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  Afrique NOIREdominations
               et esclavage
s   [ 8 ] 

 L'EMPIRE

DU


    MALI,  

   XIIIe - XVIe siècles 

Dialiba Konaté,  illustration en couverture de son livre "L'épopée de Soundiata Keïta"

                                                                  Seuil Jeunesse, 2022.

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Carte du Soudan au XVIe siècle avec l'Empire du Mali, du Songhaï  (Songhay), des royaumes du Fouta-Toro et du Cayor, établie sur la base d'une carte de l'historienne Madina Ly-Tall  (Ly-Tall, 1977)

                                                           

Introduction

Il m'est arrivé de nombreuses fois, en préparant ici un sujet, de pester à la lecture des articles de Wikipedia, souvent lacunaires, manquant la plupart du temps de cette épaisseur, cette consistance qui contente la recherche de savoir. Un exemple parmi tant d'autres : A ce jour l'article de Wikipedia sur Kerma présente une carte géographique utilisée pour illustrer le sujet était une carte générale du Soudan...entièrement vierge, à l'exception de l'emplacement seul de la capitale... qui disparait quand on agrandit l'image. Un des sujets importants et frappants de la Nubie antique, est l'utilisation par l'aristocratie de centaines ou milliers de bucranes alignés autour de leurs tombeaux : le terme bucrane n'est pas cité une seule fois.  Mais plus que le manque, c'est l'erreur qui est le plus à craindre, alors qu'un site encyclopédique est censé vous apporter un savoir, une connaissance solidement constitués. L'historien François-Xavier Fauvelle a fait cette mauvaise expérience en préparant son livre sur le Mali médiéval, "Les Masques et la Mosquée / L'Empire du Mâli (XIIIe-XIVe siècle)" (2022, CNRS Editions). L'auteur  relate en détail dans l'ouvrage sa lecture de l'article de Wikipedia consacré à l'Empire du Mali et finit par conclure : "Car, en effet, presque tout y est faux. Faux de différentes façons : ou bien pas tout  à fait exact, ou bien faussement précis, ou bien pas généralisable à l'ensemble de la période concernée, ou bien vrai « à condition que », ou bien possible mais pas prouvé, ou bien carrément faux." (op. cité).  Ainsi, tout en reconnaissant l'utilité indéniable de cette vaste entreprise participative qu'est Wikipedia, on ne saurait trop conseiller à ses lectrices et lecteurs exigeants,  cherchant à approfondir un sujet particulier, de ne se servir de cet outil que pour débroussailler le terrain, poser des premiers jalons de leur recherche, sans penser à y recueillir, a priori, le fruit mûr d'un travail encyclopédique aussi rigoureux que substantiel. 

Cependant,  en avocat du diable, Fauvelle n'oublie pas de faire la généalogie de ces erreurs, fabriquées par différents spécialistes de la question, et reproduites par celles et ceux qui les ont lu et leur ont fait confiance, de l'historien arabe Ibn Khaldun au XIVe siècle à Charles Monteil  et ses "Empires du Mali", en 1929,   en passant par Heinrich Barth en 1858, l'administrateur colonial Louis-Gustave Binger (1856-1936) en 1892 ("Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi",  ou encore Maurice Delafosse et son "Haut-Sénégal-Niger" en 1912.  C'est Delafosse, en particulier, qui "fixa ainsi un certain nombre de dates qui, aujourd’hui encore, sont reprises par tous sans la moindre discussion" (Simonis, 2015).  En bon serviteur de l'administration coloniale, le travail de Delafosse visait "à doter les nouvelles colonies africaines, sous contrôle politico-scientifique européen, d’un passé construit par des mains occidentales et, comme tel, dûment estampillé par la puissance occupante"  (Triaud, 1998).  

1858   :  Tables chronologiques en annexe de ses Reisen und Entdeckungen in Nord- und Central-Afrika, in den Jahren 1849 bis 1855 : "Voyages et découvertes au Centre et au Nord de  l'Afrique dans les années 1849-1855", Gotha, Justus Perthes,1857-58. 

 

Al-Yaqubi, avant 891, évoque les royaumes de Mellal (Mali) et de Kawkaw (Gao), dans son Livre des Pays, quand Al-Bakri parlera de Malal ou Malel dans son Livre des itinéraires et des royaumes, A l'instar de différents géographes, il construit son travail à partir d'informations de voyageurs, de commerçants,  de marins, de différents ouvrages, aussi, sans avoir jamais mis les pieds dans les contrées étudiées, tout comme Al-Idrisi (Al-Idrissi) qui, depuis la cour du roi normand Roger de Sicile, rédige son Kitab Rudjar (Livre de Roger) en 1154, ou encore Al-Umari  (Shiḥāb al-dīn Aḥmad ibn Faḍl Allāh al-'Umarī,  1301-1349), qui n'a jamais visité le Soudan mais qui, cependant, possédait des informations de première main pour écrire ses "Chemins et perspectives de la souveraineté des royaumes" :

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                  Mappemonde circulaire   

Al-‘Umari, Masālik al-abṣār, Masãlik al-absãr fi mamãlik al-amsãr : "Chemins et perspectives de la souveraineté des royaumes" (Voies des regards sur les royaumes des grandes villes).

Carte ici réorientée, car l'auteur avait présenté sa carte avec le sud vers le haut.  

                              v. 1342-1349

    

Manuscrit de 1585 environ,  Topkapi Sarayi (Palais de Topkapı), Istanbul, Turquie

 

              Ahmet 2797, f. 292v-293r,

       

                                                               

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 Enfin, nous devons au Marocain Ibn Battuta (ʾAbu ʿAbd Allah Muḥammad Ibn ʿAbd Allah al-Lawātī aṭ-Ṭanjī Ibn Baṭṭūṭa, 1304-1368) un rare témoignage direct, puisque parti en février 1352,  de Sijilmassa, grand carrefour du commerce d'esclaves, il est arrivé en juin dans la capitale de l'empereur du Mali Mansa Souleiman et a fait des observations pendant plus de six mois sur la vie de ses habitants, qu'il a rapportées dans sa Rihla (رحلة : "voyage"), nom donné à un genre littéraire mêlant observations géographiques et ethnologiques.  Plus tard, Mahmud Kati (né vers 1468 à Tombouctou/ Timbuktu) s'intéressera aux Askias de Gao, et son Tarikh al-Fettash (T. el-Fattash, vers 1519) contient des pages très intéressantes sur le pèlerinage du fameux et richissime Mansa Moussa, tout comme, dans une moindre mesure, l'ouvrage d'Abderrahman Es-Sadi (Sa'di, Saâdi),  le Tarikh al-Sudan (vers 1627-1655), consacré au pays songhaï  (Simonis, 2015).  

La geste de Soundiata

 

 

 

De la même manière que dans le volet précédent, nous pouvons introduire cet exposé sur le Mali médiéval par la titulature royale, car elle nous fait entrer d'emblée dans l'espace vertical, aristocratique, de la société mandingue.  Le premier auteur qui nous fournit des renseignements précieux sur le sujet, Ibn Khaldûn, parle ainsi du fondateur de la dynastie qui constituera l'empire du Mali au moyen-âge; Mari Djâta (Mari Diata, Mari Jata), de son vrai nom Soundiata, de la grande famille des Keita : "Le plus puissant de ces monarques fut celui qui soumit les Sousou [Soussou, Sûsû, Sosso, NDR], occupa leurs villes et leur enleva l'autorité souveraine. Il se nommait Mari-Djata. Chez eux, le mot mari veut dire émir descendu d'un sultanDjata signifie lion, et Teguen, petit-fils (I. Khaldoun, Histoire des berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, traduction M. le Baron de Slane, tome deuxième, Alger, 1854). 

 

Du temps qui précède la geste glorieuse de  Soundiata (Soundjata, Sundjata, Sunjata), au XIIIe siècle, qui sera développée plus loin, on  ne sait presque rien, mais il n'y a pas de doute sur le cadre aristocratique du pouvoir de l'ancien Mandé (Manding, Mande), qui, selon l'historien guinéo-sénégalais Djibril Tamsir Niane était alors "une modeste province du Haut-Niger" (Tamsir Diane, 1959).  La tradition orale, par la voix du djeli nous a transmis les noms de différents clans en présence : Aux Condé, la province du Do, qui correspondrait à la région de Segou, aux Kamara (Camara), celle, très convoitée, du Bouré (en Guinée), connue comme la région de Bambuk (Bambouk, au Sénégal) pour sa richesse en or, les Keita, associés aux Traoré et aux Konaté, régnant quant à eux sur la province de Kri (Kiri).   Pendant des millénaires, les traditions orales ou littéraires, dans tous les Etats centralisés, relataient avant tout les faits des puissants de ce monde, et les civilisations africaines ne font pas exception. ​Elles sont donc toujours pétries de l' idéologie des élites et ne peuvent être étudiées historiquement qu'avec une infime précaution. On doit en particulier à l'historien français Yves Person (1925-1982) et à l'historien belge Jan Vansina (1929-2017) d'avoir mis au point une méthodologie de l'emploi critique des traditions comme documents historiques  (Person, 1968, 1970, 1975 ; Vansina, 1985 ; Fauvelle et Perrot, 2018).  

djeli  (jali)  :  Artisan de la caste djèliya, en langue malinké, que l'on traduit par griot (fém. griote, griotte) terme qui n'a rien d'africain puisqu'il nous viendrait, au XVIIe siècle, du portugais "criado"( domestique), qui aurait donné le français "guiriot", "musicien ambulant d'Afrique Noire" (source CNTRL). Un djeli au sommet de son art est appelé Belen-Tigui (B-Tigi :"Maître de la parole"). 

 

L'examen des différentes versions de l'épopée mandingue autour de Soundiata Keita présentées par Tamsir Niane est éloquent sur le sujet.  Et même au-delà, car, dès son avant-propos, l'historien évoque le griot antique, conseiller attaché aux cours royales, choisissant les précepteurs des princes, détenant une science bien plus ésotérique que rationnelle : "Toute science véritable doit être un secret" affirment unanimement les griots, selon l'auteur (Tamsir Diane, 1959).  L'un d'eux en fait même un enjeu civilisationnel : "D'autres peuples se servent de l'écriture pour fixer le passé ; mais cette invention a tué la mémoire chez eux ; ils ne sentent plus le passé car l'écriture n'a pas la chaleur de la voix humaine. Chez eux tout le monde croit connaître alors que le savoir doit être un secret" (op. cité) Tamsir Diane est très clair sur le fait que l'histoire "du Manding est le monopole d’une seule famille et qui garde jalousement devers elle les « secrets du Manding » comme on dit. Toute l’histoire est centrée sur une case dite « Camambolon on Bolon » sise à Kangaba ; on en refait la toiture tous les sept ans. C’est à cette occasion qu’en cercle très restreint le « Belen-Tigi » des Diabaté raconte l’histoire du Manding depuis ses origines ; évidemment les Etrangers sont exclus, n’y sont admis que des griots venus de tous les horizons et les membres de la grande famille des Keita"   (op. cité) L'histoire d'un pays et ses secrets au bon vouloir d'une famille aristocratique et royale :  Comment peut-on continuer de soutenir ce principe archaïque et insoutenable, aussi bien pour l'exigence d'objectivité historique que de justice sociale. 

Nous avons évoqué dans le volet précédent, sur le Takrour, l'importance du secret dans la tradition griotique de l'Afrique de l'Ouest. Il s'agit là clairement de privilèges aristocratiques, qui permettent de tracer des frontières très nettes entre  castes supérieures et inférieures, les premières détenant un savoir, le contrôlant et le distillant selon leur bon vouloir au peuple ignorant  ; "Aussi le traditionaliste est-il maître dans l'art des périphrases, il parle avec des formules archaïques ou bien transpose les faits en légendes amusantes pour le public, mais qui ont un sens secret dont le vulgaire ne se doute guère" (op. cité).  Ce que confirme le griot Mamadou Kouyate  :

 

"Je suis griot. C'est moi Djeli Mamadou Kouyaté, fils de Bintou Kouyaté et de Djeli Kedian Kouyaté, maître dans l'art de parler. Depuis des temps immémoriaux les Kouyaté sont au service des princes Kéita du Manding : nous sommes les sacs à parole, nous sommes les sacs qui renferment des secrets plusieurs fois séculaires. L'Art de parler n'a pas de secret pour nous ; sans nous les noms des rois tomberaient dans l'oubli, nous sommes la mémoire des hommes ; par la parole nous donnons vie aux faits et gestes des rois devant les jeunes générations" (op. cité). Par sa voix, assure t-il, nous apprendrons l'Histoire du Manding, autrement dit "l'Histoire de l'Ancêtre du grand Manding, l'Histoire de celui qui, par ses exploits, surpassa Djoul Kara Naïni celui qui, depuis l'Est, rayonna sur tous les pays d'Occident"  (op. cité).  La ploutocratie mondiale partage ainsi largement ses assises profondes : L'histoire qu'elle entend raconter est celle, en réalité, d'une toute petite portion d'humanité, celle des chefs, des exploits réels ou supposés de rois prétendument puissants et investis par les divinités, celle où l'homme ordinaire n'a aucune place, qui doit demeurer invisible, accepter ce rôle totalement accessoire qu'il tient à leurs yeux dans l'histoire et finalement, de faire sien ce que les puissants lui demande de penser et de croire. Tout, dans l'installation de la geste de Soundjata, conforte, renforce les sentiments aristocratiques, pour que le commun des mortels s'approprie l'évidence de l'ordre hiérarchique du monde. Il est  "l'ancêtre de ceux qui tendent les arcs....le maître de cent rois vaincus....grand parmi les rois.... aimé de Dieu car il était le dernier des grands conquérants..."(op. cité).  

Djoul Kara Naïni   :  "Il s'agit d'Alexandre le Grand que l'Islam appelle Doul Kar Naïn. Chez tous les traditionalistes des pays malinké, la comparaison revient souvent entre Alexandre et Soundjata. On oppose l'itinéraire ouest-est du premier et l'itinéraire est-ouest du second." (op. cité).

 

D'autre part, en inaugurant la grande histoire du Mali par Soundiata, on entre de plain-pied en terre d'islam, célébré par le griot lui-même, puisque "Bilali Bounama, l'Ancêtre des Kéita, était le fidèle serviteur du prophète Mohammadou (que la Paix de Dieu soit sur lui)"  (Tamsir Diane, 1959),  que "Lahilatoul Kalabi fut le premier prince noir à venir faire le pèlerinage à la Mecque" (op. cité),  ou encore que Soundjata lui-même est l'élu d'Allah, qui lui a sauvé la vie, l'empêchant de mourir de soif dans le désert, après avoir subi un pillage par des brigands. Cette perspective, là encore, cherche à faire croire que l'ensemble du Manding chante les louanges d'Allah, quand bien même une écrasante "majorité de la population avait conservé ses croyances et seule une infime partie de l’élite sociale s’était convertie à l’islam, qui apparaissait avant tout comme une religion d’apparat, sinon purement décorative. L’islam laissa certes des traces profondes dans la société, mais il ne fut jamais que la religion d’une minorité dirigeante. Il légitimait la hiérarchie sociale et permettait au système esclavagiste de perdurer. Une conversion généralisée du peuple à l’islam aurait eu pour conséquence d’en interdire l’asservissement, ce qui était contraire à l’intérêt des puissants"   (Simonis, 2015).   L'empire du Mali, en effet, a été un des Etats les plus esclavagistes qu'il soit, l'exportation des esclaves à destination des pays arabes étant, avec le commerce de l'or, la principale source de richesse du pays  (op. cité).  Les gisements aurifères du Bouré, en particulier, étaient cruciaux pour le pouvoir, qui n'avait pas d'autre choix que de ne pas troubler les croyances religieuses des populations ouvrières qui exploitaient les mines. En effet, en réaction à chaque tentative autoritaire pour y implanter l'islam, les ouvriers diminuaient significativement le rendement du métal précieux  (op. cité).  

Qui avertit le père de Soundiata, Maghan Kon Fatta, d'une beauté réputée, du fait que "le Manding va sortir de la nuit" grâce à un héritier issu de son union avec une femme laide et bossue ? Un noble chasseur dont la "blouse cousue de cauris" indiquait qu'il était maître dans l'art de la Chasse (Tamsir Diane, 1959).   Que voit le souverain, assis sous le grand fromager de Nianiba, sa capitale, quand la prédiction du devin se réalise : Deux nobles du clan Traoré revenant d'une chasse dans le pays de Do, chacun un arc d'argent à l'épaule, accompagnés de la laideronne Sogolon. Forcée à l'exil  avec ses enfants (le frère de Soundiata, Manding Bory et sa sœur Djamarou), la famille est accueillie par divers souverains. Le roi de Tabon (ancien nom du Fouta Djallon, aux mains du clan Kamara), tout d'abord, dont le fils deviendra un compagnon et général de Soundiata, Fran Kamara. Fran Kamara fait visiter à son invité les forteresses, les arsenaux royaux, et ensemble ils devisent sur leur glorieux avenir : "J'aurai à moi toute l'armée de Tabon", avance avec fierté Fran Kamara. "Je te ferai grand général", promet de son côté Mari Djata, en ajoutant : "nous parcourrons beaucoup de pays, nous serons les plus forts. Les rois trembleront devant nous comme la femme tremble devant l'homme".  Bien entendu, on ne saurait, dans toutes les sociétés africaines très hiérarchisées, parler de mentalité aristocratique sans culture patriarcale. Le statut social de la femme, pendant longtemps, n'y était guère plus enviable que celui qu'elle possédait sur les autres continents. 

 

A la cour du roi de Wagadou,  Soumaba Cissé, l'enfant Soundiata, âgé de 11 ans "regardait tranquillement les riches décorations de la salle de réception du roi : les riches tapis, les beaux cimeterres accrochés aux murs et les riches vêtements des courtisans" (Tamsir Diane, 1959).  Mais Sogolon, malade, dut trouver un autre climat plus favorable à sa condition, alors le roi adressa sa famille à la cour de son cousin, Moussa Tounkara, à Mema, au-delà du pays de Do, sur les rives du Djoliba (Niger). Le roi, parti en campagne contre des montagnards, revint à la saison hivernale et fut accueilli en triomphe : "Moussa Tounkara, richement vêtu, montait un superbe cheval, sa cavalerie redoutable formant une escorte imposante; les fantassins marchaient en rangs, portant sur la tête les prises faites sur l’ennemi ; les tambours de guerre roulaient, tandis que les captifs, tête basse et les mains liées au dos, avançaient tristement sous les ricanements de la foule." (op. cité).  Cette fois, la famille s'installe chez leur hôte pour des années.  Un certain nombre de matériaux utilisés pour narrer l'apprentissage du guerrier Soundiata est typique de toutes les gestes aristocratiques du monde :  Le narrateur loue la fougue, la bravoure du futur empereur du Mali, son caractère d'exception ("il éclipsa tous les jeunes princes", "il avait réponse à tout",  "personne ne pouvait tendre son arc"). L'homme accompli devint vice-roi du Wagadou et son heure glorieuse était proche. Le roi du Sosso, Soumaoro (Sumanworo) Kanté avait soumis le Wagadou, le Diaghan (Dyaghan : Dia), en tout neuf rois "dont les têtes lui servaient de fétiches dans sa chambre macabre ; leur peau lui servait de sièges ; il se tailla des chaussures dans de la peau humaine" (op. cité) Depuis un moment déjà,   le griot n'avait cessé de dresser un portrait repoussant de celui qui se dressait devant Soundiata.  Technique classique du récit épique depuis des lustres : élever au mieux la stature du héros, et rabaisser d'autant celui qui fait obstacle à sa glorieuse destinée, en insistant sur le fait qu'il tient sa puissance de forces malignes et destructrices. Soumaoro Kanté descendant "de la lignée des forgerons Diarisso, qui ont apprivoisé le feu et appris aux hommes le travail du fer" était certes le plus puissant et le plus riche de la région, mais aussi "d'une très grande cruauté", "le roi sorcier, le pillard qui enlevait tout aux marchands quand il était de mauvaise humeur",  et qui finit de ravir le griot qui avait été donné à Soundiata par son père : la goutte qui aurait fait débordé le vase, dit-on. 

 

Ce portrait de Soumaoro, véhiculé par la version populaire donnée par Tamsir Diane, est contredit pourtant par l'apport "de nouvelles sources comme les récits des forgerons Kanté ou les traditions de Kirina, permet de mieux cerner la réalité. Il n’est plus contesté que Soumaoro fut le véritable fondateur de l’empire du Mali et on peut dire que Soundiata ne fut que le continuateur de son œuvre politique, reprenant à son compte le programme de son ennemi. Les deux personnages sont en fait les deux pôles d’un même processus, le passage d’un Manden aux mains de multiples roitelets insignifiants (les mansa) à un puissant empire" (Simonis, 2015).  D'autres versions, comme celle du griot Wa Kamissoko, rapportée par Youssouf Tata Cissé, est même diamétralement opposée à celles rapportées par Tamsir Diane, puisque Soumaoro aurait proposé une alliance avec le Manden pour "mettre fin aux razzias esclavagistes venues du nord. L’insécurité régnait, les Malinké réduisant d’autres Malinké en captivité pour les vendre aux Marka ou aux Maures du Sahel, qui introduisaient ensuite les esclaves dans le réseau d’échanges transsahariens" (op. cité).  Ce qui est certain c'est que Soundjata défait Soumaoro à la bataille de Kirina (Krina), au début du XIIIe siècle, et pas du tout forcément en 1235,  date inventée par Delafosse (Amselle, 2011).  

 

Pour certains, les rois inféodés au nouveau roi des rois  (mansa) du Manden, deviennent les gouverneurs des nouvelles provinces conquises, à l'exception du Wagadou et du pays de Nêma, qui auraient conservé leurs souverains. Pour les autres, Soundjata aurait demandé aux roitelets de faire allégeance et les insoumis auraient été châtiés, et leur ancien mansa mis  à mort. L'empereur aurait, selon la tradition orale, aboli l'esclavage, instauré la "paix mandingue" au travers d'une "Charte du Manden", envoyé des troupes pour conquérir le Djolof, dans l'actuel Sénégal, et fait bâtir un palais à Dakajalan/Dakadjalan. Un des chefs les plus connus de ses armées, Fakoli Dumbia (F.  Doumbia), a semble-t-il été le bras armé impitoyable des conquêtes de Soundjata, soumettant en particulier les Maures du Sahel "en employant des méthodes d'une rare cruauté"  (Simonis, 2015). Dakadjalan fut la première capitale de ce qui fut, d'après nos connaissances, une fédération de royaumes ayant une large autonomie, tel le Wagadou/Ghana, qui payait un tribut annuel au souverain du Mande. Mahmoud Kati, dans son Tarikh el-Fettach, évoquera deux capitales :  Djériba (Djeliba, Djoliba, )  et Niani, située sur la rivière Sankarani, un affluent du Niger, mais aucun vestige correspondant n'a été découvert à ce jour.

 

La charte du Manden 

 

 

 

Disons sans ambage qu'à lire l'historien Francis Simonis, maître de conférences à l'Université Aix-Mareille, spécialiste de l'histoire mandingue, la charte du Manden, appelée aussi charte de Kouroukan Fouga (Kurukan Fuga), du nom d'une clairière où elle aurait été promulguée (cf. carte), semble avoir été sortie du chapeau par différents membres de l'intelligentsia malienne  pour des raisons éminemment idéologiques, à visée politique.  Commençons par l'autodidacte guinéen Souleymane Kanté (1922-1987),  qui invente en 1949 un alphabet mâtiné d'alphabets arabe et latin, pour la langue malinké, le n'ko. Kanté s'intéresse de très près à la charte de Kouroukan Fouga et s'agissant de l'histoire du Mali, accrédite la chronologie fictive de Maurice Delafosse, à ceci près que ce dernier ne parle nulle part d'une charte édictée à Kouroukan Fouga  (Amselle, 2011),  S'inspirant probablement de coutumiers juridiques publiés dans le tome III de son fameux ouvrage, ou encore de ceux de l'administration de l'A.O.F (Afrique Occidentale Française), il écrit un ouvrage en n'ko compilant 130 lois ou règles (ton) qu'il affirme avoir été édictées en 1236 à Kurukan Fuga  (Souleymane Kanté, Kurukanfuga Gbara, traduit du n’ko par Emmanuel Nii Odoi et Djibrila Doumbouya, chez David. C. Conrad, Kissidougou, Guinée, 1994). 

En 1960, c'est au tour de Djibril Tamsir Niane de s'emparer du sujet et d'écrire son propre texte sur le sujet, dans un chapitre intitulé " Kouroukan fouga ou le partage du monde", de son livre "Sunjata ou l'épopée mandingue", écrit en français (Paris, Présence africaine), qui relate, par la voix de Mamadou Kouyate, l'assemblée qui se serait tenue à Kouroukan Fouga en présence des chefs des peuples soumis et des clans importants du Mande. C'est donc sur les seuls dires d'un griot que l'historien fonde son propos, sans qu'il "ne cite ses sources ni ne donne aucun argument convaincant à l’appui de sa thèse" (Simonis, 2015).  A la fin de son ouvrage, Tamsir Niane  qualifie l'ensemble des dispositions qui auraient été prises de "constitution", sans que l'on sache le terme malinké qui pourrait bien lui correspondre. De la même manière que Cheikh Anta Diop a pu prendre des libertés avec les faits historiques, nous l'avons vu (cf. Afrique Noire, I. Antiquité), Tamsir Diane confère à la charte du Mande un caractère unique, précurseur, puisque ladite constitution aurait alors été antérieure de plusieurs siècles au Bill of Rights ou à la "Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen" de la Révolution Française, qui n'ont en commun qu'une partie de l'intitulé  (cf.   Libéralisme, Angleterre, II, La Glorieuse Révolution). D'autre part, nous le verrons plus bas, la charte du Mande est très loin de traduire le souci d'égalité et d'universalité qui anime le texte de la Déclaration de 1789.  

 

En réalité, et c'est pourquoi la chose nous intéresse ici, c'est qu'il s'agit encore d'une affaire de dominants, de luttes d'influence entre les différents clans de pouvoir. L'essentiel est de construire des pactes d'alliances (senankuya) entre aristocraties rivales, qui deviendront plus tard des cousinages ou parentés "à plaisanterie" :

 

"Dans l’épopée de Sunjata, et dans l’assemblée de Kurukan Fuga qui en constitue le climax, il faut donc voir la mise en scène, du point de vue des aristocraties dominantes, ou des élites politiques contemporaines qui leur ont succédé, d’un processus d’instauration ou de réinstauration d’un pouvoir impérial qui a pris la suite de celui de Sumanworo Kanté, l’empereur du Sosso. C’est en cela que l’idée de Mamadou Kouyaté et de Souleymane Kanté de comparer la charte de Kurukan Fuga au « Bill of Rights » et à la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » n’a pas grand sens. Non pas, parce que l’Afrique ou les Africains seraient incapables d’élaborer une « Constitution » mais parce que cette charte ne marque en aucune façon le surgissement d’un soulèvement contre une monarchie absolue analogue à la Glorious Revolution d’Angleterre au XVIIe siècle - Révolution qui se traduit par l’avènement d’une monarchie parlementaire - ou une préoccupation relative aux droits de l’individu, quels qu’ils soient. Encore une fois, cette charte concerne exclusivement la passation de pactes ou d’alliances entre groupes, de « contrats sociaux » si l’on veut, mais de contrats sociaux qui n’ont strictement rien à voir avec ceux de la philosophie politique du XVIIe et du XVIIIe siècle (Hobbes, Locke, Rousseau), lesquels visent à assurer, en reprenant les acquis de la Magna Carta, ceux de l’Habeas Corpus, et au moyen d’un schème fictif opposant un « état de nature » à un « contrat social », le passage du statut de sujet à celui de citoyen doté de certains droits" (Amselle, 2011).                         "     

 

Cette fabrique idéologique, qui passe pour une "redécouverte" de la charte n'en était alors qu'à ses débuts.  En 1998, réunis à Kankan en Guinée par  l'Agence pour la francophonie et le Centre d'Etudes Linguistiques et Historiques par Tradition Orale (CELHTO), une trentaine de griots expriment ce qu'ils savent de l'assemblée de Kurukan Fuga et c'est un magistrat, Siriman Kouyaté, qui en fait la synthèse dans un texte constitutionnel en 44 articles, dans lequel les "Variations sur les lois de Kurukan Fuga" sont écartées du texte principal et mises en annexe. A l'inverse, on met en avant le "Testament de Sunjata" de Youssouf Tata Cissé ou encore le "Serment des chasseurs" (Donsolu kalikan), là encore un texte prétendument contemporain de Sounjata et daté de 1222, et qui contiendrait des articles relatifs aux "droits humains"  (Amselle, 2011).  Pour certains historiens qui se sont penchés de près sur cette question, "cette Charte et ses appendices - le « Serment des Chasseurs » et la « Charte du Mande » - apparaissent, bel et bien, comme une construction" (op. cité).  

 

L'invention n'est pas une construction de toute pièce, elle repose sur un fond de vérité touchant aux pratiques égalitaires des confréries de chasseurs malinké (donso ton), étudiées particulièrement par le grand anthropologue Claude Meillassouxqui s'est attaché  à travers elles de confirmer les "stades" sociaux avancés par Engels en 1884 dans "L'origine de la famille, de la propriété et de l'Etat" (Meillassoux, 1975, 1977, 1986)  En 2007, un nouveau pas est fait en direction de la reconnaissance publique de la charte du Manden, sous l'égide du Ministère de la culture malien, avec l'attribution d'un label "charte du Mande" au "Serment des chasseurs"  de Tata Cissé. En 2009, cette version  est adoubée internationalement par le choix qui est fait à Abu Dhabi de lui reconnaître la qualité de Patrimoine culturel immatériel, au sein dune liste établie par l'UNESCO (Amselle, 2011).

 

"L’Unesco a donc classé, sans s’être livré à une nécessaire expertise scientifique ou historique, un texte qui ne lui a pas été communiqué, en amalgamant par un raccourci audacieux les deux versions concurrentes d’une « charte » dont personne ne peut dire ce qu’elle est vraiment. L’essentiel, en fait, se jouait ailleurs. Ce qui importait aux autorités maliennes, dans cette affaire, c’était de prendre de vitesse leurs homologues guinéennes en « nationalisant » le texte comme élément du patrimoine malien" Ces autorités  "réussiront à la faire classer au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco au prix d’une falsification historique édifiante" (Simonis, 2015).   

 

La même année, Ségolène Royal prononçait un discours à Dakar et, à l'appui de l'existence de la charte du Mande,  affirmait : "Il faut en finir avec cette idée fausse selon laquelle la démocratie et les droits fondamentaux n'auraient qu'un seul berceau, l'Occident".  Un an après, le président malien Amadou Toumani Touré, associé à une large représentation guinéenne, posait la première pierre d'un monument commémoratif qui sera dressé dans la fameuse clairière de Kurukan Fuga.  En définitive, on "ne peut exclure a priori que l’assemblée de Kurukan Fuga ait eu lieu au XIIIe siècle et que, au cours de cette réunion qui a consacré l’avènement de Sunjata Keita comme empereur du Mali, ait été édicté un certain nombre de règles et qu’ait été passée ou réaffirmée toute une série de pactes entre les principaux clans de l’empire. A l’inverse, on ne peut pas exclure non plus qu’il s’agisse d’une reconstruction tardive émanant de certains griots et traditionnistes soucieux de légitimer le pouvoir impérial des Keita ou de certaines de ses branches (...) Quel est en effet le modèle politique, quelle est la théorie du pouvoir extrêmement répandue en Afrique, particulièrement en Afrique de l’ouest soudano-sahélienne, région concernée au premier chef par « La Charte de Kurukanfuga » ? Aussi bien chez les Mossi que chez les Bambara ou dans d’autres populations, il s’agit de celui opposant les conquérants/gens du pouvoir d’une part et les autochtones/gens de la terre et maîtres du rituel de l’autre. Cette théorie du pouvoir permet notamment de penser les fameuses « parentés à plaisanteries », déjà évoquées, et qui ne sont, en réalité, que des pactes politiques, des « contrats » oraux sanctionnant des rapports de forces entre groupes distincts (clans et lignages)." (Amselle, 2011).  

La geste en partie fantasmée du Mali aura donc eu des répercussions importantes jusqu'aujourd'hui, dont les acteurs, en particulier étrangers, n'ont probablement pas saisi toute la mesure. En effet, la décision autoritaire des pouvoirs maliens d'imposer à tous une histoire nationale, où "chaque Malien était sommé de se reconnaître, conduisit une partie de la population du pays à se sentir exclue d’un récit national qu’elle ne partageait pas" (Simonis, 2015).  Ce n'est pas un hasard si ce hiatus a été mal vécu en particulier par des populations plutôt pauvres : Minianka, Dogon, Bobo, qui, selon le géographe Jean Gallais, ont développé "une conscience très irritable de leur originalité" (Gallais, 1962), auxquels il faut ajouter les Maures et les Touaregs vivant aux limites du Sahel, et qui "sont étrangers à toute référence historique mandingue" (op. cité).   L'histoire récente du Mali ne fait, malheureusement, que confirmer tous ces problèmes de pouvoir et de domination qui n'ont jamais été profondément examinés, et surtout, pris en compte.  

 

Ce que Simonis ou Amselle oublient de dire, c'est qu'indépendamment du problème historique de la charte du Mande, celle-ci demeure incompatible avec les droits humains  tels qu'ils ont été théorisés depuis l'époque moderne, puisque, dès le premier article, le législateur spécifie clairement la conservation des castes sociales : "La Société du grand Mandé est divisée en seize porteurs de carquois, cinq classes de marabouts, quatre classes de Nyamakalas, une classe de serfs (esclaves -Mäfé mölu-). Chacun de ces groupes a une activité et un rôle spécifiques"  (Texte de la charte du Mande, in Sanou, 2021).  Ainsi, quand bien même la charte aurait l'historicité qu'on lui prête, elle n'aurait donc aucunement la même valeur que celle qui affirme les hommes égaux en droit, puisqu'elle conserve dans son principe une inégalité fondamentale entre les hommes libres et ceux qui demeurent plus ou moins asservis dès leur naissance.  

 

Dans cette société dont la première division fondamentale sépare des hommes libres ou asservis de naissance, la noble déclaration du Serment des Chasseurs (cf. op. cité)  qui affirme "qu'une vie n'est pas supérieure à une autre vie" est invalidée par le premier article de la Charte, tout comme celle qui déclare : "Chacun dispose désormais de sa personne, Chacun est libre de ses actes", formule bien moderne, soit dit en passant,  dont on peut sérieusement douter qu'elle ait été écrite au XIIIe siècle, doute qui se surajoute à l'examen très critique des historiens, nous l'avons vu. Même contradiction concernant l'esclavage, dont les Chasseurs ne réclament nulle part l'abolition pure et simple, mais dont ils condamnent tous les excès : razzias, châtiments, etc.  Le deuxième article de la Charte  évoque le thème  exploré plus haut de la captation de la vérité par les élites, ce qui institue, là encore, un autre hiatus entre les classes de la société, en maintenant une inégalité d'accès à la connaissance selon ses origines sociales. 

 

L'article 41 est assez frappant : Quelle déclaration de droits humains, même à une époque reculée, permettrait à quiconque, dans un cadre civil, d'approuver le meurtre de son ennemi ? Dans ce cas, comment concilier l'article 5 (lui-même déjà contradictoire) qui prétend que "Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. En conséquence, toute tentation d’enlever la vie à son prochain est punie de la peine de mort" ? On ne voit pas, non plus, comment  la Charte du Manden pourrait une nouvelle fois se comparer à la déclaration universelle des droits de l'homme, car, en plus de ne s'adresser qu'aux hommes libres, elle ne s'adresse qu'aux hommes mâles, qui plus est polygames :  "Ne poursuivez pas de vos assiduités les épouses du chef...".  D'ailleurs,  l'article 27, traitant du mariage forcé des femmes par les parents "dès qu'elle est pubère sans détermination d'âge",  nous éloigne là aussi de toute entreprise visant à instaurer une plus grande justice entre les individus.

 

Il n'en demeure pas moins que, si la Charte du Mande est aussi ancienne que ce qui a été prétendu, elle fait figure, pour l'époque, d'un des rares textes, avant la période moderne, légiférant sur de nombreux points avec humanisme et tolérance. Cependant, comme toutes les autres déclarations de principe, elles sont très loin de refléter une réalité sociale, très éloignée des bons sentiments qui y sont manifestés, comme nous pouvons le voir, dossier après dossier, et le Bill of Rights ou la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ne font pas exception à la règle.  

mansa moussa

 

On ne sait presque rien de la fin de règne de Soundiata. Son fils Mans Wulen lui a succédé (1250-1270) mais ensuite, après une période trouble,  il semblerait qu'un esclave, Sakoura, se soit emparé du trône et se soit lancé dans différentes conquêtes de territoires. au nord du Mali, prenant, entre autres, le contrôle de Tombouctou et de Gao. Après son assassinat et une deuxième période confuse, c'est le célèbre Mansa Moussa (Kankou  Moussa, Kankan M. : "Moussa, fils de Kankou/Kankan") qui sera porté au trône, de 1307 à 1332. Richissime en or, cela a déjà été dit, il revient pourtant de son pèlerinage à la Mecque après avoir dépensé une fortune considérable, dont une partie a peut-être servi à l'édification des mosquées de Tombouctou ou de Gao, et surtout, un palais royal à Nani, dont la salle d'audience a été décrite par Ibn Battuta.  Notons que l'emprise culturelle et politique de tous les érudits arabo-musulmans, invités à demeure par Mansa Moussa,  dans les centres culturels importants, a dû ajouter au mécontentement d'une partie de la classe dirigeante malienne, en plus des différentes récriminations portées à la personne de Mansa Moussa, comme nous allons le voir. 

Les caisses du Trésor Public avaient été vidées au point de ne plus pouvoir disposer de chevaux nécessaires à la protection des frontières, ce qui poussera les Maures à reprendre leurs razzias et terroriser des populations laissées à leur merci. On retrouvera ce même genre de situation à la période moderne, où nombre de dirigeants africains et leurs familles et amis se sont enrichis au détriment de la population. Mais ce n'est pas du tout ce sujet qui intéresse les différents commentateurs historiques de cette période, qu'il s'agisse de la tradition griotique ou de la littérature musulmane, mais seulement tout ce qui concerne de près les élites elles-mêmes. Beaucoup d'indices amènent à penser que Mansa Moussa a été porté au pouvoir dans un moment de fortes tensions politiques, d'intrigues courtisanes qui auraient permis à un jeune homme d'accéder à la titulature suprême dans une culture qui promeut la sagesse et l'expérience des hommes mûrs (Gomez, 2018), ou encore une succession digne des lignées royales, alors que certains griots vont jusqu'à prétendre qu'il était un simple affranchi (Ly-Tall, 1977).   D'autre part, la mention d'un nom féminin dans sa titulature n'a rien d'anodin, ce qui n'a pas échappé à l'auteur du Tarikh-al-Fettash, qui donne sa version des faits :

 

"La raison de son pèlerinage m’a été contée par le gardien et savant des traditions des ancêtres, Muḥammad Quma… qui a parlé du  roi du Mali, Kankan Mūsā, comme celui  qui, par mégarde, tua sa mère Nānā Kankan, et qui fut en fut tant chagriné, tant repentant que, craignant un châtiment en retour, fournit de larges richesses en aumônes, et pris la résolution de jeûner pour le reste de sa vie. De plus, il demanda à quelques oulémas de lui indiquer ce qu’il devrait faire pour obtenir le pardon pour sa grande faute.  L’un d’eux lui répondit, « Selon moi, vous devriez chercher l'aide de l'envoyé d'Allah, Allah le bénisse et lui accorde le salut… » Le jour même il commença à rassembler les richesses et les provisions pour le hadj, et demanda soutien et approvisionnement dans les différentes provinces de son royaume."

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                 Tocht der Karavane uyt Kairo of Mecha. 

                                           titre original :  

         The March of ye Caravan out of Cairo to Mecha, 

                     gravure de John Ogilby (1600-1670),

                                          Londres 1670

                                       édition de 1700-1730, 

                 gravure de Pieter Van der Aa (1659-1733)

                                            27.5  x  34.7  cm

                          Victoria and Albert Museum, London

    Département des Antiquités égyptiennes, AF 6639

                                                               

L'historien égyptien Ibn al-Dawādārī (actif vers 1309-1335), contemporain de Mansa Moussa, évoque les dépenses somptuaires du roi du Mali  et de ses lieutenants au Caire, qui pensaient que cette fortune était intarissable (Levitzion et Hopkins, 2000 : 249-251)Cette quantité d'or était assez très impressionnante et si on recoupe les informations données par Ibn Khaldoun, Al-'Umari et Es-Sadi, respectivement dans l'Histoire des Berbères..., le Masalik al-absār et le Tarik-al-Sudan,  cités plus haut, Mansa Moussa avait réussi le tour de force de réunir environ la quantité considérable de 16 tonnes d'or.  Son pèlerinage n'était donc pas simple à organiser et nécessitait des centaines de montures, un personnel nombreux, en particulier pour se prémunir du brigandage. Le Tarik al-Sudan parle de  60.000 hommes au départ du voyage, un chiffre sans doute exagéré, mais qui a dû être très important, et qui a fait de nombreuses victimes du désert, qui sont mortes en cours de voyage ou qui ont rebroussé chemin. Ahmad al-Maqrīzī  (1364-1442,  أحمد المقريزي) affirme de son côté que le roi du Mali "ammena avec lui 14.000 esclaves de sexe féminin pour son service personnel"  (Levitzion et Hopkins, 2000 : 305 ; 350-356) et Ibn  Kathir prétend que ce sont 20.000 personnes, maghribis (Africains de l'Ouest) et esclaves, qui accompagnaient le prince, ces derniers composant la majorité de ceux qui se trouvaient à la cour du souverain (op. cité) Les milliers d'esclaves affectés au pèlerinage sous-entendent que Mans Moussa a dû multiplier les combats et les razzias pour les obtenir, ce que les différentes sources ont confirmé, en particulier le gouverneur du Vieux Caire, Al-'Umari, qui rapporte les propos du roi lui-même, qui aurait affirmé triomphalement avoir triomphalement conquis "24 villes et leurs provinces...par son épée et ses armées"  (Levitzion et Hopkins, 2000 : 252-278 ; Gomez, 2018). Tout ceci tend à montrer que l'entreprise du pèlerinage a probablement été préparée et planifiée de longue date. 

 

Mahmud Kati rapportera quant à lui que  la richesse somptuaire dépensée par Mansa Moussa a fini par faire chuter le cours du métal précieux, situation, et ce durablement, puisqu'Al-'Umari   précise plus tard que l'or était vendu au moins 25 dirhams le mithkal (mithqal)  avant le voyage de Mansa Moussa tandis qu'il ne dépassa jamais les 22 dirhams par la suite  (op. cité).  

 

compter du règne de Maghan, le fils de Moussa, le Mali aura à subir les assauts du roi Mossi du Yatenga, perdant peu à peu son influence au Sahel, du fait des Touareg (XVe siècle),  mais aussi le contrôle du commerce transsaharien au profit de l'empire du Songhaï, dont le fondateur, Sonni Ali Ber va imposer sa nouvelle puissance sur la région. 

                        1                                                                                 2                                                                          3

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1.    Statuette du XIIIe-XVIe s. alliage cuivré, , H. 9.6 cm, culture de Djenné-Djeno, Mali, Musée                        Barbier Mueller, Genève.

2.    Statuette féminine, XIIIe-XVe s., terre cuite, H. 37.5 cm, , culture Djenné-Djeno,  Musée du Quai           Branly, Paris.

3.   Statuette, figure agenouillée tenant un pot rituel, 1150-1350, terre cuite, H. 44 cm, culture                    Djenné- Djeno, collection particulière. Les personnages agenouillés dans l'art de Djenné-Djeno           font probablement partie de cultes domestiques et étaient placées dans les fondations des                  maisons  (Sauvanargues, 2005). 

4.    Statuette, figure recouverte de serpents, 1030-1270, terre cuite, H. 35 cm, culture Djenné-                   Djeno, coll. particulière.

5     Statuette, 900-1300,, terre cuite, H. 22 cm, culture Djenné-Djeno, coll. particulière.

6.    Statuette mère-enfant,  1170-1230, terre cuite, H. 33 cm, culture Djenné-jeno, coll. part. 

7.    Statuette féminine, 950-1270,  terre cuite, H. 35,5 cm, culture Djenné-Djeno, coll. part.

8   Statuette de cavalier sur sa monture, XIIIe-XIVe s., terre cuite, Ségou,  Musée d'Art africain                   Arellano Alonso de l'Université de Valladolid, Espagne.

9   Statuette Xe -XVe s., cavalier sur sa monture, terre cuite, région de Bankoni,  36 x 39 cm, collection particulière

                   

                     

 

 

 

 

                   BIBLIOGRAPHIE 

 

 

 

 

   

 

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https://edition.uqam.ca/afroglobe/article/view/982

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https://journals.openedition.org/aaa/1929#quotation

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https://www.webguinee.net/bibliotheque/archives/rechAfric/1959/remma.html

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