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 Le drame palestinien 

  LE LIVRE NOIR         DU          SIONISME (III)

  « Le sionisme

     a accompli

   des merveilles »

                 .

      1940 - 1947

bêtes du désert

 

                             Les Arabes :  bêtes du désert 

 

 

 

Ben Gourion n'attendra pas la publication du Livre Blanc pour réagir. Immédiatement après après l'échec de la Conférence de Londres, en mars,  il appelle l'Exécutif de l'Agence Juive à abandonner la havlaga et à redoubler d'efforts pour accélérer et renforcer  la défense des intérêts juifs.  Il propose en particulier des actions de désobéissance civile et de non coopération  (Hoffman, 1985 : 40).   Aucun Juif ne devait participer à « des institutions gouvernementales destinées à mettre en œuvre le Livre blanc ». Les efforts d’immigration illégale devaient être accélérés et toute loi interdisant l'expansion et la consolidation du Foyer national, ignorée. Les fortifications juives dans toute la Palestine seraient renforcées, leurs armureries approvisionnées et les capacités de fabrication d'armes clandestines seraient développées. Enfin, toute tentative pour désarmer le Yishouv devrait trouver une opposition très ferme  (op. cité) .  L'ensemble du plan sera accepté par l'Agence dès le mois d'avril 1939.   

 

Continuant son opération de séduction, MacDonald modifie son plan en limitant les transactions foncières entre Juifs et Arabes, propose un transfert progressif des compétences administratives aux habitants de la Palestine, amendements qui conduisent au nouveau Livre Blanc du 17 mai 1939, qui précède l'allègement des politiques répressives envers les Palestiniens et la libération d'un grand nombre de détenus arabes, évalués à 5679  (Weinstock, 2011). Dès le lendemain, cinq membres de l'AHC se réunissent autour d'Amin al-Husseini (F. Saba, Jamal al-H, H. al-Khalidi, I. Darwaza et A. Rock, mais quatre membres se désistent, en rupture avec les méthodes du mufti.  Le petit groupe vote à l'unanimité le rejet du Livre Blanc, quand bien même les Arabes se retrouvaient enfin en position de force pour négocier avec les Britanniques la cessation de la politique du Foyer national juif.  Benny Morris ou encore Nathan Weinstock pensent qu'Amin al-Husseini a fait manquer des opportunités aux Palestiniens pour des raisons bien égoïstes, car les propositions du Livre Blanc ne lui auraient pas permis de diriger lui-même le nouvel Etat (Benny Morris, "The Tangled Truth", The New Republic, article du 7 mai 2008 ;  Weinstock, 2011, chapitre 6).  

 

En réaction au Livre Blanc, l'Irgoun commence une nouvelle  campagne de terreur contre les Arabes et la puissance britannique, mêlant bombes et attaques terroristes armées, à la mitrailleuse, en particulier.  Elle défend sa cause comme tous les sionistes l'ont fait jusque-là, avec un attirail idéologique simpliste qui transforment les colons juifs en défenseurs d'une cause juste, se prenant même pour des révolutionnaires luttant pour la liberté de leur nation et proclamant prendre modèle sur l'IRA, Irish Republican Army  (Archives du Jabotinsky Institute JI 4/15 K-4 Irgun Press,  N° 1/5, août 1939).  

 

                        1939

23 mai     :       1 policier tué à Jérusalem. 

29 mai    :       18 personnes, dont 3 policiers britanniques blessés par l'explosion d'une mine au                                      cinéma Rex de Jérusalem.

                             5 morts lors d'un raid à Biyar'Adas.

2 juin       :         Attentat à la bombe à la Porte de Jaffa à Jérusalem, 5 morts

                           Attentat à la bombe contre 21 centraux téléphoniques.

8 juin          :       Sabotage par explosion d'une bombe de la Poste Centrale de Jérusalem.

12 juin     :          1 démineur mort en tentant de désamorcer une bombe dans un bureau de                                         poste  à Jérusalem.               

16 juin     :        6 morts dans différentes attaques à Jérusalem.

19 juin       :       20 morts par explosifs cachés sur des ânes, au milieu d'un marché, à Haïfa.

29 juin      :        13 morts dans des attaques rapprochées durant une heure autour de Jaffa.

30 juin      :        Attentat à la  bombe sur le marché d'Haïfa, 1 mort.

                               2 personnes abattues à Lifta.

2 - 5  juillet   :     31 opérations sur des marchés arabes, des cafés, des transports public ou des                                                 villages  (Hoffman, 1985)

3 juillet        :         1 mort par bombe dans un marché à Haïfa.

4 juillet        :         2 morts dans deux attaques à Jérusalem.

20 juillet      :        1 mort à la gare de Jaffa.

                                6 morts dans différentes attaques à Tel-Aviv.

                                3 assassinats à Rehovot.

26 août        :          2 policiers britanniques tués par une bombe en bord de route, Ralph Cairns et                                         Ronald Barker, du département d'enquêtes criminelles (Palestine Police's Criminal                                 Investigation Department, CID),  l'Irgoun accusant Cairns d'avoir torturé plusieurs                         de ses membres  (John, Robert, "The Palestine Diary : 1914-1945", BookSurge Publishing, 2006).  Selon des dossiers du MI5 britannique, il semblerait surtout que  Cairns, via un informateur de l'Irgoun appelé Benjamin Zerony, était en train de  refermer une nasse sur un des leaders de l'Irgoun, Avraham Stern (Abraham S., 1907-1942), dit Yair (יאיר), Polonais émigré en 1925 en Palestine, poète, qui anime des cellules combattantes en Pologne et des réseaux d'immigration illégale. Il devient officier combattant pour l'Irgoun en 1932  (Zev Golan, Free Jerusalem: Heroes, Heroines and Rogues Who Created the State of Israel,  Devora Pub, 2003).                                        

               

sources :   List of Irgun attacks,  article de Wikipédia

Jusque-là, la Haganah n'avait pas pratiqué des actes de sabotage, qu'elle initia au travers de Compagnies spéciales (Peulot Meyuhadot : POM), actives entre juin et septembre 1939 :

 8 juin  :        Minage d'un patrouilleur qui permettait de lutter contre l'immigration clandestine.

                       1 mort (le commandant) et 5 membres d'équipage blessés.

 13  juin   :   Représailles contre des assassinats de Juifs, en particulier le conducteur de                                        locomotive Mordechai Shechtman.  5 habitants d'un village kidnappés et tués.  

 15 juin    :      3 personnes assassinées et 3 blessées  près de Lubya, en Galilée.

Le pire se produit  dans leur lutte pour la défense de l'alyah B, alors que les Britanniques, qui avaient ouvert grandes les vannes de l'immigration juive en Palestine, les avaient refermées de la pire manière, établissant un blocus qui refoulait tout bateau de migrants, même en situation d'urgence. Voulant ainsi empêcher un paquebot français, le Patria, saisi par les Britanniques, de repartir vers l'île Maurice avec ses 1770 passagers, la Haganah manipula mal les explosifs posés sur la coque du navire, qui coula avec plus de 250 personnes, le 25 novembre 1940. Etaient entre temps arrivés  le SS Pacific, le SS Milos et le SS Atlantic,  en novembre 1940,  dont les réfugiés furent en partie transférés sur le Patria, et que, finalement, les Britanniques enverront vers l'île Maurice. Pire, le Struma, dont les 769 passagers furent aussi interdits de débarquer,  sera quant à lui torpillé en Mer Noire et sombrera avec presque tous ses passagers (Weinstock, 2011). Enfin, un des commandants du POM, Yitz’hak Sadeh, met en place de nouvelles unités spéciales, créées pour s'en prendre à des terroristes arabes, des dénonciateurs collaborateurs juifs, ou encore des objectifs britanniques.   

Ytz'hak (Ytzhak) Sadeh   :   né Isaac Landoberg (1890-1952), en Russie (Lublin, Pologne actuelle), il combat pour l'Armée Rouge, puis Blanche de Wrangel, et émigre en Palestine en 1920. La même année il cofonde la  Gdud Ha'avoda (cf. 1e partie), qu'il commandera et entre au comité de la Haganah et au Conseil de l'Histadrout l'année suivante. Il participe à la défense de Jérusalem en 1921, à celle d'Haïfa en 1929, fonde la Nodedet  (הנודדת : "Le Vagabond"), en 1936, une unité mobile de combat qu'il dirige avec Eliayu Cohen dit E. Ben-Hur (1907-1985), commandant de la Haganah.

En 1937, il crée et dirige avec E. Cohen, une unité d'élite appelée POSH (פו"ש) ou FOSH, acronyme de Plugot Sadeh  (פלוגות השדה : "compagnie de terrain"), pour protéger les différentes colonies juives. En 1941, il crée (et commande jusqu'en 1945) des  compagnies ou unités de chocs : Plugot Mahatz (Plougoth M., par acronyme : Palmah, Palmach (פלמ"ח), en prévision d'attaques allemandes.  

 

sources :  Yehuda Wallach, Atlas du Sionisme à l'Indépendance, Jérusalem, Karta, 1972  ; Yoram Kaniuk, Exodus - A Commander’s Odyssey, Kibboutz HaMeuhedet Press, 1999.  

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      Haggadah non traditionnelle,  Kibboutz Givat Brener, 1942

                                    impression au pochoir

     Haggadah, terme  hébreu (הַגָּדָה,) du verbe « raconter » ; pluriel : Haggadot) . Le terme désigne un ensemble de textes dédiés au Séder de la Pâque juive. 

 

 

Une grève est lancée par le Vaad Leoumi au lendemain de la publication du Livre Blanc, le 18 mai 1939, et des manifestations de protestation sont très durement réprimées par la police britannique. Des Juifs saccagent des bureaux du gouvernement à Tel Aviv et à Jérusalem, mettant le feu au Département d'immigration, et la nuit suivante, la révolte se poursuit, pendant laquelle un policier trouve la mort et où 200 manifestants ont été blessés.  De telles explosions de colère, où on pouvait voir des Juifs battre des soldats et des policiers britanniques étaient jusque-là inédites (Hoffman, 1985). Ben Gourion commenta ainsi les faits : "Les manifestations juives d'hier ont marqué le début de la résistance juive à la politique désastreuse désormais proposée par Le gouvernement de Sa Majesté." (ESCO Foundation for Palestine, Inc., Palestine : A Study of Jewish, Arab and British Policies, II, New Haven, 1947).  De son côté, l'Agence juive écrivait une lettre de protestation au Haut-Commissaire et déclarait que c'est "à l'heure la plus sombre de l'histoire juive que le gouvernement britannique propose de priver les Juifs de leur dernier espoir et de leur fermer la route qui conduit à leur patrie. C'est un coup cruel, d'autant plus cruel qu'il vient du gouvernement d'un grande nation qui a tendu une main secourable aux Juifs, et dont la position doit reposer sur des fondements d'autorité morale et de réputation internationale.... Les Juifs n'accepteront jamais qu'on leur ferme les portes de la Palestine, ni que leur foyer national soit reconverti en ghetto." (cité par Laqueur, 1969). 

ESCO   :  acronyme tiré du nom d'Ethel S. Cohen, épouse de Frank Cohen (1893-1959), philanthropes qui créèrent cette fondation en 1940 pour soutenir des projets sionistes en Palestine mandataire.  

 

Les Juifs sionistes faisaient alors  l'expérience qu'avaient faite les Arabes avec les Britanniques près de trente ans auparavant. Leur "amitié" n'était plus intéressante alors ils avaient cessé du jour au lendemain leurs manifestations de soutien, avaient publiquement montré qu'ils étaient de nouveau sensible aux préoccupations arabes. Ils le démontraient une nouvelle fois le 5 octobre 1939, quand des membres de la Haganah ont été surpris en plein entraînement, dans la région de la  Basse Galilée, par un détachement de la  Trans-Jordanian Frontier Force (TJFF).  Voilà des hommes qui, à peine trois mois auparavant, appuyaient l'armée dans sa lutte contre la rébellion arabe, et qui se retrouvaient arrêtés pour détention illégale d'armes à feu, et condamnés de...dix ans de prison  à la perpétuité pour leur commandant  (Hoffman, op. cité). Livre Blanc en main, les Britanniques justifièrent leurs raisons de réduire à néant tous les petits arrangements entre (ex) amis. Cependant, beaucoup d'entre eux étant mobilisés en masse sur les théâtres d'opération de guerre contre l'Allemagne, ils n'avaient pas les ressources nécessaires pour désarmer efficacement l'ensemble des forces armés juives qui, d'autre part, ont continué de les appuyer contre les forces de l'Axe au Moyen-Orient. Ce qui n'a pas empêché l'incident du 16 novembre 1943, au kibboutz de Ramat Ha-Kovesh, près de Petah Tikva.  A la recherche d'armes, l'armée britannique a connu une résistance acharnée des habitants. On déplora la mort de Shmuel  Wolynetz et 14 blessés, tandis que 35 personnes ont été arrêtées ("מעשה התעללות בישוב העברי - התנפלות המשטרה על רמת הכובש". article de Davar, 28 novembre 1943).  Dans son rapport, le  commandant confia que malgré sa longue expérience de maintien de  l'ordre en Irlande et en Inde, il n'avait "jamais été témoin d'une réaction si violente et si fanatique"  (PRO [Public Record Office] WO 208/1702, Rapport du Brigadier I. C. Cameron, novembre 1943). Voulant éviter des rébellions juives et manquant de troupes,  le Haut-Commissaire Sir Harold MacMichael et le commandant en chef des Forces britanniques terrestres au Moyen-Orient (MELF, Middle-East Land Forces), le General Sir Henry Maitland 1er baron Wilson (1881-1964), décidèrent ensemble de suspendre alors toutes recherches d'armes ou de déserteurs dans les colonies juives (Hoffman, op. cité)

Dès 1940, l'Irgoun s'engage à respecter une trêve, mais des voix dissidentes se font entendre et veulent continuer la lutte contre les Anglais.  En août, ils constituent un nouveau groupe paramilitaire appelé Lehi (Lohamei Herut/Herout Israel, לוחמי חירות ישראל : "Combattants pour la liberté d'Israël"), surnommé le Groupe Stern (Stern Gang), du nom d'Avraham Stern, qui le dirigera jusqu'à sa mort, le 12 février 1942, tué par les forces britanniques.  A. Stern décrivait les Arabes comme des "bêtes du désert, et non un peuple légitime" (cité par Amos Perlmutter, The Life and Times of Menachem Begin, New York, Doubleday and Company, 1987, p. 212). Il affirmera aussi : "Les Arabes ne sont pas une nation mais une taupe qui a grandi dans la sauvagerie de l'éternel désert" (cité par Yosef Heller, “Between Messianism and Realpolitik-Lehi and the Arab Question, 1940-1947," dans Yahdut Zemanenu ["Judaïsme contemporain"], revue annuelle éditée par Israel Gutman, Vol. l, 1984, p. 225).

 

L'Irgoun de Ratziel finira par proposer aux Britanniques de capturer celui qui était devenu un ennemi juré : "Stern traite Raziel d’agent britannique. Raziel dira de Stern qu’il est un collaborateur des nazis" (Patrick Bishop, The Reckoning. Death and Intrigue in the Promised Land, Harper Collins, 2014). Admirateur de Mussolini, de Franco ou de Staline, pour leur destin exceptionnel et puissant, Avraham Stern entretiendra des contacts avec l'Italie fasciste et proposera même à l'Allemagne nazie de l'aider. Ainsi, "les juifs possèderaient leur État, débarrassant l’Allemagne d’une base britannique d'importance au Moyen-Orient en même temps qu'elle aurait aussi réglé la question juive en Europe."  (Bishop, op. cité).   

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L'ordonnance du 28 février 1940, la Land Transfer Regulations ("Règlements sur le transfert des Terres"), fait fulminer les colons juifs de Palestine. Divisant la Palestine en trois zones, la plus vaste (zone A) interdit tout transfert de terre à toute personne qui ne soit pas "Arabe palestinien", sauf exceptions autorisées par le Haut-Commissaire. La deuxième zone (zone B), permettaient seulement aux "Arabes palestiniens" de transférer des terres entre eux et,  dans la troisième (zones C), il n'y avait aucune restriction sur les transferts de terres  (The Question of Palestine, "Origins and Evolution of the Palestine Problem : 1917-1947 (Part I)",  Publication des Nations-Unies, 1978). 

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    Palestine mandataire,

carte des zones définies par l'ordonnance du 28 février 1940  :

Zone A  :   en bleu

Zone B   :  en jaune

Zone C  :    en rouge 

          Orzeck, 2013

 

Fermement condamnée par la communauté juive de Palestine, l'ordonnance de février est dénoncée au nom de la discrimination et du racisme :  "L'effet de ces Règlements fait qu'aucun Juif ne peut plus acquérir en Palestine un terrain, un bâtiment ou un arbre, ou tout droit sur l'eau, sauf dans les villes et dans une très petite partie du territoire. Les Règlements refusent donc aux Juifs l’égalité devant la loi et introduisent une discrimination raciale. Ils confinent les Juifs dans une petite zone de peuplement semblable à celles qui existaient dans la Russie tsariste avant la dernière guerre, et comme il n’en existe aujourd’hui que sous le régime nazi. Ils ne violent pas seulement les termes du Mandat mais invalident complètement son objectif principal."  (Palestine Post, 1940, cité par Orzeck, 2013)

 

De nombreuses voix du Yishouv se font entendre sur le même ton, venant pourtant toutes de personnes et d'organisations qui ont tout fait depuis le début de la colonisation pour établir une ségrégation la plus stricte possible entre communauté arabe et juive, nous l'avons vu. Jusqu'aujourd'hui, les sionistes ne cesseront, comme il a été montré jusqu'ici, de défendre leur point de vue uniquement de manière autocentrée et ethnocentrique. Pour le cas qui nous occupe, c'est un peu comme si tous les colonisés du monde avaient été traités de racistes par leurs colonisateurs pour avoir empêché leur emprise et leur appropriation toujours plus grandissante de leur pays.  Cette position traduisait en fait l'affirmation idéologique de toujours des sionistes : Les Palestiniens n'avaient pas plus de droits sur la Palestine que les Juifs.

 

Les dirigeants travaillistes du Yichouv vont alors initier des grèves et  des meetings contre le gouvernement britannique, des manifestations, aussi, si déterminées que les autorités finissent par imposer un couvre-feu. Ce qui n'empêche pas le Yichouv de se mobiliser volontairement et massivement du côté des forces alliées contre le nazisme, au sein du "régiment palestinien" (Palestine Regiment), formés en 1942  sous commandement britannique, comportant  30.000 Juifs (dont 4000 femmes) et entre 5000 et 12.000 Arabes : Palestiniens, Syriens, Libanais, Transjordaniens  (Morris, 1994 ; Weinstock, 2011).  Malgré les demandes juives, les Britanniques refuseront jusqu'en 1944 la création d'une brigade juive, défendue en particulier par Shmuel Mikunis (Mikounis, 1903-1982), le secrétaire général adjoint du Parti communiste palestinien [PCP]  depuis 1936).  Dès 1940, existaient cependant des brigades juives rattachées à l'East Kent Regiment dit "Buffs", mais elles n'avaient pas de missions de combat et étaient affectées à la sécurité, au gardiennage ou à l'escorte (The Central Zionist Archives The Jewish Palestine Buffs) Des dirigeants d'organisations terroristes juives sont libérés pour former des unités de choc au service des Alliés, comme David Raziel, qui perdra la vie le 20 mai 1941 sous un bombardement  par la Lutwaffe de la base aérienne de Habanya  (Weinstock, 2011) ou encore Moshe Dayan (1915-1981),  de la Haganah,  qui perdra un œil en Syrie dû au tir d'un sniper français, des forces de Vichy, alors qu'il guidait les forces australiennes, en juin 1941  (Yehuda Harel, Follow me: the story of Moshe Dayan: Tel-Aviv, Olive books, 1972), et sera plusieurs fois ministre du futur Etat d'Israël. Là encore, toute cette expérience militaire accumulée par de nombreux militaires du Yichouv deviendra cruciale quand il s'agira de combattre les forces militaires arabes. 

 

En parallèle à tous ces évènements, les dirigeants sionistes ne cessent pas de peaufiner leur plan de colonisation.  En 1940,  un historien de l'Université hébraïque de Jérusalem, Luria Ben-Zion (1905-2002),  alors attaché au service pédagogique de l'Agence juive, suggéra au FNJ d'établir un registre détaillé de l'ensemble des villages arabes (qu'on appellera "Dossiers de villages", "Village files", idée reprise aussitôt par Y. Weitz, qui proposa d'en faire un "projet national"  (CZA, cité par Morris, 2000).  Ce travail fut effectué dans les années qui suivirent,  en particulier par le SHAI (SHAY, שירות ידיעות : Sherut Yediot), créé en septembre 1940 par Ben Gourion, la branche de la Haganah dédiée au renseignement militaire et au contre-espionnage, qui collecta un ensemble de données très utiles, ensuite, pour mener à bien les opérations armées des forces sionistes, comme la Haganah ou le Palmah  (Morris, 1991).  La Haganah eut recours à des cartographes, des photographes professionnels (en particulier pour des photos aériennes de villages), qui œuvraient clandestinement, à la barbe de la police britannique, sous couvert d'une "compagnie d'irrigation", au domicile de Margot Sadeh, l'épouse de Yitzhak Sadeh, le chef du Palmah. En 1947, le service cartographique fut déplacé dans la "Maison Rouge", le siège de la Haganah, à Tel Aviv  (Pappé, 2006).

Selon le professeur Gil Eyal, de l'Université de Columbia, les Dossiers de villages regroupaient trois types d'information. Côté militaire, on était intéressé par le nombre d'hommes capable de combattre, le nombre d'armes, la topographie des lieux, etc. Côté diplomatie, on avait besoin de renseignements sociaux récoltés par des "arabisants" (informateurs, collaborateurs), utiles à la hasbara, mais aussi de traces anciennes d'occupation juive, et enfin, tout ce qui avait trait à l'appropriation et la colonisation des terres par leur achat  (Eyal, 2006). Il ne semblait alors pas aisé aux recruteurs juifs, tel Moshe Pasternak,  de créer ce système de collaboration avec "des gens qui aiment boire du café et mangent le riz avec les mains, ce qui a rendu très difficile de les utiliser comme informateurs" (dossier 1/080/451, 1er  décembre 1939, CZA).  En 1940, Ezra Danin, qui était chef d'un réseau d'espionnage pour la Haganah dans le district de Samarie pendant la révolte arabe de 1936-39,  crée la section arabe du SHAI, lui même et son réseau familial, base de son travail de recrutement, parlant couramment l'arabe dialectal et connaissant parfaitement les us et coutumes locales (Marom, 2023). De 1943 à 1945, puis les années suivantes, le Dossier de villages devient une gigantesque base de données renseignant sur de nombreux détails de la vie économique, clanique, politique, religieux, et enfin, militaire, de chaque village.  Ce dernier point, en particulier, met en évidence le déséquilibre des forces entre Arabes et Juifs : la plupart des villages n'ont pas de gardes "et la qualité des armes dont disposent les villageois (qui sont généralement archaïques, voire inexistantes)"  (Pappé, 2006 : "Archives de la Haganah, S25/4131, 105/224 et 105/227, et beaucoup d’autres dans cette série, chacun traitant d’un village différent"). Nous verrons plus tard, qu'au moment de l'expulsion massive des Palestiniens, se confirme ce rapport de forces écrasant entre les combattant Juifs et la population arabe, forces armées comprises. Ezra Danin recrutera plusieurs collaborateurs qui deviendront, nous le verrons, des piliers de la Naqba ("catastrophe" en arabe), et qui n'est rien moins, nous le verrons, qu'un nettoyage ethnique opéré par les forces sionistes, commencé avant même l'indépendance d'Israël :    

 

- Yaacov Shimoni (Jakob Simon, 1915-1996),  en tant qu'assistant de Danin, est un Juif allemand de Berlin, émigré en Palestine en 1935, membre du kibboutz Guivat-Haïm (Givat Chaim), bien au fait du monde arabe puisqu'il a travaillé plusieurs années au département arabe de l'Agence juive et qui, fort de son expérience d'orientaliste, dirigera le département de guerre psychologique de la Haganah en 1948 (The Ohio State Universitynotice biographique). Dans ses écrits, Shimoni montre en particulier comment le manque d'unité des pays arabes, d'organisation, mais aussi les luttes de clans ont sapé les préparatifs militaires des Palestiniens, entre 1945 et 1948  (Ya’acov Shimoni, "The Arabs and the Approaching War With Israel, 1945-1948,” HaMizrah HeHadash [Le Nouvel Est], The New East Quarterly of the Israel Oriental Society, Vol. XII/ No. 3 (47), 1962, pp. 189-211), points dont nous avons un certain nombre d'exemples avant même cette période, nous l'avons vu, mais qui ne doivent pas faire oublier tout ce qui, indépendamment de la volonté des Palestiniens, a alimenté la puissance des colonisateurs et a permis aux sionistes d'anéantir des centaines de villages arabes et de largement vider le nouvel Etat Juif, nous le verrons, de sa population palestinienne.  

 

- Yehoshua (Joshua, Josh) Palmon (1913-1994), arabophone né en Palestine, qui a servi dans une unité de commando britannique et entrera au département arabe du SHAI en 1940 comme officier de renseignements, avant de devenir conseiller aux Affaires arabes du premier ministre Ben-Gourion après l'indépendance d'Israël  (Gelber, 1997 ; Pappé, 2006)

 

- Tuvia Lishanski (T. Lichansky, 1913-2000), officier supérieur de renseignements, comme son père Yosef L., pendu en 1917 dans la prison de Damas en tant que membre de la résistance du réseau d'espionnage Nili. Tuvia L., fut l'instructeur militaire d'Ytzhak Rabin "un de mes étudiants exceptionnels" (Izkor, Mémorial des soldats tombés pour Israël, notice biographique), et comme Shimoni, il  entretiendra des  contacts dans la communauté Druze et d'autres groupes minoritaires arabes du Moyen-Orient pour contrebalancer l'hostilité arabe, mais tous ces groupes étaient trop faibles et trop rivaux entre eux  (Gelber, 1995).   

"Ce sont aussi des noms à retenir, car ils ont pris une part active à la préparation du nettoyage ethnique de la Palestine. Lishanski était déjà occupé dans les années 1940 à orchestrer des campagnes contre les métayers qui vivaient sur des parcelles de terrain que le FNJ avait achetées à des propriétaires présents ou absents, et mettait toute son énergie à intimider puis expulser de force tous ces gens des terres que leurs familles avaient cultivé depuis des siècles."  (Pappé, 2006). 

 

 

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Carte détaillée de l'occupation des terres par les  colons Juifs en  Palestine mandataire,  colonies et villages.

 

 

               carte de 

             Yosef Weitz et

             Zalman Lifshitz,                 pour le compte de    l'Agence Juive.

1944

Entre nous, il est absolument clair qu'il n'y a pas place pour les  deux peuples dans ce pays. Aucun « développement » ne nous rapprochera de notre objectif d’être un peuple indépendant dans ce petit pays. Après avoir transféré les Arabes, le pays nous sera grand ouvert ; avec les Arabes restant dans le pays, en nombre restreint et tenus à l'étroit, lorsque la guerre sera finie et que les Anglais finiront victorieux et lorsque les nations régnantes s'assiéront sur le trône de la loi, notre peuple pourra leur présenter ses pétitions et ses réclamations ; et la seule solution sera la Terre d’Israël, ou au moins la Terre occidentale d’Israël [c'est-à-dire la Palestine], sans habitants Arabes. Il n'y a de place pour aucun compromis sur ce point.  Le travail sioniste jusqu'à présent, en termes de préparation et d'ouverture de la voie menant à la création de l'État hébreu en Terre d'Israël, a été bon et a pu se satisfaire de l'achat de terres mais cela ne fera pas naître l'État : il doit se produire simultanément une sorte de rédemption (dans le sens messianique). La seule façon d'y parvenir est de transférer les Arabes d'ici vers pays voisins, tous, sauf peut-être ceux de Bethléem, Nazareth et de la vieille Jérusalem. Pas un seul village, pas une seule tribu ne doit être oublié. Et le transfert doit s'opérer par leur incorporation en Irak, en Syrie et même en Transjordanie. Pour atteindre cet objectif, on trouvera l'argent nécessaire –  beaucoup, s'il le faut. C'est alors, seulement, que le pays pourra intégrer des millions de Juifs et qu'une solution sera trouvée à la question juive. Il n'y a pas d'autre solution.

Yosef Weitz,  Journal, 20 décembre 1940, A 246/7,  pp. 1090-91, CZA. 

“ Tout au long du voyage, mes réflexions se sont concentrées sur ce plan, auquel je réfléchis depuis des années ; le plan... de vider le pays pour nous y installer. Je connais le difficultés... mais seul le transfert de population permettra qu'advienne la rédemption ... Il n'y a pas de place à la fois pour nous et pour nos voisins... le développement est un processus très lent ....Ils [les Arabes] sont trop nombreux et trop enracinés [dans le pays]... le seul moyen est de  couper et de supprimer ces racines auxquelles ils se rattachent. Je pense que c'est la vérité... je commence à comprendre l’essence du « miracle » qui devrait se produire avec l'arrivée du Messie ; un « miracle » ne se produit pas au cours de l'évolution, mais tout d'un coup. en un instant... je vois les énormes difficultés mais cela ne doit pas nous détourner de notre objectif  

Yosef Weitz,  op. cité, 26 juin 1941, pp. 1172-1173    




       
        Communistes juifs et arabes, même combat ?





Pendant les années de la deuxième guerre mondiale,  la communauté palestinienne va taire toute agitation, demeurant "sourds, en particulier, aux appels à la révolte lancés par le mufti Amine El-Husseini."  (Perrin, 2000).  Cette situation n'est sans doute pas étrangère à la dynamique créée par  l'économie de guerre, aussi chez les Juifs que chez les Arabes, qui subvient aux besoins variés des centaines de milliers de soldats britanniques stationnés en Palestine, sans compter que "l’industrie palestinienne est appelée à se substituer aux fournisseurs défaillants" du fait de la rupture de "canaux d’approvisionnement traditionnels" (Weinstock, 2011).  L'essor industriel et agricole est alors sans précédent en Palestine, et, entre 1939 et 1942, la production nette industrielle  passe de 2.455.000 à 11.488.000 livres palestiniennes pour le secteur juif et de 313.000 à 1.725.000 LP pour le secteur arabe  (op. cité).  : Une fois encore, les chiffres économiques témoignent d'une grande disparité entre les deux communautés dû surtout aux inégalités  des capacités respectives d'investissement :  de presque 5  à 12 millions pour le secteur juif pendant la même période, et de 704.000 à un peu plus de 2 millions pour le secteur arabe  (op. cité). 

Amin el-Husseini ira participer à la révolte contre les Britanniques en Irak, avant de se réfugier en Allemagne où, cela a déjà été dit, il parviendra à rencontrer le führer pour tenter d'obtenir son soutien à la cause de l'indépendance arabe. Rencontre unique qui restera sans lendemain (op. cité).  De son côté, le Reich organisera une propagande massive à destination du Maghreb et du Moyen-Orient, non sans la collaboration d'un certain nombre de représentants du nationalisme arabe, principalement au moyen de la radio, bien plus efficace pour atteindre un large public encore très peu alphabétisé  :  "Cette collaboration produisit une remarquable osmose entre le national-socialisme, le nationalisme arabe radical et l’islam militant. Cette rencontre des cœurs et des esprits entre les exilés arabes pronazis et les fonctionnaires du régime nazi produisit une propagande en langue arabe qui arrivait sous la forme de plusieurs dizaines de millions d’exemplaires de tracts ou de milliers d’heures d’émissions de radio quotidiennes en ondes courtes à destination de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient."  (Herf, 2016). Cependant, là encore, comme dans beaucoup d'articles sur le sujet, Herf n'illustre son propos qu'au travers du sempiternel épouvantail du mufti Amin al-Husseini. Mais on parle beaucoup moins des mouvements de gauche autant nationalistes qu'antiimpérialistes et antifascistes dont la "Palestine était l’un des centres de la riche tradition de publication de gauche, de publications prolétariennes de langue arabe sur le syndicalisme et l’anti-impérialisme. Parmi ces publications, on trouvait : al Nafir (basé à Haïfa), Ella Al Amman (organe du CC/PCP), Majalat al-Ummal (le journal ouvrier)."   (Edna Bonhomme, entretien donné à Contretemps le 7 février 2018, "Panarabisme et internationalisme. Entretien avec Edna Bonhomme" ).  Et ne parlons pas des nombreuses actions des communistes palestiniens contre le fascisme, tels Rafik Jabour (1888-1927), du parti communiste égyptien devenu journaliste pour Falastin, ou Hamdi Husseini, membre de la ligue contre l'impérialisme et de réseaux antifascistes. Avec la nomination, en 1934, de Radwan al Hilu (Hilou, Helou, dit Musa, Moussa, 1910-1975), au poste de secrétaire général, c'est la première fois qu'un Arabe prenait la tête du Parti communiste palestinien, nommé par Moscou, tout comme ceux qui l'avaient précédé, sans parler de la ligne de conduite politique, sans cesse ajustée par le Komintern  (Budeiri, 2012). Cependant, malgré l'arabisation progressive du parti, les militants juifs seront largement plus importants en nombre que les militants arabes, et ce jusqu'à la disparition du parti en 1943, et ceci malgré la désaffection prononcée des Juifs du parti, due à la politique d'arabisation à outrance.  Les traits particuliers de la colonisation de peuplement n'étaient perceptibles ni au parti, ni au Komintern, pour qui l'impérialisme se manifestait toujours par une puissance coloniale investissant un territoire avec ses propres forces matérielles et humaines. Ainsi, à leurs yeux, "les immigrants juifs ont acquis des droits égaux à ceux des habitants indigènes à leur arrivée dans le pays (op. cité), alors que, dans le même temps  "le parti s’était opposé aux efforts sionistes pour établir un État juif en Palestine, avait qualifié les sionistes d’agents impérialistes britanniques et avait appelé à l’indépendance, approuvant en fait l’appel à un État arabe palestinien indépendant."  (op. cité).  On le voit, le PCP avait beaucoup de mal à surmonter ses contradictions : "Pour les travailleurs juifs, il parlait le langage de la lutte des classes, pour les Arabes le langage de l’anti-impérialisme. Il s’est déclaré dans le camp anti-impérialiste, ce qui a l'a conduit à s'aliéner une partie importante des membres juifs du parti. La Grande-Bretagne était l’ennemi principal, et pas seulement pour des raisons d'intégrité idéologique, mais aussi en tant que reflet des réalités de l’intérêt national soviétique. C’est ce qui ressort clairement du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939. Le parti a refusé de soutenir la guerre (une tactique populaire parmi les Arabes, mais inacceptable pour l’écrasante majorité des habitants juifs) et a souffert de la politique répressive des autorités britanniques." (op. cité).  En octobre 1935, le PCP appelle à une campagne internationale pour stopper le fascisme en Ethiopie. En 1936, certains se joignent aux Brigades internationales qui luttent aux côté des républicains espagnols, tels Ali Abdel Khaleq Al-Jibaoui, membre du comité central, mort au combat en Espagne, ou encore Najati Sidqi, du secrétariat du parti (Maher al-Charif, "Les communistes arabes et la lutte contre le fascisme et le nazisme (1935-1945)",  article de la revue Orient XXI,  26 septembre 2016).   

comunistes

Le PCP n'a cependant pas échappé, comme les syndicats de travailleurs (cf. partie I), à une pénétration des idées sionistes. En 1937, alors que Radwan Hassan al‑Hilu, était emprisonné, fut mise en place la "Section juive" par son adjointe Simha Tzabari (Simcha T.) et Farjallah al-Hilu, dirigeant du Parti communiste libanais, envoyé en renfort. On désigna Hanoch Brozaza (dit Zaken, "Le vieil homme", 1910-1964), arrivé en Palestine en 1928, comme secrétaire de la Section, pour en réorienter les activités , dans le sens de la reconnaissance de l'existence de "cercles progressistes au sein du sionisme" et de l'application d'un "entrisme" vis-à-vis des organisations sionistes."  (Budeiri, 1977).  Par ailleurs, S. Tzabari, rédactrice en chef du nouveau journal du parti, Kol Haam (K. Ha'am, "La Voix du Peuple") ayant été arrêtée en juin 1938, Brozaza en prit la direction. 

 

Pour la Section juive,  l'entente entre Juifs et Arabes impliquait l'acceptation de l'immigration juive, la constitution d'une nation juive, une propagande  au seuil de la population arabe en faveur du recrutement pour l'armée britannique, autant de prises de positions condamnées par le parti, qui dissout la Section en décembre 1939.  Par ailleurs, le parti dissout aussi le groupe syndical du parti au sein d'Histadrout, appelé Fraktzia ("Fraction"), créé en 1922 pour tenter de radicaliser de l'intérieur l'organe sioniste, et qui n'avait produit aucun résultat encourageant.  La Section juive poursuivra son activité  dissidente en publiant clandestinement, à partir de juin 1940, un bulletin intitulé Dapei Spartakus ("Les Pages de Spartacus"), puis un journal, HaEmeth (Ha'emeth),  "La Vérité", premier journal journal  socialiste hébreu, publié à Vienne.  Avec l'invasion de l'Union soviétique par les armées du Reich, le PCP entame son autocritique à la fois sur le sujet de sa non  participation  à l'effort de guerre allié et sur son ferme soutien au mufti,  ce qui estompe les principales divergences de vues d'avec le groupe Haemeth, qui réintègre les rangs du parti en juin 1942  (Weinstock, 2011).  En 1943, plusieurs évènements  précipitent la scission définitive des deux camps principaux du Parti communiste palestinien.  A propos de la Brigade juive qui se constitue bientôt,  Mikounis parle de renforcement de l'effort de guerre, quand Moussa et ses partisans évoque une force armée en devenir au service des sionistes.  Le 1er mai 1943, le comité central piloté par Moussa appelle à une manifestation séparée de celle de la Histadrout,  qui encourage ensuite la grève des travailleurs des camps militaires britanniques (cf. plus bas), quand Moussa s'y oppose. L'aile arabe du parti réclame que ce dernier devienne le "Parti National arabe", poussant l'aile juive à faire sécession, en dépit de sa critique du sionisme.  Restant sous la bannière du PCP, les communistes juifs tiennent leur IXe congrès en 1944 sans les membres arabes, dynamisés par l'énergie du couple formé par Meïr Vilner (né Ber Kovner, 1918-2003)  qui émigre en Palestine en 1938, et  sa compagne Esther Vilenska (Wilenska, Wilanska, née E. Novik/Novak, 1918-1975), tous deux originaires de Vilnius, en Lituanie et passés par Hashomer Hatzair et explorant une ligne politique qui se voulait équitable pour les deux communautés du pays : 

 

"La création d’une république démocratique indépendante garantira une pleine égalité de droits à la minorité juive"  (M. Vilner, Kol HaAm, 11 mai 1944)

"Le caractère exclusivement arabe du pays s’est effectivement modifié, d’une part dans la composition de la population, et d’autre part dans son économie. La Palestine est aujourd’hui binationale. Voilà le changement historique en cours (…), d’où, s’agissant de notre politique, des conclusions à long terme" (M. Vilner, cité par Shmuel Dotan, dans "Adumim b’erez Israel" (Les Rouges [Communistes] en Eretz Israel",  Kfar Saba, Shevna Hasofer Publishers, 1991). 

Le IXe Congrès se prononcera sur "« un État arabo-juif » indivisible qui « doit être fondé sur le principe d’égalité des droits, sans distinction de race, de nationalité, de religion ni de genre, et donc sur le principe d’égalité de droit national des Juifs et des Arabes à un développement national, économique et culturel libre ». Un an plus tard, en 1946, lors du Xe Congrès, il sera finalement décidé que « la Palestine est un pays binational »"  (Shlomo Sand, Deux Peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme, Paris, Seuil, 2024)

  pays binational   Peu de Palestiniens arabes, en réalité, soutenaient publiquement le projet binational, auquel était opposé un certain nombre de leaders palestiniens, dont certains, principalement dans le clan du mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, étaient prêts à faire taire les personnalités arabes qui le soutenaient, même s'ils appartenaient à leur propre famille.  Citons les noms de  Fawzi al-Husseini, Darwich al-Husseini, ou Fakhri al-Nashashibi, assassinés pour avoir adhéré à des organisations judéo-arabes prônant la solution binationale  (Pappé, 2004), ou encore celui de Sami Taha, le grand leader d'Union palestinienne des travailleurs arabes, qui avait déclaré  que "les Juifs arabes sont nos concitoyens et frères en nationalité"   (Lockman, 1996).

 

Les principaux leaders des communistes arabes hostiles à la conduite politique du secrétaire du Parti, Radwan Hassan al-Hilu, se groupent quant à eux autour de quelques leaders : 

- Bulus Farah (Bulos F,  1910-1991),  ouvrier ferroviaire, syndicaliste qui prend part au premier Congrès des travailleurs arabes (First Arab Workers' Congress) en 1930, fréquente de 1934 à 1938 l'école du Komintern à Moscou, puis connaît des frictions avec Moussa, puis la dissidence, exclu du parti car soupçonné d'avoir mené la police à l'imprimerie secrète du parti   (Budeiri, 1977).  Avec d'autres intellectuels insatisfaits de la conduite du parti il crée le journal Al-Ghad  ("Demain") et le Movement to reform the Arab Village  (op. cité).   

Tawfik Toubi (T. Tubi, dit Abu Elias, 1922-2011),  de famille chrétienne orthodoxe, qui effectuera  le second plus long mandat de député (communiste) à la Knesset  de 1949 à 1990 (42 ans).

- Emil Tuma (Emile Touma, 1919-1985), d'une riche famille, elle aussi chrétienne orthodoxe, qui interrompt ses études à Cambridge en 1939 pour rejoindre le parti communiste palestinien dans la clandestinité (Emile ToumaInteractive Encyclopedia of  the Palestine Question).  

Les trois amis créent en 1942, du Club des "Rayons de l'Espoir" (Shua al‑Amal, Rays of Hope) à Haïfa, faisant le pont entre les ouvriers des raffineries de pétrole de la région et la Ligue des intellectuels arabes de Palestine (1941). Le Club sera finalement remplacé par la  Fédération des Syndicats et sociétés ouvrières arabes” (“Federation of Arab Trade Unions and Labour Societies” (FATULS), qui "gagna l'adhésion de syndicats de différents grands sites de la région de Haïfa (dont l'Iraq Petroleum Company, les Consolidated Refineries qui venaient d'entrer en service, et les installations de la Shell Oil Company, ainsi que des Ateliers navals, des Organismes de Travaux publics et des camps militaires), mais aussi ailleurs, notamment à Nazareth. Vers la fin de l'année, le Département du travail britannique estimait que la FATULS comptait environ 1000‑1500 adhérents, comparé à l'effectif de la PAWS au plan du pays, d'environ 5000, et le nombre de cotisants à la PLL généreusement évalué à 500. Quant au Parti, il condamna cette "activité scissionniste" et continuait à appeler les ouvriers arabes à s'organiser dans la PAWS."  ("Le mouvement communiste en Palestine 1919‑1949")

 

Comme le Congrès des travailleurs arabes, la FATULS sera chapeautée politiquement par le mouvement politique que le groupe communiste crée en 1944,  la Ligue de Libération Nationale de Palestine, LLN (National Liberation League in Palestine, NLL, uṣbat at-taḥrīr al-waṭaniyy fi filasṭīn). Tous les organes du mouvement bénéficieront des colonnes d'un nouveau journal pour s'exprimer, al-Ittihad, "L'union", fondé  la même année, en particulier par E. Touma, Emil Habibi (Emile H., 1922-1996), romancier et homme politique du milieu  chrétien orthodoxe, qui dirigera le journal de 1948 à 1990,  Tawfik Toubi, qui en sera le rédacteur en chef, ou encore, Fouad Nassar (Fu'ad N., 1914-1976)fils d'instituteurs syriens arrivé enfant en Palestine et activiste  politique depuis l'âge de quinze ans, depuis les soulèvements d'al-buraq en 1929, jusqu'aux combats contre la monarchie irakienne soutenue par les Britanniques, dans le mouvement appelé Rachid Ali al-Gaylani (Carré d’or), en passant par les révoltes de 1936-39, où on lui donna le nom de guerre d'Abou Khaled. Il connaîtra plusieurs fois la prison ou la résidence surveillée à Jérusalem ou Acre, en particulier  (Fouad Nassar,  Interactive Encyclopedia of  the Palestine Question)

La Charte nationale adoptée par la NLL énumère différents règlements, engagements ou objectifs qui, ajoutés à ses orientations idéologiques, présentent des caractères plus ou moins contradictoires : 

- constitution d'un "gouvernement démocratique garantissant les droits de tous les habitants sans distinction"

- opposition à l'immigration, aux transferts de terre et à la création d'un Etat juif

-  admission au mouvement des seuls citoyens arabes

-  "distinction entre sionisme et habitants juifs"

-  soutien à l'économie nationale dans la lutte de la libération nationale

Du côté de ses orientations politique, il faut évoquer l'affirmation d'une compatibilité entre marxisme et islam, et même la recherche de principes religieux islamiques venant  appuyer la doctrine communiste. Pour toutes ces raisons, Emil Touma, propriétaire d'Ittihad, ouvre le bal dans le premier numéro de son journal, paru le 14 mai 1944, qui cite en guise de titre une partie du verset 17 de la sourate Al-Ra'ad ("Le Tonnerre") tirée du Coran, disant : "L’écume disparaît après avoir été rejetée, tandis que ce qui est utile aux hommes demeure sur la terre".  Ou encore, la lettre célébrant la troisième année du journal, le 1er mai 1946, écrite par Emil Habibi, cette fois, cite les propos du deuxième calife, Omar ibn al-Khattâb (584-644), qui aurait juré devant le dieu de la Kaaba (lieu saint de la Mecque) conduire la nation musulmane sur une voie paisible  (Shehadeh, 2019).   Une autre fois encore, dans un bulletin du 8 juin 1944, le journal évoquait une lettre où des représentants musulmans d'Arménie, d'Azerbaïjan et de Géorgie affirmaient leur loyauté commune au "maréchal Staline" en appelant à rejoindre l'Armée Rouge, dans sa "guerre sainte" contre Hitler et les Nazis  (Shehadeh, 2019).   

le soutien

 

       “ le soutien de beaucoup de grands hommes ”

                                   I.      Etats-Unis

« Une histoire remarquable dans l'histoire de la colonisation »

Les sionistes n'ont pas attendu le retournement brutal de la politique britannique envers les Juifs de Palestine pour construire un capital de sympathie auprès des Juifs américains, tel Felix Warburg (1871-1937), le banquier originaire de Hambourg qui, comme de nombreux autres riches mécènes, nous l'avons vu, a financé des colonies juives en Palestine, ou encore l'Université hébraïque de Jérusalem, pour laquelle, on l'a vu, Albert Einstein, a aussi contribué.  Différentes personnalités juives américaines ont joué un rôle important dans la formation des réseaux de soutien des gouvernements américains à la cause sioniste. Commençons par Louis Dembitz Brandeis (1856-1941), ami proche du président Wilson, principal soutien de sa campagne de 1912, juge à la Cour suprême en 1916, enfin, président de l'Organisation sioniste américaine de 1914 à 1918, qui, sans être décisif, influença sans doute positivement le jugement du président Wilson dans les négociations de la déclaration Balfour, en 1917 (Roppestad, 2015)  Pendant longtemps, Brandeis, ne connaissait rien aux rites juifs, ne fréquentait aucune synagogue et n'embrassa le sionisme qu'après la cinquantaine, au point de devenir président de la Word Zionist Organization (WZO) en 1914, promouvant cette cause auprès des Américains: "Chaque Juif américain qui aide à faire avancer la colonisation juive en Palestine, bien qu’il sente que ni lui ni ses descendants n’y vivront jamais, sera également un meilleur homme et un meilleur Américain pour le faire. Il n’y a pas d’incohérence entre la loyauté envers l’Amérique et la loyauté envers la communauté juive." (L. Brandeis, "The Jewish Problem: How To Solve It" discours prononcé à la Conference of Eastern Council of Reform Rabbis, 25 avril 1915).  Par ailleurs, il n'échappe pas comme l'ensemble des élites occidentales, au sentiment de supériorité de sa civilisation sur les autres. De retour de voyage au Moyen-Orient, il écrit : "L'impression la plus répandue en Orient est la monotonie, et on peut établir des comparaisons sur tout avec notre civilisation américaine, sauf dans le domaine des vertus. Dans ces matières, l'Amérique et la Grande-Bretagne excelle [sic] ; et on sent constamment leur supériorité en matière d'hygiène morale, mentale et physique."  (L. Brandeis, "Letters of Louis D. Brandeis, Vol IV (1916-1921) : Mr Justice Brandeis", édité par Melvin I. Urofsky et David W. Levy, Albany, State University of New-York Press, 1975, p. 410).   En 1919,  une brouille naît d'une animosité de Brandeis envers Chaïm Weizmann, et plus généralement les Russes sionistes, leur reprochant d'être indigne de confiance, de manquer d'honnêteté.  Weizmann poussa alors une faction sioniste opposée à Brandeis à la direction de la  ZOA, menée par  Louis Lipsky , qui en deviendra le président de 1922 à 1930, poussant Brandeis à la démission  avec ses associés, comme le rabbin réformé Stephen S. Wise (1874-1949) ou Felix Frankfurter (1882-1965), juge associé à la cour suprême des Etats-Unis, conseiller de Roosevelt après 1933.  Du côté du judaïsme réformé, qui met davantage l'accent sur l'égalité des hommes et des femmes, sur les progrès sociaux et culturels que sur les rites et les pratiques cultuelles, ces trois hommes appartiennent aussi au courant progressiste ("Progressive Movement", vers 1890-1917), dont Brandeis et Frankfurter sont devenus les principaux leaders (comme Roosevelt lui-même), menant de nombreux combats pour le progrès social (salaire minimum, lois antitrust, anti-corruption, etc), un sujet sur lequel nous ne pouvons nous étendre ici. 

 

Brandeis ou Frankfurter ne sont  pas les seuls Juifs sionistes à fréquenter les plus hautes sphères du pouvoir américain.  L'ambassadeur auprès de la Sublime Porte,  Henry Morgenthau (1891-1967),  fils d'un magnat de l'immobilier, se verra confier par le président Wilson une mission secrète en 1917 afin d'instaurer une paix entre l'Empire Ottoman et les Alliés et voulut profiter de cette mission pour verser tout aussi secrètement une somme de 400.000 dollars à la communauté juive de Palestine (Roppestad, 2015) Indépendamment du fait que le projet fut contrarié par Brandeis et Weizmann, pour des raisons de prudence politique, ceci nous montre une des multiples formes dont nous avons parlé, de la puissance des réseaux politiques et financiers des dirigeants sionistes, largement utiles et nécessaires à la réussite de leurs projets de domination économique et politique sur la communauté arabe. Morgenthau, issu de la grande université de Cornell (Ithaca, Etat de New-York), rencontrera le couple Franklin et Eleanor Roosevelt et ce dernier devenu président, confiera nombre de postes prestigieux à Morgenthau, qui deviendra secrétaire du Trésor de 1934 à 1945.  

 

La première grande victoire des sionistes auprès des Américains des Etats-Unis est sans doute celle de la création de l'Agence juive, en 1929, à propos de laquelle les discussions étaient âpres depuis 1923, entre Weizmann et Louis Marshall (1856-1929), tout particulièrement, président de l'American Jewish Committee (AJC, "Comité des Juifs Américains"),  créé en 1906 pour défendre les droits des Juifs. Cette année-là, Félix Warburg accompagnait Weizmann en Palestine où ils étaient reçus avec les honneurs dans une colonie sioniste de premier ordre, Nahalal, où Warburg tint ces propos  : "« J’admire ce que j’ai vu ici et je suis confiant dans l’avenir du pays », a-t-il déclaré, concluant par cette remarque humoristique : « Je crains qu’à l’avenir, il n’y ait plus de candidats pour les sièges non sionistes de l’Agence juive, car tous les non-sionistes deviendront sionistes. »"  ("Warburgs and Weizmann Visit Nahalal, the Leading Zionist Colony", article de la Jewish Telegrahic Agency, 28 avril 1929).  Deux ans auparavant, alors que les discussions sur la formation de l'Agence juive sont en train d'aboutir, Louis Marshall prononce un discours très instructif de la part de quelqu'un qui se prétend non sioniste (ce que des historiens confirment, au même titre que F. Warburg : cf. Weinstock, 2011),  et qui, dans le même temps,  affirme que le sionisme n'a apporté que de bonnes choses et rêve à haute voix que les Juifs reconquièrent un jour le pouvoir en Palestine, le tout sans évoquer une seule fois le  sujet arabe  :

 

 "« Ceux qui, pendant de nombreuses années, ont supporté le poids de la bataille pour une Palestine restaurée, avaient de nobles idéaux, de nobles motivations ; il n’y avait rien d’égoïste dans toute leur théorie et leur pratique », a déclaré M. Marshall. Ils croyaient que c’était vraiment l’une des missions des Juifs une fois de plus de s’installer en Palestine, d’aider à reconstruire les lieux incultes, de donner à ceux qui désiraient y vivre cette opportunité, afin qu’ils puissent vivre la vie qu’ils désiraient poursuivre.

« Pourquoi, demanda M. Marshall, m’opposerais-je à une entreprise qui a conduit à l’élaboration d’une pareille théorie ? Pourquoi devrais-je m’y opposer ? Pourquoi devrais-je m'exprimer contre elle ? Pourquoi ne devrais-je pas sympathiser avec  cet  idéal ? Je n’ai jamais été capable de comprendre cela. Vous savez tout ce que je ne suis pas et je n’ai jamais été un sioniste. Vous savez tous que j’appartiens à une congrégation réformée, que je suis président du temple Emanu-El, et pourtant, je trouve intéressant tout ce qui s’est emparé de l’esprit juif, non seulement de nos jours, mais dans les jours passés. Je ne pense pas qu’il soit incohérent d’être lié à une grande congrégation réformée et en même temps président d’un séminaire orthodoxe. Tous deux prêchent et pratiquent les principes de notre foi sacrée. Les deux sont destinés à glorifier Dieu – tous deux servent le judaïsme.

 Le sionisme a accompli des merveilles au cours des vingt-cinq dernières années », a poursuivi M. Marshall.

Ils ont été la source d'une renaissance de l'étude et de la connaissance de la langue juive qui a fait de l’hébreu une langue vivante. Elle a donné à un peuple qui, à une certaine époque, était indifférent à notre histoire, quelque chose à vivre et à rechercher. Elle a été à l'origine de la création d’une grande université, la fondation de ce qui sera l’une des hauts lieux de connaissance dans le monde, à Jérusalem, et par conséquent, elle a donné aux Juifs un plus grand idéal.

« Le fait, dit M. Marshall, que l’on soit en désaccord avec certains aspects théoriques et académiques du mouvement ne devrait pas être une raison pour ne pas s’unir à ceux qui désirent édifier la Terre Sainte et lui rendre son utilité, sa beauté et sa grandeur qui n’est que naturelle.

« J’aurais honte de moi-même en tant qu’homme, si je sentais que, parce qu’une majorité de Juifs de certaines parties du monde ne désiraient pas réaliser cet idéal, je devrais m’opposer à eux ou à leurs idéaux. Il y a ceux qui disent : « Nous n’avons que faire du sionisme politique. Nous ne voulons pas d’un État juif. Eh bien, c’est un point de vue tout à fait  Mais cela n’a aucune importance, lorsque nous examinons la question de savoir si la Palestine doit être reconstruite. Il n’y a aucun danger qu’un État juif s’y organise à notre époque. Quiconque en parle n’a l’idée que ce serait faisable. Nous sommes satisfaits, nous tous qui avons de la sympathie pour la Palestine, de donner la possibilité d’y vivre à ceux qui le peuvent, qui peuvent y gagner leur vie et devenir économiquement indépendants. Personne n’est obligé de devenir membre d’un État qui n’existe pas et qui n’existera pas jusqu’à ce que le temps arrive où les Juifs pourront être majoritaires en Palestine. Pour l'instant, ils ne le sont pas, et il est peu probable qu’ils le soient avant de très nombreuses années. Leur situation sera alors, si cela se produit, exactement ce qu’est la situation de n’importe quel peuple aux États-Unis aujourd’hui. La majorité gouverne en général, et s’il y avait une majorité de Juifs à Far Rockaway, ou dans n’importe quelle ville alentour, et qu’ils décidaient d’élire des Juifs à des postes, ce serait dans les limites légitimes du système politique qui prévaut dans tous les pays civilisés. N’ayez donc pas peur, mes bons amis, qui vous êtes jusqu’ici opposés au sionisme au motif que vous ne croyez pas en un État juif." 

Louis Marshall, discours dans le cadre de la Far Rockaway Division of the United Palestine Appeal (UPA) tenu dans le  Congregation Shaaray Tefila Center, à Far Rockaway  (Queens, New-York), dans "Louis Marshall in Speech Urges Harmonious Effort for Palestine Rebuilding", article de la Jewish Telegraphic Agency, 15 mars 1927. 

 C'est seulement au moment d'aborder, en forme de réponse, le rapport cinglant du Dr Henry Smith Pritchett  (1857-1939), que Marshall touche aux sujets qui fâchent. Le 29 novembre 1926 paraissait dans le New York Times un rapport intitulé "Zionism Will Fail" ("Le Sionisme échouera"), en forme de condamnation virulente de l'entreprise sioniste par le scientifique américain, astronome, professeur de mathématiques, président du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) entre 1900 et 1906 et membre du conseil d'administration de la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale  (Carnegie Endowment for International Peace, CEIP), pour laquelle il avait rédigé  ledit rapport après une grande tournée au Moyen-Orient, à destination du président de la fondation,  Nicholas Murray Butler (1925 – 1945), déclarant en substance que la colonisation juive attisait les haines, soulignant le choc entre Juifs et Arabes, la pauvreté du pays, etc.. un ensemble de faits mis sous le tapis par Marshall dans son discours, soi-disant "non sioniste". Pritchett laissait entendre que la renaissance d'une Palestine juive enflerait l'ego racial des Juifs (ce qui était le cas, en fait, depuis très longtemps déjà chez les sionistes, nous l'avons vu). Qu'à cela ne tienne, l'orateur lui rétorque a posteriori : "Dans ce cas, réhabilitons-le. Je suis prêt à tenter ma chance doté de l'ego racial" (Marshall, op. cité)   Comme tout partisan du sionisme qui se respecte, en fait, Marshall ne s'intéressait pas le  moins du monde à la réalité concrète du drame palestinien mais uniquement à la gloire du peuple hébreu :  "L'histoire de l'héroïsme des Chalutzim, ajouta-t-il, constitue un chapitre de l'histoire juive qui devrait faire frissonner chaque Juif. Parfois, ils n'ont pas de pain à manger, mais ils chantent les cantiques de Sion. (...) Je n’ai pas l’habitude de poser cette question, mais que dira le monde, si la communauté juive américaine retirait maintenant son soutien, et disait que nous n'aurons rien de tout cela, que tout effort serait voué à l'échec et qu’une telle opportunité ne serait jamais plus offerte au peuple juif ? L’idéal de la Palestine, a-t-il encore déclaré, représente non seulement l’accomplissement de l’aspiration juive depuis les temps anciens, mais il a le soutien de beaucoup de grands hommes, quelle que soit leur croyance, qui reconnaissent la poésie de ce mouvement que nous appelons le sionisme."  (op. cité)   

Avec le désengagement du Royaume-Uni de la construction d'un Etat juif en Palestine, les dirigeants sionistes se tournent donc davantage vers les Etats-Unis pour continuer la réalisation de leur projet colonial. Le 20 juin 1939, Rabbi Solomon Goldman, président de l'Organisation sioniste américaine, écrit à Weizmann, président de l'Organisation sioniste mondiale (1921-1931 et 1935-1946) : "Nous avons toutes les raisons de penser que le président a une fine compréhension de notre mouvement et la plus profonde sympathie pour celui-ci"  (Halperin et Oder, 1962).  

Il faut cependant relativiser la marche en arrière du gouvernement britannique sur la question palestinienne. Comme Martin Gilbert, le grand biographe de Churchill l'a rappelé :

Weizmann avait accès à Churchill. Ils se connaissaient depuis la Première Guerre mondiale (...) Lors de leur première discussion, le 17 décembre 1939, Weizmann pressa Churchill sur cette question de l’avenir de la Palestine après la guerre. (...) Le Dr Weizmann a dit à M. Churchill : « Vous avez été le berceau de cette entreprise. J’espère que vous irez jusqu’au bout. » M. Churchill demanda ce que le Dr Weizmann entendait par « aller jusqu’au bout ». Le Dr Weizmann répondit qu’après la guerre, les sionistes souhaiteraient avoir un État de quelque 3 à 4 millions de Juifs en Palestine. M. Churchill a dit : « Oui, je suis tout à fait d’accord avec cela. » 

Martin Gilbert,  Churchill and the Holocaust : The Possible and Impossible,  discours prononcé au U.S. Holocaust Memorial Museum, Washington, le 8 novembre 1993,  article de l'International Churchill Society,  3 juin 2009.

À la veille de la seconde guerre mondiale, Churchill a contre lui les principaux leaders de son propre camp conservateur, le chef du parti Neville Chamberlain, qui écrit en privé à sa sœur : "Les Juifs ne sont pas des gens aimables, je ne m’en soucie pas moi-même.",  ou encore le premier ministre MacDonald, le même qui avait permis un boom fantastique de l'immigration juive en Palestine, nous l'avons vu, et qui ensuite "avait spécifiquement refusé de délivrer des visas à quelque 25 000 enfants juifs polonais au motif que cela serait, entre autres, bien qu’il ne s’agisse pas techniquement d’une violation du Livre blanc de 1939 sur l’immigration, considéré par les Arabes comme une violation."   (Gilbert, op. cité)Du 10 mai 1940 au 26 juillet 1945, Churchill a beau être au sommet du pouvoir, en tant que premier ministre du Royaume-Uni, il doit harceler "constamment son propre personnel pour être informé de ce qui se passe"  (op. cité) quand il s'agit du problème de l'immigration juive en Palestine, qui continue (depuis très peu de temps, rappelons-le) d'être combattue par son gouvernement (au mépris parfois d'un devoir d'humanité : cf. l'épisode du Patria et du Struma, plus haut).  Et quand Roosevelt et Churchill se rencontrent le 14 août 1941, sur le navire de guerre HMS Prince of Wales, au large de Terre-Neuve,  pour établir  "certains principes communs de la politique nationale de leurs pays respectifs sur lesquels ils fondent leurs espoirs d'un avenir meilleur pour le Monde" (The Atlantic Charter, "La Charte Atlantique"),  ils s'engageaient à ne faire "aucune modification territoriale qui ne soit conforme aux désirs librement exprimés des populations intéressées." (op. cité).  Mais selon Martin Gilbert, toujours, quand  Roosevelt présentera son texte, basé sur les Quatorze points de Woodrow Wilson ("Fourteen Points", 8 janvier 1918),  Churchill soutiendra "cette promesse, mais pas en ce qui concerne les Arabes de Palestine, expliquant à Roosevelt que «la majorité des arabes pourraient prétendre à expulser les Juifs de Palestine, ou en tout cas interdire toute immigration future. » Churchill a ajouté, pour expliquer son inquiétude : « Je suis fortement attaché à la politique sioniste, dont j'ai été l'un des auteurs. »" (Gilbert, 2007).  Le 2 juillet 1943, dans une réunion du Cabinet de guerre (War Cabinet),  Churchill rappelait "l'engagement solennel" de son pays à favoriser un foyer national juif et poussait son Cabinet à planifier l'abrogation du Livre Blanc (White Paper) de 1939, toujours en vigueur à ce moment-là.  Pour ce faire, il fait entrer Leo Amery (cf. Partie I), alors secrétaire d'Etat pour l'Inde et la Birmanie,  dans un nouveau comité pour la Palestine (Cabinet Committee on Palestine), chargé de reconsidérer les plans de partition du pays.  Nourri par divers fantasmes qui font penser à ce que les Britanniques feront en Inde à la même période, le comité pensait par exemple que la vitesse d'exécution du projet était un facteur important de sa réussite, et soulignera ce fait dans la conclusion de son rapport : "Il y a beaucoup à dire en faveur du jugement d’un roi Salomon lorsqu’il y a un espoir raisonnable que chaque moitié de l’enfant survive et mène une vie vigoureuse qui lui soit propre. Mais il ne peut le faire que si la coupe est rapide et nette."  (Palestine Committee Report to the War Cabinet, 20 décembre 1943, PREM 4/52/1 f. 145, UKNA). Amery reprendra l'analogie dans une note adressée à Churchill en janvier 1944 : "La seule chose qui peut rendre possible un jugement de Salomon, c’est la coupe rapide et nette. Ce que nous ne pouvons pas nous permettre de faire, c’est de scier lentement un nourrisson qui couine en présence de deux mères hystériques et au milieu des ululements d’un chœur de parents tout aussi hystériques dans le monde arabe et juif."  (L. Amery, Procès-verbal du secrétaire d’État à l’Inde au Premier ministre, 22 janvier 1944, PREM 4/52/1, f. 178, UKNA). Cependant, plusieurs mois après, le comité faisait le même constat que de nombreux rapports précédents sur les difficultés inhérentes aux projets de partition de la Palestine : "Elles sont incontestablement grandes, et plus la question est examinée de près, plus elles ressortent clairement.(Palestine Committee Report, 16 octobre 1944, PREM 4/52/1, f. 73, UKNA)

PREM 4 :  Prime Minister's Office (PMO) :  Confidential Correspondence and Papers

UKNA :  United Kingdom National Archives, appelé le plus souvent TNA (voir partie I)

 

L'entrée des Etats-Unis dans le conflit mondial en décembre 1941 est aussi un atout pour la cause sioniste :  "Or les Etats Unis abritent la plus importante communauté juive du monde, la plus puissante aussi. Le sort infligé aux communautés juives d’Europe ne peut que renforcer son influence et c’est aux organisations américaines qu’est confié le soin d'élaborer le nouveau programme sioniste. Le centre de gravité du sionisme se déplace donc vers les Etats-Unis et cette tendance ira en s’accentuant." (Perrin, 2000)En janvier 1942, Weizmann écrit un article pour la prestigieuse revue américaine Foreign Affairs appelant les puissances occidentales  à soutenir la création d'un "commonwealth" juif en Palestine (Masalah, 1992), terme repris pendant le Congrès (ou Conférence) sioniste extraordinaire (Extraordinary Zionist Congress), que les sionistes américains organisent à l'Hôtel Biltmore de New York entre le 6 et le 11 mai 1942, suite aux efforts acharnés des deux grands leaders sionistes, Ben Gourion et Weizmann . La déclaration finale du Congrès, en huit points, est éloquente sur la permanence idéologique du sionisme, qu'on en juge :  Après avoir déclaré leur "dévouement sans équivoque à la cause de la liberté démocratique et de la justice internationale" (texte de la déclaration Biltmore, 11 mai 1942), les sionistes américains affirment sans vergogne que les Juifs "ont écrit une page remarquable dans l'histoire de la colonisation". et "qu'en "particulier au cours des vingt dernières années, le peuple juif a réveillé et transformé son ancienne patrie" (op. cité, 4), que leurs "voisins arabes en Palestine ont partagé ces nouvelles valeurs ainsi créées. Le peuple juif dans son propre travail de rachat national accueille le développement économique, agricole et national des peuples et des États arabes. La Conférence réaffirme la position adoptée précédemment par les Congrès de l'Organisation Sioniste Mondiale, exprimant la disponibilité et le désir du peuple juif de coopérer pleinement avec ses voisins arabes." (op. cité, 5).  Sans complexe encore, les sionistes  réclament que "l'Agence juive soit investie du contrôle de l'immigration en Palestine et qu'elle ait l'autorité nécessaire pour construire le pays, y compris le développement de ses terres inoccupées et non cultivées ; Et que la Palestine soit établie comme un Commonwealth juif intégré dans la structure du nouveau monde démocratique."  (op. cité, 8).  

 

Le message délivré par les sionistes aux Arabes palestiniens n'a pas changé d'un iota. Évitant soigneusement  le débat religieux, il base la prétention des Juifs à défendre et gouverner la Palestine principalement sur leur valorisation économique du pays, "œuvre de rédemption nationale" (op. cité, 5). Non seulement, l'argument, décliné sous diverses formes, est profondément indigent en regard de la situation, mais il est, de plus, en partie erroné et entaché d'inégalités, nous l'avons vu. Non seulement les sionistes ne se défendent pas de la colonisation, si décriée par les autochtones, mais ils s'en vantent : "de 50.000 à la fin de la dernière guerre le nombre de Juifs est monté à plus de 500.000."  (op. cité, 4).  Au final la déclaration Biltmore traduit encore une fois le profond mépris et la totale indifférence envers les Arabes palestiniens et leurs doléances de justice, maintes fois exprimées. Le "peuple juif" est cité six fois, le "peuple palestinien" aucune, c'est encore un autre signe qui ne trompe pas. 

 

Toute autre est la légitime préoccupation des congressistes vis-à-vis des crimes abominables causés à l'endroit des Juifs, particulièrement dans les ghettos et les camps de concentration du IIIe Reich hitlérien.  On comprend aisément qu'ils souhaitent que le nouvel ordre mondial, après la guerre, résolve "le problème des Juifs sans foyer", mais au lieu de chercher une solution acceptable par tous, ils cherchent à imposer unilatéralement la solution choisie par la doctrine sioniste et demandent " instamment que les portes de la Palestine soient ouvertes", ce qui nous ramène à la position, inacceptable par les Arabes, tenue de manière intangible par les sionistes depuis les débuts de la colonisation.

La Conférence de Biltmore a un effet certain sur de nombreux responsables de gouvernement du monde anglo-saxon. Le 5 décembre 1942, aux Etats-Unis, 13 sénateurs et 181 députés du Congrès américain s'entendent pour déclarer au président Roosevelt qu'ils sont "favorables à la restauration d'un foyer national juif"  (John et Hadawi, 1970 : 343, cité par le New York Times du 5 décembre 1942, dans Alcott, The Rape... Vol. 2, op cité).  Selon Alcott, c'est un  "lobby puissant" qui commence à se former en Angleterre, autour de la Déclaration de Biltmore (Alcott, op. cité). 

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En octobre 1944, à la convention annuelle de l'Organisation sioniste américaine, à Atlantic City (New Jersey),  les sionistes font un pas de plus après Biltmore et n'hésitent plus à afficher leur détermination d'installer un pouvoir Juif sur toute l'étendue de la Palestine. La célèbre philosophe juive Hanna Arendt s'en inquiète et écrit aussitôt un essai sur le sujet, à la fois lucide et prémonitoire  sur certains sujets  : 

"Les sionistes américains de gauche à droite ont adopté à l’unanimité, lors de leur dernière convention    annuelle   tenue    à    Atlantic   City   en   octobre   1944,   la    revendication    d’un  « commonwealth juif libre et démocratique ... [qui] embrassera l’ensemble de la La Palestine, indivise et non diminuée ». C’est un tournant dans l’histoire sioniste ; car cela signifie que le programme révisionniste, si longtemps amèrement répudié, s'est finalement révélé victorieux. La résolution d’Atlantic City va encore plus loin que le programme Biltmore (1942), dans lequel la minorité juive avait accordé des droits minoritaires à la majorité arabe. Cette fois, les Arabes n’ont tout simplement pas été mentionnés dans la résolution, ce qui leur laisse évidemment le choix entre l’émigration volontaire ou une citoyenneté de seconde zone.

(...)

Le nationalisme est déjà assez mauvais lorsqu’il ne fait confiance qu’à la force brutale de la nation. Un nationalisme qui dépend nécessairement et réellement de la force d'une puissance étrangère est certainement pire. . . les sionistes, s’ils continuent d’ignorer les peuples méditerranéens et de se préoccuper uniquement des grandes puissances lointaines, n’apparaîtront que comme leurs outils, les agents d’intérêts étrangers et hostiles. Les Juifs qui connaissent leur propre histoire doivent être conscients qu’un tel état de choses conduira inévitablement à une nouvelle vague de haine envers les Juifs ; l’antisémitisme de demain affirmera que les Juifs ont non seulement profité de la présence des grandes puissances étrangères dans cette région, mais qu’ils l’ont en fait comploté et qu’ils sont donc coupables des conséquences.

(...)

La vérité est que l’idéologie sioniste, dans la version herzlienne, avait une nette tendance à ce qui a été connu plus tard sous le nom d’attitudes révisionnistes, et ne pouvait y échapper que par un aveuglement volontaire aux véritables questions politiques qui étaient en jeu.

(...)

L’attitude intransigeante des révisionnistes est bien connue. Revendiquant toujours l’ensemble de la Palestine et de la Transjordanie, ils ont été les premiers à préconiser le transfert des Arabes palestiniens en Irak – une proposition qui, il y a quelques années, a été sérieusement discutée dans les cercles sionistes en général. Puisque la dernière résolution de l’Organisation sioniste américaine, dont ni l’Agence juive ni le Vaad Leumi palestinien ne diffèrent en principe, ne laisse pratiquement pas d’autre choix aux Arabes que le statut de minorité en Palestine ou l’émigration volontaire, il est évident que dans cette question aussi, le principe révisionniste, si ce n'est encore, les méthodes révisionnistes elles-mêmes, a remporté une victoire décisive."

Hannah Arendt,  Zionism Reconsidered, Menorah Journal, août 1945

 

arry S. Truman (1884-1972) remplacera Roosevelt après son décès, le 12 avril 1945, et apparaît alors un nouveau soutien de taille pour les sionistes, en la personne la plus puissante de la planète :  "Dès 1942, Ben Gourion disait à la Conférence de Biltmore à New York, que pour y parvenir il était temps d’échanger le cheval britannique pour une monture américaine. Et Truman semblait plutôt d’accord (25)"  Note 25 associée :  "Ben Gourion avait décidé de remplacer le soutien anglais par celui des Américains dès 1939. Voir Walid Khalidi, From Haven to Conqtiest, p. 481 et suivantes." (Khalidi, 2005). Au Royaume-Uni aussi la situation politique change, puisque le gouvernement travailliste de Clement Richard, 1er comte Attlee avait remplacé celui de Churchill le 26 juillet 1945.  Signalons en passant que, dans un document de 1944 ("International Post-War Policy"), le parti travailliste britannique avait prôné une majorité juive en Palestine et suggéré que "les Arabes devraient être encouragés à partir au fur et à mesure que les Juifs s’installent" (Cité dans Cecil Bloom, The British Labour Party and Palestine 1917-1948, Jewish Historical Studies,  Vl, 36 (1999-2001), 141-171), mais après son arrivée au pouvoir, avait changé diamétralement d'attitude :   "Loin de soutenir l’immigration juive en Palestine, le gouvernement travailliste a utilisé la Royal Navy pour faire respecter les termes du Livre blanc de 1939, qui limitait l’immigration juive à 1.500 par mois. Cette nouvelle politique signifiait que les survivants de l’Holocauste qui languissaient dans les camps de personnes déplacées se voyaient refuser de force l’entrée. Certains de ceux qui ont tenté d’atteindre la Palestine ont été renvoyés au port d’où ils venaient, et d’autres ont été détenus dans des camps." (J. Strawson,  Communists for the Jewish State : British Communists and the Daily Worker in 1948, article de fathom, septembre 2020)

 

A sa prise de fonctions,  Attlee trouve sur son bureau la lettre que le président américain avait envoyée à Churchill (sur le départ), le 24 juillet, à propos de l'immigration juive en Palestine. "La deuxième phrase de la lettre faisait référence aux « restrictions drastiques de l’immigration juive dit Livre Blanc de mai 1939 ». Truman disait qu’il espérait que le gouvernement britannique « ferait sans tarder tout son possible pour procéder par étapes à la levée des restrictions sur l’immigration juive en Palestine ». Il  pressait  Churchill  de  le  laisser  se  faire  sa  propre  « idée  sur  la  résolution  du  problème de la Palestine », pour qu’ils puissent discuter « en termes concrets» à une date ultérieure « mais pas trop lointaine ». Les jours de l’hégémonie de la Grande-Bretagne sur la Palestine étaient clairement révolus. Atlee répondit brièvement le 31 juillet. Il porterait « rapidement une attention précise » au mémorandum  de Truman,  et  il  était  convaincu  que  Truman  comprendrait  qu’il ne pouvait lui faire « aucune déclaration sur   la   politique   à   envisager   tant   que   nous   n’avons   pas  eu    le   temps  de  considérer  le problème »." (Khalidi, 2005).  Un peu plus tard, Truman profite de la Conférence de Postdam (17 juillet - 2 août 1945), où les Alliés étaient allés discuter, entre autres, du désarmement de l'Allemagne, pour relancer Attlee : "le peuple américain tout entier était convaincu que l’immigration en Palestine ne devait pas s’arrêter.".  De même, un peu après le largage des bombes sur Hiroshima et Nagasaki,  cette fois par écrit, le 31 août, signalant au dirigeant britannique "un rapport émis par Earl G. Harrison, doyen de l’université de droit de Pennsylvanie, qu’il avait auparavant envoyé (sous la pression des dirigeants juifs) enquêter sur la condition des réfugiés juifs parmi les personnes déplacées en Europe. Harrison avait préconisé la délivrance de cent mille certificats d’immigration vers la Palestine pour les réfugiés juifs. Approuvant Harrison, Truman ajoutait que « la meilleure solution semble être l’évacuation rapide en Palestine d’autant que possible de Juifs non rapatriables [il s’agit de réfugiés juifs de pays européens, non désireux de revenir chez eux] qui le désirent ». La réponse d’Atlee arriva le 16 septembre. Il soulignait qu’en Palestine « Nous devons penser aux Arabes autant qu'aux Juifs, et des engagements solennels ont été pris, à savoir, par votre prédécesseur (Roosevelt), vous-même et Monsieur Churchill qu'avant de prendre une décision finale [...] il y aurait une consultation avec les Arabes ». Il notait que les Juifs n’utilisaient pas les certificats d'immigration qui leur étaient destinés mais exigeaient « la répudiation totale du Livre Blanc et la délivrance immédiate de cent mille certificats sans trop se soucier des conséquences sur la situation au Moyen-Orient ». Bien qu’il adhère au point de vue de Monsieur Harrison, continuait le Premier ministre, sa dernière suggestion « serait lourdes de conséquences». Le problème des réfugiés serait enfin « traité en urgence », afin de mettre en place une politique à long terme qui serait soumise aux Nations unies." (Khalidi, 2005).  

Il faut ici éclairer un peu la situation extrêmement fragile du gouvernement britannique face à une puissance américaine qui a renfloué une énorme  dette de guerre de la Grande-Bretagne accumulée entre 1939 et 1945, de 476 millions à 3, 335 milliards de livres sterling, renflouée par un crédit-bail accordé par les Etats-Unis en 1941. Alors, quand Truman annonça à Whitehall l'arrêt de ce crédit le 21 août 1945, la veille de sa dernière intervention sur l'immigration juive, le chantage paraît clair comme de l'eau de roche. Et d'ailleurs, dès 1944, "l’ambassadeur britannique à Washington avait prévenu que « la campagne sioniste [...] pouvait avoir des conséquences sur l’octroi du crédit-bail et un certain prêt en dollars ». Il est intéressant de noter que quelques mois avant que les Etats-Unis ne mettent fin au crédit-bail, les 27 janvier et 2 février 1945, une résolution avait été proposée respectivement au Sénat américain et à la Chambre des représentants, demandant aux Etats-Unis « de prendre les mesures nécessaires pour que les portes de la Palestine soient ouvertes, afin que les Juifs puissent entrer librement dans ce pays et que la colonisation puisse y être totale, et que le peuple Juif finisse par restaurer la Palestine en Commonwealth juif libre et démocratique». La résolution ne fut pas acceptée, mais il est clair que ses termes reproduisaient mot pour mot les résolutions de la Conférence de Biltmore de 1942 inspirées par Ben Gourion"  (Khalidi, 2005).  

 

C'est ainsi que le 13 novembre 1945, Ernest Bevin, ministre des Affaires Etrangères britanniques, faisait à la Chambre des Communes une déclaration relative au "problème de la communauté juive causé par la persécution nazie en Allemagne" (A Survey of Palestine — Prepared in December 1945 and January 1946 for the information of the Anglo-American Committee of Inquiry, ("Une enquête sur la Palestine préparée en décembre 1945 et janvier 1946 pour l'information de la commission d'enquête anglo-américaine', Volume I, Chapitre II, p. 82, Government Printer, Palestine, avril 1946),  et qui invite le gouvernement des Etats-Unis à participer conjointement à une Commission d'enquête anglo-américaine  (Anglo-American Committee of Inquiry, AACI : "Commission d'Enquête Anglo-Américaine"), qui sera composée à parité, à savoir 6 membres de chaque côté. Une égalité dans les apparences seulement, car cinq membres au moins étaient connus pour leurs sympathies sionistes : Deux députés travaillistes britanniques, Richard Crossman et Lord Morrison, et quatre Américains : Bartley C. Crum, avocat de San Francisco, J.G McDonald, Haut Commissaire pour les réfugiés à la Ligue des Nations et  Krank W. Buxton, rédacteur en chef du Boston Herald. Derrière ces choix, on trouve bien entendu des influences de dirigeants sionistes américains, en particulier le rabbin Stephen Wise, bon ami de McDonald, mais aussi Felix Frankfurter  (Khalidi, 2005), juge à la Cour suprême, qui a été introduit plus haut, ou encore Crum, qui "avait été recommandé par David Niles, sioniste et assistant aux affaires des minorités à la Maison Blanche" (op. cité), La Commission sera réunie le 4 janvier 1946 à Washington (District of Columbia : D. C).   "sous présidence tournante pour étudier le problème des Juifs d’Europe et pour faire un bilan plus approfondi du problème de la Palestine à la lumière de cet examen." (A Survey of Palestine...op. cité).

 

"Tuer un homme et assister à ses funérailles est un proverbe connu, mais nuire à un homme et demander à son peuple la cause de son chagrin ne fait partie d'aucune anthologie réputée, mais…  il devrait être ajouté aux proverbes anglais.  

Il n'y a rien de plus étrange de la part des Anglais que de nommer des comités d'enquête comme s'ils ne connaissaient pas les causes et les remèdes… comme s'ils n'étaient pas… responsable de nos difficultés"

Omar Dejany, jeune Palestinien arabe ayant témoigné devant la Commission anglo-américaine, cité par Amikam Nachmani, "Great Power Discord in Palestine – The Anglo-American Committee of Inquiry into the Problem of European Jewry and Palestine, 1945-1946", Londres, Frank Cass, 1987, pp. 87-88).  

 

La Commission anglo-américaine était la dix-septième du genre sur le problème judéo-palestinien, et Albert Einstein,  interrogé par elle à Washington, DC, l'avait qualifiée d' "écran de fumée", arguant du fait que le ministère des Colonies imposerait ses propres politiques, et " absolument convaincu qu'elle ne produirait  aucun effet" (Bartley C. Crum, "Behind the Silken Curtain  A Personal Account of Anglo-American Diplomacy and the Middle East", New York,  Simon & Schuster, 1947, p. 26)

Mais certains membres de la Commission avaient d'intéressantes questions à poser aux sionistes, comme le juge Joseph Chappell Hutcheson (1853-1979),  sensible aux discriminations, qui interroge Nathan Jackson, représentant de Poale Zion à Londres.  

"On pourrait soutenir que les survivants de l’Holocauste, juifs et non-juifs, auraient dû ont reçu des privilèges non accordés aux autres, simplement en fonction de leurs souffrances. Mais accorder un privilège à l'ensemble de la population juive, peu importe si elle était ou non l'Holocauste survivants, était difficile à comprendre pour certains membres de la Commission."  (Tamari, 2008 : 27). 

La tentation était grande, en effet, de confondre les besoins des Juifs rescapés de l'Holocauste avec ceux de la communauté juive toute entière. Finalement, "la Commission a recommandé d'autoriser 100 000 survivants juifs de l'Holocauste à entrer en Palestine, mais n'a pas permis la création d'un État juif ou arabe dans tout ou partie de la Palestine, il agissait en partant du principe que les besoins de la communauté des survivants juifs de l'Holocauste, dans les camps des DP [Displaced Persons : Personnes Déplacées, NDA] et ceux des Juifs de Palestine, étaient incompatibles avec les intérêts des ces mêmes personnes."  (Tamari, 2008 : 3).  Après la découverte d'Auschwitz,  les sionistes ne manqueront évidemment pas d'argumenter leurs positions en mettant en avant cette terrible catastrophe historique. Plus tard, devant l'UNSCOP (cf. plus bas), Ben Gourion avancera cette question de la Shoah, qui ne pouvait manquer de faire réagir et "convaincre des opinions occidentales culpabilisées et qui ignorent tout des Palestiniens – lesquels boycottent les délégués onusiens. Les sionistes, au contraire, développent un lobbying intense. Ce contraste, écrit le binationaliste Aharon Cohen, « ne pouvait manquer de donner l’impression que [les Juifs] étaient pénétrés du sens de la justice et préparés à plaider devant un tribunal équitable alors que les Arabes ne se sentaient pas sûrs de la justesse de leur cause et avaient peur de s’incliner devant le jugement des nations . »" (Vidal, 2018 ; citation d'A. Cohen : Israel and the Arab World, W.H. Allen, Londres, 1970).  

Encore, une fois, nous avons là un jugement sioniste sur les Arabes empreint (au minimum) de condescendance, affirmant péremptoirement que la justice, malgré tous les faits accablants de l'histoire, est du côté des colons Juifs, mais aussi de malhonnêteté intellectuelle, les nationalistes palestiniens ayant été très fidèles, année après année, à leurs revendications de justice, nous l'avons vu, conformes à la réalité historique : Les Juifs sionistes, qui représentaient à peine 10% de la population du pays au début de leur arrivée sont des étrangers qui ont colonisé la Palestine grâce au colonisateur britannique et n'ont aucun droit à dominer les Arabes en gouvernant la Palestine.  Et divers témoignages des dirigeants sionistes, d'ailleurs, auprès de la Commission, marquent sans surprise la permanence idéologique de la pensée sioniste, perpétuellement enfermée dans une vision ethnocentrique qui les empêche d'affronter honnêtement les contradictions du sionisme, nous l'avons vu à de multiples reprises, en particulier avec le patron de l'Agence Juive,  Chaïm Weizmann :  

 "  Crum    :   Voici ce que je pense : vous avez actuellement une majorité arabe en                                         Palestine… Le mot « État juif » implique actuellement l’imposition

                      d’une nouvelle majorité sur une majorité existante de personnes, n’est-ce pas ?

    Weizmann   :  C’est vrai, oui.

         Crum    : Ce que j'aimerais savoir, c'est comment cela se justifie dans la pratique                                          démocratique ?

    Weizmann  :   Le mot « imposition » signifie toujours le recours à la force. Eh bien, si vous                                 amenez des Juifs dans le pays et que vous leur permettez de s'installer,

                               en même temps que vous permettez au pays de se développer au

                             maximum et d'absorber autant de personnes qu'elle le peut, une majorité

                             adviendrait. Je ne pense pas que ce soit antidémocratique si cela se fait

                              sans blesser les autres.

      Crum     :   Puis-je vous lire un extrait d'une déclaration parue dans Foreign Affairs en                                  1931. Voici ce que j'ai en tête: Il s’agit d’une déclaration du juge Frankfurter

:                         « Tout le tissu de la vie palestinienne est traversé par une  conviction                                           indéracinable que les Arabes ne peuvent pas dominer les Juifs ni les Juifs

                          les Arabes, et que seul un partage des droits et des devoirs réciproques

                         peut affirmer la valeur réciproque des civilisations juive et arabe. Êtes-vous

                         d’accord avec cette affirmation ?

    Weizmann  :  Je suis d'accord avec cette déclaration aussi longtemps qu' Arabes et Juifs                               entretiennent de bonnes relations morales. S'il existait un futur État

                             juif, je crois que les Arabes auraient liberté totale de religion, de culture

                           de langue, une autonomie dans leur organisations municipales, et ils                                          pourraient s'exprimer  du mieux qu'ils peuvent. Cela ne veut pas dire que

                           nous aimerions dominer les Arabes dans le sens de leur retirer leurs droits

                           naturels ou leur langue ou interférer de quelque manière que ce soit avec

                           leur culture et leur civilisation… si vous  vous souvenez ma déclaration

                          principale, je dirais que j'admets que cela implique un certain degré

                          d'injustice, mais la question est de savoir quelle est la limite de l'injustice

                         minimale ?"  

Anglo-American Committee ...Public Hearings... op. cité, p. 37-38, dans Tamari, 2008. 

Toute idéologie, y compris le sionisme, envisage un conflit sous un angle très spécifique, et examine ainsi les solutions à un conflit sous ce même angle particulier. Cette vision tunnel, par conséquent, n’autorise que les solutions qui s’inscrivent dans le spectre de cette idéologie. Comme Weizmann était concentré sur la question de la Palestine à travers les yeux des sionistes, il était incapable de voir que la solution à un conflit n'implique pas nécessairement de pratiquer une injustice déterminée. Mais de son point de vue, pour qu’il y ait un État juif sur une terre où siègent les Arabes, une injustice doit se produire, car il percevait le problème de manière simpliste,  tout noir ou tout blanc : soit l'État juif existe, soit il n'existe pas. De son point de vue, l’idée de ne pas avoir d’État juif était inconcevable. L'idée de partager la terre avec les Arabes ne faisait pas partie de l'idéologie sioniste et ne fait donc pas partie de la liste des solutions disponibles. 

 

(Tamari, 2008 : 33 - 34)

 

 

 

      « Crossman :     Vous nous avez raconté comment vous avez été élevé dans un village arabe. Je veux que vous imaginiez que, grâce à un changement dans votre nature, vous avez grandi en Arabe au lieu de Juif.. Qu'aurait pensé le Shertok arabe de la remarque du Shertok juif, quand il parlait d’acquérir le sol pied par pied et de le transformer en sol juif ?              Shertok     :      Je peux tout à fait concevoir qu'il se sente mal à l'aise à ce sujet.

      Crossman    :     Mal à l'aise à cause de vos paroles  ?

        Shertok       :     Nous parlons entre hommes d’État.

     Crossman      :     Écoutons la vérité.

        Shertok      :     Je peux tout à fait concevoir qu'il s'y oppose ;  et même qu'il s'y  

                                  opposé fermement. 

   Crossman    :    Pouvez-vous l’imaginer diriger un mouvement nationaliste  contre les                                          Juifs, ici ?

       Shertok       :     Très certainement.

      Crossman   :    Vous  nous parliez  des  efforts acharnés de coopération entre Juifs et                                        Arabes.

       Shertok     :    Oui.

    Crossman :    Pensez-vous que  cette description particulière de l'effort pour acquérir                                     pas à pas et transformer le sol en sol juif en l'achetant, est                                                              susceptible de créer de bonnes les relations entre juifs et arabes ?

            En réaction, Shertok a cherché à différer sa réponse, soulignant que lorsque  l'Agence Juive parlait de coopération entre Juifs et Arabes, elle parlait de Juifs et d'Arabes de Palestine, et que pour un Juif, être en Palestine ne signifiait pas louer une chambre dans un appartement de Tel Aviv.  Crossman ne trouvait pas drôle la tactique d'évitement de Shertok.

         Crossman   :    J’'essaie d’obtenir une réponse claire. Je vous ai demandé si vous                                                pensiez ou non qu'une politique qui peut se résumer par la proposition

                               « le terrain acquis par achat est vraiment juif » plairait à M. Shertok qui est                                   arabe ?

      Shertok     :     Ce ne serait pas le cas.

    Crossman   :   Et cela pourrait créer des conflits raciaux ?

       Shertok     :   C’est possible.

           Crossman  a insisté pour que Shertok se mette dans la peau d’un Arabe.

 

   Crossman   :  Et à propos de l'Arabe ?  A-t-il certaines choses auxquelles il ne peut pas                                renoncer – cet autre Shertok dont je parle ?

     Shertok      :    Oui.

   Crossman     :   Que se passe-t-il si les deux choses entrent en conflit ?

       Shertok     :    Alors,  il y a certains critères que j'ai essayé de suggérer.

   Crossman     :   Qu'en penserait l'autre Shertok ? Je vous demande de penser à vous-                                        même en tant qu'Arabe, pour changer,  et que vous pensiez à la manière

                             dont il jugerait la situation. 

     Shertok     :    Si l'affaire n'était qu'entre le Shertok juif et ce que vous vous plaisez à                                         appeler le Shertok arabe, alors toute cette Commission n'aurait pas vu le                                    jour… La Commission n'aurait pas été établie car “l'Arabe” et le “Juif                                                Shertok”  aurait trouvé une solution au conflit].

Shertok était clairement mal à l'aise face à la série de questions et même irrité par celle-ci, simplement parce que ces questions l’obligeaient à regarder hors du “cadre” du sionisme. Quand on observe de l’extérieur, il est difficile de ne pas voir le mal que l’idéologie sioniste a causé ou pourrait causer à la population arabe en Palestine ; il est difficile de ne pas voir le mal qui pourrait être fait en retour contre le peuple juif, qui aurait alors à se défendre eux-mêmes, en réaction à la pratique de leur propre idéologie." »   (Tamari, 2008 : 35-36).

URSS

 

 

“ le soutien de beaucoup de grands hommes ”

              II.      URSS  : une « aubaine inouïe »

 

Les positions politiques des autorités soviétiques sur le Moyen-Orient, avant la deuxième guerre mondiale, avaient été en faveur des Arabes palestiniens, la question a été examinée au chapitre du parti communiste palestinien.  Les choses changent complètement dès 1941, par stratégie politique, car Joseph Staline, anticipant la défaite de l'Alliance franco-britannique,  et les difficultés de la Palestine mandataire, voulait affirmer le rôle de l'Union soviétique au Moyen-Orient. Solide donc, semble-t-il,  apparaît "la thèse selon laquelle Staline voulait avant tout chasser les Britanniques de Palestine afin de miner leur influence au Moyen-Orient" (Vidal, 2018).

 

Côté sioniste, dès le 12 août 1940, une conférence réunissant à Jérusalem l'ensemble des courants sionistes avait prononcé des résolutions allant dans le sens du rapprochement avec l'Union soviétique :  "I. Encourager et aider l’activité culturelle et religieuse sioniste dans la Russie soviétique proprement dite mais aussi dans les nouvelles zones occupées, et renforcer des liens avec les Juifs de Russie de toute part, dans toutes les régions  ; 2. Rechercher méthodiquement et constamment des chemins conduisant à une entente avec le gouvernement soviétique pour tout ce qui concerne la Palestine, le sionisme et la communauté juive en Russie" (Ro'i, 1974).  

 

 A la toute fin janvier 1941, Weizmann réussit à rencontrer l'influent ambassadeur soviétique à Londres, Ivan Maïski  (I. Maisky) qui a retranscrit sa  conversation quelques jours plus tard, dans son Journal, le 3 février 1941.

 

Ivan Maïski   :  Jan (Jean) Mikhaïlovitch Lyakhovetsky  (1884-1975) est le fils d’une institutrice russe orthodoxe et d’un médecin militaire juif polonais. La famille quitte la Pologne pour s’installer en Russie et Ivan prend le pseudonyme de Maïski (Maysky)  en 1909, alors en exil depuis 1902, à cause de ses activités révolutionnaires à l'université de Saint-Pétersbourg. Menchevik de 1903 à 1918, il entre au gouvernement de Kerenski après la révolution "bourgeoise" de février 1917, comme ministre adjoint du travail, puis entame une grande carrière diplomatique ( Matériaux biographiquesLe roman d'Ivan Maïski, Valeurs Actuelles). 

Après avoir discuté, raconte Maïski, de la possibilité d'échanger oranges de Palestine contre fourrures soviétiques et de la situation des Juifs dans le monde, puis précisément, en Palestine, le dirigeant sioniste évoqua le plan moult fois discuté par les chefs sionistes, nous l'avons vu, du transfert d'un million de Juifs vers l'Irak,  pour installer 4 ou 5 millions de Juifs en Palestine. Devant l'expression de surprise de Maïsky, Weizmann éclata de rire et lui fit la remarque suivante, qui n'est, nous le savons, qu'une énième marque de mépris des dirigeants sionistes envers les Arabes : 

"J'ai exprimé une certaine surprise quant à la façon dont Weizmann espérait installer 5 millions de Juifs sur un territoire occupé par 1 million d'Arabes.

    « Oh, ne vous inquiétez pas », éclata de rire Weizmann. « L’Arabe est souvent appelé le fils du désert. Il serait plus vrai de l'appeler le père du désert. Sa paresse et son primitivisme transforment un jardin fleuri en désert. Donnez-moi la terre occupée par un million d'Arabes, et j'y installerai facilement cinq fois plus. de Juifs.

           Weizmann secoua tristement la tête et conclut : « La seule question c'est : comment obtiendrons-nous  cette terre ?’"

The Complete Maisky Diaries, 3 volumes, édité en anglais par l'historien Gabriel Gorodetsky, qui a découvert le volumineux manuscrit du Journal de Maïsky,  traduit du russe par Tatiana Sorokina et Oliver Ready, Yale University Press, 2017, vol. 3, de 1941 à 1943, pp. 1000-1001. 

 

Rappelé par Staline à Moscou en juillet 1943 (tout comme Maxime Litvinov, devenu ambassadeur à Washington), Maïsky s'exécute en faisant escale au Moyen-Orient, pour le bien des relations diplomatiques entre l’Égypte et l’URSS, et fait un séjour en Palestine où il visite les dirigeants sionistes, en particulier Ben Gourion et Golda Meyerson (G. Meir), mais aussi différents  kibboutzim, parlant presque tous russes et d'obédience socialiste.  

 

Le 9 octobre 1941, ce fut au tour de Ben Gourion de rencontrer à Londres le diplomate russe.  Le patron de l'Agence juive ne manqua pas de rappeler les réalisations socialistes des colonies juives, après quoi il proposa d'envoyer une délégation à Moscou pour discuter de l'avenir de la Palestine, en soulignant à la fois la contribution que le mouvement sioniste pourrait apporter à l'effort de guerre soviétique et le rôle de grande puissance que l'Union soviétique était appelé à jouer après la guerre. Maïski demanda au dirigeant sioniste de lui adresser un Mémorandum sur la question. A son tour, Maïski demanda à Ben Gourion de relayer auprès des dirigeants américains les besoins de l'armée soviétique combattant les forces du Reich sur le front de l'Est :  "Vous allez en Amérique. vous nous rendrez un grand service en faisant bien comprendre aux gens là-bas l'urgence à nous aider ; nous avons besoin de chars, de canons, d'avions, le plus possible et surtout le plus tôt possible" (Documents on Israeli-Soviet Relations 1941-1953 [DISR], Partie I [1941 à mai 1949], p.11, 9 octobre 1941, Londres, Frank Cass, 2000).  

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                            Churchill, à droite, regardant Ivan Maïski sur les marches

                                                de la cathédrale Saint-Paul de Londres.

septembre 1941

 

Le 2 mars 1942,  Weizman envoie à Maïski le Mémorandum attendu, soulignant les "massacres et souffrances infligés par les nazis" aux Juifs européens.  Weizmann ajouta qu'après la guerre, la plupart des Juifs survivant en Europe de l’Est n’auraient d’autre choix que d’émigrer en Palestine. Il tenta de convaincre les Soviétiques que "les malentendus du passé ne doivent pas exclure que l'URSS vienne à se tourner vers le sionisme" et a appelé Moscou à « s'intéresser à la solution sioniste au problème juif"   (Weizmann, "The Jewish Question and Zionism", DISR, op. cité, 2 mars 1942, p. 28).  Un peu avant déjà, le 6 janvier de la même année, Eliahu Epstein (Eliyahu E, plus tard E. Elath), représentant l'Agence juive au Caire,  rencontrait Sergei Vinogradov, l'ambassadeur soviétique de Turquie, par l'intermédiaire de l'ambassadeur britannique à Ankara. Epstein proposa d'apporter de l'aide à l'URSS, sous forme d'un "hôpital de campagne, de médicaments, de médecins sur le front, et demandait d'avoir un ou deux représentants permanents à Moscou pour gérer les permis d'immigration délivrés aux réfugiés en URSS" (Laurent Rucker, "Moscow's Surprise: The Soviet-Israeli Alliance of 1947-1949", Working paper # 46, Cold War International History Project [CWIHP], Woodrow Wilson International Center for Scholars, 15 juillet 2005) .  Au mois d'avril, le nouvel ambassadeur soviétique aux Etats-Unis, Maxime (Maksim) Litvinov rencontra différents leaders sionistes, en particulier David Ben Gourion  et plus tard, en juin, Chaïm Weizman, à qui il affirma que les Soviétiques "n'avaient pas d'intérêt pour les Arabes", qu'ils décrivaient comme "tous fascistes" (Chaïm Weizmann à Berl Locker [qui a été membre du parti travailliste Poale Zion et membre de l'exécutif de l'Agence juive], 3 juin 1942, Weizmann Archives [WA]).     

 

Quelques mois plus tard,  fin août 1942, alors que le IIIe Reich avait attaqué l'Union soviétique le 21 juin, débarquaient en Palestine deux diplomates, Sergeï Mikhaïlov et Nikolaï Petrenko, respectivement premier secrétaire et attaché de l'ambassade soviétique à Ankara, (Turquie) pour donner corps à une organisation dédiée à l'effort de guerre soviétique, la V-League, la Ligue V, pour "Victory" : "Victoire"  ("The Jewish Anti‐Fascist Committee and Mikhoels‐Fefer Visit", dans "The Soviet union and the Jews during World War II, British Foreign Office documents". introduction et annotations de Lukasz Hirszowicz , Soviet Jewish Affairs, Vol 3, n°1, 1973, pp. 107–114). Ce fut clairement une entreprise de séduction réciproque dans le but de satisfaire les intérêts propres à chacun, il n'est que d'entendre Mikhaïlov singer le vocabulaire idéologique sioniste et parler de "la grande entreprise réalisée par les Juifs en deux décennies pour reconstruire leur ancienne patrie" en transformant en particulier "le désert en un jardin fertile sur la voie de la création de l'État juif" (S. Mikhaïlov, Conférence de presse à Jérusalem, août 1942, dans Ro'i, 1974).

La visite des deux diplomates ne fut pas aussi simple au contact des divers militants politiques arabes ou juifs. "Un groupe d'étudiantes juives de Jérusalem leur demandèrent, par exemple, de transmettre une lettre à "nos frères d'Union soviétique" qui appelait les Juifs d'URSS d'émigrer en Palestine pour mettre fin à leur existence parasite dans la Diaspora en devenant des travailleurs en Palestine"  (Ro'i, 1974).  

 

Plus complexes et moins productives pour la délégation russe furent les discussions sur les relations judéo-arabes. Les deux hommes rencontrèrent en particulier Abdallah Hanna Bandak, figure éminente du Parti communiste palestinien (PCP), éditeur du journal de gauche al-Mihmâz,  qui se présenta comme représentant les cercles arabes antifascistes et déclara que "les Arabes "figuraient parmi les peuples du monde amoureux de la liberté du côté du front qui luttait contre Nazisme" (L. Levite [qui a accompagné les deux diplomates pendant leur séjour], interview de l'historien Yaacov Ro'i,  28 mai 1970, Oral History Division [OHD], The Institute of Contemporary Jewry, The Hebrew University of Jerusalem,  OHD : 50/22), dans Roï, 1974).  Le 27 août, Mikhaïlov et Petrenko furent invités au domicile de Bandak, à Bethléem, pour y rencontrer une trentaine ou une quarantaine d'intellectuels arabes, étudiants, ouvriers, proches de l'Association des Intellectuels Arabes, d'inspiration communiste, qui essayaient de former une ligue pour lutter contre le fascisme et  le nazisme  (Ro'i, 1974).  

"Le premier à prendre la parole fut Bandak, qui déclara que même si les antifascistes parmi les Arabes étaient peu nombreux, ils seraient capables d'accomplir beaucoup s'ils recevaient une aide extérieure. Si le soutien des Arabes à ceux qui luttent contre le fascisme n'était pas perceptible, a-t-il poursuivi, c'était ce n'est pas la faute des Arabes, mais celle des circonstances. Bandak plus loin a déclaré que les Arabes luttaient pour leur propre libération et qu'il était Il n’est pas vrai de dire qu’ils espéraient chasser les Juifs à la mer."  (op. cité).  

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                                                                          Affiche pour la Ligue V, 

                          "Contribuez au Fonds de secours — « Don de la Palestine à l'URSS'» !"

                                                       "Soldat de l'Armée Rouge, au secours !"  (en hébreu)

                                                                             Tel Aviv, vers 1942

                                                            

Ce fut incontestablement au Yishouv que profita la visite des diplomates russes, qui étaient venus principalement pour rénover les relations entre Juifs et Soviétiques. La ligue V connut un succès immédiat par des  collectes de fonds et l'organisation d'évènements publics. Un an plus tard, la Ligue comptait 20.000 membres et une centaine de sections en Palestine  (Rucker, op.cité).   L'aide sioniste s'est rapidement concrétisée, avec un premier apport de 10.000 £  versées par Ivan Maïski au nom de l'Histadrout. Entre 1943 et 1944, ce sont pas moins de trois délégations de la Ligue V qui furent reçus par des représentants soviétiques en Iran, la première d'entre elles ayant délivré des équipements médicaux et des médicaments le 2 mai 1943.  C'est l'ambassadeur soviétique lui-même, Andreï Smirnov, qui exprima ses remerciements pour "le cadeau du 1er mai à l'Armée Rouge de la part des travailleurs juifs de Palestine", évènement rapporté par  Radio Moscou et publié dans la Pravda (Ahron Cohen, Im ambidansim le-Tehran / With ambulance to Tehran (Hakibbutz Ha'artzi, Merhavia, 1943) ; The V League for Soviet Russia, Central Secretariat, Summary of activities for second Conference, 25/26 août 1942 --27/28 décembre 1945, Tel Aviv, 27 décembre 1945).  

 

Lors de visite de la seconde délégation, en décembre 1943, une réception eut lieu 26 du mois, à l'ambassade soviétique, pendant laquelle ses membres exprimèrent l'espoir que les relations du Yichouv avec l'URSS continuent d'être bonnes après la guerre et leur permettent d'accueillir trois millions et de demie de Juifs en Palestine "sans affecter la population non juive du pays"  (Ro'i, 1974). Deux membres de la délégation discutèrent avec un haut gradé des forces soviétiques d'une possible coopération armée dans la lutte contre Hitler avec la Haganah : 

 

"Les deux Palestiniens avaient le sentiment que les Soviétiques étaient considérablement impressionnés par la force militaire du Yishouv et considéraient celle-ci comme un facteur important dans la région"  (Ro'i, 1974 ; OHD 50/19, sur la base d'une interview de l'auteur, le 10 mars 1970, avec un membre de la délégation, Yaakov Riftin, 1907-1978, Polonais émigré en Israël en 1929, qui sera au comité exécutif de l'Histadrout, fera partie de la délégation juive aux Nations-Unies en 1947-48, en particulier). 

La troisième et dernière délégation, reçue par le chef de la délégation de la Croix-Rouge soviétique au Moyen-Orient, Dr Barian, qui déclara que "la longue souffrance du peuple juif avait trouvé sa patrie en Union soviétique, comme cela a été prouvé par la contribution significative des Juifs soviétiques à l'effort de guerre soviétique."  (cité par Ro'i, 1974). 

14 septembre 1943, un peu avant son retour à Moscou, Ivan Maïsky accueillait à Londres une délégation de l'Agence juive, avec Weizmann à sa tête :

"Quelques jours avant son départ pour Moscou, où il fut transféré afin de préparer les futures conférences de paix, Maisky a rencontré Chaim Weizmann et lui a dit que le gouvernement soviétique comprenait les objectifs sionistes et qu'il « resterait certainement à leurs côtés ».  Il avait tenu les même propos lors de sa première conversation avec Weizmann deux ans plus tôt, cependant, Maisky s’inquiétait toujours de la capacité de la région à absorber le Yishouv en raison de la « petite taille de la Palestine »"   (Rucker, op.cité, citation DISR, op. cité 14 septembre 1943, Partie I, p. 68). 

En réalité,  les dirigeants soviétiques n'avaient pas en la matière de position idéologique bien arrêtée, et paraissent surtout prêts à soutenir le camp qui servira le mieux ses intérêts : sur ce plan,  ni les Britanniques, ni les Américains, ne peuvent donner des leçons de morale aux uns et aux autres : 

"Les réflexions de Maisky doivent être considérées comme l’arrière-plan des efforts de Moscou pour formuler une politique envers le monde arabe et la Palestine. Au Moyen-Orient, qui était traditionnellement dominée par la Grande-Bretagne, Moscou pouvait soutenir soit le  mouvement national arabe ou le projet sioniste d’un État juif en Palestine. Cependant, puisqu'elle était absente du Moyen-Orient depuis 1917, l'Union soviétique ne pouvait pas jouer un rôle un rôle important à moins de créer au préalable un réseau diplomatique. C’est pourquoi Moscou a ouvert une ambassade au Caire en 1943, une démarche orchestrée par Maisky. L'année suivante, Moscou a ouvert des ambassades en Syrie, au Liban et en Irak. L'espoir était que les Soviétiques les représentants rencontreraient des personnalités politiques locales, obtiendraient des informations de première main et exercer une influence (...) Malgré son hostilité à l'égard de la Ligue arabe, l'Union soviétique n'a pas rejoint immédiatement le camp sioniste, estimant que les coûts d’un tel choix dépasseraient les avantages. En 1943, un rapport diplomatique soviétique concluait que l'URSS ne devrait pas soutenir le projet sioniste car une telle démarche pourrait être interprétée comme une attaque contre l'Empire britannique. Toutefois, il a exprimé des doutes quant à la coexistence dans un État dominé par les Arabes." (Rucker, Moscow's surprise... op.cité).  

Un autre exemple illustre la valse hésitation de l'URSS sur le problème israélo-arabe. Alors que les soviétiques, en 1945, étaient favorables à une tutelle de la nouvelle Organisation des Nations Unies (ONU, créée le 24 octobre 1945), contrairement aux Etats-Unis, les rôles se renversaient à la veille de la création de l'Etat d'Israël. Mieux encore : quelques jours à peine avant le grand discours du 14 mai 1947, à l'ONU, d'Andreï Gromyko, ambassadeur de l'URSS au Conseil de sécurité de l'ONU, Moscou affirmait encore que la question juive en Europe ne pouvait être résolue par l'émigration des Juifs en Palestine, mais "seulement pas l'éradication complète de toutes les racines du fascisme et la complète démocratisation des pays d'Europe de l'Ouest"  (A. Gromyko, Arkhiv Vneshnei Politiki Rossiiskoi Federatsii ("Archive of the Foreign Policy of the Russian Federation", AVPRF, f. 118, o. 5, p. 3, d. 1, ll. 1-14.).   Pourtant le 14 mai,  le discours de Gromyko "fut l’une des déclarations les plus stupéfiantes de l’histoire de la diplomatie soviétique. Le représentant d’un pays résolument antisioniste prononçait un discours qui aurait pu être fait par un ardent défenseur de la cause sioniste" (Rucker, op.cité). Soudain, les souffrances des Juifs étaient avancées comme argument majeur de la décision et primaient par principe sur toute autre règlement de justice. Soudain, Moscou faisait appel au concept de "Peuple juif", longtemps proscrit par Lénine et Staline (op. cité).  Déjà, le gouvernement britannique, qui avait décidé le 31 janvier 1947 de rapatrier tous les civils, avait annoncé le 18 février qu'il allait porter la question palestinienne devant les Nations Unies : L'Empire de Sa Majesté se délite (l'Inde et le Pakistan proclament leur indépendance le 15 août) et n'a plus guère les moyens d'entretenir cent mille policiers ou militaires britanniques dans une Palestine désormais livrée au chaos, et bientôt aux forces armées juives. Alors,  Ben Gourion, aux anges, confie que la décision russe est une "aubaine inouïe", ajoutant que l'Union soviétique "est maintenant la seule puissance à soutenir notre cause" (cité par Vidal, 2018), ce qui, nous l'avons vu, n'est pas du tout vrai.  

 

"Durant la dernière guerre, le peuple juif a connu une douleur exceptionnelle et la souffrance. Sans aucune exagération, [on peut dire que] ce chagrin et les souffrances sont indescriptibles. Il est difficile de les exprimer dans des statistiques sèches sur les victimes juives des agresseurs fascistes. Les Juifs dans les territoires où les hitlériens régnaient, furent soumis à une répression presque totale. un anéantissement physique. [...] Un grand nombre de Juifs survivants de L'Europe ont été privés de leur pays, de leur foyer et de leurs moyens de subsistance. Des centaines de milliers de Juifs errent dans divers pays d'Europe à la recherche de moyens de subsistance et à la recherche d'un abri. Un grand nombre d'entre eux se trouvent dans des camps de personnes déplacées et souffrent encore de grandes privations"   (A. Gromyko, United Nations, Official Records of the First Special Session of the General Assembly, Vol. I, 28 April-15 May 1947, pp. 127-135).

Il faut enfin ajouter le soutien important de l'URSS à l'immigration juive de 1946 à 1948,  aussi bien légale qu'illégale. En 1946, l'Union soviétique "laisse partir plus de 150.000 Juifs polonais vers les zones d’occupation américaine et britannique en Allemagne, où ils deviennent des « Personnes déplacées » et, de là, partent en Palestine. Plus généralement, Moscou soutient l’émigration clandestine depuis toute l’Europe de l’Est : les trois quarts des Juifs arrivés en Palestine en 1946-1948 proviennent de Pologne, de Roumanie, de Tchécoslovaquie et de Hongrie"   (Vidal, 2018).  Entre 1946 et 1948,  31.566  des 61.023 immigrants Juifs en Palestine sont entrés dans le pays illégalement, plus des trois-quarts étant originaires de Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie et Hongrie   (Rucker, op. cité). 

Bien entendu, c'est un espoir de plus qui s'envolait pour les Arabes palestiniens, en particulier les communistes, habitués cependant depuis longtemps au peu de soutien et même au mépris caché ou avoué des puissances occidentales aussi bien que des dirigeants sionistes, largement soutenus sur la longue période de la colonisation sioniste, nous l'avons vu.  Le 13 octobre 1947, le principal membre de la délégation soviétique aux Nations-Unies, le diplomate Semyon (Semen) Konstantinovitch Tsarapkin (1905/1906-1984) prononce un discours aux Nations-Unies expliquant le choix soviétique en faveur de la partition  (Rucker, op. cité). Deux jours plus  tard, Viatcheslav Mikhaïlovitch Molotov  (1890-1986), ministre soviétique des Affaires Etrangères, demande à Andreï Ianouarïevitch Vychinski (1833-1954), son vice-ministre et représentant permanent au Conseil de sécurité de l'ONU,  de consulter les Juifs "sur toutes les questions importantes touchant à la Palestine, en particulier sur Jérusalem",  et de "travailler à la réduction de la période de transition, pendant laquelle la Grande-Bretagne ne doit pas être laissée aux commandes"  (S. Mololtov, dans Rucker, op. cité).

patriotes

 

 

 

       Colons, terroristes  et ...  “ patriotes”  ?

Quand les combattants du Yichouv commencèrent à comprendre  que les Alliés allaient l'emporter sur les nazis, ils se réorganisèrent pour reprendre la lutte contre les Britanniques. Après la mort d'Isaac Stern, Icchak Jazierniski (Ysernitzky), le futur Yitzhak Shamir (dit Michaël, 1915-2012) commence de reconstruire le Lehi (Weinstock, 2011). D'origine biélorusse formé  au Betar de Jabotinsky en 1929, il rejoint l'Irgoun en 1937 en se formant aux techniques du terrorisme (armes, explosifs, renseignement, tactique militaire, etc.) et l'année suivante, il participe aux planifications et aux exécutions des actes terroristes perpétrés par des unités spéciales contre les Arabes et les forces britanniques (Association pour la Commémoration du Patrimoine des Combattants pour la Liberté d’Israël : Lehi, fiche biographique d'Y. Shamir).  La plupart des premiers combattants de la nouvelle organisation se sont évadés des prisons britannique, à commencer par Ysernitzky lui-même (en septembre 1942), mais aussi Nathan Friedman, qui prendra plus tard le nom de N. Yellin-Mor (Yalin-M, Yallin-M, dit Gera, 1913-1980). D'origine biélorusse, lui aussi, il réalise, avec 19 compagnons du groupe Stern, une évasion spectaculaire par un tunnel creusé sur 75 mètres dans la prison de Latrun (Latroun), le 1 er novembre 1943  (op. cité, fiche biographique de N. Yellin-Mor). Passé au Betar, lui aussi, il avait commis déjà plusieurs dizaines d'attentats entre 1937 à 1939,  qui ont coûté la vie à 250 civils palestiniens arabes (Perliger et Weinberg, 2003).   Dès 1944, les attentats à la mitraillette se multiplient contre les Britanniques, mais celui perpétré contre le haut-commissaire de Palestine, Sir Harold MacMichael,  le 8 août, sera un échec. La longue liste, ci-dessous, des actes terroristes juifs en Palestine, n'entraînera pas la campagne massive, punitive ni toutes les exécutions ou déportations pratiquées par le pouvoir colonial britannique contre la grande révolte arabe de 1936-1939, ce qui montre une grande encore une grande inégalité de traitement des populations arabes et juives en Palestine par l'occupant britannique. 

27 septembre 1944     :   attaques de bureaux de police par 150 membres de l'Irgoun. 

29        "            "           :    Un officier britannique du Criminal Intelligence Department (CID), à                                                 Jérusalem,  est assassiné.

6 novembre 1944       :   Assassinat par le Lehi, en Egypte, de Walter Edward Guinness,                                                            administrateur des  brasseries familiales du même nom, 1er baron                                                       Moyne,  ministre des  Colonies  entre 1941 et 1942. Anti-sioniste,

                                           rendu responsable en particulier  de la  tragédie du Mefküre, un navire                                               transportant plus de trois cents  Juifs   roumains, coulé comme le

                                          Struma  par un sous-marin soviétique. Les deux assassins de Lord                                                        Moyne,  Eliahu (Elyahu, Eliahou) Ben Tsouri  et Eliahu Hakim, seront                                                condamnés à mort en Egypte et pendus le 22 mars 1945.

26 novembre 1944   :     Ben Gourion lance l'opération "Saison", sous-entendu "saison de                                                         chasse aux terroristes", visant particulièrement l'Irgoun, la Histadrout                                               s'associant au pouvoir mandataire dans cette traque et l' Agence juive

                                           leur communiquant 700 noms de suspects, dont des dizaines furent 

                                           kidnappés, interrrogés, et pour certains, torturés  (Weinstock, 2011).

9/10 octobre 1945     :    Dans la nuit, le Palmah, dirigé en particulier par le futur premier                                                          ministre isréalien Ytzhak  Rabin,  lance un assaut contre le camp                                                         d'Atlith, sur la côte au sud d'Haifa (cf. carte), libérant 208 détenus,                                                      dont beaucoup de survivants de l'holocauste nazi.  

1er novembre 1945   :    5 locomotives détruites à la gare de Lydda, tuant 2 employés, un soldat                                              et un policier.

27 décembre 1945     :  Attentat à la bombe contre le CID, tuant 3 policiers britanniques et 4                                                  soldats Sotho (Basotho), venus d'Afrique du Sud. 

22 février 1946           :    destruction de 14 avions de la Royal Air Force (RAF).

25 avril 1946               :    assassinat par le Lehi de 7 parachutistes britanniques non armés,                                                        action condamnée par la Haganah (Weinstock, 2011).

17 juin 1946                :    Operation Markolet (The night of the bridges) : destruction par la                                                      Palmach d'une dizaine de ponts reliant la Palestine à des pays                                                               voisins (Gartman, 2015).

22 juillet 1946            :     Attentat à la bombe au palace du King David Hotel,  ayant fait 91                                                      victimes, pour l'essentiel des civils (employés de l'hôtel, secrétariat,                                                     etc.), dont 41 Arabes, 15 à 28 citoyens britanniques, 17 Juifs                                                                    palestiniens, 2 Arméniens, 1 Grec et 1 Egyptien.  

"Mais la sauvagerie des 20 000 « bérets rouges » britanniques qui lancent en guise de représailles une immense opération de ratissage à Tel-Aviv à partir du 30 juillet sous l’appellation Opération Shark (Requin) ne fait qu’aviver l’animosité envers l’occupant.(Weinstock, 2011).

30 octobre 1946        :     mitraillage et explosion à la gare ferroviaire de Jérusalem : 2 gardes                                                    britanniques tués.

31 octobre 1946        :     Attentat à la bombe à l'Ambassade britannique de Rome (Italie),                                                         causant trois blessés.

13 novembre 1946    :     attentat à la bombe sur une ligne de chemin de fer, tuant 6 personnes                                                 (2  Britanniques et 4 Arabes).  

12 janvier 1947          :    Un camion piégé par le Lehi explose à Haïfa, faisant 5 morts parmi les                                               policiers et 140 blessés  (Weinstock, 2011).

10 février 1947          :    Contre la fustigation de leurs camarades, 4 survivants d'une escouade                                                 de l'IZL veulent rendre la pareille à des officiers britanniques mais ils                                                 les livrent finalement à leurs autorités militaires, qui en condamnent                                                  trois  à la peine capitale par pendaison et un garçon de 17 ans à la                                                        perpétuité  (Weinstock, 2011).

1er mars 1947            :      attentat à la bombe au Goldschmidt Officer's Club, tuant 17 officiers                                                   britanniques.  l'IZL lance 16 opérations, dont une attaque de la prison                                               d'Acre par 34 combattants,  qui libèrent 27 prisonniers du Lehi et de                                                    l'Irgoun, en même temps que s'évadent 180 détenus arabes  

                                              (Weinstock, 2011).   

12 mars 1947             :      Attaque du camp Schneller, tuant un soldat britannique.

18 juin 1947              :      Un membre de la Haganah tué par un piège alors qu'il scellait un                                                          tunnel  creusé par l'Irgoun pour faire exploser le quartier général                                                            britannique  de la Citrus House.

19 juillet 1947           :       4 attentats à Haifa causent la mort d'un agent de police britannique e                                                 et blessent 12 personnes. 

29 juillet 1947          :         Pendaison de 3 militants de l'Irgoun.

30 juillet 1947           :       Kidnapping et pendaison de 2 sergents britanniques, en représailles à                                                la mort des combattants de l'Irgoun, la veille  

4 août 1947               :         Explosion de deux bombes à retardement dans les sous-sols du                                                             luxueux hôtel Sacher, à Vienne, sans faire de victime. 

5 août 1947               :          Attentat à la bombe visant les bureaux du British Labour Department                                                à Jérusalem, tuant 3 policiers britanniques. 

9 août 1947             :          Attentat à la bombe sur la ligne du train Caire-Haifa, tuant un                                                            ingénieur juif.

12  août 1947           :         Deux attentats à la bombe sur des trains en Autriche, le premier                                                           blessant un soldat britannique, le second  échouant à faire dérailler un                                                autre train.

26 septembre 1947   :       Braquage de banque par l'Irgoun causant la mort de 4 policiers                                                            britanniques.

29 septembre 1947   :       Attentat à la bombe de l'Irgoun pour exploser les quartiers généraux                                                  de la police de Haifa, causant 10 morts : 4 policiers britanniques, 4                                                       policiers arabes, un couple arabe et blessant 53 autres.  

                                            

source principale documentée :   List of Irgun attacks,  article de Wikipédia

palestine police force - wanted - terroristes juifs.jpg

                           The Palestine Police Force, WANTED !  vers 1944-1947

 

Affiche de recherche des terroristes juifs fichés par la police britannique. Cerclé de rouge, "Menahem Beigin" (Menahem Begin, 1913-1992), qui dirige le Betar en 1939 auprès de Jabotinsky,. et deviendra le cinquième premier ministre de l'Etat d'Israël, entre 1977 et 1983. 

Certains, qui ne faisaient partie ni de nos amis, ni de nos ennemis, comme le correspondant du New York Herald Tribune, se servaient aussi de ce mot d’origine latine [terroriste, NDA] pour nous désigner, soit parce qu’ils avaient subi l’influence de la propagande anglaise, soit par habitude. Nos amis, comme l’Irlandais O’Reilly, préféraient devancer l’histoire et nous désigner par un mot plus simple, d’origine latine, lui aussi : le mot « patriote ».

Menahem Begin, המרד, זכרונותיו של מפקד הארגון הצבאי הלאומי בארץ-ישראל, "La Révolte, Mémoires du commandant de l’Organisation militaire nationale en Palestine",  Ahiasaf Publishing,  Jérusalem,  1950.          

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La Haganah, ou encore l'Agence juive ont combattu les mouvements terroristes un peu de temps, pendant l'année 1944 et une grande partie de l'année suivante, mais dès le début du mois d'octobre 1945, Ben Gourion adresse un télégramme secret au commandement de la Haganah, lui demandant de combattre le pouvoir mandataire. Ainsi, d'octobre 1945 à juillet 1946, les forces juives de l'Irgoun, de la Haganah, de Palmah et du Lehi se dressent contre le pouvoir britannique et s'unissent en un seul front appelé Tnouath Hameri Ha’ivri (Tnuat Ha Meri Haevri). 

 

Le 12 juin 1946, le gouvernement mandataire rejette la recommandation de la Commission d'enquête anglo-américaine d'accueillir 100.000 réfugiés juifs, provoquant l'ire des organisations juives de lutte armée en Palestine, ce qui multiplie leurs attaques sur des objectifs britanniques. Dans le même temps, la Haganah faisait entrer clandestinement en Palestine 70.700 immigrés entre août 1945 et mai 1948 (Weinstock, 2011).  Il faut noter cependant que la proposition anglo-américaine  d'autoriser l'immigration de 100.000 réfugiés juifs de l'Holocauste, était assortie d'une condition de suppression des milices privées juives, en premier lieu la Haganah, qui a suscité la méfiance des dirigeants sionistes. Lors d'une réunion de l'Agence juive, le 11 décembre 1945, Moshe Sneh, commandant de la Haganah, affirmera que "l’accord de l’Amérique pour participer au Comité avait pour but de nous dépouiller de notre argument principal... pour faire appel aux Américains contre un comité anglais. l’introduction de l’Amérique équivaut à nous désarmer."  (Nashmani, 2005)

 

La multiplication des attentats sionistes  durcissent le ton des autorités  britanniques envers les organisations sionistes, armées ou non, qui lancent une opération d'envergure appelée Opération Agatha (Black Sabbath, Black Saturday), le 29 juin 1946, marquée par des arrestations ("2700 personnes appréhendées", op. cité), des barrages routiers, de nombreuses perquisitions dans les colonies ("27 kibboutzim sont perquisitionnés", op. cité), notamment pour découvrir des caches d'armes, la plus importante saisie ayant eu lieu  à Yagur  (cf. carte). 

kibboutzim   :  "la Haganah mobilise un millier de pionniers au mois d’octobre 1946 pour fonder 11 kibboutzim dans le Néguev, pressentant que le désert échoira à la partie qui entreprendra de s’y installer pour le cultiver. Nonobstant les restrictions imposées par le Livre blanc, 70 nouveaux kibboutzim et 20 autres villages agricoles juifs ont été fondés de février 1940 à mai 1948." (Weinstock, 2011).  

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droits justes

 

 

        la sauvegarde de leurs droits justes

 

En 1942, près d'un cinquième d'électeurs juifs mobilisés pour le Ve congrès de la Histadrout, qui rejetait la partition, votait contre cette dernière en faveur d'un état binational, porté en particulier par la Ligue pour le rapprochement et la coopération judéo-arabes, fondée en 1939, formé plutôt d'intellectuels, d'universitaires et de professions libérales militant à la gauche de Poalé-Tsiyone et encore plus à Hachomer Hatzair. Critiquant l'orthodoxie sioniste, l'organisation promeut des idées dans le sillage de Brit Shalom, à la suite de l'association Kedmah-Mizraha ("Vers l'Est"), fondée en 1936 en partie par des anciens membres de Brit Shalom, comme Haïm Margaliot-Kalvarisky, Moshé Smilansky, Jacob Thon ou Rabi Binyamin, aux idées plutôt tièdes, de type fédératif et non de binationalité, "tout en affirmant une loyauté inconditionnelle envers « le grand retour à Sion »"(Shlomo Sand, Deux peuples pour un État ? Relire l'histoire du sionisme, traduction de l'hébreu par Michel Bilis, Edition du Seuil, 2024).  La Ligue pour le rapprochement judéo-arabe est autrement plus soucieuse d'équité envers la communauté arabe,  et Martin Buber, en membre très investi, "veut promouvoir trois objectifs : 1) supprimer le slogan « Avoda Ivrit » (« Travail hébraïque » — qui doit remplacer le travail arabe) porté par la gauche sioniste ; 2) renoncer à l'exigence d'une émigration juive illimitée ; 3) abandonner la revendication d'une majorité juive. C'est la raison pour laquelle Buber fut l'un des premiers à adhérer à l'association Ihoud, fondée par Léon Magnes en 1942." (S. Sand, Deux peuples..., op. cité).

 

En effet l'Ihoud (Ichud, Yihoud : "Union", "Unité") est créée en 1942, en partie en réaction au programme de Biltmore, et ses co-fondateurs, Leon Magnes, Martin Buber et Ernst Simon, qui pensent avec raison que le projet de Biltmore conduira à embraser la région de la Palestine, s'opposent fermement à celui de Ben Gourion (entre autres), visant à créer un Etat juif indépendant.  Témoignant le 14 mars 1946 devant la Commission d'enquête anglo-américaine. Judah Magnes affirmera sur le sujet  : "Il y en a qui veulent l’État pour l’État. Ils sont fous d’État, ne réalisant pas que l’État est aujourd’hui quelque chose qui a peut-être besoin d’être révisé dans son ancienne forme. conception et pratique de l’État" ("Anglo-American Committee of Inquiry on Jewish Problems in Palestine and Europe – Public Hearings, 1945-1948", Suisse, Zug, 1977, p. 31). 

"Le Dr Magnes était capable de faire la distinction entre ce que de nombreux Juifs voulaient réellement – pratiquer le sionisme en établissant un État juif, et ce qu'ils étaient en droit d'obtenir – un État pacifique et une vie prospère. Il a compris que les deux propositions étaient incompatibles, tout simplement parce que la création d'un État juif devait se réaliser dans une région habitée par des non-juifs, les Arabes de Palestine. Il a prédit que la pratique du sionisme ne répondrait pas aux besoins de ceux qui défendaient son idéologie. Ses arguments ont convaincu le Comité anglo-américain Comité, qui venait tout juste d'être chargé de déterminer le sort de la Palestine."   (Tamari, 2008)..   

 

Par ailleurs, les membres de l'Ihoud condamneront  à cette occasion les attentats terroristes de l'Irgoun et du Lehi, convictions dont  ils témoigneront devant ladite Commission.  Dans le même temps ils rappelleront aussi, dans la ligne du sionisme modéré de Brit Shalom, leur attachement à une immigration juive devant atteindre la parité démographique, que rejettent logiquement les colonisés palestiniens.   Richard Crossman, qui avait entendu Magnes dans le cadre de la Commission anglo-américaine, alla jusqu'à affirmer exagérément que "Weizmann, Magnes et Ben Gourion sont entièrement d’accord sur les objectifs, l’établissement d’un Commonwealth juif en Palestine. Sur ce, Magnes est tout aussi extrême qu'un membre du Gang Stern. Ce qui les différencie, c'est la tactique."  (R. Crossman, Anglo-american Committee... Public Hearing... op. cité, pp. 6-7).

 

 

Du côté arabe, un comité préparatoire s'était chargé de rédiger le projet d'une charte de Ligue arabe, dit Protocole d'Alexandrie, lors de la Conférence d'Alexandrie, le 25 septembre 1944, avec des représentants d’Irak, de Transjordanie, de Syrie, du Liban, d'Égypte, d’Arabie Saoudite et du Yémen. Musa Alami est désigné à l'unanimité pour y représenter la Palestine. Il prononça à cette occasion un "discours magistral, qui contenait à la fois description des faits, diagnostic et propositions (...)  Musa fit état de la gravité du problème de la terre et de la législation exclusiviste sur laquelle la politique sioniste d’acquisition des terres était basée (c’est-à-dire les statuts du Fonds national juif). Il préconisa la création immédiate d’une Société arabe de développement al-Mashrû‘al-inshâ''î) et la constitution en cinq ans, par les Etats membres, d’un fonds de cinq millions de livres sterling. Les fonds seraient distribués sous forme de prêts à faible taux d’intérêt aux villageois et fermiers palestiniens, pour les aider à développer leurs terres et éviter que les Juifs ne se les approprient. Il préconisa également l’ouverture immédiate de bureaux d’information dans les principales capitales occidentales, pour contrer la propagande et la désinformation sionistes. Musa fit grande impression sur les dirigeants arabes qui assistaient à la Conférence. Ils approuvèrent le principe de toutes ses recommandations et réaffirmèrent leur engagement lors de la réunion du Conseil de la Ligue arabe [cf. plus bas, NDA], l’année suivante, en allouant deux millions de livres sterling pour les bureaux. Mais ce fut Nuri [N. Saïd Pacha, premier ministre d'Irak, NDA],  qui, sous couvert de cet accord, monta au créneau pour fournir les moyens nécessaires à la réalisation des projets de Société de développement et de Bureau arabe de Musa, sans passer par les autres Etats membres. Il fit un transfert de deux cent cinquante mille livres sterling à Musa pour la Société de développement au cours des deux premières années et d’une somme restée secrète pour le Bureau arabe. Nuri fit de Musa le seul responsable de l’utilisation des fonds, à titre personnel  (Khalidi, 2005).

Musa Alami confia à Albert Hourani la direction des recherches au bureau de Jérusalem, qui devait être le quartier général du Bureau arabe, qui ouvrit en octobre-novembre 1945. 

Au final, le Protocole d'Alexandrie contenait un paragraphe sur la Palestine :  

"Résolution spéciale sur la Palestine


A. Le Comité est d’avis que la Palestine constitue une partie importante du monde arabe et que les droits des Arabes en Palestine ne peuvent être lésés sans porter atteinte à la paix et à la stabilité dans le monde arabe.

Le Comité est également d’avis que les engagements qui lient le Gouvernement britannique et prévoient la cessation de l’immigration juive, la préservation des terres arabes et la réalisation de l’indépendance de la Palestine sont des droits arabes permanents dont la prompte mise en œuvre constituerait un pas vers l’objectif souhaité et vers la stabilisation de la paix et de la sécurité.

Le Comité déclare son soutien à la cause des Arabes de Palestine et sa volonté d’œuvrer à la réalisation de leurs buts légitimes et à la sauvegarde de leurs droits justes.

Le Comité déclare également qu’il regrette éminemment les malheurs qui ont été infligés aux Juifs d’Europe par les États dictatoriaux européens. Mais la question de ces Juifs ne doit pas être confondue avec le sionisme, car il ne peut y avoir de plus grande injustice et de plus grande agression que de résoudre le problème des Juifs d’Europe par une autre injustice, c’est-à-dire en infligeant une injustice aux Arabes de Palestine de diverses religions et confessions.

B. La proposition spéciale concernant la participation des gouvernements et des peuples arabes au « Fonds national arabe » pour la sauvegarde des terres des Arabes de Palestine sera soumise à la commission des affaires financières et économiques pour qu’elle l’examine sous tous ses angles et soumette le résultat de cet examen à la commission préliminaire à sa prochaine réunion.

 

En foi de quoi, ce protocole a été signé à l’Université Farouk Ier d’Alexandrie le samedi 20 Shawwal 1363 (7 octobre 1944).

Protocole d'Alexandrie, (The Alexandria Protocol), 7 octobre 1944

 

 

Sur la base des discussions de la Conférence d'Alexandrie, "des Palestiniens panarabistes (notamment des membres du parti Istiqlal) avaient favorisé la création de la Ligue arabe via leurs contacts irakiens, mais se méfiaient des penchants pro-britanniques des Hachémites" (Khalidi, 2005). Deux camps s'opposent, donc, d''un côté, les monarchies hachémites d'Irak et de Transjordanie, "soutenues par des monarchistes et des panarabistes assez mal organisés en Grande Syrie. De l’autre côté, les familles royales saoudienne et égyptienne, soutenues par les républiques syrienne et libanaise, indépendantes depuis peu. Les Palestiniens étaient pris entre les deux. II y avait d’autres problèmes au niveau interarabe.." (Khalidi, 2005) Enfin, la Ligue arabe est fondée officiellement au Caire le 22 mars 1945 autour de six pays : L'Egypte, le Liban, la Syrie, la Jordanie, l'Irak et l'Arabie saoudite, qui signent la Charte de la Ligue arabe, qui comprend un chapitre sur la Palestine :

"Annexe concernant la Palestine

Depuis la fin de la dernière grande guerre, la domination de l’Empire ottoman sur les pays arabes, parmi lesquels la Palestine, qui s’est détachée de cet Empire, a pris fin. Elle en est venue à être autonome, non subordonnée à un autre État.

Le traité de Lausanne stipule que son avenir doit être réglé par les parties concernées.

Cependant, même si elle n’était pas encore en mesure de contrôler ses propres affaires, le Pacte de la Société des Nations de 1919 prévoyait un régime fondé sur la reconnaissance de son indépendance.

Son existence internationale et son indépendance au sens juridique ne peuvent donc pas être remises en question, pas plus que ne le pourrait l’indépendance des autres pays arabes.

Bien que les manifestations visibles de cette indépendance soient restées obscurcies pour des raisons indépendantes de sa volonté, cela ne devrait pas interférer avec sa participation aux travaux du Conseil de la Ligue.

Les Etats signataires du Pacte de la Ligue arabe sont donc d’avis que, compte tenu de la situation particulière de la Palestine et jusqu’à ce que ce pays puisse effectivement exercer son indépendance, le Conseil de la Ligue devrait se charger de la sélection d’un représentant arabe de la Palestine pour participer à ses travaux.

 

Charte de la Ligue arabe  (Charter of Arab League), Article XX, 22 mars 1945) 

 

Agissant au nom de la Ligue arabe, Jamil Mardam Bey (1893-1960), le Premier ministre syrien, se rendit à Jérusalem pour pousser les dirigeants palestiniens à créer un front uni. Ses efforts furent récompensés par la création d'un nouveau Haut Comité Arabe (HCA, AHC), dont la direction était constitué de  douze membres, mais dont la durée de vie fut très courte. Cinq d'entre eux appartenaient au Parti Arabe Palestinien (cf. partie I), acquis aux majlisiyyun  (cf. partie I), cinq autres appartenant aux autres partis principaux, déjà évoqués :  R. al-Nashashibi (P. de la Défense Nationale), H. al-Khalidi (P. de la Réforme),  A. Salah (Bloc National),  Y. Ghusssein (P. du Congrès de la Jeunesse arabe),  et enfin, A. Abdul Hadi (P. de l'Indépendance : Istiqlal) ; et enfin, deux indépendants : Musa Alami et A. Hilmi Pacha  (Khalidi, 2005).   La faible représentativité de Musa Alami ne l'empêcha pas d'avoir une grande influence et d'exposer en détail ses deux grands projets sur les Bureaux arabes (il avait prévu d'en ouvrir à Jérusalem, Londres, Washington, Paris et Moscou) et la Société de développement. Malheureusement, Musa rencontra de nombreuses difficultés, dues aux nombreuses divisions et rivalités politiques du clan arabe.  Tout d'abord,  Hilmi Pacha avait eu un projet de développement similaire à celui de Musa, mais qui avait avorté et ne souhaitait pas voir Musa réussir là où il avait échoué. D'autre part, en rompant avec son gendre, Abdul Hamid Shoman,, ancien copropriétaire de l'Arab Bank du côté des majlisiyyun,  il créera une banque rivale, la National Bank (Bank al-Umma), et ainsi, "les deux principales institutions financières palestiniennes, l’Arab Bank et la National Bank, se retrouvèrent associées à des groupes politiques rivaux, la première avec les Majlisiyyun (y compris Hizb al-Arabi) et la deuxième avec les dirigeants des autres partis (Réformateur, Istiqlal, Bloc national, Congrès de la jeunesse) plus les Mu‘aridun (y compris le parti Défense de Nashashibi)."  (Khalidi, 2005).

       nouveau Haut Comité Arabe        :   Au total, il sera constitué de 32 membres, dont 28 font partie de l'élite des propriétaires terriens (ayan), sans aucun paysan ou ouvrier  (Morris, 2004 : 21) :  On a là un trait constitutif et récurrent de toutes les ploutocraties depuis des millénaires, jusqu' aujourd'hui, en pays prétendu démocratiques, où les  gouvernements comportent très souvent une proportion importante de ministres millionnaires ! 

 

Applaudi, nous l'avons vu, par les dirigeants de l'Irak hachémite et de la Transjordanie, le discours de Musa Alami à la Ligue arabe a été de plus en plus méprisé  par les non-hachémites et le secrétariat de la Ligue arabe, ce qui eut des conséquences concrètes sur la construction d'une solide dynamique politique palestinienne : La Ligue refusa de continuer de financer les deux projets de Musa et ce dernier dut fermer les Bureaux arabes de Paris et de Moscou (Khalidi, 2005).  Après avoir soutenu M. Alami, Husssein F. Khalidi critiqua vertement à la fois la faiblesse de son projet de développement et appréciait de moins en moins ses attitudes trop personnelles, son manque de coopération. 

 

Le 28 février 1946, date à laquelle la Commission d'enquête anglo-américaine annonça sa venue au Caire, pour rencontrer la Ligue arabe, Hussein F. appela au boycott mais Musa, fermement décidé à y présenter la cause palestinienne, reçut le soutien de différents dirigeants de parti, principalement Nashashibi et Abdul Hadi. Dans le camp opposé, le HCA était très divisé sur la question, mais, heureusement, les autorités britanniques relâchèrent pour l'occasion Jamal Husseini, "admirateur, beau-frère et voisin de Musa" (Khalidi, 2005) Non seulement le HCA finit par décider de témoigner devant la Commission, mais en l'absence de Hadj Amin, toujours en exil, Jamal prit les rênes du Haut Comité Arabe pour le reconstituer à nouveau. Le 25 mars il annonçait la composition du nouveau Comité, qui conservait les cinq membres du Parti Arabe (Hizb al-Arabi), en plus de sept sympathisants de ce dernier, afin d'éviter les divisions si préjudiciables à l'action du Comité, pensait Jamal, affirmant que le Parti Arabe "bénéficiait du soutien de quatre-vingt dix-neuf pour cent des Palestiniens, mais il admettait que ce pourcentage pouvait ne pas dépasser quatre-vingt-quinze" (Khalidi, 2005) Les partis au dehors du Comité (Istiqlal, Réforme, Bloc N., Congrès..., Défense N.) se regroupèrent en mai 1946 dans un Front Supérieur Arabe (Arab Higher Front).  Intransigeant envers les dirigeants modérés recherchant à coopérer avec les Juifs, des partisans des Husseini  n'hésiteront pas à assassiner pour cette raison un membre de la famille, Faouzi Darwich (Fawzi Darwish) al-Husseini, cousin du mufti Amin, qui avait fondé à Haïfa la même année le mouvement Filastin al-Jadida ("La Nouvelle Palestine"), favorable à un Etat binational (Bensoussan, 2023),  et avait passé un accord avec la Ligue pour le rapprochement et la coopération judéo-arabe (New York  Times, 16 juillet 1947, p. 6).  Il en va de même pour Sami Taha, le leader syndicaliste déjà évoqué, de l'Union palestinienne des travailleurs arabes, qui refusait de passer sous les fourches caudines du HCA et avait affirmé à ses camarades de lutte, quelques jours avant son assassinat, qui eut lieu le 12 septembre 1947 :  "peu importe s’il y aura ou non beaucoup de Juifs, nous devrons coopérer avec eux”  (cité par Flapan, 1987).   

"Il y eut une longue lutte entre la Ligue et d’autres organisations politiques, en particulier entre Hajj Amin et Sami Taha, qui a commencé à devenir une figure nationale après sa confrontation avec Aneuran Bevan, ministre des Affaires étrangères du gouvernement travailliste, pendant une conférence à Londres à laquelle participaient les régimes arabes et le mouvement ouvrier palestinien, et au cours de laquelle Taha a déclaré : « A bas la Grande-Bretagne impérialiste en Palestine ! »

La chose effraya Hajj Amin. Il voyait en lui une personnalité influente, qui bénéficiait de l’appui populaire des ouvriers, des employés du gouvernement et des agriculteurs des ligues coopératives. En septembre 1947, Sami Taha a été assassiné à l’instigation de la direction qui ne pouvait pas se séparer des agents des régimes arabes, et qui avait si peur de la lutte."

Témoignage d'un paysan palestinien devenu syndicaliste à Haïfa, dans Rosemary Sayigh, The Palestinians : From Peasants to Revolutionaries, Préface de Noam Chomsky, 1979,  Zed Books. 

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Les violences des Husseini ne s'arrêtent pas là, et Jamal déclenchera une vague d'assassinats cherchant à éliminer ses opposants les plus gênants, tel l'émir Muhammad Zeinati,   cheikh de la tribu bédouine des Ghazawiya (Weinstock, 2011).

La Commission anglo-américaine séjournera  en Palestine du 6 au 28 mars 1946, certains membres visitant Damas, Beyrouth, Bagdad, Ryad ou Amman. Deux jours après son arrivée, Musa Alami convoquait une réunion générale, où il "arriva entouré de trois membres du Hizb al-Arabi au HCA, d’Albert Hourani et d’Ahmad Choukeiri, un jeune avocat très ambitieux qui avait été nommé directeur du Bureau arabe (il avait aussi été nommé au HCA constitué par Jamal). Il y avait également un panel de personnalités palestiniennes dont le maire de Jaffa, l’archevêque grec-catholique de Palestine et mon père, Ahmad Samih al-Khalidi. Les participants arabes non-Palestiniens les plus en vue étaient les consuls de Turquie, d’Egypte, de Syrie, du Liban et de l’Irak" (Khalidi, 2005).

 

Dans le camp arabe, quatre personnalités ont témoigné devant la Commission : Jamal Husseini, Awni Abd al-Hadi, Ahmad Shukayri  (Ahmed Choukayri, A. al-Shukeiri, Shukeiry, Shuqayri, Shuqairi, Shuqeiri, 1908-1980), avocat, élu au parlement ottoman en 1908 et 1912, premier président de l'Organisation de la Palestine (OLP), de 1964 à 1967, et enfin,  le Libanais Albert Hourani (1915-1993), historien du Moyen-Orient, professeur à l'Université d'Oxford, il était conseiller adjoint aux Affaires arabes du secrétaire d’Etat britannique résidant au Caire, à cette période, et représentait le tout nouveau Bureau arabe. 

« Lors de son témoignage devant l’AACI, Hourani a rappelé au comité que "le peuple arabe [...] a souligné à maintes reprises que la seule solution juste et praticable au problème de la Palestine réside dans la constitution de la Palestine, ... dans un État autonome, avec sa majorité arabe, mais avec tous les droits pour les citoyens juifs... Un État qui devrait entrer à l’ONU ... sur un pied d’égalité avec les autres États arabes ; un État dans lequel les questions d’intérêt général, comme l’immigration, devraient être tranchées par la procédure démocratique ordinaire, conformément à la volonté de la majorité". Le gouvernement serait "représentatif de tous les citoyens palestiniens à un niveau d’égalité individuelle absolue". Lorsque le Bureau arabe a exposé sa vision, il a mis l’accent sur les droits des Juifs qui se trouvaient déjà dans le pays en tant que citoyens légaux. Cette vision de l’avenir était celle dans laquelle "les citoyens palestiniens, arabes et juifs, [auraient] la responsabilité du bien-être de l’ensemble du peuple du pays". D’autres documents soumis à l’AACI décrivaient la formation du gouvernement par le biais d’assemblées constitutionnelles et législatives, des dispositions pour une loi électorale et d’autres garanties qui devraient, disent-ils, être "incorporées" à une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies.

Mais les arguments arabes, palestiniens ou autres, semblaient laisser peu d’impression sur les commissaires, dont certains ont vilipendé les Arabes pour leur "intransigeance" et leurs positions intransigeantes. Les représentants de la cause palestinienne, comme Philip Hitti, un historien libano-américain de l’Université de Princeton, n’ont pas réussi à convaincre ces arbitres occidentaux de démêler le lien inextricable entre la question d’un État juif et les réfugiés juifs. Lui et d’autres ont réfuté l’idée que seul un État juif pouvait alléger les souffrances des victimes sans abri de l’Holocauste. Fayez Sayigh a déclaré dans sa soumission à la commission : "Chercher à alléger les souffrances des Juifs, en causant des souffrances égales à un autre peuple, n’est pas seulement une tentative déraisonnable... ni seulement une tentative imprudente... mais aussi et surtout une tentative injuste." De même, dans ses interactions avec la commission, Hourani a soutenu que les portes de l’Europe et de l’Amérique devraient être ouvertes aux victimes de la guerre européenne, et non à la Terre Sainte, politiquement fragile, puisque les Arabes n’étaient pas responsables du problème. Dans sa communication écrite intitulée L’avenir de la Palestine, le Bureau arabe recommandait que le problème des réfugiés soit "examiné par les Nations Unies [...] aux frais égaux de tous ses membres", soulignant, comme d’autres présentateurs l’avaient fait, que le problème de l’asile pour les Juifs était une responsabilité mondiale.

Dans leur argumentation, les Palestiniens ont reconnu qu’à la racine de la contestation se trouvaient deux points de vue : soit la majorité en Palestine – les Arabes – devait se voir accorder ses droits démocratiques ; ou ce droit pouvait être sacrifié, et le résultat de la barbarie de l’Europe pouvait être rejeté, et ses victimes pourraient recevoir un État en Palestine au nom de "l’humanitarisme".

Mais la tragédie européenne a finalement été utilisée pour déterminer et défendre la décision politique d’accéder aux principales revendications sionistes, en opposition à tous les principes et procédures démocratiques." 

 

"The 1946 Anglo-American Committee – Humanitarianism Over Justice",  article de l'Interactive Encyclopedia of the Palestine question. 

 

Bien que signé, le rapport de la Commission (Report of the Anglo-American Committee of Enquiry regarding the problems of European Jewry and Palestine, Lausanne, 20th April, 1946) ne faisait pas du tout l'unanimité parmi ses membres : 

"Bevin avait promis que le rapport serait entériné s’il était unanime. Mais Crum, McDonald et Crossman avaient continué à demander la partition et exigé l’admission immédiate de cent mille Juifs en Palestine. D’autres préféraient l’option d’une Palestine qui ne soit ni un Etat juif ni un Etat arabe en attendant de mettre le pays sous tutelle des Nations unies. Singleton tenait absolument à ce que l’attribution des cent mille certificats d’immigration soit assortie du démantèlement de la Haganah. L’impasse se transforma en sprint après l’envoi d’un télégramme de Truman (rédigé par Niles) à Hutcheson, le sommant de produire un rapport « émanant de la Commission tout entière (sic) », préconisant « des solutions concrètes pour soulager une souffrance et une misère indicibles». Les Britanniques troquèrent la non-recommandation d’un Etat arabe ou juif et la condamnation sévère (mais pas le démantèlement) de la Haganah contre les cent mille certificats. Les grands gagnants étaient Truman et Ben Gourion. Le Livre Blanc était à la poubelle."  (Khalidi, 2005) 

rapport commission enquete anglo-americaine 20 avril 1946.jpg
caste inférieure

 

Réduits  à  une caste inférieure ” ?

 

 

Au moment où le monde s'apprête à  dérouler le tapis rouge pour le nouvel Etat d'Israël, le Yishouv est fin prêt. Il a colonisé considérablement le territoire de la Palestine à la fois en terme de peuplement, par la puissance économique, par son pouvoir politique, tout cela a été montré en détail.  A cela, il faut ajouter un point important qui n'a été révélé qu'à partir des années 1980 par les "nouveaux historiens israéliens", confirmé par les historiens arabes, qui ont balayé l'ancien mythe (un de plus) sur "un frêle État d'Israël à peine né" (Vidal, 2008), alors que « les chercheurs confirment la supériorité croissante des forces israéliennes (en effectifs, armement, entraînement, coordination, motivation...) à la seule exception – peut-être – de la courte période qui va du  15  mai  au  11 j uin  1948.  À  quoi  s’ajoutent,  pour  Israël,  l’appui  des  États-Unis et, on l’a vu, de l’URSS » (op. cité). 

 

Le "Comité spécial des Nations unies sur la Palestine" (United Nations Special Committee on Palestine, UNSCOP) est créé par décision de l'Assemblée de l'ONU (UNGA, United Nations General Assembly), le  15 mai 1947, et composé officiellement avec un objectif de neutralité, de onze nations n'étant aucune une des grandes puissances et membres permanents du Conseil  de sécurité de l'ONU : Australie, Canada, Guatemala, Inde, Iran, Pays-Bas, Pérou, Suède, Tchécoslovaquie, Uruguay et Yougoslavie.  Cette vitrine de neutralité, c'est une des choses typiques qui s'apprennent dans les  manuels scolaires, qui édulcorent en permanence l'histoire et ne reflètent aucunement les réelles forces en présence qui la traversent et la transforment. Pour mieux comprendre ce qui se passe en la matière, le mieux est de s'adresser à des historiens qui ont étudié ces forces en question, en l'occurrence Ilan Pappé  :  

"Malgré une composition pluraliste, les démarches du Comité furent en coulisses fortement marquées du sceau de la délégation américaine et des motivations russes. Malgré le commencement de la guerre froide entre les deux blocs, il se fait que, sur la Palestine, les positions des deux grandes puissances n’étaient pas très antagoniques.

Les membres de l’U.N.S.C.O.P. étaient dépourvus de toute expérience sur le Moyen-Orient en général et sur la Palestine en particulier. Lors de leur première session de travail, ils durent vite prendre la mesure de la situation politique complexe de la Terre sainte. Parmi les dirigeants des deux camps en présence, ce sont les « faucons » qu’ils convièrent à New York pour exposer leurs griefs et défendre leurs positions. Abba Silver Hillel représentait les sionistes, tandis que Henry Cattan et Djamal Al-Husseini représentaient les Palestiniens. Si Cattan s’efforça de convaincre les membres du Comité que leur rôle se bornait à apprécier la légalité, la validité et la moralité de la déclaration Balfour, Silver évoqua surtout l’apport du judaïsme à la civilisation et demanda au Comité de doter les Juifs d’un État. Pour Silver, l’U.N.S.C.O.P. devait accepter comme une évidence le fait que le peuple juif, comme tout autre peuple doté d’une identité nationale propre, avait à tout le moins droit à un État. De son côté, Cattan exigeait la création d’un État arabe sur toute la Palestine. Ce fossé que les Britanniques, en trente ans, n’étaient jamais parvenu à combler, le Comité entendait le combler." (I. Pappé, "ONU 1947 : Un dialogue de sourds", article de La Revue Nouvelle, n° 5/6, mai-juin 1998).

 

Henry Cattan   (1906-1992) :  Avocat palestinien, diplômé de l'Université de Paris et de Londres, qui a témoigné devant la Commission d'enquête anglo-américaine en 1946 et membre de la délégation représentant le Haut Comité arabe (HCA, AHC) devant l'assemblée des Nations-Unies pour défendre, avec Jamal  al-Husseini, la cause nationale palestinienne, lors de la seconde séance tenue à Lake Success, New-York, le 26 septembre 1947. 

 

D'autres points relatifs à la Shoah sont évoqués par Pappé :  "l’efficacité de la propagande sioniste et la vague d’émotion suscitée par la Shoah eurent pour effet que la volonté des personnes déplacées ne fut absolument pas prise en compte. Par ailleurs, une question qui ne fut jamais abordée, c’était le lien établi par les responsables sionistes entre le sort des Juifs de la diaspora et le sort du yishouv de Palestine. De même, la position des courants juifs non sionistes n’eut jamais voix au chapitre."  (op. cité).  On peut regretter, cependant, avec l'historien que les dirigeants palestiniens "aient manqué de ce pragmatisme qui caractérisait le mouvement sioniste depuis 1882. Toutefois, quand bien même se fussent-ils montrés pragmatiques, ces dirigeants auraient dû néanmoins se mesurer au défi moral posé par la Shoah." (op. cité).  Au manque de poids sur le Comité de la part des responsables palestiniens, s'ajoute enfin l'étonnante décision de leur part de "laisser l’initiative politique à la Ligue arabe. Ce fait historique était sans précédent. Dans les années trente, ces mêmes dirigeants arabes avaient contrecarré le combat politique des Palestiniens" (op. cité).  Cependant, à l'instar de toutes les précédentes négociations menées par les émissaires arabes sur la question palestinienne, celles menées auprès des délégués de l'UNSCOP n'échappèrent pas à la règle : "Mais, si les positions palestiniennes étaient connues d’une partie des délégués, peu d’entre eux traitèrent sérieusement les arguments juridiques et politiques avancés par les Palestiniens.". 

Du 15 juin au 20 juillet, l'Unscop fait une enquête en Palestine, en particulier sur le statut de Jérusalem et la protection des lieux saints et des différents sanctuaires et établissements religieux, dont les différentes communautés  communiquent leur propre liste (en particulier le Patriarcat grec orthodoxe, les Arméniens, la "Custodie" chrétienne  (Bitan, 2008).  Le comité visite des organisations sionistes qui reçoivent  souvent avec des fleurs. Mais pour les Arabes, ce n'est qu'une énième commission de la longue lignée de celles qui cherchaient à établir un "foyer juif", rejeté par les Arabes de Palestine depuis le début, et qui s'était concrétisé, année après année, en un embryon d'Etat, cela a été vu dans le détail. Celle-ci était la pire, finalement, car elle n'était là que pour préparer à acter, d'une manière ou d'une autre, un Etat juif en Palestine.  Le Haut Comité Arabe a boycotté ce simulacre d'investigation et a réclamé la souveraineté de l'entièreté du pays, ce qui leur a été refusé. 

palestine-plan de partition 29 septembre 1947.jpg

 

Le rapport de l'UNSCOP, daté du 3 septembre 1947, confirme encore une fois son instrumentalisation par les acteurs pro-sionistes.  Il est très instructif sur la manière idéologique de présenter la situation israélo-palestinienne, en admettant purement et simplement le fait (ou plutôt le méfait) accompli auquel est parvenu la colonisation juive, et en le prenant pour une base juste de règlement du conflit :  

"C’est un fait avéré que ces deux peuples trouvent leurs racines historiques en Palestine, et que tous les deux contribuent de manière vitale à la vie économique et culturelle de ce pays." (United Nations Special Committee on Palestine ["Comité spécial des Nations-Unies pour la Palestine"], Rapport d'assemblée générale, seconde session, vol. 1, supplément no 11, New York, 1947, chapter VI, part I, articles 2-4).

 

On gomme ici l'explication principale et historique clamée sans cesse par les Arabes Palestiniens.  Pour bon nombre d'entre eux et leurs familles, ils sont installés depuis des siècles : c'est d'ailleurs devenu le critère principal du droit international à avancer pour émettre une revendication territoriale, que d'habiter (de manière paisible et publique) un territoire de manière non interrompue et que l'on nomme "prescription acquisitive" (La Rosa, 2003) : Il a été rappelé la période pendant laquelle la communauté juive dans son ensemble n'a pas habité la Palestine, presque deux mille ans !   D'autre part, elle contribue en 1947 à l'économie, c'est une évidence, mais comment s'est-elle constituée, quels moyens l'ont fait naître et prospérer ? Nous avons déjà la réponse : c'est comme si vous disiez aux Indiens d'Amérique, aujourd'hui :  Qui crée de la richesse aux Etats-Unis en 2024 ? Les descendants des colons européens ou la poignée d'Indiens qui habitent les réserves ?  

"Le conflit fondamental en Palestine résulte d’un choc entre deux nationalismes extrêmes. Quelles que soient les origines historiques de ce conflit, les torts et les raisons des promesses et des contre-promesses [des deux côtés] et l’incident de l’intervention internationale consécutive au mandat, il y a actuellement [en 1947 donc] 650 000 Juifs et 1 200 000 Arabes qui diffèrent par leurs mœurs, et qui se trouvent pour le moment séparés par leurs intérêts politiques. C’est seulement au moyen d’un partage que ces aspirations nationales conflictuelles peuvent trouver une expression solide ; elle doit permettre à ces deux peuples de prendre place au sein de la communauté internationale, et des Nations unies, en tant que nations indépendantes." (op. cité)  

Là encore,  l'arrière-plan idéologique met sur le même plan les nationalisme juif et arabes et exprime très clairement que les sources du conflit n'intéresse pas le comité. C'est comme si quelqu'un vous tombe dessus, vous assène de coups, que vous ripostez pour défendre votre vie et que la justice condamne votre assaillant et vous à la même peine.

 

Suite au rapport de l'UNSCOP,  l'Assemblée générale des Nations-Unies votait, le 23 septembre 1947, la création du Comité ad hoc sur la question palestinienne (Ad Hoc Committee on the Palestinian Question) ou Comité ad hoc sur la Palestine,  fermement contesté par les Etats arabes,  qui souhaitaient voir la question traitée par le Comité politique de l'ONU, le comité ad hoc pouvant être davantage influencé par "certains groupes de pression", selon l'avis de Charles Habib Malik (Malek, 1906-1987, diplomate et homme politique libanais, rapporteur en particulier de la Commission des droits de l'homme (United Nations Commission of Human Rights)  en 1947 et 1948. Malik déclara par ailleurs que "toute solution permanente nécessite le consentement des Arabes et, par conséquent, dès le départ, si nous avons senti que la question est traitée d’une manière particulière et spéciale, c'est qu'elle n’est pas propice à l’atmosphère constructive nécessaire à une solution permanente"  (C. Malik,cité par "U.N. Assembly Establishes Ad Hoc Committee on Palestine; Will Start Meetings Thursday",  article de la Jewish Telegraphic Agency, 24 septembre 1947)

De septembre à novembre les lobbyistes juifs et les délégués arabes feront pression sans relâche sur les délégations de l'ONU, mais la balance, encore une fois a pesé du côté sioniste. La majorité des pays représentés à l'UNSCOP (sept sur onze au total) défendait une partition à deux Etats et une minorité (Inde, Iran, Yougoslavie) un Etat fédéral dans lequel la souveraineté reviendrait en pratique aux Arabes. Surtout, le secrétaire général et le secrétaire adjoint de l'ONU,  respectivement le Norvégien Trygve Lie (1896-1968)  et le l'Américain Ralph Bunche (1903-1971), tous les deux prosionistes, ont joué un rôle primordial dans cette affaire. 

 

Commençons par évoquer  Trygve Lie qui,  dès le mois de mai 1947, "rencontra secrètement des représentants de l’Agence juive presque quotidiennement à son domicile après avril 1947. Plus tard, il a pleinement soutenu le plan de partage et a été un « fervent défenseur » de l’adhésion d’Israël à l’ONU, considérant Israël comme son « propre bébé » (...) Lie est même allé jusqu’à transmettre « des renseignements britanniques top secret à l’Agence juive » par l’intermédiaire du fonctionnaire norvégien de l’ONU à Jérusalem, qu’il avait précédemment nommé. Il a également transmis des informations militaires et diplomatiques secrètes au représentant d’Israël à l’ONU, Abba Eban"   (Joseph Massad [professeur à la Columbia University],  "Norway, Oslo and the Palestinians: A rotten history", article du Middle East Eye, 18 juillet 2023).  Au-delà de son cas personnel, la Norvège "a activement contribué à la colonisation sioniste de la Palestine et perpétué les conditions coloniales oppressives dans lesquelles vivent les Palestiniens. L’historienne norvégienne Hilde Henriksen Waage a publié les récits les plus fiables de cette histoire mouvementée"  (J. Massad,  "La Norvège, Oslo et les Palestiniens : une histoire « pourrie »",  article du Middle East Eye, version française, 14 septembre 2023).   Conformément à sa politique sioniste, la Norvège aidera par exemple l'émigration des Juifs tunisiens en Israël pendant la lutte pour l'indépendance de la Tunisie, laissant le soin aux pays arabes, comme beaucoup d'autres pays,  d'accueillir plus tard les Palestiniens expulsés de Palestine par les autorités israéliennes.  

Examinons maintenant le cas de Ralph Bunche. Qui est ce premier Afro-Américain très brillant, à obtenir un doctorat en sciences politiques dans une université américaine (Harvard), et qui sera récompensé d'un prix Nobel de la paix en 1950, pour sa médiation dans le conflit israélo-palestinien ?  Quelqu'un qui a œuvré à la fois  pour la compréhension et la critique de la domination coloniale (cf. Mangeon, 2010), mais qui, dans le même temps,  ne correspondait pas, en réalité, à la propagande qui a fabriqué pour lui une image lisse et irréprochable.   Sa progressive récupération par l'élite blanche américaine, en effet, lui a attiré de nombreuses animosités du côté de beaucoup d'intellectuels Noirs qui ne défendaient pas tout à fait les mêmes causes. Dès 1941, son collègue Arthur P. Davis, à la Howard University, où Bunche fut un brillant professeur de 1928 à 1941, "n’avait que des mots désobligeants pour Bunche. Se référant aux coiffes qui distinguaient les esclaves des champs de ceux de la maison de plantation, Davis observa : « Il y a des têtes de nègres [Negroes] à bandana en mouchoir, d'autres à mouchoir de soie, mais Ralph est un Nègre avec une tête à mouchoir en cellophane – il faut descendre jusqu'à un certain angle pour le voir »" (Journal de Rayford Logan, historien de l'université d'Howard, cité dans Janken, 1993, p. 207). Et sa carrière au plus haut niveau des institutions internationales, va confirmer et accentuer la défiance des défenseurs radicaux des droits civiques des Noirs.  En septembre 1941, en effet, il est recruté en qualité de senior social-science analyst,  par la Direction de la recherche et de l’analyse (R&A) du COI (Coordinator of Information), qui allait devenir, l'année d'après, l'OSS, Office Strategic Services, ancêtre de la CIA. Quel révolutionnaire noir pouvait alors accepter d'être un fer de lance d'une organisation dont l'ensemble des renseignements, obtenus en grande partie de manière secrète, et servant en partie à "soutenir des actions paramilitaires" ou "mener une guerre psychologique ouverte et secrète (...) des sabotages en Afrique du Nord et en Birmanie. Ces capacités élargies ont fourni des informations de meilleure qualité et plus à jour aux planificateurs stratégiques et ont aidé à formuler des campagnes de propagande. Cela fait, des équipes d’opérations spéciales seraient insérées derrière les lignes ennemies pour conseiller et aider à la formation, à l’équipement, à l’entraînement et à l’emploi des groupes de guérilla. Les raids commandos aideraient alors les forces conventionnelles à prendre pied en territoire ennemi. C’était une nouvelle façon pour les États-Unis de mener la guerre"  (Troy J. Sacquety, "The Office of Strategic Services (OSS) — A Primer of the Special Operations Branches and Detachments of the Office of Strategic Services", article de Veritas, vol 3, n°4, 2007).   Devenu le "Nègre des Blancs" ("white folks nigger"), selon  la confidence de l'historien et sociologue William Edward Burghardt (W.E.B)  Du Bois à Logan (Journal de Rayford Logan, op. cité, p. 206),  il ne sera pas mieux considéré par les leaders Noirs luttant pour les droits civils  dans les années 1960, comme Stokely Carmichael (1941-1998) :

"C’est ce à quoi la société blanche ne veut pas faire face ; C’est pourquoi cette société préfère parler d’intégration. Mais l’intégration ne parle pas du tout du problème de la pauvreté, seulement du problème de la négritude. L’intégration aujourd’hui, c’est l’homme qui « s’en sort », laissant ses frères noirs dans le ghetto aussi vite que sa nouvelle voiture de sport le conduira. Cela n’a rien à voir avec la femme de Harlem ou pour le cueilleur de coton qui gagne trois dollars par jour. Comme l’a dit un jour une dame que je connais en Alabama : « La nourriture que Ralph Bunche mange ne remplit pas mon estomac. »"  (S. Carmichael, What We Want,  The New York Review of Books, Vol. 7, 22 septembre 1966, pp. 5-6, 8).

"Nous devons dire à Ralph Bunche que la seule raison pour laquelle il est là-haut, c'est pour que, quand nous crions, ils puissent lui retirer sa place. Nous devons le faire, personne d’autre ne peut le faire à notre place." (S. Carmichael, Discours du 28 juillet 1966, Chicago, Illinois, dans We want Black Power, notes and comment, publié par Student Nonviolent Coordinating Committee). 

Le pasteur baptiste Afro-américain Adam Clayton Powell Jr (1908-1972) ou le nationaliste Malcom Little (, dit Malcom X, quant à eux, auront le même regard critique sur Ralph Bunche, le regardant comme un "Oncle Tom international"  (Holloway, 2004).  Malcolm X écrira un texte sur le sujet en 1955, à un moment où il succombe à l'idéologie parfois délirante d'Elijah Muhammad et de sa Nation of Islam,  mais où il écrit un texte sur le sionisme très éclairé sur la nature de la colonisation juive     : 

"Les sionistes avaient-ils le droit légal ou moral d’envahir la Palestine arabe, de déraciner ses citoyens arabes de leurs foyers et de s’emparer de tous les biens arabes pour eux-mêmes sur la seule base de la revendication « religieuse » selon laquelle leurs ancêtres y vivaient il y a des milliers d’années ? Il y a seulement mille ans, les Maures vivaient en Espagne. Cela donnerait-il aux Maures d’aujourd’hui le droit légal et moral d’envahir la péninsule ibérique, d’en chasser les citoyens espagnols, puis de créer une nouvelle nation marocaine... où était l’Espagne, comme les sionistes européens l’ont fait pour nos frères et sœurs arabes en Palestine ?

En bref, l’argument sioniste pour justifier l’occupation actuelle de la Palestine arabe par Israël n’a aucune base intelligente ou légale dans l’histoire. pas même dans leur propre religion." 

 

Zionist Logic,  article de The Egyptian Gazette, 17 septembre 1964

A l'inverse du leader nationaliste Afro-américain, Bunche, pourtant pétri de convictions anticolonialistes, a favorisé la cause sioniste, habité en partie par des jugements conformes au milieu où il évoluait. Tout comme les membres de l'UNSCOP, qu'il accompagne dès leurs premières visites en Palestine, il "fut très troublé par le sort potentiel des Arabes palestiniens dans le cadre de la partition. Contrairement à son impression positive des réalisations et de la force du Yishouv, l’impression du comité sur la partie arabe était empreinte de négativité et de déception. Ses membres considéraient la société arabe comme gravement sous-développée et ses revendications d’indépendance comme irréalistes. Bunche craignait qu'un État arabe indépendant ne soit pas économiquement viable et que les Arabes restés dans l'État juif souffriraient et seraient réduit à « une caste inférieure »"   (Journal de Bunche, 4 juillet 1947, Bunche papers (364) Box 5, UCLA [Université de Californie Los Angeles], dans Ben-Dror, 2008). 

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Judah Magnes, président de l'Université Hébraïque, fit part à l'UNSCOP de sa position représentant celle de l'Ihoud, qui rejetait le plan de partition, estimant  qu'il représentait "un grand désastre à la fois pour les Arabes et les Juifs", que le peuple juif devait se passer de son propre État  "Tant qu'il y aura deux peuples ici... comme il l’a fait pendant des siècles", et soulignant le fait indispensable d'une coopération entre Arabes et Juifs. (Rapport d'Assemblée Générale, United Nations Special Committee on Palestine, Vol. III, pp. 169 –173, 180–187).  On retrouve bien dans le journal intime de Bunche les points exposés par Magnes qui ont fait réfléchir Bunche, mais, que ce soit dans ses rapports, marqués selon Moshe Shertok  d'un "complexe de l'homme noir" (Lettre de Moshe Shertok à Golda Meyerson, 5 août 1947), ou dans des réunions informelles avec les dirigeants sionistes, Bunche ne s'émouvait pas des problématiques soulevées par les nationalistes palestiniens, mais plutôt des comparaisons entre le destin juif et celui des Noirs, rapprochant la douleur des préjugés racistes et celles de l'antisémitisme. 

 

Pourtant,  les positions de Bunche allaient évoluer après sa visite en Transjordanie et, plus que sa rencontre avec le roi Abdallah, pour qui la partition de la Palestine satisfaisait ses appétits de conquêtes territoriales, c'est la réunion avec son premier ministre, Samir al-Rifaï, qui aurait fait une plus grande impression sur lui : "Rifai démontra, selon Bunche, qu'économiquement et géographiquement, Transjordanie et Palestine formait une seule entité et proposa l'établissement d'un seul Etat arabe qui respecterait les droits de sa minorité juive"  (Ben-Dror, 2008 ;  Journal de Bunche, 16 et 24 juillet 1947), proposition bien connue depuis un moment de certains nationalistes arabes, nous l'avons vu.  

"Fin juillet, le comité s'est retiré à Genève pour rédiger son rapport. Dans le débat animé qui s’ensuivit, Bunche devint l’avocat le plus ardent contre la partition, en raison du préjudice qu'elle causerait aux Arabes. Il s'est opposé la revendication sioniste d'un État disposant de la la plus grande partie du territoire palestinien, appelant à ses côtés le Français Henri Vigier [conseiller politique aux Nations Unies], et le Sud-Africain John Redman, venu du siège de l'ONU à New York pour l'aider à rédiger le rapport.  Les trois hommes ont mené une intense campagne pour bloquer la partition. Ils ont expliqué à la délégation sioniste qu'un État juif indépendant devrait être très petit et leur a recommandé d'accepter une solution fédérale, qui pourrait fournir aux Juifs d'importantes réserves de terres qui leur permettraient d'absorber de nombreux immigrants"  (Ben-Dror, 2008).  

Difficile de connaître, au final, les véritables convictions de Bunche sur le sujet. En tout cas, la solution fédérale était majoritairement rejetée, que ce soit du côté de l'UNSCOP, des Sionistes ou des Palestiniens. De plus, la plupart des membres de l'UNSCOP, on l'a vu, penchait pour l'établissement d'un Etat juif, alors qu'ils pensaient les Arabes immatures économiquement et, en partie, politiquement, et que leurs territoires, échus à la création de l'Etat juif,  devaient être annexés à la Transjordanie (Ben-Dror, 2008).  

 Pendant l'été 1947, la féministe libanaise Anbara Salam Khalidi (1897-1986, du nom de l'éducateur palestinien qu'elle a épousé, Ahmad Samih Al-Khalidi) invite Ralph Bunche et lui tient le discours suivant, qui reprend en substance l'argument d'évidence mille fois répété par les Arabes Palestiniens contre la colonisation sioniste :  

 

« Tout ce que je veux dire, c'est ceci : Je possède cette maison et je ne peux pas comprendre pourquoi je devrais y renoncer ou l'abandonner ; je n'ai pas non plus été convaincue qu'une loi dans le monde ou qu'une résolution internationale, quelles qu'elles soient, peuvent me faire consentir à la remettre à des étrangers, quand bien même ils ne posséderaient pas de toit. C'est ma maison, j'habite ici,  et je ne souhaite pas que quelqu'un la partage avec moi. »  Bunche répondit avec une expression peinée : « Croyez-moi, chère madame, cette simple déclaration de votre part est plus convaincante  à mes yeux que la grosse pile de documents qui s'entasse sur mon bureau. »

Blake Alcott,  The rape..., op. cité [cf.  partie II].  "467. Anbara Khalidi to Ralph Bunche — summer 1947", citations tirées des Mémoires d'Anbara Salam Khalidi,   Jawalah fil Dhikrayat Baynah Lubnan Wa Filastin ("Une tournée des souvenirs du Liban et de Palestine"), 1978. 

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À  SUIVRE....

 

 

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