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                  Afrique noire,  
  dominations et  esclavages

  [ I ]  Antiquité

 

cf. plus bas :  tombe Merneptah

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Carte de la Nubie antique

basée sur 

Claude Rilly, J. Picard,

D. Bonardelle (Cnrs-LLACAN*)

(Rilly, 2017a)

         *  laboratoire Langage LAngues et Cultures d'Afrique Noire

neolithique 1

 

 

Néolithique  :  L'avènement des inégalités

                                ( I )

 

Après avoir produit l'homme moderne, raconte le chercheur Eric Huysecom, maître de recherche à l'Université de Genève, l'Afrique "a aussi offert à l'humanité plusieurs innovations majeures : une métallurgie du fer dès le XIVe siècle avant notre ère, à une époque où ce métal était encore inconnu en Europe occidentale ; la domestication des bovidés dans le courant du IXe millénaire avant notre ère, soit plus de 1 000 ans avant la Grèce ou le Proche-Orient et, découverte récente, l'une des céramiques les plus anciennes du monde, puisqu'elle remonte au début du Xe millénaire avant notre ère" (in "Un Néolithique ancien en Afrique de l'Ouest ?", revue Pour la Science, n° 358).  Le problème pour la connaissance du lointain passé du continent africain, c'est que tous ces développements se sont passés essentiellement au nord du continent,  dans les régions sahariennes qui n'étaient pas encore désertifiées (qui seront étudiées dans un autre exposé), ou  subsahariennes, essentiellement la région égypto-soudanaise. Pendant ce temps,  une très grande partie centrale, mais surtout australe, était occupée  par des populations de chasseurs-cueilleurs, qui possédaient leurs cultures propres, comme toute population humaine, mais qui n'ont laissé que très peu de traces tangibles susceptibles de nous  éclairer sur leur histoire, faute d'écriture et de témoignages archéologiques suffisants, si ce n'est de très nombreuses gravures rupestres, en particulier, comme celles de l'art pariétal des San, ancêtres des Bushmen, qui nous renseignent sur ce qu'on pense être des pratiques religieuses (chamaniques, rituelles), mais pas sur leur organisation sociale. En conséquence, notre principale source de connaissance quelque peu fournie sur l'Afrique noire dans l'antiquité, demeure la région soudanaise, en grande partie grâce à son voisin égyptien qui était alors le seul en Afrique à posséder une écriture, l'écriture méroïtique nous le verrons, étant très tardive, et probablement pas une langue assez bien outillée pour faire naître une véritable littérature. 

Différents témoignages proto-historiques nous le verrons, indiquent, comme dans d'autres endroits dans le monde, qu'existaient déjà en Afrique des conflits guerriers entre communautés, mais aussi que nombre d'entre elles étaient socialement hiérarchisées depuis des temps très anciens  :  Dès l'existence des premiers cimetières en Nubie, on trouve des traces de cette violence guerrière, comme au Djebel (Gebel) Sahaba, en Nubie, au nord de Wadi Halfa, à la frontière avec l'Egypte actuelle, où 55 squelettes, datés de - 12.000 à - 10.000 environ, ont été trouvés entourés d'éclats taillés, et certains individus meurtris par eux  jusqu'à l'os. 

 

A la fin du mésolithique, dans la période holocène (12.000 dernières années), plusieurs squelettes en position repliée, dont un seul est accompagné de mobilier, ont été trouvés à El-Barga (cf. carte en exergue) dans la périphérie de Kerma, datés de 7200 à 6200 avant notre ère, ainsi qu'une seule structure d'habitation possédant un riche mobilier : céramique, matériel de mouture, objets en silex, perles en coquille d’autruche, pendentif en nacre, armatures en os, restes de faune, coquillages  (Honegger, 2004, mission Kerma).  Dans le cimetière néolithique (6000-5500), beaucoup de tombes possèdent du mobilier,  trois tombes sur 95 sont abondants en parure  (bracelets en ivoire d'hippopotame, colliers, pendentifs, labrets, etc.)  et occupent le centre de la nécropole, dont la plus richement dotée est celle d'une femme : cette position enviable d'une femme n'est pas rare, elle se retrouve dans plusieurs autres cimetières de Nubie, comme Kadruka, à 20 km d'El-Barga  (Gallay, 2016 ; Honegger, 2005)Mieux encore, figuraient dans cette tombe féminine des haches ou des harpons, outils et armes généralement réservés aux hommes.  Cette hiérarchisation concerne peut-être aussi une tombe qui contenait, comme à  Kadruka (vers - 4000 -3000, cf. carte), la sépulture d'un homme placé à côté d'un corps d'enfant surmonté d'un bucrane (crâne de bœuf décharné et parfois, orné), objet qui se multipliera à la période suivante, nous allons le voir, pour manifester de manière éclatante la richesse et le prestige des individus au sein de leur communauté.

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 Parures  

 

Cimetière d'El-Barga,  Soudan

 

"Coquille de bivalve du Nil (Unio sp.) servant parfois de boîte ou de réceptacle pour de petits objets, boucles d’oreilles en mésolite, labrets en cornaline et amazonite, bracelets en ivoire d’hippopotame ou en coquillages, collier de perles en cornaline et amazonite. 

 

      Néolithique,  v.  - 6000 - 5500 

 

Musée de Kerma,   Soudan

       N° inventaire   :   36326, 36311, 36312, 36315

                           36322, 36309, 36307.

  

 Au nord-ouest de Gao, au Mali, les riches matériels lithiques, d'éclats, de perles en cornaline,  sans parler de la céramique ou la nourriture, donnent à penser que les productions "dépassaient de loin la demande locale"   (Dupuy, 2020)

Des signes plus ténus peuvent évoquer les débuts de luttes d'intérêts, des guerres entre groupes rivaux qui inaugurent peut-être de nouvelles inégalités entre communautés,  comme à Abourma, près de Djibouti, qui possède une sorte d'immense tableau historique d'une longue période sur des gravures rupestres, où on peut voir de rares scènes de combats entre archers   (Poisblaud, 2009)                                       

Entre le mésolithique et le néolithique, il s'est donc passé un temps où les distinctions sociales sont nettement apparues :  

"Les différences entre les tombes attribuées au Mésolithique et le cimetière néolithique sont fondamentales. D’un côté, des inhumations en faible nombre, sans mobilier, toutes de statut identique; de l’autre, une véritable nécropole avec au moins cent sépultures souvent dotées de mobilier, indicatrices de l’émergence des distinctions sociales. En un millénaire, la société nubienne a complètement changé de type d’organisation. Cette transformation doit être mise sur le compte de l’introduction de la domestication animale, dont les plus anciens témoignages au niveau du continent africain ont été retrouvés dans la moyenne vallée du Nil, à Nabta Playa en Égypte et à Kerma."  (Honegger, 2005)

La nécropole de Kerma est probablement liée à une communauté présente dès la fin du IVe millénaire. Au nord, les tombes de l'époque de ce Kerma ancien, à la phase 0 sont de taille encore à peu près uniforme, le matériel funéraire se limite à quelques objets personnels (petites parures, éventails en plume d'autruche, paires de sandale, poignard, etc.), et pourtant, on note la présence (peu nombreuse cependant), ici ou là, d'un ou deux morts d'accompagnement, formule qui s'applique aux individus le plus souvent forcés, mais aussi parfois, peut-être volontaires, à qui on donne la mort pour qu'ils accompagnent leur défunt maître dans l'au-delà : esclaves, serviteurs, principalement, mais aussi épouses, concubines, famille, amis, relations clientélistes sont les principaux concernés  (Gallay, 2016) Cette coutume archaïque est commune à de nombreuses cultures du monde : cf. LA PRÉHISTOIRE).  

     volontaires  :   supposition faite par l'absence de violences manifestes lors d'une telle contrainte, qui ne doit pas exclure la possibilité d'utilisation de drogues, pratique connue dans d'autres cultures, telle la culture inca, qui a utilisé des drogues psychotropes lors de sacrifices humains (Wilson, 2016).   

 

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      Tombes avec mort d'accompagnement    

   Nécropole de  Kerma  

                          

           Kerma ancien, vers 2300-2150    

     "Tombes d’un archer et d’une femme munie d’un bâton, phase II du Kerma ancien (2300- 2150 av. n.-è.). La tombe d’archer contenait deux individus: un jeune homme en position centrale et une femme déposée à ses côtés. Un chien, un arc, un éventail en plumes d’autruche et un miroir en bronze accompagnaient le jeune homme. La tombe avec un bâton contenait une femme de 20-29 ans. Ces deux tombes étaient partiellement pillées et une partie des squelettes a été graphiquement reconstituée en grisé"                                 

                                                               

 

"Le changement observé dans les procédures rituelles à Kerma, c’est-à-dire, la mise à mort de dizaines, centaines, voire milliers de bovins et le dépôt en surface de leurs bucranes, est révélateur de la hiérarchisation croissante de la société vers la fin du 3e millénaire avant notre ère. Nous assistons à l’émergence d’individus ou de clans cherchant à se démarquer publiquement, en exposant ostensiblement et durablement leurs richesses, actes ou statuts sociaux (Meillassoux 1968). Le bétail est en effet considéré comme un signe de richesse et de prestige dans les sociétés agropastorales et pastorales est-africaines (Hazel 1979 ; 1981). De tels rites nécessitent probablement la participation de spécialistes chargés de réunir les bovins à abattre, de les découper et de disposer régulièrement leurs crânes autour des tumulus. La possession du bétail pourrait avoir joué un rôle essentiel dans la formation et le maintien du pouvoir politique et de l’autorité sacrée ou royale à Kerma(Dubosson, 2015).   

neolithique 2

 

   Néolithique  :  L'avènement des inégalités

                                     ( II)

                       Marquer les corps

La domination sociale du groupe sur l'individu comporte aussi des pratiques plus ou moins attentatoires à l'intégrité du corps, connues depuis le paléolithique supérieur,  mais surtout à partir du néolithique, et ce dans beaucoup de cultures du monde, et un certain nombre d'entre elles ont persisté jusqu'à ce jour. Certaines de ces coutumes sont relativement "égalitaires", comme les mutilations bucco-dentaires, les trépanations, les tatouages, les déformations crâniennes,  etc., pratiquées sur l'un et l'autre sexe, quand d'autres ont pour but de contrôler le corps féminin : infibulation, clitoridectomie, subincison, excision, etc. 

On a ainsi trouvé  un crâne fossile présentant des mutilations dentaires, possiblement du néolithique à Olduvaï, au nord-est de la Tanzanie (Baudouin, 1924 ; Saul 2003 ; Pecheur, 2006, cf. Carpentier, 2011).  Ce sont des coutumes aux motivations esthétiques (ex. Bantou, Pygmées du Congo), totémiques (affilage des dents pour imiter la dentition du crocodile, chez les Bantous, encore),  ou encore mythiques  (Carpentier, 2011) : 

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 Jeune homme de 25 ans  mutilé au Congo-Brazzaville en 2007 

    (Molloumba er al., 2008)

                

La trépanation, était, elle aussi, répandue dans le monde, en Europe, en Sibérie, en Afrique et surtout en Amérique du Sud, en particulier le Pérou. Dans un village néolithique trouvé à Khor Shambat  (district d'Omdourman), au Soudan, a été trouvé un crâne avec des signes de trépanation (vers - 5000) pour des raisons thérapeutiques ou magiques, dont l'opération a peut-être été un échec : ce serait le plus vieux cas de l'Afrique septentrionale  (Jórdeczka, et al. 2020

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De même,  la déformation du crâne, obtenu surtout par bandeaux serrés autour de ce dernier, a été pratiquée sur tous les continents depuis une date très reculée (celles du Pléistocène, vers - 45000 ont été cependant remises en cause). En Afrique, c'est en Ethiopie  qu'on trouve les premiers témoignages de cette pratique entre les VIIIe et VIIe millénaires avant notre ère, qui était encore vivace chez les Mangbetu du Congo, ou les Arawe de Nouvelle Bretagne en Océanie au milieu du XXe siècle  

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La perforation du corps, pour y insérer un ornement a été attestée surtout dès le néolithique, mais de nouvelles études sur un squelette trouvé  dans le célèbre site des gorges d'Olduvaï en Tanzanie, en 1913, a révélé le premier cas connu en Afrique de piercing facial, qui date de 20.000 ans, avec trois piercings, un pour les lèvres (labrets, sans doute de bois) et un pour chaque joue, éléments de 2 cm de large au minimum (Willman et al., 2020).  A la fin du néolithique, vers  - 4500 - 3950, les archéologues ont trouvé des labrets polis en quartz hyalin dans la région Borkou-Ennedi-Tibesti, au nord du Tchad, et dans la vallée du Tilemsi, au Mali  (Bouvry, 2011).  Ceux-ci devaient être, très probablement comme aujourd'hui, des marqueurs symboliques, d'identité sociale, où esthétiques, qu'on trouve encore chez les Kirdi du Cameroun ou les Mursi et les Surmas (Suri) d'Ethiopie, où il ne concerne que les femmes : 

 

labrets-surmas-fleuve omo-ethiopie.jpg

 

On pratiquait déjà des incisions au niveau du sexe il y a 30.000 ans et on a trouvé des indices de circoncision et de scarifications datant de 10.000 ans (Obadia, 2016), mais la première représentation connue de circoncision est plus tardive. Elle a été trouvée en Egypte, à Saqqara, sur un bas-relief de la porte de la tombe d'Ankhmahor,  vizir et architecte du pharaon Téti  :

 

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    Opération de circoncision rituelle  

   Tombe d'Ankhmahor, Saqqarah, Egypte

                     VIe dynastie, règne de Téti                

           vers -  2345  

   

      

      "À droite, un garçon est debout, à l’aise, sa main gauche sur la tête d’un homme accroupi devant lui. L’homme applique quelque chose sur le pénis du garçon, probablement pour rendre l’opération moins douloureuse, ce que confirment les hiéroglyphes qui accompagnent la scène : « Je la rendrai agréable». Le patient répond : « Frotte-le bien pour que ce soit efficace. » À gauche, une troisième personne, debout derrière le garçon, le tient d’une main ferme, tandis qu’un prêtre hem-ka exécute l’opération"    (Tomb, 2022)


 

                                                               

 

Au-delà des raisons purement religieuses (appartenance, rituel de passage, etc.), la circoncision était pratiquée parfois dans des buts prophylactiques, censés éviter certaines maladies : il n'existe cependant toujours pas de preuve scientifique de la valeur médicale de cette pratique et, s'agissant du sida, on a la preuve aujourd'hui que la circoncision est, au contraire, un facteur aggravant (Garenne, 2012). Cette coutume flotte toujours en France dans un no man's land juridique,  critiquée mais tolérée pour des motifs religieux, qu'invoquent juifs et musulmans, surtout.

 

Les mutilations du sexe concernent aussi bien les hommes que les femmes dans l'histoire.  Chez les hommes, si la circoncision, qui désigne l'excision du prépuce, est une mutilation mineure, l'émasculation ou la castration sont bien plus douloureuses et ont une conséquence gravissime : elles privent les individus de la fonction de procréer, sans parler des dégâts psycho-sociaux induits. Ce sont de très anciennes pratiques, là encore : Il est question d'eunuques déjà dans les anciens Vedas indiens, dans la littérature chinoise au début du IIe millénaire avant notre ère, et en Mésopotamie, le châtiment de castration en punition des crimes sexuels est mentionné, par exemple, dans le code d'Hammourabi, vers 1750 avant notre ère. Présente dans les mythes égyptiens ou grecs, la castration est infligée à Osiris par son frère Seth,  à Uranus par son fils Chronos   (Androutsos et Marketos, 1993).  

De même que dans beaucoup d'autres pays, de nombreuses cours de rois africains sont entourées d'eunuques. Au XVIe siècle, c'est le grand eunuque de l'empire Oyo, chez les Yorubas du Nigeria, qui dirige la justice, et les principaux chefs civils et religieux sont aussi des eunuques  (Stride et Ifeka, 1971), choisis par l'empereur,  au titre d'Alafin (ou Alaafin)  : "propriétaire du palais", en langue yoruba, sensé descendre en ligne directe du dieu Sango (Shango), divinité (orisha, orixá) du tonnerre.  Du XIIe au XVIe siècle, les empereurs songhays de Gao, au Mali, siégeaient "sur une sorte d’estrade, entouré de 700 eunuques" (Sékéné-Mody Cissoko,  "Les Songhay du XIIe au XVIe siècle", in Histoire Générale de l'Afrique, volume IV, L'Afrique du XIIe au XVIe siècle, dir. D. T Niane, 1991, chapitre 8, p. 222,  Editions Unesco, 8 volumes de 1980 à 1999).  A la cour du roi du Dahomey, et ce sera le dernier exemple, selon des voyageurs du XIXe siècle, le monarque était entouré de deux grands serviteurs de son palais, un eunuque, le Tononou, "ministre des résidences royales, chef redouté et absolu de la maison du roi" (Alpern, 1998), et son second, le Kangbodé (Cambodé), principalement  garde-magasin. 

 

Les mutilations effectuées sur le sexe des femmes sont, quant à elles, purement idéologiques, au service de l'asservissement des femmes, comme l'excision clitoridienne ou clitoridectomie, une ablation partielle ou totale du clitoris, l'organe du plaisir féminin. Pour l'homme, l'opération d'excision profite au désir, pour la femme, à l'inverse, elle l'amoindrit dans le meilleur des cas, où le supprime.  

 

Stéphanie Auffret fait remonter cette pratique à la fin du néolithique, vers 5000 ou 6000 ans avant notre ère (Auffret, 1983), et des momies égyptiennes sont "si bien conservées qu'on pouvait détecter sur leurs corps non seulement des traces d'excision, mais aussi d'infibulation"  (Hosken, 1982 : 75). Il  n'est donc pas étonnant qu'Hérodote rapporte l'existence de cette "circoncision pharaonique"  en Egypte, en Ethiopie, en Phénicie, en Syrie, en Palestine ou en Colchidie (Hérodote, Histoire [ou Enquête], II, 104, vers 469/467).  Dans certaines contrées (Soudan, Ethiopie, en particulier),  après l'excision on suture les petites ou les grandes lèvres pour rétrécir l'orifice vaginal, opération appelée infibulation, au moyen d'une lame ou d'épines d'acacia, en particulier, qui font office d'agrafes, et qui ne laissent qu'une ouverture minimum pour l'urine ou les menstruations.  Ces coutumes, bien que dénoncées par l'ensemble des défenseurs les droits humains, sont encore très présentes en Afrique, nous le verrons plus tard. 

sous tes sandales

 

“ tous les pays étrangers sont sous tes sandales ”

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A 



B 

                                           

 

 

 

     Scène nagadienne , relief   

A . Montage photographique des clichés de von Friedrich Wilhelm Hinkel (1925-2007), présentés par Charles Bonnet (né en 1933), dans son article "Le groupe A et le pré-Kerma", dans  "Soudan, royaumes sur le Nil", ouvrage collectif, Paris, Institut du Monde Arabe, 1997, p. 37.

B. Nouveau relevé du relief, échelle 1/10e

Sur ce relief, on peut voir clairement des prisonniers les mains dans le dos, l'un à droite du serekh (cf. plus bas), le second attaché en plus par le cou à la proue, au moyen de cordages,  les autres prisonniers étant blessés ou morts non loin du bateau. 

       Djebel Cheikh (Gebel Sheikh)  Suleiman,  2e cataracte du Nil

 

          275  x   80 cm        

 

    vers - 3250      

    groupe A :   vers- 3200 - 2800

 

Les archéologues, dans l'ensemble, attribuent ce relief au troisième pharaon de la première dynastie pharaonique égyptienne, le roi Djer († vers - 3040), mais certains chercheurs datent plutôt ces vestiges  de la période prédynastique de la culture de Nagada (vers - 3800 - 3150), à cause du manque de titulature royale. 

       (Somaglino et Tallet, 2014),

Celle-ci est habituellement inscrite dans le serekh (litt. "bâtiment"), sous la figure d'un ou deux Horus (le dieu faucon), symbole du palais royal, visible tout à gauche de la scène. 

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Comme de très nombreuses sociétés dans le monde entier depuis la fin de la  LA PRÉHISTOIRE,  de nombreuses sociétés africaines sont très hiérarchisées nous l'avons vu, et présentent différents signes d'asservissement.  Dès l'époque thinite, au moins, en Egypte (vers - 3100 - 2700), un des tout premiers pharaons, Djer,  ponctionne des hommes et des femmes au sud du pays,  dans les régions soudanaises de Nubie, comme l'illustre un relief retrouvé au Djebel Cheik  Suleiman, près des sites de Kor et Buhen du Moyen empire, aujourd'hui au Musée de Khartoum :  

egypte pharaonique-carte 1e-3e cataractes.jpg

Il en va de même avec le pharaon Snefrou (vers - 2600), de la IVe dynastie,  dont un document nous dit qu'il avait effectué un raid contre "le pays des noirs" (Jiménez-Serrano, 2006). Quelques siècles plus tard, les tombes de la colline de Qoubbet-el-Haoua (Qubbet el-Hawa), à Assouan, nous apprennent l'intense activité des notables locaux dans des expéditions en Nubie. Les voyages à l'étranger d'Herkhouf (Hirkhouf) "responsable des troupes auxiliaires", qui repose dans la tombe 34, avaient plutôt une vocation commerciale, en particulier  au pays mystérieux de Iam (Yam), que les spécialistes peinent encore à localiser, mais aussi dans les provinces nubiennes. Il les raconte dans son autobiographie inscrite sur la façade de son tombeau : "Je suis revenu avec 300 ânes chargés d’encens, de bois d’ébène, d’huile hékénou, d’aromate (khé)saÿt, de peau(x) de léopard, de défense(s) d’éléphant, de bâtons de jet et de toutes sortes de beaux présents(in Obsomer, 2007a).   Quant à Héqa-ib, son contemporain, dans la tombe 35, il raconte ses différentes missions menées pour le roi Néferkarê Pépi II (vers 2270-2200), dont le but principal, rappelle l'égyptologue belge Claude Obsomer visait "à soumettre par la force les pays nubiens de Ouaouat et d’Irtjet"  (Obsomer, 2007a).   

Ouaouat   :  (Wawat), nom donné par les Egyptiens à la Basse Nubie, ou Nubie égyptienne, entre la 1e et la 2e cataracte. Ouaouat était en fait un des trois petits états de cette région, avec Irjet (Irtjet) et Setju (Satjou).  

 hékénou   :   (hekenu), "L’« onguent » hekenou, pommade rituelle parfumée, parfois dénommée l’ « huile de jubilation », se compose, tout au moins à l’époque ptolémaïque, de plusieurs produits issus de la botanique africaine et résulte d’opérations complexes  nécessitant de nombreuses cuissons et réductions ainsi que de multiples pauses. L’onguent se fabrique à l’aide de divers composants : les fruits d’arbre nedjem, sans doute des bourgeons de cassia (Cinnamomum iners), c’est-à-dire la fausse cannelle, de l’ânti, la myrrhe, provenant des arbres et arbustes de la famille des Commiphora spp., et de styrax, de la résine de pin d’Alep, de trois aromates tels que le tichepès, extraits de résines aromatiques, de djebâ et de cheben ainsi que du vin de l’oasis et de l’eau. Offert dans les temples, cet onguent est aussi régulièrement attesté en seconde position dans la liste des sept huiles canoniques que l’on dépose auprès du mort. Il a des propriétés comparables à celles de l’encens et sert à l’onction notamment lors du Rituel de l’Ouverture de la Bouche."  (Bruwier, 2007)

 

 

 

La colonisation nubienne s'intensifie sous la XIIe dynastie (vers - 1987 - 1795), pendant laquelle le pouvoir égyptien dresse pas moins de quatorze forteresses colossales, à Bouhen, Aniba (Miam), Ikkour, Qouban, etc. dont les garnisons assurent un contrôle permanent de la Basse-Nubie, Ouaouat  (Obsomer, 2007a).  C'est dire si le royaume de Kerma avait acquis une puissance que le pouvoir pharaonique ne prenait pas à la légère, et qu'il s'organisa pour ne plus avoir une telle menace aux portes de l'Egypte.   C'est donc à partir de ces places fortes que Sésostris Ier et Sésostris III lanceront des expéditions militaires contre Kouch (Koush, Kush), dont le nom apparaît alors pour la première fois dans les textes égyptiens. Une stèle de l'époque de Sesostris Ier témoigne de ces campagnes militaires contre la Nubie : 

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Stèle du général Montouhotep (Mentouhotep) 

datée de l'an 18 du règne de Sésostris Ier

 

   Trouvée par le politicien et explorateur Sir William Banks (1786-1855)  à Bouhen, en 1818 

                                      

           vers - 1946    

   

       Musée archéologique de Florence, Italie 

   2540

                                           

On y voit le dieu égyptien de la guerre, Montou, tenir dix Nubiens attachés pour les conduire au roi (cf. le dessin de Ricci, ci-contre, qui a figuré l'ensemble de la scène, avant la détérioration de la stèle). Ils symbolisent "tous les pays qui sont dans Ta-Séty" (Ta-Séti : "Le pays de l'arc"), nom que donnait alors les Egyptiens à la Basse Nubie. Le nom de ces pays sont indiqués sur le cintre de la stèle "Chémyk, Khésaï, Chaât [Ile de Sai ?, NDA], Ikherqyn, ?, ?, Ima (?)». Série verticale (de haut en bas): «Kas [Kouch, NDA], Haou, Ya (?) »". (in Obsomer, 2007b). 

Comme d'autres textes égyptiens, il exprime une violence extrême contre les ennemis de l'Egypte, à la fois par l'image et par le texte :  "le faucon qui saisit grâce à sa force", "le taureau blanc qui va piétiner les Iounou" (Anous, Aounou, population nubienne) ; "Je me suis avancé… (?)] en détruisant [leurs] troupes (?) […], leur vie étant achevée. [J’ai] massacré […, j’ai mis] le feu dans [leurs] tentes (?), […], leur grain étant jeté dans le fleuve […]. [Je suis] quelqu’un qui obéit, qui ne transgresse pas [les instructions du palais], un homme dans la force de son ka, [journellement (?)] et à jamais. Aussi vrai que vit le Fils de Rê Sésostris, je dit ce qui s’est passé véritablement"  (in Obsomer, 2007b). 

                                                               

                                           

Dessin d'Alessandro Ricci, 1795-1834), médecin, explorateur, compagnon de Banks,  in Harry Sidney Smith, The fortress of Buhen, The Inscriptions, Londres, 1976, pl. LXIX, 1.

egypte-prisonnier nubien-figure execration-argile-XIIe dynastie-musees royaux bruxelles-pm

 

 

 

      Prisonnier nubien agenouillé, figure d'exécration   

                        Argile séchée       H 32.5  x  L  15.2  cm 

                    Egypte, Moyen-Empire,   XIIe dynastie

                                    vers - 1987 -  1795

                         Musées royaux d'Art et d'Histoire

                               E. 7440

                     

                       Bruxelles, Belgique

                                                               

Les figures d'exécration ont pour modèle un prisonnier agenouillé, bras dans le dos attachés au niveau du coude. Les traits physiques sont bien soulignés, sur "cet exemplaire, on reconnaît un Nubien à sa coiffure crêpelée, aux yeux globuleux, au nez évasé, aux pommettes saillantes et aux lèvres épaisses" (Bruwier,  2007 : Catalogue des objets archéologiques).   Un texte est écrit sur le corps en démotique, qui devient l'écriture officielle vers - 750. Le démotique est une des deux écritures cursives égyptienne, avec le hiératique, ce dernier étant aussi ancien que les hiéroglyphes,  Ecrit à l'encre rouge, "couleur des forces hostiles, ce texte reprend une liste des ennemis de l’Égypte, dans le pays et en dehors de ses frontières. La magie opérant, ils seront privés de leurs mouvements, tout comme la statuette en cas de rébellion, d’attaque ou de complot contre celle-ci"  (op. cité) .  Ces listes étaient souvent  très détaillées, avec le nom personnel, des princes, des prisonniers, des alliés, de leurs ancêtres, même, tenues scrupuleusement à jour par l'administration égyptienne.  

 

S'il est clair que l'Egypte pharaonique, comme beaucoup d'Etats ou de tribus, exerçaient des violences régulières sur d'autres populations, il ne faudrait pas lire l'iconographie égyptienne de la guerre de manière littérale, comme s'ils n'étaient faits que d'actes sauvages : La relation avec les Nubiens, nous le verrons, est aussi faite de commerce,  de diplomatie, et de collaboration  entre les élites. Malgré ce qu'affirme Montouhotep, la propagande des puissants ne permet pas du tout de savoir "ce qui s'est passé réellement".  Comme toute iconographie émanant du pouvoir, les représentations égyptiennes de la guerre sont subordonnées aux intentions idéologiques de ceux qui gouvernent, qui veulent ici magnifier la force donnée aux égyptiens par les dieux pour dominer tous les ennemis de l'Egypte : "tous les pays étrangers sont sous tes sandales" (in Obsomer, 2007b). dira un graffiti des environs de la première cataracte, daté du roi Montouhotep II  (Mentouhotep II, vers - 2064-2013). 

kerma

 

  Le Royaume de Kerma

     ( - 2500    -  1500 )

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Pré-Kerma, vers - 3000, Reconstitution du site, qui n'est encore qu'un grand village, avec huttes, quelques bâtiments rectangulaires, enclos à bétails et fosses-greniers (500 env.), enterrées dans le sol où des aliments, étaient probablement stockés dans des jarres.

dessin d' Alain Honegger

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Kerma, vue sur les vestiges de la ville et de la puissante deffufa (forteresse), vers - 2050

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Reconstitution de la ville de Kerma avec sa deffufa, qui donne une idée de la puissance naissante du royaume de Kerma., On notera la grande hutte d'apparat du roi  (Ø 14 m), tout près de la forteresse, sur sa droite, mais aussi divers entrepôts royaux protégés par des enceintes, dont sont aussi pourvues des habitations de privilégiés. 

Aquarelle de Jean-Pierre Golvin,  Université Bordeaux III

Dès le Kerma moyen (2050-1750), la distinction de classe sociale s'opère nettement d'autant plus que se multiplient alors dans les tumulus de l'élite, les morts d'accompagnement, Au Kerma classique (- 1750 - 1480), c'est par plusieurs centaines (322 squelettes dans la tombe K x) que se comptent ces morts d'accompagnement, dans les grands tumuli explorés par l'archéologue américain George Andrew Reisner (1867-1942), qui a mené le premier de grandes fouilles dans la nécropole royale, entre 1913 et 1916  (Honegger 2004 ; Rilly, 2017a),  mission Kerma).   Ce développement se traduit aussi par un  artisanat prolifique et de belle facture, et ce sont de plus en plus les inégalités sociales qui permettent déjà aux riches de s'octroyer des objets de qualité : vêtements, poterie, armes, bijoux, etc., dont on retrouve les spécimen les plus ouvragés dans les tombes des élites.   

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Vase caliciforme    

 

El-Kadada, Soudan

 

          Art  nubien du Royaume de Kerma,        

 

          Kerma classique, v.  -1800 - 1600 

 

Musée national de Khartoum, Soudan

  

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   Bol en terre cuite incisée

 

          Art  de Nubie, Naga el-Erian,

       Nécropole115, tombe n°98  

 

   Ø  8 cm      

 

  -2400 - 1550 

 

 Museum of Fine Arts (MFA), Boston

      Etats-Unis

  

                                 Modèle de maison   

 

 Kerma, Soudan, cimetière est, tumulus KIII, K 315

 

                                       terre cuite,        

 

                        Kerma classique, v.  -1800 - 1600 

 

    Musée national de Khartoum, Soudan,  SNM 119

  

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source  :  Histoire et civilisations du Soudan..., op. cité

  Si de petits tumulus funéraires abritent les tombes des plus humbles, ce sont des superstructures possédant des appartements intérieurs et pouvant atteindre 100 m de diamètre que s'offre l'aristocratie ou les souverains eux-mêmes, dont la course au prestige multiplie les bucranes en demi-cercle autour des tombeaux, pas moins de  4 351 devant la tombe n° 253 !  (Rilly, 2017c),   

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L'étude anthropologique des squelettes de l'époque classique a montré des violences fréquentes dont les effets se sont gravés dans les os des disparus  (Judd et Irish, 2009)  Plus près de nous, un néolithique un peu spécial, adapté à l'Afrique australe, dans des régions longtemps réputées pour avoir perduré longtemps au stade préhistorique de la pierre ("Late stone age", tels les ancêtres des San, plus connus sous le nom anglophone de Bushmen), s'est mise en place ou s'est renforcée une organisation sociale plus inégalitaire que par le passé. Ainsi, à Kasteelberg et peut-être aussi à Jakkalsberg, en Afrique du Sud,  au long du premier millénaire de notre ère, l'élevage se développe,  peut-être celui, autochtone, des San/Bushmen, à moins qu'il n'ait été transmis par les immigrants Khoekhoe (Hottentots), ce qui aurait donné la culture mixte khoisan. Dans tous les cas,  "il semble que les moutons et la céramique ont été considérés comme des biens prestigieux, peut-être utilisés comme un capital politique dépensé à l’occasion de grands festins"  (Sadr, 2005)   

 

On a souvent parlé du néolithique comme d'une période révolutionnaire, sans voir souvent comment elle a accéléré la construction des inégalités sociales en domestiquant tour à tour les plantes, les animaux, et les hommes eux-mêmes, par la servitude, l'esclavage, la guerre, la division entre des riches et des pauvres, en particulier par le retranchement des puissants derrière des palais, des châteaux-forts, s'arrogeant la maîtrise du verbe et de l'écriture pour définir la culture dominante  (Scott, 2017).

 

 

                              

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            Dague                        et                            couteau

    Kerma classique     (cimetière)         Kerma moyen

 

          vers  - 1500                                               vers - 1800     

 

                L  55  cm                                                          L  30.4  c

           bronze,                                          bronze, garde et rivets              pommeau en                                   en or, pommeau en  

          ivoire,                                            ivoire, manche en corne

                                                                              ou  écailles de tortue

   

    Musée national                         

            de                                  Musée de Kerma 

       Khartoum                            

             n° 1062                                                        n° 36332

                                                               

iwelen-aïr-niger-gravure rupestre equidiens-girafes-char-chevaux-peuls-1er millenaire av J

                                           

 

 

 

      Gravure rupestre, chasse à la girafe    

   Iwelen,  Massif de l'Aïr,  Niger

 

          Art  Peul, Équidiens, époque des chars         

 

          Équidiens, époque des chars, Ier millénaire avant notre ère     

   

      

     "A considérer la mobilité restreinte nécessaire au succès de l’élevage équin en milieu sahélo-soudanien, on devrait retrouver parmi les peuples évoluant non loin des massifs de l’Adrar des Iforas et de l’Air, les descendants des éleveurs de bovins qui avaient introduit le cheval dans le sud du Sahara au cours du premier millénaire avant notre ère. Il se trouve précisément dans les bassins des fleuves Niger et Sénégal et plus à l’est autour du lac Tchad, des pasteurs peuls sédentaires, éleveurs de bovins, organisés en des sociétés hiérarchisées. (Camps et Dupuy, 1996)

 

 

Le chasseur (mais aussi sans doute pasteur de bovins), armé d'une lance à pointe de cuivre, a une coiffure trilobée et porte des pendentifs à l'oreille. A sa droite, un char à timon unique et deux roues rayonnées, tiré par deux chevaux attelés, caractéristiques de l'aristocratie locale. Les gravures correspondent en tout point avec le matériel (lances et chars) retrouvé sur le site. 

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entre l'asiatique...

“ ...entre  l'Asiatique et le Noir de Nubie ”

Ce que les historiens ont  longtemps décrit comme une invasion de groupes sémites ou des steppes caspiennes, colonisant la Basse-Egypte, les fameux Hyksos (Ὑκσως), était en fait une construction tardive, faite à partir de la tradition rapportée en grec par le prêtre égyptien Manéthon dans son Histoire de l'Egypte (IIIe s. av. notre ère). En réalité, ces Heka Khasout ("chefs de pays étranger") représentaient des groupes de population émigrées de Syrie et de Palestine, peut-être des marchands du Levant, qui avaient progressivement investi leur future capitale d'Avaris (site actuel de Tell el-Dab'a), ville portuaire du delta du Nil,  et avaient finalement acquis assez de puissance pour prendre le pouvoir  et régner sur la Basse-Egypte entre 1638 et 1530  (Siesse, 2019 ; Stantis et al, 2020).  

 

Pris en sandwich entre les Hyksos au nord, et les Nubiens au sud, le pharaon Kamosis (Kames, Kamose, XVIIe dynastie, règne autour de - 1550) a fait inscrire sur une stèle commémorative à Karnak  :  "Je siège entre l'Asiatique et le Noir de Nubie" (Gabolde, 2005), texte reproduit sur la tablette Carnavon (en bois stuqué), du nom de Lord Carnavon qui l'a découverte en 1908.  

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Cette comparaison physique, où le pharaon se distingue d'un Nehesy (nḫsy, Nubien, et par extension, Noir, cf. plus bas) et d'un  Amou (Asiatique) n'a rien d'étonnant.  C'est le même regard sur la différence que portent les textes relatifs  à ce sujet, ou qui est exprimé par les représentations exécutées par les artistes égyptiens des différentes races humaines, à leurs yeux, formalisées à la fin de la XVIIIe dynastie par le Livre des Portes, nous allons le voir plus loin

 

Sous le règne d'Ahmosis (Ahmose, Amosis), premier pharaon de la XVIIIe dynastie, un simple mousse homonyme du prince, Ahmose (Ahmès), devenu par sa  bravoure "combattant du souverain", deviendra riche et comblé d'honneurs. Ainsi, il put se faire bâtir une tombe (N°5) à El-Kab (près d'Esna) où il fit inscrire son autobiographie, vers 1465 avant notre ère :

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(cf. Lepsius,  1849-1859),  Abtheilung III, Band V,                        Neues Reich, El Kab, Grab 5, 

 

"Puis ce fut la prise d’Avaris. J’y capturai un homme et trois femmes, soit au total quatre personnes. Sa Majesté me les donna comme esclaves.

Alors on mit le siège devant (la ville de) Sharouhen pendant trois ans. Lorsque Sa Majesté la prit enfin, j’en rapportai du butin : deux femmes et une main. On m’accorda l’or de la bravoure et on me donna mes prisonnières comme esclaves. (...) Sa Majesté en fit un grand carnage. Pour ma part, j’en rapportai du butin, à savoir deux hommes vivants et trois mains. Je fus une nouvelle fois récompensé par l’or et on me donna deux femmes esclaves (...) On me donna cinq esclaves et des lopins de terre, en tout cinq aroures (4 ha) dans ma ville. On agit semblablement pour l’ensemble des équipages.
Ensuite vint cet ennemi nommé Tétian. Il avait rassemblé autour de lui des gens pleins de félonie. Sa Majesté le tua. Son entourage cessa d’exister. On me donna trois esclaves et cinq aroures (4 ha) dans ma ville."
  (Ahmose, op. cité, in Rilly, 2017a). 

 

Esclaves pour les uns  (Schulz 1995 : 336 ; Beylage 2002 : 95-96), servage pour les autres (Doranlo, 2009), cette question n'est pas tranchée, mais il s'agit bien là d'hommes et de femmes noirs que l'on capture en terre étrangère, qu'on ramène de force en Egypte, loin de leur famille, de leur pays, de leur culture, pour les soumettre à une vie de servitude.

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Nous sommes clairement là  dans la distinction que Meillassoux a établi  entre le captif, qui est une marchandise, et l'esclave qui est un moyen de production (Meillassoux, 1986 : 325).   Quand bien même les Egyptiens eux-mêmes n'y auraient pas été soumis, leurs souverains, nous l'avons vu,  ont bien profité de la force de travail d'esclaves noirs de leur colonie nubienne (au moins), razziés par des chefs noirs à leur botte,  pour certaines de leurs réalisations architecturales, mais aussi pour leur service personnel. D'autre part,  on sait que beaucoup de paysans et d'ouvriers  avaient des conditions d'existence si misérables depuis une période très reculée de l'histoire égyptienne (cf  :  Egypte pharaonique, IIIe / IIe millénaire),  qu'on peut établir un parallèle étroit, comme en Europe, entre condition de servage et condition d'esclavage.  S'il n'y a pas de mots précis pour désigner l'esclave, dans l'Egypte antique, il est un mot qui désigne fréquemment une condition servile  : bak.  Mais, derrière cette appellation se cache différentes réalités : "Ainsi, un groupe de contrats, datés entre le VIIIe et le VIe siècle avant J.-C., atteste la vente de personnes nommées bak. Normalement, ce terme se traduit par « serviteur » mais ici, ces derniers peuvent être vendus. On dispose également d'un autre texte sur une jeune femme syrienne qui faisait l'objet d'un contentieux commercial entre deux Égyptiens, dans ce qui s'apparenterait à de l'esclavage domestique. Mais cela reste très épars." (Damien Agut-Labordière, égyptologue, interview du magazine Le Point).  Le même égyptologue évoque des ouvriers très bien payés sur le chantier de la pyramide de Khéops, ce qui signifie que les conditions d'un chantier à l'autre, d'une période à une autre  (la période dynastique égyptienne couvre plusieurs millénaires), pouvaient être très différentes d'un point de vue des conditions de travail. 

 

Des découvertes archéologiques sur le site de Tell El-Amarna, dans le Cimetière des Tombes du Nord, vont aussi dans ce sens. Elles ont mis à jour à partir de frustes sépultures d'ouvriers datant du pharaon Akhenaton (- 1332), célèbre pour son culte unique d'une divinité solaire. Quasiment dépourvus de mobilier funéraire, les tombes ont livré des corps juste emballés d'un épais tissu.  L'étude de ces 105 corps, appartenant à des enfants et des adolescents, garçons et des filles, morts très précocement, entre 7 et 25 ans pour 90% d'entre  eux, a montré leur  mauvaise alimentation, leur mauvaise santé, des blessures fréquentes et traumatiques, des fractures vertébrales et autres  caractéristiques d'une activité pénible, avec de lourdes charges de travail, souligne l'archéologue Mary Shepperson  (Les enfants ont-ils construit l’ancienne ville égyptienne d’Amarna? | | des sciences Le Gardien (theguardian.com). Plusieurs choses supplémentaires indiquent l'origine servile de ces enfants travailleurs : le fait qu'ils aient été séparés de leur famille, qu'ils aient été ici ou là entassés à plusieurs dans des tombes de taille individuelle, sans aucun égard, pourrait même désigner des esclaves. 

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Rappelons que le travail des enfants a existé très tôt dans l'histoire des pauvres de tous les continents, s'est poursuivie jusqu'à une époque moderne très récente, et continue de l'être dans beaucoup d'endroits : nous avons vu dans d'autres articles son importance en Europe jusqu'au XIXe siècle. La découverte d'Amarna n'est pas sans rappeler le récit biblique du livre de l'Exode, sur Moïse et le séjour des des Hébreux en Egypte. Contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, le texte ne parle pas d'esclavage mais de corvées, de travaux pénibles que le pouvoir pharaonique leur impose. On sait que les Egyptiens de cette période  du XIIe-XIe siècle ont opéré des razzias et des pillages au Levant, donc les Hébreux ont pu tout à fait faire partie de populations déplacées et asservies. Cependant, il n'existe aucun témoignage historique pour confirmer cette histoire (ni l'existence de Moïse, d'ailleurs), et la Bible, l'Ancien Testament en particulier, demeurant avant tout un ensemble de textes idéologiques.  Ainsi, on ne peut que sourire à l'évocation d'un  "peuple d'Israël" devenu "plus nombreux et plus puissant que l'Egypte", au point d'inquiéter son pharaon (Exode 1 : 8-9), alors qu'il n'est mentionné qu'une seule et unique fois par des hiéroglyphes, sur une stèle de Merenptah (v. 1208), comme une des nombreuses populations  contre qui l'Egypte a toujours imposé sa puissance  :  "Tehenu est dévastée, Kheta est pacifiée, Canaan est saisi de tous les maux, Askelon est captive, Gezer ["Guezer"] est prise, Yenoam est réduite à néant, le peuple d'Israël ["Jezrahel"] est dévasté, mais ses récoltes ne le sont pas, Khor ["Palestine"] est devenue une veuve pour l'Egypte"  (William Matthew Flinders Petrie, "Six Temples at Thebes, 1896",  Londres, Bernard Quaritch, 15, Piccadilly, W, 1897). 

 

Revenons maintenant au regain de puissance retrouvé par les souverains égyptiens, qui, après avoir chassé les Hyksos du pouvoir, au nord,  récupèrent progressivement l'intégrité de leur territoire  et soumettent par étapes la Nubie, au sud : 

"La conquête égyptienne du royaume de Kouch commence véritablement avec l’un des plus illustres pharaons du début du Nouvel Empire, Thoutmosis Ier (1496-1483 av. J.-C.). Après avoir repris les forteresses de Basse Nubie et s’être emparé de Kerma, il fonde une nouvelle ville à un kilomètre au nord de celle-ci, au lieu-dit Doukki Gel. L’emprise égyptienne sur la région du sud de la Troisième cataracte ne devient cependant effective qu’avec Thoutmosis III (1479-1424 av. J.-C.)"   (Honegger, 2004, mission Kerma)

Par la suite, Thoutmosis II et III, puis la reine Hatchepsout, intègrent alors pour six cents ans le nord du Soudan actuel (Bilad-al-Soudan en arabe : "le pays des Noirs") à l'Empire des pharaons.  Convoitée en particulier pour ses mines d'or de Ouaouat ou du pays de Kouch (Koush), la Nubie "exportait en outre vers l'Egypte un grand nombre de produits recherchés : des denrées agricoles, de l'ivoire, de l'ébène, de la gomme, des plumes et des œufs d'autruche, des peaux de léopards, des têtes de bétail et sans doute aussi des esclaves. Ils étaient considérés comme vassaux du pharaon qui devait régulièrement recevoir l'hommage de leur fidélité. Leurs fils étaient emmenés en Egypte (à l'origine comme otages) pour y recevoir une éducation égyptienne et un rang dans l'administration ou la noblesse de cour"  (Museur, 1969).  Après avoir conquis Kerma, la capitale du royaume nubien, le pharaon fait raser  les deux enceintes et un palais  du centre cérémoniel de Doukki Gel, pour y faire élever "un menenou soit une fondation royale puissamment fortifiée" (Bonnet, 2013).  

C'est à cette époque que les artistes égyptiens commencent à représenter les Nubiens de manière notable, dans le cadre de leur sujétion, tributaires ou prisonniers, iconographies réalisées pour le compte de hauts dirigeants égyptiens, mais que les dirigeants nubiens, eux aussi se font représenter dans leurs tombeaux à la manière égyptienne,  car la  direction des différentes colonies nubiennes était toujours confiée à de hauts personnages nubiens, qui manifestaient jusque dans leur tombe leur allégeance et la glorification de l'Egypte.  

 

Ces représentations, qui soulignent des différences physiques, on va le voir, entre Egyptiens et Nubiens, existent depuis longtemps en Egypte, on citera celle de la tombe (QH 35 d, Qubbet el-Hawa) du gouverneur noir d'Eléphantine Pépi-Nakht (Pepinakht, Heqa-ib), personnage important dirigeant une province frontière de la Nubie et de l'Egypte,  qui est figuré dans sa tombe avec la peau noire et les cheveux crépus,  ou celle de pèlerins nubiens gravés sur des bas-reliefs de la tombe du gouverneur de l'île de Philae, le prince Haka-Ip (Museur, 1969), deux exemples de la VIe dynastie, contemporains du pharaon Pépi II  (né vers  -2284), ou, plus tardives et plus connues,  la représentation de princes nubiens rendant leur hommage au pharaon ou d'autres Nubiens, faits prisonniers et asservis par Horemheb, bien plus tard, à la fin de la XVIIIe dynastie ou celle, encore,  des prisonniers et du tribut nubiens  rapportés à Toutankhamon en bateau par le vice-roi nubien Amenothep/Houy.  

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 Tombe d'Amenhotep/Houy, (TT 40)

"fils royal de Koush" 

à

Gournet Mourraï (Gurnet Murraï, Qurnet Murai, Thèbes-ouest)

  XVIIIe dynastie, règne de Toutankhamon,                   

 v. 1336-1327   

       

 

    Arrivée du tribut nubien à Thèbes    

 

      

   Les Nubiens sont reconnaissables à leur teint sombre, aux boucles d'oreilles et à la plume d'autruche plantée dans la plupart des coiffures. 

Houy, à la tête de la colonie nubienne d'Egypte, comme vice-roi, est tenu d'apporter le tribut dû annuellement par les peuples soumis  au pharaon. Il commença sa carrière comme scribe du vice-roi  Mérymosé, sous Amenhotep III   (Rilly, 2017a).  

                                                  

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   Tombe d'Horemheb  (KV 57), 

 Saqqarah, Egypte,

     

     XVIIIe dynastie, règne de Toutankhamon                  

 

  v. 1336-1327    

   

     

 Musée archéologique, Bologne, Italie 

                                         

     

 haut :   Hommage de princes étrangers, dont Nubiens, au pharaon                      Toutankhamon,

        

 

      bas   :     Captifs nubiens    

 

Horembeb était alors commandant militaire de Toutankhamon, avant de devenir le dernier pharaon de la XVIIIe dynastie (1319-1292).  A chaque avancement de carrière, il se faisait construire une tombe dans les villes emblématiques de ses succès. La scène montre un dénombrement et un enregistrement de captifs nubiens, en position assise, récemment capturés par les troupes d'Horemheb, surveillés par des gardiens menaçant les prisonniers de bâtons, Un scribe rédige un compte-rendu et une inscription précise qu'il  réserve deux prisonniers pour la cour de Toutankhamon (Museo Civico archeologico di Bologna)  

                                                               

tableau des races
merneptah

 Le tableau des "races"

Les Egyptiens ont ensuite formalisé des types "raciaux" dans les décors de leurs tombeaux les plus prestigieux, commandités par les élites du pays. L'exemple le plus emblématique est sans doute celui qui a été initié par le texte que l'égyptologue Gaston Maspero a appelé le Livre des Portes (Nouvel Empire, vers - 1320),  et qui relate le passage de l'esprit en autant d'étapes que d'heures de la nuit, et parmi elles, une procession des "quatre races" humaines entrant dans le monde des morts à la cinquième heure.  Ce que les égyptologues ont appelé "tableau des Nations" ou "tableau des quatre races",  sera représenté dans différentes tombes des pharaons à compter de la XIXe dynastie, peint en particulier dans la tombe de Séthi Ier (1294-1279, salle D à 4 piliers, KV 17, images 1-3) et dans celle de son petit-fils, le pharaon Merenptah (Menephtah, Mineptah, Merneptah, v.  1269-1203, KV 8, images 4-6), dans la Vallée des Rois (Biban-el-Molouk, Bab el Meluk, Bîbân el-Mulûk : "Les portes des rois"),  découvertes parmi d'autres par l'aventurier Giovanni Battista Belzoni (1778-1823) et illustrées  dans ses Plates illustrative of the researches and operations of G. Belzoni in Egypt and Nubia,  avec des lithographies de Charles Joseph Hullmandel  (1789-1850), chez  John Murray, Londres, 1821-1822 (planches 19, 21, 23, cf. images 4-6).  Le même thème des races est aussi représenté dans le tombeau de Ramsès III (règne de 1186 à 1154, KV 11, images 7-8 [détail], et 9), toujours dans la Vallée des rois,  dans la chambre F, dédiée au Livre des Portes, encore une fois.  

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Champollion (1790-1832),  commentera "la série des peuples" vue lors de sa visite de la tombe de Merneptah :

"J’ai fait également dessiner la série de peuples figurée dans un des bas-reliefs de la première salle à piliers. J’avais cru d’abord, d’après les copies de ces bas-reliefs publiées en Angleterre, que ces quatre peuples, de race bien différente, conduits par le dieu Hôrus tenant le bâton pastoral, étaient les nations soumises au sceptre du Pharaon Ousireï [Merenptah, NDA] ; l’étude des légendes m’a fait connaître que ce tableau a une signification plus générale. Il appartient à la 3e heure du jour, celle où le soleil commence à faire sentir toute l’ardeur de ses rayons et réchauffe toutes les contrées de notre hémisphère. On a voulu y représenter, d’après la légende même, les habitants de l’Égypte et ceux des contrées étrangères. Nous avons donc ici sous les yeux l’image des diverses races d’hommes connues des Égyptiens, et nous apprenons en même temps les grandes divisions géographiques ou ethnographiques établies à cette époque reculée. 


Les hommes guidés par le Pasteur des peuples, Hôrus, sont figurés au nombre de douze, mais appartenant à quatre familles bien distinctes. Les trois premiers (les plus voisins du dieu) sont de couleur rouge sombre, taille bien proportionnée, physionomie douce, nez légèrement aquilin, longue chevelure nattée, vêtus de blanc, et leur légende les désigne sous le nom de RÔT-EN-NE-RÔME [Roth/ Reth, NDA] la race des hommes, les hommes par excellence, c’est-à-dire les Égyptiens [image 4].


Les trois suivants présentent un aspect bien différent : peau couleur de chair tirant sur le jaune, ou teint basané, nez fortement aquilin, barbe noire, abondante et terminée en pointe, court vêtement de couleurs variées ; ceux-ci portent le nom de NAMOU : Amous/Aamous/Amus/Aamus, NDA   [image 5].


Il ne peut y avoir aucune incertitude sur la race des trois qui viennent après, ce sont des nègres ; ils sont désignés sous le nom général de NAHASI : Nehesu/ Nehesy  [image 5].


Enfin, les trois derniers ont la teinte de peau que nous nommons couleur de chair, ou peau blanche de la nuance la plus délicate, le nez droit ou légèrement voussé, les yeux bleus, barbe blonde ou rousse, taille haute et très élancée, vêtus de peaux de bœuf conservant encore leur poil, véritables sauvages tatoués sur diverses parties du corps ; on les nomme TAMHOU : Tahamou/ Tahamu/ Themehou/ Themehu [image 6].

Je me hâtai de chercher le tableau correspondant à celui-ci dans les autres tombes royales et, en le retrouvant en effet dans plusieurs, les variations que j’y observai me convainquirent pleinement qu’on a voulu figurer ici les habitants des quatre partie du monde, selon l’ancien système égyptien, savoir : 1° les habitants de l’Égypte, qui à elle seule formait une partie du monde, d’après le très modeste usage des vieux peuples ; 2° les Asiatiques ; 3° les habitants propres de l’Afrique, les nègres ; 4° enfin (et j’ai honte de le dire puisque notre race est la dernière et la plus sauvage de la série) les Européens qui, à ces époques reculées, il faut être juste, ne faisaient pas une trop belle figure dans ce monde."  Aveu d'humilité extrêmement rare pour l'époque ! 

 

Champollion Le Jeune (Jean-François C.), Lettres écrites d'Egypte et de Nubie en 1828 et 1829, Lettre 13, p. 248-249, Paris, Firmin-Didot Frères, Libraires.  

   Européens      :   Ce serait plutôt des Berbères qui sont désignés ainsi, car les Egyptiens désignaient par Thnw, Tehenu/ Tehennu/ Tehenou/ Temehu/ Tjehenou. Tjemeh,  les lybico-berbères dès la première dynastie, plus connus d'eux à l'époque que les Européens, et dont le mot se composerait de "tama" : "peuple", "créature" et  "hu" : "blanc", "ivoire"  (Gerald Massey, Book of Beginnings, vol ll University Books, 1881, p27).   Par ailleurs, c'est sans doute du méroïtique abore (abur : "éléphant"), que vient le mot latin "ebur", qui a donné le français "ivoire" (Rilly, 2017 :  introduction).

De son côté, l'égyptologue Emmanuel De Rougé (1811-1872) donnera des indications intéressantes sur le sujet  :

 

"On voit, en effet, dans le tableau des races, peint dans le tombeau de Séti Ier, que la création de la race rouge était attribuée au soleil. La déesse Pacht [Bast, Bubastis, déesse à tête de chat, NDA] était, au contraire, la créatrice des Namous (tombeau de Séti Ier, tableau des races). La création des nègres est attribuée à un dieu représenté par un oiseau noir, et celle des hommes de la quatrième race, nommée Tamehou, semble encore revenir au soleil, autant que la rupture de la légende permet d'en juger."  

 

Mémoire sur l'inscription du tombeau d’Ahmès, chef des Nautoniers. In:  Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions et belles-lettres de l'Institut de France. Première série, Sujets divers d'érudition. Tome 3, 1853. pp. 1-196)

On retrouvera ce thème jusque tardivement, dans le temple d'Edfou, en particulier, dans le Mythe d'Horus,  traduit par Edouard Naville (Textes relatifs au mythe ďHorus, recueillis dans le temple d'Edfou, 1870)  :  

"Dans les beaux textes d’Edfou, publiés par M. Naville, nous lisons que le bon principe, sous la forme solaire de Harmakou (Harmachis), triompha de ses adversaires dans le nome Apollinopolite [Apollinopolis Magna : Edfou, NDA]. De ceux qui échappèrent au massacre, quelques-uns émigrèrent vers le midi : ils devinrent les Kouschites ; d’autres allèrent vers le nord, ils devinrent les Amou ; une troisième colonne se dirigea vers l’occident, ils devinrent les Tamahou ; une dernière enfin vers l’est, ils devinrent les Shasou. Dans cette énumération, les Kouschites comprennent les nègres ; les Tamahou englobent la race à peau blanche du nord de l’Afrique, des îles dé la Méditerranée et de l’Europe ; parmi les Amou, comptent toutes les grandes nations de l’Asie, la Palestine, la Syrie, l’Asie Mineure, la Chaldée et l’Arabie ; les Shasou sont les nomades, les Bédouins du désert et des montagnes de l’Asie. Telle était pour les Égyptiens la division des grandes familles humaines."


René Ménard (1827-1887), La vie privée des anciens (1880-1883),  tome I, Les peuples dans l'antiquité, L'Egypte, I, Aperçu géographique

 

De la même manière que les Egyptiens se distinguaient eux-mêmes des Noirs par une couleur moins foncée, qu'ils représentaient en général en rouge sombre, différents auteurs grecs ou latins préciseront eux aussi que les Egyptiens ont la peau moins foncée que les Noirs, comme Pline ou Manilius, poète latin d'origine berbère, né vers l'an 10, qui dira : Aegyptia infuscat corpora moderata, "la terre égyptienne obscurcit les corps de façon moins lourde"), en se référant aux Noirs dont il parlait précédemment, et dont il dit qu'ils "’sont desséchés par Phébus, "Phoebus Afrorum exsiccat populos" (Manilius, Astronomica 4, 723).  Pline dira quant à lui, en parlant des Indiens (Indi) :  "Dans la zone située au midi du Gange, les peuples sont hâlés par le soleil, avec déjà le teint basané, mais non pas encore brûlé comme celui des ÉthiopiensPlus on va vers l'Indus, plus le teint est foncé" (Pline, Histoire Naturelle / Naturalis historia,  6, 70). 

 

Ainsi, il ne faut pas prendre à la lettre la notion variable de "noir" attachée aux citations de différents auteurs grecs, Hérodote lui même parlant une fois d'Egyptiens aussi noirs que les Colchidiens (Histoire/ Enquête, II : 104), qui ne sont pas noirs puisqu'ils sont caucasiens, vivant dans la région de l'actuelle Géorgie. D'autre part,  l'historien grec n'a lui-même jamais visité de pays d'Afrique noire : "Il n’a pourtant pas visité la Nubie, son voyage en Égypte (situé vers 460 av. j.-c.) n’ayant pas dépassé Éléphantine, sur la première cataracte. Mais il prend ses informations auprès des Égyptiens, les mixant sans doute avec d’autres sources grecques, orales ou écrites, et n’hésitant pas à distordre les faits pour les rendre pittoresques ou instructifs."   (Rilly, 2017e).   Sans compter que l'ensemble "du « récit éthiopien », comme souvent chez Hérodote, doit être reçu avec la plus grande précaution. Les détails qu’il livre sur l’Égypte que, selon la plupart des spécialistes, il a pourtant visitée, comportent souvent des inexactitudes, des affabulations ou des omissions étonnantes" (op. cité).   Plus proche de la réalité est la description d'Egyptiens " au visage brûlé" (aethiopes : d'où vient l'ethnonyme Aethiopia : Ethiopie) :  "c'est que les Egyptiens avaient la peau foncée par rapport à la peau blanche des Grecs(Bloch, 1903).  Enfin, Hérodote, mais aussi Homère, comme beaucoup de littérateurs antiques, ne font aucune relation  entre couleur de peau et qualités morales ou humaines. Ils parlent des "Ethiopiens" "en des termes élogieux, les parant de toutes les vertus du corps et de l’esprit (Rilly, 2017e).  

 

 Tout ce qui vient d'être exposé ici montre bien l'entreprise idéologique, afro-centriste, qu'a essayé de mener Cheikh Anta Diop pour donner un vernis scientifique à tout un discours sur une Egypte pharaonique noire par laquelle, à l'instar de l'Europe et de sa culture gréco-romaine, l'Afrique aurait eu sa propre matrice culturelle  : 

"En revanche, les traits typiquement négroïdes des pharaons Narmer, Ire dynastie, le fondateur même de la lignée des pharaons, Djeser, IIIe dynastie (avec lui tous les éléments technologiques de la civilisation égyptienne étaient déjà en place), Chéops, le constructeur même de la grande pyramide (type camerounais), Mentouhotep, le fondateur de la XIe dynastie (teint noir foncé) Sésostris, Ier, la reine Ahmosis Nefertari et Aménophis Ier montrent que toutes les classes de la société égyptienne appartenaient à la même race noire."  (Cheikh Anta Diop, "Chapitre 1, Origine des anciens Egyptiens", dans  Histoire Générale de l'Afrique  [tous les volumes sont disponibles en ligne en différentes langues sur le site de l'UNESCO] , volume II, Afrique ancienne, dir. Gamal Mokhtar, 1987,  pp 41-74,  Editions Unesco, 8 volumes de 1980 à 1999)   

   

Est-ce à dire, comme on le lit souvent dans des papiers très sérieux, que le racisme ne s'est développé très tard dans l'histoire, progressivement, qu' à partir des explorations du continent américain par les Européens et qu'il s'est accru sensiblement avec la colonisation européenne de l'Afrique ? En France,  le terme de "racisme" n'est en effet apparu qu'en... 1932 ! (Delacampagne, 1983).   Ce n'est pas sûr, car, depuis l'antiquité, les Blancs émettent sur le physique des Noirs des jugements subjectifs allant du  positif au très négatif, au point où il est permis de poser la question du racisme de manière pertinente quand, au-delà du goût personnel,  l'inégalité des races y est  parfois évoqué, nous le verrons plus loin. 

 

    positif      :  cf. Properce ou Martial in Rome, De la naissance à la République.

Presque neutre, pourrait-on dire, en un certain sens, est le jugement qui fait préférer les goûts culturels auxquels les individus sont habitués depuis leur naissance :  nourriture, modes musicaux, manières de vivre, etc. La couleur de la peau en fait partie. Ainsi, si dans les Satires de Juvénal, les esclaves noirs ne font pas l'objet de commentaires négatifs, il "est cependant dit clairement que ce sont les esclaves blancs que l'on préfère : les pueri de luxe devaient avoir le teint blanc comme la neige, tel ce Flos Asiae qui rappelle Amazonicus, l'esclave égyptien de Flaccus, que nous a dépeint Martial. Tout au long de la poésie réaliste les esclaves de luxe sont associés à la neige, aux roses de Paestum, au cygne...(Garrido-Hory, 1977).

 

Commençons par un passage intéressant du Satyricon (Satiricon, III : 102)  de Petrone    :  

"Non, non! il faut chercher encore une voie de salut. Examinez à votre tour ce que j'ai conçu. Eumolpus, étant curieux de lettres, possède manifestement une provision d'encre. Muons notre couleur avec ce topique; atramentons-nous, des ongles aux cheveux. Ainsi, comme des esclaves Æthiopès nous ferons figure près de toi, hilares d'éviter l'affront et les géhennes, si bien que, grâce au changement de teint, nous en imposerons à nos ennemis. — Malin, va! dit Giton. Il faut pareillement nous circoncire de telle sorte que nous ayons l'air de Juifs, nous trouer les oreilles en imitation des Arabes et nous passer la margoulette au blanc de craie afin que les Gaules nous regardent comme leurs naturels. Comme si la pigmentation de la peau à elle seule modifiait le type du visage ! Comme s'il ne fallait pas le concours de nombreuses choses pour maintenir l'imposture avec une ombre de raison! Mais je veux que ton infâme drogue dure longtemps sur notre face. Admettons que nulle aspersion d'eau ne vienne faire tache sur quelque partie de notre corps ; admettons que l'encre n'adhère pas à nos effets, ce qui arrive communément, lors même qu'elle n'est pas agglutinée avec de la colle. Et puis, après ? comment tuméfier nos lèvres en bourrelets effrayants, calamistrer nos cheveux à l'instar des nègres ? Comment labourer nos fronts de tatouages, tordre nos jambes en cerceaux, poser les talons à terre et présenter des barbes à la mode pérégrine ? Cette couleur, fabriquée par l'art, coïnquine le corps, ne le change point. Ecoutez ce qui vient à l'esprit du désespéré: nouons un vêtement autour de nos chefs, ensuite, immergeons-nous dans la profonde mer."

Petrone, Satyricon, traduction Laurent Tailhade (Paris, L. Conard, 1910), nouvelle édition illustrée de J. E Laboureur, Paris, Editions de la Sirène, 1922.

 

Chez Juvénal,  le problème du dégoût, du rejet de la peau noire est manifeste.  Ainsi, les "Éthiopiens entrent dans des énumérations et des réseaux d'associations et d'oppositions où ils sont assimilés à des individus cagneux, à des êtres disgracieux, à des animaux, tandis qu’ils sont opposés à Labyrtas, beau comme Cupidon, à un homme bien fait, de couleur blanche, au géant Atlas, à un cygne, à la déesse Europe etc. Éthiopien signifie donc noir dans l’esprit de Juvénal : Sat. II, 23 (à partir du grec aethiopes, "complètement brûlés"). Leur couleur noire fascine et repousse et ils sont présentés comme des êtres inférieurs, sans toutefois que cela s’accompagne d’une connotation morale.(Garrido-Hory, 1977).  

 

On peut se demander si un tel jugement n'entre pas dans le domaine du racisme, puisqu'on  considère  des individus à peau blanche supérieurs à d'autres de peau foncée. Si cette détestation d'une particularité physique  ne donne pas lieu à un jugement général, ni sur une personne et encore moins à une communauté entière, elle fait bien partie d'une forme primitive de racisme, la xénophobie, sorte de peur, de rejet de ce qui est autre, de ce qui est différent des traits physiques ou culturels qui nous caractérisent.  Par ailleurs, comment ne pas parler de racisme quand on considère sa patrie supérieure à d'autres, par la culture ou par le sang, comme les Grecs et les Romains face aux "Barbares" ou se revendiquant de telle ou telle lignée ou "race" par le fait supposé que le sang commun a conservé une pureté et charrié leurs qualités génération après génération  (cf. Athènes, une parodie de démocratie).  Sans parler  des préjugés raciaux, rattachant des qualités ou des défauts à tel ou tel peuple,  imputés par exemple, au climat  :

"Ici viennent les fait qui dépendent de ces influences célestes. Les Ethiopiens sont, en raison de la proximité, brûlés par la chaleur du soleil. Ils naissent comme s'ils avaient été soumis à l'action du feu; leur barbe et leurs cheveux sont crépus. Dans la place opposée, dans la zone glaciale, les habitants ont la peau blanche, une longue chevelure blonde. La rigueur du climat rend farouches les peuples du nord; la mobilité de l'air rend stupides ceux de la zone torride. La conformation des jambes mêmes montre chez les uns l'action de la chaleur, qui appelle les sucs dans les parties supérieures; chez les autres, l'afflux des liquides tombant dans les parties inférieures. Au nord, des bêtes pesantes; au midi, des animaux de formes variées, surtout parmi les oiseaux, qui offrent toutes sortes de figures. Des deux côtés la taille des habitants est haute, ici par l'action des feux, là par l'abondance des liquides. Dans l'espace intermédiaire la température est salubre ; le sol est propre à toutes les productions; la taille est médiocre; la couleur même de la peau présente un juste mélange; les mœurs sont douces, les sens pénétrants, l'intelligence féconde, et capable d'embrasser la nature entière. Ce sont ces peuples qui ont l'empire ; les nations des zones extrêmes ne l'ont jamais eu. Il est vrai qu'elles n'ont pas non plus été assujetties par eux ; mais, détachées du reste du genre humain, elles vivent solitaires sous la nature inexorable qui les accable." 

Pline l'Ancien (23-79), Histoire Naturelle, Livre II, LXXX, traduction par Emile Littré, Dubochet, Le Chevalier et Cie, 1848.   

Pour terminer sur le sujet, contrairement à ce qu'ont pu affirmer certains ethnogénistes du passé, comme Volney (Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, comte Volney, 1757-1820) ou, plus près de nous, l'historien sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986), les études d'anthropologie biologique effectuées depuis la découverte des marqueurs génétiques des groupes sanguins par Lansteiner (1900-1901) ont largement infirmé les thèses de l'origine "négroïde" des Egyptiens (cf. Boëtsch, 1995).  Ces premières études véritablement scientifiques sur l'origine des Egyptiens  ont confirmé que, comme l'immense majorité des autres populations du monde, la population égyptienne d'aujourd'hui est issue de divers métissages et a conclu à une conservation remarquablement constante de son patrimoine génétique commun, au moins  jusqu'à l'époque romaine. Ces premières études avaient conclu que les éléments "négroïdes" de la composition génétique des populations égyptiennes sont assez négligeables dans l'ensemble (Wiercinski, 1958, in Boëtsch, op. cité ; Michalski, 1964), qui présentent plutôt des apports "berbères" (21 %), "méditerranéens" (19 %) et "orientaux" (17 %), et dans une moindre mesure "nordiques", fait de métissages égéens  ou encore des éléments "arménoïdes" (Michalski, op. cité) Wiercinski va dans le même sens en montrant "l'importance des influences hamitique, méditerranéenne, orientale et arménienne, avec de surcroit, la présence d'éléments morphologiques provenant d'une « race jaune » qu'il faisait venir de la partie ouest de l'Asie centrale"  (Wercinski, op. cité).  En mai 2017, la prestigieuse revue Nature publiait une étude importante effectuée par une équipe internationale de chercheurs, dirigés par la paléogénéticienne Verena J. Schuenemann  et le  bio-informaticien  Alex Peltzer, réunis par l'Institut Max-Planck et l'université de Tübingen en Allemagne, sur l'ADN mitochondrial de 90 momies parmi les 151 retrouvées en Moyenne Egypte, dans la région du Fayum (Fayoum), sur le site d'Abousir el-Meleq, datant de 1388 avant notre ère à 426 après J.-C  (cf. l'article de la revue Nature :  "Ancient Egyptian mummy genomes...").  Cette étude a confirmé avec plus de certitude encore  la grande proximité génétique des Egyptiens avec les populations du Moyen-Orient. Jusqu'à la période romaine, c'est-à-dire presque la fin de la période pharaonique de l'Egypte, le patrimoine africain ne représentait qu'environ 6 à 15% du patrimoine génétique égyptien, mais, élément nouveau, il s'est accru ensuite jusqu'à représenter entre 14 et 21 % de celui-ci, en particulier, pensent les scientifiques, par les relations commerciales intenses avec l'Afrique subsaharienne et la traite accrue des esclaves. 

 

Pendant la XIXe dynastie (vers 1296-1186),  la construction du grand temple pharaonique d'Abou Simbel,  dans la Basse-Nubie,  a été supervisée comme beaucoup d'autres chantiers royaux, par les vice-rois de Nubie , pour le compte de Séthi Ier et Ramsès II.  Les dignitaires nubiens utilisaient largement les esclaves pour ces constructions, ce qui nous ramène à la connivence récurrente entre élites de pays et de cultures différentes, fussent-elles dans une relation de pouvoir et de soumission, puisque les élites soumises restent chez eux puissants er riches  et ont une relation privilégiée avec les puissances conquérantes :   "La relative proximité de la Basse-Nubie permettait d’acheminer plus facilement de la main-d’œuvre depuis l’Égypte, car le recrutement local ne suffisait pas. On sait en effet qu’en l’an 44 du règne le vice-roi Sétaou lança des expéditions contre les oasis du désert occidental et contre les pays d’Irem et d’Akita, deux régions situées sur les marches de Koush, pour se procurer des esclaves destinés à la construction du temple de Ouadi es-Seboua"    (Rilly, 2017a).  

Ainsi, avant d'être mêlé à l'esclavage issu du commerce que les Arabes vont développer, par la traite orientale (du latin tractatus, "traîner avec violence"), qui elle-même précède de plusieurs siècles la traite atlantique des Européens entre le XVe et le XIXe siècles, l'esclavage africain fait d'abord partie de l'histoire des peuples africains eux-mêmes (Diop, 1972 ; Meillassoux, 1986) et il est principalement de deux sortes : l'esclavage de guerre ou l'esclavage pour dette  (Testard, 2001), 

 

A l'instar d'autres systèmes esclavagistes, l'esclavage africain connaissait aussi un degré de sophistication et de violence propre à asservir les individus,  dont l'ethnologie rendra compte, nous le verrons plus tard pour la période moderne, au travers de l'enquête, la tradition orale, en particulier, étant témoin d'une très longue histoire de l'asservissement en Afrique.  Dans de nombreuses sociétés du continent, on mettait en esclavage des personnes qui avaient perpétré des crimes ou des délits, mais aussi des prisonniers, des captifs de guerres inter-ethniques ou de simples razzias, qui pouvaient être vendus comme de simples marchandises, de la même manière que les métaux ou autres denrées précieuses. On peut aller razzier des esclaves à plus de mille kilomètres de chez soi, les arracher à leur famille et plus la distance les éloigne de leur lieu d'existence, plus aisément s'opèrent les phases de déshumanisation, de dépersonnalisation de l'individu, à qui on ôte tout ce qui, dans les sociétés africaines ou ailleurs, constituent alors le socle social d'une personne, pour faire de l'individu une propriété impersonnelle, une marchandise comme une autre, et en Afrique particulièrement, de manière assez générale, son appartenance à une lignée, son rattachement à une généalogie d'ancêtres, à un nom propre  (Meillassoux 1975 ; 1986)  :

"Faute d’ancêtres, faute de propriété, faute de nom, l’esclave n’a pas de parole et donc de voix délibérative (...)  Dépourvu de la parole vraie, celle des adultes libres, l’esclave n’émet que des propos domestiques, semblables à ceux des enfants et des femmes." (Memel-Fotê, in Henriques et Sala-Molins, 2002)

"Les diverses situations d’esclavage observées en Afrique noire à travers les données des époques modernes et contemporaines paraissent hétérogènes, allant du provisoire au permanent, de la dépendance totale à l’exercice d’un pouvoir important. Mais, à la différence peut-être d’autres espaces culturels, l’origine de l’esclave semble peu compter dans la définition de son régime juridique : qu’il soit prisonnier de guerre, victime de rapt ou de razzia, personne objet d’une peine pénale, ou objet « d’échange » (pour cause de dette, par exemple), descendant d’esclave, chacun peut devenir esclave « de case » (domestique), esclave de plantation ou de mine, esclave royal ou enfin marchandise d’exportation (esclave de traite). Seule exception, les esclaves de « caste » des mondes mandé et peul dont le statut d’essence « collective » – lignagère ou clanique – interroge toujours aujourd’hui en Mauritanie et en Sénégambie" (de Lespinay, 2012)    

Majhemout Diop, étudiant les sociétés précoloniales du Mali et du Sénégal, souligne par exemple que la structure des castes sociales se fonde en tout premier lieu sur une dichotomie radicale entre maîtres et esclaves  (Diop, 1972). Un autre chercheur africain, le Gabonais Laurent-Marie Biffot,  affirme quant à lui :

"La vassalisation des Pygmées est un phénomène très ancien non seulement du nord-est du Gabon mais du Gabon tout entier.

        D'aucuns peuvent y voir une conséquence de la traite des nègres ; nous pensons plutôt qu'elle correspond à une des tendances les plus profondes de l'être humain"  (Biffot, 1977).  

Comme d'autres populations africaines, nous le verrons, les Pygmées,  sont toujours considérés au XXIe siècle comme des esclaves par d'autres communautés africaine, en l'occurrence, bantoue. , car au sein de certaines communautés, l'esclavage n'a pas disparu mais s'est adapté aux évolutions de la société. 

Il n'y a donc aucune raison pour que ne se soit pas établi, depuis un temps très ancien, des rapports de commerce ou de sujétion entre esclavagistes africains eux-mêmes ou entre eux et les esclavagistes étrangers, tous possédant des intérêts communs à faire fructifier le commerce d'esclaves.  Ce qui fera dire à l'anthropologue et économiste sénégalais Tidiane N’Diaye que "la complicité de certains monarques et leurs auxiliaires africains dans ce commerce criminel est une donnée objective"  (Interview de Phillipe Triay  pour France infotv.fr, Portail des Outre-Mer, 7 mai 2015).  Dans son ouvrage de référence sur le sujet, l'historien Paul Lovejoy affirmera quant à lui : "l’Afrique est intimement liée à l’histoire de l’esclavage"   (P. Lovejoy, Une histoire de l’esclavage en Afrique – Mutations et transformations (XIVe-XXe siècles), Editions Karthala, collection "esclavages", 2017).   

 

 

 

                    Temple de Beit-el-Wali (Ouali)   

  Ce temple creusé dans la roche (dit "spéos"), est le premier

consacré par Ramsès II en Nubie, au sud de la 1e cataracte. 

                                        vers -  1279  -  1213

                                        

                                                               

 

 

Dans la cour du temple de grands pans de mur célèbrent en relief  la victoire de Ramsès II sur les pays étrangers qui le menaçaient.  Ces scènes sont reprises sous forme de fresque à l'intérieur du sanctuaire mais celles-ci ont été abîmées lors des moulages effectués par l'égyptologue  Robert Hay et l'architecte et dessinateur Joseph Bonomi en 1825, réalisés pour le British Museum de Londres. Ce sont ces copies qui permettent d'admirer au mieux un certain nombre de peintures du temple aujourd'hui. 

"Après les phases de batailles  et de victoires, les ennemis se soumettent , rendent hommage au vainqueur et lui remettent de riches tributs. Les Nubiens apportent au pharaon  "deux girafes, un lion, des panthères, un oryx, une gazelle, des taureaux, mais aussi des matériaux tels que l’or, l’ivoire de défenses d’éléphants, des billes d’ébène, des peaux de félins, des plumes d’autruches et, enfin, des produits manufacturés comme des chaises en ébène à usage royal en raison du sema-taouy*  sculpté en à-jour entre les pieds."  (Bruwier, 2007)

 

*Sema-taouy, "celui qui réunit des Deux-Terres", par le double lien du Nil, enroulé autour du lotus et du papyrus. 

                                                              

Modèle iconographique de victoire pharaonique très utilisé par les artistes égyptiens, comme sur le superbe coffre en bois stuqué et peint du trésor de Toutankhamon (H 44 x L 61 x l 43 cm), exposé au Musée égyptien du Caire, qui célèbre ses victoires sur ses ennemis, en particulier les Asiatiques (sur le devant du coffre) et sur les Nubiens du pays de Koush,, désignée par "Koush la misérable", ainsi que leurs alliés au teint clair  (sur un côté du coffre)

                                     

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Ramsès II poursuit et écrase les  Nubiens

Ramsès II tue un Lybien avec une sorte de serpe

Ramsès II empoigne un Syrien par les cheveux

Ramsès II poursuit les Bédouins

Ramsès triomphe des ennemis du Nord

Ramsès II reçoit le prince consort et des officiers, accompagnés de prisonniers

dessins de John Foster, in  "The Beit El-Wali Temple of Ramesses II",  d'Herbert Ricke, Georges R. Hughes et Edward F. Wente,  The University of Chicago Oriental Institute Nubian Expedition, Vol I, 1960/61.

https://oi.uchicago.edu/sites/oi.uchicago.edu/files/uploads/shared/docs/oine1.pdf

pharaons noirs

 La XXVe dynastie

  des 

pharaons noirs  

(- 732 - 664)

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"Djebel Barka" surplombant Napata, 

aquarelle de Jean-Claude Golvin, Université Bordeaux III

 

 

 

Après avoir été très longtemps soumis à l'Egypte, le royaume kouchite de Napata, du nom de sa capitale, finira par acquérir une puissance importante autour de la 4e cataracte du Nil et de son axe sacré, le Djebel/Gebel Barkal ("Montagne pure"), que les Egyptiens considéraient comme une des résidences du dieu Amon  (Rilly, 2017a).  Cette force lui permettra d'envahir une Egypte au contraire affaiblie par des troubles internes et la menace assyrienne (Honegger, 2004, mission Kerma).   Ainsi naît la XXVe dynastie d'Egypte (v. 732-664), qui verra se succéder cinq pharaons noirs en un temps très court d'une soixantaine d'années, après lequel ils devront abandonner le pays aux  conquérants Assyriens.  De même que les plus hauts personnages de la Nubie colonisée se faisaient enterrer comme les dignitaires égyptiens, les pharaons noirs demeureront fascinés par la culture du colonisateur. Si on en croit l'archéologue hongrois  László Török (1941-2020), grand spécialiste de la Nubie et de l'Egypte pharaonique, il faut faire remonter les débuts de la dynastie napatéenne vers  - 995, sous la XXIe dynastie égyptienne, par une version longue des faits, ce qui expliquerait "l'importante égyptianisation de la culture napatéenne dès ses origines"  (Rilly, 2017b).  Mais la version courte, préférée par Reisner et reprise par l'archéologue américain Timothy Kendall ne change pas le substrat de la domination, la marque idéologique profonde imprimée par la culture égyptienne sur la culture nubienne. Dans ce cas, la fuite des prêtres d'Amon en pays de Koush, suite aux révoltes survenues par la nomination du prince Osorkon en tant que grand-prêtre (- 839 - 825), aurait entraîné une forte emprise  de la religion égyptienne sur la dynastie napatéenne.  Argument de taille : Dans les tombes des tout premiers (et obscurs) souverains de Napata ont été retrouvés du matériel de l'époque ramesside. Cependant, les premières pyramides de la nécropole royale d'El-Kourrou ( El-Kurru )  ne sont pas des répliques des pyramides pharaoniques égyptiennes (les pharaons avaient abandonné l'usage des pyramides pour des tombes entièrement souterraines depuis sept siècles), mais plutôt inspirées de celles des administrateurs égyptiens ou nubiens de Wawat ou de Kouch à Aniba, Soleb, Amara ou Tombos, en particulier. D'autre part, ce sont plutôt des formes hybrides que les Nubiens utiliseront, des tumulus de briques recouverts d'une  structure pyramidale   (Rilly, 2017b). 

Par ailleurs, ce contexte de culture dominée-dominante n'est connu, comme pour toutes les sociétés hiérarchisées pendant des millénaires, qu'à travers le prisme des classes socialement supérieures, qui seules  impriment leur marque sur les témoignages historiques que nous possédons : ce sont par elles, de manière écrasante, qu'archéologues et historiens reconstituent l'histoire, au moyen de textes et d'œuvres d'art réalisés pour des rois, des reines, princes ou princesses, et autres grands notables.  László Török a pu ainsi montrer que si les élites donnaient à leurs enfants une éducation et des noms égyptiens, les classes  moyennes et pauvres faisaient perdurer leurs coutumes indigènes, leurs propres structures et rituels d'inhumation (Török, 1997), comportements sociaux que nous retrouvons un peu partout sur la planète, où les élites, fascinés par les signes de puissance, de richesse ou de pouvoir, s'approprient bon nombre de traits qu'ils reconnaissent faire partie d'un degré supérieur de culture, fût-elle celle de nations ennemies, dont les élites sont souvent des partenaires, rappelons-le  : que l'on songe à l'élite gauloise ou numide face à la puissance romaine,  ou encore à l'élite japonaise devant le prestige et l'ancienneté de la culture chinoise, ou plus près de nous aux intellectuels des Lumières devant la nouvelle puissance économique et financière de l'Angleterre, parmi de très nombreux exemples. 

Revenons maintenant aux rois napatéens. Les premier d'entre eux, Alara (- 795-775 ?), aurait déjà, d'après l'avant-dernier pharaon noir, Taharqo / Taharqa, passé alliance avec Amon de Kawa, la deuxième grande cité après Napata (cf. carte de Nubie). Le second, Kashta ("le Koushite" en langue méroïtique ancienne),  se déclare vers 750 un peu vite "roi de Haute et Basse-Egypte" et "Fils de Rê des Deux Terres" selon la tradition égyptienne. Certes, c'est  un roitelet puissant, soutenu par une grande partie du clergé d'Amon de Thèbes, mais plusieurs rois se revendiquent encore pharaons dans la Basse-Egypte. Il fait résonner par son nom la fierté de Koush en réponse au mépris séculaire de l'Egypte  envers Koush la "misérable"  (ẖs.t), dont  l'archéologue Paul Vercoutter (1911-2000) aura mis en garde sur ce qu'il considère être une méprise courante, à savoir le dénigrement récurrent de Kouch par un sentiment de supériorité égyptien. Certes, nous l'avons évoqué, le pouvoir égyptien avait forgé depuis longtemps  l'idée d'une Egypte supérieure aux autres peuples,  choisie par les dieux, mais une connaissance désormais plus affinée de la longue histoire nubienne ne devait plus, selon Vercoutter, cacher l'importance de la Nubie dans l'économie antique de la région  (Vercoutter, 1970)  :

 

"Selon lui, on aurait par le passé sous-évalué la population antique de la Nubie. En effet, les terres de cette région étaient en mesure de nourrir une population très nombreuse, les espaces fertiles ne manquant pas au sud d’Assouan. La diversité dans les modes de vie a aussi pu augmenter le potentiel de peuplement des terres : « elles peuvent d’autant mieux suffire à nourrir une population considérable que celle-ci demeure pastorale autant qu’agricole ». La déforestation fut selon lui un facteur important expliquant la transformation de la Nubie en territoire hostile. Les Nubiens, décrits comme des ennemis « misérables » par les Égyptiens, étaient donc plus dangereux et puissants qu’on a bien pu l’admettre par le passé. C’était selon lui la peur qui motivait ce mépris"   (Labonté, 1970).

Pourtant, un certain nombre de faits, dont la plupart ont été exposés plus haut, peuvent venir à l'appui d'une Egypte longtemps très puissante et dominatrice et imposant sa loi à sa colonie nubienne : Les tributs nubiens, les exigences diverses et variées (comme les captures de prisonniers nubiens), les témoignages multiples d'inféodation vis-à-vis des gouverneurs nubiens, mais aussi les forts édifiés sur les rives du Nil, dont le nombre et la puissante architecture, sans parler de toutes les preuves de continuels conflits,  font fortement douter de la thèse de William Y. Adams, qui prétend qu'ils n'étaient pas là par crainte des invasions nubiennes, mais pour contrôler le commerce (Adams, 1984).  En tout cas, la connaissance de la culture de Kerma, aux étages de plus en plus sophistiqués et structurés ne semble plus en adéquation avec une vision archaïque d'une Nubie  sortie tout juste du néolithique. Par ailleurs,  Török a bien montré que la colonisation de la Nubie n'avait  rien à voir avec les colonisations modernes de l'Afrique. Pas de système colonial, pas d'acculturation profonde de l'ensemble de la population,  l'Egypte n'aurait même pas visé, selon lui, une exploitation à tout crin des ressources naturelles (Török, 1997).    

C'est un dieu du haut du panthéon égyptien, Amon, qui devient le dieu principal de Napata, mais au dieu à tête humaine égyptien, coiffé d'un mortier portant deux grandes plumes, sera ajouté une autre hypostase attachée au pays de Kouch, un dieu à tête de bélier : 

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                                            Amon à tête de bélier    

Enseigne divine frappée du cartouche royal du dernier pharaon de la XXVe dynastie Tanoutamon (Tanouétamani, Tanwetamani, Amani étant le nom nubien d'Amon), dont le nom de couronnement est Ba-ka-Rê, "le Bélier est l’âme de Rê". On remarquera le disque solaire, un double uraeus (cobras de protection royale, se rapportant aux deux nations symboliquement imbriquées : La Nubie et l'Egypte), et le collier ousekh (wsk : "large"), un collier large à plusieurs rangs (souvent 9 dans les monuments funéraires) porté par les élites égyptiennes.

                                       Djebel Barkal, Soudan

                     alliage de cuivre           H. 17  x L.  9.6 x  P.  6.8 cm 

           Règne du dernier pharaon noir, Tanoutamon, vers  - 664 - 656   

   

       Musée du Louvre,   Département des Antiquités égyptiennes

                             

Autre démarcation, la tradition de succession matrilinéaire s'oppose à celle, patrilinéaire de l'Egypte,  de telle sorte que les prétendants au trône étaient recherchés dans un groupe de prétendants d'ascendance maternelle royale, choix pour lequel le clergé d'Amon et parfois les généraux avaient leur mot à dire, ce qui sous-entend un réseau de pouvoir au sein des élites. Ainsi, les femmes, à défaut de régner, avaient un grand pouvoir d'influence :

 

 "Un personnage clé dans cette période de transition est la divine adoratrice Aménirdis Ire. Fille de Kachta, elle a été adoptée par Chépénoupet Ire, fille d’Osorkon III et dernière adoratrice du dieu de la dynastie libyenne de Thèbes. On sait que le poste d’épouse divine et d’adoratrice d’Amon thébain se transmettait ainsi par adoption. Il ne fait guère de doute que l’adoption d’Aménirdis joua un rôle important dans l’affirmation du pouvoir kouchite à Thèbes, exactement comme l’adoption de Nitocris fille de Psammétique Ier permit un siècle plus tard au roi saïte de s’imposer dans le sud"   (Payraudeau, 2014a).   

 

Il n'empêche, la Nubie, molestée par l'Egypte depuis des siècles n'avait cessé de prendre l'Egypte comme modèle, du moins ses élites. 

Image forte de cette profonde acculturation de l'ancien dominé par son ancien dominant que celle du roi Piankhy (Piye, Peye, fils de Kashta, règne vers - 744-714), premier conquérant nubien des Deux-Terres, mais pas de manière absolue car les roitelets du Delta lui rendent hommage tout en exerçant leur pouvoir. Piankhy fait transporter du temple de Soleb à celui de Djebel Barkal dix statues, dont celle du bélier d'Amon, au corps de granit, protégeant Aménophis III, "qui ont déjà plus de 700 ans et qui pèsent quatre tonnes.  Il les fait ramener non pas pour décorer, mais pour habiter théologiquement et religieusement les bâtiments qu’il construit" (Vincent Rondot, commissaire de l'exposition "Pharaon des deux terres", interview pour Franceinfo, 28/4/2022).

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Il est évident que les rois de Napata, embellissant le complexe religieux de Karnak, s'assurent d'un appui important dans leur politique égyptienne, mais c'est d'abord un projet civilisationnel qu'ils entreprennent, unissant le pouvoir kouchite à la puissance religieuse égyptienne.  Dès le règne de Piankhy, la floraison de littérature égyptienne est le témoin d'une présence de scribes et d'artistes égyptiens à Napata. Signalons en passant que Piankhy (comme les autres souverains napatéens) épousera plusieurs de ses soeurs (Peksater, Kensa, Neferou-ka-Kashta et Abala, mère de Taharqo), comme le faisaient les pharaons égyptiens, "pour sécuriser les droits de leur progéniture"  (Rilly, 2017b).   Par ailleurs,  alors que Piankhy, comme ses successeurs, glorifie la puissance de Koush par un nom d'origine ancestrale, il  donne un nom égyptien à sa fille Moutiretrê Henoutnéférou (« Mout œil de Rê, dame de la perfection »), qui deviendra divine adoratrice d'Amon sous le nom de Chépénoupet II,  durant les règnes de Taharqo et jusqu’à l’an 9 de Psammétique Ier, qui inaugurera la XXVIe dynastie, dite "saïte".  On a là un bon exemple de cette double appartenance caractéristique de la nouvelle culture napatéenne. 

 

 

Comme de très nombreuses constructions idéologiques de la ploutocratie, et des classes sociales dominantes en général, pendant des millénaires, le discours de la stèle triomphale dite "stèle de la Victoire de Piankhy, qui célèbre sa victoire sur l'Egypte en l'an 21 de son règne, efface tout du long le commun au profit de l'homme supérieur en qui coule la force divine et, par un renversement complet, attribue la vigueur des combattants à sa propre force, et le fruit du labeur des travailleurs à sa générosité, à sa grandeur :  "C'est ton nom qui fait notre force, ton conseil amène ton armée au port. Ton pain est dans nos ventres sur tous les chemins, ta bière étanche notre soif."  (passages traduits de la stèle, cf. Villes de l'âge du bronze | Piyé proclame ses victoires sur la Basse-Égypte (bronze-age-towns.com). Cette  formule  est à rapprocher de toutes celles qui, dans l'histoire des civilisations, affirment le prince, l'aristocrate,  grands dispensateurs de vie et de prospérité sans lesquels le peuple serait incapable d'exister et retomberait dans un état de chaos et de déréliction.

Sphinx de Chepenoupet II

 

Divine adoratrice d'Amon

Fille de Piankhy

XXVe dynastie d'Egypte

 

  vers -- 710 - 650

 

        H 46   x   L  83   x   l   25  cm

   

Musée égyptien et collection de papyrus de Berlin (Ägyptisches Museum und Papyrussammlung)

                                                               

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                Etui de Chépénoupet II   (recto et verso)

                     Temple d'Osiris Padiankh, Thèbes

       bronze incrusté d'or, d'argent, d'électrum et ivoire

 

                 H  14.2 x L  7.6 cm x P 2.8 cm  

                   XXVe  dynastie, vers - 780 -656

 

                    Musée du Louvre,

                 Département des Antiquités égyptiennes, E 10814

                                                               

 

     Au recto, scène d'adoration, de musique, avec, de droite à gauche, la divine adoratrice portant la perruque tripartite à double plume, jouant du sistre ; Amon, revêtu d'un pagne et d'un corselet,  couronné, tient un sceptre royal ouas ; Mout, parèdre du dieu Amon et mère du dieu lunaire Khonsou (Khonsu, et symboliquement de tous les dieux), qui se tient derrière elle, coiffée d'une couronne pschent, double couronne symbolisant les Deux-Terres, la mitre rouge pour la Basse-Egypte, la blanche pour la Haute-Egypte. Khonsou, dieu à tête de faucon, porte un pagne et un corselet et tient, lui aussi, un sceptre ouas

       Au verso, protection d'Horus par son œil oudjat (udjat)  

                                                        collections du Musée du Louvre

 

                                              

                                                               

Nul désir de venger des siècles d'humiliation chez le premier vainqueur nubien des Deux-Terres, réunies pour une nouvelle entité double, Koush-Egypte. Les hiéroglyphes de la "stèle de la Victoire" parlent bien, cependant, d'un roi qui assiège les villes égyptiennes de manière impitoyable ("Plusieurs jours passèrent et le Nome du Lièvre (Hermopolis) se mit à offenser les narines, tant son odeur s’était corrompue."), et accumule à chaque victoire des butins considérables : "Il fit sa soumission devant sa Majesté : « Sois apaisé, Horus, seigneur du palais. Ta puissance a agi sur moi. Je ne suis qu’un des serviteurs royaux qui comptent les impôts pour ton trésor (lacune), mais je te donne plus qu’eux. » Alors il offrit de l’argent et de l’or, du lapis-lazuli et de la turquoise, du bronze et des pierres précieuses de toute sorte, remplissant le trésor de ce tribut. Il amena un cheval de sa main droite, sa main gauche tenant un sistre d’or et de lapis-lazuli" (Stèle de la  Victoire, in Rilly, 2017b)

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Stèle de la Victoire

 

 Stèle triomphale de Piankhy,

Stèle de l'an 21

recto

 

 granit   /   vers - 723 

 

H 184 x L 180 x P  43 cm

   

Musée égyptien du Caire

 Je 48862 et 47086-47089 

                                                               

Mais une partie de ces richesses captées par le conquérant nubien sera reversée par le nouveau souverain magnanime... au temple d'Amon à Thèbes. Tout du long de ce récit, c'est une adhésion totale aux croyances et aux rites égyptiens que signifie le conquérant, qui, dans chaque ville conquise, manifeste sa piété envers les dieux locaux.

C'est Shabatako (Chabataka, vers 714-705), fils aîné de Piankhy, qui permet aux Koushites de conquérir la Basse-Egypte, en 712, et devient peut-être le véritable fondateur de la XXVe dynastie  (Payraudeau, 2014a), éliminant par la même occasion Bocchoris (règne de  718-712), dernier pharaon de la XXIVe dynastie. Passons sur la première grande frayeur de la toute nouvelle dynastie, qu'est la grande offensive du roi d'Assyrie, Sennachérib, vers 705, contre la Palestine et la Phénicie, qui demanderont de l'aide à Shabataqo, quand bien même ce dernier avait extradé, du temps de Sargon II, en 707, le prince Yamani, enchaîné, vers l'Assyrie, alors qu'il lui avait offert l'asile, cinq ans plus tôt, quand il avait cherché à fédérer les Etats de la région contre le puissant envahisseur assyrien.  Shabatako enverra alors une coalition égypto-kouchite, à la tête de laquelle se trouvait le jeune Taharqo, fils de Piankhy. Cette armée aurait été battue (selon les sources assyriennes) à Eltekeh, entre Ashdod et Jérusalem.  Heureusement, l'Assyrien ne poursuivit pas sa campagne guerrière et rebroussa chemin,  peut-être à cause de révoltes en Babylonie, région autrement plus stratégique pour lui que l'Egypte  (Rilly, 2017b). C'est le premier souverain nubien d'Egypte qui établit sa résidence à Memphis, en pays conquis  : ce qui confirme cette fusion particulière qu'opère les pharaons noirs avec leurs anciens maîtres.  On comprend pourquoi l'historien et grand-prêtre d'Héliopolis, Manéthon de Sébennytos,  source importante de notre connaissance sur la chronologie des dynasties pharaoniques (écrite en grec vers - 250),  fait de lui le premier pharaon des Deux-Terres.

Shabaqo (Shabaqa / Chabaka, règne vers 705-690),  frère de Piankhy,  aurait usurpé le trône à la mort de son neveu Shabataqo (Chabataka, vers 713-705), fils aîné de Piankhy, et là encore, le nom du prince s'inscrit dans la culture méroïtique, où Shebo (Sébiouméker, pour les Egyptiens, voir plus bas)  est le nom d'une divinité nubienne.  Pourtant, ses grandes réalisations architecturales prirent forme en Egypte (surtout à Thèbes), "alors que son cartouche en Nubie n’est guère attesté qu’à Kawa et à Kerma/Doukki Gel. " (Rilly, 2017b). Nous voyons là encore que la conquête de l'Egypte par les Nubiens n'avaient rien d'une simple colonisation.  Shabaqo ne plonge pas dans l'histoire de la Nubie pour lui donner la première place, comme le font le plus souvent les grands colonisateurs. Ses choix montrent qu'il a, comme ses successeurs, étudié de près l'histoire égyptienne et c'est un mouvement archaïsant qu'entament avec  lui les pharaons noirs, qui l'insufflent à différents domaines culturels : sculpture, décoration, littérature, surtout  (op. cité).  

 

Les pharaons noirs sont si admiratifs de la culture égyptienne qu'ils vont construire tout un mythe autour d'une civilisation égyptienne engendrée par la Nubie. Ont été ainsi réécrits certains passages du fameux Livre des Morts, qui se compose de formules magico-religieuses censées accompagner le mieux possible le défunt dans son long cheminement vers l’au-delà  (premiers fragments connus de papyrus datés d'environ - 1650). La demeure originelle du dieu Amon devient le Djebel Barkal,  et différentes formules magiques traduites du méroïtique ancien ont été rajoutées.  Plus qu'une propagande pour légitimer les rois koushites sur le trône d'Egypte, il faut peut-être y voir une tentative du clergé de Thèbes lui même de réécrire l'histoire à travers les nouveaux vainqueurs, puisque cette tradition perdurera bien après la disparition de la dynastie des pharaons noirs (op. cité), ce qui montre encore une fois que la couleur de peau, pour ces peuples antiques, ne faisait pas partie de leurs enjeux idéologiques. Cependant, on remarquera que la physionomie donnée aux sculptures des pharaons noirs n'est pas aussi réaliste que celle, naguère, des prisonniers nubiens représentés, nous l'avons vu, dans les peintures égyptiennes. Leurs traits, en effet, plus ou moins égyptianisés, sont le fruit d'un pouvoir jeune, dont les règles en matière de représentation n'ont pas été encore bridés par une codification rigoureuse. Il ne faut guère s'étonner d'une telle emprise culturelle : Peu de cultures, dans le monde n'avaient atteint dès la haute antiquité, un tel degré de raffinement culturel, religieux et artistique, et le royaume de Koush, était alors à la fois la seule grande entité politique voisine de l'Egypte, mais aussi la seule a avoir des liens aussi étroits avec le royaume pharaonique.

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                    Figurine de Neferkarê Shabaqa   

coiffe némès (couvre-chef en lin, à rayures) et double uraeus

 

       faïence siliceuse en ronde-bosse    H  3.8 x L 3.4 cm 

                                        vers - 721 - 707

                                        Musée du Louvre,

 Département des Antiquités égyptiennes, AF 6639

                                                               

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                         Taharqo et la reine Amanitakte devant Amon et Mout de Napata,

                                                          Temple du Gébel Barkal B 300. 

 

"AETHIOPEN  Dyn. XXV.3,  BARKAL Grosser Felsentemple, Ostwand der Vorhalle  : "...Grand temple rupestre, mur est du porche" (Lepsius 1849-59), vol V, pl. 5.

                            ULB Halle: Lepsius - Tafelwerke (uni-halle.de)

 

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Sous Taharqo (Taharqa, règne de 690-664, "c'est lui le lion ?" en méroïtique), on continue d'observer l'influence prépondérante de la culture égyptienne, à commencer par sa titulature royale,  Khou (i)-Rê-Nefertoum, ce dernier fils de Ptah et de Sekhmet dans la triade divine de la ville de Memphis, où il fut couronné, et non à Napata, où il n'était alors pas retourné depuis vingt ans : On voit donc bien que les pharaons noirs continuent d'affirmer leur penchant archaïsant pour l'ancienne capitale de l'Egypte.

La Nubie devient quant à elle le reflet d'une nouvelle Egypte, travaillée par des artisans memphites qu'il envoie à Kawa. De nombreux temples sont érigés :  Un temple en grès à Kawa ; à Napata, il reconstruit le temple de Mout, épouse d'Amon, en partie enchâssé dans la falaise du Djebel Barkal. Un temple est aussi construit en face, de l'autre côté du Nil,  à Sanam, mais aussi à Tabo, sur l'île d'Argo, au sud de Kerma, ou encore à  Qasr Ibrim,  à Bouhen, ou Semna, pour le culte de Sésostris divinisé (vous pouvez retrouver tous ces toponymes sur la carte en exergue). A Sedeinga, enfin, il fait dresser une colonnade, pour agrémenter le temple de la reine Tiyi. On le voit bien, loin d'honorer leurs propres ancêtres, loin de magnifier et d'imposer leurs traditions culturelles, comme il est d'usage dans les cultures dominantes, les pharaons noirs érigent très largement la culture égyptienne en modèle. Plus généralement, le pharaon vante un règne prospère pour le peuple, antienne prononcée en substance dans tous les royaumes du monde, sans grand rapport avec la réalité, bien entendu : "Ce pays est dans l’abondance sous son règne, comme au temps du Seigneur du monde [règne mythique de Rê]. Chacun dort jusqu’à l’aube sans jamais se dire “ah ! si j’avais quelque chose !” » (stèle de Kawa n° V, datée de l'an 6, in Rilly, 2017b).   

 

 

 

 

                                         Statue de Taharqa  

   Reconstitution d'une statue originelle brisée et enterrée dans une favissa (fosse rituelle d'un temple) avec sept autres lors de l'offensive, vers - 593, du pharaon Néfer-ib-rê (Neferibrê : Psammétique II), appelé Psammis par Hérodote et Psammêtichôs. par Manéthon.  Découvertes le 11 janvier  2003 (Bonnet et Valbelle, 2003)., elles furent reconstituées avec les autres  (Musée de Kerma, Soudan) mais intransportables, elles ont dû faire l'objet de copies réalisées en impression 3 D pour l'exposition "Pharaon des Deux terres...",  tenue au Louvre entre le 28 avril et le 25 juillet 2022.

 

       Le pharaon tient dans ses mains le sceptre héqa et l'étui mekes, un autre sceptre, porte sur la tête une calotte de tissu, typique des souverains napatéens, avec deux uraei (sing. uraeus) et le pagne traditionnel des pharaons, la chendjit

                       original en granit noir      H  270 cm,   

                                              vers - -690 - 664

                                       

                 

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      Taharqo  et  Hemen    

  offrande de vin  du pharaon au dieu-faucon Hemen dans   deux petits vases globulaires appelés nou.  

 

  bois, argent, bronze, grauwacke recouvert d'une feuille d'or

 

    H  19.7  x  L  26  cm 

   vers - 690 - 664

 

     Musée du Louvre,

   Département des Antiquités égyptiennes, E 25276

                                                               

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                Statuette de roi agenouillé, Taharqo ?   

        XXVe dynastie,   Kawa, temple T, salle hypostyle n°0973

 

                  bronze doré     H  8.2  x  L 3.3 cm 

                                       vers - 690-664 ?

         

            Musées royaux d'Art et d'Histoire, E. 6942

                           Bruxelles, Belgique

Très peu d'informations nous sont parvenues sur la vie sociale des Nubiens pendant leur courte période de règne en Egypte. S'agissant de l'esclavage, par exemple, un papyrus de l’an 2 ou 6 de Taharqo (Louvre E 3328c) mentionne la vente d’un esclave nommé Ỉrt-r-ṯȝy par un propriétaire qui l’avait acheté en l’an 7 de Shabaqo (Payraudeau, 2014a).  Bien peu plus tard, alors que les Nubiens ne règnaient plus sur l'Egypte, le roi de Koush Harsiotef ("Horus, fils de son père") restaure le temple d'Amon de Napata "en l’ornant d’une chapelle de bois revêtue de quatre kilogrammes d’or, en emplissant son trésor de vaisselle précieuse et en offrant au complexe religieux vivres, serviteurs et esclaves" (Rilly, 2017d). Le même Harsiotef, vainqueur des Meded, réunit un butin fait de bétail et d'esclaves et en offre une partie, une nouvelle fois, au temple d'Amon de Napata.  

"C’est très probablement aussi avec l’intention de faire du butin que le roi envoya ses armées contre un peuple appelé les Makha, en l’an 16 et en l’an 35. Il s’agit cette fois non plus des tribus couchitiques situées à l’est du Nil mais des ancêtres des Noubas, qui allaient au IVe siècle de notre ère envahir la Nubie et lui donner son nom moderne. Les Noubas sont décrits au siècle suivant par le géographe alexandrin Ératosthène comme « un grand peuple habitant à l’ouest du Nil […], qui n’est pas vassal des Éthiopiens et est divisé en plusieurs royaumes ». Le terme « Nouba », qui vient du méroïtique nob, « esclave », n’est évidemment pas leur vrai nom mais une désignation péjorative employée par les Méroïtes quelques siècles plus tard, en concurrence avec le terme neutre Mho, « Maghu », qui est une version plus récente de « Makha ». Eux-mêmes, d’après la comparaison entre les langues nubiennes, semblent s’être appelés « Magi » ou « Magur », et c’est une transcription égyptienne de ce terme que l’on retrouve sur la stèle de Harsiotef et de son successeur Nastasen."  (Rilly, 2017d). 

 

Enfin, comme beaucoup Etats du Moyen-Orient, l'Egypte de Taharqo finira par plier sous les attaques répétées de ce qui a été "sans doute le plus grand prédateur de peuples de l'antiquité" (Rilly, 2017b) l'Empire assyrien.  Face à l'armée redoutable d' Assarhaddon, qui prendra et pillera Memphis, le pharaon noir, grièvement blessé, ira se réfugier à Thèbes, alors que différents princes et princesses nubiennes seront emmenées en captivité à Ninive, la capitale assyrienne. 

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                                                              Oushbeti du roi Taharqo

                                                     Pyramide I de Nouri         

                                      

                                        granit      h. 41.3  x l. 14.5 x   P.  9  cm

 

 

"L’usage de ce type de statuettes funéraires apparaît en Égypte au Moyen Empire. Appelées alors shaouabtis  [chaouabti, NDA] de l’égyptien shaouab, c’est-à-dire «nourrir»), les figurines s’identifient au défunt. À la XXIIe dynastie, le vocable oushebti (de l’égyptien ousheb qui signifie «répondre») les désigne. Ce terme indique aussi le changement de relation qui s’instaure entre la statuette et le défunt. Il s’agit désormais d’une relation hiérarchique de maître à serviteur." (Bruwier,  2007 : Catalogue des objets archéologiques)   

Se pencher sur les oushebtis permet de souligner une énième fois , que depuis la plus haute antiquité, les gouvernants s'approprient illégitimement, par des moyens  idéologiques, le fruit du labeur des  travailleurs, paysans et ouvriers. Ici, Taharqo, enveloppé du khât, coiffe de la noblesse égyptienne, , porte, selon une posture codifiée, deux houes  et deux sacs de grains sur les épaules. Sur son corps est gravée une phrase du Livre des Morts, au chapitre VI, relative aux corvées agricoles que le défunt est tenu de réaliser, mais dont, en réalité, bien évidemment, ses serviteurs seuls supportent la charge de travail  :

 

" Illumination [ou instruction] de l’Osiris, le roi Taharqa. Il dit: «Ô cet oushebti, si on inspecte, si on appelle, si on dénombre le roi Taharqa juste de voix, pour remplir ses obligations, en écartant le mal du roi au cours de ses prestations: «Me voici», diras-tu. [Si] on inspecte en tout temps où l’on travaille pour faire croître les champs, pour remplir les canaux d’irrigation, pour transférer le sable de l’est à l’ouest et vice versa; si on mande le roi Taharqa juste de voix, pour faire tous les travaux qui se font dans la nécropole: «Je le fais, me voici» diras-tu dans la nécropole, «C’est moi qui suis toi»"  (in  Yoyotte,  2003)

                                                                vers   - 690 - 664 

 

                                       Musées royaux d'Art et d'Histoire, E. 6111

                                          Bruxelles, Belgique

                

                                                               

 

Le successeur de Taharqo, son cousin germain Tanouétamani (Tanoutamon), fils de Shabaqo et de la reine Qalhata, ne profitera pas longtemps de la victoire qu'il remportera sur le roi égyptien Néchao (Nekao)  Ier, protégé du roi assyrien Assourbanipal, qui perdra la vie dans une bataille, pendant que s'enfuira en Assyrie son fils, le futur Psammétique Ier, de la XXVIe dynastie saïte, d'où il reviendra pour reprendre le pouvoir en Egypte, sous la protection du roi assyrien, toujours, qui saccagera Thèbes pour la première fois de l'histoire, poussant le dernier pharaon, de la XXVe dynastie à se réfugier à Napata.  Suit une période confuse et mal connue du royaume napatéen qui n'est pas notre sujet ici, mais dont on ne s'étonnera pas qu'elle continue de présenter des différences sociales importants entre riches et pauvres. La pyramide comme monument funéraire n'était plus une prérogative royale depuis la XXVe dynastie, alors les grandes familles princières de l'époque se faisaient construire des pyramides qui, si elles n'étaient pas en pierre comme celles des pharaons noirs, mais en briques rues, n'en étaient pas moins de très grande taille, avec moult chambres et chapelles souterraines, tandis que les familles d'extraction modeste, enterrées bien entendu dans d'autres cimetières, se contentaient "de simples fosses couvertes d’un tumulus de schiste et de galets, qui perpétuent le type d’inhumation habituel à l’époque du royaume de Kerma"  (Rilly, 2017e).   Pendant ce temps, en Egypte, la puissance perse avait agrandi son immense empire et Cambyse II se faisait proclamer pharaon en inaugurant la XXVIIe dynastie : Encore une fois, "les élites s’accommodèrent de cette première domination perse, avec laquelle ils collaborèrent, mais le peuple égyptien la vécut comme une humiliation. L’époque des « pharaons noirs » de la xxve dynastie, magnanimes dans la victoire, respectueux du passé de l’Égypte, d’une piété irréprochable envers ses dieux, leur parut un âge d’or perdu dont ne subsistait que cette dynastie lointaine, isolée dans les sables de Méroé"  (op. cité).   La propagande perse des successeurs de Cambyse II, Darius Ier (522-486 av. j.-c.) et Xerxès Ier (486-465), compte officiellement le royaume de Koush parmi ses vassaux, sur les reliefs ou les inscriptions de Suse et de Persépolis, alors qu'il n'en est rien. La Nubie traverse alors une période de calme et de prospérité, qui a établit des liens diplomatiques avec la Perse, avec, en particulier des échanges de cadeaux.  Selon Hérodote, l'armée de Cambyse aurait bien essayé d'envoyer des espions à Méroé (Hérodote, Livre III, 19-25), puis d'envahir la Nubie, mais ses troupes, peu préparées aux conditions désertiques, auraient péri en grande partie : nous ne possédons cependant aucun document historique permettant d'étayer ce récit, d'autant plus qu'il est encadré par toute une tradition fabuleuse grecque sur les pays lointains de l'Hellade, qui passe dans le texte d'Hérodote pour des faits rapportés par lesdits espions. En réalité, l'auteur grec inaugure-là le mythe du "bon sauvage" :  les Ethiopiens vivraient cent vingt ans, possèderaient une fontaine de jouvence, seraient les plus beaux et les plus grands des hommes, disposeraient de tant d'or que les chaînes des prisonniers seraient faites de cette matière, seraient gouvernés par un souverain d'une grande sagesse, critiquant le raffinement de la culture méditerranéenne qu'il ne possèderait pas : là encore, nous avons des sentiments ambigus, de la part du littérateur de l'Hellade, mêlés de fascination et de sentiment de supériorité, qui servent l'idéologie morale des élites grecques et peuvent alimenter le dossier de la xénophobie antique. Les Koushites n'échappent pas à la règle, qui appellent Lehlehes (ou Rehrehes) des tribus nomades menaçant la région de Méroé, par un redoublement parodique et péjoratif de syllabe, semble-t-il, pour désigner des "barbares", comme le feront les Grecs ou les Arabes, par exemple (cf. Au pays des Imazhigen).  Il s'agit là sans doute des Bulahau, ancêtres des Blemmyes, qui commençaient de grignoter ici ou là des portions de la Nubie, ou des tribus apparentées  (Rilly, 2017e).  

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                           Tombe (Ku 16) de Tanouétamani   (règne vers - 664 - 656,

                                                            Nécropole royale d'El-Kourrou     

                 

 

                                  antichambre

 

 

Fresque représentant, le pharaon, au centre, encadré de deux des quatre fils d'Horus attachés à des  viscères particuliers du défunt :  Qebehsenouef, à gauche, pour les intestins, Imset, à droite, pour le foie.  Singularité, , ici, les dieux ont des têtes humaines et non les traditionnelles têtes animales peintes depuis la XXe dynastie. 

 

                           

 

                            chambre   funéraire, paroi sud

                                             

 

           Décoration inspirée du Livre des Morts, avec citations des formules rituelles de l'ouvrage, avec génies funéraires à têtes humaines ou animales, qui tiennent tous le sceptre ouas ou le symbole de la vie, Ankh. A noter une grande représentation de scarabée (scarabeus sacer), que les anciens Egyptiens associaient au soleil et à la terre, mais aussi à la mue d'Osiris passant de la mort à la résurrection et, plus généralement au triomphe de la vie sur la mort.                         

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     Tombe  (Ku 5 de la reine Qalhata, reine consort de son oncle Shabaqo

 

     Nécropole royale d'El-Kourrou,   fin VIIIe - début VIIe  siècle avant notre ère

                                             

 Métamorphoses osiriennes de la reine Qalhata,  fille de Piankhy et mère de Tanouétamani,  entre mort et résurrection (en haut, une des nombreuses opérations du rituel de l'ouverture de la bouche, censé redonner au défunt  le pouvoir de respirer, de manger, de boire, de parler, etc. En bas, la reine apparait momifiée, une des phases importantes du chemin vers l'au-delà.                      

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           a                                b                            c                              d

Oushebtis de  rois napatéens

 

                                                               

a.   Oushebti de la reine Akhe (Akheqa ?), faïence, H.: 17,8 cm; l.: 6,8 cm,  Règne d’Aspelta (593-568 av. J.-C.) et d’Amtalqa (568-555 av. J.-C.) Nouri, pyramide XXXVIII,  Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 7365

b.  Oushebti du roi Anlamani, faïence égyptienne, H.: 27,3 cm; l.: 8,8 cm,  Règne d’Anlamani (623-593 av. J.-C.) Nouri, pyramide VI,  Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 6108

c.  Oushebti du roi Aspelta,  faïence égyptienne, H.: 26,2 cm; l.: 7,6 cm,  Règne d’Aspelta (593-568 av. J.-C.) Nouri, pyramide V,  Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 6107A

d.  Oushebti du roi Senkamanisken, serpentinite, H.: 18,2 cm; l.: 6,6 cm Règne de Senkamanisken (643-623 av. J.-C.) Nouri, pyramide III Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 6109 A

(Bruwier,  2007 : Catalogue des objets archéologiques)   

culture nok
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     acmé de la culture Nok,

        (  - 500  >   + 200 )

BÉNIN

 NIGER 

CAMEROUN

TCHAD

Niger

Benue

 NIGERIA 

 

La culture Nok (vers - 1500 + 200) figure parmi les plus anciennes connues en Afrique subsaharienne, avec une période d'épanouissement entre - 500 et + 200 s'éteignant peut-être à cause de conditions environnementales défavorables au tournant de l'ère chrétienne.  Elle semble avoir dominé une région où a fleuri d'autres traditions, comme à Sokoto ou à Katsina, ou encore Yelwa, où les sculptures en terre cuite retrouvées ont aussi leur style propre.  

L'archéologue britannique Bernard Fagg lui donna le nom du village nigérian proche de sa découverte de sculptures en terre cuite, par hasard dans les alluvions d'une mine d'étain à ciel ouvert.  Malgré de grands travaux de fortifications pour construire de larges fossés autour de certains villages,   qui nécessitaient une organisation et probablement des chefs, les sociétés noks, semblent avoir été plutôt économiquement égalitaires.   

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               Tête de janus

 

    Culture Nok, Katsina  Ala 

                                      

         terre cuite   H. 27,5  cm          

                - 700 - 400  

 

        collection particulière

                                     

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               Tête masculine

    Culture Nok, Etat de Sokoto 

                                      

  terre cuite   H.33  x L. 20 cm          

                - 500 - 100  

 

        Musée du Quai Branly,

                 Paris

                 

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                                   Tête de femme   

         Culture Nok, Rafin Kura, Nigeria         

                                      

         terre cuite         h.30  x  22 cm          

                       - 500 + 200 

 

    Yemisi Shyllon Museum,  Ibeju-Lekki,

               Etat de Lagos, Nigeria  

                

                                                               

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"Aucune des nombreuses fouilles des vestiges architecturaux n'ont révélé des habitations susceptibles d'avoir été occupés par des membres de haut rang de la communauté. De plus, les  tombes ne présentent pas de signes d'hétérogénéité indiquant une différence entre sépultures de membres de l'élite et celles du peuple. Nulle part, on trouve une accumulation d'objets de valeur , que ce soit en fer ou d'autres matériaux soulignant une inégalité en terme de propriété ou de richesse." (Breunig & Rupp, 2016)  Ce qui n'a pas empêché ces cultivateurs de millet ou de niébé, qui récoltaient aussi des plantes sauvages,  d'avoir une nourriture abondante et une organisation propre à créer des objets sophistiqués que nous classons aujourd'hui  au rang d'objets d'art. 

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Le Royaume de Méroé

 env.  - 270   + 340 

 

 

Dessin de Jean-Pierre Heim,  Méroé, Travelling is an art, février 2021

Les pyramides de Méroé, Soudan, croquées avant d’être croquées (chroniques-architecture.com

Introduction

 

 

 

Une violente scission entre castes dirigeantes serait à l'origine d'une refondation du royaume koushite, au IVe siècle avant notre ère. La tradition grecque parlait d'un violent conflit de pouvoir entre prêtres et souverains,  et vanta la culture grecque du premier souverain inhumé à Méroé, Ergaménès (Arkamani, Arqamani), pour expliquer sa prétendue décision de rompre avec une "superstition" qui donnait aux prêtres un pouvoir de vie et de mort sur tous, y compris le roi : 

"Précédemment, les rois obéissaient aux prêtres, non qu’ils y fussent contraints par la force ou les armes, mais parce que leur esprit était soumis à cette superstition. Or, au temps de Ptolémée II, le roi des Éthiopiens, Ergaménès, qui avait reçu une éducation grecque et agissait en philosophe, fut le premier à dédaigner cet ordre. Il prit une décision digne d’un roi et, entouré de soldats, entra dans le saint des saints, où se trouvait le naos d’or des Éthiopiens. Il égorgea tous les prêtres et, ayant aboli cet usage, engagea des réformes selon ses propres principes"  (Agatharchide de Cnide, cité par Diodore de Sicile, Bibliothèque historique (titre original grec : ιστορική βιβλιοθήκη, Bibliothecae historicae, en latin),1er siècle avant notre ère)


Le scénario grec, en fait, recycle des mythes anciens, en particulier celui du roi Busiris, "une légende grecque selon laquelle Héraclès, sur le point d’être sacrifié sur l’ordre de ce roi légendaire d’Égypte, brisa ses chaînes et tua les prêtres qui devaient procéder à son immolation(Rilly, 2017e).   L'invention grecque fait l'impasse sur le fait que Méroé, appelée parfois "île  de Méroé",  car entourée des eaux du Nil, du Nil bleu et de l’Atbara, était déjà une capitale politique depuis un bon moment,  et Hérodote mentionne la cité sans jamais parler de Napata, qui n'avait pourtant pas cessé de célébrer le culte d'Amon (Amani), dont le nom est intégré à celui des trois premiers rois de Méroé :  Arkamani Ier ( (Khenem-ib-Rê, règne vers - 270 - 260), Amanislo (Ankh-Nefer-ib-Rê), et Amanitékha.  En réalité, expliquera Török, il a dû s'agir d'un changement violent de dynastie, par lequel Arkamani s'est arrogé le pouvoir par la force et non de manière traditionnelle, par les liens du sang. En dehors de quelques détails vestimentaires, il faut noter l'importance déjà signalé des femmes, non pas dans le pouvoir proprement dit, mais par l'influence politique qu'elles exercent (op. cité).  Ainsi, la reine-mère, par exemple, tient le second rôle dans le rang protocolaire, et si dans la principale nécropole napatéenne de Nouri, on ne trouve que des rois,  dans la partie méroïtique de Begrawwiya, non seulement les reines se tiennent aux côtés de leurs époux mais deux d'entre elles, Bartaré et Kanarta, sont figurées elles aussi en costume tripartite de souverain et portent la calotte royale kouchite, probablement parce qu'elles ont exercé réellement le pouvoir en tant que régentes, pendant la minorité de leur fils, qui ont été peut-être Arkamani et Amanislo. Il ne s'agit donc pas, comme dans beaucoup d'autres pays,  d'un pouvoir suprême tenu par des femmes, et leurs monuments de petite taille comparés aux pyramides massives de leurs fils sont là pour en témoigner.  

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Dans le royaume de Méroé, on pratique un certains nombre de métiers au sein des activités familiales,  dans les quartiers  d'habitation  (tissage, vannerie, confection d’outillage, cuisine), tandis que des ateliers spécialisés sont installés en périphérie (potier, briquetier, forgeron, etc.).

"
L’enceinte quadrangulaire (Hamadab, Méroé), l’association temple-palais-voie processionnelle (Wad Ben Naga, Mouweis, El-Hassa, Hamadab, Méroé, Naga, Dangeil, Djebel Barkal) et les quartiers réguliers en insulae (Hamadab) sont incontestablement le fait d’une autorité locale forte, désireuse de contrôler le paysage urbain. De la même façon, la séparation nette entre activités domestiques mineures pratiquées au sein de l’habitat (cuisine, tissage) et activités artisanales spécialisées renvoyées en dehors de la ville (ateliers, fours) sont la marque d’une organisation urbaine très développée, typique de l’organisation urbaine méroïtique. Par ailleurs, le réseau régulier de villes principales (Méroé) et secondaires (Mouweis) mis en place dans le Boutana relève, lui aussi, d’une volonté de contrôle du territoire et de la population.

Les territoires trop éloignés des grands centres royaux ont une organisation plus lâche, plus indépendants, ne reposent "
que sur la légitimité religieuse du souverain, le commerce à longue distance et la redistribution des biens de prestige". Cependant, "on ne peut imaginer le développement d’un royaume, sur plus de 1 500 kilomètres de long, et pendant plus de 500 ans, sans une centralisation affirmée" 
 (
Choimet, 2018)    

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                                               Boîte à toilette  

                           Cimetière de Karanog 

       

                                      

bois, incrustations d'ivoire             h.  28.1  x  l.  26.9  x  P.  23.1  cm  

 

La serrure a disparu, avec pour seul vestige un moraillon en fer à l'endroit de la plaque de serrure, au-dessus de la figuration des bijoux. Le dieu Bès, représenté deux fois, sans corps, sert à "écarter les forces hostiles". La déesse représentée rappelle Aphrodite, et sa coiffure ressemble à celle de la déesse Hathor.  Elle est figurée sur deux registres dans une fenêtre cintrée surmontée d'une frise d'uraei stylisés, protégée par un sphinx. Au-dessus des frises, apparaissent des fleurs de lotus en bouton ou ouvertes. 

Ont été retrouvés dans certaines boîtes des étuis à khôl, des petits pots de crème et d'onguents, qui ont servi au quotidien avant le décès. 

                                (Francigny, 2008)

                                   100  + 300 

 

                                                   Pennmuseum 

(University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology) ,  Philadelphie (Pennsylvanie)

source :    https://www.penn.museum/collections/object/127116

      

   

                                                               

Nous avons vu que la société koushite était hiérarchisée depuis longtemps déjà, et  le vêtement est un des éléments qui permettent aux archéologues de matérialiser les différences sociales. Si une grande partie de la population évolue en tenue d'Adam ou simplement vêtue d'une ceinture pelvienne ou d'un pagne en tissu ou en cuir,  les vêtements de la classe dirigeante, souvent représentés sur les monuments, et trouvés en abondance dans les tombes, avec,  depuis le Ier siècle, un grand développement du coton parfois mélangé à la laine. Faut-il préciser qu'à l'instar de nombreuses sociétés hiérarchisées, l'habit du riche doit se distinguer de celui du pauvre, et même parfois, distinguer les rangs sociaux eux-mêmes : "Les costumes des notables, complétés de bijoux et d’accessoires, opéraient une discrimination visuelle immédiate et forte entre les membres de l’élite et le reste de la population"  (Yvanez, 2018).  

 

Cette distinction sociale touchait parfois aussi bien les adultes que les enfants. Si les enfants  avaient plutôt l'habitude d'être nus, les garçons des classes privilégiées  s'habillaient parfois du même costume que leur père ou le patriarche familial, ce qui souligne une fois de plus l'importance des liens de parentés chez les Koushites, qui doit être ostensible. 

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Par ailleurs, l'homogénéité  technique et stylistique des  textiles destinés aux élites, dans l'ensemble de la Nubie, entre le Ier et le IIIe siècle,  semblent être un indice supplémentaire de la puissance centralisatrice de l'Etat koushite   (Yvanez, 2018).   A la fin de la période méroïtique, l'importance du succès social se lit en particulier dans l'espace funéraire, où un certain nombre de familles insistent de plus en plus sur les rangs administratifs de leurs membres plutôt que sur leurs noms personnels, allant même jusqu'à le faire disparaître au profit du titre acquis par l'individu (op. cité)

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      Tissu funéraire    

  "Tissu en armure nattée et bouclée, bordé d’une frise de svastikas et rayures en tapisserie bleue"  (Yvanez, 2018)

 

Djebel Adda, tombe Z-7,

 époque méroïtique final ou post-méroïtique

 

                             Royal Ontario Museum

                                    ROM  973.24.3528 

   

                                                               

svastika   :  "Le svastika... est un motif universel d’une grande ancienneté, puisqu’il apparaît en Iran dès le IVe millénaire avant notre ère. Symbole solaire dans de très nombreux cas, il est aussi « symbole du tourbillon créationnel autour duquel s’étagent les hiérarchies créées qui en émanent. Quel qu’en soit le sens, le svastika indique manifestement un mouvement de rotation autour du centre, autour du moyeu immobile, qui est le pôle du monde manifesté. C’est le symbole de la génération des cycles universels, des courants d’énergie : non du monde, mais de l’action du Principe à l’égard de la manifestation »" [Chevalier, Gheerbrant, 1974 (t. IV, p. 248), citant notamment Champeaux et Sterckx (Introduction au monde des symboles, p. 25), note n° 137].


"Le mot sanscrit svastika signifie « de bon augure ». Ce motif est considéré comme bénéfique dans des aires culturelles diverses. Des svastikas sont associés à un oiseau qui attaque le mauvais œil, sur un vase en terre cuite provenant de Chypre (VIIe s. av. J.-C.). Dans un décor de stuc, à Qum, en Iran, un svastika est formé de calligrammes : le nom de 'Alî dessine la première partie des bras du svastika, que prolongent les noms de Muhammad et Fâtima. Autour du motif, le mot Hasan est écrit trois fois. Au svastika est donc associée la filiation calide, comme sur certaines inscriptions" (Bonnenfant, 2002). 

Méroé : l'arc et le sceptre
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      Méroé : L'arc  et  le  sceptre  

  

                                                               

 

 

 

      Lion de Prudhoe    

  Réalisé en deux exemplaires pour Amenhotep III. La paire de lions se dressait devant le temple de Soleb. 

 

               granit rose    h. 117  x  L  216 x  l. 93 cm

 vers  - 1370

 

                         British Museum,  EA2

   

                                                               

La paire de lions a très probablement été transférée de Soleb au Djebel Barka du temps de Piankhy. Amanislo y fit graver à la base de la patte gauche un cartouche portant sa titulature en hiéroglyphe, Ankh-nefer-ib-rê  : "Que vive Neferibrê" ("Parfait est le cœur de Rê").

Les deux imposantes statues seront rapportées par Lord Prudhoe pour le British Museum en 1835 (on touche là au pillage récurrent des oeuvres, opérées par les élites des nations dominantes tout au long de l'histoire).  L'égyptologue Auguste Mariette traduisit par erreur le nom d'Amanislo par Amonasro et c'est ce nom qui fut repris par Antonio Ghislanzoni, l'auteur du livret de l'opéra Aïda, de Giuseppe Verdi, pour le roi d'Ethiopie, un des principaux personnages de l'œuvre. 

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Ce n'est qu'avec l'avènement d'Arnekhamani (Arnakhamani, de son vrai nom Elankhamani, vers - 240-215),  dont la titulature royale demeure égyptienne (Khéperkarê, Kheper-ka-Rê, "l’âme de Rê est en devenir", imitation de celui de Sésostris Ier), que des dieux d'origine d'Afrique noire sont introduits dans le panthéon koushite, jusque-là entièrement investi par les dieux égyptiens, nous l'avons vu, et dont la présence restera majoritaire. Ils apparaissent dans le cadre d'un vaste complexe culturel que commence de faire bâtir le roi, mais dont l'érection s'étend sur huit périodes entre la fin de l'époque napatéenne jusqu'au milieu de l'époque méroïtique,  à l'endroit occupé par Musawwarat es-Sufra (M. es Sofra), dans la région ouest du Boutana, le Keraba, alors au milieu de la  la savane en voie de désertification (phénomène commencé vers - 3500 dans la région).  Sa situation géographique, proche de la 6e cataracte, bien éloigné de l'Egypte, nous donne une indication sur son lien plus étroit avec la culture koushite proprement dite. 
 
Le complexe de Musawwarat se compose de ce que les archéologues nomment la grande Grande Enceinte, pourvue  pour le principal de quatre temples, de deux grands réservoirs conservant l'eau de pluie de l'été (hafir, plur. hayafir, en arabe), dont le plus grand est immense, avec un diamètre de 250 m sur 6,30 m de profondeur, et d'un espace à vocation peut-être résidentielle, appelé la Petite Enceinte. Le temple le plus emblématique est petit (15 x 9 m), en grès, à la décoration intérieure très riche, il est appelé "temple du lion", animal divinisé en Nubie depuis des temps très anciens. Bâti sous le règne d'Arnekhamani, contemporain de Ptolémée III Evergète Ier (246-222), comme l'autre temple (300) à proximité,  le temple, relié au grand hafir,  est dédié au dieu principal et local, à tête de lion, Apedemak, dont le nom est formé du méroïtique maka (mk), "dieu" et de abede (apede : "créateur"), terme proche de ceux qu'on retrouve dans des langues actuels, comme le nara de l'Erythrée ou nyimang des montagnes Nouba, au Soudan, dont l'origine commune remonte au IIIe millénaire avant notre ère  (Rilly, 2017e)

 

Musawwarat es-Sufra, Temple du lion / Temple d'Apedemak

  règne d'Arnekhamani,  vers - 240 - 215    

 

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Façade principale côté est du temple du lion de Musawwarat, avec "pylônes" (portes monumentales). L'entrée est flanquée de deux lions. 
 

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Sur la face sud du monument, le dieu Apedemak conduit un cortège de dieux vers le roi Arnekhamani, qui porte le costume tripartite, la calotte koushite surmontée de la couronne hemhem. Le dieu, qui porte la couronne atef, et dont les oreilles sont ornées des cornes de bélier du dieu Amon, tend d'une main au souverain un sceptre à tête de lion, sous lequel on aperçoit le jeune fils du roi, le prince Arqa (Arka), présentant deux encensoirs. De l'autre main, en guerrier protecteur, il tient un arc, un carquois et un prisonnier entravé au bout d'une corde, dont la taille de représentation reflète son insignifiance. Derrière Apedemak, suivent un cortège de dieux : de droite à gauche :  Amon de Thèbes, Shebo, Arensnouphis (un dieu nubien tardif au nom égyptien, qui porte la calotte traditionnelle), Horus et Thot, passablement endommagé. 
 

Côté nord, on retrouve, à gauche, le roi Arnekhamani et son fils Arqa, le souverain recevant la force de vie (ankh), par le sceptre ouas tendu vers lui par Apedemak (        ) groupe suivi d'une cohorte de dieux et de déesses, dont les  premiers sont très endommagés, suivis de Shebo /Sebioumeker, dieu de la fertilité, de Satis, déesse du Nil,  de Horus, dieu faucon surmonté du disque solaire,  et d'Isis (        ),  portant l'ancienne double couronne à l'unique uraeus. 
 

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Musawwarat es-Sufra,  Reconstitution de la façade du temple 300, par l'archéologue allemand Karl Heinz Priese (1935-2017),  dessin paru dans "Musawwarat es-Sufra: Interpreting the Great Enclosure",  article de Steffen Wenig in  Sudan & Nubia, No 5,  publié par la Sudan Archaeological Research Society,  2001

https://issuu.com/sudarchrs/docs/s_n05-wenig/13

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Sur les murs en grès du complexe on trouve beaucoup de graffitis en dévotion à Apedemak, très probablement honoré depuis la haute antiquité au pays de Koush et le seul à Musawwarat à ne pas posséder d'attributs égyptiens. Une nouvelle théologie va faire coexister le culte d'Amon ou Arensnouphis, dieu tardif, avec celui des divinités koushites, Apedemak, bien sûr, mais aussi Shebo (Sebo), qui a la physionomie d'Atoum et coiffé du pschent, la double couronne pharaonique, son nom égyptien Sbjwmkr (Sébioumeker, Sebiumeker) étant la transcription de son vrai nom koushite, Sebo-mk-l, qui est attesté dans le temple  200 de Naga (Rilly, 2017e)L'intérieur est intéressant par ses influences étrangères, hellénistiques, en particulier, et il semble très probable que des artistes grecs ont collaboré à cette décoration intérieure, signe sans doute d'une proximité avec l'Egypte lagide des Ptolémées. La présence singulière des éléphants de combat (cf. images plus haut) est un  témoin supplémentaire de cette influence, car après avoir affronté dans l'Indus des armées disposant de puissants pachydermes, Alexandre le Grand les avait fait venir en Perse avec des cornacs indiens, puis Ptolémée II les fit apporter du sud de Méroé, par des accords avec la royauté kouchite, commerce qui constituait une source de revenus importante du temps d'Arnekhamani, mais qui se tarit très vite, car les éléphants de Méroé étaient plus petits que les éléphants d'Asie et ne faisaient guère le poids dans les confrontations pachydermiques durant les batailles  (cf. Rilly, 2017e)    

Le fils d'Arnekhamani, Arkamani I, finit par adopter pour la première fois en cinq siècles une titulature en méroïtique, écrit encore en hiéroglyphes égyptiens car l'écriture méroïtique n'existait pas encore, mais toujours relié aux dieux égyptiens : mk-l-tk js-trk ("Aimé d'Isis et élu de Rê"). Roi entreprenant, il fait bâtir un temple dédié à Arensnouphis sur l'île de Philae, un autre à Mandoulis, dieu très probablement nubien mais considéré comme le fils d'Isis, à Kalabcha. A Dakka, il poursuit les travaux entamés par Ptolémée IV dans le temple de Thot, à Pnoubs (Pȝ-nbs, "le jujubier", en égyptien, à l'orée de Kerma / Doukki-Gel), le pouvoir égyptien étant mis à mal par des révoltes contre la colonisation grecque, protégeant ainsi le clergé de Philae, devenu très influent, comme naguère, le clergé d'Amon. Après le règne d'Adikhalamani, fils ou frère du précédent, les Nubiens furent de nouveau chassés de la région, par Ptolémée V Epiphane. C'est sa possible épouse, Nahirqo, qui reprit les rênes du pays vers - 170, après la mort prématurée de Tabirqo, peut-être son fils aîné, et qui est considérée comme la première Candace, même si le titre lui-même existe depuis les débuts du royaume de Méroé : ktke, kdke, ktwe, kdwe kntjky et  kandakê pour sa transcription égyptienne et grecque. Ce  sont des reines parfaitement légitimes, à la différence des reines égyptiennes, nous l'avons vu, qui ne prenaient le pouvoir que dans des conditions exceptionnelles. Quand elles n'accompagnent pas un roi elles prennent le titre de qore ("souverain"), précédant celui de Candace. Tout en étant représentées comme des femmes, qui apparaissent avec des formes extrêmement généreuses (tout l'inverse des sylphides égyptiennes),  elles sont figurées parfois armées et impitoyables avec leurs ennemis, comme Amanishakheto (Amanishaketo, règne vers - 35 - 20), reine très riche qui avait un palais à Ouad (Wad) Ben Naga,  figurée en guerrière sur le pylône (image 12), de sa pyramide (images 10-11), dans laquelle elle fut enterrée avec un véritable trésor de bijoux. Sa fille Amanitore et son époux Natakamani (vers - 50 + 20) apparaissent sous le même jour sur le temple du lion de Naga (cf. plus bas).  Tout cela ne fait pas du royaume de Méroé un matriarcat, car les "fonctions administratives et religieuses sont l'apanage des hommes (...) On n’a aucune mention de reine régnante depuis la création du royaume koushite jusqu’à la fin de l’époque napatéenne, bien que la reine-mère dispose d’un rang élevé qui en fasse le deuxième personnage de l’État. Il ne semble pas qu’une fille puisse succéder à son père, comme aujourd’hui en Angleterre ou dans les pays nordiques. Il n’est donc pas exclu que l’institution des Candaces soit issue d’une extension du statut de régente. La Candace est assurément une reine-mère. Elle est figurée généralement comme une femme plantureuse, aux cuisses larges, aux fesses rebondies et aux seins tombants, et jamais comme une reine juvénile. Il ne s’agit pas, comme on le lit parfois, d’illustrer une conception « africaine » des canons de beauté féminine mais d’exalter sa maternité et sa maturité. "  (Rilly, 2017e).   
 

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"Assour — Vue particulière d'une grande pyramide de l'ouest, à une lieue du Nil",  lithographie de Gottfried Engelmann (1788-1839) d'après un dessin de l'explorateur Frédéric Cailliaud, (1787-1869) paru dans "Voyage À Méroé, Au Fleuve Blanc, Au-delà De Fâzoql Dans Le Midi Du Royaume De Sennâr, À Syouah Et Dans Cinq Autres Oasis; Fait Dans Les Années 1819, 1820, 1821 Et 1822",  vol I, planche XLI, 4 vol + 2 vol. d'atlas et de lithographies, édités en 1826 et 1827 à Paris, Imprimerie Royale

Pyramide  Beg (Begrawiya) N (Nord) 6 d'Amanishakheto, dans le cimetière nord de Méroé,  avant sa vandalisation par le médecin devenu chasseur de trésors, l'Italien Giuseppe Ferlini qui aurait abîmé ou détruit une quarantaine de pyramides méroïtiques à l'explosif, par cupidité, à la recherche de trésors, à partir de 1834, pour les vendre, à des princes allemands  (Rilly et al, 2017e ; Maillot et al., 2017)



 

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"Pyramiden von Meroë",  
lithographie  d'
Ernst Widenbach (dessinateur) et Wilhelm. Loeillot (lithographe), d'après le croquis de

Karl Richard Lepsius (1810-1884), in :  Lepsius 1849-56, pl. 137. 

Pyramide d'Amanishakheto à Méroé, BnF, départment des Estampes et de la photographie, GB-84 (B)-FT 4

 

 

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             Pylone de la pyramide N 6 d'Amanishakheto, à Méroé, v. - 35 - 20
                           

 

"                        Begerauieh  Pyramidengruppe A. Pyr. 15, Pylon"

          ("Pylone de la pyramide 15 du groupe pyramidal A de Begrawiya")

                          ULB Halle: Lepsius - Tafelwerke (uni-halle.de)

Amanishatheko "apparaît en costume tripartite de souverain méroïtique (tunique, châle et cordelière)".  Sur le côté nord (le côté «féminin», celui de la Candace), elle porte un diadème orné d’un écusson à l’effigie du bélier d’Amon et surmonté d’un rapace, faucon d’Horus ou milan d’Isis dont les ailes éployées protègent ses tempes. Ses joues sont scarifiées de trois traits verticaux, comme celles de la déesse Amésémi, épouse d’Apédémak"  (Rilly, 2017e).

     

Trésor  d'Amanishakheto, quelques joyaux... 

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                                Bracelet d'Amon,  ÄM 1644

le "trésor" de la reine a été découvert par Giuseppe Ferlini en 1834 en vandalisant sa tombe, dans la pyramide N (Nord) 6 du cimetière nord de Méroé (Begrawiya), probablement dans la chambre funéraire,  et vendu "aux rois Louis Ier de Bavière en 1839 et Frédéric-Guillaume II de Prusse en 1844" (Rilly et al, 2017e)

 

             fermoir avec bélier Amon devant son temple, au milieu

 

                or, lapis lazuli, pâte de verre cloisonnée 

                                       v. - 35 -20      L. 18.5  x   h  3 cm

                

                                   Neues Museum (Nouveau Musée)

·             Ägyptisches Museum und Papyrussammlung

                                    Berlin, Allemagne 

                                                              

meroe-amanishakheto-bracelet-or-reine candace-deesse mout-début 1er s-musee egyptien munic

 

 

 

                                   Bracelet  de Mout

fermoir avec déesse Mout ailée émergeant d'une fleur de lotus (nymphaea lotus), portant sur la tête une dépouille de vautour, symbole de régénération attaché à la déesse, surmontée du pschent, la couronne double. Le bracelet était attaché au bras ou à l'avant-bras par un lien de cuir ou de tissu. Un bracelet similaire, avec la tête de la déesse koushite Amesemi épouse d'Apedemak, surmontée d'un faucon et d'un disque solaire a été perdu (Ant 708)

 

             or, pâte de verre colorée et cloisonnée 

                                     v. - 35 -20      h  4.6 cm

               

                                    München (Munich)  Allemagne

                       Staatliche Sammlung für Ägyptische Kunst

                           (Collection nationale d'art égyptien)

                                                 Ssäk, Ant. 707 / 2455

                                                              

Anneaux-écussons

bijoux destinés à être fixés sur la coiffure royale.  

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Bijou portant double uraeus, sous la protection de l'oeil d'Horus (udjat, oudjat),  enchâssé dans le disque solaire

 

   or, pâte de verre colorée

 

 

        v. - 35 -20     h.  5 cm

     Musée d'Art égyptien

München (Münich), Allemagne

      2446 d  

                       

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   tête du dieu-lion Apedemak                       coiffée du hemhem

                     ÄM  22872

 

 

 

    or, pâte de verre colorée et                  cloisonnée 

 

v. - 35 -20      l.  3.8  x  h.  4.5 cm

               

             

                Berlin  Allemagne

              Neues Museum

                       

                                       

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  tête de bélier Amon, coiffée du hénou, couronne divine pourvue de deux plumes d'autruche, plantées sur deux cornes de bélier.

      or, pâte de verre colorée et                  cloisonnée 

 

     v. - 35 -20      l.  3.8  x  h.  4.2 cm

               

             

        Musée d'Art égyptien

München (Münich), Allemagne

                 2446a

                       

             

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tête du dieu Shebo (Sebioumeker)

 

 

    or, pâte de verre colorée

     

       v. - 35 -20      h.  3.7  cm

     Musée d'Art égyptien

München (Münich), Allemagne

      2446 c  

                       

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tête du dieu Amon, devant son temple, surmontée du disque solaire

 

       or, cornaline (rouge)

     pâte de verre colorée

        v. - 35 -20      h.  5.5  cm

     Musée d'Art égyptien

München (Münich), Allemagne

      2446 b

                       

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Bagues sigillaires à intaille

  La reine Amanishakheto soumet ses ennemis              couple princier  avec enfant    Ø  5 cm       

                         

                                            Musée d'Art égyptien de Munich

                       

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  Colliers

                         ÄM 1757                                                                                                       ÄM 1755

                                                                                                  

         pierre colorée, cornaline,                                               composé en particulier de perles taillées en forme

       faïence, verre, coquillages                                               de hiéroglyphes : ankh, oudjat, pilier djed, etc. ,  

                 l.   40 cm                                                                   

    Musée d'Art égyptien de Munich                        Neues Museum de Berlin,

                                                                               Inv. Nr. 22877

                       

Naga/Naqa, Temple d'Amon

règne de Natakamani, vers - 50 + 20      

 

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Naga/Naqa, Temple du lion / Temple d'Apedemak 

règne de Natakamani, vers - 50 + 20      

 

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Sur cette façade principale du temple du Lion de Naga (Naqa), le couple royal Natakamani (à gauche de la porte) - Amanitore, la Candace, à droite,  malmène et soumet durement ses ennemis. Sur le côté sud du pylône, court de haut en bas un serpent à tête de lion,  sorti d'une fleur de lotus, propre à chasser les mauvais esprits       
 

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Le mur nord du temple présente de nouveau le couple royal, la Candace Amanitore et  son fils Natakamani, accompagné cette fois  de son oncle maternel, le prince (pqr, pkr, prononcé bakora, pkr-tr/prince suprême,  pkr-qorise/prince souverain) Arikankharor, se tenant devant des déesses, à partir du fond :  Sati (Satis, Saïtis), Hathor, Amesemi, Mut et Isis, cette dernière tenant fermement les liens d'un groupe de prisonniers attachés, symbolisant la puissance conférée par les dieux et les déesses aux souverains nubiens : 
 

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Côté sud, on retrouve la famille royale, de droite à gauche, le prince, la Candace et le roi, qui font face à cinq dieux mâles : Apedemak à tête de lion, Horus et son disque solaire, Amon de Napata à tête de bélier,  les deux derniers, le dieu lunaire Khonsou et Amon de Pnoubs (Kerma), étant plus effacé par le temps :  
 

meroe-naga-naqa-temple du lion-v-50+20-famille royale et dieux-mur sud.jpg


Côté ouest, le dieu-lion Apedemak a dû recevoir des influences indiennes, pour ses multiples têtes (3) et bras (4). Ses  bras principaux touchent le coude de la reine (à gauche) et du roi (à droite), signifiant qu'ils ont été choisis par lui pour régner. 
 

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Naga/Naqa, Chapelle d'Hathor, anciennement appelée "Kiosque romain"

règne de Natakamani, vers - 50 + 20      

 

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"La Chapelle d’Hathor... plusieurs fois (appelée par le passé « kiosque romain »), a été érigée à la même époque que le Temple du Lion. Elle incorpore de façon absolument unique des chapiteaux de type corinthien à des arcs en plein cintre romains et des éléments architecturaux égyptiens – un parfait exemple de pot-pourri architectural méroïtique typique de Naga. Les deux entrées de la chapelle sont diamétralement différentes : le portique ouest a une corniche à trois étages ornée d’uraeus et d’un disque solaire ailé, tous éléments typiques de l’architecture égyptienne, tandis que le portique est, avec son arc en plein cintre, ses pilastres à chapiteaux ioniens et éléments floraux, ressemble au portique d’une des premières basiliques."  (Perzlmeier et Schlüter, 2016)


Cléopâtre VII et son amant Marc-Antoine sont vaincus par l'empereur Octave à Actium, en 31 avant notre ère, qui fait entrer l'Egypte sous le joug romain. Les "envoyés du roi d'Ethiopie" (très probablement  Téritéqas) auprès du tout premier "préfet d’Alexandrie et d’Égypte", Cornélius Gallus, ami proche  d'Octave,  obtiennent pour le royaume de Méroé  le statut d'allié (version grecque) ou de vassal (version latine). Le désert, encore une fois, empêcha en partie, une rapide soumission de la Nubie, mais pas seulement. Divers indices nous montrent que les Nubiens tinrent la dragée haute à l'envahisseur romain. Les Méroïtes profitèrent d'un soulèvement des habitants de la nouvelle province de  Triacontaschène,  contre l'impôt romain, pour opérer des raids sur Assouan et Qasr Ibrim en particulier. Un nouveau préfet, Caïus Pétronius, est censé selon les sources romaines avoir soumis Napata, mais pour différentes raisons, les historiens doutent de la parole du vainqueur (la propagande, encore et toujours) qui a occulté la difficulté de l'entreprise et n'avait, semble-t-il, obtenu qu'une semi-victoire, les Nubiens faisant même ici ou là des prisonniers parmi les garnisons de Rome (Arome, Armeyose, Arobe), en transcription méroïtique. Des stèles en méroïtique, justement, encore mal comprises, font état de victoires du roi Téritéqas, puis de son fils, le prince Akinidad.   Une petite stèle de Naga (REM 1293, image de droite, plus bas) du temps de la reine Amanishakheto, ou encore des peintures murales du temple d'Auguste (image de gauche), du temps de la reine Amanirenas, ont figuré des  captifs blancs ("tameya", Tmey-l-o  : "c’est un Tameya"), terme repris par une stèle trouvée à Hamadab (différente de celle qui va suivre) : "Des Tameya, j’ai [?] chaque homme, j’ai razzié chaque femme et chaque garçon" Sur la stèle de Naga, figure un soldat romain à genoux avec son casque et son ceinturon, et sur les peintures, on aperçoit en haut un prisonnier romain coiffé d'un casque grec et d'une tunique rayée, devant trois captifs, un africain, un égyptien (au casque grec également) et de nouveau un romain, endommagé.  Une très grande stèle (258 cm de haut sur 100, 3.5 tonnes), qui indique le temps de règne de la Candace Amanirenas et du prince Akinidad (image  centrale), présente dans la partie cintrée, endommagée, une scène d'adoration en deux volets, sous laquelle une bande aligne tout du long des prisonniers entravés (voir détail du cintre), que Garstang (cf. plus bas)  pensait Romains semble-t-il à tort, issus plus probablement, selon Claude Rilly, des raids nubiens en Triacontaschène (Rilly, 2017e).  
 

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                              Figurine de chef ennemi,  prisonnier et  attaché

Culture méroïtique, découvert par l'archéologue John Burges Eustace Garstang (1876-1956), qui entame les premières fouilles de la cité de Méroé en 1911.  

                                      

                     alliage de cuivre        h. 4.40  x  L. 8.10  x  l.  2.90  cm  

 

 

                                 inscription sur le ventre en écriture méroïtique    

     "qo: qore nobo-l-o" :    « c'est le noble, le roi nubien », traduction toujours discutée 

                                                                               (Rilly et al., 2005)

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                                                                   vers    Ier - IIIe siècles

 

                                                             British Museum de Londres

                                            EA 65222

 

source  :    https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA65222 

                                                 

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traite preislamique

 

 

La traite orientale préislamique 

 

A bien plus grande échelle que les Egyptiens, les Romains, nous l'avons vu, avaient occupé des provinces entières en Afrique du Nord pendant près de cinq siècles et avaient importé des esclaves d'Afrique, des Berbères, surtout, de Maurétanie et de Numidie, ou encore des Noirs vendus par des Nubiens :    "Nous avons chez nous en Afrique d'innombrables tribus barbares auxquelles l'Evangile n'a point encore été annoncé. Nous l'apprenons tous les jours par les prisonniers qui nous en arrivent et dont les Romains font des esclaves"  (Saint Augustin, 354-430, Lettre 199, XII, 46 )cf. Rome antique  et Au pays des Imazhigen, d'Elissa à Ptolémée.  Les Arabes avaient plus tard progressivement colonisé la région jusqu'à l'Espagne, à compter du VIIe siècle et largement intensifié, nous le verrons,  un commerce d'esclaves qu'ils pratiquaient déjà depuis plusieurs siècles.

Le Périple de la mer Erythrée [texte complet] (cf. côte swahilie),  nous fait savoir que les Arabes assuraient la navigation le long des côtes d'Afrique de l'Est, d'où ils  exportaient déjà des esclaves depuis les côtes somaliennes, de Malaô (Berbera), par exemple, et encore plus Ras Hafun (Oponê) vers l'Egypte, le Yémen ou encore Muza (Moka).

 

                                                         Source :

                                               Journal of Field Archeology 

       Developments in Rural Life on  the Eastern African Coast, a.d. 700–1500.   

                                      Adria LaViolette  &  Jeffrey Fleisher,  2018

côte swahilie   :  "swahili" vient de  l'arabe s æh.il, sahilساحل : "côte", "rivage", d'où est aussi tiré le toponyme Sahel). Pendant des siècles ce sont les Arabes qui désignent ainsi des cultures bantoues originellement développées le long de la côte orientale africaine, dite côte swahilie, grosso modo de Mogadiscio à Sofala (cf. carte ci-dessus), que les Grecs appelaient Azania (Azanie).  Imprégnées pendant des siècles de cultures antéislamiques puis islamisées, arabe et perse (en particulier shirazi), ces populations (pour beaucoup  marchands et marins) parlent le kiswahili, distribué en différents dialectes, tels  le kimvita le kiamu ou encore le kiunguja, respectivement les parlers swahilis de Mombasa, de Lamu et de Zanzibar  (Penrad, 2005). Pendant des siècles, ont lieu des métissages, des alliances matrimoniales entre autochtones et migrants de tout le Golfe Persique (Arabie, Yémen, Mascate et Oman, etc.), qui finiront par composer la société swahilie. 

 

Il faut préciser que l'appropriation de "swahili" comme ethnonyme par les habitants des villes islamisées, de la côte est  très tardive et date seulement du début du XIXe siècle, entre prédominance arabe et colonisation britannique. Avant d'être des Waswahili (le préfixe bantu wa- (sg. m-) indique la classe des êtres humains), les communautés se nommaient selon leur cité d'origine : Waamu = habitant de Lamu, Wamvita = habitant de Mombasa, Wapemba = habitant de Pemba, etc. Quant à l'islamisation des populations de l'intérieur, elle ne date que de la seconde moitié de ce siècle (cf. Le Guennec-Copens et Mery, 2002). 

"De fait, la fréquentation des côtes estafricaines par les boutres provenant du golfe Persique et de la péninsule Arabique remonte à des périodes très anciennes, se succédant depuis l’Antiquité. L’établissement de comptoirs, d’implantations fixes sur le littoral, est attesté par le Périple de la mer Erythrée, un récit probablement écrit au milieu du premier siècle par un commerçant grec d’Alexandrie. Ce n’est cependant qu’avec le témoignage du voyageur et géographe arabe ’Abû l-H. asan ‘Alƒal-Mas‘…dƒ(mort au Caire en 956-7) que nous obtenons un témoignage qui nous laisse supposer qu’au IXe siècle les prémices de la formation d’une langue de traite originale (un proto-kiswahili ?) étaient posées. Ceci est confirmé par les travaux des linguistes qui font l’hypothèse que des populations d’agriculteurs de langues bantou vivaient dans la région de l’embouchure de la rivière Tana, sur la côte nord de l’actuel Kenya, à proximité de l’archipel de Lamu et des rivages somaliens, et que ce sont ces populations qui servaient d’interface avec les navigateurs persans ou arabes arrivant jusque-là, poussés par les vents de mousson. Au fil du temps, une nouvelle langue est née de cette rencontre et des échanges associés. Elle sera le berceau d’une culture africaine originale, définie par le caractère pluriel des sociétés qu’elle englobe. "  (Penrad, 2005)

     shirazi   "Selon la Chronique de Kilwa, dans la deuxième moitié du 10e siècle, Ali bin al-Hasan/Husain, de la famille royale de Shiraz, serait arrivé à Kilwa et y aurait fondé une dynastie (Freeman-Grenville 1975 : 35)"  (Le Guennec-Copens et Mery, 2002). 

 

 

C'est l'époque brillante du royaume de Méroé en Nubie (env. - 300 à + 300), qui s'accompagne d'un commerce actif d'esclaves en Afrique de l'Est en Egypte, Ethiopie, Soudan, Somalie en particulier.  Plus de deux siècles plus tard, En 547,  Cosmas Indicopleustès (Κοσμᾶς Ἰνδικοπλεύστης, "le voyageur des Indes"), un Grec de Syrie établi à Alexandrie évoque  dans sa Topographia Christiana les esclaves noirs qui arrivent dans son pays de la région de Sassou et d'Aksoum (Axoum, Ethiopie).  "Il est une marchandise pour laquelle la demande n'a jamais fléchi au cours des siècles, à savoir les esclaves. Les prisonniers de guerre (dont il est fait mention dans les inscriptions d'Ezana et dans les sources concernant les guerres entre Axoumites et Himyarites) étaient particulièrement recherchés par les marchands d'esclaves étrangers"   (Histoire Générale de l'Afrique, volume II, op. cité,  p. 419).   Avant le développement de l'Islam (Mahomet meurt en 632), les Arabes possédaient aussi, comme en Afrique, des esclaves ramenés des guerres menées entre tribus, qui étaient employés surtout comme bergers, paysans et même parfois, intendants. Les maîtres vivaient au milieu de leurs esclaves et les enfants issus des uns et des autres étaient esclaves ou libres  (Ducène, 2019).  Les esclaves noirs des contrées moyen-orientales étaient donc encore peu nombreux et s'apparentaient davantage à des "objets de luxe et de curiosité"   (Coquery-Vidrovitch et Mesnard, 2013).  

Progressivement, les esclaves feront l'objet d'un commerce plus étendu et plus florissant encore  (comme celui très important de l'or),  quand, à partir de la Corne de l'Afrique, le long de la côte swahilie (Somalie, Mozambique, Zanzibar : cf. plus bas) et du Soudan actuel,  ce réseau esclavagiste reliera, entre le IVe et le Xe siècle, Pemba, une des îles de Zanzibar, à Oman, Basra, à la Perse sassanide, jusqu'en Inde et en Chine, et même, probablement, à l'archipel indonésien  (Traites et esclavages en Afrique orientale et dans l'océan Indiendirigé par Henri Médard, Marie-Laure Derat, Thomas Vernet et Marie-Pierre Ballarin, Editions Karthala, 2013).  Le géographe Al-Idrissî (Muḥammad ibn Muḥammad al-Idrīsī, 1100-1165) cite sur le sujet  les îles Zaladj (Zabedj), qui désignent Sumatra (نزهة المشتاق فى اختراق الآفاق. محمد ابن محمد الإدريسي, Kitāb Nuzhat al-muštāq fī iḫtirāq al-āfāq : "Livre du divertissement de celui qui désire parcourir le monde", rédigé vers 1154). Certains chercheurs prétendent que les Waqwaq, population malayo-indonésienne, auraient eu de fréquents échanges avec des populations Bantous et, dans une moindre mesure, San, et ces relations auraient même développé des formes linguistiques particulières (Capredon, 2012).  "Le Livre des merveilles de l'Inde", écrit par Ibn Shahriyar en 945/46 rapporterait le témoignage d'un commerçant arabe qui a vu débarquer "un millier de bateaux" conduits par des Waqwaq depuis des îles "situées en face de la Chine" (Razafindrazaka, 2019).  On est alors très étonné de confronter ces dires au récit d'Al-Masudi  (Al-Masudi, vers 893-956), qui affirme que le terme du voyage des marins d'Oman, "à travers la mer de Zanguebar,  est l’île de Qanbalû dont nous avons déjà parlé, et le pays de Sufāla et d’al-Wâqwâq, situé sur les confins du territoire des Zandjs et dans la partie inférieure de cette mer."  (مُروجُ الذَّهَب و مَعادنُ الجَوهَر,  Murūj adh-dhahab wa-ma'ādin al-jawhar : "Prairies d'Or et mines de pierres précieuses", vers 943). Ce qui fait dire à différents historiens que "Wâqwâq est généralement considérée comme une onomatopée pour désigner les peuples ayant des langues à clic en Afrique australe(Frémeaux, 2018),  peut-être même "les populations du plateau du Zimbabwe" (op. cité),  la forme de syllabe redoublée n'ayant pas été utilisée seulement par les Arabes pour forger des toponymes ou des ethnonymes à caractère péjoratif : ainsi le mot  grec que nous rendons par "berbère" (cf. Au pays des Imazhigen, d'Elissa à Ptolémée). 

idrissi-livre divertissement

 

Ezana   :  souverain éthiopien qui a donné son nom à une longue inscription de ses conquêtes au milieu du IVe siècle et qui a peut-être hâté la chute de la cité de Méroé (Museur, 1969). 

Chine   :  Signalons que la Chine importait depuis la baute antiquité des marchandises africaines, comme l'ivoire, l'ambre gris, l'encens, la myrrhe ou les esclaves, mais qu'elle n'y exportera ses produits à grande échelle (porcelaine, en particulier) qu'à partir du XIe siècle, via les réseaux arabo-musulmans  (Histoire Générale de l'Afrique, op. cité, volume III, L'Afrique du VIIe au XIe siècle, dir. M. El Fasi, codirecteur. I. Hrbek, 1990).   

Zandj  :   (Zanj, Zendj). Nom donné aux Noirs par les géographes arabes du moyen-âge, et qui a donné en particulier le toponyme Zangebar (Zanguebar, Zanzibar) : "Terre des Noirs". Le terme dériverait de zanudj (zanoudj) : "sauvage", et a été attribué à des populations ancêtres des Mossi, vivant au Sahara, selon le Berbère Abkâl Ould Aoudar, qui écrivit vers 1410 un ouvrage intitulé Aguinas Afriquia, "Races d'Afrique" (Hama, 1966). 

 

 

                       

 

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Histoire et civilisation du Soudan - 3. La Terre de l’Arc - Africae (openedition.org)

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Histoire et civilisation du Soudan - 6. L’autre Terre des pharaons - Africae (openedition.org)

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