
Révolution
Française
[ 12 ]
septembre
1789
V'la un grand pas de fait
Gravure anonyme
Estampe
1789 32,5 x 50 cm
Musée Carnavalet
G. 24025
Paris, France
Le 1er septembre, dans le débat sur le droit de veto d'approuver ou non les lois, le médecin Jean-Baptiste Salle (1759-1794), élu député du Tiers-Etat dans le bailliage de Nancy, expose la situation dans un long discours, où il fait remarquer qu'un « veto absolu est définitif ; il ne laisse aucune ressource au peuple, si le Roi se trompe ou si son intérêt lui dicte de refuser le bien de la nation ; le veto suspensif est une sorte d'appel à la nation, qui la fait intervenir comme juge à la première session, entre le Roi et ses représentants.» (Archives Parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-1799) Tome VIII - Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789. Paris : Librairie Administrative P. Dupont, 1875, p. 529). Il est particulièrement intéressant ici de mettre en parallèle toutes les belles paroles de Mirabeau sur "la suprême direction de la volonté générale" prononcées le 17 août (cf. partie précédente), et sa défense du veto absolu du roi, qui les contredit d'un seul coup. Nous le faisions remarquer déjà dans l'étude sur la formation de la pensée libérale : On trouve beaucoup de paroles généreuses de la part des élites conservatrices et rétrogrades, rappelons-nous les envolées lyriques de Locke ou Bentham sur le bonheur général ; mais ce n'est que dans les actes, au moment de prendre des décisions politiques concrètes qu'on prend la mesure des engagements de chacun dans la défense du bien commun. Et ici, Mirabeau se découvre tel qu'il est, un défenseur d'une monarchie absolue, qui pourrait refuser tout ce que les représentants du peuple ont décidé. La Révolution a commencé, les abus de la monarchie et de la noblesse ont été dénoncés, mais Mirabeau met le pouvoir exécutif du roi au-dessus de celle du peuple, accordant « le droit attribué au chef suprême de la nation, d'examiner les actes de la puissance législative, de leur donner ou de leur refuser le caractère sacré des lois. » (op. cité, p. 538). Loin des « discussions très-savantes » (Crénière, cf. ci-dessous) des élites monarchiques, des députés du Tiers-Etat s'insurge contre le veto absolu, comme Antoine Barnave (1761-1793), issu de la haute-bourgeoisie, du Dauphiné, élu député de la région en 1789, qui "démontre la nécessité de la sanction suspensive, avec une évidence qui ne laisse aucun nuage." (op. cité, p. 547), ou comme Jean-Baptiste Crénière (1744- ?), du Tiers-Etat de Vendôme, pose le 3 septembre une question simple mais essentielle : « Mais alors que pourra donc le pouvoir législatif s'il ne peut faire des lois ? et qu'est-ce qu'un pouvoir qui ne peut rien ? » (op. cité, p. 550). Plus mordant, et plus direct aussi, l'abbé "Grégoire, curé d'Emberménil", affirme le lendemain : "je m'oppose de toutes mes forces au veto absolu, qui réduirait la nation à un rôle subalterne" et prononcera des paroles singulièrement dures contre la monarchie : « Malheureusement ls rois sont des hommes, la vérité n'aborde leur trône que difficilement, flétrie par les courtisans, et souvent escortée du mensonge. Malheureusement, les rois, mal élevés pour la plupart, ont des passions tumultueuses. Une des plus enracinées dans le cœur humain, une des plus ardentes est la soif du pouvoir, et le penchant à étendre son empire.
(...)
Les partisans du veto absolu nous donnent des moyens efficaces de vaincre le refus constant de la sanction royale. Tels sont l'insurrection populaire, l'ascendant de l'opinion, le refus de l'impôt. Quelle conséquence de vouloir élever une barrière pour se donner le plaisir de la détruire par des moyens convulsifs ! » (op. cité, p. 566-567).
Le 7 septembre, l'avocat et député Charles-François Bouche (1737-1795), de grande famille provençale, se fait « organe des citoyennes... femmes ou filles d'artistes » venues en députation lire un discours qui rendent compte de l'offrande de bijoux qu'elles ont apportée "qu'elles rougiraient de porter, quand le patriotisme leur en commande le sacrifice." et qui, en plus d'autres contributions volontaires de dons en bijoux ou espèces, pourrait former « un fonds qui serait invariablement employé à l'acquittement de la dette publique. » (op. cité, p. 591).
Don patriotique des illustres françoises
anonyme
Dessin, Gouache
1789
21 femmes d'artistes ont collaboré au projet :
« Mesdames / Vien / Moitte auteur du projet [qui apporte la cassette, NDR] / De Lagrenée la jeune // Suvée / Berruer / Duvivier. // Belle / Fragonard / Vestier // Peron / David / Vernet la jeune // Desmarteaux / Beauvallet / Corne-de-Cerf neg.te » et « Mesdemoiselles / Vassé de Bonrecueil / Vestier / Gerard // Pithoud / de Viefville / Hautemps. » (Légende estampe du Musée Carnavalet, G. 27921)
Des Citoyennes de Paris, Épouses d'artistes, de marchands,
font hommage de leurs Bijoux
Jean-Baptiste Lesueur
peintre, dessinateur
(1749-1826)
Dessin, Gouache
1789 / 1794 36 x 53,5 cm
Musée Carnavalet
D. 9102
Paris, France
Le 11 septembre, l'Assemblée nationale constituante, réunie dans la salle du Manège, aux Tuileries, continue de discuter du sujet du "veto" du roi et vote finalement pour le veto suspensif, à "673 voix contre 325 et 11 voix perdues" (op. cité, p. 611). Robespierre écrit un discours sur le sujet qui ne sera pas prononcé :
« Celui qui dit qu'un homme a le droit de s'opposer à la Loi, dit que la volonté d'un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la Nation n'est rien, et qu'un seul homme est tout. S'il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du Pouvoir exécutif, il dit que l'homme établi par la Nation, pour faire exécuter les volontés de la Nation, a le droit de contrarier et d'enchaîner les volontés de la Nation; il a créé un monstre inconcevable en morale et en politique, et ce monstre n'est autre chose que le veto royal.
(...)
Il ne faut plus nous dire continuellement : La France est un Etat Monarchique; et faire découler ensuite de cet axiôme les droits du Roi, comme la première et la plus précieuse partie de la constitution ; et secondairement la portion de droits que l'on veut bien accorder à la Nation.
Il faudroit d'abord savoir, au contraire, que le mot de Monarchie, dans sa véritable signification, exprime uniquement un Etat où le pouvoir exécutif est confié à un seul.
(...)
dès qu'une fois on croira fermement à l'égalité des hommes, au lien sacré de la fraternité qui doit les unir, à la dignité de la nature humaine, alors on cessera de calomnier le Peuple dans l'Assemblée du Peuple (...) alors il sera permis de montrer, avec autant de liberté que de raison, l'absurdité et les dangers du veto royal, sous quelque dénomination et sous quelque forme qu'on le présente. Alors peut-être ne croira-t-on plus que nos cahiers nous défendent de le repousser. »
"Contre le veto royal" ou "Dire sur le veto royal", "Discours non prononcé lors de la séance du 21 septembre 1789, par M. Robespierre, sur la sanction royale", Archives Parlementaires, op. cité, Tome IX, du 16 septembre au 11 novembre 1789, p. 79.
Monsieur Veto
anonyme
Estampe
1792 / 1794 30 x 45,5 cm
Musée Carnavalet
D. 26391
Paris, France
Il faut en goûter
Veto absolu ou suspensif ?
anonyme
Gravure
1789
Le 12 septembre, l'avocat Louis-Michel Le Pelletier (Le Peletier), marquis de Saint-Fargeau ( 1760-1793), alors député de la noblesse du bailliage de Paris (qui reniera sa noblesse en 1790), défend le renouvellement fréquent des députés nationaux ("Je pense que ces pouvoirs ne doivent durer que pendant une seule année"), alors que les Assemblées provinciales nécessitent selon lui de "l'expérience" et "des connaissances des localités" (Archives Parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-1799) Tome VIII - Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789. Paris : Librairie Administrative P. Dupont, 1875, p. 616). Le Pelletier estime qu'une durée annuelle de mandat « rassure contre les liaisons, contre le danger d'usurper un pouvoir que l'on ne doit âs avoir. Cette idée a besoin d'être développée.
Tout le monde voit d'un coup d'œil l'étendue des rapports du Corps législatif ; tout le monde sait quel penchant l'on a d'usurper un pouvoir que l'on ne vous a pas confié ; l'esprit de conquête est, pour ainsi dire, naturel à l'homme. » (op. cité, p. 617). Le succédant à la tribune, Robespierre abonde dans son sens « avec beaucoup de force et d'éloquence » , et affirme que dans « une grande monarchie, le peuple ne peut exercer sa toute-puissance qu'en nommant des représentants ; il est juste que le peuple les change souvent ; rien n'est plus naturel que le désir d'exercer ses droits, de faire connaître ses sentiments, de recommander souvent son vœu. Ce sont là les bases de la liberté. » (op. cité). L'abbé Maury (Jean-Sifrein /Siffrein M., 1746-1817, député du clergé de Péronne, dans la Somme) propose quatre ans, en particulier à cause de l'exercice de l'impôt, qui s'étale sur "vingt-un mois" ou parce que "l'esprit de système... s'introduira aussi facilement dans la durée d'un an que pendant un temps plus long. » François Nicolas Léonard Buzot (1760-1794), député du Tiers d'Evreux, dans l'Eure, prend ensuite la parole. Il avait déjà provoqué une « violente agitation dans une partie de l'assemblée » comme des « applaudissements dans l'autres », le 6 août dernier, heurtant les préopinants ecclésiastiques pour avoir soutenu « que les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation. » (op. cité, p. 354). Répondant à l'abbé Maury, l propose quant à lui une durée de mandat de deux ans, se souciant comme d'autres d'accorder cette périodicité au veto du roi. La particularité de son discours est de se préoccuper de "ce qui peut former l'esprit public, épurer les mœurs, remédier à l'inégalité des fortunes. Il dit qu'en Angleterre il n'y a que cinq ou six hommes dont les lumières entraînent les autres ;qu'il faut éviter cet inconvénient dans nos Assemblées.
Il répond encore que les riches seuls seraient nommés députés si les Assemblées ne se renouvelaient que tous les quatre ans ; tout homme qui aurait un état ["métier", NDR) le perdrait infailliblement dans un aussi long espace ; » (op. cité, p. 618)