Afrique noire,
dominations et esclavages
[ I ] Antiquité
Néolithique : L'avènement des inégalités
( I )
Après avoir produit l'homme moderne, raconte le chercheur Eric Huysecom, maître de recherche à l'Université de Genève, l'Afrique "a aussi offert à l'humanité plusieurs innovations majeures : une métallurgie du fer dès le XIVe siècle avant notre ère, à une époque où ce métal était encore inconnu en Europe occidentale ; la domestication des bovidés dans le courant du IXe millénaire avant notre ère, soit plus de 1 000 ans avant la Grèce ou le Proche-Orient et, découverte récente, l'une des céramiques les plus anciennes du monde, puisqu'elle remonte au début du Xe millénaire avant notre ère" (in "Un Néolithique ancien en Afrique de l'Ouest ?", revue Pour la Science, n° 358). Le problème pour la connaissance du lointain passé du continent africain, c'est que tous ces développements se sont passés essentiellement au nord du continent, dans les régions sahariennes qui n'étaient pas encore désertifiées (qui seront étudiées dans un autre exposé), ou subsahariennes, essentiellement la région égypto-soudanaise. Pendant ce temps, une très grande partie centrale, mais surtout australe, était occupée par des populations de chasseurs-cueilleurs, qui possédaient leurs cultures propres, comme toute population humaine, mais qui n'ont laissé que très peu de traces tangibles susceptibles de nous éclairer sur leur histoire, faute d'écriture et de témoignages archéologiques suffisants, si ce n'est de très nombreuses gravures rupestres, en particulier, comme celles de l'art pariétal des San, ancêtres des Bushmen, qui nous renseignent sur ce qu'on pense être des pratiques religieuses (chamaniques, rituelles), mais pas sur leur organisation sociale. En conséquence, notre principale source de connaissance quelque peu fournie sur l'Afrique noire dans l'antiquité, demeure la région soudanaise, en grande partie grâce à son voisin égyptien qui était alors le seul en Afrique à posséder une écriture, l'écriture méroïtique nous le verrons, étant très tardive, et probablement pas une langue assez bien outillée pour faire naître une véritable littérature.
Différents témoignages proto-historiques nous le verrons, indiquent, comme dans d'autres endroits dans le monde, qu'existaient déjà en Afrique des conflits guerriers entre communautés, mais aussi que nombre d'entre elles étaient socialement hiérarchisées depuis des temps très anciens : Dès l'existence des premiers cimetières en Nubie, on trouve des traces de cette violence guerrière, comme au Djebel (Gebel) Sahaba, en Nubie, au nord de Wadi Halfa, à la frontière avec l'Egypte actuelle, où 55 squelettes, datés de - 12.000 à - 10.000 environ, ont été trouvés entourés d'éclats taillés, et certains individus meurtris par eux jusqu'à l'os.
A la fin du mésolithique, dans la période holocène (12.000 dernières années), plusieurs squelettes en position repliée, dont un seul est accompagné de mobilier, ont été trouvés à El-Barga (cf. carte en exergue) dans la périphérie de Kerma, datés de 7200 à 6200 avant notre ère, ainsi qu'une seule structure d'habitation possédant un riche mobilier : céramique, matériel de mouture, objets en silex, perles en coquille d’autruche, pendentif en nacre, armatures en os, restes de faune, coquillages (Honegger, 2004, mission Kerma). Dans le cimetière néolithique (6000-5500), beaucoup de tombes possèdent du mobilier, trois tombes sur 95 sont abondants en parure (bracelets en ivoire d'hippopotame, colliers, pendentifs, labrets, etc.) et occupent le centre de la nécropole, dont la plus richement dotée est celle d'une femme : cette position enviable d'une femme n'est pas rare, elle se retrouve dans plusieurs autres cimetières de Nubie, comme Kadruka, à 20 km d'El-Barga (Gallay, 2016 ; Honegger, 2005). Mieux encore, figuraient dans cette tombe féminine des haches ou des harpons, outils et armes généralement réservés aux hommes. Cette hiérarchisation concerne peut-être aussi une tombe qui contenait, comme à Kadruka (vers - 4000 -3000, cf. carte), la sépulture d'un homme placé à côté d'un corps d'enfant surmonté d'un bucrane (crâne de bœuf décharné et parfois, orné), objet qui se multipliera à la période suivante, nous allons le voir, pour manifester de manière éclatante la richesse et le prestige des individus au sein de leur communauté.
Parures
Cimetière d'El-Barga, Soudan
"Coquille de bivalve du Nil (Unio sp.) servant parfois de boîte ou de réceptacle pour de petits objets, boucles d’oreilles en mésolite, labrets en cornaline et amazonite, bracelets en ivoire d’hippopotame ou en coquillages, collier de perles en cornaline et amazonite.
Néolithique, v. - 6000 - 5500
Musée de Kerma, Soudan
N° inventaire : 36326, 36311, 36312, 36315
36322, 36309, 36307.
Au nord-ouest de Gao, au Mali, les riches matériels lithiques, d'éclats, de perles en cornaline, sans parler de la céramique ou la nourriture, donnent à penser que les productions "dépassaient de loin la demande locale" (Dupuy, 2020)
Des signes plus ténus peuvent évoquer les débuts de luttes d'intérêts, des guerres entre groupes rivaux qui inaugurent peut-être de nouvelles inégalités entre communautés, comme à Abourma, près de Djibouti, qui possède une sorte d'immense tableau historique d'une longue période sur des gravures rupestres, où on peut voir de rares scènes de combats entre archers (Poisblaud, 2009).
Abourma, Djibouti, gravure rupestre, bataille d'archers, vers - 5000 - 4000
Entre le mésolithique et le néolithique, il s'est donc passé un temps où les distinctions sociales sont nettement apparues :
"Les différences entre les tombes attribuées au Mésolithique et le cimetière néolithique sont fondamentales. D’un côté, des inhumations en faible nombre, sans mobilier, toutes de statut identique; de l’autre, une véritable nécropole avec au moins cent sépultures souvent dotées de mobilier, indicatrices de l’émergence des distinctions sociales. En un millénaire, la société nubienne a complètement changé de type d’organisation. Cette transformation doit être mise sur le compte de l’introduction de la domestication animale, dont les plus anciens témoignages au niveau du continent africain ont été retrouvés dans la moyenne vallée du Nil, à Nabta Playa en Égypte et à Kerma." (Honegger, 2005).
La nécropole de Kerma est probablement liée à une communauté présente dès la fin du IVe millénaire. Au nord, les tombes de l'époque de ce Kerma ancien, à la phase 0 sont de taille encore à peu près uniforme, le matériel funéraire se limite à quelques objets personnels (petites parures, éventails en plume d'autruche, paires de sandale, poignard, etc.), et pourtant, on note la présence (peu nombreuse cependant), ici ou là, d'un ou deux morts d'accompagnement, formule qui s'applique aux individus le plus souvent forcés, mais aussi parfois, peut-être volontaires, à qui on donne la mort pour qu'ils accompagnent leur défunt maître dans l'au-delà : esclaves, serviteurs, principalement, mais aussi épouses, concubines, famille, amis, relations clientélistes sont les principaux concernés (Gallay, 2016). Cette coutume archaïque est commune à de nombreuses cultures du monde : cf. LA PRÉHISTOIRE).
volontaires : supposition faite par l'absence de violences manifestes lors d'une telle contrainte, qui ne doit pas exclure la possibilité d'utilisation de drogues, pratique connue dans d'autres cultures, telle la culture inca, qui a utilisé des drogues psychotropes lors de sacrifices humains (Wilson, 2016).
Tombes avec mort d'accompagnement
Nécropole de Kerma
Kerma ancien, vers 2300-2150
"Tombes d’un archer et d’une femme munie d’un bâton, phase II du Kerma ancien (2300- 2150 av. n.-è.). La tombe d’archer contenait deux individus: un jeune homme en position centrale et une femme déposée à ses côtés. Un chien, un arc, un éventail en plumes d’autruche et un miroir en bronze accompagnaient le jeune homme. La tombe avec un bâton contenait une femme de 20-29 ans. Ces deux tombes étaient partiellement pillées et une partie des squelettes a été graphiquement reconstituée en grisé"
"Le changement observé dans les procédures rituelles à Kerma, c’est-à-dire, la mise à mort de dizaines, centaines, voire milliers de bovins et le dépôt en surface de leurs bucranes, est révélateur de la hiérarchisation croissante de la société vers la fin du 3e millénaire avant notre ère. Nous assistons à l’émergence d’individus ou de clans cherchant à se démarquer publiquement, en exposant ostensiblement et durablement leurs richesses, actes ou statuts sociaux (Meillassoux 1968). Le bétail est en effet considéré comme un signe de richesse et de prestige dans les sociétés agropastorales et pastorales est-africaines (Hazel 1979 ; 1981). De tels rites nécessitent probablement la participation de spécialistes chargés de réunir les bovins à abattre, de les découper et de disposer régulièrement leurs crânes autour des tumulus. La possession du bétail pourrait avoir joué un rôle essentiel dans la formation et le maintien du pouvoir politique et de l’autorité sacrée ou royale à Kerma" (Dubosson, 2015).
Néolithique : L'avènement des inégalités
( II)
Marquer les corps
La domination sociale du groupe sur l'individu comporte aussi des pratiques plus ou moins attentatoires à l'intégrité du corps, connues depuis le paléolithique supérieur, mais surtout à partir du néolithique, et ce dans beaucoup de cultures du monde, et un certain nombre d'entre elles ont persisté jusqu'à ce jour. Certaines de ces coutumes sont relativement "égalitaires", comme les mutilations bucco-dentaires, les trépanations, les tatouages, les déformations crâniennes, etc., pratiquées sur l'un et l'autre sexe, quand d'autres ont pour but de contrôler le corps féminin : infibulation, clitoridectomie, subincison, excision, etc.
On a ainsi trouvé un crâne fossile présentant des mutilations dentaires, possiblement du néolithique à Olduvaï, au nord-est de la Tanzanie (Baudouin, 1924 ; Saul 2003 ; Pecheur, 2006, cf. Carpentier, 2011). Ce sont des coutumes aux motivations esthétiques (ex. Bantou, Pygmées du Congo), totémiques (affilage des dents pour imiter la dentition du crocodile, chez les Bantous, encore), ou encore mythiques (Carpentier, 2011) :
Jeune homme de 25 ans mutilé au Congo-Brazzaville en 2007
(Molloumba er al., 2008)
La trépanation, était, elle aussi, répandue dans le monde, en Europe, en Sibérie, en Afrique et surtout en Amérique du Sud, en particulier le Pérou. Dans un village néolithique trouvé à Khor Shambat (district d'Omdourman), au Soudan, a été trouvé un crâne avec des signes de trépanation (vers - 5000) pour des raisons thérapeutiques ou magiques, dont l'opération a peut-être été un échec : ce serait le plus vieux cas de l'Afrique septentrionale (Jórdeczka, et al. 2020)
De même, la déformation du crâne, obtenu surtout par bandeaux serrés autour de ce dernier, a été pratiquée sur tous les continents depuis une date très reculée (celles du Pléistocène, vers - 45000 ont été cependant remises en cause). En Afrique, c'est en Ethiopie qu'on trouve les premiers témoignages de cette pratique entre les VIIIe et VIIe millénaires avant notre ère, qui était encore vivace chez les Mangbetu du Congo, ou les Arawe de Nouvelle Bretagne en Océanie au milieu du XXe siècle
Femme Mangbetu avec déformation crânienne, République du Congo
La perforation du corps, pour y insérer un ornement a été attestée surtout dès le néolithique, mais de nouvelles études sur un squelette trouvé dans le célèbre site des gorges d'Olduvaï en Tanzanie, en 1913, a révélé le premier cas connu en Afrique de piercing facial, qui date de 20.000 ans, avec trois piercings, un pour les lèvres (labrets, sans doute de bois) et un pour chaque joue, éléments de 2 cm de large au minimum (Willman et al., 2020). A la fin du néolithique, vers - 4500 - 3950, les archéologues ont trouvé des labrets polis en quartz hyalin dans la région Borkou-Ennedi-Tibesti, au nord du Tchad, et dans la vallée du Tilemsi, au Mali (Bouvry, 2011). Ceux-ci devaient être, très probablement comme aujourd'hui, des marqueurs symboliques, d'identité sociale, où esthétiques, qu'on trouve encore chez les Kirdi du Cameroun ou les Mursi et les Surmas (Suri) d'Ethiopie, où il ne concerne que les femmes :
Femme avec labret, Surma d'Ethopie, vallée du fleuve Omo.
On pratiquait déjà des incisions au niveau du sexe il y a 30.000 ans et on a trouvé des indices de circoncision et de scarifications datant de 10.000 ans (Obadia, 2016), mais la première représentation connue de circoncision est plus tardive. Elle a été trouvée en Egypte, à Saqqara, sur un bas-relief de la porte de la tombe d'Ankhmahor, vizir et architecte du pharaon Téti :
Opération de circoncision rituelle
Tombe d'Ankhmahor, Saqqarah, Egypte
VIe dynastie, règne de Téti
vers - 2345
"À droite, un garçon est debout, à l’aise, sa main gauche sur la tête d’un homme accroupi devant lui. L’homme applique quelque chose sur le pénis du garçon, probablement pour rendre l’opération moins douloureuse, ce que confirment les hiéroglyphes qui accompagnent la scène : « Je la rendrai agréable». Le patient répond : « Frotte-le bien pour que ce soit efficace. » À gauche, une troisième personne, debout derrière le garçon, le tient d’une main ferme, tandis qu’un prêtre hem-ka exécute l’opération" (Tomb, 2022)
Au-delà des raisons purement religieuses (appartenance, rituel de passage, etc.), la circoncision était pratiquée parfois dans des buts prophylactiques, censés éviter certaines maladies : il n'existe cependant toujours pas de preuve scientifique de la valeur médicale de cette pratique et, s'agissant du sida, on a la preuve aujourd'hui que la circoncision est, au contraire, un facteur aggravant (Garenne, 2012). Cette coutume flotte toujours en France dans un no man's land juridique, critiquée mais tolérée pour des motifs religieux, qu'invoquent juifs et musulmans, surtout.
Les mutilations du sexe concernent aussi bien les hommes que les femmes dans l'histoire. Chez les hommes, si la circoncision, qui désigne l'excision du prépuce, est une mutilation mineure, l'émasculation ou la castration sont bien plus douloureuses et ont une conséquence gravissime : elles privent les individus de la fonction de procréer, sans parler des dégâts psycho-sociaux induits. Ce sont de très anciennes pratiques, là encore : Il est question d'eunuques déjà dans les anciens Vedas indiens, dans la littérature chinoise au début du IIe millénaire avant notre ère, et en Mésopotamie, le châtiment de castration en punition des crimes sexuels est mentionné, par exemple, dans le code d'Hammourabi, vers 1750 avant notre ère. Présente dans les mythes égyptiens ou grecs, la castration est infligée à Osiris par son frère Seth, à Uranus par son fils Chronos (Androutsos et Marketos, 1993).
De même que dans beaucoup d'autres pays, de nombreuses cours de rois africains sont entourées d'eunuques. Au XVIe siècle, c'est le grand eunuque de l'empire Oyo, chez les Yorubas du Nigeria, qui dirige la justice, et les principaux chefs civils et religieux sont aussi des eunuques (Stride et Ifeka, 1971), choisis par l'empereur, au titre d'Alafin (ou Alaafin) : "propriétaire du palais", en langue yoruba, sensé descendre en ligne directe du dieu Sango (Shango), divinité (orisha, orixá) du tonnerre. Du XIIe au XVIe siècle, les empereurs songhays de Gao, au Mali, siégeaient "sur une sorte d’estrade, entouré de 700 eunuques" (Sékéné-Mody Cissoko, "Les Songhay du XIIe au XVIe siècle", in Histoire Générale de l'Afrique, volume IV, L'Afrique du XIIe au XVIe siècle, dir. D. T Niane, 1991, chapitre 8, p. 222, Editions Unesco, 8 volumes de 1980 à 1999). A la cour du roi du Dahomey, et ce sera le dernier exemple, selon des voyageurs du XIXe siècle, le monarque était entouré de deux grands serviteurs de son palais, un eunuque, le Tononou, "ministre des résidences royales, chef redouté et absolu de la maison du roi" (Alpern, 1998), et son second, le Kangbodé (Cambodé), principalement garde-magasin.
Les mutilations effectuées sur le sexe des femmes sont, quant à elles, purement idéologiques, au service de l'asservissement des femmes, comme l'excision clitoridienne ou clitoridectomie, une ablation partielle ou totale du clitoris, l'organe du plaisir féminin. Pour l'homme, l'opération d'excision profite au désir, pour la femme, à l'inverse, elle l'amoindrit dans le meilleur des cas, où le supprime.
Stéphanie Auffret fait remonter cette pratique à la fin du néolithique, vers 5000 ou 6000 ans avant notre ère (Auffret, 1983), et des momies égyptiennes sont "si bien conservées qu'on pouvait détecter sur leurs corps non seulement des traces d'excision, mais aussi d'infibulation" (Hosken, 1982 : 75). Il n'est donc pas étonnant qu'Hérodote rapporte l'existence de cette "circoncision pharaonique" en Egypte, en Ethiopie, en Phénicie, en Syrie, en Palestine ou en Colchidie (Hérodote, Histoire [ou Enquête], II, 104, vers 469/467). Dans certaines contrées (Soudan, Ethiopie, en particulier), après l'excision on suture les petites ou les grandes lèvres pour rétrécir l'orifice vaginal, opération appelée infibulation, au moyen d'une lame ou d'épines d'acacia, en particulier, qui font office d'agrafes, et qui ne laissent qu'une ouverture minimum pour l'urine ou les menstruations. Ces coutumes, bien que dénoncées par l'ensemble des défenseurs les droits humains, sont encore très présentes en Afrique, nous le verrons plus tard.
“ tous les pays étrangers sont sous tes sandales ”
Scène nagadienne , relief
A . Montage photographique des clichés de von Friedrich Wilhelm Hinkel (1925-2007), présentés par Charles Bonnet (né en 1933), dans son article "Le groupe A et le pré-Kerma", dans "Soudan, royaumes sur le Nil", ouvrage collectif, Paris, Institut du Monde Arabe, 1997, p. 37.
B. Nouveau relevé du relief, échelle 1/10e
Sur ce relief, on peut voir clairement des prisonniers les mains dans le dos, l'un à droite du serekh (cf. plus bas), le second attaché en plus par le cou à la proue, au moyen de cordages, les autres prisonniers étant blessés ou morts non loin du bateau.
Djebel Cheikh (Gebel Sheikh) Suleiman, 2e cataracte du Nil
275 x 80 cm
vers - 3250
groupe A : vers- 3200 - 2800
Les archéologues, dans l'ensemble, attribuent ce relief au troisième pharaon de la première dynastie pharaonique égyptienne, le roi Djer († vers - 3040), mais certains chercheurs datent plutôt ces vestiges de la période prédynastique de la culture de Nagada (vers - 3800 - 3150), à cause du manque de titulature royale.
(Somaglino et Tallet, 2014),
Celle-ci est habituellement inscrite dans le serekh (litt. "bâtiment"), sous la figure d'un ou deux Horus (le dieu faucon), symbole du palais royal, visible tout à gauche de la scène.
Comme de très nombreuses sociétés dans le monde entier depuis la fin de la LA PRÉHISTOIRE, de nombreuses sociétés africaines sont très hiérarchisées nous l'avons vu, et présentent différents signes d'asservissement. Dès l'époque thinite, au moins, en Egypte (vers - 3100 - 2700), un des tout premiers pharaons, Djer, ponctionne des hommes et des femmes au sud du pays, dans les régions soudanaises de Nubie, comme l'illustre un relief retrouvé au Djebel Cheik Suleiman, près des sites de Kor et Buhen du Moyen empire, aujourd'hui au Musée de Khartoum :
Il en va de même avec le pharaon Snefrou (vers - 2600), de la IVe dynastie, dont un document nous dit qu'il avait effectué un raid contre "le pays des noirs" (Jiménez-Serrano, 2006). Quelques siècles plus tard, les tombes de la colline de Qoubbet-el-Haoua (Qubbet el-Hawa), à Assouan, nous apprennent l'intense activité des notables locaux dans des expéditions en Nubie. Les voyages à l'étranger d'Herkhouf (Hirkhouf) "responsable des troupes auxiliaires", qui repose dans la tombe 34, avaient plutôt une vocation commerciale, en particulier au pays mystérieux de Iam (Yam), que les spécialistes peinent encore à localiser, mais aussi dans les provinces nubiennes. Il les raconte dans son autobiographie inscrite sur la façade de son tombeau : "Je suis revenu avec 300 ânes chargés d’encens, de bois d’ébène, d’huile hékénou, d’aromate (khé)saÿt, de peau(x) de léopard, de défense(s) d’éléphant, de bâtons de jet et de toutes sortes de beaux présents" (in Obsomer, 2007a). Quant à Héqa-ib, son contemporain, dans la tombe 35, il raconte ses différentes missions menées pour le roi Néferkarê Pépi II (vers 2270-2200), dont le but principal, rappelle l'égyptologue belge Claude Obsomer visait "à soumettre par la force les pays nubiens de Ouaouat et d’Irtjet" (Obsomer, 2007a).
Ouaouat : (Wawat), nom donné par les Egyptiens à la Basse Nubie, ou Nubie égyptienne, entre la 1e et la 2e cataracte. Ouaouat était en fait un des trois petits états de cette région, avec Irjet (Irtjet) et Setju (Satjou).
hékénou : (hekenu), "L’« onguent » hekenou, pommade rituelle parfumée, parfois dénommée l’ « huile de jubilation », se compose, tout au moins à l’époque ptolémaïque, de plusieurs produits issus de la botanique africaine et résulte d’opérations complexes nécessitant de nombreuses cuissons et réductions ainsi que de multiples pauses. L’onguent se fabrique à l’aide de divers composants : les fruits d’arbre nedjem, sans doute des bourgeons de cassia (Cinnamomum iners), c’est-à-dire la fausse cannelle, de l’ânti, la myrrhe, provenant des arbres et arbustes de la famille des Commiphora spp., et de styrax, de la résine de pin d’Alep, de trois aromates tels que le tichepès, extraits de résines aromatiques, de djebâ et de cheben ainsi que du vin de l’oasis et de l’eau. Offert dans les temples, cet onguent est aussi régulièrement attesté en seconde position dans la liste des sept huiles canoniques que l’on dépose auprès du mort. Il a des propriétés comparables à celles de l’encens et sert à l’onction notamment lors du Rituel de l’Ouverture de la Bouche." (Bruwier, 2007)
La colonisation nubienne s'intensifie sous la XIIe dynastie (vers - 1987 - 1795), pendant laquelle le pouvoir égyptien dresse pas moins de quatorze forteresses colossales, à Bouhen, Aniba (Miam), Ikkour, Qouban, etc. dont les garnisons assurent un contrôle permanent de la Basse-Nubie, Ouaouat (Obsomer, 2007a). C'est dire si le royaume de Kerma avait acquis une puissance que le pouvoir pharaonique ne prenait pas à la légère, et qu'il s'organisa pour ne plus avoir une telle menace aux portes de l'Egypte. C'est donc à partir de ces places fortes que Sésostris Ier et Sésostris III lanceront des expéditions militaires contre Kouch (Koush, Kush), dont le nom apparaît alors pour la première fois dans les textes égyptiens. Une stèle de l'époque de Sesostris Ier témoigne de ces campagnes militaires contre la Nubie :
Stèle du général Montouhotep (Mentouhotep)
datée de l'an 18 du règne de Sésostris Ier
Trouvée par le politicien et explorateur Sir William Banks (1786-1855) à Bouhen, en 1818
vers - 1946
Musée archéologique de Florence, Italie
2540
On y voit le dieu égyptien de la guerre, Montou, tenir dix Nubiens attachés pour les conduire au roi (cf. le dessin de Ricci, ci-contre, qui a figuré l'ensemble de la scène, avant la détérioration de la stèle). Ils symbolisent "tous les pays qui sont dans Ta-Séty" (Ta-Séti : "Le pays de l'arc"), nom que donnait alors les Egyptiens à la Basse Nubie. Le nom de ces pays sont indiqués sur le cintre de la stèle "Chémyk, Khésaï, Chaât [Ile de Sai ?, NDA], Ikherqyn, ?, ?, Ima (?)». Série verticale (de haut en bas): «Kas [Kouch, NDA], Haou, Ya (?) »". (in Obsomer, 2007b).
Comme d'autres textes égyptiens, il exprime une violence extrême contre les ennemis de l'Egypte, à la fois par l'image et par le texte : "le faucon qui saisit grâce à sa force", "le taureau blanc qui va piétiner les Iounou" (Anous, Aounou, population nubienne) ; "Je me suis avancé… (?)] en détruisant [leurs] troupes (?) […], leur vie étant achevée. [J’ai] massacré […, j’ai mis] le feu dans [leurs] tentes (?), […], leur grain étant jeté dans le fleuve […]. [Je suis] quelqu’un qui obéit, qui ne transgresse pas [les instructions du palais], un homme dans la force de son ka, [journellement (?)] et à jamais. Aussi vrai que vit le Fils de Rê Sésostris, je dit ce qui s’est passé véritablement" (in Obsomer, 2007b).
Dessin d'Alessandro Ricci, 1795-1834), médecin, explorateur, compagnon de Banks, in Harry Sidney Smith, The fortress of Buhen, The Inscriptions, Londres, 1976, pl. LXIX, 1.
Prisonnier nubien agenouillé, figure d'exécration
Argile séchée H 32.5 x L 15.2 cm
Egypte, Moyen-Empire, XIIe dynastie
vers - 1987 - 1795
Musées royaux d'Art et d'Histoire
E. 7440
Bruxelles, Belgique
Les figures d'exécration ont pour modèle un prisonnier agenouillé, bras dans le dos attachés au niveau du coude. Les traits physiques sont bien soulignés, sur "cet exemplaire, on reconnaît un Nubien à sa coiffure crêpelée, aux yeux globuleux, au nez évasé, aux pommettes saillantes et aux lèvres épaisses" (Bruwier, 2007 : Catalogue des objets archéologiques). Un texte est écrit sur le corps en démotique, qui devient l'écriture officielle vers - 750. Le démotique est une des deux écritures cursives égyptienne, avec le hiératique, ce dernier étant aussi ancien que les hiéroglyphes, Ecrit à l'encre rouge, "couleur des forces hostiles, ce texte reprend une liste des ennemis de l’Égypte, dans le pays et en dehors de ses frontières. La magie opérant, ils seront privés de leurs mouvements, tout comme la statuette en cas de rébellion, d’attaque ou de complot contre celle-ci" (op. cité) . Ces listes étaient souvent très détaillées, avec le nom personnel, des princes, des prisonniers, des alliés, de leurs ancêtres, même, tenues scrupuleusement à jour par l'administration égyptienne.
S'il est clair que l'Egypte pharaonique, comme beaucoup d'Etats ou de tribus, exerçaient des violences régulières sur d'autres populations, il ne faudrait pas lire l'iconographie égyptienne de la guerre de manière littérale, comme s'ils n'étaient faits que d'actes sauvages : La relation avec les Nubiens, nous le verrons, est aussi faite de commerce, de diplomatie, et de collaboration entre les élites. Malgré ce qu'affirme Montouhotep, la propagande des puissants ne permet pas du tout de savoir "ce qui s'est passé réellement". Comme toute iconographie émanant du pouvoir, les représentations égyptiennes de la guerre sont subordonnées aux intentions idéologiques de ceux qui gouvernent, qui veulent ici magnifier la force donnée aux égyptiens par les dieux pour dominer tous les ennemis de l'Egypte : "tous les pays étrangers sont sous tes sandales" (in Obsomer, 2007b). dira un graffiti des environs de la première cataracte, daté du roi Montouhotep II (Mentouhotep II, vers - 2064-2013).
Le Royaume de Kerma
( - 2500 - 1500 )
Kerma, vue sur les vestiges de la ville et de la puissante deffufa (forteresse), vers - 2050
Reconstitution de la ville de Kerma avec sa deffufa, qui donne une idée de la puissance naissante du royaume de Kerma., On notera la grande hutte d'apparat du roi (Ø 14 m), tout près de la forteresse, sur sa droite, mais aussi divers entrepôts royaux protégés par des enceintes, dont sont aussi pourvues des habitations de privilégiés.
Aquarelle de Jean-Pierre Golvin, Université Bordeaux III
Dès le Kerma moyen (2050-1750), la distinction de classe sociale s'opère nettement d'autant plus que se multiplient alors dans les tumulus de l'élite, les morts d'accompagnement, Au Kerma classique (- 1750 - 1480), c'est par plusieurs centaines (322 squelettes dans la tombe K x) que se comptent ces morts d'accompagnement, dans les grands tumuli explorés par l'archéologue américain George Andrew Reisner (1867-1942), qui a mené le premier de grandes fouilles dans la nécropole royale, entre 1913 et 1916 (Honegger 2004 ; Rilly, 2017a), mission Kerma). Ce développement se traduit aussi par un artisanat prolifique et de belle facture, et ce sont de plus en plus les inégalités sociales qui permettent déjà aux riches de s'octroyer des objets de qualité : vêtements, poterie, armes, bijoux, etc., dont on retrouve les spécimen les plus ouvragés dans les tombes des élites.
Vase caliciforme
El-Kadada, Soudan
Art nubien du Royaume de Kerma,
Kerma classique, v. -1800 - 1600
Musée national de Khartoum, Soudan
Bol en terre cuite incisée
Art de Nubie, Naga el-Erian,
Nécropole115, tombe n°98
Ø 8 cm
-2400 - 1550
Museum of Fine Arts (MFA), Boston
Etats-Unis
Modèle de maison
Kerma, Soudan, cimetière est, tumulus KIII, K 315
terre cuite,
Kerma classique, v. -1800 - 1600
Musée national de Khartoum, Soudan, SNM 119
Si de petits tumulus funéraires abritent les tombes des plus humbles, ce sont des superstructures possédant des appartements intérieurs et pouvant atteindre 100 m de diamètre que s'offre l'aristocratie ou les souverains eux-mêmes, dont la course au prestige multiplie les bucranes en demi-cercle autour des tombeaux, pas moins de 4 351 devant la tombe n° 253 ! (Rilly, 2017c),
Nécropole de Kerma, bucranes, Kerma moyen, vers 2050
L'étude anthropologique des squelettes de l'époque classique a montré des violences fréquentes dont les effets se sont gravés dans les os des disparus (Judd et Irish, 2009). Plus près de nous, un néolithique un peu spécial, adapté à l'Afrique australe, dans des régions longtemps réputées pour avoir perduré longtemps au stade préhistorique de la pierre ("Late stone age", tels les ancêtres des San, plus connus sous le nom anglophone de Bushmen), s'est mise en place ou s'est renforcée une organisation sociale plus inégalitaire que par le passé. Ainsi, à Kasteelberg et peut-être aussi à Jakkalsberg, en Afrique du Sud, au long du premier millénaire de notre ère, l'élevage se développe, peut-être celui, autochtone, des San/Bushmen, à moins qu'il n'ait été transmis par les immigrants Khoekhoe (Hottentots), ce qui aurait donné la culture mixte khoisan. Dans tous les cas, "il semble que les moutons et la céramique ont été considérés comme des biens prestigieux, peut-être utilisés comme un capital politique dépensé à l’occasion de grands festins" (Sadr, 2005).
On a souvent parlé du néolithique comme d'une période révolutionnaire, sans voir souvent comment elle a accéléré la construction des inégalités sociales en domestiquant tour à tour les plantes, les animaux, et les hommes eux-mêmes, par la servitude, l'esclavage, la guerre, la division entre des riches et des pauvres, en particulier par le retranchement des puissants derrière des palais, des châteaux-forts, s'arrogeant la maîtrise du verbe et de l'écriture pour définir la culture dominante (Scott, 2017).
Dague
Kerma classique
vers - 1500
L 55 cm
bronze,
pommeau en ivoire,
Musée national
de
Khartoum
n° 1062
Couteau
Kerma moyen
vers - 1800
L 30.4 cm
bronze, garde et rivets en or, pommeau en
ivoire, manche en corne.ou écailles de tortue.
Musée national
de
Kerma
n° 36332
Gravure rupestre, chasse à la girafe
Iwelen, Massif de l'Aïr, Niger
Art Peul, Équidiens, époque des chars
Équidiens, époque des chars, Ier millénaire avant notre ère
"A considérer la mobilité restreinte nécessaire au succès de l’élevage équin en milieu sahélo-soudanien, on devrait retrouver parmi les peuples évoluant non loin des massifs de l’Adrar des Iforas et de l’Air, les descendants des éleveurs de bovins qui avaient introduit le cheval dans le sud du Sahara au cours du premier millénaire avant notre ère. Il se trouve précisément dans les bassins des fleuves Niger et Sénégal et plus à l’est autour du lac Tchad, des pasteurs peuls sédentaires, éleveurs de bovins, organisés en des sociétés hiérarchisées." (Camps et Dupuy, 1996)
Le chasseur (mais aussi sans doute pasteur de bovins), armé d'une lance à pointe de cuivre, a une coiffure trilobée et porte des pendentifs à l'oreille. A sa droite, un char à timon unique et deux roues rayonnées, tiré par deux chevaux attelés, caractéristiques de l'aristocratie locale. Les gravures correspondent en tout point avec le matériel (lances et chars) retrouvé sur le site.
Kerma, miroir en cuivre porté par 2 faucons
, v. -1750 - 1550,
Fine Arts Museum of Boston, Etats-Unis
“ ...entre l'Asiatique et le Noir de Nubie ”
Ce que les historiens ont longtemps décrit comme une invasion de groupes sémites ou des steppes caspiennes, colonisant la Basse-Egypte, les fameux Hyksos (Ὑκσως), était en fait une construction tardive, faite à partir de la tradition rapportée en grec par le prêtre égyptien Manéthon dans son Histoire de l'Egypte (IIIe s. av. notre ère). En réalité, ces Heka Khasout ("chefs de pays étranger") représentaient des groupes de population émigrées de Syrie et de Palestine, peut-être des marchands du Levant, qui avaient progressivement investi leur future capitale d'Avaris (site actuel de Tell el-Dab'a), ville portuaire du delta du Nil, et avaient finalement acquis assez de puissance pour prendre le pouvoir et régner sur la Basse-Egypte entre 1638 et 1530 (Siesse, 2019 ; Stantis et al, 2020).
Pris en sandwich entre les Hyksos au nord, et les Nubiens au sud, le pharaon Kamosis (Kames, Kamose, XVIIe dynastie, règne autour de - 1550) a fait inscrire sur une stèle commémorative à Karnak : "Je siège entre l'Asiatique et le Noir de Nubie" (Gabolde, 2005), texte reproduit sur la tablette Carnavon (en bois stuqué), du nom de Lord Carnavon qui l'a découverte en 1908.
Cette comparaison physique, où le pharaon se distingue d'un Nehesy (nḫsy, Nubien, et par extension, Noir, cf. plus bas) et d'un Amou (Asiatique) n'a rien d'étonnant. C'est le même regard sur la différence que portent les textes relatifs à ce sujet, ou qui est exprimé par les représentations exécutées par les artistes égyptiens des différentes races humaines, à leurs yeux, formalisées à la fin de la XVIIIe dynastie par le Livre des Portes, nous allons le voir plus loin
Sous le règne d'Ahmosis (Ahmose, Amosis), premier pharaon de la XVIIIe dynastie, un simple mousse homonyme du prince, Ahmose (Ahmès), devenu par sa bravoure "combattant du souverain", deviendra riche et comblé d'honneurs. Ainsi, il put se faire bâtir une tombe (N°5) à El-Kab (près d'Esna) où il fit inscrire son