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          Afrique NOIRE,  
 dominations 
et esclavages  [ 6 ] 

 
   KANEM

      Bassin  
         du
 
Lac Tchad  

 
     SAO  
   - VIe + XVIe s.    

 

 
 
BORNOU

--

 
        
KANEM

                 VIIIe -- XVIe s.    

--

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                                     Tête  féminine   

           terre cuite incisée      H. 6.4 x L. 5.6 cm x P. 6.8 cm 

     Culture Sao,  Wadjo, près de Kousseri, nord Cameroun

                                  vers - IXe - XIe siècle

     don de Roger Gatau (administration coloniale) en 1949

           Muséum d'Histoire Naturelle  de La Rochelle

                                           H. 1982 

                                                               

 

 

 

A l'instar d'autres régions d'Afrique, orientale ou australe, la présence d'hominidés est attestée dans le bassin du lac Tchad depuis très longtemps, 7 millions d'années en l'occurrence pour l'homme de Tournaï, le plus vieux connu, puis 3.5 millions et demie pour Abel, un australopithèque. Les traces humaines réapparaissent vers - 700.000 ans, qui ne signifient pas du tout que les régions concernées étaient alors vides d'habitant, et deviennent plus importante au paléolithique moyen, entre - 170.000 et -150.000 ans  (Reounodji et al., 2014).  Cette longue histoire humaine ne nous concerne pas ici, car les premiers signes de domination et d'inégalité sociale par la distinction entre riches et pauvres, faibles et puissants, n'apparaissent qu'à la fin du paléolithique (ce qui ne signifie pas, bien sûr une égalité dans tous les domaines avant cette période).  Ce sujet a été examiné dans le dossier Préhistoire.  Mais il nous a semblé utile, à ce stade de ce dossier sur l'Afrique noire, de rappeler aux lectrices et aux lecteurs, à toutes fins utiles, que l'histoire des sociétés organisées, dont nous essayons ici de donner un aperçu des enjeux de pouvoir, de domination et de richesse, n'est qu'un long aboutissement d'une très longue histoire humaine dont nous ne pouvons saisir que quelques bribes, au travers des vestiges archéologiques, en particulier autour de leurs galets et de leurs pierres taillées, ou encore des peintures rupestres.  

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Carte du bassin du Lac Tchad, aire Sao (basée sur Lebeuf, 1962 et Klee et al., 2004)

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Carte politique du bassin du lac Tchad, 1570-1600

Source : Gargari (@Gargaristan) / Twitter

B

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Carte de la région du lac Tchad, au croisement des cultures sahariennes et subsahariennes (basée sur Dewière, 2017).  

D

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Carte de la pénétration de l'Islam dans le Bilad-al-Sudan  (Gast, 2000)

Les premières sociétés néolithiques connues au sud-ouest du lac Tchad sont le fait de sociétés agro-pastorales qui seraient les ancêtres des Sao (Seu, Saou, Sow, So So, etc.) auxquels se rattachent aujourd'hui, entre autres, les populations Kotoko et Kanouri (Lange, 1989), ce dont nous pouvons douter, nous le verrons.  Réunies sous le terme de culture Gajiganna, nom du village du nord du Nigéria au nord de Maiduguri, elles s'installent dans les yaérés (plaines inondables ou plaines firki)  du lac Tchad ou des rives du Chari-Logone,  vers - 3800, bâtissant des villages vers - 3500/3000  (Mallet et Vernet, 2013 ; Reounodji et al., 2014),  et commençant à domestiquer, entre autres, différentes graminées (Poacées), principalement le millet perlé ou mil (pennisetum glaucum) et du riz sauvage (Oryza barthii, O.  longistaminata), que certains chercheurs datent plutôt au début de la période qu'ils appellent Final ou Later Stone Age ("Age de pierre final"), qui font apparaître les dernières industries lithiques des régions concernées, en l'occurrence 1800-800 pour le bassin du lac Tchad, dates qu'ils font correspondre à la culture Gajiganna (Klee et al., 2004). On voit ici que les spécialistes du sujet, face à la complexité de la question, diffèrent dans leurs interprétations.  Nous ne pouvons nous attarder ici sur cette question qui sort du cadre de notre sujet, mais il nous semblait utile d'évoquer quelque peu la formation des premiers peuplements dans le bassin du lac Tchad,  vu l'écheveau complexe du tissu social en question, pour avoir ensuite une idée plus claire sur les réalités sociales de la région. 

yaéré et firki   :  "Les Yaérés sont des formations végétales submergées par les crues du Logone, au Tchad et au Nord-Cameroun. Elles se développent sur les argiles noires sahéliennes et soudaniennes se craquelant à la dessiccation. Cela donne un paysage de mosaïques formations boisées -formations herbacées. Les zones exondées, plus éloignées de l’influence des crues sont colonisées par des formations steppiques zonales à Acacia seyal et Balanites aegyptiacaKaral » ou « Firki ») ou à Acacia nilotica nilotica dans les dépressions" (Spichiger, 2010) 

 

C'est dans les yaérés que sont élevés progressivement des tells ou buttes dits anthropiques, formés par l'accumulation des vestiges d'habitats successifs, de torchis et de briques crues  (Lebeuf, 1969), les protégeant sans doute des crues  (Bouimont, 1994). A Daima, on trouve des buttes de 250 par 170 mètres (Treinen-Claustre et Connah, 1982), mais certaines, à Goulfeil (Goulfey) ou Makari (cf. carte A), s'étendent sur 500 ou près d'un km de long. Occupées inégalement, certaines comme Mdaga, au Tchad, seront habitées entre le Ve siècle avant notre ère jusqu'au milieu du XIXe siècle, soit "2400 ans de présence humaine environ" (Lebeuf, 1980). Sur ces buttes, s'installent des populations  vivant d'agriculture, de chasse (à l'arc et à la sagaie) et de pêche.  Des centaines d'entre  elles ont été répertoriées, dont les plus anciennes ont été datées du IXe au Ve siècle avant notre ère  (Lebeuf, op. cité), moment où apparaît l'âge l'âge du fer selon les sites (-500 - 200).  Ces buttes ont été attribuées pour la plupart à des populations toujours entourées d'un épais mystère, regroupées sous le nom de Sao, cette "civilisation née de l'argile", selon la formule de l'ethnologue Marcel Griaule  (Les Sao légendaires, 1943), qui ceindront leurs villages de hautes murailles défensives en terre crue à partir des XIIe-XIIIe siècles (Lebeuf, 1980).  Comme dans beaucoup d'autres cultures, les Sao, et les Kotoko après eux, le choix de l'emplacement des buttes anthropiques, de la longueur ou la hauteur des murailles, etc., était entouré de différents rituels, mais aussi de sacrifices, comme l'emmurement d'un couple de jeunes gens (qu'on retrouve là encore dans d'autres cultures), toutes sortes de pratiques après lesquelles seulement on pouvait procéder au partage des terres habitables et cultivables (Makrada Maïna, 2017). 

 

Pour les Kotoko  de Goulfeil, le mot "sao" viendrait justement d'un mot kotoko : "sawe", qui veut dire muraille, mais on trouve aussi saw-ay ou sawo, qui veut dire "épine", ou encore : "succès",  "victoire" (Makrada Maïna, 2017).  Pendant qu'on dressait des murailles, se généralisait la pratique d'inhumation dans les jarres (connue aussi du Moyen-Orient), dans lesquelles on a trouvé, en particulier à Mdaga, des statuettes, des figurines animales ou anthropomorphiques,  représentant pour une part des ancêtres, mais aussi des bracelets, des pots, des labrets, etc. 

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Cimetière sao, fouilles d'Annie et Jean-Paul Lebeuf, et de Marcel Griaule, Midigué, Tchad, 1950.

A droite :  double jarre, celle du bas contenant le défunt est recouvert d'une autre.

 

Les tombes retrouvées avant la première moitié  du premier millénaire ne présentent pas de distinction sociale notable (à Zilum, Kursakata ou Daima, par exemple, dans le Bornou / Borno), à l'exception de quelques perles d'amazonites ou de cornaline trouvées sur différents sites (Zilum, Houlouf, Doulo Izgawa, Ghwa Kiwa, Aissa Dugjé (cf. carte A),  liées au commerce international des Garamantes (v. - 1000 à + 700), s'il faut en croire les auteurs romains (Maceachern, 2019). Le sud du lac Tchad semble donc un des rares endroits en Afrique où une forme d'égalitarisme social a perduré très longtemps, puisque nous avons vu qu'au Soudan ou en Egypte, ce n'était déjà plus le cas au milieu du IIIe millénaire avant notre ère (cf. Afrique noire I, Antiquité).  Cette situation a sans doute profité aux Garamantes jusqu'à la disparition de l'état garamantien, qui s'y approvisionnait en esclaves (Maceachern, 2019).  

 

Au détour du milieu du premier millénaire de notre ère, ces sociétés  changent totalement de physionomie, si l'on en juge la soudaine profusion de biens exotiques (perles de verre et de cornaline en particulier), des ornements (bracelets, colliers, etc.) en cuivre, bronze, fer, comme à Daima (Daima III, 700-1200), au Nigéria, Mdaga ou Houlouf (Cameroun), dont un certain nombre enrichit les tombes et qui témoigne de la constitution d'une forme hiérarchique, de rangs sociaux  (Maceachern, 2019).  Plus d'une douzaine de squelettes de chevaux ont été trouvés à Aissa Dugjé (vers 600-780), pour certains mis délibérément en sépulture, et différents autres dans les montagnes Mandara, ce qui ne peut  alors  être le fait que des individus de rang élevé et qui indique probablement un développement accéléré de la hiérarchisation sociale. On ne peut pas ne pas penser au fait que le cheval est l'outil principal du commerce esclavagiste au sud du bassin du lac Tchad, que les auteurs arabes sont les premiers à relater, nous le verrons, comme pour l'ensemble de l'Afrique islamisée. Cependant, il s'agit ici  de chevaux de petite taille, de poneys, qui étaient beaucoup en usage dans le Bilad al-Sudan ("pays des noirs"), selon les auteurs arabes.  En 1068, Al-Bakri s’étonnera par exemple  de la taille réduite des chevaux d'apparat devant le trône du roi du Ghâna  (Cuoq, 1975).   

 

 

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Timbre du Tchad, un des cinq bracelets anthropomorphes en bronze sao ( v. Xe-XVIe siècle), découverts par J-P Lebeuf en 1962 à Gaoui (Gawi, Gahui), à 10 km au nord de la capitale, N'Djamena.

gawi :  litt. : "fort" en arabe tchadien ; ma ka kânzia, en kotoko de Kousseri   (Lebeuf, 1965)

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Nous aurions aimer compter sur le tout premier des témoignages connus des littérateurs arabes ayant visité la région au moment même où les Sao développaient leurs hiérarchies sociales, mais la Configuration de la Terre  (وضع الأرض, Surat al-Ardh, 977), du géographe Mohammed Abul-Kassem ibn Hawqal, dont les voyages se situent entre 943 et 969, est très vague sur les populations du sud du lac Tchad, qualifiées de "païens et féticheurs", qui pourraient être tout à la fois des Kanembu (Kanembou, du Kanem), Kanuri (principalement du Bornou), Mandara ou Sao/Kotoko. Par ailleurs, Ibn Hawqal prétend que l'eau est rare dans la région et les pâturages introuvables, alors que beaucoup de cours d'eau se  jettent dans le lac Tchad, ce qui fait vraiment douter de ses connaissances (Makrada Maïna, 2017). Rappelons ici, cela a déjà été évoqué, que beaucoup de géographes travaillaient alors à partir d'ouvrages divers bien  plus que par des voyages personnels dans les pays concernés. 

 

 

 

             Statue squelettique   

       bronze, alliage de métaux et

    pierre volcanique (pouzzolane)     

 

             H. 31.5  cm 

   Culture Sao, v. XIIe-XVe siècle

      Collection particulière

                                             

                                                               

 On peut ainsi évoquer Giovanni Leone L'Africano (Leon l'Africain), né Hassan al-Wazzan, en 1488, dans l'Andalousie musulmane (Al-Andalus), à Grenade, qui, lui non plus n'a probablement jamais mis les pieds dans la région, et dont des chercheurs ont étudié la fameuse Cosmographia dell'Africa (Description de l'Afrique, 1526) et relevé bon nombre d'erreurs (Fauvelle-Aymar et Hirsch, 2009). Il évoque des populations habitant "à côté d'un très grand lac autour duquel vivent des peuplades de Seu (Sao) et de Gorrhan" (Léon L'Africain, op. cité), et du  royaume du Bornou, ennemi des Sao. 

 

Seu   :   Lorenzo Giovani d’Anania, géographe vénitien parlera de "Sauo", comme une autre orthographe de "Seu" : "« Sauo », Ch'altri han detto « Seu »L'Universale fabbrica del Mondo, ovvero Cosmografia (1582).

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"Ce royaume est gouverné par un puissant seigneur, qui est de l’origine de Bardoa, peuple de Libye,  et tient environ trois mille chevaux, et de fantes [fantassins, NDR] tel et si grand nombre, qu'il luy plaît, pource que tout le peuple est dédié à son service, et en use comme bon luy semble, sans toutefois imposer aucun subside ny tribut, hors mis qu'il leve la decime des fruits provenans de la terre, et n'a autre revenu qu'à dérober et voler ses voisins, qui luy sont ennemis, lesquels habitent outre le désert de Sea [Seu : Sao NDR], qu'ils traversoyent anciennement à pied en nombre infiny, courant tout le royaume de Borno, là où ils deroboyent, et enlevoyent ce qu'ils pouvoyent avoir. Mais ce Roy-ci a tant fait avec les marchands de Barbarie, qu'ils luy amenent des chevaux, leur donnant pour cheval quinze ou vingt esclaves en échange. Par ce moyen il donne bon ordre de faire des courses sur ses ennemis et fait attendre les marchans en délayant leur payement jusques à son retour" (Léon L'Africain, op. cité, traduction Charles-Henri Auguste Shefer, orientaliste, historien, 1820-1898). 

 

L'islam devient la religion officielle de la cour royale du Kanem au XIe siècle, dirigé alors par les  Zaghawa (probablement ibadites), bientôt renversés par les Sefuwa (Sayfuwa, Seyfuya, Sayfawas), d'obédience sunnite malékite (Dewière, 2017), dont la dynastie Teda des Sef (ou Sayfiya) aurait fondé le royaume du Kanem au VIIIe siècle, avec Njimi comme capitale (carte C) , mentionné par Al-Yaqubi  dès 889, dans son Kitâb al-Buldân.  Comme les autres puissances musulmanes, le Kanem prend part au commerce transsaharien, traite esclavagiste comprise, bien entendu, de Njimi vers les pays arabes, au travers des voies classiques  des oasis du Kawar et du Fezzan (carte B), dans les actuels Niger et Lybie. Ce n'est pas sur l'or, mais, en plus du commerce du natron (kilbu), c'est bien l'esclavage qui fonde la prospérité du Maï du Kanem et son "emprise sur ses sujets est absolue. Il réduit qui il veut en esclavage" dira Ibn Furtû (I. Fourtou) dans ses chroniques du Bornou (cf. plus bas).

 

Cette prospérité est rapidement mise à mal par des conflits inter-dynastiques et des conflits avec des Teda-Tubu (Toubou, carte B), une population de pasteurs au Tibesti, qui affaiblissent grandement les Sefuwa et qui poussent à l'émigration une partie de la population, qui s'installe au Bornou, dont les souverains se succèdent depuis le VIIIe siècle (cf. Urvoy, 1941).  Une nouvelle dynastie, celle des Bulālah (Bulala, Boulala), établis d'abord près du lac Fitri (carte C),  achève de pousser dehors les Sefuwa qui se réfugient au Bornou sous le règne du Maï  'Umar b. Idrīs (1382-1387), où sont déjà présents leurs vassaux, et qui construiront un Etat solide jusqu'au XVIIIe siècle (Dewière, 2017). De plus, dès le règne d'Idris b. Ali (1497-1519), les Sefuwa reconquièrent le Kanem, créant un double état Kanem-Bornou, sans pour autant que cessent les conflits dynastiques intermittents. La majorité de la population est paysanne et largement exploitée par les différents pouvoirs, comme dans la plupart des pays du monde pendant des millénaires, payant un loyer à des propriétaires fonciers, comme autant de seigneurs féodaux (Makrada Maïna, 2017).  Et encore une fois, les élites se servent des femmes et de leur ventre pour permettre au pouvoir des uns et des autres de se maintenir, par des mariages inter-familiaux ou avec des femmes esclaves.  En entrant dans l'orbite islamique, sans parler des pèlerinages de souverains à la Mecque ( حَجّ : ḥadj, ḥağğ), ce sont de multiples réseaux intellectuels, religieux, commerciaux, diplomatiques, etc. qui se mettent en place ou se renforcent avec nombre de centres importants de l'Afrique musulmane et au-delà, augmentant significativement l'influence du Bornou : 

"Le Borno devint également un grand centre intellectuel fréquenté par des lettrés du Bilād al-Sūdān et d’autres parties du monde musulman. La reconnaissance par de nombreux ˓ulamā˒ [uléma, ouléma, NDR] des prétentions des mai du Borno contribua grandement à asseoir l’influence culturelle du Borno dans une grande partie de ces États. En pays Hawsa [Haoussa, NDR, carte A et D], cette évolution fut sans doute pour beaucoup dans l’instauration d’un tribut (gaisuwa ou tsare en hawsa) versé régulièrement par les dirigeants musulmans de cette région au calife du Borno"   (Barkindo, 1999).

Les souverains du Bornou cherchent aussi à renforcer leur contrôle sur les Etats satellites, périphériques du royaume, et obtient du Mandara un approvisionnement régulier en fer et en esclaves, quand le Kotoko et le Baguirmi (carte B)  fournit les peaux de bêtes, l'ivoire et, lui aussi, des esclaves. 

Tout en prenant leur revanche sur les Sao, qui, selon la tradition orale, leur aurait causé plusieurs défaites, les Sefuwa s'implantent au Bornou pour profiter aussi dans de terres très fertiles. Au XIVe siècle, ils se seraient alliés aux Arabes, aux Touaregs et autres Toubou pendant une période de sécheresse, pour leur infliger une lourde défaite (Gustav Nachtigal, 1834-1885, "Sahara und Sudan. Ergbnisse sechjähriger Reisen in Afrika" : "Sahara et Soudan. Compte-rendu de six ans de voyages en Afrique", paru en deux volumes, de 1879 à 1881 et un troisième volume posthume en 1889). 

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Les conquêtes qui s'ensuivent, avec razzias, batailles, dominations, réductions vont de pair avec les traditionnelles stratégies de pouvoir des élites, anoblissant en particulier des chefs ennemis vaincus, sous des prétextes religieux, pour pouvoir agréger  de nouveaux territoires, augmenter leur puissance armée en mobilisant différents peuples contre les Sao (Makrada Maïna, 2017) Ces derniers avaient eu très tôt des conflits avec le Royaume de Bornou (Borno) nous rapportent Ahmad (Ahmat) Ibn Furtû (I. Fartuwa),  dont l'explorateur allemand Heinrich Barth (1821-1865) trouve au Bornou deux ouvrages vers 1850, le Kitāb ġazawāt Barnū  et le Kitāb ġazawāt Kānim, respectivement "Les Conquêtes du Borno", daté de 1576, et "Les Conquêtes du Kanem", de 1578 (Dewière, 2017).  par ailleurs, Barth découvre  en 1851 le Diwan (écrit en arabe ou Girgam, en langue kanuri) la chronique royale des sultans (maguni) de la dynastie des Sefuwa, qui s'échelonne du Xe au XIXe siècle et qui nous délivre de précieux renseignements sur une très longue période.  On ne sera pas étonné d'apprendre que le Diwan n'est pas parole d'Evangile et que, travaillé comme bon nombre de textes historiques par l'idéologie. En plus du fait qu'il ne précise pas que les rois, jusqu'à l'islamisation du royaume, étaient païens, le Diwan "occulte les problèmes de succession et les conflits en général. Ce que le diwan cherche à prouver est la continuité dynastique et religieuse du Kanem‑Borno. L’enchainement des noms de rois au fil des siècles aplatit l’histoire de la région en lui conférant une unité artificielle. En cela, ce document est entièrement à la gloire de la dynastie des Sayfawas et ne saurait suffire à une compréhension totale de l’histoire politique du Kanem‑Borno"  (Hiribarren, 2020).  

Dans sa chronique du Bornou, Ind Furtû distingue bien les Kotoko des deux groupes Sao (Sao-Tatala et  Sao-Ngafata) contemporains et nous apprend que des Kotoko avaient été enrôlés  par Idris Alauma, qui  chargea la tribu de Kotoko de les combattre : 

"Quand il (Idriss Alauma) vint au pouvoir par la grâce de Dieu, sa miséricorde, sa grâce et sa volonté, il analysa et planifia comment les réprimer et les extirper de leur iniquité. Il fût à l’origine de nombreux stratagèmes grâce à son excellente clairvoyance et son esprit astucieux. Ainsi, il établit (manazil) près d'eux des colonies musulmanes, de sorte que les campagnes des musulmans contre eux soient faciles. Ainsi, il accentua les raids dans leur région en été (Sayf) et en hiver (shitar), de sorte qu'ils n’eurent aucun repos chez eux ; troisièmement, il détruisit leurs cultures en automne (Kharif) ; quatrièmement, il chargea la tribu de Kotoko d’assaillir leurs bateaux (pirogues) par surprise pendant qu’ils étaient désarmés ; suite à cela, certains furent massacrés et d’autres capturés. Ces stratagèmes ont été appliqués jusqu'à ce que [les Tatala] soient totalement affaiblis"   (op. cité, in Makrada Maïna, 2017).  

Au début de son ouvrage, l'auteur avait précisé que, traqués par l'armée du Bornou, les Sao-Ngafata chercheront asile chez les Sao-Tatala, car ils étaient de la même espèce (jins). Nous avons-là de bons indices qui nous permettent de douter que les Sao soient les ancêtres des Kokotos, mais leur installation sur d'anciennes buttes sao, le rattachement à leur culture depuis des siècles autorisent à penser qu'ils ont une réelle légitimité à se revendiquer de la culture qui les a précédés. 

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Les Sao n'étaient pas les seuls païens à subir les razzias des chasseurs d'esclaves du Fezzan, tout à la fois acheteurs, revendeurs et producteurs d'esclaves : "Chaque année, des expéditions sont menées au Kanem, au Borku [Borkou, carte B] , au Bahr al Ghazâl [région à l'extrême sud du Soudan actuel] Les Toubous [carte B] du Borku (Anakaza), du Bahr (Kreda et Kesherda), du Kanem et du Manga (Groupes Daza) sont encore païens. Nombre de populations sédentaires du Kanem, en particulier sur les rives du lac, le sont aussi. De toute façon, les Fezzanais ne font pas scrupule de razzier des musulmans. Chaque campagne rapporte 1 500 esclaves, au moins autant de chameaux"  (Zeltner, 1953).  Furtû parle même de massacres des Sao-Ngafata et Sao-Tatala organisés par les campagnes militaires du Maï (roi) Idriss Alauma (Alaoma, règne de 1564 à 1576),  pendants lesquelles on tuait systématiquement les hommes et on épargnait femmes et  enfants pour les conduire en captivité.  Ajouté à la migration de groupes Sao vers le sud, poussés par les Kanembu, tout cela aura eu pour conséquence d'essaimer en petits groupes ou d'assimiler les rescapés à d'autres populations, au premier chef les Kotoko, dont il est question à partir du XVIe siècle dans la littérature historique, mais aussi les Kanuri, les Kanembu et sans doute les Massa et les Baguirmi, après ce qui a peut-être ressemblé à un génocide (et plus exactement un ethnocide). Ainsi, les mythes sao se sont répandus bien loin du lac Tchad, dans des régions occupées par les Toubou, les Touaregs et les Arabes, comme au Kawar (carte B), dans la région d'Agadez, au centre du Niger,  ou encore à Bilma (carte D), au nord du pays, très certainement par des groupes sao déportés collectivement ou individuellement comme esclaves (Makrada Maïna, 2017) 

 

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Terre cuite sao, fouilles de Jean-Paul Lebeuf : A gauche tête provenant de Fort-Lamy, rives du Chari ; à droite, représentation de nouveau-né ayant peut-être servi à un bouchon de poterie.

Dessin paru dans le Bulletin du Museum national d'histoire naturelle, 2e s., tome X, n° 6, 1938

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5528771q/f13.item.zoom

 

                           

 

 

 

                      BIBLIOGRAPHIE 

 

BARKINDO  Bawuro Mubi, 1999,  "chapitre 17, Le Kānem-Borno : ses relations avec la Méditerranée, le Baguirmi et les autres États du bassin du lac Tchad" Histoire générale de l’Afrique, tome V, L’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle, dirigé par Bethwell Allan Ogot, Paris, Éditions UNESCO, pp. 541-565

EN LIGNE (comme les autres volumes sur le site de l'UNESCO :   https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000184292 

BOUIMONT Tchago, 1994, "La métallurgie ancienne du fer dans le sud du Tchad. Projection archéologiques, sondages", thèse de doctorat soutenue à l'Université d’Abidjan. 

CUOQ Joseph, 1975, "Recueil des Sources Arabes concernant le Bilad al-Sudan depuis le 8e siècle jusqu’au 16e siècle",  Paris,  éditions du CNRS (thèse de l’Université de Paris I, 1973)

DEWIÈRE, Rémi, 2017, "Du lac Tchad à la Mecque : Le sultanat du Borno et son monde (xvie - xviie siècle)", Paris, Éditions de la Sorbonne.

http://books.openedition.org/psorbonne/30160

FAUVELLE-AYMAR  François-Xavier et HIRSCH Bertrand, 2009,  "Le « pays des Noirs » selon Léon l'Africain : géographies mentales et logiques cartographiques", in "Léon l'Africain", direction François Pouillon, avec Alain MessaoudiDietrich Rauchenberger,  Oumelbanine Zhiri, éditions Karthala, pp.83-102, 

GAST Marceau, 2000,  "Huwwâra,  Houuara,  Houara,  Hawwâra",  article de l'Encyclopédie Berbère 23 | 2000,  Hiempsal - Icosium. 

https://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/1612

HIRIBARREN, Vincent, 2020,  "Diwan (généalogie) des rois du Kanem‑Borno" In : "Encyclopédie des historiographies : Afriques, Amériques, Asies",  Volume 1 : sources et genres historiques (Tome 1 et Tome 2), KOUAMÉ, Nathalie (dir.) ; MEYER, Éric P. (dir.) ; et VIGUIER, Anne (dir.), Paris, Presses de l’INALCO (Institut National des Langues et Cvilisations Orientales).

http://books.openedition.org/pressesinalco/23775


KLEE Marlies, ZACH Barbara, STIKA Hans-Peter, 2004,  "Four thousand years of plant exploitation in the Lake Chad Basin (Nigeria), part III: Plant impressions in potsherds from the Final Stone Age Gajiganna Culture",  Vegetation History and Archaeobotany (The Journal of Quaternary Plant Ecology, Palaeoclimate and Ancient Agriculture - Official Organ of the International Work Group for Palaeoethnobotany),  juin 2004. 

https://www.researchgate.net/publication/226310746_Four_thousand_years_of_plant_exploitation_in_the_Lake_Chad_Basin_Nigeria_part_III_Plant_impressions_in_potsherds_from_the_Final_Stone_Age_Gajiganna_Culture
 

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LEBEUF Jean-Paul, 1962, "Archéologie tchadienne : les Sao du Cameroun et du Tchad, Paris, Editions Hermann.

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