Thomas Müntzer, l'exalté
La guerre des paysans
Introduction
On ne sait presque rien de Thomas Müntzer avant son irruption dans l'espace public, en 1519, année où il rencontre Martin Luther (1483-1546) et Andreas Rudolff-Bodenstein von Karlstadt, dit Karlstadt (ou Carlstadt, 1486-1541), venus pour une disputatio (débat théologique) entre tenants d'une réforme radicale de l'Eglise et Jean Eck, défenseur du catholicisme. La même année, Müntzer était devenu l'adjoint de Franz Günther, un ancien étudiant de Luther, devenu prédicateur à Jüterbog. Tous les deux avaient alors commencé de s'en prendre à "l'ancien culte" et aux ecclésiastiques, et Lüther, dès mai 1519, considère Müntzer comme un de ses fidèles (Weimarer Ausgabe [WA, édition complète des oeuvres de Luther, 1883-1929] , vol. 1, p. 392). Cela faisait déjà deux ans, le 31 octobre 1517, que Luther avait placardé ses 95 thèses réformatrices (reformatio ecclesiae) à Wittenberg (Saxe-Anhalt), soulevant en particulier le problème des indulgences, ces aumônes recueillies par l'Eglise catholique contre la promesse d'un rachat pénitentiel pour les croyants : promesse que la théologie ne formalise pas, certes, mais qui s'est incontestablement répandue par l'usage marchand que l'Eglise en a faite.
réforme : Cette Réforme ou Réformation conduira à la naissance du protestantisme. Le mot allemand "protestant" vient du latin protestans/protestantis, participe présent de protestari, de pro ("devant") et testare "attester") et signifie d'abord "affirmer, attester solennellement". C'est ce que firent les princes luthériens à l'issue de la Diète de Spire, le 19 avril 1529, à propos d'un concile général contre le décret de l'Empereur de condamner le luthéranisme. Ce sont ainsi les partisans de Luther qui reçoivent d'abord cette dénomination, avant qu'elle ne se généralise au XVIIe siècle pour l'ensemble des Réformés (calvinistes, huguenots, etc.).
Né un peu après 1480 (Scott, 1988) à Stolberg dans la région montagneuse du Harz (voir carte), en Saxe Anhalt, on ne peut rien dire sur son enfance et sur son adolescence, sa première trace étant dans des registres d'immatriculation de l'université de Francfort-sur-Oder pour le semestre d'hiver 1512-1513 (Gélinas, 1999). On sait cependant que son patronyme, attesté depuis le XVe siècle à Stolberg, est porté majoritairement par des membres de la haute bourgeoisie liés professionnellement aux familles des comtes qui y règnent (Bräuer et Vogler, 2016). Cette origine sociale élevée nous est confirmée par Tom Scott, sur la base des recherches d'Ulrich Bubenheimer (Bubenheimer, 1984 ; 1985), de l'université d'Heidelberg :
"il montre ainsi à quel point Müntzer possédait des contacts dans les réseaux familiaux d" entrepreneurs et de marchands, notamment des orfèvres ... Quoi que cette preuve puisse nous apprendre d'autre, elle suggère que l'environnement social de Müntzer est non seulement demeuré essentiellement urbain, mais concernait avant tout la haute bourgeoisie plutôt que les milieux populaires, dont on suppose souvent qu'il a eu avec eux un rapport naturel, et dont il aurait défendu les intérêts." (Scott, 1988)
On a longtemps cru que Müntzer avait étudié à l'université de Leipzig, mais ce point est depuis quelque temps remis en question (Gélinas, 1999). Dans tous les cas, il devient bachelier en théologie (baccalaureus biblicus) et possède une solide culture biblique et patristique. Il possédait lui-même des éditions récentes de Pères de l'Eglise et de docteurs de théologie médiévaux : Augustin, Josèphe, Eusèbe, etc. mais aussi Tauler (voir § suivants). Il utilise beaucoup le Commentaire sur Jérémie, "faussement attribué à Joachim de Flore" (Gélinas, 1999) et s'intéresse avec un groupe d'amis aux écrits des mystiques (telles Hidegarde de Bingen ou Mechtilde de Hackeborn) mais aussi des humanistes et des réformateurs de son temps. Plus tard, à Zwickau (voir § suivants), il continue de s'y intéresser, en témoigne une liste prévisionnelle de lecture, où figurent Lorenzo Valla, Agricola, Érasme ou Johannes Reuchlin. On le sait prêtre à l'église Saint-Michel de Braunschweig, aumônier chez les chanoinesses de Frose près d’Achersleben, entre 1515 et 1517.
Ami de Luther pour encore peu de temps, Thomas Müntzer (Münzer, Muncerus, vers 1490-1525), est nommé par son intermédiaire pasteur de l'église Sainte-Marie de Zwickau, en Saxe, en 1520, en remplacement du prédicateur Egran, puis muté, au retour d'Egran à son poste, à l'église Sainte-Catherine la même année, "située dans un quartier plus pauvre et dont le public est composé d'artisans et d'ouvriers des ateliers de tissage. C'est dans ce milieu plus plébéien que Mûntzer se trouvera en relation avec les «Prophètes de Zwickau», dont l'influence sur sa pensée fut probablement déterminante." (Lefebvre, 1979). C'est aussi dans ce milieu que les idées "hérétiques" vaudoises et taborites (voir § suivants) continuent surtout de se répandre.
Zwickau n'est pas seulement une de ces villes prospères au carrefour de régions d'Allemagne (qui font alors partie du Saint-Empire Romain, dit germanique), encore assez cloisonnées aux XVe XVIe siècles : "C’est l’un des rares cas, dans l’Allemagne du XVIe siècle, où le terme de « prolétariat » puisse être employé sans anachronisme." (op.cité). Les classes sociales y sont particulièrement prononcées, du fait d'une petite aristocratie extrêmement riche, tirant leur fortune des deux principales activités de la région, le tissage et les mines d'argent de Schneeberg ou d’Annaberg (voir carte). Le patriciat a son église, Sainte-Marie, les plébéiens ont la leur, Sainte-Catherine.
Les idées de Müntzer évoluent et le met en conflit avec Egran et la municipalité jusqu'à le contraindre de quitter la ville en 1521, tout comme les "prophètes", désormais à Wittenberg, Un des meneurs du mouvement de Wittenberg, Andreas Bodenstein von Karlstadt (Carlstadt, 1486-1541) commence à distribuer la communion sous les deux espèces en cette fin d'année 1521. Iconoclaste, il critique et réclame la suppression des images (avec Gabriel Zwilling, qui était augustinien comme Luther), de la pompe liturgique, de la confession auriculaire, ce à quoi Luther était totalement opposé (Matthieu Arnold, Martin Luther: la naissance du protestantisme, Fayard, 2017).
Hans Sebald Beham (1500-1550), illustrateur et graveur, Das sächsische Bergwerk ("la mine de Saxe"), 1528, gravure colorée, 28,9 ×39,6 cm, Fondation du château de Friedenstein, Gotha, Allemagne.
gravure de Wittenberg, ville de Saxe-Anhalt, au bord de l'Elbe, 109,5 x 26,5 cm, 1536-1546, Die Stiftung Luthergedenkstätten (Fondation mémoriale de Luther), Wittenberg.
Parvenant à se faire élire pasteur de la petite ville d'Orlamünde, Karlstadt y applique un certain nombre de réformes touchant au service de la messe, au baptême des enfants (qu'il interdit), à l’assistance des pauvres, principes qu’il prônait déjà à Wittenberg. Luther, qui partage un certain nombre de ces réformes n'est pas d'accord sur la manière autoritaire de les appliquer sans en avoir préparé les croyants.
Les "prophètes de Zwickau" comptent beaucoup dans l'évolution des idées de Müntzer. Autour de Nicolaus (Niklaus) Storch (Ciconia, dans les textes latins) d'une famille patricienne ruinée par la concurrence des ateliers de tissage, il y a Markus Stübner, fils d'un tenancier de maison de bains, le seul du groupe à avoir fait des études, à Leipzig, où il fit connaissance de Müntzer. Du dernier, Drechsel, on ne sait rien. Un point de doctrine important réunit ce groupe, en plus du refus du baptême des enfants, la communication directe que Dieu établit avec les hommes par les songes, les visions ou encore les extases (Lefebvre, 1982).
Le jeune professeur d'université Philippe Melanchton (1497-1560), disciple éminent de Luther, s'entretiendra avec eux en 1521 et sera si atterré qu'il en alertera l'Electeur et lui demandera l'intervention de Luther. Müntzer exposera sa réflexion prophétique et eschatologique dans le Sermon aux Princes, en juillet 1524.
baptême : Les prophètes de Zwickau en étaient restés aux principes, ils ne pratiquaient pas encore le baptême des adultes. On sait que les premiers baptêmes eurent lieu dans la région de Zürich en 1524 (cf. Ugo Gastaldi, Storia dell’anabaptisme dalle Origine a Münster, Torino 1972 in Lefebvre, 1982).
Les idées de Müntzer évoluent et le met en conflit avec Egran et la municipalité jusqu'à le contraindre de quitter la ville en 1521, tout comme les "prophètes", désormais à Wittenberg, Un des meneurs du mouvement de Wittenberg, Andreas Bodenstein von Karlstadt (Carlstadt, 1486-1541) commence à distribuer la communion sous les deux espèces en cette fin d'année 1521. Iconoclaste, il critique et réclame la suppression des images (avec Gabriel Zwilling, qui était augustinien comme Luther), de la pompe liturgique, de la confession auriculaire, ce à quoi Luther était totalement opposé (Matthieu Arnold, Martin Luther: la naissance du protestantisme, Fayard, 2017). Parvenant à se faire élire pasteur de la petite ville d'Orlamünde, Karlstadt y applique un certain nombre de réformes touchant au service de la messe, au baptême des enfants, qu'il interdit, à l’assistance des pauvres, principes qu’il prônait déjà à Wittenberg. Luther, qui partage un certain nombre de ces réformes n'est pas d'accord sur la manière autoritaire de les appliquer sans en avoir préparé les croyants.
Mûntzer voyage, se rend alors à Prague, où il ne parvient pas à établir de relations avec les Taborites de Bohême, issus du mouvement hussite (du réformateur tchèque Jan Hus [Jean Huss], 1372-1415) et dont le radicalisme puise en particulier dans les thèses du théologien anglais de l'université d'Oxford John Wyclif (De civili dominio, 1374) ou plus loin encore, chez l'historien Cosmos de Prague (XIe siècle) dont la chronique, écrite en langue populaire, s'était répandue au XIVe siècle. Narrant l'arrivée des premiers hommes en Bohême, il écrivait : "Tout comme la splendeur du soleil et la fraîcheur de l’eau, aussi bien les champs cultivés et les pâturages, et même les mariages, tout était mis en commun" (in Poitrineau, 1987). Wyclif n'était pas un révolutionnaire (une de ses obsessions était la richesse illégitime de l'Eglise, pas celle pouvoirs temporels), et certains de ses disciples, parmi les Lollards, n'étaient pas des paysans pauvres mais plutôt aisés (Genet, 2011). Par ailleurs, il n'est même pas sûr que le prêtre John Ball ait été lollard (op. cité) : nous examinerons ce sujet autour de la révolution paysanne de 1381, dans un autre article.
Lollards : 'L'appellation "lollard" viendrait du moyen allemand lollaert (de la racine lullen : marmonner, chantonner à voix basse). Le terme a d'abord désigné des communautés religieuses, en Hollande, soupçonnées de croire à des idées hérétiques. Après la révolte paysanne de 1381, elle désignera plutôt les partisans de John Wyclif, accusé d'en être l'initiateur.
Malgré ce qui vient d'être dit, l'exigence de Wyclif, au nom de l'état de grâce, de dénier tout pouvoir à ceux qui sont en état de péché mortel met en cause, par principe, la médiation de l'Eglise entre Dieu et les hommes, ou encore, l'appropriation et la domination exercée par les Grands de ce monde. Par là, il tend une perche idéologique à des révoltes très différentes. Mieux encore, c'est au nom de cet état de grâce qu'en commentant Gratien il revendique que tout doit être mis en commun, ce qui, en théorie, le rapproche de tous ceux qui, dans l'histoire, réclameront la suppression de la propriété :
"D'abord, que toute chose que Dieu a faite bonne, doit être mise en commun : en voici la preuve : tout homme devrait être en état de grâce ; s'il est en état de grâce, il est maître du monde et de tout ce qu'il contient : donc tout homme devrait être le maître du monde tout entier. Mais en raison du grand nombre des hommes, cela ne se produira pas que s'ils mettent tout en commun : donc toute chose doit être propriété commune." (in Poitrineau, 1987).
On comprend donc parfaitement pourquoi différents mouvements de contestation religieuse ou sociale ont pu trouver dans les paroles de Wytclif un terreau prospère. Thomas Müntzer en a été imprégné à la toute fin de sa vie, mais cela ne fait pas de lui, nous le verrons, ce "héros d’un communisme primitif, précurseur du communisme scientifique" décrit par Friedriech Engels dans La guerre des paysans en Allemagne (1850) ou ce "communiste doué d’une conscience de classe, révolutionnaire et millénariste" d'Ernst Bloch (Thomas Munzer, théologien de la révolution, 1921), qui a su tout de même relever l'aspect irrationnel et mystique de son oeuvre. Il n'empêche que, là encore, plus encore que chez Wytclif, il y a chez Thomas Müntzer une évolution de pensée où ses préoccupations religieuses rejoignent en partie des préoccupations sociales :
"Ses fonctions pastorales et sa polémique avec Luther l'ont peu à peu convaincu que la pauvreté, le souci lancinant des moyens de subsistance était un obstacle à la spiritualité chrétienne qu'il a toujours voulu faire partager au plus grand nombre. De la dénonciation des moines et du clergé, de celle des Luthériens qui veulent monopoliser l'interprétation savante de la Bible, il passera à la dénonciation des princes et des puissants" (Weber, 1983).
Dans son Manifeste de Prague de 1521 (Das Prager Manifest, Prager Protestation, appelé parfois en français "Protestation au sujet de l'affaire des Bohémiens, dont il n'est pas fait mention dans le texte), déjà, on saisit bien la différence qu'il y a entre les futures revendications socialistes et communistes, au nom de la justice sociale, du bonheur des êtres humains, et celles des "illuminés" (les "schwärmer" de Lüther [de schwarm, "essaim"] : "exaltés", "fanatiques", cf. Luther, Articles de Smalkalde 1538), comme Müntzer, pour qui la désespérance sociale est avant tout un frein à l'expérience de la foi et au salut. Ainsi, sa dénonciation de la richesse et du privilège ne concernera ici que les ecclésiastiques, parce que Müntzer y voit un frein à "l'exhortation divine", pas un instrument de souffrance sociale. De même, il évoque par trois fois les pauvres, et par trois fois ce n'est pas de leur misère sociale dont il parle, mais de leur misère spirituelle.
"II est beaucoup de fripons avides de lucre qui, comme on a coutume de jeter du pain aux chiens, ont jeté au pauvre, pauvre, pauvre petit peuple le texte de la Bible sans avoir aucune expérience de la foi, comme font les papistes"
"Ah ! Pauvre multitude, si juste et si pitoyable, comme tu es assoiffée de la parole de Dieu ! "
"Pourquoi faire de longs discours ? Ce sont eux, les seigneurs qui se goinfrent et boivent comme des bêtes et festoient et cherchent jour et nuit le moyen de s'empiffrer et d'accumuler les prébendes, Ezéchiel 34. Ils ne sont pas comme le Christ, Notre Seigneur bien-armé, lequel se compare à une poule qui réchauffe ses petits, Matthieu 23. Ils ne dispensent pas non plus aux hommes désespérés et abandonnés le lait de la fontaine intarissable de l'exhortation divine. Car ils n'ont pas fait l'expérience de la foi. Ils sont comme la cigogne qui ramasse les grenouilles dans les prairies et les marais pour les recracher ensuite toutes crues à ses petits restés au nid. C 'est ainsi que sont ces prêtres avides de profits et percepteurs de rentes, qui ingurgitent les paroles mortes de l'Ecriture pour déverser ensuite sur le pauvre, pauvre et juste
peuple la lettre et la foi non éprouvée, laquelle ne vaut pas un pou. Ainsi, par leur faute , plus personne n 'est sûr du salut de son âme". (in Lefebvre, 1979).
Non seulement Müntzer n'a parlé expressément de la communauté des biens qu'une seule fois dans sa vie mais jamais à l'écrit, ce fut au moyen d'une formule orale enregistrée au titre du procès verbal de ses Aveux et abjuration sous la torture, avant d'être exécuté en mai 1525 (Lefebvre, 1979). Omnia sunt communia dira-t-il, "Toutes les choses sont communes". Müntzer n'est pas Winstanley, loin s'en faut. Cependant, dans les deux dernières années de sa vie, il est incontestable, nous le verrons, que sa vie religieuse se confond (mais de manière complexe) avec sa vie sociale et politique, qui restera toujours intrinsèquement liée à sa pensée théologique, au nom de la foi et du salut des hommes. Nous pouvons, dès le Manifeste, comprendre pourquoi le peuple doit occuper un rôle important dans les desseins de Müntzer. Il partage avec les Millénaristes une idée centrale : celle du royaume de Dieu sur la Terre : "Car c'est dans votre pays que commencera la nouvelle Eglise apostolique, qui s'établira ensuite partout." Puis, dans l'exégèse de Daniel (voir le "Sermon du Prince", plus bas), il décrit les trois états classique de l'Histoire chez les Millénaristes : l'Eglise primitive des premiers chrétiens, une période très longue où le mal règne en maître, et enfin, le retour du Chist et l'avènement de son Royaume sur Terre :
"Mais il est vrai que le Christ Fils de Dieu et ses Apôtres, et avant lui ses saints prophètes, ont tous établis une chrétienté authentique et pure et jeté dans le champ le pur froment, c’est-à-dire planté la chère parole de Dieu dans le cœur des élus... Mais les serviteurs paresseux et négligents de cette même Église n’ont pas voulu conserver leurs charges avec une vigilance zélée, mais on préféré faire ce qui les convenait et pas ce qui était dû à Jésus-Christ (...) C’est pourquoi ils ont laissé proliférer les dommages causés par les impies, c’est-à-dire l’ivraie, (Psaume 79), lorsque la pierre angulaire dont parle Isaïe 28 : 16, était encore petite. Certes, elle n’a pas encore rempli complètement le monde, mais elle le remplira très bientôt et le comblera entièrement... (...) Ainsi, je vous le dis, la nouvelle Eglise à peine née est partout à l'état de ruine, et ce jusqu'au moment de la division du Royaume." (Müntzer, Sermon aux princes).
Du 9 au 16 au mars 1522, et après presque une année d'exil à Wartburg (Wartbourg), il prononce une série de huit sermons (dits "d'Invocavit") pour résumer ses positions sur différents points de réforme (jeûne, mariage des prêtres, utilisation des images, etc.) où il explique que "la foi sans l'amour ne suffit plus" et déplore le manque de charité de ses ouailles : "C’est une chose pitoyable que je vous aie si longtemps prêché, que tous mes livres visent à promouvoir la foi et l’amour, et que [malgré cela] l’on ne puisse sentir chez vous le moindre amour" (sermons des 9 mars et 15 mars 1522, Weimarer Ausgabe [WA, édition complète des oeuvres de Luther, 1883-1929] : tome 10 III, 4, 10-12 ; tome 10 III, 57, 29-32). Cette morale serait louable si elle ne révélait pas chez Luther une notion de liberté avec deux poids deux mesures. A la fin du mois de mars 1522, en effet, il publie une "Sincère Admonestation à tous les chrétiens de se garder de toute émeute et de toute révolte" (Eine treue Vermahnung zu allen Christen, sich zu hüten vor Aufruhr und Empörung), dans laquelle il dénie à "l'homme du commun" le droit de se révolter et réclame de lui qu'il respecte à tout prix les pouvoirs politiques. "L'émeute n'est jamais juste" affirme-t-il, elle est "interdite par Dieu" et "inspirée par le diable". Par contre, la violence du pouvoir, de l'autorité légitime ne le serait pas, selon Luther, "Car ce qui est fait en vertu d’un pouvoir régulier ne peut être tenu pour émeute."
En 1523, Müntzer est nommé prédicateur à Allstedt, en Thuringe, où il publiera la plupart de ses écrits et épousera une ancienne nonne, Ottilie von Gersen. Il gagne à sa cause beaucoup de gens, dont les officiers municipaux, dont le bailli Franz Zeiss (ou Zeitz) et fonde une ligue (alliance, union) de défense mutuelle (Bräuer et Vogler, 2016), "ligue d'Allstedt" ou "ligue des Elus", que Carl Hinrichs datait de 1524 (Hinrichs, 1952).
Toujours la même année, dans le canton suisse de Zurïch se manifeste de la part de nombreux citoyens une opposition contre le curé de Grossmünster, Ulrich Zwingli, à qui le Conseil de la Cité avait confié la réforme de l'Eglise dans le canton. Ils ne cherchent pas à fonder une quelconque nouvelle Eglise mais veulent contribuer à sa réforme de manière encore plus radicale que les réformateurs officiels (cf. Monge, 2011). Leur désaccord porte sur le baptême des enfants, qu'ils refusent au nom du consentement bien compris de la foi, ce pourquoi les adultes choisissent de se faire rebaptiser (anabaptiser, du grec αναβαπτειν), pratique connue depuis le IVe siècle au moins et condamnée comme hérétique par l'Eglise qui les fera appeler "rebaptiseurs" (Wiedertäuffer) par Zwingli lui-même, d'où le nom d'Anabaptistes que leur donnent leurs adversaires.
Selon Müntzer, il faut "étudier avec zèle la vivante parole de Dieu venue de Sa propre bouche, par quoi vous pourrez vous-mêmes voir, entendre et saisir comment le monde entier a été égaré par les prêtres qui refusent d'entendre." (Müntzer, Manifeste). L'auteur dénie à tous les prêtres "suppôts de l'enfer", "fourbes et scélérats" à tous les docteurs en théologie, de connaître l'expérience de la foi. "Tout homme doit avoir reçu l'Esprit-Saint sept fois, faute de quoi il ne peut entendre ni concevoir le Dieu vivant" affirmera-t-il dans le Manifeste, un principe "qui évoque les sept stades de l'ascension vers la connaissance de Dieu chez Tauler" (Lefebvre, 1979), théologien mystique alsacien (Jean/Johannis Taulerus, vers 1300 - 1361), disciple de Maître Eckart. Müntzer ne perdra jamais de vue la nécessité de l'ascèse et de la souffrance : "Dieu place Sa parole uniquement dans la souffrance des créatures", ce qui ne concorde pas, là encore, avec une lutte révolutionnaire pour soulager celles et ceux qui souffrent d'une vie misérable.
Muntzer a consacré beaucoup de temps à traduire du latin des psaumes et des cantiques, en même temps qu'il veut abandonner cette langue de clercs dans ses prêches : "Il est impossible de supporter plus longtemps que l’on prétende attribuer aux mots latins le pouvoir que leur prêtent les magiciens, et que le pauvre peuple sorte de l’église beaucoup plus ignorant qu’il n’y est entré" (préface de la Messe évangélique en allemand, 1523/24). Tout cela le rapproche davantage des simples, des pauvres, mais, encore une fois, cela découle d'une préoccupation essentiellement théologique et non sociale. A cette époque, il ne croit toujours pas au bien-fondé de l'action violente. Dans une lettre du 18 juillet 1523, il demande à ses "chers frères de Stolberg...d'éviter un tumulte inopportun". Pour lui, le temps n'est pas venu pour Dieu de soulager "les misères du christianisme" (misère spirituelle, encore une fois), alors que les élus ne connaissent ni la crainte de Dieu ni la pauvreté de leur âme et qu'ils n'ont pas éprouvé la souffrance de la foi.
Dès la fin de l'été 1523, la réforme liturgique de Müntzer attire les foules, suffisamment "pour inquiéter le seigneur voisin, comte Ernest de [Ernst von, NDA] Mansfeld , qui interdit à ses sujets de se rendre à Allstedt" (Lefebvre, 1982). Le "destructeur des impies" signera ainsi la lettre qu'il enverra au comte le 22 septembre pour lui reprocher de vouloir être craint "plus que Dieu", et de voler ainsi "la clé de la connaissance de Dieu" selon l'avertissement du Christ (Luc 11 : 52). Au prince-électeur, « Frédéric "Le Sage" », il écrira le 4 octobre 1523 et prendra appui une nouvelle fois sur le chapitre 13 de la lettre aux Romains, alors même que c'est celle dont se sert Luther ou d'autres pour affirmer la soumission aux pouvoirs terrestres ("il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu..."), pour en renverser la perspective et affirmer que l'épée qui a été donnée aux princes "leur sera ôtée et donnée au peuple zélé, pour détruire les impies". Le prédicateur se sent porté par l'adhésion grandissante à son message d'une partie des couches populaires, et ne le voit plus seulement comme les pauvres empêchés par les prêtres d'accéder à la connaissance divine, mais comme les pauvres dans leur état : "Mon nom a le doux parfum de la vie pour le petit groupe des pauvres et des nécessiteux, mais pour ceux qui connaissent la luxure, il a une saveur désagréable qui annonce leur imminente destruction",, évoquera-t-il dans sa lettre à Frédéric le 4 octobre 1523.
En 1524, dans "De la foi imaginaire", il insistera encore sur la difficulté du chemin menant à un "Christ amer", et non "doux comme le miel". Par ailleurs, dès son Manifeste, Müntzer déclare déjà une guerre idéologique contre ceux qui ne pensent pas comme lui et appelle la population de Bohême à l'aider à les combattre : "Aidez-moi, par le sang du Christ, à combattre ces ennemis jurés de la foi", lance-t-il en désignant une nouvelle fois les prêtres.
Ces dernières paroles nous conduisent à parler de la dimension sociale particulière envisagée par la théologie de Mûntzer. Contre des clercs attachés à la lettre, au pouvoir, au décorum, l'auteur du Manifeste oppose "le papier et le parchemin sur lesquels Dieu inscrit non pas avec de l'encre, mais de Son doigt vivant, la véritable Ecriture sainte dont la Bible extérieure est le vrai témoignage". C'est cette relation directe, personnelle qu'invoque au plus haut point Müntzer entre Dieu et les hommes, sans laquelle la "Bible extérieure" est lettre morte (ce qui rappelle les reproches de Jésus envers les Pharisiens, préférant la lettre, le respect scrupuleux de la loi, à la compréhension par l'esprit. Ce qui pousse Müntzer à se dresser contre tous ceux qui, comme Luther, empêchent selon lui cette relation personnelle, directe à Dieu, pour qui la Bible est la seule parole de Dieu accessible à tous les hommes, et les pouvoirs terrestres, une autorité obtenue de Dieu : et c'est encore une connivence reprochée à Luther par Müntzer que celle de "flatter les princes" (Lefebvre, 1979) : " Chers frères, ne tardez plus ! Il est temps ! La moisson est imminente. Ne flattez pas vos princes, sinon vous verrez bientôt votre perte"
Theologiam vestram toto corde amplector. nam de funibus venantium animas electorum eripuit multas, Ed. Franz/kirn p. 381, 1. 23-26.
George Huntston Williams (Spiritual and Anabaptist Writers, Philadelphie, 1957 ; The Radical Reformation, Philadelphie, 1962) a bien montré, en effet, que Luther est "le représentant par excellence de la Réforme « magistérielle » (celle qui se serait faite sous l'égide des princes, ou, dans les villes d'Empire, sous la tutelle du magistrat), alors que Müntzer est considéré comme un des hérauts de la Réforme « radicale »" (Stauffer, 1982). "
Quand un mouvement populaire se produit le 24 mars 1524, qui entraîne les destructions et l'incendie de la chapelle de Mallerbach, dédiée à la Vierge, tout près d'Allstedt, ce qui rapproche encore Müntzer du peuple, c'est une action relative à sa condamnation du culte des saints, qu'il associe à de l'idolâtrie, dont il avait parlé dans une de ses Protestations, en l'occurrence Protestation odder empietung (Protestation ou indignation), écrite à la fin de l'année 1523 et publiée le 1er janvier 1524. Invité à s'expliquer par le duc Jean Ier de Saxe, qui "avait une secrète inclination pour l'enseignement du pasteur d'Allstedt" (Stauffer, 1982), Müntzer prononce son Außlegung des andern unterschyds Danielis... (in Ecrits et Lettres de Thomas Müntzer, de Günther Franz, et Paul Kirn, p 242/263), "Interprétation du second chapitre du prophète Daniel", plus connue sous le nom de "Sermon aux princes" le 13 juillet 1524 devant le duc, son fils Jean-Frédéric, le prince héritier, le bailli Hans Zeiss et quelques hauts personnages du Conseil. En se référant au songe du roi Nebucadnetsar (Nabuchodonosor), raconté dans le livre de Daniel, Müntzer, fort de l'élan populaire qu'il a suscité, se fait le bras armé de Dieu pour vaincre l'impiété des souverains : "Puis viendra le jugement, et on lui ôtera sa domination, qui sera détruite et anéantie pour jamais." Müntzer entre cette fois sans ambiguïté dans l'arène politique, convaincu qu'il est, avec d'autres Elus, l'instrument de la puissance divine, et en menace le pouvoir temporel. Investi qu'il se sent de cette force invincible, il appelle de nouveau à combattre ceux qui s'opposent à son action, en légitimant non seulement la violence, mais la violence extrême : "Mais, comme le pieux Daniel, j'intercéderai pour eux s’ils ne sont pas opposés à la révélation de Dieu. Mais s’ils s'interposent, alors laissons-les se faire égorger sans pitié comme Ezéchias, Josias, Cyrus, Daniel ou Elie ont détruit les prêtres de Baal" (op. cité) ; ou encore : "les impies n'ont pas le droit de vivre". Par la même occasion, il jette Luther, le réformateur et ami des princes, dans le même panier et le traite de "Frère Gros-Lard, Frère La-Vie-Douce". De fait, Il évoque les paysans comme il a toujours évoqué les pauvres : des gens trompés, éloignés par leurs seigneurs de la foi véritable, et finalement, transformé en masse abêtie : " ils ont rejeté la pure connaissance de Dieu et, à la place, ils ont installé une divinité gracieuse, délicate et toute dorée, devant laquelle les pauvres paysans demeurent béats, comme l’a dit clairement Osée dans son quatrième chapitre..." (op. cité).
Pendant longtemps, Müntzer ne considère pas la souveraineté populaire du point de vue du droit ou de la justice, de l'amélioration de sa représentation ou de sa condition sociale. A chaque argument fourni, Müntzer se réfère au déficit de connaissance divine, à l'insignifiance de leur foi causée par les tromperies des clercs ou encore l'aveuglement des souverains. Le but maintes fois explicité par Müntzer est exclusivement théologique, spirituel. Les deux lettres de l'automne 1523 dont nous avons parlé sont écrites après que les autorités empêchent les croyants d'accéder à la vrai foi. Tel est le crime du pouvoir, selon Müntzer, celui d'être indigne de connaître Dieu, et non pas coupable d'aimer les richesses ni responsable de la misère. Et quand se produit l'incendie de la chapelle de Mallerbach, ce qui rapproche encore Müntzer du peuple, c'est une action relative à sa réforme liturgique, pas une revendication sociale, et, au-delà, ce sont ses visées eschatologiques, millénaristes, nous l'avons vu, pour faire de ce peuple, dont la vue est spirituellement obscurcie par les prêtres, la communauté des Elus qui hâtera la venue du Royaume de Dieu sur Terre, pas un nouvel âge d'or ou un nouvel Eden :
"là où Müntzer se sépare nettement du millénarisme classique, c’est que jamais il ne décrit nettement cette période historique du règne des élus. Rien non plus dans ses écrits qui laisserait supposer que ce règne sera un temps de bonheur avant l’épreuve finale et le dernier jugement." (Gélinas, 1999).
La Guerre des Paysans
Moins de deux jours à peine après la lecture du Sermon aux Princes, le seigneur de Sangerhausen, le chevalier Friedrich von Witzleben, dont le manoir se trouve à Shönewerda, entre en conflit ouvert avec ses sujets. Il persécute des fidèles de plusieurs églises, attaque, détruit une partie du village de Shönewerda, met en prison des partisans de Müntzer et en expulse d'autres. Plus tard, pendant la Guerre des Paysans, il se chargera militairement d'éliminer les paysans pour le compte d'Ernst von Mansfeld (Baylor, 1993). Beaucoup de villageois tentent alors de trouver refuge, en particulier à Allstedt. Thomas Münzer écrit plusieurs lettres pendant ces événements et une nouvelle fois encore, il ne montre pas du tout d'empathie pour les malheurs physiques supportés par ses coreligionnaires, mais ne leur parle que de ses obsessions théologiques (idem pour sa lettre aux seigneurs de Sangerhausen du 15 juillet), où "la crainte de Dieu" est ressassée sans cesse et le préoccupe beaucoup plus que leur bien-être et même la sauvegarde de leur vie :
"si vous ne voulez pas pour Dieu mettre en jeu votre corps, vos biens et votre honneur, vous perdrez tout à cause du Diable. Dieu ne vous abandonnera pas, faites-y bien attention. Au début, vous aurez du mal à endurer la moindre affliction pour l’amour de Dieu. Mais pour atteindre la lumière il n’est pas d’autre chemin que celui de la profonde affliction, Jean 16 : 20."
Müntzer, Lettre à ceux de Sangerhausen qui craignent Dieu, 15 juillet 1524, in Lefebvre, 1982, p. 135-168.
"Or la crainte de Dieu enseigne aussi qu’un homme pieux doit rester dans le détachement pour l’amour de Dieu et qu’il doit risquer pour Lui corps et biens, maison et dépendances, femme et enfants, père et mère en même temps que le monde entier. Mais voilà ! Cela est une grande abomination pour les hommes qui vivent selon la chair et qui ont, leur vie durant, mis toute leur raison à l’acquisition de leur nourriture, sans penser plus loin."
Müntzer, Lettre aux chrétiens persécutés de Sangerhausen, juillet 1524, in op. cité.
Le 24 juillet 1524, en l'absence de réponse des autorités, Müntzer prononce un sermon où il appelle la population au-delà d'Allstedt de rejoindre la Ligue. Le même jour, ce sont déjà plus de cinq cents personnes qui répondent à l'appel, dont beaucoup de mineurs de la région de Mansfeld (Baylor, 1993). Le prophète d'Allstedt est alors convoqué à Weimar pour s'expliquer, mais à huit-clos, malheureusement, alors qu'il refusait depuis longtemps les disputatio entre savants et aurait préféré se défendre devant le peuple (c'est ce qui motiva aussi sa réponse à une invitation de Luther, deux ans auparavant). En cette fin juillet, Luther publie sa "Lettre aux princes de Saxe sur l'esprit de rébellion" (Ein Brief an die Fürsten zu Sachsen von dem aufrührerischen Geist), en réaction au Sermon aux Princes de son adversaire, lettre dont Allstedt prendra connaissance le 3 août 1524 (Stauffer, 1982). C'est toute "l'œuvre du diable dans les événements fomentés par Thomas" qui est dénoncée (op.cité).
Le 3 août, Müntzer écrit une lettre à Frédéric le Sage qui prend avec des pincettes le souverain mais continue de molester les autorités ecclésiastiques : "Mais maintenant, Satan pousse à leur perte les docteurs impies comme Il l’a fait auparavant pour les moines et curés". Fort de cette expérience populaire, qui radicalise son action, sans doute plus que sa pensée, Müntzer écrit le "Plaidoyer bien fondé", pamphlet dans lequel apparaissent pour la première fois dans ses écrits des préoccupations politiques et sociales.
"La pire abomination sur terre est que personne ne veut prendre fait et cause pour ceux qui sont dans le besoin. Les grands font ce qu’ils veulent, comme l’écrit Job au chapitre 41."
"Voyez donc : la source fangeuse de l’usure, du vol et du brigandage, ce sont nos princes et seigneurs, qui s’approprient toutes les créatures ; les poissons de l’eau, les oiseaux de l’air, les plantes sur la terre, tout doit leur appartenir, Isaïe 5 : 8."
"Mais tu devrais bien aussi tirer les oreilles de tes princes, car ils l’ont sans doute mérité plus que les autres. Est-ce qu’ils acceptent des diminutions sur les redevances et les fruits de l’exploitation ?"
Dans la nuit du 7 août, Müntzer quitte Allstedt pour Mühlhausen (en Thuringe), où l'ancien moine cistercien Heinrich Pfeiffer a, par sa prédication, gagné beaucoup en influence. Dès qu'il en a connaissance, Luther s'emploie à nuire à ses projets en adressant une lettre aux autorités datée du 15 août (Lefebvre, 1982). Dans la semaine du 19 au 26 septembre 1524 (Baylor, 1993), Müntzer et Pfeiffer assisteront le conseil municipal pour réformer la ville et élaborer onze articles d'une constitution, qu'on appellera les "Articles de Mühlhausen". C'est la première fois que l'on voit le pasteur d'Allstedt imprimer une telle marque politique et sociale à son action. Ces onze articles, justifiés le plus souvent par des citations bibliques, prévoient une démocratie directe et populaire, un renouvellement complet du conseil remplacé par des volontaires qui recevront un traitement pour les prévenir de la corruption, une justice qui, selon la règle évangélique, "traitera le pauvre de la même manière que le riche" (article 2), une amélioration des conditions sociales : "nous devrions également nous occuper de ceux qui sont dans le besoin, pour cette raison: qu'ils n'ont aucune raison d'être cupides , et qu'ils n'ont pas à grappiller et à épargner pour rester en vie, comme écrit dans Exode 18, où les incroyables menteurs, cupides et fiers, et les faiseurs de haine, sont inaptes à gouverner, comme il est écrit dans Actes 20".
Müntzer et Pfeiffer entreront cependant en conflit avec le conseil, et c'est peut-être ce qui commande à Müntzer de constituer une nouvelle ligue, Ewigen Bundes Gottes (Alliance [Union,Confédération] éternelle de Dieu), dont on sait que le relieur et colporteur de livres Hans Hut (Hutt, Huth, Huet, † 1527) figurait dans la liste de membres au nom de "Frans Bibra" (Goertz, 1980 ; cf. Leisering, 1986), où il avait été sacristain quelques années. En levant une troupe de la campagne, le conseil municipal parviendra le 27 septembre à faire expulser Pfeiffer et Müntzer, qu'on retrouve peu après à Nuremberg (Nürnberg), où il remanie un écrit d'Allstedt et le publie par l'intermédiaire de Hans Hut chez l'imprimeur Johann Hergott, "Dévoilement instantané de la fausse foi du monde infidèle, par le témoignage de l'Évangile de Luc", (Aussgetrückte Emplossung des falschen Glaubens der ungetrewen Welt, durchs Gezeugnus des Evangelions Luce).
Dans ce pamphlet, encore une fois, la condamnation de la richesse se fonde sur son éthique religieuse, comme Jésus l'envisageait (voir : critique et utopie sociales : le temps judéo-chrétien), pas sur l'injustice, entre ceux qui ont trop d'un côté et les autres pas assez. Dans ce royaume de peur et de souffrance que le prédicateur appelle de ses vœux, la crainte de Dieu sous une forme ou sous une autre revient au minimum trente-quatre fois. D'autre part, c'est le plaisir, l'égoïsme attachés aux richesses, ainsi que le fait que celles-ci éloignent l'homme de Dieu, qui indignent Müntzer, pas le fait qu'elles aggravent le malheur des pauvres. De plus, Müntzer continue, ici et là, de glisser des reproches concernant le peu d'endurance des hommes (et des pauvres en particulier) à la souffrance. Le théologien veut élever les pauvres, oui, mais à la foi, pas du tout pour les extirper de leur misère matérielle. Tout dans ce texte s'oppose, comme les précédents, au discours révolutionnaire qui cherche à apaiser les malheurs subis par les pauvres et qui cherchent à les en extirper :
"Maintenant, pourquoi frère La-Vie-douce et Père Pas-léger [Luther, NDA] devient-il si puissamment excité à ce sujet ? Job 28. Oui, il pensait pouvoir vraiment goûter à tous ces plaisirs qu'il avait en tête, et conserver son honneur et ses richesses tout en possédant une foi agissante et éprouvée... Une autre impossibilité est évoquée également dans Matthieu 6 : 24. où il est dit aux incroyants jouisseurs : « Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses ». Quiconque laissera honneurs et richesses se rendre maîtres de lui finira par le rendre éternellement vide de Dieu. Ainsi qu’il dit est dit au Psaume 5 : 10 : 'Leur cœur est vain'. C'est pourquoi le puissants, les égoïstes et les incrédules doivent être chassées de leur trône."
"à l'instar de l'homme riche dans cet évangile de Luc, chapitre 12, il n'imagine pour lui qu'une longue vie pleine de volupté, dans un état de joie permanent. Il pense seulement que c'est pour cela qu'il a été créé."
...au point qu’aujourd’hui certains commencent à mettre aux fers leur peuple, à l’écorcher et à le tondre, par quoi ils sont une menace pour toute la chrétienté..."
"C’est pourquoi Paul dit. 1 Corinthiens 10 : 13, que Dieu est si fidèle envers ceux qu’il aime qu’il ne leur fera pas porter un fardeau plus lourd qu’ils ne peuvent supporter, encore que notre nature humaine pense toujours que trop de charges pèsent sur elle."
"Le monde et et les docteurs non éprouvés, qui en sont la lie qui le recouvre, pensent qu’il est tout à fait impossible que les humbles doivent être élevés et séparés des méchants."
"Tout homme doit trouver le chemin qui mène au fond de son âme, où il verra par sa propre introspection qu’il est lui-même un saint temple, 1 Corinthiens 3 et 6, appartenant à Dieu de toute éternité. Il n’a été créé dans aucun autre but que celui de recevoir l’Esprit-Saint comme l'enseignant de sa foi, et pour en percevoir toutes ses oeuvres, Jean 14 et 16, Romains 8. Ce même temple a été profané et ravagé par les prêtres incultes."
"Le peuple n'a jamais pensé autrement, et on le laisse imaginer, jusqu'aujourd’hui encore, que les prêtres savent tout de la foi parce qu’ils ont lu beaucoup de gros et beaux livres... Mais personne n'y porte la moindre attention et se contentent d'accumuler des biens terrestres. Et c’est pourquoi chacun attend encore à l'extérieur du temple, incapable de pénétrer son propre cœur à cause d’un grand manque de foi, qu’il ne peut pas reconnaître, trop occupé qu’il est à se procurer son pain quotidien."
"Alors Jérémie court un peu partout...Et ainsi le prophète pense : "Oh Dieu, les paysans sont des gens qui ont usé leur corps. Ils ont vécu toute leur vie de maigres récoltes pour remplir le ventre de tyrans démoniaques et impies. Que pourrait savoir ce pauvre peuple grossier ?
Jérémie dit encore, au chapitre 5 : « Je pensais en moi-même : il faut un peu de temps. Je vais partir et aller trouver les Puissants. Ils prendront certainement soin du pauvre peuple et lui expliqueront tout au sujet de la foi et du discernement de leurs paroles et de leurs actes, comme de bons bergers. J’en parlerai avec eux. Ils sauront quoi faire, sans aucune doute » . Tu parles ! Ils en savaient encore moins que le plus indigent des hommes."
"Le pauvre petit peuple doit s'efforcer de recueillir l'Esprit et apprendre ainsi à gémir, Romains 8 [ : 18 : « J'estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. » ], implorer et attendre un nouveau Jean, un prédicateur touché par la grâce, qui en est venu à l'expérience de la foi au travers de son incrédulité"
"Car ils ont passé leur vie dans les ripailles et les beuveries bestiales ; depuis leur jeunesse, ils ont été élevés de la manière la plus délicate, ils n’ont pas connu un seul mauvais jour, de toute leur vie, et ils entendent bien à n’en pas connaître un seul au nom de la vérité, ni renoncer un seul sou aux intérêts de leurs prêts, tout en demeurant les juges et les protecteurs de la foi."
"le peuple devra d’abord être blâmé sévèrement en raison de ses plaisirs déréglés qui lui font passer sans vergogne le temps dans l’exubérance sans l'idée ferme d'un sérieux examen de la foi."
"...comme le Psaume 54 nous donne à comprendre, personne ne peut arriver à la foi à cause de l'usure, des impôts et de l'intérêt ; la détérioration du monde est déjà en train de devenir de plus en plus générale et durable, et le chemin vers la foi de chaque croyant est barré."
" le corps de l’homme sombra dans le désordre, et tous les désirs charnels empêchèrent l'action de l’Esprit-Saint, Sagesse 9."
Commencé aussi entre le 3 et le 7 août 1524, un autre pamphlet est achevé par Mûntzer avant le 19 septembre et confié à l'imprimeur Hieronymus Hötzel (Lefebvre, 1982), intitulé "Plaidoyer très bien fondé et Réfutation à la chair sans esprit qui mène douce vie à Wittenberg et qui, par le vol de l’écriture sainte a souillé la pitoyable chrétienté" (Hoch Verursachte Schutzrede und Antvwort wider das Gaistlosse Sanfft Lebende Fleysch zu Wittenberg, 1524), où reviennent les mêmes critiques acerbes contre les prêtres, où Luther, encore une fois, est pris à parti violemment (comme lui-même l'est par Luther) et surnommé de différentes façons : "Docteur Menteur", "canaille bonimenteuse", "mauvais diable", "... chair impie... de Wittenberg", "dragon vaniteux", etc.
Müntzer passe ici le plus clair de son temps à croiser le fer avec son ennemi par une surmultiplication d'attaques ad hominem, et ce faisant, il montre d'une certaine façon qu'il traite d'égal à égal avec un autre savant, quand il traite le plus souvent le peuple avec condescendance et paternalisme, se plaçant toujours au-dessus de la mêlée. Luther est par ailleurs une illustration vivante de l'enracinement et de la puissance dans les esprits de l'idéologie patriarcale et religieuse, dans laquelle l'homme du commun compte beaucoup moins qu'un chef, qu'un champion et ses joutes guerrières : il ne resterait que 10% environ d'archives intéressant les paysans et les humbles en général de cette époque troublée, alors que nous possédons de nombreux documents sur les élites intellectuelles ou politiques. Müntzer, quant à lui, dans ce Plaidoyer, va continuer d'afficher un certain nombre de préoccupations politiques et sociales et choisir le camp des dominés, à l'inverse de son adversaire.
Il est incontestable que Müntzer s'est employé ici, dans plusieurs passages éclairants, à une véritable critique de classe contre les princes, sans la faire découler, cette fois, d'une cause théologique. Ainsi, en opposition à Luther, Müntzer insiste une nouvelle fois sur la nécessité de donner au peuple entier le pouvoir de juger (pour cette raison il avait refusé l'invitation de Luther à venir défendre ses positions devant un seul parterre de clercs), afin d'empêcher les autorités de "pervertir la justice", ce qui le rapproche encore davantage de la démocratie, quand Luther, au contraire, conforte le pouvoir autoritaire et inconditionnel des princes. D'autre part, il s'exprime concisément mais clairement sur l'oppression des riches envers les pauvres, et ses propos, en écho à la parole du prophète Esaïe (5, 8 : "Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, Et qui joignent champ à champ, Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'espace, Et qu'ils habitent seuls au milieu du pays!") ressemblent de près aux critiques contemporaines sur la prédation globale des riches de la planète :
"Il dit une chose, mais garde le silence sur le point le plus important, que j'ai exposé clairement aux princes, que toute la communauté devrait avoir le pouvoir de l'épée, tout comme elle devrait avoir celle du pardon; Je leur ai enseigné à partir des textes de Daniel 7, Apocalypse 6, Romains 13 et 1 Rois 8, que les princes n'étaient pas des seigneurs au-dessus de l'épée mais plutôt ses serviteurs, et qu'ils ne devraient pas agir selon leur propre volonté, Deutéronome 17, mais selon la justice. Et c'est pourquoi il est traditionnel que les gens soient présents chaque fois que quelqu'un est traduit devant la loi, Nombres 15."
"Voyez, l'origine de l’usure, du vol et du brigandage se trouve chez nos princes et seigneurs, qui traitent toutes les créatures comme autant de possessions : les poissons dans l’eau, les oiseaux dans l’air, les plantes sur la terre, tout doit leur appartenir, Isaïe 5. Après quoi, ils annoncent aux pauvres les commandements de Dieu et disent : "Dieu a ordonné : Tu ne voleras point." Mais cela ne les aide en rien. Dans le même temps, ils forcent tout le monde, le pauvre paysan, l’artisan et tout ce qui vit, ils les font trimer et les meurtrissent, Michée 3 : 2-4. Le moindre pauvre qui commet le moindre délit sera forcément pendu, et à cela, le Docteur Menteur dit : Amen ! Les seigneurs eux-mêmes font des pauvres gens leurs ennemis. Ils ne peuvent supprimer la cause de la rébellion, alors comment tout cela pourrait-il bien finir, au bout du compte ? Voilà ce que j'affirme, et si cela fait de moi un rebelle, Eh bien, qu'il en soit ainsi !"
Mais cela ne fait pas de Müntzer un partisan inconditionnel de la violence. Il s'était exprimé à plusieurs reprises pour la paix, ne cédant un droit à la violence qu'en cas de nécessité, au nom de la justice, c'est ce qu'il fait encore ici : "Celui qui veut juger équitablement" ses idées prétendument subversives, "ne doit ni aimer la rébellion ni être opposé à une révolte justifiée. Il doit s’en tenir à un raisonnable milieu, sinon il haïra mon enseignement ou le louera avec excès, selon ses inclinations, et c'est quelque chose que je ne voudrais jamais."
Durant son court séjour à Nuremberg, Müntzer a rencontré d'autres penseurs hétérodoxes, comme Hans Denck (1495-1527), recteur de l’école à Saint-Sébald dès 1523, recommandé par Oecolampadius (Jean Husschin, ou Johannes Häusgen, dit Œcolampade, Oekolampade, 1482-1531), qui animera la Réforme à Ulm, rencontrera Müntzer à Bâle (Lefebvre, 1982), en 1525, baptisera Hans Hut en 1526. Il partage avec Müntzer et d'autres (contre Luther, en particulier) une foi qui n'est pas attaché à la lettre, plus attachée à l'intériorité qu'aux signes extérieurs de type liturgiques (Baring, 1959 ; MenLex V, article de Geoffroy Dipple). Denck a été plusieurs fois inquiété pour ses opinions religieuses par l'inquisition. Il a été en relation avec les frères Barthel, les frères Sebald (Behaim, Sebald et Barthomée) ou encore Jorg Pentz, des peintres élèves d'Albrecht Dürer accusés d'hérésie par le tribunal de Nuremberg en janvier 1525 (et expulsés avec Denck de la ville) et surnommés "les peintres impies" (gottlosen Maler). Probablement athées, ils étaient sortis une nuit en proclamant à plusieurs reprises des blasphèmes, niant Dieu, le Christ et les sacrements, et en dénigrant violemment les ecclésisastiques (Rupp, 1972). Luther confiera d'ailleurs au pasteur de Königsberg, Johann Briessmann, le 4 février 1525, que quelques bourgeois "considèrent comme rien le Christ, la Parole de Dieu, le baptême et la cène, le pouvoir civil enfin" (WABW, Weimarer Ausgabe, Briefwechsel ["Edition de Weimar, correspondance"] : édition complète des oeuvres de Luther, 1883-1929, vol 3, p 433). Müntzer a aussi peut-être rencontré près de la frontière suisse Konrad Grebel (1498-1526), fondateur des Frères Suisses et considéré comme celui des Anabaptistes. C'est en tout cas "ce qu’affirmera plus tard Heinrich Bullinger, le successeur de Zwingli ; mais il n’en existe aucune preuve." (Lefebvre, 1982).
Müntzer quittera la Thuringe pour l'Allemagne du Sud pendant six mois, pendant lesquels nous n'avons quasiment pas de témoignage direct, à l'exception d'une lettre. Ce que nous savons, nous le devons à des sources indirectes. Il passe sans doute du temps en Forêt Noire, à participer à la rédaction de nouveaux articles de constitutions pour les paysans. Ce n'est donc probablement pas un hasard si la Guerre des paysans allume dans la région de nouveaux foyers d'insurrections. Cet épisode révolutionnaire, d'un point de vue général, n'a pas commencé avec l'action de Müntzer. En 1524, déjà, dès le mois de mai, les révoltes ont éclaté à Mühlhausen, en Franconie, à Forchheim, à quelques kilomètres au nord de Nuremberg, en Bavière, puis se sont étendues aux régions du sud de la Forêt-Noire (Südschwarzwald) à Wutachtal, près de Stühlingen en particulier, en Alsace, et vers la Souabe, au début de l'année 1525, en particulier à Furtwangen, en Haute-Souabe, mais aussi à Fulda, dans le Hesse, le Klettgau et le Hegau dans l'extrême sud de l'Allemagne (Ces trois dernières localités sont citées par Müntzer dans sa lettre du 26/27 avril 1525, voir plus bas). Tout près de là, c'est à Memmingen, près du lac de Constance, qu'est adoptée le 20 mars 1525 une nouvelle constitution véritablement révolutionnaire, les "XII articles paysans" ( Zwölf Artikel der Bauern/Bauernschaft [paysannerie]), qui ont paru dans une brochure sans couverture de la
Paix au lecteur chrétien par la grâce de Dieu au travers du Christ
Il y a beaucoup de mauvais écrits dont on fait l'éloge et qui, à l'occasion des rassemblements de paysans, jettent le discrédit sur l’Évangile, en disant: « Est-ce le fruit de ce nouvel enseignement qui prétend que personne ne devrait obéir, mais que tous devraient partout se lever pour se révolter, et se précipiter ensemble pour réformer, ou peut-être détruire toutes les autorités, à la fois ecclésiastiques et laïcs ? Les articles ci-dessous répondront à ces inquisiteurs impies et criminels, et serviront, en premier lieu, à faire disparaître leurs reproches par la parole de Dieu et, en second lieu, à donner une raison chrétienne à la désobéissance et même la révolte de toute la paysannerie.
En premier lieu, l’Évangile n’est pas la cause de la révolte et du désordre, car c'est le message du Christ, le Messie promis ; c'est la parole de la vie, qui enseigne seulement l’amour, la paix, la patience et la concorde. Ainsi, tous ceux qui croient en Christ devraient apprendre à être aimants, pacifiques, d'une grande patience et fraternels. C’est le fondement de tous les articles des paysans (comme on le verra), qui acceptent l’Évangile et vivent en accord avec lui. Comment donc, les mauvais témoignages peuvent-ils affirmer que l’Évangile est cause de révolte et de désobéissance ? Le fait que les auteurs de ces mauvais témoignages, mais aussi les ennemis de l’Évangile, s’opposent à ces exigences est dû, non pas à l’Évangile, mais au diable, le pire ennemi de l’Évangile, qui provoque cette opposition en soulevant des doutes dans l’esprit de ses disciples, qui l'emportent sur la parole de Dieu, qui enseigne l’amour, la paix et la concorde.
En second lieu, il est clair que les paysans exigent que cet Évangile leur soit enseigné comme guide de vie, et qu’ils ne doivent pas être qualifiés de désobéissants ou de fauteurs de trouble. Que Dieu accorde aux paysans (désireux sincèrement de vivre selon sa parole) leurs demandes ou non, qui remettrait en cause la volonté du Très-Haut ? Qui s’immiscera dans ses jugements ou s’opposera à sa majesté ? N’a-t-il pas entendu les enfants d’Israël quand ils l’ont appelé et les a sauvés des mains du Pharaon ? Ne peut-il pas sauver les siens aujourd’hui ? Oui, il les sauvera et plutôt rapidement. Par conséquent, lecteur chrétien, lis les articles suivants avec soin avant de juger. Voici les articles:
Premier Article. Premièrement, c’est notre humble pétition et notre désir, ainsi que notre volonté, qu’à l’avenir nous ayons le pouvoir et l’autorité afin que chaque communauté choisisse et nomme un pasteur, et que nous ayons le droit de le destituer s’il se conduit de manière inappropriée. Le pasteur ainsi choisi doit nous enseigner l’Évangile pur et simple, sans ajout, doctrine ou ordonnance humaine.
Deuxième Article. Selon la juste dîme établie par l’Ancien Testament et confirmée par le Nouveau, nous sommes prêts et disposés à payer la juste dîme du grain. La parole de Dieu stipule clairement la nécessité de donner à Dieu selon la justice, et distribuer à son peuple les services d’un pasteur. Nous le ferons pour l’avenir, par le biais du prévôt de notre église, quel que soit celui que la communauté nommera, et qui réunira et recevra cette dîme. De là, il attribuera au pasteur, élu par toute la communauté, un entretien décent et suffisant pour lui et ses ouailles, selon ce qui paraîtra juste à toute la communauté. Ce qui reste est donné aux pauvres de la ville, selon ce qu'exigent les circonstances et l’opinion générale. En cas de surplus, qu’il soit conservé, de peur que quelqu’un ne doive quitter le pays dans la pauvreté. Les petites dîmes, qu’elles soient ecclésiastiques ou laïques, nous ne les paierons pas du tout, car le Seigneur Dieu a créé le bétail pour l’usage libre de l’homme. Par conséquent, nous ne paierons donc pas une dîme malséante qui est de l’invention de l’homme.
Troisième article. Jusqu’à présent, des hommes ont eu coutume de nous considérer comme leur propriété personnelle, ce qui est assez pitoyable, étant donné que le Christ nous a tous livrés et rachetés, sans exception, par son sang précieux répandu, pour les humbles comme les grands. En conséquence, il est cohérent avec l’Écriture que nous devrions être libres et souhaiter le devenir. Non pas que nous voudrions être absolument libres et sans autorité. Dieu n’enseigne pas que nous devrions mener une vie désordonnée dans les convoitises de la chair, mais que nous devrions aimer le Seigneur notre Dieu et notre prochain. Nous observerions volontiers avec joie tout ce que Dieu nous a commandé par la célébration de la communion. Il ne nous a pas ordonné de ne pas obéir aux autorités, mais plutôt d'être humbles, non seulement envers ceux possèdent l'autorité, mais envers chacun d’entre-nous. Nous sommes donc prêts à prêter obéissance, conformément à la loi de Dieu, à nos autorités élues et habituelles, dans toutes les choses appropriées et convenables à chaque chrétien. Nous prenons donc pour acquis que vous nous libérerez du servage en tant que vrais chrétiens, à moins qu’il ne soit démontré par l’Évangile que nous sommes des serfs.
Quatrième article. En quatrième lieu, il était coutume jusqu’ici qu’aucun homme pauvre ne devait être autorisé à chasser la venaison, la volaille sauvage, ou du poisson dans l’eau vive, ce qui nous semble tout à fait inconvenable, sans esprit fraternel, mais aussi égoïste et en désaccord avec la parole de Dieu. Dans certains endroits, les autorités conservent ces dispositions, à notre grand embarras et à notre détriment, permettant imprudemment aux animaux déraisonnables de détruire sans but nos récoltes, que Dieu souffre de faire pousser pour les besoins de l’homme ; et pourtant, nous sommes obligés de nous soumettre en silence. Ce n’est ni pieux, ni amical ; car, quand Dieu a créé l’homme, il lui a donné la domination sur tous les animaux, sur les oiseaux dans les airs et les poissons dans l’eau. Par conséquent, notre souhait, c'est que, si un homme détient des possessions aquatiques, qu’il prouve, à partir de documents satisfaisants, que ses droits ont été acquis à son insu par achat. Nous ne souhaitons pas les lui prendre force, mais ils doivent être exercés de manière chrétienne et fraternelle. Mais quiconque ne pourra produire une telle preuve devra renoncer à sa demande de bonne grâce.
Cinquième article. En cinquième lieu nous sommes lésés en matière de bûcheronnage, car les nobles gens se sont appropriés tous les bois pour eux seuls. Si un pauvre homme a besoin de bois, il doit payer. [ . . . ] Nous sommes d’avis que du bois tombé entre les mains d’un seigneur, qu’il soit spirituel ou temporel, devrait revenir à la communauté, à moins qu'il ne soit dûment acheté. De plus, chaque membre de la communauté devrait être libre de récolter le bois de chauffage dont il a besoin pour son foyer.
Sixième article. Notre sixième plainte concerne les services excessifs qui nous sont demandés et qui se sont accrus de jour en jour. Nous demandons que cette question soit correctement examinée, afin que nous ne continuions pas à être opprimés de cette façon, mais qu’une sorte de bienveillante considération nous soit accordée, puisque nos ancêtres n’étaient tenus de servir que selon la parole de Dieu.
Septième article. Septièmement, nous ne nous laisserons plus, dorénavant, être opprimés davantage par nos seigneurs, mais nous les laisserons réclamer seulement ce qui est juste et approprié, selon la parole d'engagement prise entre le seigneur et le paysan. Le seigneur ne doit plus essayer d'obtenir du paysan par la force, des services sans paiement ou des impôts, mais lui permettre de profiter de ce qui lui appartient, dans la paix et la tranquillité. Le paysan devrait, cependant, aider le seigneur en cas de nécessité, et à des moments appropriés, qui ne sont pas désavantageux pour lui, et contre un paiement approprié.
Huitième article. En huitième lieu, nous sommes grandement accablés de voir des métayers qui ne peuvent pas supporter le loyer qui leur est exigé. Les paysans souffrent ainsi de cette perte et finissent ruinés ; et nous demandons que les seigneurs puissent nommer des personnes d’honneur pour inspecter ces métayages, et fixer un loyer conformément à la justice, afin que le paysan ne travaille pas pour rien, à partir du moment où l’ouvrier est digne de son embauche.
Neuvième article. En neuvième lieu, nous sommes accablés d’un grand mal par la création perpétuelle de nouvelles lois. Nous ne sommes pas jugés en fonction de l’infraction, mais parfois, avec beaucoup de mauvaise volonté ou, à d'autres moment, avec trop d'indulgence. À notre avis, nous devrions être jugés selon l’ancienne loi écrite, afin que l’affaire soit tranchée selon les mérites de chacun, et non avec partialité.
Dixième article. En dixième lieu, nous sommes lésés par l’appropriation d'individus de prairies et de champs qui appartenaient à une époque à une communauté. Nous allons nous les réapproprier à nouveau. Il se peut toutefois que le terrain ait été acheté de manière légale. Quand la terre a malheureusement été obtenue de cette façon, un accord fraternel devrait être passé, en fonction des circonstances.
Onzième article. En onzième lieu, nous abolirons entièrement l'impôt appelé "mainmorte" [Todfall, NDA] et nous ne l'endurerons plus davantage, ni ne permettrons aux veuves et aux orphelins de nous être ainsi honteusement volés contre la volonté de Dieu.
Conclusion. En douzième lieu, c’est notre conclusion et notre résolution finale, que si un ou plusieurs des articles ici énoncés ne devaient pas être en accord avec la parole de Dieu, comme nous pensons qu'elle l'est, nous l'ôterons volontairement s’il est prouvé qu’il est réellement contre la parole de Dieu par une explication claire des Écritures. Si, par la suite, nous découvrions des articles que nous reconnaîtrions injustes, dès lors, ils disparaîtraient, deviendraient caduques et sans effet. De même, si d’autres plaintes devaient être découvertes fondées sur la vérité et les Écritures et se rapportant à des offenses contre Dieu ou notre prochain, nous avons décidé de nous réserver le droit de les présenter aussi, et de les examiner à la lumière de la doctrine chrétienne. Pour cela, nous prierons Dieu, car il peut seul agréer nos requêtes. Que la paix du Christ demeure avec nous tous.
Traduction effectuée à partir de la version anglaise établie par James Harvey Robinson du texte allemand original (Quellen zur Geschichte des Bauernkrieges, compilé et édité par Günther Franz. Darmstadt: WBG, 1963, p. 174-79) dans Readings in European History, A collection of extracts from the sources chosen with the purpose of illustrating the progress of culture in Western Europe since the German Invasions, Volume II. Boston, New York, Chicago, Londres : Ginn & Company, 1904-06, p. 94-99.
Les XII articles évoquent un certain nombre de revendications économiques qui donnent une idée de l'exploitation que font les seigneurs de leurs sujets, et particulièrement les paysans. S'ils acceptent le dixième demandé par les Ecritures, ils refusent celles qui ont été rajoutées par les seigneurs. Mais avant même les doléances par elles-mêmes, c'est de la liberté et de la justice dont parle le plus les pétitionnaires : liberté de choisir ou de destituer leur pasteur, de comprendre l'évangile par eux-mêmes, redistribution équitable de la dîme, refus des prélèvements et impôts abusifs et injustes, respect de l'autorité dans des conditions respectueuses et chrétiennes de leurs personnes, abolition du servage et de l'exploitation abusive de leur force de travail, respect du partage coutumier des communs, de l'intégrité de leurs récoltes, limitation de la liberté d'appropriation des terres, et plus généralement du monde vivant par les seigneurs, exigence de paix et de tranquillité de vie, de justice équitable : c'est un véritable programme révolutionnaire qui a été établi là, et sans doute pour la première fois en Europe.
Nous sommes au début du XVIe siècle, et nous demeurons frappés par cette intelligence populaire toujours bien plus en avance sur le progrès humain et social que l'ensemble des élites sur différents domaines, comme la coopération, le partage, la critique de la propriété, le bien-être commun, la dignité des personnes etc. Comme à la Révolution Française, mais aussi bien d'autres révoltes populaires, nous constatons que les pauvres, dans leur ensemble, sans chercher à changer radicalement l'ordre du monde, ni prendre de revanche sur les riches et encore moins renverser les rôles, désirent seulement vivre dignement de leur travail, instaurer une justice équitable pour tous, ne pas être considérés comme des bêtes ou des esclaves, mais exigent du respect pour tous les hommes, quelle que soit leur condition, ainsi que le droit d'examiner les choses, matérielles ou spirituelles, de leur propre point de vue : "Préfiguration, unique dans l’Allemagne du XVIe siècle, de l’idée du contrat social et du principe de la souveraineté du peuple." affirmera l'historien Joël Lefebvre (Lefebvre, 1982).
Nous comprenons donc pourquoi un tel programme devait représenter un terrible danger pour les pouvoirs ecclésiastiques ou politiques, et que ceux-ci ne pouvaient que réprimer cette révolution avec la plus grande fermeté. En effet, celle-ci menaçait en partie les biens, les richesses, le pouvoir des autorités politiques et religieuses sur les populations en lutte. Elle était un chemin vers une société plus juste, plus égale et plus libre, ce contre quoi les ploutocrates de tous pays se sont toujours battus pour conserver leurs pouvoirs et leurs privilèges.
Cette exaspération paysanne a une histoire, dont la dynamique comprend, comme dans beaucoup d'autres mouvements révolutionnaires, une multiplication de frustrations, de souffrances, de misères dont les douze articles se font l'écho, et que l'historien confirme de multiples façons. Cette histoire dépasse largement le cadre de notre sujet, donc, elle sera traitée dans un article général sur les révoltes paysannes des XVe-XVIe siècles qui se sont produites dans le Saint-Empire Romain germanique et à ses marges.
Ce nouvel épisode représentera un modèle à suivre et renforcera le mouvement insurrectionnel et gagne l'Est, à Trèves, en Rhénanie (Palatinat), dans la région du Tyrol et de Salzbourg (Salzbürg), et enfin, en Alsace et dans le pays de Bade, au printemps 1525. Cependant, nous verrons dans un autre article que nous pouvons remonter bien plus loin la généalogie du mécontentement populaire, en particulier au travers des révoltes des Bundschuh. D'autre part, elle ne concerne pas que les paysans, mais un spectre social assez large, englobant des mineurs comme ceux de Mansfeld ou encore les "couches urbaines exclues des conseils ou qui n’avaient pas le droit de bourgeoisie" (Blickl, 1975), sans compter quelques nobles, qui chercheront-là quelques opportunités d'obtenir des domaines ecclésiastiques à bon compte.
Müntzer rentre finalement à Mühlhausen et contrôle à nouveau avec Pfeiffer la marche politique de la ville. Le 11 avril 1525, une lettre de Luther (WABW. vol. 3, p. 472) à Nikolaus von Amsdorf, ancien professeur à Wittenberg, s'inquiète de cette main mise souveraine de Müntzer sur la cité est lui affirme, plein de mépris une nouvelle fois pour son ennemi : "Munzer Mulhusii rex et imperator est non solum doctor" : "Munzer n'est pas seulement docteur, il est le roi et l'empereur de Mulhouse". Sans doute pas empereur, mais un chef, c'est incontestable, avec assez d'autorité, avec Pfeiffer, pour monter des expéditions militaires "au cours desquelles ils dévastent un certain nombre de monastères et de châteaux" (Stauffer, 1982), qu'ils pillent pour en redistribuer les biens aux pauvres et dont ils exproprient les maîtres (Thomas Münzer ou la guerre des paysans, Maurice Pianzola, Club Français du Livre, 1958). A peine un mois plus tôt (mars 1525), Müntzer faisait encore la leçon aux mêmes villageois qui avaient "choisi, à votre grande honte, vous fortifier par le message du diable." Mais depuis, les succès des paysans s'ajoutent les uns aux autres et Müntzer finit par être convaincu que la parousie, le second avènement du Christ, est proche. C'est très probablement cette espérance qui le fait accepter de participer à la lutte paysanne, puisque nous avons vu à quel point ses préoccupations avaient toujours été d'ordre théologique, spirituel avant tout. Tout à coup, Mûntzer s'est transformé en soldat de Dieu : "prenez les devants et jetez-vous dans le combat du Seigneur ! Il est grand temps ! ..." écrit-il dans sa lettre aux habitants d'Allstedt le 26/27 avril 1525, où il invite ses anciennes ouailles à prendre les armes sans attendre. Il a appris, dit-il, par un messager de Langensalza, que la population veut s'en prendre au bailli du duc Georges à son château car "il a cherché à faire exécuter trois hommes en secret." A Eichsfeld, les paysans "se soulèvent contre leurs hobereaux sans aucune pitié. Tous ces faits vous montrent le chemin à suivre. (...) Sus ! Sus ! Tant que le fer est chaud ! Ne laissez pas refroidir votre épée". Pas une seule fois, il ne parlera dans cette lettre de la nature réelle du combat des paysans pour la justice, mais, encore une fois, fera de ce combat un engagement chrétien : " Je vous le dis, si vous ne voulez pas souffrir pour Dieu, vous serez les martyrs du diable... (...) Tant qu’ils régneront sur vous, on ne pourra pas vous parler de Dieu. Sus ! Sus, pendant qu’il fait jour ! " Plus tard, en campagne devant Duderstadt, il parle de "liberté chrétienne" ; à Schmalkalde, le 7 mai 1525, il affirme que "Dieu donne sa préférence aux choses folles et préfère rejeter les choses sages" ; le lendemain, il affirme que "Satan a beaucoup à faire et même davantage. Il cherche à s'opposer au bien public" ; "Nous n’avons donné aucun ordre aux gredins de ce type, qui poursuivent seulement leur intérêt propre" ; le 9 mai 1525, aux habitants d'Eisenach, il réitère un des arguments théologiques qu'il a évoqué maintes fois pour combattre la misère : "Comment est-il possible à l’homme du peuple, avec tous les problèmes que lui posent les biens matériels, de recevoir à son tour,, de bon cœur, la pure parole de Dieu, Matthieu 13, Marc 4. Luc 8 ?" Ainsi, contrairement à Luther, c'est bien le message évangélique de justice et de partage qui finit par faire cheminer Müntzer avec les révoltés, et la suite de la lettre citée nous en fournit un témoignage :
"C’est pour cette raison, frères bien-aimés que vous n’auriez pas dû voler si déloyalement nos compagnons en leur enlevant leur caisse en même temps que leur capitaine. Cette brave bande sans malice faisait confiance à votre belle apparence, vous qui n’aviez cessé de parler à grands cris de la justice de la foi. Mais en vérité, ce méfait accompli contre nos frères prouve votre perfidie. Si vous êtes prêts à le reconnaître, nous vous demandons amicalement de rembourser le dommage. Car leur dommage est aussi le nôtre, de même que leur bien est notre avantage à nous tous. S’il faut vous donner un conseil, c’est de ne pas mépriser les gens de peu comme vous avez coutume de faire, car le Seigneur élève les humbles pour renverser les puissants insensés de leur trône et confondre les docteurs en Ecriture déloyaux et traîtres." (Lettres choisies in Lefebvre, 1982).
En réaction aux Douze Articles, Luther tente d'apaiser les tensions entre seigneurs et paysans par son "Exhortation à la paix à propos des douze articles de la paysannerie souabe" (Ermahnung zum Frieden auf die 12 Artikel der Bauernschaft), datant du 19 ou 20 avril 1525, qualifiant en préambule d'"intolérables", les griefs que les paysans ont vis-à-vis de leurs gouvernants . Il considère que si cette rébellion parvient à ses fins, les deux royaumes , de Dieu et du monde "seraient détruits", c'est dire à quel point il estime les préoccupations humaines et sociales des révolutionnaires. Mais Luther n'est pas à une contradiction près. Il le démontre tout au long de sa première partie intitulée "Aux princes et aux Seigneurs".
Après n'avoir trouvé "personne sur terre à remercier pour cette rébellion malveillante, sauf vous les princes et les seigneurs, et surtout vous , évêques aveugles, prêtres et moines fous dont les cœurs sont endurcis", il explicite cette ironie en affirmant que "dans votre gouvernement temporel, vous ne faites rien d’autre qu'escroquer et voler vos sujets, afin que vous puissiez mener une vie de splendeur et de fierté, jusqu’à ce que les pauvres gens ordinaires ne peuvent plus le supporter." Une contradiction qui ne se fait jour qu'avec un regard objectif, pas avec celui d'un théologien du XVe siècle, dont nous avons évoqué les logiques internes avec Müntzer, qui pensent le monde au travers du prisme extrêmement mouvant de l'idéologie religieuse, et qui est en grande partie à l'origine de toutes ses monstruosités, nous la voyons ici, dans la Guerre des paysans, parfaitement à l'oeuvre. Les princes sont "la cause de cette colère de Dieu", le rassemblement des paysans va "entraîner la ruine, la destruction et la désolation de l’Allemagne par le meurtre cruel et le bain de sang", et finalement, ce ne sont même pas les paysans qui résistent aux puissants, "c'est Dieu lui-même." A toute cette gabegie, il n'y aurait qu'une solution : "craignez Dieu et respectez sa colère". On le voit bien, cette idéologie aveugle le théologien au point de ne pas reconnaître la moindre légitimité de la révolte des paysans qui s'opposent au mal qu'il a pourtant reconnu. Et si Luther affirme par deux fois que certains des douze articles sont "si justes, justes..." attention aux citations tronquées qui en cachent d'autres :
"Les paysans ont mis en avant douze articles, dont certains sont si justes, et justes pour ôter votre réputation au regard de Dieu et du monde et accomplir les paroles du psaume, de répandre le mépris sur les princes. Néanmoins, presque tous [les douze articles, NDA] sont conçus dans leur propre intérêt et pour leur propre bien, mais pas pour le meilleur. J’aurais dû, en effet, présenter d’autres articles contre vous qui auraient traité de toute l’Allemagne et de son gouvernement. Je l’ai fait dans mon livre "À la Noblesse Allemande", quand il y avait un plus grand enjeu ; mais vous l'avez traité à la légère, et maintenant vous devez écouter et supporter ces articles égoïstes".
"Le premier article, dans lequel ils réclament le droit d’entendre l’Evangile et de choisir leurs pasteurs, vous ne pouvez pas le rejeter avec des arguments de droit, cependant, ce qui est certain, c'est qu'il contient une part d'égoïsme, car ils allèguent que ces pasteurs doivent être soutenus par les dîmes, et celles-ci ne leur appartiennent pas."
Ce que reproche Luther aux paysans est très semblable à ce que Müntzer lui-même leur reprochait, à savoir ce qui s'oppose le plus viscéralement à l'idéologie chrétienne depuis ses origines : le bonheur de l'individu, celui qu'il recherche pour son propre bien et pas celui de Dieu, que ne cessent de réclamer les fous de Dieu, à commencer par le Christ lui-même. Aux yeux des théologiens chrétiens (et de bien d'autres religions) cette recherche du bien-être, de son propre contentement, de son plaisir personnel est insupportable, nous l'avons évoqué aussi chez Müntzer, pour qui la vie humaine ne s'appartient pas à elle-même, toute tendue qu'elle doit être vers son Rédempteur dans la douleur et la contrition. Il a passablement lu et commenté les mystiques chrétiens, nous le savons et il en a fait son miel, de cette joie qui n'est jamais celle de faire du bien à sa peau, à sa tête, à son corps ou à son coeur mais celle de porter en permanence son attention à Dieu et à ses commandements. Si bien qu'une seule revendication trouve réellement grâce auprès de Luther : l'acceptation du peuple d'être instruits par l'Évangile.
Malgré tout cela, les griefs des paysans réapparaissent justes, pour un petit instant, au pasteur de Wittenberg, et cette fois, pour les mêmes raisons que ses adversaires :
"Les autres articles énumèrent des griefs matériels, tels que la mainmorte [Leibfall], les impôts et autres ; et eux aussi sont justes et équitables. Car les dirigeants ne sont pas institués afin qu’ils puissent rechercher leur propre profit et leurs propres désirs, mais pour assurer le meilleur intérêt de leurs sujets. L'oppression et l’extorsion sont, à long terme intolérables. À quoi cela servirait-il si le champ d’un paysan portait autant de gulden que de tiges ou de grains de blé, si cela signifiait seulement que les dirigeants en prélèveraient d’autant plus, et rendraient leur splendeur d’autant plus grande, en dilapidant leurs biens en habits, nourritures, boissons maisons, et ainsi de suite, comme s’il s’agissait de l’ivraie ? La splendeur devrait pouvoir être vérifiée et les dépenses stoppées, de sorte qu’un pauvre homme pourrait aussi conserver quelque chose."
gulden : (de l'ancien haut allemand, guldîn phennic : "monnaie en or"). Appellation dans les langues germaniques du florin, une monnaie à diffusion européenne frappée en or à partir du XIIIe siècle à Florence, en Toscane (Italie).
Luther commence par une phrase très critique envers le pouvoir qui, tirée de son contexte, signifie que la lutte des paysans pour leurs droits est légitime et que les gouvernants sont tenus d'y répondre favorablement, en assurant : "le meilleur intérêt de leurs sujets". Mais la suite (comme ce qui précède) démontre toute la rouerie intellectuelle commune aux élites que nous n'avons cessé de démontrer jusqu'ici à toutes les époques de l'histoire. De cette proximité fallacieuse avec les révoltés, Luther passe, par une transition métaphorique, à cette indigente argumentation millénaire, reprise à son compte par la chrétienté, depuis son fondateur lui-même, (voir : critique et utopie sociales : le temps judéo-chrétien), qui n'a jamais cessé d'être agitée dans l'histoire, et qui convient toujours aujourd'hui aux moralisateurs du capitalisme, et le plus souvent capitalistes eux-mêmes : la critique de la richesse égoïste, sa thésaurisation, sa démesure, le seuil au-delà duquel la fortune acquerrait d'un coup un statut déraisonnable, le luxe. Voilà la limite que rappelle Luther en substance, après les philosophes de l'antiquité (voir : Critique et utopie sociale, Les Grecs), pour que le pauvre puisse récupérer quelques miettes de ces fabuleuses fortunes acquises par le vol et l'escroquerie qui, répétons-le ont été attestés par le Réformateur lui-même. L'escroquerie, donc, est aussi intellectuelle et démontrée ici par les seuls arguments de Martin Luther, qui ne peut pas en comprendre leur importance, si aveuglé qu'il est par les logiques internes de son idéologie.
Dès la deuxième partie du pamphlet, intitulée "Aux paysans", Luther déploie la même rhétorique. Il s'adresse à eux comme des "chers amis", confirme que ces princes qui "oppriment le peuple de manière si insupportable et ont bien mérité de tomber de leur piédestal pour avoir gravement péché contre Dieu et l'homme. Pour cela, ils n'ont aucune excuse." Luther confirme donc, une nouvelle fois, le caractère injuste de l'exploitation que font les forts de l'existence des faibles, mais ne poursuit toujours pas, nous allons le voir, la logique de ce raisonnement. Car à ce moment-là, Luther déclare clairement aux paysans que le plus important n'est pas d'avoir été "affligé pendant un certain temps" ou d'avoir "souffert la mort", ni même (c'est un point hautement intéressant) "à quel point ils [leurs adversaires, NDA] ont complètement tort", mais de prendre leur cause "avec une bonne conscience et avec justice", afin de préserver leur "âme éternellement avec tous les saints". Luther prend bien soin de ne pas définir cette justice forcément divine. Avant d'argumenter, il agite les instruments traditionnels de la religion pour susciter la peur chez les croyants : l'intervention du diable, ce Satan qui "a élevé de nombreux mauvais esprits de désordre et de meurtre, et rempli le monde avec eux." , le "danger de la colère de Dieu." : "Pour Celui qui a noyé le monde entier sous le Déluge et anéanti Sodome par le feu, c’est une chose simple de tuer ou de vaincre tant des milliers de paysans. Il est un Dieu tout-puissant et terrible." Puis vient le moment de l'explication de cette "justice" évoquée par Luther. La prétention des paysans d'être "un groupe chrétien" est usurpée et viole le second des dix commandements : "Tu ne porteras pas le nom du Seigneur Ton Dieu en vain." Pour Luther, "il est facile de prouver que vous portez le nom de Dieu en vain et que vous lui faites honte" car le Christ lui même a dit "« Celui qui prendra l'épée périra par l'épée ». Cela ne signifie rien d'autre que personne, par sa propre violence, ne peut s'arroger le pouvoir par lui-même, mais comme le dit Paul, « que chaque âme soit soumise aux puissances supérieures avec peur et respect."
Luther respecte là l'ordre du monde inspiré, nous l'avons vu, de Jésus lui-même, puis de Paul, de respecter les pouvoirs temporels car ils sont institués par Dieu. Pour une énième fois, donc, Luther persiste et signe : Quand bien même les revendications humaines au droit de vivre dignement, sans être misérable et opprimé, seraient justifiées, la loi supérieure de Dieu les rendraient immédiatement caduques dès lors que les hommes lutteraient à tout prix pour ces droits, même s'ils étaient en danger de vie ou de mort :
"En troisième lieu, vous dites que ceux qui vous gouvernent sont méchants et intolérables, car ils ne vous laissent pas pratiquer l'Évangile et vous oppriment trop durement par les charges qu’ils font peser sur vos biens, et qui ruinent votre corps votre et âme. Je réponds: Le fait que les dirigeants sont méchants et injustes n’excuse pas le tumulte et la rébellion, car punir la méchanceté n'est pas du ressort de tous, mais de celui des dirigeants du monde qui portent l’épée."
Luther dépassera même le cadre de ses interprétations théologiques pour tomber dans la plus simple malhonnêteté intellectuelle. Tout le monde peut se rendre compte du propos mesuré et digne des différents articles paysans, de Souabe ou d'ailleurs, ne cherchant aucunement un pouvoir coercitif, au contraire des princes, mais seulement celui qui leur permettra d'assurer une justice politique et sociale équitable. Tout cela n'empêche pas Luther de falsifier les faits et de criminaliser les paysans :
"Je vous fais juges, et vous laisse décider qui est le pire voleur, de l’homme qui prend une grande partie des biens d’autrui, mais qui lui laisse quelque chose, ou de celui qui prend à l'autre tout ce qu’il a, en plus de sa vie. D'un côté, les gouvernants s'emparent injustement de vos propriétés. De l'autre,vous prenez d’eux leur pouvoir, duquel ils tirent toute leur propriété leur existence, leur être. Par conséquent, vous êtes des voleurs beaucoup plus grands qu’eux, qui avez l’intention de faire des choses pires que celles qu'ils ont faites. « Non, dites-vous, nous allons leur laisser assez pour vivre. » Si quelqu’un veut croire cela, laissez-le ! Moi, je n’y crois pas. Celui qui ose aller jusqu’à enlever, par la force, le pouvoir, qui est de la plus grande importance, ne se contentera pas de cela, mais prendra autre chose, et la plus petite partie qui en dépend."
Le pasteur de Wittenberg utilisera ensuite de nouveaux arguments, sur le terrain philosophique cette fois, où la théologie, exceptionnellement, n'a pas la première place :
"Si votre entreprise était juste, alors n’importe quel homme pourrait devenir le juge d'un autre, et il ne resterait dans le monde ni autorité, ni gouvernement, ni ordre, ni pays, mais seulement le meurtre et l'effusion de sang ; car dès que quelqu’un verrait qu'un autre lui fait du tort, il se tournerait vers lui, le jugerait et le punirait."
Ce type d'argument est une défense bien classique des philosophes de la ploutocratie et continuera jusqu'aujourd'hui d'être brandie par ceux qui ont tout intérêt à garder le pouvoir. Il n'est pas difficile de dénicher ici l'argutie utilisée en lieu et place d'un argument raisonnable. Luther déplace le sujet de l'injustice sociale sur le terrain d'une justice naturelle, celle de la liberté, pour chacun de se faire justice soi-même pour tout et n'importe quoi, sans rendre de compte à aucune autorité (toujours instituée par Dieu, selon Luther). Tout d'abord, les paysans n'ont jamais défendu une "loi de la jungle" où l'homme, selon la formule consacrée, serait un loup pour l'homme. Ils défendent le droit d'être libres, de ne plus être asservis, et de respecter une autorité qui les respectera. Par ailleurs, aucune voie de justice légale ne peut les sortir de cette misère puisque la seule qui est en vigueur est celle de leurs bourreaux. Ils n'ont pas d'autre choix que la violence pour changer les choses, puisqu'au lieu de diminuer leurs souffrances, leurs maîtres ne font que les augmenter. Et Luther participe, avec ses convictions criminelles, à ce pouvoir prétendument institué par Dieu, comme on pouvait le dire en Mésopotamie ou dans l'Egypte des pharaons, qui broie les peuples, mais que le chrétien doit supporter envers et contre tout. Le christianisme de Luther institue, sacralise la souffrance, l'asservissement des pauvres, et les justifie au nom même de la volonté de Dieu :
"Christ, votre Seigneur Suprême, dont vous portez le nom, dit, dans Matthieu 5:39, « vous ne résisterez pas au mal, mais si quelqu’un vous oblige à courir un mile avec lui, vous en ferez deux, et si quelqu’un prend votre manteau, laissez-lui le prendre ; et si quelqu’un vous frappe sur une joue, tendez-lui aussi l'autre. Avez-vous entendu, « Assemblée chrétienne »? Comment votre projet peut-il être en accord avec cette loi ? Vous ne le supporterez pas quand quelqu’un vous fera du mal ou vous causera du tort, mais vous serez libre, et ne supporterez que le bien et le juste ; et le Christ dit que nous ne devons pas résister à aucun mal ni aucun tort que l'on nous fait, mais toujours céder, en souffrir, et que les choses nous soient enlevées."
"Non, notre Chef, Jésus-Christ, dit, dans Matthieu 5:44, que nous devons souhaiter le bien à ceux qui nous font du tort, prier pour nos persécuteurs et faire du bien à ceux qui nous font du mal. Ce sont nos lois chrétiennes, chers amis !... De ces paroles, un enfant comprend facilement que c’est la loi chrétienne de ne pas lutter contre les torts, de ne pas empoigner l’épée, de ne pas se protéger, de ne pas se venger, mais pour renoncer à la vie et à la propriété, et la laisser à celui qui la prend ; Notre Seigneur nous pourvoit suffisamment, et il ne nous abandonnera pas, ainsi qu'il l’a promis. Souffrance, souffrance; croix, croix ! Ceci et rien d’autre est la loi chrétienne !"
"peu importe à quel point vous avez raison, ce n’est pas à un chrétien de faire appel à la loi,ou de se battre, mais plutôt de souffrir les torts et endurer le mal ; et il n’y a pas d’autre moyen ( 1 Corinthiens 6:5)."
"Si vous étiez chrétiens, vous arrêteriez de défier et de menacer, vous demeureriez en prière pour le Seigneur et feriez avancer votre cause auprès de Dieu en priant, et en disant : « Ta volonté sera faite » et « Délivre-nous du mal». Amen."
" Vous auriez le pouvoir et la richesse, afin de ne pas souffrir du mal; et pourtant, l’Évangile ne tient pas compte des questions terrestres, et implique que la vie extérieure se compose uniquement de la souffrance, du mal, de la croix, de la patience et du mépris de la richesse et de la vie ici-bas.
"SUR LE TROISIÈME ARTICLE « Il n’y aura pas de serfs, car le Christ a rendu tous les hommes libres. » Cela fait de la liberté chrétienne une chose tout à fait charnelle. Abraham et d’autres patriarches et prophètes n’ont-ils pas eu d’esclaves ? Lisez ce que saint Paul enseigne sur les serviteurs, qui, à cette époque, étaient tous des esclaves. Par conséquent, cet article est nul et non avenu au regard de l’Évangile. C’est un vol par lequel chaque homme prend à son seigneur le corps qui est devenu sa propriété. (...) Cet article rendrait tous les hommes égaux, et transformerait le royaume spirituel du Christ en un royaume terrestre et visible ; et c’est impossible. Car un royaume terrestre ne peut perdurer que s’il comporte en lui une inégalité de personnes, de sorte que certains sont libres, d’autres emprisonnés, les uns seigneurs, les autres sujets, etc."
"SUR LES HUIT AUTRES ARTICLES
(...)
Les autres articles, sur la liberté de chasser, sur les oiseaux, les poissons, le bois, les forêts; sur les services, la dîme, les accises, les mainmortes, etc., je les laisse aux avocats,car il n’est pas approprié que moi, évangéliste, je les juge ou décide de leur bien-fondé. A moi me revient d'instruire et d’enseigner la conscience des hommes dans les choses qui concernent les questions divines et chrétiennes ; il y a assez de livres sur les autres choses dans les lois impériales . J’ai dit ci-dessus que ces choses ne concernent pas un chrétien, et qu’il ne doit pas s'en soucier".
Plus que toute intégrité physique, plus que tout bien-être matériel et moral, le théologien réclame des paysans de se soumettre totalement à une vision mortifère du salut, qui non seulement ne veut pas entendre les souffrances terrestres, bien réelles des hommes, mais qui considère, nous l'avons vu ailleurs, qu'elles en sont aussi un instrument.
On peut alors, se demander qui est le plus fou, entre Müntzer et Lüther. Celui qui a affirmé bien des fois un certain nombre de choses du même ordre, mais décide malgré tout de défendre les paysans et de lutter auprès d'eux contre l'oppression, ou celui qui les proclame sans avoir jamais le moindre doute et se fait complice de l'exploitation de l'homme par l'homme, jusqu'à devenir, nous allons le voir, celui de crimes abominables ? Nous pouvons donc, le dire très clairement : Par sa doctrine, Luther donne à la puissance politique les qualités d'une forteresse inexpugnable, appose un sceau divin sur les richesses des Grands et leur fournit un coffre-fort inviolable. De ce fait, le théologien condamne les pauvres à la servitude, à l'esclavage, à la misère et à toutes les souffrances qui en découlent, ad vitam aeternam. L'idéologie chrétienne véhiculée par Luther et tous les théologiens de son acabit est donc une idéologie mortifère, criminelle, ignoble du point de vue du droit humain à être libre et heureux, et comprise comme telle par ceux qui ont écrit les Douze Articles de Memmingen.
Devant les succès des insurgés, Luther va rédiger vers le 4 mai 1525 son violent pamphlet "Contre les hordes criminelles et pillardes des autres paysans" (Wider die Rewbischen und Mordischen Rotten der anderen Bawren). Ces "autres paysans" sont "les rustauds de Thuringe qui, ralliés à l'idéal de Müntzer, « attaquent avec le poing » (greyffen mit der faust, p. 357)", WA, vol. 18. Dès les premiers mots, Luther affirme sans vergogne que dans son texte précédent sur les Douze Articles, il n'avait pas "osé juger les paysans, car ils s'étaient proposés d'agir avec droiture et d’être instruits, et le commandement du Christ, dans Matthieu VII, dit que nous ne devons pas juger." Désormais, pour Luther, ils sont devenus des "menteurs", "se sont laissés aller à la violence, au vol, à la fureur, et agissent comme des chiens fous." et tout ceci est le travail du démon, dû particulièrement à leur chef, "l'archidémon" de Mühlhausen, on aura reconnu Thomas Muntzer, bien sûr.
rustauds : Ce terme est utilisé un peu abusivement, ici, car il n'est pas employé dans le milieu allemand de Müntzer : "Le terme « rustauds » était en usage à la cour de Lorraine pour désigner, avec une certaine dose de mépris, les paysans révoltés. Les apologistes de l’entourage du duc Antoine de Lorraine, Nicolas Volcyr ou le chanoine Laurent Pillard qui publia une Rusticiade, l’emploient dans ce sens, voir Rusticiados libri sex…, Metz, Jean Palier, 1548. Traduction par Dupeux, 1875."
Luther accuse les paysans de "trois péchés terribles contre Dieu" : Premièrement, après avoir juré obéissance à leurs seigneurs, ils ont brisé, par la violence, cette loi de Dieu attachée aux puissances supérieures et ont perdu "corps et âme, comme infidèles, parjures, menteurs, valets désobéissants, scélérats..." "Deuxièmement, ils sont entrés en rébellion, volent avec violence, pillent des monastères et des châteaux qui ne leur appartiennent pas, à cause de quoi ils ont une deuxième fois mérité la mort de leur corps et de leur âme, ne serait-ce que comme des meurtriers et des voleurs de grand chemin... Car la rébellion n’est pas un simple meurtre, mais c’est comme un grand feu, qui attaque et jette une terre entière... En troisième lieu, ils dissimulent ce péché terrible et horrible derrière l’Évangile, s’appellent « frères chrétien », reçoivent des serments et des hommages, et obligent les gens à tenir avec eux à ces abominations... Je n’ai jamais entendu parler d’un péché aussi hideux. Je soupçonne que le diable sent venir le Dernier Jour et entreprend donc un acte aussi inouï, comme s’il se disait : « C’est le dernier, c’est donc le pire... » On n'aide pas les paysans quand on prétend d'après la Genèse que toutes les choses ont été créées libres et communes, et que nous avons tous été pareillement baptisés. Par-dessous le Nouveau Testament, Moïse ne compte pas ; car là se tient notre Maître, le Christ, et nous soumet, avec nos corps et nos biens, à l’empereur et à la loi de ce monde, quand il dit: «Rendez à César les choses qui sont à César». Paul, aussi, dit, dans Romains XII, à tous les chrétiens baptisés: « que chaque homme soit soumis au pouvoir », et Pierre dit : « Soyons soumis à chaque ordonnance de l’homme. » Par cette doctrine du Christ, nous sommes tenus de vivre, comme le Père commande du ciel, en disant: « C'est mon fils bien-aimé, écoutez-le. Car le baptême ne libère pas les hommes dans leurs corps ou leurs possessions, mais dans leur l’âme ; et l’Évangile ne rend pas les biens communs, sauf dans le cas de ceux qui le font de leur plein gré, ce que les apôtres et les disciples ont fait dans les Actes IV. Ils n’exigeaient pas, comme le font nos paysans fous de rage, que les biens des autres - d’un Pilate ou d’un Hérode - soient communs, mais seulement leurs biens propres. Nos paysans, cependant, voudraient les biens des autres hommes en commun, tout en gardant leurs propres biens pour eux-mêmes. De bons chrétiens que ceux-là ! Je pense qu’il n’y a pas un diable qui soit demeuré en enfer : ils sont tous venus posséder les paysans. Leur délire est allé au-delà de toute mesure."
Au bout de cet argumentaire, Luther finit par déclarer : "Je ne m’opposerai pas à un dirigeant qui, même s’il ne croit pas dans l’Évangile, frappera et punira ces paysans sans offrir de soumettre son affaire en jugement. Car il est dans son droit, puisque les paysans ne se battent désormais plus au nom de l’Évangile, mais sont devenus des meurtriers, des voleurs et des blasphémateurs sans foi...(...) "D’abord, il doit porter la question à Dieu, confessant que nous avons mérité ces choses, et se souvenant que Dieu peut, peut-être, avoir ainsi suscité le diable comme une punition sur toute l’Allemagne."
"les dirigeants ont une bonne conscience et une cause juste; ils peuvent donc dire à Dieu avec toute l’assurance du cœur: « Voici, mon Dieu, tu m'as nommé prince ou seigneur, de cela je ne peux pas douter ; et cela bien que j'ai dû faire tomber l’épée sur les méchants (Romains XIII). C’est ta Parole, et elle ne peut mentir. Je dois accomplir mon devoir, ou renoncer à ta grâce. (...) Étrange époque, où un prince peut gagner le ciel par un bain de sang mieux que d'autres hommes au moyen de la prière. (...) "
"Ainsi, il se peut que celui qui est tué en combattant aux côtés du souverain puisse devenir un vrai martyr aux yeux de Dieu, s’il se bat avec une autant de conscience que je viens de décrire, car il est dans la Parole et l'obéissance de Dieu."
"Enfin, il y a une autre chose qui devrait décider les dirigeants à agir. Les paysans ne se contentent pas d’être eux-mêmes les instruments du diable, mais ils forcent et obligent beaucoup de bonnes gens contre leurs volonté à rejoindre leur ligue diabolique, pour leur faire ainsi prendre part à tout ce qu'ils possèdent de méchanceté et de damnation. (...) Un chrétien pieux devrait subir une centaine de morts, plutôt que de donner un poil de consentement à la cause des paysans."
"la rébellion est intolérable et...la destruction du monde est à prévoir toutes les heures."
C'est dire si Luther envisageait une bataille dantesque qui mettrait en péril toute l'Allemagne, au point d'accepter l'aide d'un souverain non chrétien pour débarrasser le monde de tous les paysans révoltés. C'est dire, aussi, à quel point Luther était prêt à sacrifier un nombre incalculable de vies humaines, comme de nombreux chefs religieux, au nom de ce qu'il pensait être la vérité. Mais là, répétons-le, il y a de multiples témoignages de l'insoutenabilité de l'oppression des riches sur les pauvre, rapportés, répétons-le aussi, des deux côtés du conflit. C'est là une nouvelle leçon à méditer sur les conséquences incommensurables des ravages, des maux créés, entretenus ou accrus par les idéologies, et au premier chef les croyances religieuses, dans l'histoire.
Le travail de sape de Luther n'aura aucun effet sur les insurgés. Dans les différentes lettres lettres envoyées par Müntzer durant la phase aiguë du conflit, on perçoit toujours que les motivations religieuses du prédicateur d'Allstedt sont toujours primordiales, mais qu'il s'est aussi pénétré de la détresse des paysans. Le 4 mai 1525, en campagne devant Duderstadt, Müntzer parle de "liberté chrétienne" (Matheson, 1988 : 145-46, n°79) au comte Günther von Schwarzburg, "président de la communauté chrétienne du pays de Schwarzburg" : Ce noble personnage n'est pas le seul de son état à participer à la guerre à côté des paysans. On trouve des aussi des nobles de Franconie (Franz, 1963 : 369-70, n° 121) par exemple, ou en Thuringe, comme le duc George de Saxe et les comtes Botho von Stolberg et Ernst von Holstein (Gess, 1905 : II 336 et n.1, n° 1075). Il ne faut cependant pas être dupe de ces alliances ponctuelles entre classes si opposées. Certains nobles espéraient augmenter leurs domaines au détriment de ceux de l'Eglise, ils « n'étaient pas préparés à cette révolte paysanne. Au début, ils furent assez tolérants, pensant que ce mouvement était dirigé principalement contre le clergé et les monastères, et leur comportement durant le conflit n'était le plus souvent pas militaire. Ils furent facilement intimidés par les cohortes de paysans plutôt que résolus à établir l'ordre, se contentant quelquefois de sauver leur peau à n'importe quel prix (...) Il n'est pas surprenant, cependant, qu'un certain nombre de nobles aient passé des accords avec les rebelles, promettant un peu vite de faire réparation à leurs griefs, allant même jusqu'à faire partie des groupes paysans au titre de "frères chrétiens" » ( The German Peasants' War : A History in Documents, Tom Scott et Bob Scribner, New Jersey et Londres, Humanities Press International, 1990)
A ses "frères chrétiens de Schmalkalde" [Smalcald] (Matheson, 1988 : p. 148), le 7 mai 1525, Müntzer affirme que "Dieu donne sa préférence aux choses folles et préfère rejeter les choses sages". Le lendemain, il affirme que "Satan a beaucoup à faire et même davantage. Il cherche à s'opposer au bien public (...) Nous n’avons donné aucun ordre aux gredins de ce type, qui poursuivent seulement leur intérêt propre". Le 9 mai 1525, aux habitants d'Eisenach, il réitère un des arguments théologiques qu'il a évoqué maintes fois pour combattre la misère : "Comment est-il possible à l’homme du peuple, avec tous les problèmes que lui posent les biens matériels, de recevoir à son tour,, de bon cœur, la pure parole de Dieu, Matthieu 13, Marc 4. Luc 8 ?" (Wehr, 463, 12f). Ainsi, contrairement à Luther, c'est bien le message évangélique de justice et de partage qui finit par faire cheminer Müntzer avec les révoltés, et la suite de la lettre citée nous en fournit un témoignage :
"C’est pour cette raison, frères bien-aimés que vous n’auriez pas dû voler si déloyalement nos compagnons en leur enlevant leur caisse en même temps que leur capitaine. Cette brave bande sans malice faisait confiance à votre belle apparence, vous qui n’aviez cessé de parler à grands cris de la justice de la foi. Mais en vérité, ce méfait accompli contre nos frères prouve votre perfidie. Si vous êtes prêts à le reconnaître, nous vous demandons amicalement de rembourser le dommage. Car leur dommage est aussi le nôtre, de même que leur bien est notre avantage à nous tous. S’il faut vous donner un conseil, c’est de ne pas mépriser les gens de peu comme vous avez coutume de faire, car le Seigneur élève les humbles pour renverser les puissants insensés de leur trône et confondre les docteurs en Ecriture déloyaux et traîtres." (Lefebvre, 1982).
Détail d'une fresque géante de 1700 m² (1977-1987, de Werner Tübke (1929-2004), panorama de la guerre paysanne de 1524-1525, œuvre commandée par le gouvernement de la RDA qui a son musée propre, le Panorama Museum, à Bad Frankenhausen en Allemagne.
Sur fond vert se détachent Müntzer en rose et Luther en noir, les deux ennemis emblématiques de cette épisode historique.
Le 12 mai 1525, Müntzer est à Frankenhausen et adresse une lettre au comte Ernst von Mansfeld (et une autre à son cousin Albrecht) pour lui demander de venir, en toute sécurité au moyen d'un sauf-conduit, en lui affirmant : "Vous devriez, et vous êtes même tenu de prouver, que vous êtes un vrai chrétien... Vous devez aussi vous repentir de votre indéniable tyrannie" (traduction tirée de la version anglaise de l'universitaire écossais Andrew Drummond :
https://andydrummond.net/muentzer/PDFs/letter_to_ernst_mansfeld_12_May_1525.pdf)
Il y a là une sorte d'inconscience et de totale inexpérience en matière militaire, mêlées à son exaltation perpétuelle, qui fait tenir à Müntzer de tels propos, cerné de partout qu'il est avec ses troupes, signant plusieurs de ses lettres "Thomas Muntzer mit dem schwert Gedeonis, ("Thomas Miintzer muni de l'épée de Gédéon"), en référence au livre des Juges (7 : 14). Le 15 mai 1525, le duc George, catholique, et son gendre protestant, le landgrave Philippe de Hesse, à Frankenhausen, mettent fin à cette formidable révolte de manière extrêmement violente, où cinq mille hommes perdent la vie dans un bain de sang, chiffre fourni par Luther dans son pamphlet "Eyn schrecklich..." (voir plus loin) et confirmé par les historiens (Stauffer, 1982). Mais cette terrible répression (on parlera de crime de masse) fera bien plus de victimes en Alsace, de 15.000 (Bishoff) à 18.000 (Blickle) selon les historiens : nous le verrons dans un autre article.
Müntzer réussit à s'échapper, mais fut fait prisonnier, livré au comte de Mansfeld, demeura prisonnier dans la forteresse de Heldrungen avant d'être soumis à la question, où, sous la torture, il finit par rétracter ses fautes le 17 mai et fut décapité le 27 mai 1525 aux côtés d'Heinrich Pfeiffer.
"Le misérable sac à asticots" (Müntzer à Luther, dans une lettre au comte de Mansfeld, WA, vol. 18, p. 369-371) avait fini par avoir raison de lui et criait sa victoire dans un pamphlet proclamant que le jugement divin s'était abattu sur le "prophète meurtrier et sanguinaire" : "mördischer und blut gyriger prophete" (Eyn schrecklich geschicht und gericht Gottes uber Thomas Muntzer ("Une effrayante histoire et un jugement de Dieu contre Thomas Muntzer", WA, vol. 18, p. 367). Mais Luther, de manière opportune, rajoute quatre documents à ce pamphlet, comme preuves supplémentaires à charge contre son adversaire défait. En particulier la lettre à Albrecht de Mansfeld, qui montre que Müntzer a reproché et foulé aux pieds sa proposition de négociation. Luther, finalement, face à une violence qu"une "justice universelle" peut estimer légitime, ne fait pas autrement que les autres pouvoirs civils : il montre au yeux du monde la violence des révoltés et la brandit comme preuve absolue de l'illégitimité, de la nature criminelle de l'action du peuple. Aujourd'hui, cette violence n'a même plus à s'en prendre aux personnes pour discréditer la revendication populaire : pour être montré comme un monstre, il suffit de jeter un pavé dans une vitrine.
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