 2018 à l'Académie des Sciences Morales et Politiques).   Ce sont les affiches et les placards qui auraient une plus grande influence sur l'opinion, ajoute Tulard, et pour la classe possédante, le cours de la rente à 5%, qui indique le degré de confiance dans les capacités financières de l'Etat. Communiquée chaque matin au Premier Consul par la Police générale, elle est cotée à 11 francs le 17 brumaire et passe à 22 francs après le coup d'Etat. Pour le peuple, comme pour les périodes précédentes de son histoire, c'est plutôt le prix du pain de quatre livres, à Paris, qui est scrupuleusement surveillé   : "Le prix moyen est de 12 sols. S’il dépasse 15 sols et monte à 20, le gouvernement peut s’alarmer. La réaction de l’opinion risque de déboucher sur une émeute. C’est pourquoi le prix quotidien du pain, lui aussi, est indiqué dans le Bulletin de Police générale."  (J. Tulard, op. cité). 

Comme dira  Joseph Fouché, ministre de la police entre le 20 juillet 1799 et le 13 septembre 1802, pour son premier ministère, " le mal que les journaux peuvent faire, il est trop tard de le juger après l'impression.

 

 "Le premier consul, de tout temps, a été ennemi déclaré de la liberté de la presse ; aussi tenait-il tous les journaux sous une main de fer. Je lui ai souvent entendu dire  : Si je lui lâche la bride, je ne resterai pas trois mois au pouvoir.Et il avait malheureusement cette opinion pour toutes les prérogatives des libertés publiques ; le silence qu'il imposait en France, il voulait, mais ne put l'imposer à l'Angleterre."   ("Mémoires de M. de Bourienne, Ministre d'État ; sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration...  Tome quatrième... Paris, chez LADVOCAT, Libraire...  MDCCCXXX" [1830], pp. 304-305).  

​​Dès le 17 janvier 1800 (27 nivôse an VIII),  un arrêté autorise seulement treize journaux politiques à paraître (à l'exclusion des journaux de sciences, de littérature, arts, etc.) "pendant toute la durée de la guerre... journaux ci-après désignés : « Le Moniteur universel ; le Journal des débats et des décrets ; le Journal de Paris ; le Bien-informé ; le Publiciste ; l’Ami des lois ; la Clef du cabinet ; le Citoyen français ; la Gazette de France ; le Journal des hommes libres ; le Journal du soir par les frères Chaigneau ; le Journal des défenseurs de la patrie ; la Décade philosophique." (arrêté précité). C'est donc une soixantaine d'autres journaux qui sont supprimés de facto. De plus, les propriétaires des journaux autorisés devaient se présenter au ministre de la Police,  afin de justifier auprès des autorités leur qualité de citoyen français, leur domicile et jurer fidélité à la Constitution (article 4).  A défaut d'une censure officielle, l'interdiction, la prévention de la censure elle-même suffit pour définir le premier régime napoléonien de dictatorial en la matière, comme dans d'autres : " Art. 5. Seront supprimés, sur-le-champ, tous les journaux qui inséreront des articles contraires au respect dû au pacte social, à la souveraineté du peuple et à la gloire des armées, ou qui publieront des invectives contre les gouvernements et les nations amis ou alliés de la république, lors même que ces articles seraient extraits des feuilles périodiques étrangères.(arrêté précité).

Le 29 pluviôse an VIII (18 février 1800), était interdite toute allusion aux mouvements des armées de terre et de mer ;  le 9 thermidor an IX (28 juillet 1801), Fouché menaçait de supprimer les journaux dont les nouvelles étaient susceptibles d'"« alarmer le commerce et troubler l’esprit public »",  domaines d'interdiction étendus le 19 thermidor à "« la religion, les ministres et les cultes divers »" (cité par Sorel, 2004).

Napoléon exerçait une police au moins aussi sévère sur les journaux que sur les théâtres. La plus légère réflexion sur un acte du gouvernement était taxée de crime. Une nouvelle indifférente alarmait sa censure. En un mot, les journalistes n’imprimaient et ne pensaient que par la police.

L’Empereur, jaloux des bénéfices que produisaient quelques journaux accrédités, finit par dépouiller les auteurs de leur propriété, et la partagea en actions aux personnes de la Cour, de manière qu’elles devinrent responsables, et les journaux perdirent, par cet acte d’injustice, le peu de liberté qu’ils avaient conservé jusque-là.

Napoléon se servait lui-même des journaux pour faire la guerre à ses ennemis, surtout aux Anglais. Il rédigeait personnellement toutes les notes qu’on insérait dans le Moniteur, en réponse aux diatribes ou aux assertions qu’on publiait dans les gazettes anglaises. Lorsqu’il avait publié une note, il croyait avoir convaincu. On se rappelle que la plupart de ces notes n’étaient ni des modèles de décence, ni des exemples de bonne littérature ; mais nulle part il n’a mieux imprimé le cachet de son caractère et de son genre de talent.

Jean-Antoine Chaptal, "Mes souvenirs sur Napoléon", texte établi par son fils, Emmanuel Chaptal, Plon, 1893, p. 394  

 

Bonaparte fréquentait souvent les théâtres et connaissait leur importance dans le mouvement des idées. Il n'avait guère attendu, après sa prise de pouvoir, pour faire comprendre aux directeurs de théâtre que leurs productions allaient désormais être surveillées et soumises aux exigences  de son pouvoir. Le directeur de l'Opéra-Comique, par exemple, est prié par la police de Fouché de cesser les représentations d'une pièce intitulée  Les Mariniers de Saint-Cloud,  car "trop de détails rappellent amèrement d’anciens souvenirs qu’il faut effacer"  (Lettre du 24 brumaire, publiée dans le Journal politique de l'Europe, 22 novembre 1799). Trois jours après, toujours par voie de presse, le directeur de la police faisait comprendre aux directeurs de théâtre les contours de la ligne idéologique qu'ils avaient tout intérêt de suivre :

 

"Dans la succession des partis qui se sont tour à tour disputé le pouvoir, le théâtre a souvent retenti d’injures gratuites pour les vaincus et de lâches flatteries pour les vainqueurs. Le gouvernement actuel abjure et dédaigne les ressources des factions; il ne veut rien pour elles, et fera tout pour la République. Que tous les Français se rallient à cette volonté, et que les théâtres en secondent l’influence. Que le sentiment de concorde, que les maximes de modération et de sagesse, que le langage des passions grandes et généreuses soient seuls consacrées sur la scène. Que rien de ce qui peut diviser les esprits, alimenter les haines, prolonger les souvenirs douloureux, n’y soit toléré. Il est temps qu’il n’y ait plus que des Français dans la République française. (...)  Les réactions sont le produit de l’injustice & de la foiblesse des gouvernemens. Il ne peut plus en exister parmi nous ; puisque nous avons un gouvernement fort, ou ce qui est la même chose, un gouvernement juste "    

Circulaire de Fouché du 26 brumaire an VIII (17 novembre 1799) parue le lendemain au Journal de Paris, citée par Louis-Henry Lecomte, "Napoléon et le monde dramatique", Paris, 1912,  pp. 34-35

 

Dans le même temps, fleurissaient un peu partout des œuvres propres à "seconder la doxa politique contemporaine d’un Bonaparte « héros-sauveur », contribuant de la sorte à l’encensement du Premier Consul et à la légitimation du coup d’état" (Perazzolo, 2021),   tout en accablant de tous les maux la période du Directoire et les Jacobins, comme La Girouette de Saint-Cloud de "Barré, Radet, Desfontaines, Bourgueil, Maurice et Emmanuel Dupaty", ou La Pêche aux Jacobins (appelée aussi La Journée de Saint-Cloud), de Chazet, Léger et Gouffé, pièces représentées à compter du 23 brumaire. A l'inverse, dès avril 1800, des pièces étaient tout bonnement interdites, ou suspendues d'un seul coup, parfois sans justification. L'écrivain François-Félix Nogaret, nommé censeur dramatique par Lucien Bonaparte, le 21 thermidor an VIII (9 août 1800),  donne l'ordre au commissaire du gouvernement, Jean-François Mahéraut, "de ne plus mettre à l’étude aucune pièce qui n’ait été visée par le Ministère de l’Intérieur et la Préfecture de police : Médée de Corneille est une des premières pièces à subir cette interdiction non justifiée (9 vendémiaire an 9)"  (Razgonnikoff,, 2020).   Mérope, de Voltaire, Athalie, de Racine, ou encore Henri VIII, de Marie-Joseph Chénier, trop républicain, voient leurs représentations suspendues. Un certain nombre de répliques, toujours scrutées à la loupe par par Napoléon ou ses hauts serviteurs, gardiens de la censure, sont supprimées ou réécrites : Fouché fait supprimer une réplique d'Édouard en Écosse d’Alexandre Duval, créé à la Comédie-Française le 30 pluviôse an X (19 février 1802), et Napoléon fera interdire la pièce, bien accueillie par les royalistes (op. cité) Etc. 

 

Nos amis de la Décade philosophique, comme d'autres, avaient léché dans le même sens les bottes du nouveau pouvoir, qu'ils avaient aidé à mettre en selle, rappelons-le : 

"Vaudevilles et pièces de circonstances. — La révolution du 19 Brumaire a fait éclore à tous les petits théâtres chantans, une foule de petites pièces de circonstances, qui toutes ont pour objet de célébrer allégoriquement les événemens de ce jour, et sur-tout le héros dont le nom et les exploits volent jusqu'aux extrémités du globe, et traverseront les siècles. Quoique de petits vaudevilles soient en général peu proportionnés à un si grand objet, on ne peut que savoir gré aux auteurs de ces bluettes, d'être en ce moment les organes de la reconnaissance publique ; mais nous sommes convaincus qu' un aussi beau jour que le 19 Brumaire, et l'heureux changement qu'il a produit, ne doivent pas ressembler aux autres époques de la révolution, toutes chantées et célébrées tour-à-tour ; et qu'il faut sur-tout exclure avec sévérité tout ce qui peut alimenter la haine des partis. N'oublions pas que les chants de réaction ont produit le Réveil du peuple, et que cette chanson a fait couler des torrens de sang. Nous devenons trop grands pour n'être pas généreux et sages : les Consuls veulent fortement l'oubli de toutes les dénominations injurieuses, et l'affermissement des principes. Soyons Français, le nom devient assez noble, assez grand, pour enorgueillir ceux qui le portent ; les factions sont vaincues : jouissons du triomphe et ne le souillons point.

 

"La Décade Philosophique,  littéraire et politique ; par une Société de Gens-de-Lettres... Huitième année de la République, 1er Trimestre. Vendémiaire, Brumaire, Frimaire, A Paris... l'an VIII de la République française.", N°6 du 30 brumaire, p. 361)

Quelques mois plus tard, le pouvoir consulaire resserrait encore plus l'étau, par des ordres donnés à Lucien Bonaparte, alors ministre de l'Intérieur (sans compter les fréquents billets de censure adressés en particulier par le préfet de police Du Bois (Dubois) "aux Directeurs de théâtres" : cf. Lecomte, op. cité)  : 

"Les Consuls de la République désirent, Citoyen Ministre, que vous fassiez connaître aux entrepreneurs des différents théâtres de Paris qu’aucun ouvrage ne doit être mis ou remis au théâtre qu’en vertu d’une permission donnée par vous. Le chef de division de l’instruction publique de votre département doit être personnellement responsable de tout ce qui, dans les pièces représentées, serait contraire aux bonnes mœurs et aux principes du pacte social. En conséquence de cette disposition, le Préfet de Police ne doit permettre l’annonce d’aucune pièce que sur la représentation de la permission que vous aurez accordée.

   Vous voudrez bien faire connaître aux préfets des départements que cette règle leur est applicable, et qu'ils ne doivent permettre l'annonce et l'affiche d'aucun ouvrage dramatique qu'après s'être fait représenter votre permission. La circulaire que vous serez dans le cas d'écrire à cet égard ne peut pas être rendue publique par l'impression.

    Les Consuls me chargent en même temps de vous inviter à leur présenter, dans cette décade, un rapport sur les mesures à prendre pour restreindre le nombre des théâtres, et sur les règlements à arrêter pour assurer la surveillance de l’autorité publique. Vous jugerez, Citoyen Ministre, s’il conviendrait de s’occuper en même temps des moyens propres à honorer l’art dramatique et à encourager les gens de lettres qui le cultivent avec succès."    

 "Au Citoyen  Lucien Bonaparte, ministre de l'Intérieur. Paris, 15 germinal an VIII (5 avril 1800)", cité par L. H Lecomte, op. cité, pp. 35-36

 

Le chimiste Jean-Antoine Chaptal, qui remplacera Lucien B. au ministère de l'Intérieur, le 7 novembre 1800, "réaffirme l’obligation de retourner à l’ancien monopole dans le domaine de la comédie et de la tragédie (la «gloire dramatique de la Nation») et de bannir les genres secondaires tels que le vaudeville. Dès lors, comme aux plus belles heures de la monarchie, le répertoire, désigné chaque mois par le Comité d’administration et approuvé par l’assemblée générale des sociétaires et par le Commissaire du gouvernement, sera soumis aux autorités."  (Razgonnikoff,, 2020).  

 

Profitant de la situation difficile du Théâtre de la République et des Arts (l'Opéra), ou pire, de celle du Théâtre-Français (La Comédie-Française), décimée par la Révolution, le Premier Consul soutint financièrement ces deux établissements prestigieux de la capitale (par des fonds du Ministère de l'Intérieur, en particulier), tout en les muselant d'une main ferme par tout un dispositif de contrôle et de surveillance limitant très sévèrement leur autonomie, qu'on en juge :  Deux arrêtés du 8 mars 1802 (17 ventôse an X) stipulent qu'un conseiller d'Etat sera adjoint au ministre de l'Intérieur pour diriger l'Instruction publique, et dont la surveillance des théâtres entrait dans ses attributions  Napoléon nomme Roederer (cf. parties précédentes) le 12 mars  à ce poste  (Léon de Lanzac de Laborie, 1862-1935, "Paris sous Napoléon [huit tomes de 1905 à 1911], Le Théâtre-Français" [Tome 7], Paris, Librairie Plon, 1911, pp. 10-11).  Il "se plaignait de l'exiguïté de ses pouvoirs et il réclamait précisément le rétablissement à son profit des attributions des gentilshommes de la chambre. « Il n’y a qu’un moyen », écrivait-il,  « de diriger les comédiens, c’est celui qui a été employé autrefois. C’est de les placer sous une autorité qu’ils ne puissent jamais décliner quand elle punit, de qui seule ils puissent attendre des récompenses ; que cette autorité prenne immédiatement et régulièrement les ordres du Premier Consul, et qu’elle parle et agisse toujours en son nom. C’est ainsi que j’ai toujours espéré que je l’exercerais."  ("Rapport de Roederer à Bonaparte sur l'organisation de l'instruction publique, s. d. (an X)  :  AF. IV, 1050",  cité par  Lanzac de Laborie, op. cité). 

 

Le 13 messidor an X (2 juillet 1802), un décret imposait au Théâtre-Français 1) la soumission aux Consuls d'un règlement de police et d'administration; 2) la présence, à l'intérieur du conseil de gestion du théâtre, d'un "commissaire du gouvernement", 3) un titre de réception pour chaque sociétaire 4)  un comité annuel de six acteurs administrant le répertoire, pour moitié nommés par les sociétaires, pour l'autre, par le gouvernement, etc. (Piva, 2020).   

Le 5 frimaire an XI (26 novembre 1802), enfin, Napoléon crée quatre postes de Préfet du Palais, "choisis dans le milieu de la haute finance ou de la justice et chargés de se consacrer aux grands théâtres français. Le régime tendant à se rapprocher d’une monarchie, il était logique de reprendre les anciens usages, à savoir, charger les responsables de la Maison du Roi des grands théâtres. Les Préfets du Palais, parmi lesquels Augustin-Laurent de Rémusat, obtinrent alors la direction des théâtres de la République (Comédie-Française), des Arts (Opéra), puis le 20 frimaire an XI (11 décembre 1802) du théâtre Louvois [L'Odéon, NDR], Feydeau (Opéra-comique) et de l’Opéra-Buffa (Italiens)."  (Coulaud, 2023).   

Rémusat  (1762-1823)Issu d'une famille de notables, d'échevins, il sera fait avocat général à la Cour des aides de Provence, et sera présenté à Bonaparte par sa belle-mère, la comtesse de Vergennes, amie de Joséphine de Beauharnais (op. cité). Claire de Vergennes, son épouse, sera faite dame d'honneur de Joséphine, avec un traitement de 12.000 francs annuels. 

 

Du côté de l'Opéra, toujours, ("le luxe de la Nation", disait Napoléon : cf. Lecomte, op. cité, p. 53), un 'Préfet du palais", avec un directeur et un administrateur sous ses ordres, gérera l'ensemble du théâtre, tant pour l'administration que pour la programmation, mais le patron véritable était en réalité Bonaparte,  comme nous l'apprend clairement  l'arrêté du 20 nivôse an XI (10 janvier 1803) : Non seulement il nommait le directeur et l'administrateur (article 2), mais aussi "Aucune pièce nouvelle, aucun nouveau ballet ne peuvent être donnés, aucune décoration nouvelle établie, que l'aperçu des dépenses n'ait été soumis au Gouvernement, et approuvé par le Premier Consul"  (article 5), tout comme devaient être soumis à son approbation  les traitements ou les gratifications délivrés aux employés et aux artistes (article 6).  

 

Nous avons déjà observé que Napoléon n’avait aucune instruction. Les auteurs grecs et latins lui étaient presque inconnus. Il avait rapidement parcouru quelques historiens dont il avait retenu quelques faits ; il s’était formé une opinion à la hâte ; et les autorités les plus respectables, l’approbation unanime des siècles ne pouvaient opérer aucun changement dans ses idées. Tacite était, selon lui, le plus mauvais historien de l’antiquité ; peut-être s’en était-il formé cette opinion d’après le tableau que cet auteur fait de Tibère. Horace n’était bon que pour des sybarites. Homère seul avait son hommage. Parmi les modernes, il admirait peu Voltaire, Racine et Rousseau. Corneille était celui de nos poètes qu’il estimait le plus. Il lisait rapidement presque tous les ouvrages qui paraissaient ; il en approuvait peu et faisait supprimer tous ceux dont la morale ou les principes lui avaient déplu. C’était cette intéressante Joséphine qui était son lecteur ordinaire. Ils ne voyageaient jamais ensemble sans qu’on mît dans la voiture tous les livres nouveaux, que Joséphine avait l’extrême patience de lui lire en route. Madame de Genlis recevait une pension de six mille francs pour lui rédiger des extraits de tous les romans, et elle lui fournissait un bulletin par semaine.   

Chaptal, opus cité, p. 348

 

 

A la fin de l'année 1800, le Premier Consul ordonne à Fouché  de saisir tous les exemplaires d'un ouvrage sur la Pologne. On voit par cet exemple que, du côté des livres, Bonaparte pouvait laisser les libraires publier leurs ouvrages, tout en conservant une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Si un livre paraissait subversif à lui ou à sa police, cette dernière l'enlevait de la circulation.  Et en 1803, quand Régnier avait succédé à Fouché à la tête de la Police (1802-1804), il lui avait demandé "de défendre aux libraires la mise en vente d'un livre sans en avoir déposé un exemplaire à la préfecture de Police sept jours auparavant, de manière à pouvoir au besoin l'interdire." (Ernest d'Hauterive, "Napoléon et la Censure", La librairie, article de la Revue des Deux Mondes,  Volume 61, N° 3, 1er février 1941, pp. 362-377).   

On peut donc affirmer sans se tromper que, dès le début de la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte, aux premiers jours du Consulat, la liberté d'expression, n'existait déjà plus, étroitement encadrée, surveillée et censurée par le nouveau  monarque de la France ou ses organes de police. 

cabinet noir

 

 

    Le cabinet noir

               ou 

“ l'art du ramollissement des cachets 

La violation du secret des lettres date, en France, du règne de Louis XIV ; mais c'est sous Louis XV que fut établi le cabinet noir de l'administration des postes. Je n'ai rien changé à son organisation, j'ai seulement mis à la tête un homme d'une extrême probité ; et je n'ai laissé aucun de mes ministres pénétrer ce mystère infernal. En résumé, c'est une mauvaise institution, qui fait plus de mal que de bien. Il arrive si souvent au souverain d'être de mauvaise humeur, fatigué, influencé par des causes étrangères à l'objet soumis à sa décision! et puis les Français sont si légers, si inconséquents dans leurs correspondances comme dans leurs paroles ! J'employais le plus souvent le cabinet noir à connaître la correspondance intime de mes ministres, de mes chambellans, de mes grands officiers, de Berthier, de Duroc lui-même. Que de fois j'ai surpris le secret de leur dégoût des fatigues de la guerre, de leur mauvaise humeur, parce que je les éloignais des plaisirs de Paris pour leur service près de moi, ou pour l'intérêt de l'État! Tous étaient plus ou moins frondeurs, tous se fussent crus perdus s'ils avaient su que je connaissais la confidence de leur grognerie. Quelquefois, cependant, la violation du secret des lettres m'a été utile. » ​   

 

 Napoléon, paroles prononcées en captivité à Sainte-Hélène, au cours d'un dîner, à l'adresse de William Balcombe (1777-1829), administrateur anglais de la Compagnie des Indes orientales, en présence du général de Montholon (Charles Tristan, marquis de M., 1783-1853), un des  compagnons d'exil que Napoléon fut autorisé par les Anglais à choisir pour l'accompagner, et qui consigna ces mots dans ses "Récits de la captivité de l'empereur Napoléon à Sainte-Hélène",  Tome Premier, Paris, Paulin, Libraire-Éditeur, 1847,  pp. 211-212..

 

“ Lorsque Lavalette était directeur des postes, ajouta Napoléon, je désirais connaître les sentimens de la nation, concernant mon administration. J'assemblai deouze hommes, tous d'opinion différente ; quelques uns étaient jacobins, d'autres royalistes, républicains, impériaux, etc. ; je leur donnai mille francs par mois ; leurs fonctions consistaient à faire tous les mois des rapports à Lavalette, sur les opinions qu'il avaient entendu émettre, et sur la leur propre, relativement aux actes publics. Ces rapports m'étaient apportés par Lavalette, sans être décachetés ; après les avoir lus, et en avoir fait au besoin des extraits, je les brûlais. On mena cette affaire si discrètement, que les ministres eux-mêmes l'ignoraient. 

"Napoléon en exil à Sainte-Hélène, Relation contenant les Opinions et les Réflexions de Napoléon sur les événements les plus importans de sa vie, et ornée d'un fac simile ; recueillies par Barry E. O'Meara, Son dernier Chirurgien...", Tome I,  pp. 144-145, Paris, Chez Plancher, 1822. 

 

   Pour une énième fois, Napoléon applique une recette d'Ancien Régime, cette fois, pour attenter à la vie privée des individus.  L'empereur le confesse en substance, c'est en grande partie pour satisfaire son ego qu'il préférait utiliser le fameux cabinet noir, et non pour protéger de grands intérêts d'Etat. Il a ainsi espionné massivement l'intimité de ceux qui entourent son pouvoir,  et c'est là un trait saillant de tous les dictateurs.   Il n'avait pas pour autant oublié de classer le viol du secret de la correspondance parmi les délits de son Code pénal (article 187). Et ne parlons pas d'une condamnation morale a posteriori de la part du monarque déchu ; le mal dont il parle paraît être celui qu'on lui a fait, plutôt qu'un jugement éthique sur une méthode qu'il a appliquée tout son règne durant. Et  puis s'il en parle ouvertement à son vainqueur anglais, c'est que toutes les puissances européennes y avaient plus ou moins recours. Le principe est par ailleurs bien connu des gouvernants depuis l'antiquité : "À Rome, le secret de la correspondance « était violé par tout le monde » et le pouvoir interceptait les correspondances dressant même, pour ce faire, des embuscades." (Morlot-Dehan, 2005). Et plus près de nous, l'édit de Louis XI du 19 juin 1464 avait déjà instauré la violation du secret de correspondance (Ernest d'Hauterive, "Le Cabinet noir sous l'ancienne monarchie", article de la Revue des Deux-Mondes (1829-1971), Huitième période, vol. 46, N° 1, 1er juillet 1938, pp. 179-198).   

 

Le "cabinet noir" est l'expression de ce qui se nomme officiellement le "Cabinet du secret des Postes" (Maurine Tourneux, "Une épave du cabinet noir de Louis XV", article de la Revue d'histoire littéraire de la France, 4e année, n°1, 1897, p. 35-60).  D'autres appellations avaient cours, et sous Louis XIV, il était plutôt appelé 'Le bureau d'en dedans" (Pascal  Galinier, "« Louis XIV et ses espions », sur Planète+ : la part d’ombre du Roi-Soleil", article du journal Le Monde, 17 avril 2024"

Sous l'Empire, l'institution du cabinet noir coûtait environ 600.000 francs par an, car ces employés peu communs étaient formés à grand frais dans les pays étrangers pour se "familiariser avec les locutions les plus populaires de chaque langue, de même qu'avec les écritures étrangères les plus difficiles et les abréviations les plus usitées. Ces études spéciales se poursuivaient à l'insu même des ambassadeurs, sous le voile de la banque, du commerce ou de la diplomatie"  ("Le cabinet noir...", op. cité, p. 189).  Il y avait parmi eux des spécialistes de la cryptographie, des chiffreurs qui décryptaient les messages codés et qui rivalisaient entre eux parfois pour les messages les plus complexes, car des primes étaient offertes pour la résolution d'un chiffre inconnu.  Il y en avait d'autres qui maîtrisaient la sigillographie et qui étaient capables d'ôter délicatement les pains à cacheter (morceaux de pain sans levain utilisé en guise de cire), ou les cachets eux-mêmes, puis, après examen du courrier, de fondre la cire et de refaire des sceaux à l'identique  (op. cité, p. 188), c'était tout un "art du ramollissement des cachets", selon la formule de Richelieu ou de Beaumarchais, on ne sait pas trop (op. cité, p. 189)

Les employés du cabinet noir étaient payés grassement, à la fois pour leur expertise et pour s'attacher leur fidélité, faisaient partie d'une sorte de caste, se succédant de père en fils dans le secret des lettres, nous apprend le baron Fain (Agathon Jean François F., 1778-1836, fait baron de l'Empire en 1809) qui, pendant le Directoire, recueillait les sommes nécessaires au fonctionnement du Cabinet sur les fonds secrets de la police et des affaires étrangères  (Mémoires du Baron Fain, Premier secrétaire du Cabinet de l’Empereur — Publiés par ses arrière-petits fils — Avec une introduction et des notes par P. Fain, chef d'escadron d'artillerie", Paris,  Plon-Nourrit et Cie, 1908, p. 49). 

 

Par ailleurs, le Directeur des Postes, depuis Louis XV, était dans le secret, et c'est sous son règne que le cabinet noir devint une institution bien organisée. Sous le Directoire, le "Commissaire général  des Postes aux lettres et aux chevaux", Martin-Michel-Charles Gaudin (1756-1841),  fut chargé de réorganiser le Cabinet noir. Il deviendra plus tard ministre des Finances sous le Consulat et l'Empire, sera fait officier de la Légion d'honneur en 1804, puis Grand Aigle l'année suivante, et deviendra comte de l'Empire en 1808 et duc de Gaëte en 1809, doté de terres en Westphalie, Hanovre, au royaume de Naples et en Illyrie, sans parler d'une gratification annuelle de 100.000 francs en plus de ses appointements ("Gaudin...", notice biographique de la Fondation Napoléon). 

 

​​Sous Napoléon le portefeuille de maroquin rouge qui cachait les lettres choisies pour être espionnées portait la mention Gazettes étrangères, pour ne pas attirer l'attention  (Mémoires du Baron Fain, op. cité,  p. 46)​​​L'empereur confia à son ancien aide de camp Lavalette la haute main du cabinet des secrets. Antoine Marie Chamans de Lavalette (1769-1830) avait épousé Emilie de Beauharnais, nièce de Joséphine  par la volonté de Napoléon. Ce moment particulier, vu par Lavalette lui-même, mérite d'être raconté ; il est instructif de diverses manières. Il montre pour une énième fois la manière autoritaire et égoïste qu'avait Napoléon de contrôler la vie de ses proches jusque dans leurs activités les plus personnelles, mais aussi l'avantage que confère la position de pouvoir dans la domination des individus, et à l'inverse, la soumission qui en résulte, et enfin, ses attitudes très patriarcales et misogynes, infantilisant et invisibilisant les femmes. Lavalette, à l'inverse, d'une toute autre pâte, se montre ici très respectueux du consentement  des femmes : 

"Tous mes camarades avaient été avancés ; le général désirait aussi me récompenser : mais ne voulant pas s'exposer à un refus de la part du gouvernement, il se mit en tête de me faire épouser mademoiselle de Beauharnais. Un jour que je l'accompagnais à la Trésorerie pour presser l'expédition d'un fonds dont la marine avait besoin à Toulon, il fit diriger sa voiture vers les nouveaux boulevarts pour causer à son aise. « Je ne peux vous faire chef d'escadron, me dit-il ; il faut donc que je vous marie : je veux vous faire épouser Émilie de Beauharnais ; elle est très belle et bien élevée. La connaissez-vous ?  — Je l'ai vue deux fois. Mais, mon général, je suis sans fortune ; et nous allons en Afrique, et je pourrai bien y être tué ; que deviendra la pauvre veuve ? Je n'ai pas d'ailleurs de goût pour le mariage. — Il faut se marier pour avoir des enfans, c'est le grand but de la vie. Être tué, cela est possible : alors elle sera la veuve d'un de mes aides-de-camp, d'un défenseur de la patrie ; elle aura une pension, pourra s'établir avantageusement.  Maintenant, fille d'un émigré, personne ne veut d'elle ; ma femme ne peut la conduire dans le monde. La pauvre enfant est digne d'un meilleur sort. Il faut que cette affaire soit terminée promptement. Causez ce soir avec madame Bonaparte : la mère a donné son consentement ; dans huit jours la noce,  et je vous donnerai quinze jours de bon temps. Vous viendrez me joindre à Toulon le 29. (Il me parlait ainsi le g.) Je riais pendant tout ce discours. — « Enfin je ferai tout ce que vous voudrez. Mais la jeune personne voudra--t-elle de moi ?je ne veux pas la contraindre. — C'est une enfant qui s'ennuie à la pension, qui sera malheureuse chez sa mère. Pendant votre absence, elle ira vivre avec son grand-père à Fontainebleau. Vous ne serez pas tué, et dans deux ans vous la retrouverez. Allons, c'est une affaire arrangée. Dites au cocher de retourner à la maison." 

 "Mémoires et souvenirs du Comte Lavalette, aide de camp du général Bonaparte, conseiller d'État et directeur général des postes de l'empire ;  publiés par sa famille et sur ses manuscrits. Tome Second   (1800-1829)", Paris, H. Fournier Jeune,  1831, pp. 256-258)

 

Une des premières mesures de Lavalette fut d'éloigner les directeurs d'administration qui avaient, confie-t-il dans ses Mémoires, "la funeste habitude de livrer à la police de tous les coins de France les lettres qu'elle réclamait comme suspectes. Je détruisis violemment cet abus, en éloignant de l'administration ceux des directeurs qui l'avaient commis ; et du moins les secrets des citoyens ne furent plus prostitués à la pire espèce des hommes..."  

 

"Mémoires et souvenirs du Comte Lavalette, op. cité,  pp. 10-11).

 

On voit encore par cet exemple du Cabinet noir,  que Napoléon est dans la droite ligne de tous les chefs suprêmes depuis des siècles et des siècle, qui s'affranchissent comme ils le souhaitent de toutes les obligations morales. Le baron Fain exprimait la chose ainsi :

"Cette violation du cachet était un sacrilège, sans doute, mais de la nature de ceux que les pontifes s'attribuent le droit de commettre. (Mémoires du Baron Fain, op. cité, p. 46)

projet

 

                   Projet de Code criminel  : 

                       “ des malfaiteurs atroces, 

            qui n'ont que la figure humaine

 

 

A l'instar du Code civil, le Code pénal a été lui aussi l'objet de travaux préparatifs d'un Code criminel, correctionnel et de police,  pour lequel est nommée, le 7 germinal IX (21 mars 1801),  une commission de cinq membres, juristes d'expérience, qui vont rédiger le nouveau code criminel, à savoir : René-Louis-Marie Viellart (ou Vieillart, 1754-1809), qui a été procureur général à Reims, juge au tribunal de cassation ;  Guy-Jean-Baptiste Target (1733-1806), conseiller à la Cour de cassation de 1798 à 1806 ; Nicolas Oudart (1750-?), "commissaire des vainqueurs de la Bastille", président du tribunal criminel de Paris en 1793 (Martin, 2010), puis conseiller à la Cour de cassation ;  Jean-Baptiste Treilhard (1742-1810),   Président de la Convention nationale (1792-1793), du Conseil des Cinq-Cents (1795-1796), Directeur de la République (1798-1799), président du Tribunal d'appel de la Seine en 1802 ; et enfin Jean Blondel (1733-1810), avocat, jurisconsulte, qui devint président à la Cour d'appel de Paris et qui s'était distingué en 1787   par la Discussion des principaux objets de la législation criminelle.  

 

De la même manière que les juristes qui ont élaboré le Code civil, nous allons nous apercevoir que leurs collègues penchés sur le Code d'instruction criminelle (1808) et le Code pénal (1810) avaient la même mentalité réactionnaire, conforme encore une fois à celle de Napoléon Bonaparte. Dès le tout début du Consulat, la justice commence à saper l'action des jurys populaires, un certain nombre de crimes ayant été "correctionnalisés, afin d’éviter l’indulgence des jurys." (Ortolani, 2017). Oudart, en particulier, reproche aux jurés d'ignorer le droit, la langue française, mais aussi de compliquer à loisir les situations par une infinité de questions simples qu'on doit leur poser pour éviter une question complexe que la loi de 1791 interdisait de leur poser, etc. 

 

La peine capitale, abolie par la Constituante le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), était rétablie le 28 décembre 1801 (7 nivôse an X).  C'est que pour les nouveaux tribuns, qui se réfèrent souvent au code précédent de 1791,  établi par la Constituante, les principes philanthropiques qui l'ont inspiré n'ont pas permis d'atteindre leur but. Il ne faut cependant pas être naïfs, la justice révolutionnaire n'était pas encore l'humanisme moderne des droits de l'homme, en réalité  "saturé d’utilitarisme. Les mots efficace, efficacité, ou leurs antonymes, reviennent sans cesse dans le rapport inaugural de Le Pelletier de Saint-Fargeau* en 1791"  (Martin, 2010)C'est le même esprit utilitariste qui avait animé l'ouvrage célèbre de Cesare Beccaria (1738-1794), Dei delitti e delle pene (Des délits et des peines), paru en 1764, nous y reviendrons dans un autre exposé.  

La philanthropie évoquée plus haut prend aussi sa source dans le fait de croire en la capacité de l'homme à se régénérer, à se perfectionner, là où nos robins réactionnaires, tels Portalis, ou encore Siméon (son beau-frère, nommé  tribun après le coup d'Etat de brumaire), pensaient que les constituants l'avaient idéalisé, avec  "la séduisante douceur d’une philosophie abstraite qui voit les hommes comme elle voudrait qu’ils fussent, même dans leurs égarements."  (Joseph Jérôme Siméon, 1749-1842, "Opinion de Siméon, sur le projet de résolution relatif aux brigands qui s'introduisent dans les maisons par la force des armes et qui torturent les citoyens pour les voler",  Séance du 18 germinal, an V / 7 avril 1797 au Conseil des Cinq-Cents).  C'est avec le même esprit que, préparant la loi du 23 floréal an X (cf. ci-après),  Jean Dominique Leroy de Saint-Arnaud  (1758-1803), député de la Seine, nommé tribun le 25 décembre 1799, trouve la réhabilitation illusoire et décrit la vision qu'il a de la réalité à laquelle les législateurs (et la population avec eux)  doivent faire face, dont le tableau ressemble fort à celui qui était dépeint pour prétexter le coup d'Etat de Brumaire : 

 

"Tribuns, la société réclamait depuis longtemps la sollicitude des législateurs pour réprimer l'audace des hommes corrompus. En vain, des administrateurs, des juges, ont élevé la voix sur l'insuffisance des lois ; en vain ils ont présenté des tableaux sur les progrès du crime, sur l'inutilité de leurs efforts pour le réprimer : on les accuse de barbarie ou de négligence. 

     Il fallait que le crime eût franchi toutes les barrières, que les fers des criminels fussent brisés par la corruption, que la fortune publique et les fortunes privées fussent attaquées de toutes parts, pour revenir à des principes d’une sévérité nécessaire et imposer silence à ces maximes indulgentes d’une philanthropie mal entendue." 

 

Rapport de M. Leroy (de la Seine), 18 floréal (8 mai), dans "La Législation civile, commerciale et criminelle de la France, ou Commentaire et complément des Codes français..., par M. le baron Locré" (Jean-Guillaume L. de Roissy, 1758-1840, jurisconsulte, Secrétaire général du Conseil d'Etat entre 1799 et 1815), Tome vingt-neuvième, Paris, Treuttel et Würtz, Libraires, 1831).       

 

On voit clairement ici que, plus de deux cents ans après, hormis la différence de langage, propre à chaque époque, ce débat est toujours aussi actuel  : on a l'impression d'entendre un représentant de la droite ou d'extrême droite critiquer, au nom du déni de réalité  et du laxisme, une politique de gauche humaniste et progressiste en matière pénale.

  

Target rejette aussi la confiance révolutionnaire dans la capacité des hommes à se bonifier : 

"Les vices sont la racine des crimes ; s'il était possible de l'arracher, la loi n'aurait plus à punir.

  Quoique, pour le génie enflammé de l'amour du bien, l'amélioration de l'espèce humaine ne soit pas une chimère, c'est l'œuvre très lente et plus ou moins incertaine de la sagesse, de la constance du temps."  ("Théorie du Code Pénal.  Observations — Sur le Projet de Code criminel, première Partie, Délits et Peines, présentées par M. Target, membre de la commission chargée de la composition de ce Projet" dans "La Législation civile...", op. cité, p. 7).    

Lui est ses collègues juristes pensent l'homme comme une machine sensible, complètement organique, idées venues tout droit d'Helvétius (De l'Esprit, 1758), dont Beccaria confessera que sa lecture lui fut décisive, mais Helvétius piochait déjà chez Condillac, dont nous avons examiné plus tôt la philosophie, d'un homme tout fait de chimie des sensations. C'est sur ces fondements essentialistes que Target base son argument pour la peine de mort,  à commencer par un préjugé simpliste bien connu, qui consiste à croire que l'idée même qu'on puisse ôter la vie à un individu coupable de crime, va causer à l'avance une terreur propre à le dissuader par avance de son crime. Par ailleurs les termes méprisants et rédhibitoires employés par le juriste montrent bien qu'il considère que  les crimes sont le produit d'une nature humaine viciée en elle-même, et non le résultat d'une situation complexe : 

"De tous  les sentimens qui affectent les hommes grossiers, le plus vif est l'amour de la vie et la crainte de la perdre. La perspective, même prochaine, de l'esclavage et du travail ne donne pas une commotion aussi violente à ces âmes dures, ne porte pas un ébranlement aussi fort aux fibres grossières dont elles sont enveloppées. (...) Que serait-ce que la honte, l'infamie, le carcan, la déportation même, pour des malfaiteurs atroces, qui n'ont que la figure humaine, pour qui l'honneur et l'opinion de sont rien, et qui, dans quelque coin que les jette leur destinée, ne savent plus voir dans leurs semblables que des ennemis à déchirer ?"  (Target, op. cité, p. 11). 

"Un lecteur familier de Voltaire, dont on sait qu'il aime tant à rappeler que « le vulgaire ne mérite pas qu'on pense à l'éclairer », [ 1 ] n'est guère dépaysé lorsque d'entrée de jeu le marquis milanais [Beccaria, NDR] s'emploie à l'avertir que son écriture tiendra à distance « le vulgaire non éclairé » (uno stilo che allontana il volgo non illuminato). [ 2 ] Un familier de Bonaparte, naturellement, pas davantage dépaysé par ce propos. [ 3 ] Beccaria, Voltaire, Target, Bonaparte : aucun d'eux quatre n'est suspect d'un penchant à confondre « les esprits supérieurs » et « l'esprit grossier du vulgaire » (rozze menti volgari). [ 4 ] Sur cet esprit grossier, Beccaria tient que l'idée d'une lourde peine inhumainement interminable (« dans les fers et les chaînes, sous le bâton et sous le joug, dans une cage de fer » [ 5 ] fait plus d'effet que l'instantané de la peine de mort ; Voltaire viscéralement, Target et Bonaparte au moins à l'expérience, estiment l'inverse." (Martin, 2010). 

[ 1 ]   Voltaire à Mme de Bentinck, 23 juin 1752,  D4921, volume XIII  (avril 1752 - mai 1753, D4855-D5302) de la  Correspondance de Voltaire  ("Correspondence and related documents ", 46 volumes, 1968),  soit tomes  85 à 130 des Œuvres complètes ("The Complete Works of Voltaire") dans l'édition définitive (D, Genève, Toronto, Banbury, Oxford, Voltaire Foundation, 1968-1977) de Theodore Besterman , Genève, Institut et Musée Voltaire,  1971. 

[ 2 ] , [ 4 ] , [ 5 ]  Beccaria, op. cité.

[ 3 ]  Pas plus que Bonaparte lui-même :  "Dans le Dictionnaire des Sièges et Batailles que feuilletait l'Empereur, il trouvait son nom à chaque page, mais entouré d'anecdotes tout à fait fausses et défigurées, ce qui le portait à se récrier sur toute la fourmilière des petits écrivains et les indignes abus de la plume. La littérature, disait-il, devenait une nourriture du peuple, lorsqu'elle eût dû demeurer celle des gens délicats."

Las Cases, "Memorial de Sainte-Hélène, ou Journal où se trouve consigné, jour par jour, ce qu'a dit et fait Napoléon durant dix-huit mois", 9 volumes, Imprimerie Lebègue, 1823 ; cité dans l'édition d'Ernest Bourdin : "Mémorial de Sainte-Hélène, par le Cte de Las Cases : suivi de Napoléon dans l'exil par MM  O'Méara et Antomarchi, et de l'Historique de la translation des restes mortels de l'Empereur Napoléon aux Invalides", Tome premier,  Paris, 1842, p. 166

Ainsi, on comprendra pourquoi certains châtiments relevant de l'esprit terrorisant des législateurs du Consulat  continuent d'être employés (comme la guillotine ou "les fers" (travaux forcés au bagne). D'autres sont rétablis, comme une ancienne peine très humiliante, le pilori, un carcan auquel le condamné est attaché, et qui permet l'exposition de ce dernier pendant la journée en place publique. On peut lire sur un procès-verbal, pour une exécution datée du "5e jour complémentaire de l'an IX"  (22 septembre 1801) :  "[le condamné est] attaché [...] à un poteau et [on a] cloué, au-dessus de [sa] tête, un écriteau sur lequel était écrit en gros caractères, [ses] nom, âge, profession, demeure et les causes de [sa] condamnation [... Il est] resté au regard du peuple pendant six heures [sur la place de justice]". L'exécution est datée du 5e jour complémentaire de l'an IX (22 septembre 1801)."  

 

France Archives, Portail National des Archives,  Cote 7U - Juridictions d'exception (1800-1818). 

La loi du 23 floréal an X  (13 mai 1802)  est aussi  une des nombreuses concrétisations de la pensée réactionnaire de Bonaparte et de ses grands et très serviles serviteurs. Elle rétablit  la peine dite de flétrissure (le marquage des corps au fer rouge), en remplacement de la déportation, au travers de la création de tribunaux spéciaux dont les juges sont nommés par le Premier Consul, pour statuer sur le sort des  "criminels récidivistes, tous les crimes de contrefaçon des effets publics, de faux en écriture publique ou privée, et leur compétence est étendue aux incendie de grains, à la contrebande, au faux monnayage. Il n'y a pas de recours en cassation possible. Les condamnations emportent la peine de flétrissure (marque de la lettre R pour les récidivistes et F pour les crimes de faux)."   (France Archives, Portail National des Archives,  Cote 7 U 1 1-53, Tribunal criminel spécial(1801-1811).   

D'autres peines sont en discussion depuis 1801, comme l'amputation du poing pour les parricides, conjugicide, fratricide, etc. ou les peines perpétuelles, autant de peines abolies en 1791 (mais certaines avaient déjà été rétablies par les lois très répressives du Directoire) et qui feront partie de l'arsenal répressif des futurs codes criminel et pénal. 

*   Louis-Michel Le Pelletier (Le Peletier) de Saint-Fargeau (1760-1793), "Rapport sur le projet de code pénal", présenté à l'Assemblée nationale, au nom des comités de Constitution et de législation criminelle", lu à l’Assemblée nationale les 23 mai 1791 , Archives Parlementaires, Tome XXVI, du 12 mai au 5 juin 1791. 

les empereurs

       Les Préfets : 

   “  des empereurs au petit pied

 

 

"La Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) prévoit que le territoire de la République « une et indivisible » est réparti en départements et en arrondissements communaux. Il n’est pas encore question des communes. Mais l’on devine déjà que les particularismes locaux sont considérés comme condamnés et que l’administration ne sera plus qu’un instrument du gouvernement sans la moindre autonomie."  (Tulard, 2014).  La  Loi du 28 pluviôse an VIII  (17 février 1800) répond en partie à cette volonté de Napoléon Bonaparte d'avoir un contrôle plus resserré de tous les départements de France.

Trois mois après Brumaire, "200 nouvelles brigades ont été créées dans l’ouest de la France. En juillet 1801, la gendarmerie comptait 15 689 hommes (environ les deux tiers montaient contre un tiers à pied)(Hicks, 2009)Le préfet commandait cette armée particulière, sous l'autorité suprême de Napoléon et, "hormis son nom, c'était en tout point la Maréchaussée royale de l'Ancien Régime"  (op. cité).  Tocqueville aussi rapprochait le pouvoir du nouveau Préfet, institué par ladite loi dans chaque département,  de celui de l'Intendant de l'Ancien Régime : "Ils semblent se donner la main à travers le gouffre de la Révolution qui les sépare. J’en dirai autant des administrés. Jamais la puissance de la législation sur l’esprit des hommes ne s’est mieux fait voir."  (Alexis de Tocqueville, "L'Ancien Régime et la Révolution", chapitre VI, Des mœurs administratives sous l'Ancien Régime, p. 95, Paris, Michel Lévy Frères, Libraires-Éditeurs, 1856).  Mais si l'Intendant avait sous son autorité des généralités représentant plusieurs départements, le Préfet n'a pas d'autre supérieur que le ministre lui-même ; comme dira Chaptal,  rapporteur avec Rœderer du projet de loi devant le Corps législatif,  "le Préfet ne connaît que le Ministre, le Ministre ne connaît que le Préfet. Le préfet ne discute point les ordres qu’on lui transmet ; il les applique, il en assure et surveille l’exécution(Jean-Antoine Chaptal, Corps législatif, 28 pluviôse an VIII, Assemblée Parlementaire., 2e série, 1, p. 230.)

Ici, se met en place un système extrêmement centralisé de contrôle du territoire qui veut échapper à la collégialité de l'administration révolutionnaire, au nom de l'efficacité : "administrer doit être le fait d'un seul homme et juger le fait de plusieurs" (Rœderer, Assemblée Parlementaire, 2e série, l, Corps législatif 18 pluviôse, p. 169). En effet, selon l'article 3 de la loi "le préfet sera chargé seul de l'administration",  le conseil général ne disposant que d'attributions limitées, circonscrites principalement à la répartition des contributions. Ceci étant dit, la collégialité  sous la Révolution était bien relative , car "l'autonomie des autorités locales découlant de leur élection n'a cessé, tout au long de la période révolutionnaire, d'être battue en brèche, le pouvoir central s'efforçant d'assujettir à son contrôle le fonctionnement des administrations locales, notamment par l'institution de représentants, permanents ou temporaires, directement désignés par ses soins." (Prétot, 2000).

 

 Ce dispositif, comme beaucoup d'autres, construit un système dont nous avons hérité, de concentration de  pouvoirs coercitifs dans la main de quelques uns (préfets, sous-préfets, maires) sans participation (et surtout, décision)  aucune du citoyen ; Chaptal parlera d'une "chaîne d'exécution qui descend sans interruption du ministre à l'administré avec la rapidité du fluide électrique.(Chaptal devant le Corps législatif, 23 pluviôse, A.P. 2e série, l, p. 230). Bien entendu, dans un tel système où le préfet est nommé par le pouvoir,  l'indépendance d'esprit de l'intéressé n'est pas envisageable une seconde  : 

« La confiance du gouvernement dans le corps préfectoral, dont témoigne l'aménagement du régime électoral, a nécessairement comme symétrique l'exigence d'une fidélité et d'une loyauté entière impliquant une discipline préfectorale rigoureuse. Il est entendu très rapidement que le préfet n'a pas d'opinion personnelle: il est "l'homme du gouvernement" et son rôle est de faire prévaloir la ligne politique que celui-ci a déterminée. »  (Geraud-Llorca, 2000).

Lucien Bonaparte rappelle très bien à quel point le préfet doit être la marionnette, ou le perroquet du gouvernement, au choix  :  "Toute idée d'administration et d'ensemble serait détruite si chaque préfet pouvait prendre pour règle de conduite son opinion personnelle sur une loi ou sur un acte du gouvernement. Il devient simple citoyen, quand, au lieu de se borner à exécuter, il a une pensée qui n'est pas celle du gouvernement, et surtout quand il la manifeste"  (Lucien Bonaparte, Circulaire du 6 floréal an VIII / 26 avril 1800, "Recueil des lettres circulaires, instructions et autres actes émanés du ministère de l’Intérieur". Paris, Imprimerie nationale, 1802, tome III, p. 183). 

Le préfet est donc un obligé de celui par qui il exerce son autorité, et qui peut à tout instant l'en dessaisir. Le décorum prévu à cet effet est là pour le lui rappeler, comme la prestation de serment aux Consuls : "Ce serment politique, institution révolutionnaire typique pérennisée, dénote autant l'obéissance que l'appartenance. Intronisés émissaires et auxiliaires du gouvernement, les préfets reçoivent comme mission primordiale la mise en œuvre du régime électoral établi par la constitution de l'an VIII, consistant dans la confection des listes de confiance ou de représentation, ensuite retouchées par le senatus consulte de l'an X qui a introduit les collèges électoraux destinés à perfectionner la maîtrise gouvernementale de l'électorat."  (Geraud-Llorca, 2000).  Les missions de ce haut serviteur de l'Etat ne s'arrêtent pas là  et c'est aux préfets, par exemple, que revient la "mise en condition du peuple aux initiatives gouvernementales sensibles. Tout d'abord la solution du conflit religieux sans laquelle la pacification du pays était inconcevable" (op. cité),  par l'application du régime concordataire, mais aussi l'habituation de l'opinion publique à l'évolution constitutionnelle entre l'an X et l'an XII, qui devait conduire à l'établissement du Consulat à vie, puis à l'hérédité impériale  (op. cité).  

 

En contrepartie de cette allégeance au pouvoir, ils reçoivent eux-mêmes le pouvoir de nommer les maires et les adjoints des communes au-dessous de 5000 habitants.  Et sous l'Empire, les préfets auront une autorité quasi absolue "par l'indépendance totale dont ils bénéficient vis-à-vis des notables : ils n'ont pas à composer avec eux contrairement à leurs successeurs qui seront confrontés au parlementarisme ainsi qu'au suffrage universel"  (op. cité). Et ne parlons pas des "douze, quinze et jusqu'à vingt-quatre mille francs d'appointements" annuels qu'ils perçoivent dans leur fonction.  

 

On comprend maintenant pourquoi Napoléon, plus tard, sur l'île de Sainte-Hélène, déclarera  :

"Les préfets, avec toute l'autorité et les ressources locales dont ils se trouvaient investis, ajoutait l'Empereur, étaient eux-mêmes des empereurs au petit pied;  et comme ils n'avaient de force que par l'impulsion première dont ils n'étaient que les organes, que toute leur influence ne dérivait que de leur emploi du moment, qu'ils n'en avaient point de personnelle, qu'ils ne tenaient nullement au sol qu'ils régissaient, ils avaient tous les avantages des anciens grands agents absolus, sans aucun de leurs inconvénients. Il avait bien fallu leur créer toute cette puissance, disait l'Empereur. .le me trouvais dictateur, la force des circonstances le voulait ainsi ; il fallait donc que tous les filaments issus de moi se trouvassent en harmonie avec la cause première, sous peine de manquer le résultat."   

 

"Las Cases, "Memorial de Sainte-Hélène..." op. cité,  p. 400-401).  

On comprendra aisément que ces petits empereurs, dont la gloire devait refléter celle du plus grand au-dessus d'eux, partageaient avec lui (et pour lui, par-dessus tout) les expressions de sa magnificence  : "Le Premier Consul voulait que les préfets eussent une maison montée et de la représentation, qu'ils donnassent des repas, des bals, des fêtes, pour procurer de la considération à l'autorité, de la dignité au gouvernement et lui rallier les partis."  ("Mémoires de A.-C. Thibaudeau – 1799-1815", Paris, Plon-Nourrit, 1913,  p.15). 

On peut alors avancer que Bonaparte, sous le Consulat,  "met en place de nouvelles institutions qui parviendront jusqu'à nous, tant elles ont paru conformes aux nécessités de notre pays" ("Napoléon et la naissance de l’administration française, Napoleon.org), opinion partagée par une grande quantité d'articles laudateurs sur le petit caporal, mais, au vu des faits, on est tout à fait en droit de penser que la ploutocratie française, sous le règne de Napoléon Bonaparte, a réorganisé, consolidé et verrouillé pour longtemps le pouvoir de quelques uns sur et au détriment du grand nombre, par l'emprise considérable des élites sur la vie et le bien-être de la population, par sa reproduction savamment entretenue dénoncée jusqu'aujourd'hui, nous le verrons, par nombre d'historiens ou de sociologues,   un grand pan de cette administration étatique ayant, en effet,  été solidement conservée jusqu'à ce jour.  L'œuvre de Napoléon a ainsi renforcé solidement le pouvoir et la domination d'une classe de nantis, et elle a éloigné d'autant toute forme de société plus coopérative, plus égalitaire, plus juste, mais aussi plus libre, indispensables traits d'un bonheur commun. 

biblio

                   

                     

 

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TULARD Jean, 2014,  "Napoléon et 40 millions de sujets La centralisation et le premier empire", chapitre VII, La loi du 28 pluviôse an VIII, pp. 87-96

VIAL Charles-Éloi, 2014,  "Le règlement pour le service du Grand maréchal du palais : édition du manuscrit français 11212 de la Bibliothèque nationale de France",  article de Napoleonica. La Revue, n° 20(2), pp. 2-101.  

WERTHEIMER Édouard, 1896,  "Documents inédits sur le divorce projeté entre le roi Louis Bonaparte et la reine Hortense", article de la Revue Historique, Tome 61, Fascicule 1, pp. 62-71.

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