Le drame palestinien
LE LIVRE NOIR DU
SIONISME (III)
« Le sionisme
a accompli
des merveilles »
.
1940 - 1947
Les Arabes :
“ bêtes du désert ”
Ben Gourion n'attendra pas la publication du Livre Blanc pour réagir. Immédiatement après l'échec de la Conférence de Londres, en mars, il appelle l'Exécutif de l'Agence Juive à abandonner la havlaga et à redoubler d'efforts pour accélérer et renforcer la défense des intérêts juifs. Il propose en particulier des actions de désobéissance civile et de non coopération (Hoffman, 1985 : 40). Aucun Juif ne devait participer à « des institutions gouvernementales destinées à mettre en œuvre le Livre blanc ». Les efforts d’immigration illégale devaient être accélérés et toute loi interdisant l'expansion et la consolidation du Foyer national, ignorée. Les fortifications juives dans toute la Palestine seraient renforcées, leurs armureries approvisionnées et les capacités de fabrication d'armes clandestines seraient développées. Enfin, toute tentative pour désarmer le Yishouv devait trouver une opposition très ferme (op. cité) . L'ensemble du plan sera accepté par l'Agence dès le mois d'avril 1939.
En réaction au Livre Blanc, l'Irgoun commence une nouvelle campagne de terreur contre les Arabes et la puissance britannique, mêlant bombes et attaques terroristes armées, à la mitrailleuse, en particulier. Elle défend sa cause comme tous les sionistes l'ont fait jusque-là, avec un attirail idéologique simpliste qui transforment les colons juifs en défenseurs d'une cause juste, se prenant même pour des révolutionnaires luttant pour la liberté de leur nation et proclamant prendre modèle sur l'IRA, Irish Republican Army (Archives du Jabotinsky Institute JI 4/15 K-4 Irgun Press, N° 1/5, août 1939).
Continuant son opération de séduction, MacDonald modifie son plan en limitant les transactions foncières entre Juifs et Arabes, propose un transfert progressif des compétences administratives aux habitants de la Palestine, amendements qui conduisent au nouveau Livre Blanc (Statement of Policy) du 17 mai 1939, qui précède l'allègement des politiques répressives envers les Palestiniens et la libération d'un grand nombre de détenus arabes, évalués à 5679 (Weinstock, 2011). Dès le lendemain, cinq membres de l'AHC se réunissent autour d'Amin al-Husseini (F. Saba, Jamal al-H, H. al-Khalidi, I. Darwaza et A. Rock, mais quatre membres se désistent, en rupture avec les méthodes du mufti. Le petit groupe vote à l'unanimité le rejet du Livre Blanc, quand bien même, selon certains historiens, les Arabes se retrouvaient enfin en position de force pour négocier avec les Britanniques la cessation de la politique du Foyer national juif. Ainsi, Benny Morris ou encore Nathan Weinstock pensent qu'Amin al-Husseini a fait manquer des opportunités aux Palestiniens pour des raisons bien égoïstes, car les propositions du Livre Blanc ne lui auraient pas permis de diriger lui-même le nouvel Etat (Benny Morris, "The Tangled Truth", The New Republic, article du 7 mai 2008 ; Weinstock, 2011, chapitre 6). Le mufti Al-Husseini et son clan sert souvent d'épouvantail à Weinstock, rappelons-nous sa manière de s'en servir pour désigner l'ensemble des Palestiniens pour de vilains fascistes. Dans ce cas précis, encore une fois, ce sont les faits qui peuvent nous éclairer. Le texte du Livre Blanc de mai 1939 a beau réfuter l'idée d'un Etat Juif comme interprétation du "foyer juif" de la déclaration Balfour, il est loin de rendre justice aux Arabes de Palestine, puisqu'il met, une fois de plus, Juifs et Arabes, si ce n'est sur le même pied d'égalité, dans un rapport qui y tend, et ne remet aucunement en cause la situation précoloniale, où les Juifs, rappelons-le, représentaient un peu moins de 10 % de la population du pays :
"Ce devrait être un État dans lequel les deux peuples de Palestine, les Arabes et les Juifs, partagent l’autorité dans le gouvernement de manière à ce que les intérêts essentiels de chacun soient sauvegardés (...) Les deux sections de la population auront l’occasion de participer à l’appareil gouvernemental (...) Il a été demandé instamment que toute nouvelle immigration juive en Palestine soit immédiatement arrêtée. Le gouvernement de Sa Majesté ne peut accepter une telle proposition. Cela endommagerait l’ensemble du système financier et économique de la Palestine et affecterait ainsi négativement les intérêts des Arabes et des Juifs. De plus, de l’avis du gouvernement de Sa Majesté, arrêter brusquement l’immigration serait injuste pour le Foyer national juif (...) L’immigration juive au cours des cinq prochaines années se fera à un rythme qui, si la capacité d’absorption économique le permet, portera la population juive à environ un tiers de la population totale du pays. (Statement of Policy, dit Livre Blanc, 17 mai 1939, op. cité).
S'il paraît évident que le Livre Blanc cherche à redorer le blason arabe, il ne cherche pas à déraciner et réparer la colonisation, qui a déjà causé, nous l'avons vu, beaucoup de dégâts et d'inégalités au détriment de la communauté arabe. Ce fait injuste est non seulement pas réparé, mais il est aussi poursuivi en partie, ce qui en entraîne un autre, celui d'entériner et de consolider la formidable avancée démographique et économique qui permettra de la convertir en avantage politique : "Des représentants arabes et juifs seront invités à servir en tant que chefs de département à peu près proportionnellement à leur population respective. Le nombre de Palestiniens responsables de départements sera augmenté si les circonstances le permettent* jusqu’à ce que tous les chefs de département soient palestiniens, exerçant les fonctions administratives et consultatives qui sont actuellement exercées par des fonctionnaires britanniques."
* c'est nous qui soulignons.
On comprendra donc aisément que la partie arabe ait pu ne pas se satisfaire de ce texte, et à l'inverse, on se demande bien l'état d'esprit qui motive ceux qui condamnent leur intransigeance (et cela vaut pour toute l'histoire du conflit qui suivra, nous le verrons) : Faudrait-il à chaque fois admettre le fait accompli des forts envers les faibles et lui tourner le dos ? Faudrait-il, en plus, que les faibles sachent toujours faire preuve de reconnaissance et acceptent, en guise de réparation, les gestes magnanimes des forts, au mépris de leur volonté ? C'est aussi, en partie, ce qui anime la "Ligue pour le rapprochement judéo-arabe" par d'anciens membres de Brit Shalom, des militants de gauche du Poale Zion ou encore le groupe Alya Hadasha ("Alya nouvelle"), remettant le binationalisme sur la table, mêlant laïcs et religieux, ashkénazes et séfarades, mais qui ne trouvera, encore une fois, aucun écho arabe (Weinstock, 2011, ch. 6).
1939
23 mai : 1 policier tué à Jérusalem.
29 mai : 18 personnes, dont 3 policiers britanniques blessés par l'explosion d'une mine au cinéma Rex de Jérusalem.
5 morts lors d'un raid à Biyar'Adas.
2 juin : Attentat à la bombe à la Porte de Jaffa à Jérusalem, 5 morts
Attentat à la bombe contre 21 centraux téléphoniques.
8 juin : Sabotage par explosion d'une bombe de la Poste Centrale de Jérusalem.
12 juin : 1 démineur mort en tentant de désamorcer une bombe dans un bureau de poste à Jérusalem.
16 juin : 6 morts dans différentes attaques à Jérusalem.
19 juin : 20 morts par explosifs cachés sur des ânes, au milieu d'un marché, à Haïfa.
29 juin : 13 morts dans des attaques rapprochées durant une heure autour de Jaffa.
30 juin : Attentat à la bombe sur le marché de Haïfa, 1 mort.
2 personnes abattues à Lifta.
2 - 5 juillet : 31 opérations sur des marchés arabes, des cafés, des transports public ou des villages (Hoffman, 1985)
3 juillet : 1 mort par bombe dans un marché à Haïfa.
4 juillet : 2 morts dans deux attaques à Jérusalem.
20 juillet : 1 mort à la gare de Jaffa,
6 morts dans différentes attaques, à Tel-Aviv.
3 assassinats à Rehovot.
26 août : 2 policiers britanniques tués par une bombe en bord de route, Ralph Cairns et Ronald Barker, du département d'enquêtes criminelles (Palestine Police's Criminal Investigation Department, CID), l'Irgoun accusant Cairns d'avoir torturé plusieurs de ses membres (John, Robert, "The Palestine Diary : 1914-1945", BookSurge Publishing, 2006). Selon des dossiers du MI5 britannique, il semblerait surtout que Cairns, via un informateur de l'Irgoun appelé Benjamin Zerony, était en train de refermer une nasse sur un des leaders de l'Irgoun, Avraham Stern (Abraham S., 1907-1942), dit Yair (יאיר), Polonais émigré en 1925 en Palestine, poète, qui anime des cellules combattantes en Pologne et des réseaux d'immigration illégale. Il devient officier combattant pour l'Irgoun en 1932 (Zev Golan, Free Jerusalem: Heroes, Heroines and Rogues Who Created the State of Israel, Devora Pub, 2003).
sources : List of Irgun attacks, article de Wikipédia
Jusque-là, la Haganah n'avait pas pratiqué des actes de sabotage, qu'elle initia au travers de Compagnies spéciales (Peulot Meyuhadot : POM), actives entre juin et septembre 1939 :
8 juin :
Minage d'un patrouilleur qui permettait de lutter contre l'immigration clandestine, 1 mort (le commandant) et 5 membres d'équipage blessés.
13 juin :
Représailles contre des assassinats de Juifs, en particulier le conducteur de locomotive Mordechai Shechtman, 5 habitants d'un village kidnappés et tués.
15 juin :
3 personnes assassinées et 3 blessées près de Lubya, en Galilée.
Le pire se produit dans leur lutte pour la défense de l'alyah B, alors que les Britanniques, qui avaient ouvert grandes les vannes de l'immigration juive en Palestine, les avaient refermées de la pire manière, établissant un blocus qui refoulait tout bateau de migrants, même en situation d'urgence. Voulant ainsi empêcher un paquebot français, le Patria, saisi par les Britanniques, de repartir vers l'île Maurice avec ses 1770 passagers, la Haganah manipula mal les explosifs posés sur la coque du navire, qui coula avec plus de 250 personnes, le 25 novembre 1940. Etaient entre temps arrivés le SS Pacific, le SS Milos et le SS Atlantic, en novembre 1940, dont les réfugiés furent en partie transférés sur le Patria, et que, finalement, les Britanniques enverront vers l'île Maurice. Pire, le Struma, dont les 769 passagers furent aussi interdits de débarquer, sera quant à lui torpillé en Mer Noire et sombrera avec presque tous ses passagers (Weinstock, 2011). Enfin, un des commandants du POM, Yitz’hak Sadeh, met en place de nouvelles unités spéciales, créées pour s'en prendre à des terroristes arabes, des dénonciateurs collaborateurs juifs, ou encore des objectifs britanniques.
Ytz'hak (Ytzhak) Sadeh : né Isaac Landoberg (1890-1952), en Russie (Lublin, Pologne actuelle), il combat pour l'Armée Rouge, puis Blanche de Wrangel, et émigre en Palestine en 1920. La même année il cofonde la Gdud Ha'avoda (cf. 1e partie), qu'il commandera et entre au comité de la Haganah et au Conseil de l'Histadrout l'année suivante. Il participe à la défense de Jérusalem en 1921, à celle de Haïfa en 1929, fonde la Nodedet (הנודדת : "Le Vagabond"), en 1936, une unité mobile de combat qu'il dirige avec Eliayu Cohen dit E. Ben-Hur (1907-1985), commandant de la Haganah.
En 1937, il crée et dirige avec E. Cohen, une unité d'élite appelée POSH (פו"ש) ou FOSH, acronyme de Plugot Sadeh (פלוגות השדה : "compagnie de terrain"), pour protéger les différentes colonies juives. En 1941, il crée (et commande jusqu'en 1945) des compagnies ou unités de chocs : Plugot Mahatz (Plougoth M., par acronyme : Palmah, Palmach (פלמ"ח), en prévision d'attaques allemandes.
sources : Yehuda Wallach, Atlas du Sionisme à l'Indépendance, Jérusalem, Karta, 1972 ; Yoram Kaniuk, Exodus - A Commander’s Odyssey, Kibboutz HaMeuhedet Press, 1999.
Haggadah non traditionnelle, Kibboutz Givat Brener, 1942
impression au pochoir
Haggadah, terme hébreu (הַגָּדָה,) du verbe « raconter » ; pluriel : Haggadot) . Le terme désigne un ensemble de textes dédiés au Séder de la Pâque juive.
Une grève est lancée par le Vaad Leoumi au lendemain de la publication du Livre Blanc, le 18 mai 1939, et des manifestations de protestation sont très durement réprimées par la police britannique. Des Juifs saccagent des bureaux du gouvernement à Tel Aviv et à Jérusalem, mettant le feu au Département d'immigration, et la nuit suivante, la révolte se poursuit, pendant laquelle un policier trouve la mort et où 200 manifestants ont été blessés. De telles explosions de colère, où on pouvait voir des Juifs battre des soldats et des policiers britanniques étaient jusque-là inédites (Hoffman, 1985). Ben Gourion commenta ainsi les faits : "Les manifestations juives d'hier ont marqué le début de la résistance juive à la politique désastreuse désormais proposée par Le gouvernement de Sa Majesté." (ESCO Foundation for Palestine, Inc., Palestine : A Study of Jewish, Arab and British Policies, II, New Haven, 1947). De son côté, l'Agence juive écrivait une lettre de protestation au Haut-Commissaire et déclarait que c'est "à l'heure la plus sombre de l'histoire juive que le gouvernement britannique propose de priver les Juifs de leur dernier espoir et de leur fermer la route qui conduit à leur patrie. C'est un coup cruel, d'autant plus cruel qu'il vient du gouvernement d'un grande nation qui a tendu une main secourable aux Juifs, et dont la position doit reposer sur des fondements d'autorité morale et de réputation internationale.... Les Juifs n'accepteront jamais qu'on leur ferme les portes de la Palestine, ni que leur foyer national soit reconverti en ghetto." (cité par Laqueur, 1969).
ESCO : acronyme tiré du nom d'Ethel S. Cohen, épouse de Frank Cohen (1893-1959), philanthropes qui créèrent cette fondation en 1940 pour soutenir des projets sionistes en Palestine mandataire.
Les Juifs sionistes faisaient alors l'expérience qu'avaient faite les Arabes avec les Britanniques près de trente ans auparavant. Leur "amitié" n'était plus intéressante alors ils avaient cessé du jour au lendemain leurs manifestations de soutien, avaient publiquement montré qu'ils étaient de nouveau sensible aux préoccupations arabes. Ils le démontraient une nouvelle fois le 5 octobre 1939, quand des membres de la Haganah ont été surpris en plein entraînement, dans la région de la Basse Galilée, par un détachement de la Trans-Jordanian Frontier Force (TJFF). Voilà des hommes qui, à peine trois mois auparavant, appuyaient l'armée dans sa lutte contre la rébellion arabe, et qui se retrouvaient arrêtés pour détention illégale d'armes à feu, et condamnés de...dix ans de prison à la perpétuité pour leur commandant (Hoffman, op. cité). Livre Blanc en main, les Britanniques justifièrent leurs raisons de réduire à néant tous les petits arrangements entre (ex) amis. Cependant, beaucoup d'entre eux étant mobilisés en masse sur les théâtres d'opération de guerre contre l'Allemagne, ils n'avaient pas les ressources nécessaires pour désarmer efficacement l'ensemble des forces armés juives qui, d'autre part, ont continué de les appuyer contre les forces de l'Axe au Moyen-Orient. Ce qui n'a pas empêché l'incident du 16 novembre 1943, au kibboutz de Ramat Ha-Kovesh, près de Petah Tikva. A la recherche d'armes, l'armée britannique a connu une résistance acharnée des habitants. On déplora la mort de Shmuel Wolynetz et 14 blessés, tandis que 35 personnes ont été arrêtées ("מעשה התעללות בישוב העברי - התנפלות המשטרה על רמת הכובש". article de Davar, 28 novembre 1943). Dans son rapport, le commandant confia que malgré sa longue expérience de maintien de l'ordre en Irlande et en Inde, il n'avait "jamais été témoin d'une réaction si violente et si fanatique" (PRO [Public Record Office] WO 208/1702, Rapport du Brigadier I. C. Cameron, novembre 1943). Voulant éviter des rébellions juives et manquant de troupes, le Haut-Commissaire Sir Harold MacMichael et le commandant en chef des Forces britanniques terrestres au Moyen-Orient (MELF, Middle-East Land Forces), le General Sir Henry Maitland 1er baron Wilson (1881-1964), décidèrent ensemble de suspendre alors toutes recherches d'armes ou de déserteurs dans les colonies juives (Hoffman, op. cité).
Dès 1940, l'Irgoun s'engage à respecter une trêve, mais des voix dissidentes se font entendre et veulent continuer la lutte contre les Anglais. En août, ils constituent un nouveau groupe paramilitaire appelé Lehi (Lohamei Herut/Herout Israel, לוחמי חירות ישראל : "Combattants pour la liberté d'Israël"), surnommé le Groupe Stern (Stern Gang), du nom d'Avraham Stern, qui le dirigera jusqu'à sa mort, le 12 février 1942, tué par les forces britanniques. A. Stern aurait décrit les Arabes comme des "bêtes du désert, et non un peuple légitime" (cité par Amos Perlmutter, The Life and Times of Menachem Begin, New York, Doubleday and Company, 1987, p. 212). Il aurait aussi affirmé : "Les Arabes ne sont pas une nation mais une taupe qui a grandi dans la sauvagerie de l'éternel désert" (cité par Yosef Heller, “Between Messianism and Realpolitik-Lehi and the Arab Question, 1940-1947," dans Yahdut Zemanenu ["Judaïsme contemporain"], revue annuelle éditée par Israel Gutman, Vol. l, 1984, p. 225).
L'Irgoun de Ratziel finira par proposer aux Britanniques de capturer celui qui était devenu un ennemi juré : "Stern traite Raziel d’agent britannique. Raziel dira de Stern qu’il est un collaborateur des nazis" (Patrick Bishop, The Reckoning. Death and Intrigue in the Promised Land, Harper Collins, 2014). Admirateur de Mussolini, de Franco ou de Staline, pour leur destin exceptionnel et puissant, Avraham Stern entretiendra des contacts avec l'Italie fasciste et proposera même à l'Allemagne nazie de l'aider. Ainsi, "les juifs possèderaient leur État, débarrassant l’Allemagne d’une base britannique d'importance au Moyen-Orient en même temps qu'elle aurait aussi réglé la question juive en Europe." (Bishop, op. cité).
L'ordonnance du 28 février 1940, la Land Transfer Regulations ("Règlements sur le transfert des Terres"), fait fulminer les colons juifs de Palestine. Divisant la Palestine en trois zones, la plus vaste (zone A) interdit tout transfert de terre à toute personne qui ne soit pas "Arabe palestinien", sauf exceptions autorisées par le Haut-Commissaire. La deuxième zone (zone B), permettaient seulement aux "Arabes palestiniens" de transférer des terres entre eux et, dans la troisième (zones C), il n'y avait aucune restriction sur les transferts de terres (The Question of Palestine, "Origins and Evolution of the Palestine Problem : 1917-1947 (Part I)", Publication des Nations-Unies, 1978).
Palestine mandataire,
carte des zones définies par l'ordonnance du 28 février 1940 :
Zone A : en bleu
Zone B : en jaune
Zone C : en rouge
Orzeck, 2013
Fermement condamnée par la communauté juive de Palestine, l'ordonnance de février est dénoncée au nom de la discrimination et du racisme : "L'effet de ces Règlements fait qu'aucun Juif ne peut plus acquérir en Palestine un terrain, un bâtiment ou un arbre, ou tout droit sur l'eau, sauf dans les villes et dans une très petite partie du territoire. Les Règlements refusent donc aux Juifs l’égalité devant la loi et introduisent une discrimination raciale. Ils confinent les Juifs dans une petite zone de peuplement semblable à celles qui existaient dans la Russie tsariste avant la dernière guerre, et comme il n’en existe aujourd’hui que sous le régime nazi. Ils ne violent pas seulement les termes du Mandat mais invalident complètement son objectif principal." (Palestine Post, 1940, cité par Orzeck, 2013)
De nombreuses voix du Yishouv se font entendre sur le même ton, venant pourtant de personnes et d'organisations qui ont tout fait depuis le début de la colonisation pour établir une ségrégation la plus stricte possible entre communauté arabe et juive, nous l'avons vu. Jusqu'aujourd'hui, les sionistes ne cesseront, comme il a été montré jusqu'ici, de défendre leur point de vue uniquement de manière autocentrée et ethnocentrique. Pour le cas qui nous occupe, c'est un peu comme si tous les colonisés du monde avaient été traités de racistes par leurs colonisateurs pour avoir empêché leur emprise et leur appropriation toujours plus grandissante de leur pays. Cette position traduisait en fait l'affirmation idéologique de toujours des sionistes : Les Palestiniens n'avaient pas plus de droits sur la Palestine que les Juifs. Pour la partie publique, du moins, car du côté privé, nous avons vu que beaucoup de sionistes estiment que les Arabes n'y ont aucun droit et que le pays devrait revenir en entier aux Juifs.
Les dirigeants travaillistes du Yichouv vont alors initier des grèves et des meetings contre le gouvernement britannique, des manifestations, aussi, si déterminées que les autorités finissent par imposer un couvre-feu. Ce qui n'empêche pas le Yichouv de se mobiliser volontairement et massivement du côté des forces alliées contre le nazisme, au sein du "régiment palestinien" (Palestine Regiment), formés en 1942 sous commandement britannique, comportant 30.000 Juifs (dont 4000 femmes) et entre 5000 et 12.000 Arabes : Palestiniens, Syriens, Libanais, Transjordaniens (Morris, 1994 ; Weinstock, 2011). Malgré les demandes juives, les Britanniques refuseront jusqu'en 1944 la création d'une brigade juive, défendue en particulier par Shmuel Mikunis (Mikounis, 1903-1982), le secrétaire général adjoint du Parti communiste palestinien [PCP] depuis 1936). Dès 1940, existaient cependant des brigades juives rattachées à l'East Kent Regiment dit "Buffs", mais elles n'avaient pas de missions de combat et étaient affectées à la sécurité, au gardiennage ou à l'escorte (The Central Zionist Archives, The Jewish Palestine Buffs) Des dirigeants d'organisations terroristes juives sont libérés pour former des unités de choc au service des Alliés, comme David Raziel, qui perdra la vie le 20 mai 1941 sous un bombardement par la Lutwaffe de la base aérienne de Habanya (Weinstock, 2011) ou encore Moshe Dayan (1915-1981), de la Haganah, qui perdra un œil en Syrie dû au tir d'un sniper français, des forces de Vichy, alors qu'il guidait les forces australiennes, en juin 1941 (Yehuda Harel, Follow me: the story of Moshe Dayan: Tel-Aviv, Olive books, 1972). et qui sera plusieurs fois ministre du futur Etat d'Israël. Là encore, toute cette expérience militaire accumulée par de nombreux militaires du Yichouv deviendra cruciale quand il s'agira de mener des actions militaires pour occuper le pays et prendre le pouvoir.
Homa ou migdal
En parallèle à tous ces évènements, les dirigeants sionistes ne cessent pas de peaufiner leur plan de colonisation. Devant les réactions de plus en plus hostiles des populations arabes, la pression démographique accrue de l'immigration sionise de la fin des années 1930, mais aussi le brusque changement d'attitude des Britanniques à leur égard, la Haganah invente la Homa Ou migdal, ("enceinte/mur et tour", "tour et palissade", "tour et muraille" : Homa Oumigdal Homah O, H. Umigdal, H. U-Migdal : ) un système de construction rapide d'implantations destiné à mettre les habitants et les autorités devant le fait accompli. Les colons construisaient très rapidement, d'abord en une journée, plus tard en une nuit, une enceinte sommaire d'une trentaine de mètres de côté, en bois lestée de gravier qu'ils entouraient d'une clôture de barbelés. Au centre, on plaçait une haute tour de guet en bois qui permettait de surveiller les alentours, et autour, quatre baraques de dix colons chacune. La colonie miniature devait pouvoir se défendre assez longtemps avant d'être soutenue par de possibles renforts, être visible d'une autre colonie et accessible en voiture. (Rothbard, 2003). Ainsi, de 1936 à 1947, ce ne sont pas moins de 117 Homa Oumigdal qui seront réalisés (Lévigne, 1977 : 218). , pour l'essentiel dans les zones frontalières où le Yichouv cherchait à maintenir une présence face à la résistance arabe. Plus encore que les colonies proprement dites, Homa Umigdal est un symbole de plus de la volonté de ségrégation, de séparation la plus absolue possible entre la population autochtone arabe et les "nouveaux" Juifs, qui remplace des parcelles de terres palestiniennes par des terres d'Eretz Israel, dans un projet global, nous l'avons vu dans la 1e partie, de colonisation de peuplement (cf. aussi Shafir, 1989).
"Homa umigdal est une forme coloniale paradigmatique de peuplement, un espace qui exclut (homa) la population indigène tout en l’observant et en la contrôlant (migdal). Homa umigdal est une intégration ultérieure du kibush ha’adama et du kibush hashmira [pour les kibushim cf. 1e partie] Ici, la conquête de la garde est la conquête de la terre. Ils sont indiscernables et la violence de la souveraineté des colons et son nettoyage ethnique géographique concomitant sont purifiés. Du point de vue du travail, les travailleurs d’une caste ouvrière exclusive ont créé un espace exclusif pour les colons. Dans un amendement amical à l’analyse de Rothbard, je propose que l’homa umgidal n’est pas « plus un instrument qu’un lieu », mais, comme toutes les géographies coloniales, est un lieu instrumental, une géographie illustrant « l’articulation négative » du sionisme à la population palestinienne autochtone."
Jimmy Johnson, "Exclude and observe — the violence of settler sovereignty in Palestine”, article du 18 février 2016, du site d'information indépendant Mondoweiss.
Maquette de Homa Oumigdal, présentée fièrement au musée qui porte bien son nom : Akevot Ba'Emek ("Empreintes dans la vallée"),
Parc Naturel de Gan Hashlosha à Nir-David, Israël.
Nous verrons plus tard, dans le cadre de la Nakba, d'autres manières, pour les parcs israéliens, d'invisibiliser le drame palestinien à travers des espaces de loisirs et d'agrément.
Pour mieux faire comprendre la dimension idéologique de l'Homa oumigdal, évoquons comme exemple emblématique le cas du kibboutz de Hanita, en Haute-Galilée. Nous sommes en 1938, la région est encore très peu colonisée par les Juifs, et Ben Gourion d'affirmer : "S'il y a entre quatre et cinq installations juives sur la nord, ceci renforcera nos droits sur la Haute-Galilée" (Lévigne, 1977 : 218). Comme très souvent, nous retrouvons la complicité ploutocratique de deux pouvoirs, celui de la diaspora juive capable de lever des fonds importants pour acheter les terres arabes, et les propriétaires fonciers le plus souvent absentéiste de la terre palestinienne, ici, un riche propriétaire libanais non résident, Assad Daoud Zoroub, qui, par l'intermédiaire d'un chrétien arabe de Haïfa, propose les terres de Khirbat Hanoutah et Khirbat Samarkh. Peu importe le prix exorbitant, en regard du prix estimé, d'autant plus que la terre concernée n'est pas des plus fertiles, il s'agit d'abord, d'un choix stratégique, politique et symbolique, correspondant au projet sioniste de colonisation depuis le début, nous l'avons vu :
"L'Agence Juive voyait plusieurs raisons de courir le risque. A ses yeux, il était essentiel de faire coïncider au nord le front de colonisation qui s'arrêtait à Nahariyah, un village juif de 500 habitants devenu, depuis, une station balnéaire prospère, avec la frontière internationale ; cela pour des raisons stratégiques, mais aussi dans l'espoir d'établir des contacts avec l'un des pays arabes les plus conciliants. Ils soulignaient ensuite les avantages du site de Hanoutah : le wadi qui cernait le pied de la colline était emprunté par des caravanes qui, de Syrie et du Liban, ravitaillaient en hommes et en armes les troupes du Mufti ; on murmurait même que le fameux guerrier d'origine libano-syrienne, Fawzi el Kaukji parcourait la région. En s'installant sur la colline, on pouvait d'autant mieux leur couper la route, que ce secteur de la frontière libanaise était peuplé de Chrétiens et de Chiites, hostiles aux sunnites du reste du Liban et de Palestine. Nombreux, enfin, étaient ceux qui paraient l'opération d'un sens symbolique, car, avec elle, les sionistes renouaient avec le fil interrompu de l'histoire nationale : les Hébreux de la Bible avaient commencé par la conquête des montagnes de Canaan, les Philistins, leurs adversaires, tenant les vallées. Dans les temps modernes, au contraire, les Arabes se débarrassèrent en priorité des terres basses et malsaines. Hanita, établie dans la « montagne », rétablirait le lien avec un passé qui était la justification même du sionisme..." (Lévigne, 1977 : 220).
Khirbat (khirbet, kherbet, khurbet, خربة) : "en ruines", "délabré", en arabe.
Les négociations furent longues, nous ne nous attarderons pas sur les détails, mais signalons qu'en plus de l'achat des terres elles-mêmes "il fallut dédommager entre temps de nombreux plaignants, qui prétendaient à quelque droit de parcours ou de pacage sur les terres. On ignore le montant global des versements, mais la note fut lourde" (op. cité : 221). On pourrait arguer ici que les sionistes n'ont pas volé mais acheté les terres du kibboutz, mais l'argument est spécieux et trompeur : Premièrement, nous avons vu que beaucoup d'expulsions et de problèmes eurent lieu à cause de ces transactions, et nous savons aussi qu'il ne s'agit pas ici d'un riche particulier, achetant dans un pays étranger une propriété pour sa villégiature personnelle, mais une organisation savamment planifiée pour prendre, au fur et à mesure, le contrôle d'un pays entier, à la fois sur ses terres et sur ses habitants.
On retrouve l'Agence Juive, dirigée par Weizmann Ben Gourion et Sharett, à la manœuvre financière, et c'est Weizmann qui réussit à obtenir la somme nécessaire du banquier richissime d'origine juive André Meyer (1898-1979), associé de la célèbre banque juive Lazard. Weizmann, de par sa popularité, finit par obtenir aussi l'autorisation hypocritement demandée par les autorités britanniques depuis 1938 aux Juifs, pour toute nouvelle colonie, alors qu'ils avaient naguère grandement ouvert le robinet de l'immigration juive en Palestine. L'installation de la nouvelle colonie, en un important convoi de 400 personnes, dont 90 gardes volontaires, n'était pas une mince affaire. Mais surtout, elle était "organisée comme une opération militaire avec la précision d'un mouvement d'horlogerie" (Laqueur, 1972). En effet, 110 hommes de la police auxiliaire juive concouraient à sécuriser le convoi, par camions, sous les ordres d'Itzhak Sadeh et deux de ses lieutenants, Yigal Allon et Moshe Dayan. Près de l'arrivée, une équipe technique des travaux publics de la Histadrout dégageait une piste et posait une canalisation pour acheminer de l'eau de source, et un avion effectuait même des vols de reconnaissance, c'est dire les moyens dégagés pour cette entreprise. Comme l'installation définitive, au sommet d'une colline, n'était pas possible en 24 h, on décida de procéder à deux installations successives : une à mi-pente et une au sommet. Nous avons là la forme la plus sournoise de la colonisation de peuplement, qui doit surprendre l'autochtone par surprise, le mettre devant le fait accompli. Malheureusement pour les colons, au lieu des deux ou trois jours habituels entre l'installation et la réaction arabe, la première attaque fut déclenchée la première nuit de leur arrivée, alors que la palissade n'était pas terminée et les barbelés non posés. Les Juifs repoussèrent tout de même les assaillants, Après plusieurs semaines d'escarmouches, le capitaine Orde Wingate intervint pour mettre sur pied des patrouilles nocturnes de la Haganah, les fameuses Special Night Squads, à la suite de quoi Hanita vécut un moment en paix avec le proche village d'al-Bassa, jusqu'à ce Moshe Dayan décida "de l'attaquer avec un camarade à la grenade. L'assemblée des membres l'exclut Mais cela ne se passa qu'après le transfert du camp." (Lévigne, 1977 : 227). Il y eut une dernière attaque avortée des Arabes et, une semaine de plus "fut nécessaire encore pour faire de Hani ta la Haute un bon « Tour et Muraille ». Dès lors les pionniers contrôlèrent la situation militaire et les Arabes ne lancèrent plus d'attaques d'envergure ; le camp primitif servit de camp d'entraînement à la Haganah. Il en avait coûté dix-huit morts à Hanita : on était loin de l'idéal de colonisation pacifique des premiers pionniers..." (op. cité : 228).
Arthur Koestler a évoqué la construction d'une Homa oumigdal dans un roman très inspiré de l'histoire de Hanita, "Thieves in the night", New-York, Macmillan, 1946 (édition française titrée "La Tour d'Ezra", l'année suivante). Sur la page de titre, l'auteur éclaire le choix du titre par une référence biblique : "Mais le jour de l’Éternel viendra comme un voleur dans la nuit." (2e épître de Pierre 3 : 10). Comme beaucoup de sionistes, Koestler avançait l'argument civilisationnel pour justifier en partie la colonisation juive en Palestine, qui verrait son état "primitif" se transformer pour le bien des Arabes. Mais, plus intéressant encore, est l'attitude évoquée par le romancier, semblable à beaucoup de celles qui ont été déjà décrites ici, de refuser de voir ou de s'intéresser à la souffrance et à la colère du colonisé :
"— Je voudrais que mon arabe fût aussi bon que le vôtre, dit Joseph. - Qu’est-ce que le vieux cheikh expliquait si solennellement ?
— Il a expliqué que chaque nation a le droit de vivre selon sa propre mode, bonne ou mauvaise, sans ingérence extérieure. Il a expliqué que l’argent corrompt, que les engrais puent et que les tracteurs font du bruit, ce qu’il n’aime pas.
— Et qu’avez-vous répondu ?
— Rien.
— Mais vous avez compris ce qu’il voulait dire ?
— Nous ne pouvons pas nous permettre de voir le point de vue de l’autre homme."
A. Koestler, op. c
Comme pour la plupart des sympathisants sionistes, encore, Koestler met sur un pied d'égalité la violence que les Palestiniens exercent sur les colons sionistes et celle que les sionistes exercent à leur égard en retour. C'est, de manière simpliste et erronée, rendre la violence du colonisateur équivalente à celle du colonisé, dont la justification n'est en rien comparable. Et pour une énième fois, un défenseur de la violence des sionistes a recours à des arguments indigents pour défendre la violence exercée par les colons juifs :
"Les Arabes ont mené une guerre tribale intermittente contre nous au cours des trois dernières années ; si nous voulons survivre, nous devons riposter selon leurs propres règles. En lançant des bombes sur les marchés arabes, le gang Bauman accomplit exactement le même devoir militaire inhumain que l’équipage d’un avion bombardier. Lancer une bombe artisanale dans un bazar bondé demande au moins autant de courage que d’appuyer sur un bouton pour ouvrir un piège à bombes. Et pourtant, les pilotes sont appelés des héros et le gang Bauman est appelé gangsters et terroristes et que sais-je encore."
Ajoutons que le premier opéra en hébreu (1940-1943), Dan Hashomer (Dan, the Guard, Dan le Garde / Dan, le Gardien), sur un livret de Max Brod et une musique de Marc Lavry (Marc Levin, 1903-1967), tous les deux émigrés en Palestine entre 1920 et 1930, et qui sera représenté en 1945 à Tel Aviv par le Palestine Folk Opera, évoque en musique l'aventure de Hanita, que les Juifs sionistes transformèrent en épopée héroïque, au travers de poèmes et de chansons, comme l'ont été avant elle celles de Tel Haï et de Trumpeldor.
Revenons maintenant à la stratégie coloniale des sionistes des années qui suivent les grandes révoltes arabes de 1936-1939. En 1940, un historien de l'Université hébraïque de Jérusalem, Luria Ben-Zion (1905-2002), alors attaché au service pédagogique de l'Agence juive, suggéra au FNJ d'établir un registre détaillé de l'ensemble des villages arabes (qu'on appellera "Dossiers de villages", "Village files"), mais aussi des localités hébraïques anciennes à revivifier, idées reprises aussitôt par Y. Weitz, qui proposa d'en faire un "projet national" (CZA, cité par Morris, 2000). Ce travail fut effectué dans les années qui suivirent, en particulier par le SHAI (SHA'I, SHAY, שירות ידיעות : Sherut Yediot, plus exactement Sherut ha'Yediot ha'Artzit : "Service d'information national", ou HIS : "Haganah Intelligence Service), créé en septembre 1940 par Ben Gourion, la branche de la Haganah dédiée au renseignement militaire et au contre-espionnage, qui collecta un ensemble de données très utiles, ensuite, pour mener à bien les opérations armées des forces sionistes, comme la Haganah ou le Palmah (Morris, 1994). La Haganah eut recours à des cartographes, des photographes professionnels (en particulier pour des photos aériennes de villages), qui œuvraient clandestinement, à la barbe de la police britannique, sous couvert d'une "compagnie d'irrigation", au domicile de Margot Sadeh, l'épouse de Yitzhak Sadeh, le chef du Palmah. En 1947, le service cartographique fut déplacé dans la "Maison Rouge", le siège de la Haganah, à Tel Aviv (Pappé, 2006). Comme pour d'autres planifications sionistes, on le voit, la dissimulation et le secret était nécessaire car de nombreux agissements sionistes, nous l'avons vu, n'avaient rien à voir avec de simples projets de s'installer en Palestine et de vivre parmi ses habitants. Il était donc important de ne pas dévoiler leurs véritables buts :
" Les éclaireurs en général évitaient d'apparaître sur les photographies, et leur travail avait un caractère clandestin. « Dans certains cas, quelques « randonneuses » leur étaient « prêtées » pour servir de couverture », raconte Shefar (11). Le manuel préparé pour les photographes incluait une petite instruction : « Si vous ne parvenez pas à cacher l'acte de photographier, faites le sous « couverture » de prendre des photos de vos amis ou de la population locale. Dans le premier cas, assurez-vous que vos amis n'apparaissent pas sur la photo, même pas de dos... Si néanmoins, des personnes apparaissaient sur la photo (par négligence), floutez les sur le négatif. » (12)
11 Yitzchak Eran, The Scouts [Les Éclaireurs], Tel Aviv, Editions du Ministère de la Défense israélienne, 1994. p. 34.
12 Instruction du manuel photographique des éclaireurs, Archive de l'Histoire de la Haganah, dossier 34/209, 10"
Rona Sela, "Scouting Palestinian Territory, 1940- 1948: Haganah Village Files, Aerial Photos, and Surveys" (Prospection du territoire palestinien, 1940-1948 : Dossiers de village de la Haganah, photos aériennes et enquêtes), Jerusalem Quaterly, 52, Palestine Studies.
Selon le professeur Gil Eyal, de l'Université de Columbia, les Dossiers de villages regroupaient trois types d'information. Côté militaire, on était intéressé par le nombre d'hommes capable de combattre, le nombre d'armes, la topographie des lieux, etc. Côté diplomatie, on avait besoin de renseignements sociaux récoltés par des "arabisants" (informateurs, collaborateurs), utiles à la hasbara, mais aussi de traces anciennes d'occupation juive, et enfin, tout ce qui avait trait à l'appropriation et la colonisation des terres par leur achat (Eyal, 2006). Il ne semblait alors pas aisé aux recruteurs juifs, tel Moshe Pasternak, de créer ce système de collaboration avec "des gens qui aiment boire du café et mangent le riz avec les mains, ce qui a rendu très difficile de les utiliser comme informateurs" (dossier 1/080/451, 1er décembre 1939, CZA). En 1940, Ezra (Esdras) Danin, ancien planteur d'agrumes entré dans le réseau d'espionnage de la Haganah pour sa connaissance de la langue et de la culture arabes, est devenu chef du district de Samarie. Pendant la révolte arabe de 1936-39, il crée la section arabe du SHAI, à partir de son réseau familial, base de son travail de recrutement, qui parle couramment l'arabe dialectal et connaît parfaitement les us et coutumes locales (Marom, 2023). De 1943 à 1945, puis les années suivantes, le Dossier de villages devient une gigantesque base de données renseignant sur de nombreux détails de la vie économique, clanique, politique, religieux, et enfin, militaire, de chaque village. Ce dernier point, en particulier, souligne le déséquilibre des forces entre Arabes et Juifs : la plupart des villages n'ont pas de gardes "et la qualité des armes dont disposent les villageois... sont généralement archaïques, voire inexistantes)" (Pappé, 2006 : "Archives de la Haganah, S25/4131, 105/224 et 105/227, et beaucoup d’autres dans cette série, chacun traitant d’un village différent"). Nous verrons plus tard, qu'au moment de l'expulsion massive des Palestiniens, se confirmera ce rapport de forces écrasant entre les combattant Juifs et la population arabe, forces armées comprises. Ezra Danin recrutera plusieurs collaborateurs qui deviendront, nous le verrons, des piliers de la Nakba (Naqba : "catastrophe" en arabe, cf. partie IV suivante), et qui n'est rien moins, nous le verrons, qu'un nettoyage ethnique opéré par les forces sionistes, commencé avant même l'indépendance d'Israël :
- Yaacov Shimoni (Jakob Simon, 1915-1996), en tant qu'assistant de Danin, est un Juif allemand de Berlin, émigré en Palestine en 1935, membre du kibboutz Guivat-Haïm (Givat Chaim), qui a été bâti sur les ruines du village palestinien de Khirbet al Manshiya (Kharbat al Manshiya) bien au fait du monde arabe puisqu'il a travaillé plusieurs années au département arabe de l'Agence juive et qui, fort de son expérience d'orientaliste, dirigera le département de guerre psychologique de la Haganah en 1948 (The Ohio State University, notice biographique). Dans ses écrits, Shimoni montre en particulier comment le manque d'unité des pays arabes, d'organisation, mais aussi les luttes de clans ont sapé les préparatifs militaires des Palestiniens, entre 1945 et 1948 (Ya’acov Shimoni, "The Arabs and the Approaching War With Israel, 1945-1948,” HaMizrah HeHadash [Le Nouvel Est], The New East Quarterly of the Israel Oriental Society, Vol. XII/ No. 3 (47), 1962, pp. 189-211), points dont nous avons un certain nombre d'exemples avant même cette période, nous l'avons vu, mais qui ne doivent pas faire oublier tout ce qui, indépendamment de la volonté des Palestiniens, a alimenté la puissance des colonisateurs et a permis aux sionistes d'anéantir des centaines de villages arabes et de largement vider le nouvel Etat Juif, nous le verrons, de sa population palestinienne.
- Yehoshua (Joshua, Josh) Palmon (1913-1994), arabophone né en Palestine, qui a servi dans une unité de commando britannique et entrera au département arabe du SHAI en 1940 comme officier de renseignements, avant de devenir conseiller aux Affaires arabes du premier ministre Ben-Gourion après l'indépendance d'Israël (Gelber, 1997 ; Pappé, 2006)
- Tuvia Lishanski (T. Lichansky, 1913-2000), officier supérieur de renseignements, comme son père Yosef L., pendu en 1917 dans la prison de Damas en tant que membre de la résistance du réseau d'espionnage Nili. Tuvia L., fut l'instructeur militaire d'Ytzhak Rabin "un de mes étudiants exceptionnels" (Izkor, Mémorial des soldats tombés pour Israël, notice biographique), et comme Shimoni, il entretiendra des contacts dans la communauté druze et d'autres groupes minoritaires arabes du Moyen-Orient pour contrebalancer l'hostilité arabe, mais tous ces groupes étaient trop faibles et trop rivaux entre eux (Gelber, 1995).
"Ce sont aussi des noms à retenir, car ils ont pris une part active à la préparation du nettoyage ethnique de la Palestine. Lishanski était déjà occupé dans les années 1940 à orchestrer des campagnes contre les métayers qui vivaient sur des parcelles de terrain que le FNJ avait achetées à des propriétaires présents ou absents, et mettait toute son énergie à intimider puis expulser de force tous ces gens des terres que leurs familles avaient cultivé depuis des siècles." (Pappé, 2006).
“ Entre nous, il est absolument clair qu'il n'y a pas place pour les deux peuples dans ce pays. Aucun « développement » ne nous rapprochera de notre objectif d’être un peuple indépendant dans ce petit pays. Après avoir transféré les Arabes, le pays nous sera grand ouvert ; avec les Arabes restant dans le pays, en nombre restreint et tenus à l'étroit, lorsque la guerre sera finie et que les Anglais finiront victorieux et lorsque les nations régnantes s'assiéront sur le trône de la loi, notre peuple pourra leur présenter ses pétitions et ses réclamations ; et la seule solution sera la Terre d’Israël, ou au moins la Terre occidentale d’Israël [c'est-à-dire la Palestine], sans habitants Arabes. Il n'y a de place pour aucun compromis sur ce point. Le travail sioniste jusqu'à présent, en termes de préparation et d'ouverture de la voie menant à la création de l'État hébreu en Terre d'Israël, a été bon et a pu se satisfaire de l'achat de terres mais cela ne fera pas naître l'État : il doit se produire simultanément une sorte de rédemption (dans le sens messianique). La seule façon d'y parvenir est de transférer les Arabes d'ici vers pays voisins, tous, sauf peut-être ceux de Bethléem, Nazareth et de la vieille Jérusalem. Pas un seul village, pas une seule tribu ne doit être oublié. Et le transfert doit s'opérer par leur incorporation en Irak, en Syrie et même en Transjordanie. Pour atteindre cet objectif, on trouvera l'argent nécessaire – beaucoup, s'il le faut. C'est alors, seulement, que le pays pourra intégrer des millions de Juifs et qu'une solution sera trouvée à la question juive. Il n'y a pas d'autre solution.”
Yosef Weitz, Journal, 20 décembre 1940, A 246/7, pp. 1090-91, CZA.
“ Tout au long du voyage, mes réflexions se sont concentrées sur ce plan, auquel je réfléchis depuis des années ; le plan... de vider le pays pour nous y installer. Je connais le difficultés... mais seul le transfert de population permettra qu'advienne la rédemption ... Il n'y a pas de place à la fois pour nous et pour nos voisins... le développement est un processus très lent ....Ils [les Arabes] sont trop nombreux et trop enracinés [dans le pays]... le seul moyen est de couper et de supprimer ces racines auxquelles ils se rattachent. Je pense que c'est la vérité... je commence à comprendre l’essence du « miracle » qui devrait se produire avec l'arrivée du Messie ; un « miracle » ne se produit pas au cours de l'évolution, mais tout d'un coup. en un instant... je vois les énormes difficultés mais cela ne doit pas nous détourner de notre objectif ”
Yosef Weitz, op. cité, 26 juin 1941, pp. 1172-1173
Cartes de répartition
A. populations palestinienne et juive en 1946
B. propriété foncière palestinienne et sioniste, 1945
Catalogue de l'exposition "La Nakba — Exode et expulsion des Palestiniens de 1948, MISHA (Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme - Alsace), Strasbourg, mai 2012.
basé sur la PASSIA, [Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs], Jérusalem, Israël).
Communistes juifs et arabes,
même combat ?
Pendant les années de la deuxième guerre mondiale, la communauté palestinienne va taire toute agitation, demeurant "sourds, en particulier, aux appels à la révolte lancés par le mufti Amine El-Husseini." (Perrin, 2000). Cette situation n'est sans doute pas étrangère à la dynamique créée par l'économie de guerre, aussi chez les Juifs que chez les Arabes, qui subvient aux besoins variés des centaines de milliers de soldats britanniques stationnés en Palestine, sans compter que "l’industrie palestinienne est appelée à se substituer aux fournisseurs défaillants" du fait de la rupture de "canaux d’approvisionnement traditionnels" (Weinstock, 2011). L'essor industriel et agricole est alors sans précédent en Palestine, et, entre 1939 et 1942, la production nette industrielle passe de 2.455.000 à 11.488.000 livres palestiniennes pour le secteur juif et de 313.000 à 1.725.000 LP pour le secteur arabe (op. cité). : Une fois encore, les chiffres économiques témoignent d'une grande disparité entre les deux communautés dû surtout aux inégalités des capacités respectives d'investissement : de presque 5 à 12 millions pour le secteur juif pendant la même période, et de 704.000 à un peu plus de 2 millions pour le secteur arabe (op. cité).
Amin el-Husseini ira participer à la révolte contre les Britanniques en Irak, avant de se réfugier en Allemagne où, cela a déjà été dit, il parviendra à rencontrer le führer pour tenter d'obtenir son soutien à la cause de l'indépendance arabe. Rencontre unique qui restera sans lendemain (op. cité). De son côté, le Reich organisera une propagande massive à destination du Maghreb et du Moyen-Orient, non sans la collaboration de quelques représentants du nationalisme arabe, principalement au moyen de la radio, bien plus efficace pour atteindre un large public encore très peu alphabétisé : "Cette collaboration produisit une remarquable osmose entre le national-socialisme, le nationalisme arabe radical et l’islam militant. Cette rencontre des cœurs et des esprits entre les exilés arabes pronazis et les fonctionnaires du régime nazi produisit une propagande en langue arabe qui arrivait sous la forme de plusieurs dizaines de millions d’exemplaires de tracts ou de milliers d’heures d’émissions de radio quotidiennes en ondes courtes à destination de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient." (Herf, 2016). Cependant, là encore, comme dans beaucoup d'articles sur le sujet, Herf n'illustre son propos qu'au travers du sempiternel épouvantail du mufti Amin al-Husseini. Mais on parle beaucoup moins des mouvements de gauche autant nationalistes qu'antiimpérialistes et antifascistes dont la "Palestine était l’un des centres de la riche tradition de publication de gauche, de publications prolétariennes de langue arabe sur le syndicalisme et l’anti-impérialisme. Parmi ces publications, on trouvait : al Nafir (basé à Haïfa), Ella Al Amman (organe du CC/PCP), Majalat al-Ummal (le journal ouvrier)." (Edna Bonhomme, entretien donné à Contretemps le 7 février 2018, "Panarabisme et internationalisme. Entretien avec Edna Bonhomme" ). Et ne parlons pas des nombreuses actions des communistes palestiniens contre le fascisme, tels Rafik Jabour (1888-1927), du parti communiste égyptien devenu journaliste pour Falastin, ou Hamdi Husseini, membre de la ligue contre l'impérialisme et de réseaux antifascistes. Avec la nomination, en 1934, de Radwan al Hilu (Hilou, Helou, dit Musa, Moussa, 1910-1975), au poste de secrétaire général, c'est la première fois qu'un Arabe prenait la tête du Parti communiste palestinien, nommé par Moscou, tout comme ceux qui l'avaient précédé, sans parler de la ligne de conduite politique, sans cesse ajustée par le Komintern (Budeiri, 2012). Cependant, malgré l'arabisation progressive du parti, les militants juifs seront largement plus importants en nombre que les militants arabes, et ce jusqu'à la disparition du parti en 1943, et ceci malgré la désaffection prononcée des Juifs du parti, due à la politique d'arabisation à outrance. Les traits particuliers de la colonisation de peuplement n'étaient perceptibles ni au parti, ni au Komintern, pour qui l'impérialisme se manifestait toujours par une puissance coloniale investissant un territoire avec ses propres forces matérielles et humaines. Ainsi, à leurs yeux, "les immigrants juifs ont acquis des droits égaux à ceux des habitants indigènes à leur arrivée dans le pays (op. cité), alors que, dans le même temps "le parti s’était opposé aux efforts sionistes pour établir un État juif en Palestine, avait qualifié les sionistes d’agents impérialistes britanniques et avait appelé à l’indépendance, approuvant en fait l’appel à un État arabe palestinien indépendant." (op. cité). On le voit, le PCP avait beaucoup de mal à surmonter ses contradictions : "Pour les travailleurs juifs, il parlait le langage de la lutte des classes, pour les Arabes le langage de l’anti-impérialisme. Il s’est déclaré dans le camp anti-impérialiste, ce qui a l'a conduit à s'aliéner une partie importante des membres juifs du parti. La Grande-Bretagne était l’ennemi principal, et pas seulement pour des raisons d'intégrité idéologique, mais aussi en tant que reflet des réalités de l’intérêt national soviétique. C’est ce qui ressort clairement du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939. Le parti a refusé de soutenir la guerre (une tactique populaire parmi les Arabes, mais inacceptable pour l’écrasante majorité des habitants juifs) et a souffert de la politique répressive des autorités britanniques." (op. cité). En octobre 1935, le PCP appelle à une campagne internationale pour stopper le fascisme en Ethiopie. En 1936, certains se joignent aux Brigades internationales qui luttent aux côté des républicains espagnols, tels Ali Abdel Khaleq Al-Jibaoui, membre du comité central, mort au combat en Espagne, ou encore Najati Sidqi, du secrétariat du parti (Maher al-Charif, "Les communistes arabes et la lutte contre le fascisme et le nazisme (1935-1945)", article de la revue Orient XXI, 26 septembre 2016).
Le PCP n'a cependant pas échappé, comme les syndicats de travailleurs (cf. partie I), à une pénétration des idées sionistes. En 1937, alors que Radwan Hassan al‑Hilu, était emprisonné, fut mise en place la "Section juive" par son adjointe Simha Tzabari (Simcha T.) et Farjallah al-Hilu, dirigeant du Parti communiste libanais, envoyé en renfort. On désigna Hanoch Brozaza (dit Zaken, "Le vieil homme", 1910-1964), arrivé en Palestine en 1928, comme secrétaire de la Section, pour en réorienter les activités , dans le sens de la reconnaissance de l'existence de "cercles progressistes au sein du sionisme" et de l'application d'un "entrisme" vis-à-vis des organisations sionistes." (Budeiri, 1977). Par ailleurs, S. Tzabari, rédactrice en chef du nouveau journal du parti, Kol Haam (K. Ha'am, "La Voix du Peuple") ayant été arrêtée en juin 1938, Brozaza en prit la direction.
Pour la Section juive, l'entente entre Juifs et Arabes impliquait l'acceptation de l'immigration juive, la constitution d'une nation juive, une propagande au seuil de la population arabe en faveur du recrutement pour l'armée britannique, autant de prises de positions condamnées par le parti, qui dissout la Section en décembre 1939. Par ailleurs, le parti dissout aussi le groupe syndical du parti au sein d'Histadrout, appelé Fraktzia ("Fraction"), créé en 1922 pour tenter de radicaliser de l'intérieur l'organe sioniste, et qui n'avait produit aucun résultat encourageant. La Section juive poursuivra son activité dissidente en publiant clandestinement, à partir de juin 1940, un bulletin intitulé Dapei Spartakus ("Les Pages de Spartacus"), puis un journal, HaEmeth (Ha'emeth), "La Vérité", premier journal journal socialiste hébreu, publié à Vienne. Avec l'invasion de l'Union soviétique par les armées du Reich, le PCP entame son autocritique à la fois sur le sujet de sa non participation à l'effort de guerre allié et sur son ferme soutien au mufti, ce qui estompe les principales divergences de vues d'avec le groupe Haemeth, qui réintègre les rangs du parti en juin 1942 (Weinstock, 2011). En 1943, plusieurs évènements précipitent la scission définitive des deux camps principaux du Parti communiste palestinien. A propos de la Brigade juive qui se constitue bientôt, Mikounis parle de renforcement de l'effort de guerre, quand Moussa et ses partisans évoque une force armée en devenir au service des sionistes. Le 1er mai 1943, le comité central piloté par Moussa appelle à une manifestation séparée de celle de la Histadrout, qui encourage ensuite la grève des travailleurs des camps militaires britanniques, quand Moussa s'y oppose. L'aile arabe du parti réclame que ce dernier devienne le "Parti National arabe", poussant l'aile juive à faire sécession, en dépit de sa critique du sionisme. Restant sous la bannière du PCP, les communistes juifs tiennent leur IXe congrès en 1944 sans les membres arabes, dynamisés par l'énergie du couple formé par Meïr Vilner (né Ber Kovner, 1918-2003) qui émigre en Palestine en 1938, et sa compagne Esther Vilenska (Wilenska, Wilanska, née E. Novik/Novak, 1918-1975), tous deux originaires de Vilnius, en Lituanie et passés par Hashomer Hatzair et explorant une ligne politique qui se voulait équitable pour les deux communautés du pays :
"La création d’une république démocratique indépendante garantira une pleine égalité de droits à la minorité juive" (M. Vilner, Kol HaAm, 11 mai 1944)
"Le caractère exclusivement arabe du pays s’est effectivement modifié, d’une part dans la composition de la population, et d’autre part dans son économie. La Palestine est aujourd’hui binationale. Voilà le changement historique en cours (…), d’où, s’agissant de notre politique, des conclusions à long terme" (M. Vilner, cité par Shmuel Dotan, dans "Adumim b’erez Israel" (Les Rouges [Communistes] en Eretz Israel", Kfar Saba, Shevna Hasofer Publishers, 1991).
Le IXe Congrès se prononcera sur "« un État arabo-juif » indivisible qui « doit être fondé sur le principe d’égalité des droits, sans distinction de race, de nationalité, de religion ni de genre, et donc sur le principe d’égalité de droit national des Juifs et des Arabes à un développement national, économique et culturel libre ». Un an plus tard, en 1946, lors du Xe Congrès, il sera finalement décidé que « la Palestine est un pays binational »" (Shlomo Sand, Deux Peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme, Paris, Seuil, 2024)
pays binational : Peu de Palestiniens arabes, en réalité, soutenaient publiquement le projet binational, auquel était opposé un certain nombre de leaders palestiniens, dont certains, principalement dans le clan du mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, étaient prêts à faire taire les personnalités arabes qui le soutenaient, même s'ils appartenaient à leur propre famille. Citons les noms de Fawzi al-Husseini, Darwich al-Husseini, ou Fakhri al-Nashashibi, assassinés pour avoir adhéré à des organisations judéo-arabes prônant la solution binationale (Pappé, 2004), ou encore celui de Sami Taha, le grand leader d'Union palestinienne des travailleurs arabes, qui avait déclaré que "les Juifs arabes sont nos concitoyens et frères en nationalité" (Lockman, 1996).
Les communistes arabes hostiles à la conduite politique du secrétaire du Parti, Radwan Hassan al-Hilu, se groupent quant à eux autour de quelques leaders :
- Bulus Farah (Bulos F, 1910-1991), ouvrier ferroviaire, syndicaliste qui prend part au premier Congrès des travailleurs arabes (First Arab Workers' Congress) en 1930, fréquente de 1934 à 1938 l'école du Komintern à Moscou, puis connaît des frictions avec Moussa, puis la dissidence, exclu du parti car soupçonné d'avoir mené la police à l'imprimerie secrète du parti (Budeiri, 1977). Avec d'autres intellectuels insatisfaits de la conduite du parti il crée le journal Al-Ghad ("Demain") et le Movement to reform the Arab Village (op. cité).
- Tawfik Toubi (T. Tubi, dit Abu Elias, 1922-2011), de famille chrétienne orthodoxe, qui effectuera le second plus long mandat de député (communiste) à la Knesset de 1949 à 1990 (42 ans).
- Emil Tuma (Emile Touma, 1919-1985), d'une riche famille, elle aussi chrétienne orthodoxe, qui interrompt ses études à Cambridge en 1939 pour rejoindre le parti communiste palestinien dans la clandestinité (Emile Touma, Interactive Encyclopedia of the Palestine Question).
Les trois amis créent en 1942, du Club des "Rayons de l'Espoir" (Shua al‑Amal, Rays of Hope) à Haïfa, faisant le pont entre les ouvriers des raffineries de pétrole de la région et la Ligue des intellectuels arabes de Palestine (1941). Le Club sera finalement remplacé par la Fédération des Syndicats et sociétés ouvrières arabes” (“Federation of Arab Trade Unions and Labour Societies” (FATULS), qui "gagna l'adhésion de syndicats de différents grands sites de la région de Haïfa (dont l'Iraq Petroleum Company, les Consolidated Refineries qui venaient d'entrer en service, et les installations de la Shell Oil Company, ainsi que des Ateliers navals, des Organismes de Travaux publics et des camps militaires), mais aussi ailleurs, notamment à Nazareth. Vers la fin de l'année, le Département du travail britannique estimait que la FATULS comptait environ 1000‑1500 adhérents, comparé à l'effectif de la PAWS au plan du pays, d'environ 5000, et le nombre de cotisants à la PLL généreusement évalué à 500. Quant au Parti, il condamna cette "activité scissionniste" et continuait à appeler les ouvriers arabes à s'organiser dans la PAWS." ("Le mouvement communiste en Palestine 1919‑1949").
Comme le Congrès des travailleurs arabes, la FATULS sera chapeautée politiquement par le mouvement politique que le groupe communiste crée en 1944, la Ligue de Libération Nationale de Palestine, LLN (National Liberation League in Palestine, NLL, uṣbat at-taḥrīr al-waṭaniyy fi filasṭīn). Tous les organes du mouvement bénéficieront des colonnes d'un nouveau journal pour s'exprimer, al-Ittihad, "L'union", fondé la même année, en particulier par E. Touma, Emil Habibi (Emile H., 1922-1996), romancier et homme politique du milieu chrétien orthodoxe, qui dirigera le journal de 1948 à 1990, Tawfik Toubi, qui en sera le rédacteur en chef, ou encore, Fouad Nassar (Fu'ad N., 1914-1976), fils d'instituteurs syriens arrivé enfant en Palestine et activiste politique depuis l'âge de quinze ans, depuis les soulèvements d'al-buraq en 1929, jusqu'aux combats contre la monarchie irakienne soutenue par les Britanniques, dans le mouvement appelé Rachid Ali al-Gaylani (Carré d’or), en passant par les révoltes de 1936-39, où on lui donna le nom de guerre d'Abou Khaled. Il connaîtra plusieurs fois la prison ou la résidence surveillée à Jérusalem ou Acre, en particulier (Fouad Nassar, Interactive Encyclopedia of the Palestine Question).
La Charte nationale adoptée par la NLL énumère différents règlements, engagements ou objectifs qui, ajoutés à ses orientations idéologiques, présentent des caractères plus ou moins contradictoires :
- constitution d'un "gouvernement démocratique garantissant les droits de tous les habitants sans distinction"
- opposition à l'immigration, aux transferts de terre et à la création d'un Etat juif
- admission au mouvement des seuls citoyens arabes
- "distinction entre sionisme et habitants juifs"
- soutien à l'économie nationale dans la lutte de la libération nationale
Du côté de ses orientations politique, il faut évoquer l'affirmation d'une compatibilité entre marxisme et islam, et même la recherche de principes religieux islamiques venant appuyer la doctrine communiste. Pour toutes ces raisons, Emil Touma, propriétaire d'Ittihad, ouvre le bal dans le premier numéro de son journal, paru le 14 mai 1944, qui cite en guise de titre une partie du verset 17 de la sourate Al-Ra'ad ("Le Tonnerre") tirée du Coran, disant : "L’écume disparaît après avoir été rejetée, tandis que ce qui est utile aux hommes demeure sur la terre". Ou encore, la lettre célébrant la troisième année du journal, le 1er mai 1946, écrite par Emil Habibi, cette fois, cite les propos du deuxième calife, Omar ibn al-Khattâb (584-644), qui aurait juré devant le dieu de la Kaaba (lieu saint de la Mecque) conduire la nation musulmane sur une voie paisible (Shehadeh, 2019). Une autre fois encore, dans un bulletin du 8 juin 1944, le journal évoquait une lettre où des représentants musulmans d'Arménie, d'Azerbaïjan et de Géorgie affirmaient leur loyauté commune au "maréchal Staline" en appelant à rejoindre l'Armée Rouge, dans sa "guerre sainte" contre Hitler et les Nazis (Shehadeh, 2019).
“ le soutien de
beaucoup de
grands hommes ”
I. Etats-Unis
« Une histoire remarquable
dans l'histoire de la colonisation »
Les sionistes n'ont pas attendu le retournement brutal de la politique britannique envers les Juifs de Palestine pour construire un capital de sympathie auprès des Juifs américains, tel Felix Warburg (1871-1937), le banquier originaire de Hambourg qui, comme de nombreux autres riches mécènes, nous l'avons vu, a financé des colonies juives en Palestine, ou encore l'Université hébraïque de Jérusalem, pour laquelle, on l'a vu, Albert Einstein, a aussi contribué. Différentes personnalités juives américaines ont joué un rôle important dans la formation des réseaux de soutien des gouvernements américains à la cause sioniste. Commençons par Louis Dembitz Brandeis (1856-1941), ami proche du président Wilson, principal soutien de sa campagne de 1912, juge à la Cour suprême en 1916, enfin, président de l'Organisation sioniste américaine de 1914 à 1918, qui, sans être décisif, influença sans doute positivement le jugement du président Wilson dans les négociations de la déclaration Balfour, en 1917 (Roppestad, 2015). Pendant longtemps, Brandeis, ne connaissait rien aux rites juifs, ne fréquentait aucune synagogue et n'embrassa le sionisme qu'après la cinquantaine, au point de devenir président de la Word Zionist Organization (WZO) en 1914, promouvant cette cause auprès des Américains: "Chaque Juif américain qui aide à faire avancer la colonisation juive en Palestine, bien qu’il sente que ni lui ni ses descendants n’y vivront jamais, sera également un meilleur homme et un meilleur Américain pour le faire. Il n’y a pas d’incohérence entre la loyauté envers l’Amérique et la loyauté envers la communauté juive." (L. Brandeis, "The Jewish Problem: How To Solve It" discours prononcé à la Conference of Eastern Council of Reform Rabbis, 25 avril 1915). Par ailleurs, il n'échappe pas comme l'ensemble des élites occidentales, au sentiment de supériorité de sa civilisation sur les autres. De retour de voyage au Moyen-Orient, il écrit : "L'impression la plus répandue en Orient est la monotonie, et on peut établir des comparaisons sur tout avec notre civilisation américaine, sauf dans le domaine des vertus. Dans ces matières, l'Amérique et la Grande-Bretagne excelle [sic] ; et on sent constamment leur supériorité en matière d'hygiène morale, mentale et physique." (L. Brandeis, "Letters of Louis D. Brandeis, Vol IV (1916-1921) : Mr Justice Brandeis", édité par Melvin I. Urofsky et David W. Levy, Albany, State University of New-York Press, 1975, p. 410). En 1919, une brouille naît d'une animosité de Brandeis envers Chaïm Weizmann, et plus généralement les Russes sionistes, leur reprochant d'être indigne de confiance, de manquer d'honnêteté. Weizmann pousse alors une faction sioniste opposée à Brandeis à la direction de la ZOA, menée par Louis Lipsky , qui en deviendra le président de 1922 à 1930, conduisant Brandeis à la démission avec ses associés, comme le rabbin réformé Stephen S. Wise (1874-1949) ou Felix Frankfurter (1882-1965), juge associé à la cour suprême des Etats-Unis, conseiller de Roosevelt après 1933. Du côté du judaïsme réformé, qui met davantage l'accent sur l'égalité des hommes et des femmes, sur les progrès sociaux et culturels que sur les rites et les pratiques cultuelles, ces trois hommes appartiennent aussi au courant progressiste ("Progressive Movement", vers 1890-1917), dont Brandeis et Frankfurter sont devenus les principaux leaders (comme Roosevelt lui-même), menant de nombreux combats pour le progrès social (salaire minimum, lois antitrust, anti-corruption, etc), un sujet sur lequel nous ne pouvons nous étendre ici.
Brandeis ou Frankfurter ne sont pas les seuls Juifs sionistes à fréquenter les plus hautes sphères du pouvoir américain. L'ambassadeur auprès de la Sublime Porte, Henry Morgenthau (1891-1967), fils d'un magnat de l'immobilier, se verra confier par le président Wilson une mission secrète en 1917 afin d'instaurer une paix entre l'Empire Ottoman et les Alliés et voulut profiter de cette mission pour verser tout aussi secrètement une somme de 400.000 dollars à la communauté juive de Palestine (Roppestad, 2015). Indépendamment du fait que le projet fut contrarié par Brandeis et Weizmann, pour des raisons de prudence politique, ceci nous montre une des multiples formes dont nous avons parlé, de la puissance des réseaux politiques et financiers des dirigeants sionistes, largement utiles et nécessaires à la réussite de leurs projets de domination économique et politique sur la communauté arabe. Morgenthau, issu de la grande université de Cornell (Ithaca, Etat de New-York), rencontrera le couple Franklin et Eleanor Roosevelt et ce dernier devenu président, confiera nombre de postes prestigieux à Morgenthau, qui deviendra secrétaire du Trésor de 1934 à 1945.
La première grande victoire des sionistes auprès des Américains des Etats-Unis est sans doute celle de la création de l'Agence juive, en 1929, à propos de laquelle les discussions étaient âpres depuis 1923, entre Weizmann et Louis Marshall (1856-1929), tout particulièrement, président de l'American Jewish Committee (AJC, "Comité des Juifs Américains"), créé en 1906 pour défendre les droits des Juifs. Cette année-là, Félix Warburg accompagnait Weizmann en Palestine où ils étaient reçus avec les honneurs dans une colonie sioniste de premier ordre, Nahalal, à l'ouest de Nazareth, sur la route de Haïfa, où Warburg tint ces propos : "« J’admire ce que j’ai vu ici et je suis confiant dans l’avenir du pays », a-t-il déclaré, concluant par cette remarque humoristique : « Je crains qu’à l’avenir, il n’y ait plus de candidats pour les sièges non sionistes de l’Agence juive, car tous les non-sionistes deviendront sionistes. »" ("Warburgs and Weizmann Visit Nahalal, the Leading Zionist Colony", article de la Jewish Telegrahic Agency, 28 avril 1929). Deux ans auparavant, alors que les discussions sur la formation de l'Agence juive sont en train d'aboutir, Louis Marshall prononce un discours très instructif de la part de quelqu'un qui se prétend non sioniste (ce que des historiens confirment, au même titre que F. Warburg : cf. Weinstock, 2011), et qui, dans le même temps, affirme que le sionisme n'a apporté que de bonnes choses et rêve à haute voix que les Juifs reconquièrent un jour le pouvoir en Palestine, le tout sans évoquer une seule fois le sujet arabe :
"« Ceux qui, pendant de nombreuses années, ont supporté le poids de la bataille pour une Palestine restaurée, avaient de nobles idéaux, de nobles motivations ; il n’y avait rien d’égoïste dans toute leur théorie et leur pratique », a déclaré M. Marshall. Ils croyaient que c’était vraiment l’une des missions des Juifs une fois de plus de s’installer en Palestine, d’aider à reconstruire les lieux incultes, de donner à ceux qui désiraient y vivre cette opportunité, afin qu’ils puissent vivre la vie qu’ils désiraient poursuivre.
« Pourquoi, demanda M. Marshall, m’opposerais-je à une entreprise qui a conduit à l’élaboration d’une pareille théorie ? Pourquoi devrais-je m’y opposer ? Pourquoi devrais-je m'exprimer contre elle ? Pourquoi ne devrais-je pas sympathiser avec cet idéal ? Je n’ai jamais été capable de comprendre cela. Vous savez tout ce que je ne suis pas et je n’ai jamais été un sioniste. Vous savez tous que j’appartiens à une congrégation réformée, que je suis président du temple Emanu-El, et pourtant, je trouve intéressant tout ce qui s’est emparé de l’esprit juif, non seulement de nos jours, mais dans les jours passés. Je ne pense pas qu’il soit incohérent d’être lié à une grande congrégation réformée et en même temps président d’un séminaire orthodoxe. Tous deux prêchent et pratiquent les principes de notre foi sacrée. Les deux sont destinés à glorifier Dieu – tous deux servent le judaïsme.
Le sionisme a accompli des merveilles au cours des vingt-cinq dernières années », a poursuivi M. Marshall.
Ils ont été la source d'une renaissance de l'étude et de la connaissance de la langue juive qui a fait de l’hébreu une langue vivante. Elle a donné à un peuple qui, à une certaine époque, était indifférent à notre histoire, quelque chose à vivre et à rechercher. Elle a été à l'origine de la création d’une grande université, la fondation de ce qui sera l’une des hauts lieux de connaissance dans le monde, à Jérusalem, et par conséquent, elle a donné aux Juifs un plus grand idéal.
« Le fait, dit M. Marshall, que l’on soit en désaccord avec certains aspects théoriques et académiques du mouvement ne devrait pas être une raison pour ne pas s’unir à ceux qui désirent édifier la Terre Sainte et lui rendre son utilité, sa beauté et sa grandeur qui n’est que naturelle.
« J’aurais honte de moi-même en tant qu’homme, si je sentais que, parce qu’une majorité de Juifs de certaines parties du monde ne désiraient pas réaliser cet idéal, je devrais m’opposer à eux ou à leurs idéaux. Il y a ceux qui disent : « Nous n’avons que faire du sionisme politique. Nous ne voulons pas d’un État juif. Eh bien, c’est un point de vue tout à fait Mais cela n’a aucune importance, lorsque nous examinons la question de savoir si la Palestine doit être reconstruite. Il n’y a aucun danger qu’un État juif s’y organise à notre époque. Quiconque en parle n’a l’idée que ce serait faisable. Nous sommes satisfaits, nous tous qui avons de la sympathie pour la Palestine, de donner la possibilité d’y vivre à ceux qui le peuvent, qui peuvent y gagner leur vie et devenir économiquement indépendants. Personne n’est obligé de devenir membre d’un État qui n’existe pas et qui n’existera pas jusqu’à ce que le temps arrive où les Juifs pourront être majoritaires en Palestine. Pour l'instant, ils ne le sont pas, et il est peu probable qu’ils le soient avant de très nombreuses années. Leur situation sera alors, si cela se produit, exactement ce qu’est la situation de n’importe quel peuple aux États-Unis aujourd’hui. La majorité gouverne en général, et s’il y avait une majorité de Juifs à Far Rockaway, ou dans n’importe quelle ville alentour, et qu’ils décidaient d’élire des Juifs à des postes, ce serait dans les limites légitimes du système politique qui prévaut dans tous les pays civilisés. N’ayez donc pas peur, mes bons amis, qui vous êtes jusqu’ici opposés au sionisme au motif que vous ne croyez pas en un État juif."
Louis Marshall, discours dans le cadre de la Far Rockaway Division of the United Palestine Appeal (UPA), tenu dans le Congregation Shaaray Tefila Center, à Far Rockaway (Queens, New-York), dans "Louis Marshall in Speech Urges Harmonious Effort for Palestine Rebuilding", article de la Jewish Telegraphic Agency, 15 mars 1927.
C'est seulement au moment d'aborder, en forme de réponse, le rapport cinglant du Dr Henry Smith Pritchett (1857-1939), que Marshall touche aux sujets qui fâchent. Le 29 novembre 1926 paraissait dans le New York Times un rapport intitulé "Zionism Will Fail" ("Le Sionisme échouera"), en forme de condamnation virulente de l'entreprise sioniste par le scientifique américain, astronome, professeur de mathématiques, président du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) entre 1900 et 1906 et membre du conseil d'administration de la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale (Carnegie Endowment for International Peace, CEIP), pour laquelle il avait rédigé ledit rapport après une grande tournée au Moyen-Orient, à destination du président de la fondation, Nicholas Murray Butler (1925 – 1945), déclarant en substance que la colonisation juive attisait les haines, soulignant le choc entre Juifs et Arabes, la pauvreté du pays, etc.. un ensemble de faits mis sous le tapis par Marshall dans son discours, soi-disant "non sioniste". Pritchett laissait entendre que la renaissance d'une Palestine juive enflerait l'ego racial des Juifs (ce qui était le cas, en fait, depuis très longtemps déjà chez les sionistes, nous l'avons vu). Qu'à cela ne tienne, l'orateur lui rétorque a posteriori : "Dans ce cas, réhabilitons-le. Je suis prêt à tenter ma chance doté de l'ego racial" (Marshall, op. cité) Comme tout partisan du sionisme qui se respecte, en fait, Marshall ne s'intéressait pas le moins du monde à la réalité concrète du drame palestinien mais uniquement à la gloire du peuple hébreu : "L'histoire de l'héroïsme des Chalutzim, ajouta-t-il, constitue un chapitre de l'histoire juive qui devrait faire frissonner chaque Juif. Parfois, ils n'ont pas de pain à manger, mais ils chantent les cantiques de Sion. (...) Je n’ai pas l’habitude de poser cette question, mais que dira le monde, si la communauté juive américaine retirait maintenant son soutien, et disait que nous n'aurons rien de tout cela, que tout effort serait voué à l'échec et qu’une telle opportunité ne serait jamais plus offerte au peuple juif ? L’idéal de la Palestine, a-t-il encore déclaré, représente non seulement l’accomplissement de l’aspiration juive depuis les temps anciens, mais il a le soutien de beaucoup de grands hommes, quelle que soit leur croyance, qui reconnaissent la poésie de ce mouvement que nous appelons le sionisme." (op. cité)
Avec le désengagement du Royaume-Uni de la construction d'un Etat juif en Palestine, les dirigeants sionistes se tournent donc davantage vers les Etats-Unis pour continuer la réalisation de leur projet colonial. Le 20 juin 1939, Rabbi Solomon Goldman, président de l'Organisation sioniste américaine, écrit à Weizmann, président de l'Organisation sioniste mondiale (1921-1931 et 1935-1946) : "Nous avons toutes les raisons de penser que le président a une fine compréhension de notre mouvement et la plus profonde sympathie pour celui-ci" (Halperin et Oder, 1962).
Il faut cependant relativiser la marche en arrière du gouvernement britannique sur la question palestinienne. Comme Martin Gilbert, le grand biographe de Churchill l'a rappelé :
“ Weizmann avait accès à Churchill. Ils se connaissaient depuis la Première Guerre mondiale (...) Lors de leur première discussion, le 17 décembre 1939, Weizmann pressa Churchill sur cette question de l’avenir de la Palestine après la guerre. (...) Le Dr Weizmann a dit à M. Churchill : « Vous avez été le berceau de cette entreprise. J’espère que vous irez jusqu’au bout. » M. Churchill demanda ce que le Dr Weizmann entendait par « aller jusqu’au bout ». Le Dr Weizmann répondit qu’après la guerre, les sionistes souhaiteraient avoir un État de quelque 3 à 4 millions de Juifs en Palestine. M. Churchill a dit : « Oui, je suis tout à fait d’accord avec cela. » ”
Martin Gilbert, Churchill and the Holocaust : The Possible and Impossible, discours prononcé au U.S. Holocaust Memorial Museum, Washington, le 8 novembre 1993, article de l'International Churchill Society, 3 juin 2009.
À la veille de la seconde guerre mondiale, Churchill a contre lui les principaux leaders de son propre camp conservateur, le chef du parti Neville Chamberlain, qui écrit en privé à sa sœur : "Les Juifs ne sont pas des gens aimables, je ne m’en soucie pas moi-même.", ou encore le premier ministre MacDonald, le même qui avait permis un boom fantastique de l'immigration juive en Palestine, nous l'avons vu, et qui ensuite "avait spécifiquement refusé de délivrer des visas à quelque 25 000 enfants juifs polonais au motif que cela serait, entre autres, bien qu’il ne s’agisse pas techniquement d’une violation du Livre blanc de 1939 sur l’immigration, considéré par les Arabes comme une violation." (Gilbert, op. cité). Du 10 mai 1940 au 26 juillet 1945, Churchill a beau être au sommet du pouvoir, en tant que premier ministre du Royaume-Uni, il doit harceler "constamment son propre personnel pour être informé de ce qui se passe" (op. cité) quand il s'agit du problème de l'immigration juive en Palestine, qui continue (depuis très peu de temps, rappelons-le) d'être combattue par son gouvernement (au mépris parfois d'un devoir d'humanité : cf. l'épisode du Patria et du Struma, plus haut). Et quand Roosevelt et Churchill se rencontrent le 14 août 1941, sur le navire de guerre HMS Prince of Wales, au large de Terre-Neuve, pour établir "certains principes communs de la politique nationale de leurs pays respectifs sur lesquels ils fondent leurs espoirs d'un avenir meilleur pour le Monde" (Préambule de The Atlantic Charter — The Eight-Point Declaration of President Roosevelt and Prime Minister Churchill, August 14, 1941, Commission to study the organization of peace : "La Charte Atlantique — La Déclaration en huit points du président Roosevelt et du premier ministre Churchill, 14 août 1941, Commission d'étude sur l'organisation de la paix", décembre 1941), principes par lesquels ils désiraient ne voir "aucune modification territoriale qui ne soit conforme aux vœux librement exprimés des populations concernées." (op. cité, 2e point).
Mais selon Martin Gilbert, toujours, quand Roosevelt présentera son texte, basé sur les Quatorze points de Woodrow Wilson ("Fourteen Points", 8 janvier 1918), Churchill soutiendra "cette promesse, mais pas en ce qui concerne les Arabes de Palestine, expliquant à Roosevelt que «la majorité des arabes pourraient prétendre à expulser les Juifs de Palestine, ou en tout cas interdire toute immigration future. » Churchill a ajouté, pour expliquer son inquiétude : « Je suis fortement attaché à la politique sioniste, dont j'ai été l'un des auteurs. »" (Gilbert, 2007). Le 2 juillet 1943, dans une réunion du Cabinet de guerre (War Cabinet), Churchill rappelait "l'engagement solennel" de son pays à favoriser un foyer national juif et poussait son Cabinet à planifier l'abrogation du Livre Blanc (White Paper) de 1939, toujours en vigueur à ce moment-là. Pour ce faire, il fait entrer Leo Amery (cf. Partie I), alors secrétaire d'Etat pour l'Inde et la Birmanie, dans un nouveau comité pour la Palestine (Cabinet Committee on Palestine), chargé de reconsidérer les plans de partage du pays. Nourri par divers fantasmes qui font penser à ce que les Britanniques feront en Inde à la même période, le comité pensait par exemple que la vitesse d'exécution du projet était un facteur important de sa réussite, et soulignera ce fait dans la conclusion de son rapport : "Il y a beaucoup à dire en faveur du jugement d’un roi Salomon lorsqu’il y a un espoir raisonnable que chaque moitié de l’enfant survive et mène une vie vigoureuse qui lui soit propre. Mais il ne peut le faire que si la coupe est rapide et nette." (Palestine Committee Report to the War Cabinet, 20 décembre 1943, PREM 4/52/1 f. 145, UKNA). Amery reprendra l'analogie dans une note adressée à Churchill en janvier 1944 : "La seule chose qui peut rendre possible un jugement de Salomon, c’est la coupe rapide et nette. Ce que nous ne pouvons pas nous permettre de faire, c’est de scier lentement un nourrisson qui couine en présence de deux mères hystériques et au milieu des ululements d’un chœur de parents tout aussi hystériques dans le monde arabe et juif." (L. Amery, Procès-verbal du secrétaire d’État à l’Inde au Premier ministre, 22 janvier 1944, PREM 4/52/1, f. 178, UKNA). Cependant, plusieurs mois après, le comité faisait le même constat que de nombreux rapports précédents sur les difficultés inhérentes aux projets de partition de la Palestine : "Elles sont incontestablement grandes, et plus la question est examinée de près, plus elles ressortent clairement." (Palestine Committee Report, 16 octobre 1944, PREM 4/52/1, f. 73, UKNA).
PREM 4 : Prime Minister's Office (PMO) : Confidential Correspondence and Papers
UKNA : United Kingdom National Archives, appelé le plus souvent TNA (voir partie I)
L'entrée des Etats-Unis dans le conflit mondial en décembre 1941 est aussi un atout pour la cause sioniste : "Or les Etats Unis abritent la plus importante communauté juive du monde, la plus puissante aussi. Le sort infligé aux communautés juives d’Europe ne peut que renforcer son influence et c’est aux organisations américaines qu’est confié le soin d'élaborer le nouveau programme sioniste. Le centre de gravité du sionisme se déplace donc vers les Etats-Unis et cette tendance ira en s’accentuant." (Perrin, 2000). En janvier 1942, Weizmann écrit un article pour la prestigieuse revue américaine Foreign Affairs appelant les puissances occidentales à soutenir la création d'un "commonwealth" juif en Palestine (Masalha, 1992), terme repris pendant le Congrès (ou Conférence) sioniste extraordinaire (Extraordinary Zionist Congress), que les sionistes américains organisent à l'Hôtel Biltmore de New York entre le 6 et le 11 mai 1942, suite aux efforts acharnés des deux grands leaders sionistes, Ben Gourion et Weizmann. La déclaration finale du Congrès, en huit points, est éloquente sur la permanence idéologique du sionisme, qu'on en juge : Après avoir déclaré leur "dévouement sans équivoque à la cause de la liberté démocratique et de la justice internationale" (texte de la déclaration Biltmore, 11 mai 1942), les sionistes américains affirment sans vergogne que les Juifs "ont écrit une page remarquable dans l'histoire de la colonisation". et "qu'en "particulier au cours des vingt dernières années, le peuple juif a réveillé et transformé son ancienne patrie" (op. cité, 4), que leurs "voisins arabes en Palestine ont partagé ces nouvelles valeurs ainsi créées. Le peuple juif dans son propre travail de rachat national accueille le développement économique, agricole et national des peuples et des États arabes. La Conférence réaffirme la position adoptée précédemment par les Congrès de l'Organisation Sioniste Mondiale, exprimant la disponibilité et le désir du peuple juif de coopérer pleinement avec ses voisins arabes." (op. cité, 5). Sans complexe encore, les sionistes réclament que "l'Agence juive soit investie du contrôle de l'immigration en Palestine et qu'elle ait l'autorité nécessaire pour construire le pays, y compris le développement de ses terres inoccupées et non cultivées ; Et que la Palestine soit établie comme un Commonwealth juif intégré dans la structure du nouveau monde démocratique." (op. cité, 8).
Le message délivré par les sionistes aux Arabes palestiniens n'a pas changé d'un iota. Évitant soigneusement le débat religieux, il base la prétention des Juifs à défendre et gouverner la Palestine principalement sur leur valorisation économique du pays, "œuvre de rédemption nationale" (op. cité, 5). Non seulement, l'argument, décliné sous diverses formes, est profondément indigent en regard de la situation, mais il est, de plus, en partie erroné et entaché d'inégalités, nous l'avons vu. Non seulement les sionistes ne se défendent pas de la colonisation, si décriée par les autochtones, mais ils s'en vantent : "de 50.000 à la fin de la dernière guerre le nombre de Juifs est monté à plus de 500.000." (op. cité, 4). Au final la déclaration Biltmore traduit encore une fois le profond mépris et la totale indifférence envers les Arabes palestiniens et leurs doléances de justice, maintes fois exprimées. Le "peuple juif" est cité six fois, le "peuple palestinien" aucune, c'est encore un autre signe qui ne trompe pas.
Toute autre est la légitime préoccupation des congressistes vis-à-vis des crimes abominables causés à l'endroit des Juifs, particulièrement dans les ghettos et les camps de concentration du IIIe Reich hitlérien. On comprend aisément qu'ils souhaitent que le nouvel ordre mondial, après la guerre, résolve "le problème des Juifs sans foyer", mais au lieu de chercher une solution acceptable par tous, ils cherchent à imposer unilatéralement la solution choisie par la doctrine sioniste et demandent " instamment que les portes de la Palestine soient ouvertes", ce qui nous ramène à la position, inacceptable par les Arabes, tenue de manière intangible par les sionistes depuis les débuts de la colonisation.
La Conférence de Biltmore a un effet certain sur de nombreux responsables de gouvernement du monde anglo-saxon. Du 6 au 11 mai 1942, aux Etats-Unis, 13 sénateurs et 181 députés du Congrès américain s'entendent pour déclarer au président Roosevelt qu'ils sont "favorables à la restauration d'un foyer national juif" (John et Hadawi, 1970 : 343, cité par le New York Times du 5 décembre 1942, dans Alcott, The Rape of Palestine, A Mandate Chronology, Vol. 2, Tredition.com, 2023). Selon Alcott, c'est un "lobby puissant" qui commence à se former en Angleterre, autour de la Déclaration de Biltmore (Alcott, op. cité).
En octobre 1944, à la convention annuelle de l'Organisation sioniste américaine, à Atlantic City (New Jersey), les sionistes font un pas de plus après Biltmore et n'hésitent plus à afficher leur détermination d'installer un pouvoir Juif sur toute l'étendue de la Palestine. La célèbre philosophe juive Hanna Arendt s'en inquiète et écrit aussitôt un essai sur le sujet, à la fois lucide et prémonitoire sur certains aspects :
"Les sionistes américains de gauche à droite ont adopté à l’unanimité, lors de leur dernière convention annuelle tenue à Atlantic City en octobre 1944, la revendication d’un « commonwealth juif libre et démocratique ... [qui] embrassera l’ensemble de la La Palestine, indivise et non diminuée ». C’est un tournant dans l’histoire sioniste ; car cela signifie que le programme révisionniste, si longtemps amèrement répudié, s'est finalement révélé victorieux. La résolution d’Atlantic City va encore plus loin que le programme Biltmore (1942), dans lequel la minorité juive avait accordé des droits minoritaires à la majorité arabe. Cette fois, les Arabes n’ont tout simplement pas été mentionnés dans la résolution, ce qui leur laisse évidemment le choix entre l’émigration volontaire ou une citoyenneté de seconde zone.
(...)
Le nationalisme est déjà assez mauvais lorsqu’il ne fait confiance qu’à la force brutale de la nation. Un nationalisme qui dépend nécessairement et réellement de la force d'une puissance étrangère est certainement pire. . . les sionistes, s’ils continuent d’ignorer les peuples méditerranéens et de se préoccuper uniquement des grandes puissances lointaines, n’apparaîtront que comme leurs outils, les agents d’intérêts étrangers et hostiles. Les Juifs qui connaissent leur propre histoire doivent être conscients qu’un tel état de choses conduira inévitablement à une nouvelle vague de haine envers les Juifs ; l’antisémitisme de demain affirmera que les Juifs ont non seulement profité de la présence des grandes puissances étrangères dans cette région, mais qu’ils l’ont en fait comploté et qu’ils sont donc coupables des conséquences.
(...)
La vérité est que l’idéologie sioniste, dans la version herzlienne, avait une nette tendance à ce qui a été connu plus tard sous le nom d’attitudes révisionnistes, et ne pouvait y échapper que par un aveuglement volontaire aux véritables questions politiques qui étaient en jeu.
(...)
L’attitude intransigeante des révisionnistes est bien connue. Revendiquant toujours l’ensemble de la Palestine et de la Transjordanie, ils ont été les premiers à préconiser le transfert des Arabes palestiniens en Irak – une proposition qui, il y a quelques années, a été sérieusement discutée dans les cercles sionistes en général. Puisque la dernière résolution de l’Organisation sioniste américaine, dont ni l’Agence juive ni le Vaad Leumi palestinien ne diffèrent en principe, ne laisse pratiquement pas d’autre choix aux Arabes que le statut de minorité en Palestine ou l’émigration volontaire, il est évident que dans cette question aussi, le principe révisionniste, si ce n'est encore, les méthodes révisionnistes elles-mêmes, a remporté une victoire décisive."
Hannah Arendt, Zionism Reconsidered, Menorah Journal, août 1945
Harry S. Truman (1884-1972) remplacera Roosevelt après son décès, le 12 avril 1945, et apparaît alors un nouveau soutien de taille pour les sionistes, en la personne alors la plus puissante de la planète : "Dès 1942, Ben Gourion disait à la Conférence de Biltmore à New York, que pour y parvenir il était temps d’échanger le cheval britannique pour une monture américaine. Et Truman semblait plutôt d’accord (25)" Note 25 associée : "Ben Gourion avait décidé de remplacer le soutien anglais par celui des Américains dès 1939. Voir Walid Khalidi, From Haven to Conqtiest, p. 481 et suivantes." (Khalidi, 2005). Au Royaume-Uni aussi la situation politique change, puisque le gouvernement travailliste de Clement Richard, 1er comte Attlee avait remplacé celui de Churchill le 26 juillet 1945. Signalons en passant que, dans un document de 1944 ("International Post-War Policy"), le parti travailliste britannique avait prôné une majorité juive en Palestine et suggéré que "les Arabes devraient être encouragés à partir au fur et à mesure que les Juifs s’installent" (Cité dans Cecil Bloom, The British Labour Party and Palestine 1917-1948, Jewish Historical Studies, Vl, 36 (1999-2001), 141-171), mais après son arrivée au pouvoir, avait changé diamétralement d'attitude : "Loin de soutenir l’immigration juive en Palestine, le gouvernement travailliste a utilisé la Royal Navy pour faire respecter les termes du Livre blanc de 1939, qui limitait l’immigration juive à 1.500 par mois. Cette nouvelle politique signifiait que les survivants de l’Holocauste qui languissaient dans les camps de personnes déplacées se voyaient refuser de force l’entrée. Certains de ceux qui ont tenté d’atteindre la Palestine ont été renvoyés au port d’où ils venaient, et d’autres ont été détenus dans des camps." (J. Strawson, Communists for the Jewish State : British Communists and the Daily Worker in 1948, article de fathom, septembre 2020).
A sa prise de fonctions, Attlee trouve sur son bureau la lettre que le président américain avait envoyée à Churchill (sur le départ), le 24 juillet, à propos de l'immigration juive en Palestine. "La deuxième phrase de la lettre faisait référence aux « restrictions drastiques de l’immigration juive dit Livre Blanc de mai 1939 ». Truman disait qu’il espérait que le gouvernement britannique « ferait sans tarder tout son possible pour procéder par étapes à la levée des restrictions sur l’immigration juive en Palestine ». Il pressait Churchill de le laisser se faire sa propre « idée sur la résolution du problème de la Palestine », pour qu’ils puissent discuter « en termes concrets» à une date ultérieure « mais pas trop lointaine ». Les jours de l’hégémonie de la Grande-Bretagne sur la Palestine étaient clairement révolus. Atlee répondit brièvement le 31 juillet. Il porterait « rapidement une attention précise » au mémorandum de Truman, et il était convaincu que Truman comprendrait qu’il ne pouvait lui faire « aucune déclaration sur la politique à envisager tant que nous n’avons pas eu le temps de considérer le problème »." (Khalidi, 2005). Un peu plus tard, Truman profite de la Conférence de Postdam (17 juillet - 2 août 1945), où les Alliés étaient allés discuter, entre autres, du désarmement de l'Allemagne, pour relancer Attlee : "le peuple américain tout entier était convaincu que l’immigration en Palestine ne devait pas s’arrêter.". De même, un peu après le largage des bombes sur Hiroshima et Nagasaki, cette fois par écrit, le 31 août, signalant au dirigeant britannique "un rapport émis par Earl G. Harrison, doyen de l’université de droit de Pennsylvanie, qu’il avait auparavant envoyé (sous la pression des dirigeants juifs) enquêter sur la condition des réfugiés juifs parmi les personnes déplacées en Europe. Harrison avait préconisé la délivrance de cent mille certificats d’immigration vers la Palestine pour les réfugiés juifs. Approuvant Harrison, Truman ajoutait que « la meilleure solution semble être l’évacuation rapide en Palestine d’autant que possible de Juifs non rapatriables [il s’agit de réfugiés juifs de pays européens, non désireux de revenir chez eux] qui le désirent ». La réponse d’Atlee arriva le 16 septembre. Il soulignait qu’en Palestine « Nous devons penser aux Arabes autant qu'aux Juifs, et des engagements solennels ont été pris, à savoir, par votre prédécesseur (Roosevelt), vous-même et Monsieur Churchill qu'avant de prendre une décision finale [...] il y aurait une consultation avec les Arabes ». Il notait que les Juifs n’utilisaient pas les certificats d'immigration qui leur étaient destinés mais exigeaient « la répudiation totale du Livre Blanc et la délivrance immédiate de cent mille certificats sans trop se soucier des conséquences sur la situation au Moyen-Orient ». Bien qu’il adhère au point de vue de Monsieur Harrison, continuait le Premier ministre, sa dernière suggestion « serait lourdes de conséquences». Le problème des réfugiés serait enfin « traité en urgence », afin de mettre en place une politique à long terme qui serait soumise aux Nations unies." (Khalidi, 2005).
Il faut ici éclairer un peu la situation extrêmement fragile du gouvernement britannique face à une puissance américaine qui a renfloué une énorme dette de guerre de la Grande-Bretagne accumulée entre 1939 et 1945, de 476 millions à 3, 335 milliards de livres sterling, renflouée par un crédit-bail accordé par les Etats-Unis en 1941. Alors, quand Truman annonce à Whitehall l'arrêt de ce crédit le 21 août 1945, la veille de sa dernière intervention sur l'immigration juive, le chantage paraît clair comme de l'eau de roche. Et d'ailleurs, dès 1944, "l’ambassadeur britannique à Washington avait prévenu que « la campagne sioniste [...] pouvait avoir des conséquences sur l’octroi du crédit-bail et un certain prêt en dollars ». Il est intéressant de noter que quelques mois avant que les Etats-Unis ne mettent fin au crédit-bail, les 27 janvier et 2 février 1945, une résolution avait été proposée respectivement au Sénat américain et à la Chambre des représentants, demandant aux Etats-Unis « de prendre les mesures nécessaires pour que les portes de la Palestine soient ouvertes, afin que les Juifs puissent entrer librement dans ce pays et que la colonisation puisse y être totale, et que le peuple Juif finisse par restaurer la Palestine en Commonwealth juif libre et démocratique». La résolution ne fut pas acceptée, mais il est clair que ses termes reproduisaient mot pour mot les résolutions de la Conférence de Biltmore de 1942 inspirées par Ben Gourion" (Khalidi, 2005).
C'est ainsi que le 13 novembre 1945, Ernest Bevin, ministre britannique des Affaires Etrangères, fait à la Chambre des Communes une déclaration relative au "problème de la communauté juive causé par la persécution nazie en Allemagne" (A Survey of Palestine — Prepared in December 1945 and January 1946 for the information of the Anglo-American Committee of Inquiry, ("Une enquête sur la Palestine préparée en décembre 1945 et janvier 1946 pour l'information de la commission d'enquête anglo-américaine', Volume I, Chapitre II, p. 82, Government Printer, Palestine, avril 1946), et qui invite le gouvernement des Etats-Unis à participer conjointement à une Commission d'enquête anglo-américaine (Anglo-American Committee of Inquiry, AACI : "Commission d'Enquête Anglo-Américaine"), qui sera composée à parité, à savoir 6 membres de chaque côté. Une égalité dans les apparences seulement, car cinq membres au moins étaient connus pour leurs sympathies sionistes : Deux députés travaillistes britanniques, Richard Crossman et Lord Morrison, et quatre Américains : Bartley C. Crum, avocat de San Francisco, J.G McDonald, Haut Commissaire pour les réfugiés à la Ligue des Nations et Krank W. Buxton, rédacteur en chef du Boston Herald. Derrière ces choix, on trouve bien entendu des influences de dirigeants sionistes américains, en particulier le rabbin Stephen Wise, bon ami de McDonald, mais aussi Felix Frankfurter (Khalidi, 2005), juge à la Cour suprême, qui a été introduit plus haut, ou encore Crum, qui "avait été recommandé par David Niles, sioniste et assistant aux affaires des minorités à la Maison Blanche" (op. cité), La Commission sera réunie le 4 janvier 1946 à Washington (District of Columbia : D. C). "sous présidence tournante pour étudier le problème des Juifs d’Europe et pour faire un bilan plus approfondi du problème de la Palestine à la lumière de cet examen." (A Survey of Palestine...op. cité).
"Tuer un homme et assister à ses funérailles est un proverbe connu, mais nuire à un homme et demander à son peuple la cause de son chagrin ne fait partie d'aucune anthologie réputée, pourtant… il devrait être ajouté aux proverbes anglais.
Il n'y a rien de plus étrange de la part des Anglais que de nommer des comités d'enquête comme s'ils ne connaissaient pas les causes et les remèdes… comme s'ils n'étaient pas… responsable de nos difficultés"
Omar Dejany, jeune Palestinien arabe ayant témoigné devant la Commission anglo-américaine, cité par Amikam Nachmani, "Great Power Discord in Palestine – The Anglo-American Committee of Inquiry into the Problem of European Jewry and Palestine, 1945-1946", Londres, Frank Cass, 1987, pp. 87-88).
La Commission anglo-américaine était la dix-septième du genre sur le problème judéo-palestinien, et Albert Einstein, interrogé par elle à Washington, DC, l'avait qualifiée d' "écran de fumée", arguant du fait que le ministère des Colonies imposerait ses propres politiques, et " absolument convaincu qu'elle ne produirait aucun effet" (Bartley C. Crum, "Behind the Silken Curtain – A Personal Account of Anglo-American Diplomacy and the Middle East", New York, Simon & Schuster, 1947, p. 26).
Mais certains membres de la Commission avaient d'intéressantes questions à poser aux sionistes, comme le juge Joseph Chappell Hutcheson (1853-1979), sensible aux discriminations, qui interroge Nathan Jackson, représentant de Poale Zion à Londres.
"On pourrait soutenir que les survivants de l’Holocauste, juifs et non-juifs, devraient recevoir des privilèges non accordés aux autres, simplement en fonction de leurs souffrances. Mais accorder un privilège à l'ensemble de la population juive, sans se soucier de savoir si elle était ou non survivante de l'Holocauste, était difficile à comprendre pour certains membres de la Commission." (Tamari, 2008 : 27).
La tentation était grande, en effet, de confondre les besoins des Juifs rescapés de l'Holocauste avec ceux de la communauté juive toute entière. Finalement, "la Commission a recommandé d'autoriser 100 000 survivants juifs de l'Holocauste à entrer en Palestine, mais n'a pas permis la création d'un État juif ou arabe dans tout ou partie de la Palestine, il agissait en partant du principe que les besoins de la communauté des survivants juifs de l'Holocauste, dans les camps des DP [Displaced Persons : Personnes Déplacées, NDA] et ceux des Juifs de Palestine, étaient incompatibles avec les intérêts des ces mêmes personnes." (Tamari, 2008 : 3). Après la découverte d'Auschwitz, les sionistes ne manqueront évidemment pas d'argumenter leurs positions en mettant en avant cette terrible catastrophe historique. Plus tard, devant l'UNSCOP (cf. plus bas), Ben Gourion avancera cette question de la Shoah, qui ne pouvait manquer de faire réagir et "convaincre des opinions occidentales culpabilisées et qui ignorent tout des Palestiniens – lesquels boycottent les délégués onusiens. Les sionistes, au contraire, développent un lobbying intense. Ce contraste, écrit le binationaliste Aharon Cohen, « ne pouvait manquer de donner l’impression que [les Juifs] étaient pénétrés du sens de la justice et préparés à plaider devant un tribunal équitable alors que les Arabes ne se sentaient pas sûrs de la justesse de leur cause et avaient peur de s’incliner devant le jugement des nations . »" (Vidal, 2018 ; citation d'A. Cohen : Israel and the Arab World, W.H. Allen, Londres, 1970).
Encore une fois, nous avons là un jugement sioniste sur les Arabes empreint (au minimum) de condescendance, affirmant péremptoirement que la justice, malgré tous les faits accablants de l'histoire, est du côté des colons Juifs, mais aussi de malhonnêteté intellectuelle, les nationalistes palestiniens ayant été très fidèles, année après année, à leurs revendications de justice, nous l'avons vu, conformes à la réalité historique : Les Juifs sionistes, qui représentaient à peine 10% de la population du pays au début de leur arrivée sont des étrangers qui ont colonisé la Palestine grâce au colonisateur britannique et n'ont aucun droit à dominer les Arabes en gouvernant la Palestine. Et divers témoignages des dirigeants sionistes, d'ailleurs, auprès de la Commission, marquent sans surprise la permanence idéologique de la pensée sioniste, perpétuellement enfermée dans une vision ethnocentrique qui les empêche d'affronter honnêtement les contradictions du sionisme, nous l'avons vu à de multiples reprises, en particulier avec le patron de l'Agence Juive, Chaïm Weizmann :
Crum : Voici ce que je pense : vous avez actuellement une majorité arabe en Palestine… Le mot « État juif » implique actuellement l’imposition d’une nouvelle majorité sur une majorité existante de personnes, n’est-ce pas ?
Weizmann : C’est vrai, oui.
Crum : Ce que j'aimerais savoir, c'est comment cela se justifie dans la pratique démocratique ?
Weizmann : Le mot « imposition » signifie toujours le recours à la force. Eh bien, si vous amenez des Juifs dans le pays et que vous leur permettez de s'installer, en même temps que vous permettez au pays de se développer au maximum et d'absorber autant de personnes qu'elle le peut, une majorité adviendrait. Je ne pense pas que ce soit antidémocratique si cela se fait sans blesser les autres.
Crum : Puis-je vous lire un extrait d'une déclaration parue dans Foreign Affairs en 1931. Voici ce que j'ai en tête: Il s’agit d’une déclaration du juge Frankfurter « Tout le tissu de la vie palestinienne est traversé par une conviction indéracinable que les Arabes ne peuvent pas dominer les Juifs ni les Juifs les Arabes, et que seul un partage des droits et des devoirs réciproques peut affirmer la valeur réciproque des civilisations juive et arabe. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
Weizmann : Je suis d'accord avec cette déclaration aussi longtemps qu' Arabes et Juifs entretiennent de bonnes relations morales. S'il existait un futur État juif, je crois que les Arabes auraient liberté totale de religion, de culture de langue, une autonomie dans leur organisations municipales, et ils pourraient s'exprimer du mieux qu'ils peuvent. Cela ne veut pas dire que nous aimerions dominer les Arabes dans le sens de leur retirer leurs droits naturels ou leur langue ou interférer de quelque manière que ce soit avec leur culture et leur civilisation… si vous vous souvenez ma déclaration principale, je dirais que j'admets que cela implique un certain degré d'injustice, mais la question est de savoir quelle est la limite de l'injustice minimale ?"
Anglo-American Committee ...Public Hearings... op. cité, p. 37-38, dans Tamari, 2008.
“ Toute idéologie, y compris le sionisme, envisage un conflit sous un angle très spécifique, et examine ainsi les solutions à un conflit sous ce même angle particulier. Cette vision tunnel, par conséquent, n’autorise que les solutions qui s’inscrivent dans le spectre de cette idéologie. Comme Weizmann était concentré sur la question de la Palestine à travers les yeux des sionistes, il était incapable de voir que la solution à un conflit n'implique pas nécessairement de pratiquer une injustice déterminée. Mais de son point de vue, pour qu’il y ait un État juif sur une terre où siègent les Arabes, une injustice doit se produire, car il percevait le problème de manière simpliste, tout noir ou tout blanc : soit l'État juif existe, soit il n'existe pas. De son point de vue, l’idée de ne pas avoir d’État juif était inconcevable. L'idée de partager la terre avec les Arabes ne faisait pas partie de l'idéologie sioniste et ne fait donc pas partie de la liste des solutions disponibles. ”
(Tamari, 2008 : 33 - 34)
« Crossman : Vous nous avez raconté comment vous avez été élevé dans un village arabe. Je veux que vous imaginiez que, grâce à un changement dans votre nature, vous avez grandi en Arabe au lieu de Juif.. Qu'aurait pensé le Shertok arabe de la remarque du Shertok juif, quand il parlait d’acquérir le sol pied par pied et de le transformer en sol juif ? Shertok : Je peux tout à fait concevoir qu'il se sente mal à l'aise à ce sujet.
Crossman : Mal à l'aise à cause de vos paroles ?
Shertok : Nous parlons entre hommes d’État.
Crossman : Écoutons la vérité.
Shertok : Je peux tout à fait concevoir qu'il s'y oppose ; et même qu'il s'y oppose fermement.
Crossman : Pouvez-vous l’imaginer diriger un mouvement nationaliste contre les Juifs, ici ?
Shertok : Très certainement.
Crossman : Vous nous parliez des efforts acharnés de coopération entre Juifs et Arabes.
Shertok : Oui.
Crossman : Pensez-vous que cette description particulière de l'effort pour acquérir pas à pas et transformer le sol en sol juif en l'achetant, est susceptible de créer de bonnes les relations entre juifs et arabes ?
En réaction, Shertok a cherché à différer sa réponse, soulignant que lorsque l'Agence Juive parlait de coopération entre Juifs et Arabes, elle parlait de Juifs et d'Arabes de Palestine, et que pour un Juif, être en Palestine ne signifiait pas louer une chambre dans un appartement de Tel Aviv. Crossman ne trouvait pas drôle la tactique d'évitement de Shertok.
Crossman : J’'essaie d’obtenir une réponse claire. Je vous ai demandé si vous pensiez ou non qu'une politique qui peut se résumer par la proposition « le terrain acquis par achat est vraiment juif » plairait à M. Shertok qui est arabe ?
Shertok : Ce ne serait pas le cas.
Crossman : Et cela pourrait créer des conflits raciaux ?
Shertok : C’est possible.
Crossman a insisté pour que Shertok se mette dans la peau d’un Arabe.
Crossman : Et à propos de l'Arabe ? A-t-il certaines choses auxquelles il ne peut pas renoncer – cet autre Shertok dont je parle ?
Shertok : Oui.
Crossman : Que se passe-t-il si les deux choses entrent en conflit ?
Shertok : Alors, il y a certains critères que j'ai essayé de suggérer.
Crossman : Qu'en penserait l'autre Shertok ? Je vous demande de penser à vous-même en tant qu'Arabe, pour changer, et que vous pensiez à la manière dont il jugerait la situation.
Shertok : Si l'affaire n'était qu'entre le Shertok juif et ce que vous vous plaisez à appeler le Shertok arabe, alors toute cette Commission n'aurait pas vu le jour… La Commission n'aurait pas été établie car “l'Arabe” et le “Juif Shertok” aurait trouvé une solution au conflit].
Shertok était clairement mal à l'aise face à la série de questions et même irrité par celle-ci, simplement parce que ces questions l’obligeaient à regarder hors du “cadre” du sionisme. Quand on observe de l’extérieur, il est difficile de ne pas voir le mal que l’idéologie sioniste a causé ou pourrait causer à la population arabe en Palestine ; il est difficile de ne pas voir le mal qui pourrait être fait en retour contre le peuple juif, qui aurait alors à se défendre lui-même, en réaction à la pratique de leur propre idéologie." » (Tamari, 2008 : 35-36).
“ le soutien
de beaucoup
de
grands hommes ”
II. URSS :
une « aubaine inouïe »
Les positions politiques des autorités soviétiques sur le Moyen-Orient, avant la deuxième guerre mondiale, avaient été en faveur des Arabes palestiniens, la question a été examinée au chapitre du parti communiste palestinien. Les choses changent complètement dès 1941, par stratégie politique, car Joseph Staline, anticipant la défaite de l'Alliance franco-britannique, et les difficultés de la Palestine mandataire, voulait affirmer le rôle de l'Union soviétique au Moyen-Orient. Solide donc, semble-t-il, apparaît "la thèse selon laquelle Staline voulait avant tout chasser les Britanniques de Palestine afin de miner leur influence au Moyen-Orient" (Vidal, 2018).
Côté sioniste, dès le 12 août 1940, une conférence réunissant à Jérusalem l'ensemble des courants sionistes avait prononcé des résolutions allant dans le sens du rapprochement avec l'Union soviétique : "I. Encourager et aider l’activité culturelle et religieuse sioniste dans la Russie soviétique proprement dite mais aussi dans les nouvelles zones occupées, et renforcer des liens avec les Juifs de Russie de toute part, dans toutes les régions ; 2. Rechercher méthodiquement et constamment des chemins conduisant à une entente avec le gouvernement soviétique pour tout ce qui concerne la Palestine, le sionisme et la communauté juive en Russie" (Ro'i, 1974).
A la toute fin janvier 1941, Weizmann réussit à rencontrer l'influent ambassadeur soviétique à Londres, Ivan Maïski (I. Maisky) qui a retranscrit sa conversation quelques jours plus tard, dans son Journal, le 3 février 1941.
Ivan Maïski : Jan (Jean) Mikhaïlovitch Lyakhovetsky (1884-1975) est le fils d’une institutrice russe orthodoxe et d’un médecin militaire juif polonais. La famille quitte la Pologne pour s’installer en Russie et Ivan prend le pseudonyme de Maïski (Maysky) en 1909, alors en exil depuis 1902, à cause de ses activités révolutionnaires à l'université de Saint-Pétersbourg. Menchevik de 1903 à 1918, il entre au gouvernement de Kerenski après la révolution "bourgeoise" de février 1917, comme ministre adjoint du travail, puis entame une grande carrière diplomatique ( Matériaux biographiques ; Le roman d'Ivan Maïski, Valeurs Actuelles).
Après avoir discuté, raconte Maïski, de la possibilité d'échanger oranges de Palestine contre fourrures soviétiques et de la situation des Juifs dans le monde, puis précisément, en Palestine, le dirigeant sioniste évoque le plan moult fois discuté par les chefs sionistes, nous l'avons vu, du transfert d'un million de Juifs vers l'Irak, pour installer 4 ou 5 millions de Juifs en Palestine. Devant l'expression de surprise de Maïsky, Weizmann éclate de rire et lui fait la remarque suivante, qui n'est, nous le savons, qu'une énième marque de mépris des dirigeants sionistes envers les Arabes :
"J'ai exprimé une certaine surprise quant à la façon dont Weizmann espérait installer 5 millions de Juifs sur un territoire occupé par 1 million d'Arabes.
« Oh, ne vous inquiétez pas », éclata de rire Weizmann. « L’Arabe est souvent appelé le fils du désert. Il serait plus vrai de l'appeler le père du désert. Sa paresse et son primitivisme transforment un jardin fleuri en désert. Donnez-moi la terre occupée par un million d'Arabes, et j'y installerai facilement cinq fois plus. de Juifs.
Weizmann secoua tristement la tête et conclut : « La seule question c'est : comment obtiendrons-nous cette terre ?’"
The Complete Maisky Diaries, 3 volumes, édité en anglais par l'historien Gabriel Gorodetsky, qui a découvert le volumineux manuscrit du Journal de Maïsky, traduit du russe par Tatiana Sorokina et Oliver Ready, Yale University Press, 2017, vol. 3, de 1941 à 1943, pp. 1000-1001.
Rappelé par Staline à Moscou en juillet 1943 (tout comme Maxime Litvinov, devenu ambassadeur à Washington), Maïsky s'exécute en faisant escale au Moyen-Orient, pour le bien des relations diplomatiques entre l’Égypte et l’URSS, et fait un séjour en Palestine où il visite les dirigeants sionistes, en particulier Ben Gourion et Golda Meyerson (G. Meir), mais aussi différents kibboutzim, parlant presque tous russes et d'obédience socialiste.
Le 9 octobre 1941, c'est au tour de Ben Gourion de rencontrer à Londres le diplomate russe. Le patron de l'Agence juive ne manque pas de rappeler les réalisations socialistes des colonies juives, après quoi il propose d'envoyer une délégation à Moscou pour discuter de l'avenir de la Palestine, en soulignant à la fois la contribution que le mouvement sioniste pourrait apporter à l'effort de guerre soviétique et le rôle de grande puissance que l'Union soviétique était appelé à jouer après la guerre. Maïski demande au dirigeant sioniste de lui adresser un Mémorandum sur la question. A son tour, Maïski prie Ben Gourion de relayer auprès des dirigeants américains les besoins de l'armée soviétique combattant les forces du Reich sur le front de l'Est : "Vous allez en Amérique. vous nous rendrez un grand service en faisant bien comprendre aux gens là-bas l'urgence à nous aider ; nous avons besoin de chars, de canons, d'avions, le plus possible et surtout le plus tôt possible" (Documents on Israeli-Soviet Relations 1941-1953 [DISR], Partie I [1941 à mai 1949], p.11, 9 octobre 1941, Londres, Frank Cass, 2000).
Churchill, à droite, regardant Ivan Maïski sur les marches
de la cathédrale Saint-Paul de Londres.
septembre 1941
Le 2 mars 1942, Weizman envoie à Maïski le Mémorandum attendu, soulignant les "massacres et souffrances infligés par les nazis" aux Juifs européens. Weizmann ajoute qu'après la guerre, la plupart des Juifs survivant en Europe de l’Est n’auraient d’autre choix que d’émigrer en Palestine. Il tente de convaincre les Soviétiques que "les malentendus du passé ne doivent pas exclure que l'URSS vienne à se tourner vers le sionisme" et a appelé Moscou à « s'intéresser à la solution sioniste au problème juif" (Weizmann, "The Jewish Question and Zionism", DISR, op. cité, 2 mars 1942, p. 28). Un peu avant déjà, le 6 janvier de la même année, Eliahu Epstein (Eliyahu E, plus tard E. Elath), représentant l'Agence juive au Caire, rencontrait Sergei Vinogradov, l'ambassadeur soviétique de Turquie, par l'intermédiaire de l'ambassadeur britannique à Ankara. Epstein proposa d'apporter de l'aide à l'URSS, sous forme d'un "hôpital de campagne, de médicaments, de médecins sur le front, et demandait d'avoir un ou deux représentants permanents à Moscou pour gérer les permis d'immigration délivrés aux réfugiés en URSS" (Laurent Rucker, "Moscow's Surprise: The Soviet-Israeli Alliance of 1947-1949", Working paper # 46, Cold War International History Project [CWIHP], Woodrow Wilson International Center for Scholars, 15 juillet 2005) . Au mois d'avril, le nouvel ambassadeur soviétique aux Etats-Unis, Maxime (Maksim) Litvinov rencontre différents leaders sionistes, en particulier David Ben Gourion et plus tard, en juin, Chaïm Weizman, à qui il affirme que les Soviétiques "n'avaient pas d'intérêt pour les Arabes", qu'ils décrivaient comme "tous fascistes" (Chaïm Weizmann à Berl Locker [qui a été membre du parti travailliste Poale Zion et membre de l'exécutif de l'Agence juive], 3 juin 1942, Weizmann Archives [WA]).
Quelques mois plus tard, fin août 1942, alors que le IIIe Reich avait attaqué l'Union soviétique le 21 juin, débarquaient en Palestine deux diplomates, Sergeï Mikhaïlov et Nikolaï Petrenko, respectivement premier secrétaire et attaché de l'ambassade soviétique à Ankara, (Turquie) pour donner corps à une organisation dédiée à l'effort de guerre soviétique, la V-League, la Ligue V, pour "Victory" : "Victoire" ("The Jewish Anti‐Fascist Committee and Mikhoels‐Fefer Visit", dans "The Soviet union and the Jews during World War II, British Foreign Office documents". introduction et annotations de Lukasz Hirszowicz , Soviet Jewish Affairs, Vol 3, n°1, 1973, pp. 107–114). Ce fut clairement une entreprise de séduction réciproque dans le but de satisfaire les intérêts propres à chacun, il n'est que d'entendre Mikhaïlov singer le vocabulaire idéologique sioniste et parler de "la grande entreprise réalisée par les Juifs en deux décennies pour reconstruire leur ancienne patrie" en transformant en particulier "le désert en un jardin fertile sur la voie de la création de l'État juif" (S. Mikhaïlov, Conférence de presse à Jérusalem, août 1942, dans Ro'i, 1974).
La visite des deux diplomates ne fut pas aussi simple au contact des divers militants politiques arabes ou juifs. "Un groupe d'étudiantes juives de Jérusalem leur demandèrent, par exemple, de transmettre une lettre à "nos frères d'Union soviétique" qui appelait les Juifs d'URSS d'émigrer en Palestine pour mettre fin à leur existence parasite dans la Diaspora en devenant des travailleurs en Palestine" (Ro'i, 1974).
Plus complexes et moins productives pour la délégation russe furent les discussions sur les relations judéo-arabes. Les deux hommes rencontrèrent en particulier Abdallah Hanna Bandak, figure éminente du Parti communiste palestinien (PCP), éditeur du journal de gauche al-Mihmâz, qui se présenta comme représentant les cercles arabes antifascistes et déclara que "les Arabes "figuraient parmi les peuples du monde amoureux de la liberté du côté du front qui luttait contre Nazisme" (L. Levite [qui a accompagné les deux diplomates pendant leur séjour], interview de l'historien Yaacov Ro'i, 28 mai 1970, Oral History Division [OHD], The Institute of Contemporary Jewry, The Hebrew University of Jerusalem, OHD : 50/22), dans Roï, 1974). Le 27 août, Mikhaïlov et Petrenko furent invités au domicile de Bandak, à Bethléem, pour y rencontrer une trentaine ou une quarantaine d'intellectuels arabes, étudiants, ouvriers, proches de l'Association des Intellectuels Arabes, d'inspiration communiste, qui essayaient de former une ligue pour lutter contre le fascisme et le nazisme (Ro'i, 1974).
"Le premier à prendre la parole fut Bandak, qui déclara que même si les antifascistes parmi les Arabes étaient peu nombreux, ils seraient capables d'accomplir beaucoup s'ils recevaient une aide extérieure. Si le soutien des Arabes à ceux qui luttent contre le fascisme n'était pas perceptible, a-t-il poursuivi, c'était ce n'est pas la faute des Arabes, mais celle des circonstances. Bandak plus loin a déclaré que les Arabes luttaient pour leur propre libération et qu'il était Il n’est pas vrai de dire qu’ils espéraient chasser les Juifs à la mer." (op. cité).
Affiche pour la Ligue V,
"Contribuez au Fonds de secours —
« Don de la Palestine à l'URSS'» !"
"Soldat de l'Armée Rouge, au secours !"
(en hébreu)
Tel Aviv, vers 1942
Ce fut incontestablement au Yishouv que profita la visite des diplomates russes, qui étaient venus principalement pour rénover les relations entre Juifs et Soviétiques. La ligue V connut un succès immédiat par des collectes de fonds et l'organisation d'évènements publics. Un an plus tard, la Ligue comptait 20.000 membres et une centaine de sections en Palestine (Rucker, op.cité). L'aide sioniste s'est rapidement concrétisée, avec un premier apport de 10.000 £ versées par Ivan Maïski au nom de l'Histadrout. Entre 1943 et 1944, ce sont pas moins de trois délégations de la Ligue V qui furent reçus par des représentants soviétiques en Iran, la première d'entre elles ayant délivré des équipements médicaux et des médicaments le 2 mai 1943. C'est l'ambassadeur soviétique lui-même, Andreï Smirnov, qui exprima ses remerciements pour "le cadeau du 1er mai à l'Armée Rouge de la part des travailleurs juifs de Palestine", évènement rapporté par Radio Moscou et publié dans la Pravda (Ahron Cohen, Im ambidansim le-Tehran / With ambulance to Tehran (Hakibbutz Ha'artzi, Merhavia, 1943) ; The V League for Soviet Russia, Central Secretariat, Summary of activities for second Conference, 25/26 août 1942 --27/28 décembre 1945, Tel Aviv, 27 décembre 1945).
Lors de visite de la seconde délégation, en décembre 1943, une réception eut lieu 26 du mois, à l'ambassade soviétique, pendant laquelle ses membres exprimèrent l'espoir que les relations du Yichouv avec l'URSS continuent d'être bonnes après la guerre et leur permettent d'accueillir trois millions et de demie de Juifs en Palestine "sans affecter la population non juive du pays" (Ro'i, 1974). Deux membres de la délégation discutèrent avec un haut gradé des forces soviétiques d'une possible coopération armée dans la lutte contre Hitler avec la Haganah :
"Les deux Palestiniens avaient le sentiment que les Soviétiques étaient considérablement impressionnés par la force militaire du Yishouv et considéraient celle-ci comme un facteur important dans la région" (Ro'i, 1974 ; OHD 50/19, sur la base d'une interview de l'auteur, le 10 mars 1970, avec un membre de la délégation, Yaakov Riftin, 1907-1978, Polonais émigré en Israël en 1929, qui sera au comité exécutif de l'Histadrout, fera partie de la délégation juive aux Nations-Unies en 1947-48, en particulier).
La troisième et dernière délégation, reçue par le chef de la délégation de la Croix-Rouge soviétique au Moyen-Orient, Dr Barian, qui déclara que "la longue souffrance du peuple juif avait trouvé sa patrie en Union soviétique, comme cela a été prouvé par la contribution significative des Juifs soviétiques à l'effort de guerre soviétique." (cité par Ro'i, 1974).
14 septembre 1943, un peu avant son retour à Moscou, Ivan Maïsky accueillait à Londres une délégation de l'Agence juive, avec Weizmann à sa tête :
"Quelques jours avant son départ pour Moscou, où il fut transféré afin de préparer les futures conférences de paix, Maisky a rencontré Chaim Weizmann et lui a dit que le gouvernement soviétique comprenait les objectifs sionistes et qu'il « resterait certainement à leurs côtés ». Il avait tenu les même propos lors de sa première conversation avec Weizmann deux ans plus tôt, cependant, Maisky s’inquiétait toujours de la capacité de la région à absorber le Yishouv en raison de la « petite taille de la Palestine »" (Rucker, op.cité, citation DISR, op. cité 14 septembre 1943, Partie I, p. 68).
En réalité, les dirigeants soviétiques n'avaient pas en la matière de position idéologique bien arrêtée, et paraissent surtout prêts à soutenir le camp qui servira le mieux ses intérêts : sur ce plan, ni les Britanniques, ni les Américains, ne peuvent donner des leçons de morale aux uns et aux autres :
"Les réflexions de Maisky doivent être considérées comme l’arrière-plan des efforts de Moscou pour formuler une politique envers le monde arabe et la Palestine. Au Moyen-Orient, qui était traditionnellement dominée par la Grande-Bretagne, Moscou pouvait soutenir soit le mouvement national arabe ou le projet sioniste d’un État juif en Palestine. Cependant, puisqu'elle était absente du Moyen-Orient depuis 1917, l'Union soviétique ne pouvait pas jouer un rôle un rôle important à moins de créer au préalable un réseau diplomatique. C’est pourquoi Moscou a ouvert une ambassade au Caire en 1943, une démarche orchestrée par Maisky. L'année suivante, Moscou a ouvert des ambassades en Syrie, au Liban et en Irak. L'espoir était que les Soviétiques les représentants rencontreraient des personnalités politiques locales, obtiendraient des informations de première main et exercer une influence (...) Malgré son hostilité à l'égard de la Ligue arabe, l'Union soviétique n'a pas rejoint immédiatement le camp sioniste, estimant que les coûts d’un tel choix dépasseraient les avantages. En 1943, un rapport diplomatique soviétique concluait que l'URSS ne devrait pas soutenir le projet sioniste car une telle démarche pourrait être interprétée comme une attaque contre l'Empire britannique. Toutefois, il a exprimé des doutes quant à la coexistence dans un État dominé par les Arabes." (Rucker, Moscow's surprise... op.cité).
Un autre exemple illustre la valse hésitation de l'URSS sur le problème israélo-arabe. Alors que les soviétiques, en 1945, étaient favorables à une tutelle de la nouvelle Organisation des Nations Unies (ONU, créée le 24 octobre 1945), contrairement aux Etats-Unis, les rôles se renversaient à la veille de la création de l'Etat d'Israël. Mieux encore : quelques jours à peine avant le grand discours du 14 mai 1947, à l'ONU, d'Andreï Gromyko, ambassadeur de l'URSS au Conseil de sécurité de l'ONU, Moscou affirmait encore que la question juive en Europe ne pouvait être résolue par l'émigration des Juifs en Palestine, mais "seulement pas l'éradication complète de toutes les racines du fascisme et la complète démocratisation des pays d'Europe de l'Ouest" (A. Gromyko, Arkhiv Vneshnei Politiki Rossiiskoi Federatsii ("Archive of the Foreign Policy of the Russian Federation", AVPRF, f. 118, o. 5, p. 3, d. 1, ll. 1-14.). Pourtant le 14 mai, le discours de Gromyko "fut l’une des déclarations les plus stupéfiantes de l’histoire de la diplomatie soviétique. Le représentant d’un pays résolument antisioniste prononçait un discours qui aurait pu être fait par un ardent défenseur de la cause sioniste" (Rucker, op.cité). Soudain, les souffrances des Juifs étaient avancées comme argument majeur de la décision et primaient par principe sur toute autre règlement de justice. Soudain, Moscou faisait appel au concept de "Peuple juif", longtemps proscrit par Lénine et Staline (op. cité). Déjà, le gouvernement britannique, qui avait décidé le 31 janvier 1947 de rapatrier tous les civils, avait annoncé le 18 février qu'il allait porter la question palestinienne devant les Nations Unies : L'Empire de Sa Majesté se délite (l'Inde et le Pakistan proclament leur indépendance le 15 août) et n'a plus guère les moyens d'entretenir cent mille policiers ou militaires britanniques dans une Palestine désormais livrée au chaos, et bientôt aux forces armées juives. Alors, Ben Gourion, aux anges, confie que la décision russe est une "aubaine inouïe", ajoutant que l'Union soviétique "est maintenant la seule puissance à soutenir notre cause" (cité par Vidal, 2018), ce qui, nous l'avons vu, n'est pas du tout vrai.
"Durant la dernière guerre, le peuple juif a connu une douleur exceptionnelle et la souffrance. Sans aucune exagération, [on peut dire que] ce chagrin et les souffrances sont indescriptibles. Il est difficile de les exprimer dans des statistiques sèches sur les victimes juives des agresseurs fascistes. Les Juifs dans les territoires où les hitlériens régnaient, furent soumis à une répression presque totale. un anéantissement physique. [...] Un grand nombre de Juifs survivants de L'Europe ont été privés de leur pays, de leur foyer et de leurs moyens de subsistance. Des centaines de milliers de Juifs errent dans divers pays d'Europe à la recherche de moyens de subsistance et à la recherche d'un abri. Un grand nombre d'entre eux se trouvent dans des camps de personnes déplacées et souffrent encore de grandes privations" (A. Gromyko, United Nations, Official Records of the First Special Session of the General Assembly, Vol. I, 28 April-15 May 1947, pp. 127-135).
Il faut enfin ajouter le soutien important de l'URSS à l'immigration juive de 1946 à 1948, aussi bien légale qu'illégale. En 1946, l'Union soviétique "laisse partir plus de 150.000 Juifs polonais vers les zones d’occupation américaine et britannique en Allemagne, où ils deviennent des « Personnes déplacées » et, de là, partent en Palestine. Plus généralement, Moscou soutient l’émigration clandestine depuis toute l’Europe de l’Est : les trois quarts des Juifs arrivés en Palestine en 1946-1948 proviennent de Pologne, de Roumanie, de Tchécoslovaquie et de Hongrie" (Vidal, 2018). Entre 1946 et 1948, 31.566 des 61.023 immigrants Juifs en Palestine sont entrés dans le pays illégalement, plus des trois-quarts étant originaires de Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie et Hongrie (Rucker, op. cité).
Bien entendu, c'est un espoir de plus qui s'envolait pour les Arabes palestiniens, en particulier les communistes, habitués cependant depuis longtemps au peu de soutien et même au mépris caché ou avoué des puissances occidentales aussi bien que des dirigeants sionistes, largement soutenus sur la longue période de la colonisation, nous l'avons vu. Le 13 octobre 1947, le principal membre de la délégation soviétique aux Nations-Unies, le diplomate Semyon (Semen) Konstantinovitch Tsarapkin (1905/1906-1984) prononce un discours aux Nations-Unies expliquant le choix soviétique en faveur de la partition (Rucker, op. cité). Deux jours plus tard, Viatcheslav Mikhaïlovitch Molotov (1890-1986), ministre soviétique des Affaires Etrangères, demande à Andreï Ianouarïevitch Vychinski (1833-1954), son vice-ministre et représentant permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, de consulter les Juifs "sur toutes les questions importantes touchant à la Palestine, en particulier sur Jérusalem", et de "travailler à la réduction de la période de transition, pendant laquelle la Grande-Bretagne ne doit pas être laissée aux commandes" (S. Mololtov, dans Rucker, op. cité).
Colons,
terroristes
et ... “ patriotes” ?
Quand les combattants du Yichouv commencèrent à comprendre que les Alliés allaient l'emporter sur les nazis, ils se réorganisèrent pour reprendre la lutte contre les Britanniques. Après la mort d'Isaac Stern, Icchak Jazierniski (Ysernitzky), le futur Yitzhak Shamir (dit Michaël, 1915-2012) commence de reconstruire le Lehi (Weinstock, 2011). D'origine biélorusse formé au Betar de Jabotinsky en 1929, il rejoint l'Irgoun en 1937 en se formant aux techniques du terrorisme (armes, explosifs, renseignement, tactique militaire, etc.) et l'année suivante, il participe aux planifications et aux exécutions des actes terroristes perpétrés par des unités spéciales contre les Arabes et les forces britanniques (Association pour la Commémoration du Patrimoine des Combattants pour la Liberté d’Israël : Lehi, fiche biographique d'Y. Shamir). La plupart des premiers combattants de la nouvelle organisation se sont évadés des prisons britanniques, à commencer par Ysernitzky lui-même (en septembre 1942), mais aussi Nathan Friedman, qui prendra plus tard le nom de N. Yellin-Mor (Yalin-M, Yallin-M, dit Gera, 1913-1980). D'origine biélorusse, lui aussi, il réalise, avec 19 compagnons du groupe Stern, une évasion spectaculaire par un tunnel creusé sur 75 mètres dans la prison de Latrun (Latroun), le 1 er novembre 1943 (op. cité, fiche biographique de N. Yellin-Mor). Passé au Betar, lui aussi, il avait commis déjà plusieurs dizaines d'attentats entre 1937 à 1939, qui ont coûté la vie à 250 civils palestiniens arabes (Perliger et Weinberg, 2003). Dès 1944, les attentats à la mitraillette se multiplient contre les Britanniques, mais celui perpétré contre le haut-commissaire de Palestine, Sir Harold MacMichael, le 8 août, sera un échec. La longue liste, ci-dessous, des actes terroristes juifs en Palestine, n'entraînera pas de campagne massive, punitive, ni d'exécutions ou déportations de groupes pratiquées par le pouvoir colonial britannique contre la grande révolte arabe de 1936-1939, ce qui montre une grande encore une grande inégalité de traitement des populations arabes et juives en Palestine par l'occupant britannique.
27 septembre 1944 : Attaques de bureaux de police par 150 membres de l'Irgoun.
29 septembre 1944 : Un officier britannique du Criminal Intelligence Department (CID), à Jérusalem, est assassiné.
6 novembre 1944 : Assassinat par le Lehi, en Egypte, de Walter Edward Guinness, administrateur des brasseries familiales du même nom, 1er baron Moyne, ministre des Colonies entre 1941 et 1942. Anti-sioniste rendu responsable en particulier de la tragédie du Mefküre, un navire transportant plus de trois cents Juifs roumains, coulé comme le Struma par un sous-marin soviétique. Les deux assassins de Lord Moyne, Eliahu (Elyahu, Eliahou) Ben Tsouri et Eliahu Hakim, seront condamnés à mort en Egypte et pendus le 22 mars 1945.
26 novembre 1944 : Ben Gourion lance l'opération הסזון : "Saison" en hébreu, sous-entendu "saison de chasse aux terroristes", visant particulièrement l'Irgoun, la Histadrout s'associant au pouvoir mandataire et l'Agence juive dans cette traque leur communiquant 700 noms de suspects, dont des
dizaines furent kidnappés, interrogés, et pour certains, torturés (Weinstock, 2011).
9/10 octobre 1945 : Dans la nuit, le Palmah, dirigé en particulier par le futur premier ministre isréalien Ytzhak Rabin, lance un assaut contre le camp d'Atlith, sur la côte au sud d'Haifa, libérant 208 détenus, dont beaucoup de survivants de l'holocauste nazi.
1er novembre 1945 : 5 locomotives détruites à la gare de Lydda (auj. Lod), tuant 2 employés, un soldat et un policier.
27 décembre 1945 : Attentat à la bombe contre le CID, tuant 3 policiers britanniques et 4 soldats Sotho (Basotho), venus d'Afrique du Sud.
22 février 1946 : destruction de 14 avions de la Royal Air Force (RAF).
25 avril 1946 : assassinat par le Lehi de 7 parachutistes britanniques non armés, action condamnée par la Haganah (Weinstock, 2011).
17 juin 1946 :
- Operation Markolet (The night of the bridges) : destruction par le Palmach d'une dizaine de ponts reliant la Palestine à des pays voisins (Gartman, 2015).
- L'Irgoun enlève six officiers britanniques, et les atteintes répétées aux serviteurs de la Grande Bretagne pousse le dernier Haut-commissaire de la Palestine mandataire (nov. 1945-14 mai 1948), le général Allan Gordon Cunningham (1887-1983), qui avait succédé à Lord Gort (août 1944-nov. 1945), à lancer la grande opération Agatha (que le Yishouv baptisera השבת השחורה : Black Sabbath [Shabbat, Chabbath] : "Sabbat/Samedi noir"), consistant en 2700 arrestations, dont des membres de l'exécutif sioniste (comme Shertok), et qui permettra de découvrir des caches d'armes importantes dans les 27 kibboutzim perquisitionnés (Weinstock, 2011). Un nombre important de documents sont saisis, ce qui semble-t-il a motivé l'attentat du King David, servant en partie de QG aux autorités britanniques en Palestine :
22 juillet 1946 : Attentat à la bombe au palace du King David Hotel, ayant fait 91 victimes, pour l'essentiel des civils (employés de l'hôtel, secrétariat, etc.), dont 41 Arabes, 15 à 28 citoyens britanniques, 17 Juifs palestiniens, 2 Arméniens, 1 Grec et 1 Egyptien.
"Mais la sauvagerie des 20 000 « bérets rouges » britanniques qui lancent en guise de représailles une immense opération de ratissage à Tel-Aviv à partir du 30 juillet sous l’appellation Opération Shark (Requin) ne fait qu’aviver l’animosité envers l’occupant." (Weinstock, 2011).
30 octobre 1946 : mitraillage et explosion à la gare ferroviaire de Jérusalem : 2 gardes britanniques tués.