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Préhistoire 

inégalités sociales

et

-  50.000  ...- 3500

 

   

 

     

 

 

                                                      

          Avant même l'apparition de l'espèce humaine,  nos plus proches cousins chimpanzés, gorilles, bonobos, etc., connaissaient déjà les inégalités sociales, avec des individus connaissant dans leur vie des positions sociales dominantes ou plus ou moins dominées, qui conditionnaient un accès privilégié ou non aux ressources alimentaires et aux partenaires sexuels, par exemple.  On voit mal comment l'homme, issu de ces ancêtres que sont les grands singes, auraient échappé  par nature à ce type de comportement universellement observé dans le monde animal :   "On ne peut, en tout cas, qu'être frappé, à la lecture des travaux des naturalistes sur ces sujets, de la similitude de leurs propositions et concepts avec ce que les sociologues ont eux-mêmes proposé, tout à fait indépendamment nous semble-t-il, pour traiter de la notion de prestige"   (Galland & Lemel, 2018).

De nombreuses études scientifiques démontrent depuis quelques années que les inégalités sociales, au sein des sociétés humaines, sont en effet extrêmement anciennes, puisqu'elles précèdent largement l'apparition de l'agriculture. En Espagne, une large étude du CSIC (Consejo Superior de Investigaciones Cientificas) a porté sur trois sites néandertaliens (El Sidron en Espagne, L’Hortus en France, et Spy en Belgique, vers – 50 000 ans) et a montré par l’examen de 99 dents de 19 individus, plusieurs marques différentes selon les sexes (rayures, entailles, etc.), qui indiquent une répartition sexuelle au moins partielle des tâches. Dans ces sociétés, on utilisait  les dents, comme dans certaines populations traditionnelles d’aujourd’hui, pour des travaux tels que la confection des vêtements, la préparation des fourrures (plutôt réservées aux femmes) ou encore la fabrication ou la réparation d’outils (plutôt dévolues aux hommes).

 

Le préhistorien Emmanuel Guy voit même dans les gravures ou les peintures rupestres de l’art pariétal des œuvres d’artistes d’une haute technicité et d’une grande spécialisation qui impliquent déjà une hiérarchisation sociale (“Ce que l’art préhistorique dit de nos origines”, Flammarion, 2017) :

"La science illusionniste qui se manifeste à Chauvet, Lascaux, Altamira ou Niaux exige à l’évidence un apprentissage de longue durée. Cette éventualité laisse entrevoir une forme de spécialisation individuelle habituellement inconnue des sociétés de chasseurs égalitaires. De plus, l’histoire de l’art montre que l’illusionnisme artistique, par sa capacité même à reproduire fidèlement la nature, a toujours été une source de prestige et donc un moyen d’action politique pour l’élite. On pourrait aller jusqu’à dire qu’il n’existe pas de tradition naturaliste qui ne soit née d’une société" (Guy, 2020).

 

 

 La spécialisation, l’apprentissage d’artisans du paléolithique supérieur ont été soulignés à plusieurs reprises. Selon divers chercheurs, différentes études ethnographiques et archéologiques montrent que, dès la préhistoire, au Paléolithique supérieur (de - 40 000 à - 10 000 environ), voire moyen (Hayden, 2008), il existe des groupes humains de chasseurs-cueilleurs qui connaissent une organisation complexe où ces inégalités  commencent à faire leur apparition.  Dans diverses sépultures du paléolithique supérieur, comme en Colombie britannique (Canada), la quantité et la qualité des parures trouvées donnent à penser que leurs propriétaires jouissaient d'un certain prestige, d'une certaine considération, qui ont fait partie des premiers signes de distinction de rang social et de richesse  (White, 1999 ; Vanhaeren et Errico, 2003, Hayden, 2008 ; Boulestin, 2014).  On retrouve ces caractéristiques en Russie à Sungir, par exemple (- 25 000 ans), où un homme était enseveli avec plus de vingt bracelets, des poignards et des lances, en ivoire de mammouth, mais aussi des canines de renard, et surtout, des vêtements ornés de plus de trois milliers de perles (White, 1999). Par ailleurs, notre homme faisait partie d’une minorité de gens inhumés dans leurs habitations, « apanage de quelques personnages privilégiés » [1]. A Saint-Germain-la-Rivière, en Gironde,  un site du magdalénien (- 16 200) contenait un mobilier funéraire riche de parures (craches [2] de cerf, en particulier) permettant de penser que « ces objets étaient probablement utilisés pour marquer l’appartenance de certains individus à des groupes sociaux privilégiés. » (Vanhaeren et Errico, 2003).

[1]  Sophie Archambault de Beaune et Antoine Balzeau , « La Préhistoire », CNRS Editions, 2009.

[2]  Craches (ou croches) de cerf  : canines supérieures résiduelles, atrophiées, héritées de leurs ancêtres.

 

Au mésolithique (ou Epipaléolithique, environ 20 000 à 10 000 an avant notre ère),  la culture Jomon, au Japon (XIIIe-IIIe millénaire avant notre ère), était productrice de riches poteries, issues de chasseurs-cueilleurs et/ou  pêcheurs sédentaires. Les chasseurs de mammouths du Gravettien d’Europe Centrale, vers – 29 000 ans, ont très probablement été sédentaires (Fisáková, 2013) et montraient déjà beaucoup de créativité technique (cf. Goutas, 2013).  En Anatolie, les chasseurs cueilleurs néolithiques de Körtik Tepe et Göbekli Tepe (vers – 10 000), premier ensemble d’architecture connu, produisent quant à eux des objets raffinés, de prestige, tel le mobilier funéraire, qui permettent de déduire qu'ils étaient, eux aussi, réservés en partie à une minorité de la population (Dietrich et al., 2012 ; Özkaya & Coşkun, 2009 ; Schmidt, 2009) En Sibérie, près de Vladivostok, la culture néolithique de Boismanskaya (vers - 7500 - 4500), dans la province du Primorié ("maritime", ancien kraï du P.), nous renseigne sur les stratifications sociales des populations étudiées, en particulier par "la profusion de leur mobilier funéraire (riche éventail de parures individuelles, poteries décorées, matériaux importés…) et la déformation crânienne intentionnelle est monnaie courante. Une pratique qui, on le sait, sert habituellement (notamment sur la côte Nord-Ouest de l’Amérique) à marquer le statut élevé des individus (Popov & Tabarev 2016)"  (Guy, 2020)

 

C’est la constitution progressive de surplus de production qui sera un élément déterminant de nouvelles transformations sociales et économiques. A différents endroits de la planète (côte nord-ouest des Etats-Unis, de la Sibérie, de la France du magdalénien, du Japon, etc.), des sociétés de chasseurs-cueilleurs sédentaires (parfois nomades [3]) se mettent à conserver des excédents de nourriture, et l’anthropologue Brian Hayden va jusqu’à penser que c’est la production de ce surplus et la gestion qui en découle qui entraîne la sédentarité et non l’inverse (Hayden, 2008).  Des plantes résistantes (graines, fruits à coques, en particulier les glands) sont stockées au sec, et les produits animaux (gibiers, poissons) sont préparés et séchés ou fumés (Testart, 1982). L'anthropologue Alain Testart s’est intéressé de près à ce stockage des denrées, mettant en évidence que cette pratique a fait partie des premières activités humaines qui ont modifié profondément les relations sociales du village néolithique, devenu « laboratoire de fabrication du pouvoir et le siège d’inégalités [4] » selon l’archéologue Jean Guilaine, ce qui accélère le « développement d’une différentiation sociale entre riches et pauvres » (Testart, 1982).  Ainsi, avant de pouvoir constituer des surplus divers (nourriture, peaux, objets manufacturés, etc.) il ne semble guère possible d’établir entre les individus des différences notables de richesse, ce qui devait produire des sociétés relativement égalitaires, au moins sur le plan économique.

 

Différents chercheurs pensent que l'accumulation de biens permettra à des chefs [5], sans que nous en connaissons les détails, des dons, des échanges ostentatoires, en témoigne la pratique du  potlatch,  qui est une lutte pour le prestige et qui s'opère par un échange de biens donnés ou détruits, auquel l'anthropologue Franz Boas consacrera des études, à la fin du XIXe siècle,  au travers des sociétés indiennes du Nord-Ouest américain (Kwakiutl, Haida, Tlingit, etc.). Ces luttes de prestige entraînent alors, des appropriations individuelles ou de groupes, des hiérarchies plus ou moins durables, le début de l’exploitation du travail (Testart, 1982), l’esclavage, la reconnaissance du droit de propriété, des fêtes somptuaires,  mais aussi la formation de réseaux élitistes, les sociétés secrètes, la circulation des objets de prestige, l’imposition des tabous, la gestion des guerres, etc. (Hayden, 2008, 2013).   associées ici ou là à des constructions de monuments funéraires imposants, de type mégalithe, tertre ou tumulus, avec ici et là un certain nombre d’organisations politiques de type « ploutocratie ostentatoire » (Testart, 2012), où ceux qui ne peuvent disposer de surplus sont exclus des manifestations collectives, et partant, marginalisés (Dietler et Herbich, 2001). A partir de là, on peut comprendre aisément la part de calcul, de ruse, de stratégies permettant aux nouveaux  "chefs" à faire accepter de la part  le groupe les nouvelles règles de pouvoir, les hiérarchies fondées en partie sur la dette (Hayden, 2008), principal outil d’inégalités de toute l’histoire, nous le verrons : « se servir des surplus de nourriture pour créer des dettes contractuelles réciproques et pour forger des alliances puissantes était l'un des moyens les plus universels d'acquérir des avantages politiques et économiques dans des sociétés transégalitaires [6]… » (Ariès, 2016)

[3]   Sahlins précisait déjà dans les années 1960 que certains chasseurs-cueilleurs nomades pouvaient avoir en réserve une année de consommation (Moreau de Bellaing, 1982).

[4] Jean Guilaine, L’héritage néolithique, interview pour Sciences Humaines, 03 mai 2011 , source :  https://www.scienceshumaines.com/l-heritage-neolithique-entretien-avec-jean-guilaine_fr_27195.html

[5]  La division sexuelle des tâches, déjà présente au  paléolithique, est un phénomène quasi-universel (Brown 1970 ; Boisseau 1977), et réserve le plus souvent aux  hommes les domaines clefs du pouvoir :  la chasse, la guerre et la politique. (Pétillon et Darmangeat, 2018). « on n’a jamais trouvé de vraie société matriarcale, où ce serait les femmes qui auraient l’exclusivité du pouvoir et dirigeraient la société et les  hommes. Cela n’existe pas… » (Cauvin, 1985).

[6]  Entre sociétés égalitaires originelles et sociétés inégalitaires, elles se distingueraient, selon Brian Hayden (cf. bibliographie), par une sédentarité saisonnière, un développement du stockage, une compétition économique, un usage des biens de prestige, le culte des ancêtres, etc., permettant de réduire le rôle du partage, de faire naître la propriété privée des productions et des ressources et leur transmission par héritage, les hiérarchies de pouvoir, etc.

 

Les richesses permettent aussi l’élaboration des prestations patrimoniales, chez les chasseurs-cueilleurs sédentaires et stockeurs. Selon Testart, tant que la richesse est « usufondée », c’est-à-dire fondée sur l’usage  et ne s’investit pas dans la propriété des terres (propriété « fundiaire »), elle sert à payer « le prix de la fiancée », réclamée par la belle famille, ou celui du sang (wergeld), et formerait ainsi une sorte de monnaie primitive, qu’on retrouve dans de nombreuses sociétés néolithiques.

Ce changement permettra au futur époux de ne plus rendre de services sur le long terme pour acquérir une femme, mais en obtenir le prix : On voit par là un des traits qui a élaboré le patriarcat et constitué la domination masculine sur les femmes, mais qui prend sa source bien plus avant dans l’histoire par la division quasi-universelle des sexes au travail (Brown 1970 ; Boisseau 1977), qui écartera partout les femmes de tout type de chasse, ce que différents chercheurs expliquent en partie non pas biologiquement (en arguant de la force physique en moyenne inférieure des femmes), mais symboliquement, parce que le sang des menstrues serait vu comme une menace pour  l’ordre social, l’homme faisant couler le sang par sa volonté et son libre-arbitre, la femme le libérant sans pouvoir l’en empêcher (Testart, 1986 ; Héritier, 1996). Par ailleurs, les tombes masculines du néolithique contiennent souvent des armes (haches, pointes de flèches) quand celles des femmes révèlent du matériel de mouture, comme les meules (Demoule, 2012).

Une autre manifestation des inégalités sociales est le principe de l’esclavage, dont les chercheurs pensent avoir trouvé les premières manifestations connues à la fin du néolithique dans les cultures du Chasséen, de Michelsberg,  Münchshöfen et Munzingen, s’étalant sur un long croissant entre le Sud de la France et la Slovaquie entre 4500 et 3500 ans avant notre ère.  On trouve ainsi des fosses circulaires des hommes et des femmes jetés sans ménagement aux côtés de défunts enterrés de manière stricte et conventionnelle. Les préhistoriens les appellent « morts d’accompagnement », et cette coutume est une pratique très répandue dans beaucoup de cultures du monde, que ce soit en Afrique, en Europe, en Asie ou en Amérique (Testart, 2004 ;  Boulestin, 2008 ; Baray et Boulestin, 2010)

 

comme les appellent les spécialistes, accompagnent les défunts dans la mort et sont enterrés respectueusement. Ce sont des femmes qui suivent leur mari (tel le rite du sati en Inde), des serviteurs royaux leur prince (nombreux dans la Chine des Shang ou des Zhou), des compagnons leur chef tombé au combat. Mais dans ce cas-ci, on n’a eu aucun égard pour les morts, qui sont très probablement des esclaves qui ont suivi leur maître dans l’au-delà, pratique de nombreuses sociétés par la suite, comme chez les Amérindiens du Nord-Ouest ou en Afrique Noire, particulièrement en Côte d’Ivoire [7] (Boulestin, 2008 ; Testart, 2004).

Avant cette construction progressive du pouvoir patriarcal, certains scientifiques prétendent qu’aurait existé une longue période de matriarcat, associée à plus d’égalité et plus de coopération entre les sexes  (Konner, 2015 ; Hrdy, 2009 ;  Knight, 1991, etc.).   Cette thèse avait été ébauchée au XIXe siècle par le philologue suisse Johann Jakob Bachofen (Das Mutterrecht, « Le règne de la Mère », 1861), puis par l’anthropologue américain Lewis Henry Morgan (Ancient Society, 1877).  Le problème principal des arguments avancés, qu’il s’agisse par exemple de comparer des chasseurs cueilleurs modernes à ceux vivant il y a 50 000 ans, d’interpréter l’usage de l’ocre par les femmes pour tromper collectivement les hommes sur leurs périodes de menstruation, ou encore de fonder la division sexuelle du travail sur l’approvisionnement des mères par les mâles, c’est qu’ils sont construits, selon un grand nombre de chercheurs,  « sur des hypothèses douteuses » (Zihlman, 2001), ou encore sur un « scénario improbable et non démontré », selon la critique du Professeur Joan Geo adressée à l’ouvrage de Chris Knight, Blood relations (Gero, 2008), et ce « tout simplement parce qu’au-delà d’une certaine date, l’archéologie ne dit plus rien, et qu’il n’existe aucun moyen de récolter des informations ailleurs que dans des boules de cristal [8]  ».  Et même quand le matériel devient plus abondant et présente des figurines de femmes (les fameuses « Vénus ») évoquant la fécondité, ces données « nous informent sur les structures de l'imaginaire : elles ne nous disent rien sur le statut réel de la femme dans les sociétés paléolithiques. » (Cauvin, 1985). Ce prétendu matriarcat primitif, popularisé par l’archéologue lithuanienne Marija Gimbutas puis par la « Gender Archaeology » américaine n’a, pour beaucoup de chercheurs, « rien de consistant » (Testart, 2010). 

 

[7]   Revue Pour la Science, N° 396, Les esclaves des tombes néolithiques, d’Alain Testart, Christian Jeunesse, Luc Baray et Bruno Boulestin.

[8]    Christophe Darmangeat, Maître de Conférences à l’Université Paris Diderot, Un échange (sportif) avec une anthropologue « radicale », sources : http://cdarmangeat.blogspot.com/2016/07/un-echange-sportif-avec-une.html

 

Plus loin dans le temps encore, on rappellera que l’espèce humaine est issue d’une longue évolution qui passe par les ancêtres des grands singes (dans l’ordre : gibbons, orangs-outans, gorilles, chimpanzés et bonobos). Mais, si de nombreux articles journalistiques mettent en avant que nous partageons avec les chimpanzés 98 % de notre patrimoine génétique, ils omettent presque toujours de préciser que ce pourcentage impressionnant ne concerne que les gènes codants, qui sont responsables de l’expression des protéines. D’importance fondamentale, ceux-ci ne constituent pourtant qu’1,5% de notre ADN total, ce qui explique en partie à quel point l’espèce humaine s’est détachée radicalement de celles des primates, tout particulièrement par l’augmentation significative de la taille de son cerveau. La place exceptionnelle de notre espèce dans le règne animal ne permettrait donc pas à l’éthologie de « prendre en compte la double dimension évolutive et adaptative qui a conduit l’être humain à posséder un cerveau lui donnant un accès au symbolique suffisamment important pour lui permettre la maîtrise, voire le contrôle de ses comportements, lesquels sont inscrits par rapport à un système de valeurs qui est une synthèse de son histoire personnelle et de sa vie sociale. » (Fracchiolla, 2013). C’est pourquoi, même si on ne peut nier l’intérêt de cette discipline pour éclairer ici ou là nos propres comportements, on ne peut raisonnablement pas s’en emparer pour élaborer des théories, des systèmes d’explication sur les constructions des sociétés humaines. Les singes ne partagent pas leur nourriture en commun comme savent le faire des communautés humaines, ils n’accumulent pas de richesses et celles-ci, nous l’avons vu, ont été un élément déterminant dans la production des inégalités sociales et économiques, et non le seul fait d’instincts, comme l’’agressivité ou le pouvoir. Cependant, il paraît incontestable, au vu des travaux des éthologues ou des primatologues, que cet héritage animal continue pour une part d’être partagé par homo sapiens sapiens, et peut influencer nos comportements dans certaines circonstances, dans la violence, les guerres, en particulier, par des schémas d’émotion et d’action que Konrad Lorenz avait appelé « parlement des instincts » (L’agression, une histoire naturelle du mal, 1963). Le biologiste et primatologue Frans De Waal ira encore plus loin, en dénichant chez les animaux toutes sortes de marques d’empathie, de bonté, de coopération ou d’équité qui suggèrent la part biologique des fondements de la morale humaine (Le bonobo, Dieu et nous. A la recherche de l’humanisme chez les primates, Les liens qui libèrent, 2013).      

L’accumulation accélérée des richesses accompagne les débuts de l’agriculture, mais aussi l’apparition des premières guerres [9] vers - 11 000 sur le territoire du Soudan actuel. Dans le cadre d'une vaste étude dirigée par Timothy Kohler, de la Washington State University, et publiée dans la revue Nature n° 551 du  30 novembre 2017, des archéologues ont étudié une soixantaine de sociétés du néolithique d'Afrique, d'Europe, d'Asie et d'Amérique, dont les époques s’échelonnent de – 9000 à 1500. Alors que l'étude des sépultures, des mobiliers funéraires, ne permettent pas toujours de dégager des certitudes sur le statut social des défunts, Kohler et ses collègues ont montré que la disparité des tailles des habitations est une variable commode et universelle qui témoigne du niveau d'inégalités qui existe dans une population. Ainsi, quand les individus ne se distinguent pas entre eux par des statuts sociaux significativement différents, la taille des maisons est relativement homogène dans leur groupe, alors qu'il ne le sera pas pour d'autres, où les inégalités sociales et économiques sont importantes. Dans tous les cas, les études menées par Kohler montrent que toutes les sociétés étudiées par son équipe, ont vu apparaître la domestication des plantes et connu des inégalités sociales et économiques. Cependant,  à partir de 2500 ou 3000 ans après les débuts respectifs de l'agriculture selon  les régions, les disparités de richesse continuent d'augmenter sur les continents d'Asie, d'Afrique et d'Europe, alors qu'elles deviennent stables ou diminuent en Amérique du Nord ou dans les sociétés mésoaméricaines, peut-être du fait d’un déficit de bétail, d’animaux de trait. Des chercheurs du département d'anthropologie de l'Université de Montana, Anna Prentiss et Tom Foor, ont confirmé cette différence entre ancien et nouveau monde par leurs fouilles de Bridge River, en Colombie Britannique (Canada)  et Ozette, dans l'état de Washington (Etats-Unis). Comme les études de l'équipe de Kohler, leurs recherches ont montré que les inégalités de richesses à la fin du néolithique étaient plus importantes dans l'espace eurasien qu'en Amérique du Nord ou en Mésopotamie (Kohler, T., Smith, M., Bogaard, A. et al. Greater post-Neolithic wealth disparities in Eurasia than in North America and Mesoamerica, revue Nature n°551, 619–622, 2017). 

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Le développement de l'agriculture, la complexité grandissante des systèmes politiques, des innovations techniques, mais aussi l'augmentation des populations  ont accru ces inégalités, précisent les chercheurs, une plus grande sédentarité ayant entraîné une plus grande accumulation de biens matériels.  Il ne fait donc guère de doute que les inégalités sociales augmentent, dès la fin de la préhistoire, et que la liberté et la capacité des uns à obtenir leur bien-être diminuent celles des autres à obtenir le leur. 

[9]   cf. Jean-Paul Demoule, Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire, Fayard, 2017

 

 

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                                                         IconOGRAPHIE

                Image en en-tête  :  Peinture rupestre de Bhimbekta, Inde, entre - 26000 et - 8000 avant notre ère (image colorisée).

Fouilles de Bridge River :

https://www.eurekalert.org/multimedia/pub/156395.php?from=377388

Housepit 54 (maison-fosse) vers - 1900 - 1850, période de commerce de la fourrure, reconstitution

https://miro.medium.com/max/1890/1*OP7RKvaXG24z4UBpwCd_eA.jpeg

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