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- PLOUTOCRATIEs | Naissance du Libéralisme, Angleterre 1
Le libéralisme, ou la naissance du capitalisme moderne L'Angleterre ( 1 ) « Le peuple EST UNE MARCHANDISE » Portrait de William Petty par Samuel Fuller (1606-1672), détail, œuvre non datée. National Portrait Gallery (NPG 2924), Londres Introduction Les Chantres de la Liberté William Petty : Le peuple comme marchandise introduction Introduction Pour les Pays-Bas ou l'Angleterre, l'essentiel des luttes politiques, depuis le milieu du XVIIe siècle et leurs premières révolutions, ne sont pas avant tout des luttes de justice sociale ni de subsistances, comme ce sera le cas pour la révolution française, malgré, nous l'avons vu en particulier avec les Levellers, la présence ici ou là de véritables attentes et de préoccupations sociales. Ce sont plutôt des conflits religieux et de pouvoirs, nous allons le voir, entre whigs et tories, et les droits réclamés par les parlementaires bourgeois sont des droits catégoriels (Lochak, 2013), pas universels comme ce sera aussi le cas en en France en 1789. Il y avait eu la Magna Carta , en 1215, " qui énumère les privilèges accordés à l’Église d’Angleterre, à la cité de Londres, aux marchands, aux seigneurs féodaux. ", puis la Petition of Rights de 1628), l'Habeas Corpus de 1679 ou le Bill of Rights de 1689. L'Habeas Corpus stipule que "nul ne peut être tenu en détention sauf par décision d'un juge". Mais combien de communications actuelles sur les droits de l'homme le brandissent sans l'avoir lu en entier, et particulièrement l'article 8, qui précise que la procédure ne s'applique pas aux personnes emprisonnées pour dettes ou dans le cadre d'une affaire civile, c'est-à-dire dans des affaires où on rencontre beaucoup de personnes de basse condition, qui peuvent continuer à être traitées arbitrairement. La Petition of Rights , par exemple, parle des "autres hommes libres des communes de ce royaume " ou stipule "qu'aucun homme libre ne pourra être arrêté" (intégralement repris de la Magna Carta), ce qui signifie bien que tous les hommes ne le sont pas. Il s'agit bien plus alors de limiter l'autorité, l'arbitraire monarchique et d'accroître le pouvoir parlementaire de l'élite que d'ouvrir le champ des droits humains. Rappelons que c'est Henri VI qui limite en 1429 le droit de suffrage aux seuls freeholders d'une propriété foncière (estate ) d'un revenu supérieur à 40 shillings : ce suffrage censitaire va durer jusqu'en...1832 dans les comtés. " Ce statut, qui posait la qualité de propriétaire comme condition de participation politique, est présenté à la fois comme une mesure d’ordre public et comme la volonté de refuser la qualité d’électeur au peuple traditionnellement présenté comme incapable et versatile. À travers la description de ce statut de 1429, c’est autant le peuple en lui-même qui effraie que les désordres qu’il peut provoquer. " (Tillet, 2001) Etre libre en Angleterre, c'est donc être d'abord un propriétaire, et nous le verrons, ce n'est pas la seconde et "Glorieuse" Révolution qui y changera quelque chose, bien au contraire. La première révolution anglaise se termine et " elle a rapproché les classes possédantes de l'exercice réel du pouvoir, (...) consolidé la propriété et garanti la liberté de l'entreprise tout en contenant les aspirations diffuses ou exprimées à une plus grande justice sociale. " ( Roland Marx, "L'Angleterre des révolutions", Armand Colin, 1971 ). L'auteur a parfaitement résumé l'objectif libéral des élites : liberté d'entreprise, propriété et modérer du mieux possible les demandes de justice sociale. Les méthodes libérales des nouveaux riches, encore une fois, asseoir la liberté et la propriété des plus puissants avant tout, au détriment des plus faibles. chantres de la liberté Les chantres de la liberté Le conditionnement social plusieurs fois millénaire du pouvoir ploutocratique, l'ordre et la hiérarchie sociale qu'il impose, par la possession, l'accaparement inégal des biens, tout cela pèse d'un poids incommensurable sur les individus dès leur naissance. Mais ces instruments de domination évoluent, mutent au gré des vicissitudes de l'histoire, nous l'avons vu. C'est ce que s'appliquent à faire tous ces hommes du milieu du XVIIe siècle anglais qui imaginent, théorisent et agissent en vue d'établir la nouvelle société qu'ils appellent de leurs vœux, qu'ils se nomment Marchamont Nedham (ou Needham, 1620-1678), Slingsby Bethel (1617-1697), Henry Robinson (1604-1664) ou encore Benjamin Worsley (1618-1673), " tous profondément impliqués dans l’élaboration et la mise en place des politiques radicales du Commonwealth, tout en critiquant de bien des façons le Protectorat. " (Pincus, 2011). Commençons par l'ouvrage central de Nedham , qui commence par ces mots : " Lorsque les sénateurs de Rome commencèrent à respecter les droits du peuple, soit dans leurs décrets, soit dans leurs discours publics, et qu'ils briguèrent sa faveur en l'appelant le maître du monde , combien ne fut-il pas aisé à Gracchus de persuader ce même peuple qu'il était aussi maître du Sénat. " Nedham : The Excellency of a Free State, 1656 (De la Souveraineté du peuple et de l'excellence d'un état libre, traduction du Cordelier Théophile Mandar, 1790) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6473505t?rk=21459;2 Notons d'abord ce sempiternel baratin des élites sur l'antiquité, qui ne contient rien de ce qui a fait, nous l'avons vu, les rapports très complexes de domination que les possédants de l'époque grecque ou romaine avaient instaurés pour garder la haute main sur le pouvoir et les richesses, et qui rend la formule lapidaire de respect des "droits du peuple" totalement inconsistante. Ensuite, comme tous les auteurs qui annoncent ce qu'on appellera plus tard le libéralisme , nous en donnerons d'autres exemples ailleurs, Nedham commence par parler de la liberté avec lyrisme, donnant l'impression qu'il parle du peuple tout entier, avant de préciser que ce n'est absolument pas le cas : ".. quand on fait connaître au peuple ses droits à la souveraineté, il est aussi impossible de l'en priver que de les diminuer " ou encore " Le peuple d'Angleterre, né aussi libre qu'aucun peuple du monde... ", " Les Romains étoient alors aussi libres que le furent les Spartiates " finissent par signifier que " Les loix doivent être unes, salutaires, et convenables à l'état et à la condition de tous les individus qui composent la société. " Ce qui a été dit avant ad nauseam , c'est pour la littérature, mais ce qui est dit là, en un petit bout de phrase, reflète bien mieux la volonté de distinction, l'infériorité ou la supériorité des classes sociales, ainsi que leur étanchéité et qui a des conséquence bien concrètes. Nous avons vu avec les enclosures comment ceci fut mise en pratique, et nous allons voir bientôt comment cette conception se manifestera au travers de la mutation économique, financière et technique et faire de l'homme du peuple un esclave d'un genre nouveau, doté de nouvelles libertés mais largement asservi. Alors certes, Nedham souhaite " au pouvoir du peuple de changer le gouvernement et les chefs suivant les occasions le demandent ", " Qu'il soit tenu des assemblées nationales à perpétuité ", " que le peuple soit libre d'élire les membres qui composent ces assemblées, lorsque les modes d'élection auront été établies ." Mais tous ces vœux sont profondément contradictoires avec la hiérarchie des classes sociales maintenue par Nedham et plus généralement par l'ensemble de la classe dirigeante, par cette mentalité inamovible qui consiste à penser qu'il y a des maîtres qui savent et qui commandent et un peuple qui ne sait rien et exécute. Ainsi si " Venise a donné à sa noblesse un pouvoir trop étendu...dans les Provinces-Unies, la république fait trop dépendre l'intérêt général de la volonté du peuple. " C'est à ceux qui ont les rênes du pouvoir de décider " de la quantité de pouvoir qui sera accordée au peuple ". Comme depuis des temps immémoriaux, l'élite pensante n'entend pas le peuple par l'ensemble des habitants d'un pays, mais de cette entité la plus nombreuse à laquelle ils n'appartiennent pas, qu'il faut entendre, dont il faut élargir les libertés tout en les dosant, tout en le contrôlant. Comme un père soucieux de la bonne moralité de ses enfants, pour reprendre l'image patriarcale classique, Nedham parle du peuple comme ses pairs, distribuant satisfecit et reproches : " le peuple eut plus de pouvoir...il l'exerça avec une sage modération, quoiqu'il en ait abusé quelquefois.. . " L'auteur trouve ainsi " la manière sublime " de la pensée de Machiavel quand il dit : " Ce n'est pas celui qui a rendu sage et respectable la souveraine autorité qu'il a exercée par lui-même, ou laissée à sa famille, que l'on doit le plus admirer, mais celui qui a donné une liberté durable à un peuple, et qui a assuré par-là son bonheur. " Ce n'est jamais une liberté décidée, entièrement pensée et construite en collaboration avec le peuple lui-même, mais une liberté d'enfants désordonnés et turbulents, tempérée par un père généreux mais avisé, connaissant à quel point ils peuvent devenir déraisonnables : voilà la plus belle liberté imaginée par les maîtres. Ce qui n'empêche pas notre journaliste d'affirmer que l'expérience prouve " qu'un gouvernement libre est celui qui procure le plus de commodités et d'avantages ; qu'il est le plus propre à augmenter les richesses et la puissance d'un grand peuple ." Par ailleurs, " dans les états libres, tous les décrets n'ont qu'un seul but, l'intérêt public ; le bien des particuliers lui est toujours subordonné. " C'est sans doute pourquoi " Le peuple ne pense jamais à envahir les droits d'autrui ; il ne s'occupe que des moyens de conserver les siens ". Donc, si le droit vous autorise tout ce qui peut entraîner la misère de votre voisin, et que ce dernier n'a aucun droit de l'en empêcher, qu'il se contente de la conserver. Continuant son panégyrique sur la république romaine Nedham précise qu'aucun " homme ne pouvoit être privé de sa fortune ou de sa vie que l'on n'eût donner au monde des raisons suffisantes pour sa condamnation. " Mais nous savons bien sûr que ces raisons n'ont rien à voir avec l'équité et la justice sociale, nous l'avons suffisamment évoqué pour le problème crucial de l'endettement, par exemple. Nedham illustre parfaitement là comment les libéraux vont concevoir la liberté et l'égalité entre les hommes. Plus complexe, plus sournoise, est l'idée que le peuple " au moyen du choix successif de ses représentants dans ses grandes assemblées, conserve la liberté, parce que, dans les sociétés civiles, comme dans les corps politiques, le mouvement empêche la corruption. " Nous avons vu avec la "démocratie" athénienne qu'il n'a jamais été question pour tout un peuple de décider et de réaliser le bien-être de tous. Ce sera exactement la même chose avec les républiques ou démocraties modernes. D'ailleurs, si " l'histoire ancienne... fournit encore des preuves " de tout ce qui constitue un " état libre ", alors que nous savons pertinemment comment beaucoup de pauvres ont toujours été maintenus dans la misère par les riches, nous pouvons bien imaginer le peu d'originalité que possédera la nouvelle république des Needham. Première chose : " Un état libre est préférable à un état gouverné par les grands et les rois ". Les plus faibles, les moins riches, de loin les plus nombreux, n'ont jamais été représentés en majorité dans aucun parlement d'Angleterre ou du monde jusqu'à ce jour. Les riches, quant à eux, y sont en personne ou dûment représentés. Deuxième chose, induite de la première : " le consentement général ", de l'impôt, des lois, n'a rien de général si les représentants ne représentent pas effectivement l'ensemble de la population. A cette réalité, les penseurs de la nouvelle liberté préfèrent le mythe : " Dans un gouvernement populaire, la porte des dignités est au contraire ouverte à tous ceux qui parviennent jusqu'au seuil par les degrés du mérite et de la vertu. " Comment ne pas évoquer la colère de Winstanley à propos de toute cette logorrhée qui encense la liberté mais qui prive des plus importantes d'entre elles ? qui prône la justice et qui pratique l'injustice ? C'est ainsi que Nedham affirme avec suffisance et mépris " prouver...par le raisonnement ", qu'il " est évident que le peuple doit être moins adonné au luxe que les rois et les grands, parce que ses désirs et ses besoins sont renfermés dans des bornes plus étroites . Donnez-lui seulement panem et circenses , du pain et des spectacles, et vous le verrez satisfait. Le peuple, d'ailleurs, a moins d'occasions et de moyens pour se livrer au luxe, que ceux dans les mains desquels réside constamment le pouvoir. " L'auteur s'insurge donc des objections des royalistes à voir dans la République une mise de niveau de tous les hommes, " la confusion des rangs et des fortunes. Si nous prenons cette expression, mettre de niveau, dans un sens trop étendu, elle nous paroîtra aussi odieuse qu'elle l'est en effet ; car elle égalise tous les hommes, quant à la fortune, rend toutes choses communes à tous, détruit la propriété, introduit une communauté de jouissance parmi les hommes ". Concernant l'inégalité des hommes, par la fortune, par la propriété et de toutes les injustices qui en découlent, Nedham a parfaitement raison, il n'y a pas de différence entre républicains et royalistes, pas plus qu'il y en a entre whigs et tories eux-mêmes. Pour l'ensemble des élites, f aire que l'ensemble de la société soit une communauté de jouissance est odieuse. Elle est une priorité, une condition nécessaire du bien commun pour les Partageux comme les Diggers, elle est une horreur pour tous les puissants, sauf exception, qu'ils soient royalistes, républicains, libéraux ou conservateurs de tout poil. Leviathan Matt Kish 2015 Avant d'évoquer les conceptions dites libérales de la société, arrêtons-nous un instant sur celles que revendiquent les partisans de Hobbes et de son Léviathan. Dans The Description of a New World, called The Blazing World (1666), de Margaret Cavendish considéré par certains comme la première utopie féminine, il est important pour différentes raisons que le monarque soit une impératrice (monarchess ), mais cela ne change strictement rien à sa vision du peuple. Comme Hobbes, que Cavendish a lu, elle reconnaît la relativité des valeurs morales et la nécessité d'un grand arbitre qui tranchera de son incontestable autorité et de son indiscutable jugement : " Quel que soit l'objet de l'appétit ou du désir qu'éprouve tout homme, c'est cet objet qu'il appelle le bien ; et l'objet de sa haine et de son aversion, il l'appelle le mal ; Et l'objet de son mépris, il le nomme vil et insignifiant. Car ces mots de bien, de mal et de mépris sont toujours utilisés par rapport à la personne qui les utilise : il n'y a rien qui soit ainsi, simplement et absolument ; ni aucune règle commune du bien et du mal, qu'on puisse tirer de la nature des objets eux-mêmes, car cette règle vient de l'individualité de l'homme, là où il n'y a pas d'Etat ou dans un Etat, de la personne qui le représente; ou d'un arbitre ou d'un juge, que les hommes en désaccord et dont le jugement constitue la règle du bon et du mauvais. " Thomas Hobbes, Leviathan, 1651, Chapitre VI Depuis l'antiquité, nous l'avons vu, les élites ont toujours manifesté une grande méfiance envers la majorité pauvre du peuple et ont affiché une volonté affirmée de contrôler cet ensemble informe et insaisissable, promptement accusé de tous les maux. C'est donc sans étonnement qu'on lit sous la plume de Cavendish que le peuple est responsable de tous les malheurs de la guerre civile anglaise, qui aurait causé son exil et en partie ruinée : " votre pays est Désolé, Ruiné et Abandonné ; et vous qui demeurez seuls, misérables, quelle a été la cause de votre misère ? votre Fierté, votre Envie, vos Dissensions, votre Opulence, vos Vanités, Vices et Cruautés ; si seulement vous n'aviez pas été instruits, avisés, pétris de convictions, ou encore acteurs des décisions ; vous avez négligé le Service des Dieux [Service of Gods, NDA] , désobéi aux Ordres de vos Gouvernants, piétiné les Lois de la Nation, méprisé vos magistrats, et fait tout ce que vous vouliez, ce qui a apporté cette Confusion, et toute cette Destruction... " Margaret Cavendish, Orations of Divers Sorts , 1662 Les meilleurs savent quoi faire de l'instruction, de la sagesse, en somme, mais s'agissant du peuple, elles mènent au chaos généralisé et à la ruine. C'est en partie pour cette raison que les puissants, depuis des temps immémoriaux célèbrent "cet ordre excellent qui apparaît dans toutes choses" (Anne Conway, The Principles , VI, 5, vers 1671/1675) à propos duquel elle critique "les nouveaux philosophes" comme Hobbes ou Spinoza de vouloir le remettre en question. Ce qui n'est absolument pas le cas de l'ordre social, de la place des pauvres et des riches, au sujet duquel, nous l'avons dit, l'ensemble de l'élite intellectuelle et économique est au diapason. Durant leur exil (1640-1650), les Cavendish animent un cercle fréquenté en particulier par Hobbes et le poète William Davenant (1606-1668). Ce dernier écrira Gondibert (1651), un poème épique dont la préface est dédiée à Hobbes et où il affirme que "la partie la plus défectueuse du peuple, c'est son esprit". Hobbes a médité à sa manière le problème dans son De Cive ou son Leviathan , et sa solution ne diffère guère de ce qu'on connaît depuis la plus haute antiquité. Faire enfoncer encore et encore dans toutes les têtes "par un enseignement public (des doctrines et des exemples)", "les droits essentiels de la souveraineté", éducation populaire dont Cavendish se passerait sans doute bien. Mais sur le fait que le peuple n'a aucune légitimité à remettre en question la souveraineté absolue du pouvoir, elle est parfaitement d'accord avec Hobbes, qui affirme que ce serait retourner " dans le malheureux état de guerre contre tout autre homme". Par conséquent, il faut ôter au peuple un certain nombre de droits : "celui de faire la guerre ou la paix par sa propre autorité, ou à celui de juger de ce qui est nécessaire à la République, ou à celui de lever des impôts et des armées, au moment et dans les limites qu'il jugera nécessaire en sa propre conscience, ou à celui d'instituer des officiers et des ministres, aussi bien pour la paix que pour la guerre, ou à celui de nommer des enseignants, et d'examiner quelles doctrines s'accordent avec la défense, la paix et le bien du peuple, ou leur sont contraires. Deuxièmement, il est contraire à son devoir de laisser le peuple ignorant ou mal informé des fondements et des raisons de ces droits essentiels qui sont siens, parce que, dans cet état, il est facile d'abuser le peuple et de l'amener à lui résister quand la République aura besoin que ces droits soient utilisés et exercés. " Hobbes, Leviathan, chapitre XXX Voilà la liberté du peuple de ces "nouveaux philosophes" encore célébrés aujourd'hui, comme Hobbes, un peuple dont la débilité naturelle ne permet pas de juger ce qui est bon pour lui, mais qui, par un effet de ruse comique de l'auteur, ne doit pas être "ignorant ou mal informé" des droits et des devoirs que les puissants lui imposent unilatéralement. Le livre de Hobbes porte bien son nom, puisque son objectif politique appartient à un monde aussi archaïque que son titre. Voilà, donc, le vrai visage de cette liberté chantée sur tous les tons avec des trémolos dans la voix, dont nous n'aurons de cesse de montrer qu'elle préfigure pour une bonne part tout le libéralisme. Ainsi, que le souverain soit un homme ou un gouvernement, l'essentiel pour les dominateurs soit que l'Etat ne soit pas le peuple en acte, bien au contraire, mais un système qui le tient en bride, choisit quand la resserrer, quand la relâcher, de telle sorte à avoir un contrôle le plus assuré possible de sa monture. L'état moderne dit démocratique, nous le verrons, jusqu'aujourd'hui, n'échappera pas du tout à cette forme de domination voulue par les puissants. Le propos de Hobbes nous permettent de retrouver un Nedham qui peine à nuancer la question : " il est incontestable que tous les membres d'une république, sans distinction, doivent avoir, dans la plus grande étendue possible, le droit de choisir leurs représentants" ; mais accorder cette étendue à " une république, qui vient d'être fondée, respirant à peine, à la suite des horreurs d'une guerre civile, s'élève sur les ruines encore fumantes de l'ancien gouvernement " serait le meilleur moyen de " détruire la république ". " Il nous seroit facile de prouver que, dans les états libres, le peuple, dépositaire de l'autorité suprême, a moins de luxe que les grands. " La peuple serait autorité suprême, donc, et c'est un choix délibéré et sage que feraient leurs gardiens du droit de choisir une vie fruste, car ainsi, ils ne deviennent pas "amollis et énervés par le luxe", source de tant de maux (c'est un leit-motiv depuis l'antiquité) qui accablent les riches : "le despotisme... l"avarice, l'orgueil, l'ambition ou l'ostentation, inséparable de la vie oisive des grands. On voit bien que la démonstration n'a ni queue ni tête et se construit par l'absurde, dans une pensée hors-sol, loin de la réalité concrète de la vie des individus. Nedham se montre cependant compréhensif face aux " tumultes populaires ". D'abord, dit-il, ils " s'étendent sur un petit nombre de personnes déjà coupable s", de plus ils sont de courte durée, et là encore, l'auteur leur pardonne, comme un bon père, toujours, qui comprend les accès de colère de l'enfance immature : " il suffit de la vertu et de l'éloquence de quelques citoyens, dont le nom, l'âge et l'intégrité lui inspirent de la confiance et du respect, tels que Virginius et Caton, pour rétablir le calme et la soumission. " Nous retrouvons là encore l'efficience de la parole, dont les élites restent maîtres et qui permet la soumission volontaire de celui qui n'a pas acquis l'art oratoire, le talent de convaincre. Cependant, si d'autres ne tolèrent en aucune façon le désordre, Nedham lui, reconnaît qu'ils " finissent toujours par tourner au plus grand avantage des citoyens : en effet, à Rome ou à Athènes, nous voyons qu'ils s'opposèrent à l'injustice des grands, et élevèrent l'esprit du peuple, en lui donnant une haute idée de sa puissance et de sa liberté... " Mais prendre ensuite les Douze Tables en exemple comme des lois promulguées après des tumultes et dont le peuple " a retiré de grands avantages " donne une idée des bienfaits (bien limités nous l'avons vu) qu'il considère utile au peuple, ce qui conforte l'idée d'un peuple bien heureux avec du pain et des jeux. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des éclairs de lucidité sur la question de la domination des puissants, sous-tendue il est vrai par l'idée que "le peuple" ne pense pas vraiment mais se cherche un maître selon les circonstances et la capacité de persuasion de ce dernier : " Nous remarquons aussi que le peuple n'est jamais le chef ni l'auteur d'une faction, qu'il y a toujours été entraîné par l'influence étrangère de quelque pouvoir permanent qui le fait agir, sous le prétexte de rendre sa situation plus heureuse, et quelques grands s'en sont toujours servis pour affermir leur autorité et pour accroître leur fortune, au préjudice des intérêts du peuple.. C'est par ce moyen que Sylla, Marius, Pompée et César se sont partagés l'empire Romain . " Une autre vision simpliste de Nedham, qu'il réitère à différentes reprises : quand la République est là il n'y a plus de place pour les grands profiteurs comme au temps des Guelfes et des Gibelins, en Italie, des York et des Lancaster en Angleterre. Comme s'il y avait eu un seul moment dans l'histoire où les Grands ne s'étaient pas enrichis au détriment du peuple ! petty William Petty : Le peuple comme marchandise Tournons-nous maintenant vers celui que Karl Marx considérait dans sa "Contribution à la critique de l'économie politique" (1859) comme "le père de l'économie politique", William Petty (1623-1687), disciple de Hobbes, qui passe aussi pour être un précurseur de l'économétrie (mais qui, au-delà, peut être qualifié de polymathe, car il a la maîtrise de différentes disciplines). C'est en tout cas une économie appliquée, qui s'aide de la science récente de la statistique (de la démographie, en particulier) : " La méthode que j'adopte n'est pas encore très usuelle ; car au lieu d'employer seulement des mots au comparatif et au superlatif et des arguments intellectuels, j'ai pris l'habitude (pour donner une idée de l'arithmétique politique, à laquelle je songeais depuis longtemps), de m'exprimer en termes de nombres, poids ou mesures, de me servir uniquement d'arguments donnés par les sens et de considérer exclusivement les causes qui ont des bases visibles dans la nature". William Petty, Essay in Political Arithmetick Concerning the Growth of the City of London : with the Measures, Periods, Causes, and Consequences there of ., 1682, Mark Pardoe, London. L'Arithmétique Politique, écrit entre 1670 et 1676, a été publié en partie sous forme d'essais entre 1676 et 1689, puis entièrement en 1690. Précisons en passant que la science ne fait pas qu'irruption dans l'économie, mais dans beaucoup de domaines, souvent avec des allers-retours entre science et utopie. Francis Bacon a joué dans cette révolution de pensée un rôle de premier ordre avec son Novum Organum de 1620, en fondant l'ensemble des connaissances sur des bases rationnelles. Petty lui-même reconnaît que Bacon " a établi un judicieux parallèle sur beaucoup de points entre le corps naturel et le corps politique, et entre les arts respectifs dont le but est de conserver à l'un et à l'autre la santé et la force ." William Petty, Préface de The Political Anatomy of Ireland, écrit en 1672, publié en 1691 Lui-même est un acteur de premier plan de cette bouillonnante sphère savante, puisqu'il est un des douze fondateurs de la célèbre Royal Society , créée en 1660, parmi lesquels on trouve ses amis John Wilkins, qui pose le problème d'une vie sur la lune , qui s'intéresse à la cryptographie (Mercury or the Secret and Swift Messenger , 1651), le chimiste Robert Boyle, le médecin anatomiste Thomas Wallis, qui distingue entre diabètes sucré et insipide, crée le terme "neurologia ", etc., ou encore l'architecte Christopher Wren, connu pour ses travaux de reconstruction de Londres après le Grand Incendie de 1666 ou d'édification de la cathédrale Saint-Paul. Là encore, dans les hautes sphères scientifiques, à l'image de celles de la politique ou de l'économie, on ne rencontre quasiment que des gens de bonne position sociale, puisqu'eux seuls ont accès au savoir, qui plus est le plus pointu de l'époque, à l'exception de quelques rares individus, à l'image de Petty lui-même, dont on peut lire souvent qu'il était d'origine modeste sans en préciser les détails, qui ont une grande importance, comme nous l'apprendra plus tard la recherche sociologique. Ainsi, il faut préciser que le père de William, Anthony, possédait tout de même une maison dont son fils héritera, sans parler du capital culturel de la famille. Car, si le père n'avait pas laissé de fortune, le grand-père John avait été un des principaux bourgeois ("capital burgesses ) de Romsey (Hampshire) en 1607 (McCormick, 2009), ce qui donne une idée des opportunités dont William a pu bénéficier d'être éveillé en diverses occasions aux connaissances, autant de faits combinés à une intelligence précoce, qui sera remarquée ensuite par les Jésuites qui favoriseront son éducation. Royal Society : Sans être probablement l'ancêtre directe de cette académie scientifique, différents collèges ont été créés un peu avant elle et réunissant une partie de ces savants, à savoir "le collège invisible" dont parle le chimiste Robert Boyle, actif depuis 1645 ou encore le collège de le Nouvelle Philosophie, ou Philosophie expérimentale, qui se réunissait en particulier au Gresham College fondé sur une idée de Jonathan Goddard, et qui se poursuivit en 1648 au Waldham College à Oxford avec le même Wilkins, qui sera directeur du Collège, Boyle, mais aussi Petty, Willis, et d'autres. lune : The discovery of a world in the moone. Or a discourse tending to prove that’tis probable there may be another habitable World in that Planet, 1638 royal society Pour mieux comprendre ce que Petty et d'autres attendent des nouvelles pratiques de l'économie, commençons par le terrain de jeu privilégié de l'auteur, à savoir l'Irlande, qui "allait devenir, dans la pensée économique anglaise, un véritable laboratoire d’expérimentation sociale" (Reungoat, 2015) : " Par ailleurs, à l'instar des étudiants en médecine, qui font leurs recherches sur des animaux ordinaires, peu onéreux, dont ils connaissent le mieux les habitudes et dont les parties sont a priori les plus simples à étudier, j'ai choisi l'Irlande comme un animal politique de même type, âgé d'à peine vingt ans, où le fonctionnement de l'Etat est pareillement peu compliqué, ce dont j'ai été familier alors qu'il était à peine formé, et pour lequel, si je me suis trompé, l'erreur peut facilement être rattrapée par un autre. " William Petty, Préface de The Political Anatomy of Ireland ( Anatomie politique de l'Irlande) , écrit en 1672, publié en 1691 Petty se met donc au travail et brasse quantités de données propres à donner des bases solides à son projet. Déjà, dans "Advice to Hartlib " (1647), il avait appliqué cette méthode à la médecine scientifique, en affirmant la nécessité " de pouvoir disposer de statistiques couvrant les phénomènes climatologiques, agricoles aussi bien que sanitaires " (Caire, 1965). Il établit un atlas d'Irlande pour des données qu'il estimait capitales, relatives aux productions de la terre et du travail, souhaitant même compléter ces informations par toutes sortes de précisions scientifiques sur les vents, la pression barométrique, hygrométrique, le degré d'enneigement, etc. S'inspirant des "Observations naturelles et politiques...établies d'après les bulletins de mortalité" de Londres (Natural and Political Observations...made upon the Bills of Mortality , 1662), il écrit un ouvrage similaire sur Dublin en 1683, pour connaître tout un tas de données énumérées par John Graunt : " l'étendue, la figure et la position géométriques de toutes les terres d'un royaume, surtout suivant ses limites les plus naturelles, les plus permanentes et les plus visibles ; il serait bon de connaître combien de foin peut produire un acre de chaque espèce de pré ; quelle quantité de bétail peut nourrir et engraisser un même poids de chaque sorte de foin ; quelle quantité de grains et autres produits donnera un même acre de terre en deux, trois ou sept ans dans les années normales ; à quel usage chaque sol est le plus propre. Il n'est pas moins nécessaire de savoir combien il y a d'habitants de chaque sexe, chaque position, chaque âge, chaque religion, chaque rang, chaque degré, etc. " John Graunt, "Natural and Political Observations Made Upon the Bills of Mortality", attribué souvent à Petty. Les œuvres économiques de sir William Petty, Giard et Brière, 1905 L'ambition, le défi intellectuel, scientifique forcent le respect. Surtout quand on apprend que tout ce patient travail s'inspire de la plus noble intention : " Le seul but de ce traité tend à l'enrichissement d'un royaume par le développement du commerce et du crédit public. " ( Petty, Préface de The Political Anatomy , op. cité) On ne peut pas comprendre à quel point l'analogie animale de laboratoire est terriblement juste si on ne sait pas à quel point l'expérimentateur se pense légitimement supérieur à son objet d'étude, mais égal à d'autres de son acabit et seul avec eux à posséder le droit de penser, de formaliser et de réaliser (ou plutôt faire réaliser) l'architecture de la société irlandaise, dont il efface d'un trait des siècles d'histoire par vingt années de mariage forcé avec son envahisseur. La population qui va concrètement réaliser le projet de Petty, c'est l'ensemble des travailleurs, cette population active que l'auteur de l'Arithmétique Politique comptabilise en déduisant de la population générale les enfants âgés de moins de sept ans (soit "environ " un quart ") et les " dix pour cent " de ceux qui, " en raison de leurs grands domaines, titres, dignités, offices et professions, sont exemptés de ce genre de travail dont nous parlons maintenant, leur entreprise étant, ou devrait être, de gouverner, de réglementer et de diriger les travaux et les actions des autres. " William Petty, Essay in Political Arithmetick, Concerning the Growth of the City of London : with the Measures, Periods, Causes, and Consequences there of. , 1682, Mark Pardoe, Londres. Tous les savants calculs dont nous avons parlé n'ont de cohérence que si cette équation sociale est posée. Pour réaliser le projet de Petty, qui préfigure le système économique et politique qu'on l'appelle libéralisme économique ou capitalisme, il faut une grandiose armée de travailleurs, presque tout un peuple de labeur, de souffrances, de maladies, de vie de subsistance, à l'exception du dixième, qui pense toute l'organisation de la vie du plus grand nombre, et pour qui le reste de la population offre le confort et le luxe de son existence. Cette équation est capitale mais elle est anecdotique pour les auteurs, ils n'en parlent presque jamais car elle est pour eux une évidence. Et quand on tombe sur une des rares phrases explicites de toute leur oeuvre, les termes de cette équation deviennent limpides, révélant la nature profonde et archaïque de ce projet. Comme cela a été dit avec le Hollandais Bernard de Mandeville , le peuple constitue pour les élites un vivier permanent de pauvres , dont le caractère de marchandise, de succédané d'esclaves, montre avec force le mépris que leur inspire la classe possédante, en même temps qu'il permet une chosification de ceux-ci, une mise à distance de la part de ces nouveaux aristoi , qui, à l'image de Locke, nous le verrons, les manipulent et les transforment à leur guise pour satisfaire leurs volontés de puissance et de richesse : "le peuple constitue... la marchandise la plus fondamentale et la plus précieuse de laquelle on peut dériver toute sorte de manufacture, de bateaux, de richesses, de conquêtes et de dominations solides. Ce matériau principal, étant en soi brut et non travaillé, sera confié aux mains de l’autorité suprême, développé par sa prudence et façonné par elle de la manière la plus avantageuse. " William Petty, Britannia Languens or a Discourse of Trade (1680) pauvres : " Le mode de vie des classes populaires est plus que frugal et leur consommation, en-dehors du tabac, se limite à un nombre restreint de produits locaux : blé, pommes de terre (dont la consommation semble avoir fortement augmenté à partir de la seconde moitié du XVIIème siècle), produits laitiers, poisson, laine. Les crises de subsistance, rappelons-le, demeurent fréquentes sous la Restauration. L’archevêque catholique d’Armagh, Oliver Plunkett, estimait que celle de 1674 avait fait plus de 500 victimes dans son diocèse. " (Reungoat, 2015) Les nouveaux économistes entrent pour longtemps dans un tourbillon de chiffres, de statistiques, de modèles économiques, en ne se préoccupant pas le moins du monde du bien-être des êtres humains qui vont produire cette richesse dont ils tireront les plus grands avantages. Les pauvres vont donc continuer de travailler dès leur plus tendre enfance, et déjà, pointe du nez la division du travail repensée plus tard par les théoriciens du libéralisme, dont l'intérêt est suscité par l'amélioration de la productivité, l'accroissement des richesses, et jamais par le bien-être des individus producteurs de cette richesse. " dans la fabrication d'une montre, si un homme fabrique les roues, un autre le ressort ; si un autre grave le cadran et si un autre fabrique le boîtier, la montre sera meilleure et moins coûteuse que si on chargeait un seul homme du travail entier " W. Petty, Arithmétique Politique (op. cité) Pour permettre à cette nouvelle économie de se déployer en liberté, il faut se débarrasser de ses entraves, et là, Petty est un des premiers, encore, à évoquer une idée centrale du libéralisme, le libre marché, l'optimisation de la productivité et de la richesse, en supprimant tout ce qui pourrait constituer pour elle un frein. Ce qu'on appellera l'ultralibéralisme, nous le verrons, voudra soumettre l'ensemble des champs sociaux à ces principes, qui s'opposent avec violence au bien-être des individus. " On a réglementé par des lois beaucoup trop de matières que la nature, une longue habitude et le consentement auraient dû seuls diriger " (op. cité). ou encore : " Je ne vois aucune raison de chercher à limiter l'usure ... mais de l'inutilité et de la stérilité des lois civiles positives contre les lois de la nature, j'ai parlé ailleurs et j'en ai donné plusieurs exemples particuliers" (Taxes et Contributions, op. cité). Le capitalisme moderne est déjà là en théorie, avec la terrible monotonie et l'abrutissement du travail pour beaucoup d'ouvriers et sa cohorte de maladies et de handicaps, la fameuse "aliénation" de Karl Marx. Smith comme Petty et bien d'autres n'y trouveront pas grand-chose à dire, l'œil rivé à la productivité, au prix de la marchandise, au coût minimum des salaires, et au final, au taux de profit le plus élevé. Le capitalisme moderne est déjà là en germe avec l'idée du libre-échange, de la limitation de l'intervention de l'état dans la pratique du commerce, mais aussi avec l'exploitation optimale de la force de l'ouvrier et l'optimisation la meilleure du capital humain et financier : " Les ouvriers travaillent dix heures par jour et font vingt repas par semaine, c'est-à-dire trois fois par jour pour les journées de travail et deux fois pour les dimanches. Il est clair que s'ils pouvaient jeûner le vendredi soir et dîner en une heure et demie, tandis qu'ils prennent deux heures, de 1 1 h à 1 h, par ce travail de un vingtième de plus ajouté à une diminution de dépense de un vingtième, le dixième mentionné ci-dessus pourrait être payé. " W. Petty, Verbum sapienti , écrit en 1664, publié en 1691. La contradiction, l'irrationalité du système est déjà envisagée, d'autant plus folle qu'elle cherche a justifier ce que le capitalisme offrirait de meilleur, en particulier le plein emploi, préoccupation de Petty qui est très novatrice pour l'époque, allant jusqu'à proposer de transformer les peines de prison en travail d'intérêt général : " S'il nous paraît étrange de donner des étoffes bonnes et nécessaires contre des vins démoralisateurs, cependant si nous ne pouvons pas débiter nos étoffes à d'autres, il serait meilleur de les donner pour du vin, ou quelque chose de pire encore, que de cesser de les fabriquer, bien plus il vaudrait mieux brûler pendant quelque temps le produit du travail d'un millier d'hommes que de laisser ce millier d'hommes perdre par l'inaction la faculté de travailler (...) comme conséquence de notre opinion que le travail est le père et principe actif de la richesse de même que la terre en est la mère, nous devons nous rappeler que l'Etat en tuant, mutilant, emprisonnant ses membres, se punit avant tout lui-même, aussi de telles peines devraient autant que possible être évitées." W. Petty, Treatise of Taxes and Contributions (Traité des taxes et Contributions) , 1662 Continuons à explorer la réalité sociale profonde qu'appelle cette nouvelle économie, puisque le projet de Petty en est une très bonne illustration. L'auteur observe l'Irlande comme plus tard on le fera des pays dits "sous-développés". Pour Cromwell, le pays est un "clean paper ", une feuille vierge qui ne demande qu'à être remplie. D'un côté une capital humain inexploité en terme de force de travail disponible, et d'un autre, tant de choses qui ne permettent pas au pays de constituer des richesses : "aménagement de routes, canaux de navigation, plantations, exploitations de mines, carrières, etc." (Caire, 1965). Tout aussi rationnel est le constat que l'habitat insalubre (nasty cabbins ) ne permet pas de fabriquer du beurre ou du fromage dans les meilleurs conditions possibles, à cause de la suie et la fumée, l'étroitesse et l'insalubrité des lieux, qui ne permet pas de conserver les denrées proprement et à l'abri des animaux et de la vermine : "Par conséquent, pour le développement du commerce, la rénovation de ces cabanes est nécessaire". Petty, en médecin hygiéniste, a compris que l'économie est un ensemble de maillons interdépendants dont le bon fonctionnement de chacun est indispensable à celui de la chaîne tout entière. Il va donc ici préconiser la "construction de 168 000 petites maisons de pierre avec cheminées, portes, fenêtres, jardins, vergers, entourées de fossés et de haies vives". Ce programme de développement (improvement ) avant la lettre n'est pas le fruit d'une collaboration. Les pauvres n'ont aucun mot à dire et ce sont leurs maîtres les "improving landlords " (protestants, il va sans dire) qui décident de la transformation de leur société, conçue par eux et serait réalisée au prix de "beaucoup d'efforts" (Taxes et contributions, op. cité) de la part des travailleurs. Il faut insister sur la manipulation du peuple comme animal, objet de laboratoire, aux yeux des élites, qui démontrent par là qu'ils n'ont pas du tout le même projet pour les riches que pour les pauvres. Ceux-ci forment une espèce de cheptel, pour la classe dont Petty fait partie. Il n'y a pas d'hommes et de femmes, ici, mais des êtres humains inférieurs dotés de force de travail et d'un minimum de besoin vitaux. Ce qui permet aussi d'envisager plus facilement ces hommes et ces femmes comme un seul corps. Petty propose ainsi de faire passer " 800 000 personnes du métier pauvre et misérable de cultivateur à des professions plus lucratives.... J'ose affirmer que si tous les cultivateurs qui ne gagnent actuellement que 6 pences par jour ou à peu près, pouvaient devenir commerçants et gagner 16 pences par jour. L'Angleterre aurait alors de l'avantage à jeter par-dessus bord son agriculture, à ne se servir de ses terres que pour faire paître les chevaux et les vaches laitières, pour en faire des jardins, des vergers ; c'est ce qui se passerait si le commerce et l'industrie augmentaient en Angleterre. " (Arithmétique Politique) . Ce que pense les hommes concernés ne comptent pas. Tout ce pourquoi le métier est lié à l'homme ne compte pas. La dichotomie entre la dimension spirituelle, culturelle de l'homme et ce qu'il représente comme outil, rouage économique, qui est à mon sens le plus grave manquement du capitalisme, est déjà là en germe. Les exemples ne s'arrêtent pas là et se poursuivent dans ce projet colonisateur de l'Irlande, pour lequel Petty prévoit de transférer 200.000 Irlandais en Angleterre et le même nombre d'Anglais en Irlande, et que les jeunes filles irlandaises épousent des Anglais et inversement. Par la suite, il adoptera plutôt l'option d'un transfert massif d'Irlandais en Angleterre, selon le projet de Cromwell, une option radicale pour une "transplantation des Irlandais" : " Il ne s’agissait plus, comme sous le Commonwealth, de déplacer les paysans vers l’ouest du pays, mais d’expatrier vers l’Angleterre la quasi-totalité de la population irlandaise. Une première esquisse du projet apparaît en 1676 dans Political Arithmetick où Petty démontre que l’afflux d’1,8 million d’Irlandais et d’Écossais sur le sol anglais enrichirait l’Angleterre de quelque 69 millions de livres, toute augmentation de la densité démographique se traduisant, selon lui, par une hausse exponentielle de la valeur de la terre. Quant à l’Irlande, Petty envisage purement et simplement de la revendre à une autre puissance. " (Reungoat, 2015) Nous avons là, en plus d'une coercition de masse, une politique forcée d'assimilation, d'acculturation, associée à une recherche de profits juteux pour les plus riches, qui sera une des préoccupations importantes des colonisations. Le vieux projet d'Edmund Spenser (1552-1599) trouve chez Petty son développement le plus abouti " d’imposer un nouvel ordre social, en modifiant en profondeur les structures politiques et juridiques irlandaises sur le modèle anglais, mais aussi d’angliciser les habitants eux-mêmes, leurs noms, leurs coutumes et leurs modes de pensée ." L'expression de Petty à ce sujet est sans équivoque, quand il évoque que "tout le travail de transmutation et d'union serait accompli en quatre ou cinq ans " (Political Anatomy , op. cité). Avant même la révolution industrielle, les projets économiques des élites traitent les pauvres comme des choses, des marchandises ou du bétail. La société qui est en train d'émerger annonce le mariage du monde archaïque de la domination ploutocratique avec celui des nombres, des sciences, des techniques modernes permettant de rendre la domination ancienne beaucoup plus ingénieuse et performante. Petty, comme Richard Lawrence ou William Temple (1628-1699) font partie de ces nouveaux maîtres. Les deux premiers sont membres du Council of Trade de l'Irlande pendant la Restauration, obtiennent de vastes domaines en Irlande, ce que ne manque pas de posséder non plus William Temple, dans le comté de Carlow. Ce qui ne l'a pas empêché de donner, comme de nombreux riches auteurs depuis l'antiquité, des leçons de morale à propos de la richesse : "L'amour des Richesses est la source de tous les maux. C'est une verité, dont la Morale & la Politique, la Philosophie & la Théologie , la raison & Inexpérience conviennent. Et c'est cela, qui cause les inquiétudes de la vie des particuliers, & les desordres des Gouvernemens publics." Essai sur les mécontentemens populaires, sur la santé et la longue vie, chez F. L'Honoré & fils, Amsterdam, écrits avant 1699 et publiés en 1744 (Les deux essais originaux ici rassemblés ont pour titre : Of popular discontents et Of health and long life). Ces essais ont été écrits "plusieurs années avant la mort" de l'auteur, affirme Jonathan Swift, qui publie les oeuvres de Temple en 1701. En 1685, Petty obtenait de ses terres un revenu "de 8000 à 9000 livres, à comparer utilement avec le revenu national irlandais estimé par Petty à la même époque à environ 4 millions de livres." (Caire, 1965). Tout est fait pour engraisser les propriétaires terriens protestants au détriment de la population catholique irlandaise. Dès 1691, William III renforce significativement le pouvoir des landlord s anglais par toute une série de Lois Pénales (Penal Laws) , qui empêchent aux catholiques la transmission des biens, l'accès à la propriété ou à certaines professions, en particulier dans la fonction publique. L'élite anglaise dans son ensemble n'échappe pas à cette vision dominatrice et prédatrice, avec sa cohorte de préjugés, de projets coercitifs et humiliants relatifs aux classes de "condition inférieure" : " Aucune femme n'est apte à tourner le lin aussi bien que les Irlandaises, qui, en travaillant peu en quelque sorte avec leurs mains, ont leurs doigts plus souples et plus doux que les autres femmes de condition inférieure parmi nous ." William Temple, An Essay upon the advancement of Trade (Essai sur le développement du commerce), 1673 "... pour l'entretien de ceux dont les pauvres familles sont surchargées. Pour cet effet il faudroit établir des lieux publics pour les faire travailler dans chaque Province ; Et ces lieux serviraient non feulement pour employer les pauvres, mais à y obliger les fainéans & les Criminels. Cela augmenterait extremement le fonds & la Richesse de la Nation, qui provient plus du labeur des gens, que de la production du Terroir. On pourroit aussi fàire une Loi pour punir ceux, qui demeureraient jusques à l'age de vingt cinq ans sans se marier, en les obligeant de payer la troisiéme partie de leurs revenus pour s'en servir à des usages publics ;" " soit que l'Etat fût tranquile ou brouillé, pour mieux employer les grosses sommes qui se levent tous les ans dans ce Royaume pour l'entretien des Pauvres , ou qu'on donne généreusement pour être employées à un usage si charitable. La meilleure partie de ce Tresor est dissipée, ou, convertie en festins par les Collecteurs & autres Officiers, ou employée de maniere qu'elle sert plutôt à augmenter le nombre des pauvres qu'à les soulager : Au lieu que si on remployoit à établir des hôpitaux à travailler dans chaque Comté à former un fonds pour trouver toujours de quoi occuper ceux qui les rempliroient au cas qu'on pût trouver un moyen plus court pour les bâtir, non seulement les pauvres impotens seroient soulagez, mais les fainéans capables de travailler seroient obligez de le faire, & ceux qui n'auroient pas d'emploi en trouveroient. " op. cité Notons, par contre, que Petty, à rebours des mentalités bien ancrées un peu partout dans les classes aisées de l'époque, tentent d'expliquer plus rationnellement la paresse imputée aux Irlandais. Petty évoque une population trop faible et dispersée, mais aussi le chômage, ou encore une mentalité catholique méfiante à l'égard du commerce et distillée dans les esprits par les prêtres : "l a paresse semble venir du manque d'emploi et d'encouragement au travail plutôt que de l'abondance de flegme dans leurs viscères et dans leur sang » ; "On les accuse aussi de beaucoup de perfidie, de fausseté et de vol. Aucun de ces vices ne leur est naturel. Quant à l'habitude de vol elle est propre à tous les pays peu peuplés comme l'Irlande. " W. Petty, Arithmétique politique, op. cité "Les prêtres...ont une médiocre opinion des Anglais et des Protestants, de la création des manufactures et de l'introduction du commerce. Ils réconfortent ainsi leurs ouailles en partie par des prophéties annonçant la restauration de leurs anciens domaines et de leurs anciennes libertés." W. Petty, Traité des taxes et Contributions, op. cité A la lecture de tout ce qui précède on ne sera guère surpris que Petty ait été très probablement, comme bien d'autres hommes au cœur du pouvoir, très intéressés personnellement à ce que se développent les richesses et, dans le même temps, soient garanties les propriétés, à propos desquelles Petty eut à subir différents procès : Rien d'étonnant à ce que les nouveaux pilleurs de la planète soient très pressés que la propriété devienne un dogme, un principe intouchable qui enterre une fois pour toutes la question de son origine et de sa légitimité. L'écrivain Jonathan Swift (1667-1745) a critiqué vertement les pratiques de prédation dont il a été question plus haut au sujet de l'Irlande dans différents pamphlets satiristes, en particulier Le Conte du Tonneau (A Tale of a Tub , 1704), "Les Lettres du Drapier" (Drapier's Letters , 1724), "Les Voyages de Gulliver" (Gulliver's Travels, 1726) ou "Une Modeste Proposition" (A Modest Proposal, 1729). Presque toute la surface arable de l'Irlande finira par être aux mains de propriétaires protestants anglais qui transforment beaucoup de surface agricole céréalière en pâturage, à la manière des enclosures , et qui la plupart du temps vivent à Londres, d'ou leur nom d'absentee landlords . Non seulement la production lainière nécessite moins de travailleurs, mais en plus, la laine est envoyée brute en Angleterre, ce qui fait travailler les tisserands anglais et aggrave le chômage en Irlande (Boulaire, 2002). Il est cependant difficile de comprendre vraiment ce que pense Swift de la pauvreté au travers de récits allégoriques. Dans la Modeste Proposition, par exemple, il commence par qualifier de "triste chose pour ceux qui se promènent" la vision de toutes ces "mendiantes que suivent trois, quatre ou six enfants tous en haillons et importunant chaque passant pour avoir l’aumône.", avant d'en parler comme un "fardeau de plus" pour le Royaume. Et ce n'est pas la solution de l'anthropophagie (voir illustration plus haut), pour résoudre le problème de la pauvreté, volontairement provocatrice, qui nous éclairera : " J’expose donc humblement à la considération du public que des cent vingt mille enfants dont le calcul a été fait, vingt mille peuvent être réservés pour la reproduction de l’espèce, dont seulement un quart de mâles, ce qui est plus qu’on ne réserve pour les moutons, le gros bétail et les porcs ; et ma raison est que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, circonstance à laquelle nos sauvages font peu d’attention, c’est pourquoi un mâle suffira au service de quatre femelles ; que les cent mille restant peuvent, à l’âge d’un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table. Un enfant fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver. J’ai fait le calcul qu’en moyenne un enfant qui vient de naître pèse vingt livres, et que dans l’année solaire, s’il est passablement nourri, il ira à vingt-huit. " Tout en critiquant les propriétaires, Petty en tête, Swift ne peut s'empêcher, ici ou là, de juger moralement les pauvres, et ce que les ouvrages satiristes n'expliquent pas vraiment, les sermons le feront bien davantage, qui "sont très représentatifs de la doxa anglicane en la matière" et qui pratiquent le "détournement du texte", "son instrumentalisation, dans la mesure où la référence biblique sert en réalité d’argument d’autorité permettant d’introduire une définition de la pauvreté qui n’a rien de scripturaire." (Zimpfer, 2008) Ainsi, Swift établit, comme on le fait depuis des siècles " différentes catégories d’indigents, ceux qui méritent leur sort («deservedly unhappy »), par opposition aux quelques rares miséreux victimes du sort, et affirmer que l’incitation à la charité exclut les pauvres non méritants (« they are not understood to be of the Number ») est conforme non à l’Évangile, mais à l’idéologie dominante soutenue par l’orthodoxie anglicane. La distinction entre pauvres méritants et non méritants fait en effet partie intégrante du discours anglican sur les indigents, la récurrence et la quasi-lexicalisation d’expressions telles que « deserving poor », « the industrious poor », ou encore « worthy objects » ou « proper objects » et à l’inverse, « improper objects », traduisant la prégnance d’une telle conception. La pauvreté est définie selon des critères moraux et non matériels, puisque seule importe la cause de l’indigence imputée, dans le cas des pauvres non méritants, à l’oisiveté. La pauvreté ne constitue donc pas un critère suffisant pour mériter la charité et seuls les indigents souffrant de maladie, et se trouvant de ce fait dans l’incapacité de travailler, méritent compassion et assistance. " (Zimpfer, 2008) Pour toutes ces raisons, le doyen de Saint Patrick, à Dublin, évoque dans différents sermons l'attribution de badges aux pauvres méritants, "dans le but de les distinguer de ceux qui ne sont pas dignes de compassion" (op.cité), et certains textes sont très similaires à ceux de John Locke, fondés sur la sévère répression des pauvres : "lesdits mendiants devraient être confinés dans leurs propres paroisses; qu’ils devraient porter leurs insignes bien cousus sur l’une de leurs épaules, toujours visibles, sous peine d’être fouettés et sortis de la ville; ou quelle que soit la peine légale peut être considérée comme appropriée et efficace" "Que ferons-nous avec les mendiants étrangers ? Doit-on les laisser mourir de faim ? J’ai répondu, non ; mais ils doivent être chassés ou fouettés hors de la ville; et que la paroisse de campagne suivante fasse ce qu’elle veut; ou plutôt après la pratique en Angleterre, envoyez-les d’une paroisse à l’autre, jusqu’à ce qu’ils atteignent leurs propres maisons." "Mais, quand l’esprit d’errance l’emmène, assisté par sa femme, et leur ribambelle d’enfants, il devient une nuisance pour tout le pays : lui et sa femme sont des voleurs, qui enseignent le commerce du vol à leur couvée dès l'âge de quatre ans; et si ses infirmités sont contrefaites, il est dangereux pour une seule personne non armée de les rencontrer sur la route." " Ils sont trop paresseux pour travailler, ils n’ont pas peur de voler, ni ne sont honteux de mendier; et pourtant ils sont trop fiers pour être vus avec un badge, comme beaucoup d’entre eux me l'ont avoué, pour quelques-uns en termes très injurieux, en particulier les femmes.(...) Quant à moi, je dois avouer, cette insolence absurde m’a tellement affecté, que depuis plusieurs années, je n’ai pas disposé d’un seul farthing à un mendiant de rue, ni l’intention de le faire, jusqu’à ce que je vois une meilleure réglementation." "Car, comme une grande partie de nos misères publiques est à l’origine due à nos propres défauts (...) je crois volontiers que parmi les gens plus méchants, dix-neuf sur vingt de ceux qui sont réduits à une condition affamée, ne sont pas devenus ainsi par ce que les avocats appellent l'oeuvre de Dieu, soit sur leur corps ou leurs biens; mais simplement de leur propre oisiveté, assistée de toutes sortes de vices, en particulier l’ivresse, le vol et la tricherie." J. Swift, A Proposal for giving Badges to the Beggars in all the Parishes of Dublin, 1737 Ces quelques paragraphes en disent bien plus long que toutes les satires. Le talent littéraire de Swift est une chose, l'homme, quant à lui, se révèle le bon soldat de l'idéologie des élites religieuses et politiques, adepte de la violence sociale contre les plus faibles, transformant les pauvres en boucs émissaires, pratiquant sur les pauvres ce que ses coreligionnaires chrétiens avaient déjà opérés sur les juifs : le marquage, comme on le fait d'un troupeau de bêtes sur lequel on cherche à établir le contrôle et la domination, pratique qui sera plus tard reprise par la terrible idéologie nazie. différents sermons : En plus de celui qui est cité dans le texte, on peut lire : " On the Causes of the Wretched Conditions of Ireland " (écrit entre 1720 et 1730) "The Prose Work of Jonathan Swift" , Edition Temple Scott, 12 volumes, 1897-1908. farthing : pièce de monnaie qui valait un quart de penny ICONOGRAPHIE Leviathan de Matt Kish, 2015 http://www.rachelhammersley.com/new-blog/tag/Art+of+Lawgiving BIBLIOGRAPHIE BOULAIRE, François, 2002, "Jonathan Swift : Angleterre, Irlande et patriotisme protestant, 1688-1735" In : "Les voyages de Gulliver : Mondes lointains ou mondes proches", Caen : Presses universitaires de Caen. http://booksopenedition.org/puc/355 BRUNON-ERNST Anne, 2004, "L'abondance frugale : propositions de J. 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- AFRIQUE NOIRE : DOMINATIONS et ESCLAVAGES, 1 : ANTIQUITÉ
Afrique noire , dominations et es clav ages [ I ] Ant iquité cf. plus bas : tombe Merneptah Néolithique : L'avènement des inégalités ( I ) Néolithique : L'avènement des inégalités ( II ) “tous les pays étrangers sont sous tes sandales" Le Royaume de Kerma "...entre l'Asiatique et le Noir de Nubie" Le Tableau des "races" La XXVe dynastie des pharaons noirs La Culture Nok Le Royaume de Méroé : introduction Méroé : L'arc et le sceptre La Traite orientale préislamique Carte de la Nubie anti que basée sur Claude Rilly, J. P icard, D. Bonardelle (Cnrs-LLACAN * ) (Rilly, 2017a) * la boratoire L angage LA ngues et C ultures d'A frique N oire neolithique 1 Néolithiq ue : L'avè nement des inégalités ( I ) Après avoir produit l'homme mode rne, raconte le chercheur Eric Huysecom, maître de recherche à l'Université de Genève, l'Afrique " a aussi offert à l'humanité plusieurs innovations majeures : une métallurgie du fer dès le XIVe siècle avant notre ère, à une époque où ce métal était encore inconnu en Europe occidentale ; la domestication des bovidés dans le courant du IXe millénaire avant notre ère, soit plus de 1 000 ans avant la Grèc e ou le Proche-Orient et, découverte récente, l'une des céramiques les plus anciennes du monde, puisqu'elle remonte au début du Xe millénaire avant notre ère " (in "Un Néolithique ancien en Afrique de l'Ouest ? ", revue Pour la Science, n° 358). Le problème pour la connaissance du lointain passé du continent africain, c'est que tous ces développements se sont passés essentiellement au nord du continent, dans les régions sahariennes qui n'étaient pas encore désertifiées (qui seront étudiées dans un autre exposé), ou subsahariennes, essentiellement la région égypto-soudanaise. Pendant ce temps, une très grande partie centrale, mais surtout australe, était occupée par des populations de chasseurs-cueilleurs, qui possédaient leurs cultures propres, comme toute population humaine, mais qui n'ont laissé que très peu de traces tangibles susceptibles de nous éclairer sur leur histoire, faute d'écriture et de témoignages archéologiques suffisants, si ce n'est de très nombreuses gravures rupestres, en particulier, comme celles de l'art pariétal des San, ancêtres des Bushmen, qui nous renseignent sur ce qu'on pense être des pratiques religieuses (chamaniques, rituelles), mais pas sur leur organisation sociale. En conséquence, notre principale source de connaissance quelque peu fournie sur l'Afrique noire dans l'antiquité, demeure la région soudanaise, en grande partie grâce à son voisin égyptien qui était alors le seul en Afrique à posséder une écriture, l'écriture méroïtique nous le verrons, étant très tardive, et probablement pas une langue assez bien outillée pour faire naître une véritable littérature. D iffé rents témoignages proto-historiques nous le verrons, indiquent, comme dans d'autres endroits dans le monde, qu'existaient déjà en Afrique des conflits guerriers entre communautés, mais aussi que nombre d'entre elles étaie nt socialement hiérarchisées depuis des temps très anciens : Dès l'existence des premiers cimetières en Nubie, on trouve des traces de cette violence guerrière, comme au Djebel (Gebel) Sahaba , en Nubie, au nord de Wadi Halfa, à la frontière avec l'Egypte actuelle, où 55 squelettes, datés de - 12.000 à - 10.000 environ, ont été trouvés entourés d'éclats taillés, et certains individus meurtris par eux jusqu'à l'os. A la fin du mésolithique, dans la période holocène (12.000 dernières années), plusieurs squelettes en position repliée, dont un seul est accompagné de mobilier, ont été trouvés à El-Barga ( cf. cart e en exergue) dans la périphérie de Kerma, datés de 7200 à 6200 ava nt notre ère, ainsi qu'une seule structure d'habitation possédant un riche mobilier : céramique, matériel de mouture, objets en silex, perles en coquille d’autruche, pendentif en nacre, armatures en os, restes de faune, coquillages ( Honegger, 2004 , mission Kerma ). Dans le cimetière néolit hique (6000-5500), beaucoup de tombes possèdent du mobilier, trois to mbes sur 95 sont abondants en parure ( bracelets en ivoire d'hippopotame , colliers, pendentifs, la brets, etc.) et occupent le centre de la nécropole, dont la plus richement dotée est celle d'une femme : cette position enviable d'une femme n'est pas rare, elle se retrouve dans plusieurs autres cimetiè res de Nubie, comme Kadruka, à 20 km d'El-Barga (Gallay, 2016 ; Honegger , 2005 ) . Mieux encore, figuraient dans cette tombe féminine des haches ou des harpons, outils et armes généralement réservés aux hommes. Cette hiérarchisation concerne peut-être aussi une tombe qui contenait, comme à Kadruka ( vers - 4000 -3000, cf. carte), la sépulture d'un homme placé à côté d'un corps d'enfant surmonté d'un bu crane (crâne de bœuf décharné et parfois, orné), o bjet qui se multipliera à la période suivante, nous allons le voir, pour manifester de manière éclatante la richesse et le prestige des individus au sein de leur communauté. Parures Cimetière d'El-Barga, Soud an "Coquille de bivalve du Nil (Unio sp. ) servant parfois de boîte ou de ré ceptacle pour de petits objets, boucles d’oreilles en mésolite, labrets en cornaline et amazonite, bracelets en ivoire d’hippopotame ou en coquillages, collier de perles en cornaline et amazonite. Néolithique , v. - 6000 - 5500 Musée de Kerma, Soudan N° inventaire : 36326, 36311, 36312, 36315 36322, 36309, 36307. Au nord-ouest de Gao, au Mali, les riches matériels lithiques, d'éclats, de perles en cornaline, sans parler de la céramique ou la nourriture, donnent à penser que les productions "dépassaient de loin la demande locale" (Dupuy, 2020 ) Des signes plus ténus peuvent évoquer les débuts de luttes d'intérêts, des guerres entre groupes rivaux qui inaugurent peut-être de nouvelles inégalités entre communautés, comme à Abourma, près de Djibouti, qui possède une sorte d'immense tableau historique d'une longue période sur des gravures rupestres , o ù o n peut voir de rares scènes de combats entre archers (Poisblaud, 2009 ) . (Le Quellec, 2021) (Poisblaud, 2009) * Entre le mésolithique et le néolithique, il s'est donc passé un temps où les distinctions sociales sont nettement apparues : "Les différences entre les tombes attribuées au Mésolithique et le cimetière néolithique sont fondamentales. D’un côté, des inhumations en faible nombre, sans mobilier, toutes de statut identique; de l’autre, une véritable nécropole avec au moins cent sépultures souvent dotées de mobilier, indicatrices de l’émergence des distinctions sociales. En un millénaire, la société nubienne a complètement changé de type d’organisation. Cette transformation doit être mise sur le compte de l’introduction de la domestication animale, dont les plus anciens témoignages au niveau du continent africain ont été retrouvés dans la moyenne vallée du Nil, à Nabta Playa en Égypte et à Kerma." (Honegger, 2005 ) . La nécropole de Kerma est probablement liée à une communauté présente dès la fin du IVe millénaire. Au nord, les tombes de l'époque de ce Kerma ancien, à la phase 0 sont de taille encore à peu près uniforme, le matériel funéraire se limite à quelques objets personnels (petites parures, éventails en plume d'autruche, paires de sandale, p oignard, etc.), et pourtant, on note la présence (peu nombreuse cependant), ici ou là, d'un ou deux morts d'accompagnement, formule qui s'applique aux individus le plus souvent forcés, mais aussi parfois , peut-être volontaire s , à qui on donne la mort pour qu'ils accompagne nt leur défunt maître dans l'au-delà : esclaves, serviteurs, principalement, mais aussi épouses, concubines, famille, amis, relations clientélistes sont les principaux concernés (Gallay, 2016 ) . Cette coutume archaïque est commune à de nombreuses cultures du monde : cf. L A PRÉHISTOIRE ). volontaires : supposition faite par l'absence de violences manifestes lors d'une telle contrainte, qui ne doit pas exclure la possibilité d'utilisation de drogues, pratique connue dans d'autres cultures, telle la culture inca, qui a utilisé des drogues psychotropes lors de sacrifices humains ( Wilson, 2016). Tombe s avec mort d'accompagnement Nécropole de K erma Kerma ancien, vers 2300-2150 "Tombes d’un archer et d’une femme munie d’un bâton, phase II du Kerma ancien (2300- 2150 av. n.-è.). La tombe d’archer contenait deux individus: un jeune homme en position centrale et une femme déposée à ses côtés. Un chien, un arc, un éventail en plumes d’autruche et un miroir en bronze accompa gnaient le jeune homme. La tombe avec un bâton contenait une femme de 20-29 ans. Ces deux tombes étaient partiellement pillées et une partie des squelettes a été graphiquement reconstituée en grisé" (Hone gger, 2018 ) "Le changement observé dans les procédures rituelles à Kerma, c’est-à-dire, la mise à mort de dizaines, centaines, voire milliers de bovins et le dépôt en surface de leurs bucranes, est révélateur de la hiérarchisation croissante de la société vers la fin du 3e millénaire avant notre ère. Nous assistons à l’émergence d’individus ou de clans cherchant à se démarquer publiquement, en exposant ostensiblement et durablement leurs richesses, actes ou statuts sociaux (Meillassoux 1968). Le bétail est en effet considéré comme un signe de richesse et de prestige dans les sociétés agropastorales et pastorales est-africaines (Hazel 1979 ; 1981). De tels rites nécessitent probablement la participation de spécialistes chargés de réunir les bovins à abattre, de les découper et de disposer régulièrement leurs crânes autour des tumulus. La possession du bétail pourrait avoir joué un rôle essentiel dans la formation et le maintien du pouvoir politique et de l’autorité sacrée ou royale à Kerma " ( Dubosson, 2015) . neolithique 2 Néolithiq ue : L'avè nement des inégalités ( II) Marquer les corps La domination sociale du groupe sur l'individu comporte aussi des pratiques plus ou moins attentatoires à l'intégrité du corps, connues depuis le paléolithique supérieur, mais surtout à partir du néolithique, et ce dans beaucoup de cultures du monde, et un certain nombre d'entre elles ont persisté jusqu'à ce jour. Certaines de ces coutumes sont relativement "égalitaires", comme les mutilations bucco-dentaires, les trépanations, les tatouages, les déformations crâniennes, etc., pratiquées sur l'un et l'autre sexe, quand d'autres ont pour but de contrôler le corps féminin : infibulation, clitoridectomie, subincison, excision, etc. On a ainsi trouvé un crâne fossile présentant des mutilations dentaires, possiblement du néolithique à Olduvaï, au nord-est de la Tanzanie (Baudouin, 1924 ; Saul 2003 ; Pecheur, 2006, cf. Carpentier, 2011 ). Ce sont des coutumes aux motivations esthétiques (ex. Bantou, Pygmées du Congo), totémiques (affilage des dents pour imiter la dentition du crocodile, chez les Bantous, encore), ou encore mythiques ( Carpentier, 2011 ) : Jeune homme de 25 ans mutilé au Congo-Brazzaville en 2007 (Molloumba er al., 2008) La trépanation, était, elle aussi, répandue dans le monde, en Europe, en Sibérie, en Afrique et surtout en Amérique du Sud, en particulier le Pérou. Dans un village néolithique trouvé à Khor Shambat (district d'Omdourman), au Soudan, a été trouvé un crâne avec des signes de trépanation (vers - 5000) pour des raisons thérapeutiques ou magiques, dont l'opération a peut-être été un échec : ce serait le plus vieux cas de l'Afrique septentrionale (Jórdeczka, et al. 2020 ) D e même, la déformation du crâne, obtenu surtout par bandeaux serrés autour de ce dernier, a été pratiquée sur tous les continents depuis une date très reculée (celles du Pléistocène, vers - 45000 ont été cependant remises en cause). En Afrique, c'est en Ethiopie qu'on trouve les premiers témoignages de cette pratique entre les VIIIe et VIIe millénaires avant notre ère, qui était encore vivace chez les Mangbetu du Congo, ou les Arawe de Nouvelle Bretagne en Océanie au milieu du XXe siècle La perforation du corps, pour y insérer un ornement a été attestée surtout dès le néolithique, mais de nouvelles études sur un squelette trouvé dans le cé lèbre site des gorges d'Olduvaï en Tanzanie, en 1913, a révélé le premier cas connu en Afrique de piercing facial, qui date de 20.000 ans, avec trois piercings, un pour les lèvres (labrets, sans doute de bois) et un pour chaque joue, éléments de 2 cm de large au minimum (Willman et al., 2020 ) . A la fin du néolithique, vers - 4500 - 3950, les archéologues ont trouvé des labrets polis en quartz hyalin dans la région Borkou-Ennedi-Tibesti, au nord du Tchad, et dans la vallée du Tilemsi, au Mali (Bouvry, 2011 ) . Ceux-ci devaient être, très probablement comme aujourd'hui, des marqueurs symboliques, d'identité sociale, où esthétiques, qu'on trouve encore chez les Kirdi du Cameroun ou les Mursi et les Surmas (Suri) d'Ethiopie, où il ne concerne que les femmes : On pratiquait déjà des incisions au niveau du sexe il y a 30.000 ans et on a trouvé des indices de circoncision et de scarifications datant de 10.000 ans (Oba dia, 2016 ) , mais l a première représentation connue de circoncision est plus tardive. Elle a été trouvée en Egypte, à Saqqara, sur un bas-relief de la porte de la tombe d'Ankhmahor, vizir et arc hitecte du pharaon Téti : Opération de circoncision rituelle Tombe d'Ankhmahor , Saqqarah , Egypte VIe dynastie, règne de Téti v ers - 2345 "À droite, un garçon est debout, à l’aise, sa main gauche sur la tête d’un homme accroupi devant lui. L’homme applique quelque chose sur le pénis du garçon, probablement pour rendre l’opération moins douloureuse, ce que confirment les hiéroglyphes qui accompagnent la scène : « Je la rendrai agréable». Le patient répond : « Frotte-le bien pour que ce soit efficace. » À gauche, une troisième personne, debout derrière le garçon, le tient d’une main ferme, tandis qu’un prêtre hem-ka exécute l’opération" (Tomb , 2022 ) Au-delà des raisons purement religieuses (appartenance, rituel de passage, etc.), la circoncision était pratiquée parfois dans des buts prophylactiques, censés éviter certaines maladies : il n'existe cependant toujours pas de preuve scientifique de la valeur médica le de cette pratique et, s'agissant du sida, on a la preuve aujourd'hui que la circoncision est, au contraire, un facteur aggravant (Garenne, 2012 ) . Cette coutume flotte toujours en France dans un no man's land juridique, critiquée mais tolérée pour des motifs religieux, qu'invoquent juifs et musulmans, surtout. Les mutilati ons du sexe concernent aussi bien les hommes que les femmes dans l'histoire. Chez les hommes, si la circoncision, qui désigne l'excision du prépuce, est une mutilation mineure, l'émasculation ou la castration sont bien plus douloureuses et ont une conséquence gravissime : elles privent les individus de la fonction de procréer, sans parler des dégâts psycho-sociaux induits. Ce sont de très anciennes pratiques, là encore : Il est question d'eunuques déjà dans les anciens Vedas indiens, dans la littérature chinoise au début du IIe millénaire avant notre ère, et en Mésopotamie, le châtiment de castration en punition des crimes s exuels est mentionné, par exemple, dans le code d'Hammourabi, vers 1750 avant notre ère. Présente dans les mythes égyptiens ou grecs, la castration est infligée à Osiris par son frère Seth, à Uranus par son fils Chronos (Androutsos et Marketos, 1993 ) . De même que dans beaucoup d'autres pays, de nombreuses cours de rois africains sont entourées d'eunuques. Au XVIe siècle, c'est le grand eunuque de l'empire Oyo, chez les Yorubas du Nigeria, qui dirige la justice, et les principaux chefs civils et religieux sont aussi des eunuques (Stride et Ifeka, 1971 ) , choisis par l'empereur, au titre d'Alafin (ou Alaafin) : "propriétaire du palais", en langue yoruba, sensé descendre en ligne directe du dieu Sango (Shango), divinité (orisha, orixá) du tonnerre. Du XIIe au XVIe siècle, les empereurs songhays de Gao, au Mali, siégeaient "sur une sorte d’estrade, entouré de 700 eunuques" (Sékéné-Mody C issoko, "Les Songhay du XIIe au XVIe siècle ", in Hist oire Générale de l'Afrique, volume IV, L'Afrique du XIIe au XVIe siècle, dir. D. T Niane, 1991, chapitre 8, p. 222, Editions Unesco, 8 volumes de 1980 à 1999) . A la cour du roi du Dahomey , et ce sera le dernier exemple, selon des voyageurs du XIXe siècle, le monarque était entouré de deux grands serviteurs de son palais, un eunuque, le Tononou, "ministre des résidences royales, chef redouté et absolu de la maison du roi " (Alpern, 1998 ) , et son second, le Kangbodé (Cambodé), principalement garde -magasin. Les mutilations effectuées sur le sexe des femmes sont, quant à elles, purement idéologiques, au service de l'asservissement des femmes, comme l'excision clitoridienne ou clitoridectomie, une ablation partielle ou totale du clitoris, l'organe du plaisir féminin . Pour l'homme, l'opération d'excision profite au désir, pour la femme, à l'inverse, elle l'amoindrit dans le meilleur des cas, où le supprime. Stéphanie Auffret fait remonter cette pratique à la fin du néolithique, vers 5000 ou 6000 ans avant notre ère (Auffret, 1983 ) , et d es momies égyptiennes sont "si bien conservées qu'on pouvait détecter sur leurs corps non seulement des traces d'excision, mais aussi d'infibulation" (Hosken, 1982 : 75 ). Il n'est donc pas étonnant qu'Hérodote rapporte l'existence de c ette "circoncision pharaonique " en Egypte, en Ethiopie, en Phénicie, en Syrie , en P alestine ou en Colchidie (Hérodote, Histoire [ ou Enquête ], II, 104 , vers 469/467 ) . Dans certaines contrées (Soudan, Ethiopie, en particulier), après l'excisio n on suture l e s p etites ou les grandes lèvres pour rétrécir l'orifice vaginal, opération appelée infibulation, au moyen d'une lame ou d'épines d'acacia, en particulier, qui font office d'agrafes, et qui ne laissent qu'une ouverture minimum pour l'urine ou les menstrua tions. Ces coutumes, bien que dénoncées par l'ensemble des défenseurs les droits humains, sont encore très présentes en Afrique, nous le verrons plus tard. sous tes sandales “ tous les pays étrangers sont sous tes sandales ” A B Scène nagadienne , relief A . Montage photographique des clichés de von Friedrich Wilhelm Hinkel (1925-2007), présentés par Charles Bonnet (né en 1933), dans son article "Le groupe A e t le pré-Kerma", dans "Soudan, royaumes su r le Nil", ouvrage collectif, Paris, Institut du Monde Arabe, 1997, p. 37. B . Nouveau relevé du relief, échelle 1/10e Sur ce relief, on peut voir clairement des prisonniers les mains dans le dos, l'un à droite du sere kh (cf. plus bas) , le second attaché en plus par le cou à la proue, au moyen de cordages, les autres prisonniers étant blessés ou morts non loin du bateau. Djebel Cheikh (Gebel Sheikh) Suleiman, 2e cataracte du Nil 275 x 80 cm vers - 3250 groupe A : vers- 3200 - 2800 Les archéologues, dans l'ensemble, attribuent ce relief au troisième pharaon de la première dynastie pharaonique égyptienne, le roi Djer († vers - 3040), mais certains chercheurs datent plutôt ces vestiges de la période prédynastique de la culture de Nagada (vers - 3800 - 3150), à cause du manque de titulature royale. (Somaglino et Tallet, 2014) , Celle-ci est habituellement inscrite dans le serekh (litt. "bâtiment"), sous la figure d'un ou deux Horus (le dieu faucon), symbole du palais royal, visible tout à gauche de la scène. Comme de très nombreuses sociétés dans le monde entier depuis la fin de la L A PRÉHISTOIRE , de nombreuses sociétés africaines sont très hiérarchisées nous l'avons vu, et présentent différents signes d'asservissement. Dès l'époque thinite, au moins, en Egypte (vers - 3100 - 2700), un des tout premiers pharaons, Djer, ponctionne des hommes et des femmes au sud du pays, dans les régions soudanaises de Nubie, comme l'illustre un relief retrouvé au Djebel Cheik Suleiman , près des sites de Kor et Buhen du Moyen empire, a ujourd'hui au Musée de Khartoum : Il en va de même avec le pharaon Snefrou (vers - 2600), de la IVe dynastie, dont un document nous dit qu'il avait effectué un raid contre "le pays des noirs" ( Jiménez-Serrano, 2006 ) . Quelques siècles plus tard, les tombes de la colline de Qoubbet-el-Haoua (Qubbet el-Hawa), à Assouan, nous apprennent l'intense activité des notables locaux dans des expéditions en Nubie. Les voyages à l'étranger d'Herkhouf (Hirkhouf) "responsable des troupes auxiliaires", qui repose dans la tombe 34, avaient plutôt une vocation commerciale, en particulier au pays mystérieux de Iam (Yam), que les spécialistes peinent encore à l ocaliser, mais aussi dans les provinces nubiennes. Il les raconte dans son autobiographie inscrite sur la façade de son tombeau : "Je suis revenu avec 300 ânes chargés d’encens, de bois d’ébène, d’huile hékénou , d’aromate (khé)saÿt, de peau(x) de léopard, de défense(s) d’éléphant, de bâtons de jet et de toutes sortes de beaux présents " (in Obsomer, 2007a) . Quant à H éqa-ib, son contemporain, dans la tombe 35, il raconte ses différentes missions menées pour le roi Néferkarê Pépi II (vers 2270-2200), dont le but principal, rappelle l'égyptologue belge Claude Obsomer visait "à soumettre par la force les pays nubiens de Ouaouat et d’Irtjet " (Obsomer, 2007a) . Ouaouat : (Wawat), nom donné par les Egyptiens à la Basse Nubie, ou Nubie égyptienne, entre la 1e et la 2e cataracte. Ouaouat était en fait un des trois petits états de cette région, avec Irjet (Irtjet) et Setju (Satjou). hékénou : (hekenu), "L’« onguent » hekenou , pommade rituelle parfumée, parfois dénommée l’ « huile de jubilation », se compose, tout au moins à l’époque ptolémaïque, de plusieurs produits issus de la botanique africaine et résulte d’opérations complexes nécessitant de nombreuses cuissons et réductions ainsi que de multiples pauses. L’onguent se fabrique à l’aide de divers composants : les fruits d’arbre nedjem, sans doute des bourgeons de cassia (Cinnamomum iners ), c’est-à-dire la fausse cannelle, de l’ânti , la myrrhe, provenant des arbres et arbustes de la famille des Commiphora spp ., et de styrax, de la résine de pin d’Alep, de trois aromates tels que le tichepès , extraits de résines aromatiques, de djebâ et de cheben ainsi que du vin de l’oasis et de l’eau. Offert dans les temples, cet onguent est aussi régulièrement attesté en seconde position dans la liste des sept huiles canoniques que l’on dépose auprès du mort. Il a des propriétés comparables à celles de l’encens et sert à l’onction notamment lors du Rituel de l’Ouverture de la Bouche." (Bruwier, 2007) La colonisation nubienne s'intensifie sous la XIIe dynastie (vers - 1987 - 1795), pendant laquelle le pouvoir égyptien dresse pas moins de quatorze forteresses colossales, à Bouhen, Aniba (Miam), Ikkour, Qouban, etc. dont les garnisons assurent un contrôle permanent de la Basse-Nubie, Ouaouat (Obsomer, 2 0 07 a ) . C'est dire si le royaume de Kerma avait acquis une puissance que le pouvoir pharaonique ne prenait pas à la légère, et qu'il s'organisa pour ne plus avoir une telle menace aux portes de l'Egypte. C'est donc à partir d e ces places fortes que Sésostris Ier et Sésostris III lanceront des expéditions militaires contre Kouch (Koush, Kush), dont le nom apparaît alors pour la première fois dans les textes égyptiens. Une stèle de l'époque de Sesostris Ier témoigne de ces campagnes militaires contre la Nubie : Stèle du général Montouhotep (Mentouhotep) datée de l'an 18 du règne de Sésostris Ier Trouvée par le politicien et explorateur Sir William Banks (1786-1855) à Bou hen, en 1818 vers - 1946 Musée archéologique de Florence, Italie 2540 On y voit le dieu égyptien de la guerre, Montou, tenir dix Nubiens attachés pour les conduire au roi (cf. le dessin de Ricci, ci-contre, qui a figuré l'ensemble de la scène, avant la détérioration de la stèle ). Ils symbolisent "tous les pays qui sont dans Ta-Séty" (Ta-Séti : "Le pays de l'arc"), nom que donnait alors les Egyptiens à la Basse Nubie. Le nom de ces pays sont indiqués sur le cintre de l a stèle "Chémyk, Khésaï, Chaât [Ile de Sai ?, NDA], Ikherqyn, ?, ?, Ima (?) ». Série verticale (de haut en bas): «Kas [Kouch, NDA] , Haou, Ya (?) »". ( in Obsomer, 2007b). Comme d'autres textes égyptiens, il exprime une violence extrême contre les ennemis de l'Egypte, à la fois par l'image et par le texte : "le faucon qui saisit grâce à sa force", "le taureau blanc qui va piétiner les Iounou" (Anous, Aounou, population nubienne) ; "Je me suis avancé… (?)] en détruisant [leurs] troupes (?) […], leur vie étant achevée. [J’ai] massacré […, j’ai mis] le feu dans [leurs] tentes (?), […], leur grain étant jeté dans le fleuve […]. [Je suis] quelqu’un qui obéit, qui ne transgresse pas [les instructions du palais], un homme dans la force de son ka, [journellement (?)] et à jamais. Aussi vrai que vit le Fils de Rê Sésostris, je dit ce qui s’est passé véritablement" (in Obsomer, 2007b). Dessin d'Alessandro Ricci, 1795-1834), médecin, explorateur, compagnon de Banks, in Harry Sidn ey Sm ith, The fort ress of Buhen , The Inscriptions , Londres, 1976, pl. LXIX, 1. Prisonnier nubien agenouillé, figure d'exécration Argile séchée H 32.5 x L 15.2 cm Egypte, Moyen-Empire, XIIe dynastie ver s - 1987 - 1795 Musées royaux d'Art et d'Histoire E. 7440 Bruxelles, Belgique Les figures d'exécration ont pour modèle un prisonnier agenouillé, bras dans le dos attachés au niveau du coude. Les traits physiques sont bien soulignés, sur " cet exemplaire, on reconnaît un Nubien à sa coiffure crêpelée, a ux yeux globuleux, au nez évasé, aux pommettes saillantes et aux lèvres épaisses " ( Br uwier, 2007 : Catalogue des objets archéologiques ). Un texte est écrit sur le corps en démotique, qui devient l'écriture officielle vers - 750. Le démotique est une des deux écritures cursives égyptienne, avec le hiératique, ce dernier étant aussi ancien que les hiéroglyphes, Ecrit à l'encre rouge, "couleur des forces hostiles, ce texte reprend une liste des ennemis de l’Égypte, dans le pays et en dehors de ses frontières. La magie opérant, ils seront privés de leurs mouvements, tout comme la statuette en cas de rébellion, d’attaque ou de complot contre celle-ci" (op. cité) . Ces listes étaient souvent très détaillées, avec le nom personnel, des princes, des prisonniers, des alliés, de leurs ancêtres, même, tenues scrupuleusement à jour par l'administration égyptienne. S'il est clair que l'Egypte pharaonique, comme beaucoup d'Etats ou de tribus , exerçaient des violences régulières sur d'autres populations, il ne faudrait pas lire l'iconographie égyptienne de la guerre de manière littérale, comme s'ils n'étaient faits que d'actes sauvages : La relation avec les Nubiens, nous le ve rrons, est aussi faite de commerce, de diplomatie, et de collaboration entre les élites. Malgré ce qu'affirme Montouhotep, la propagande des puissants ne permet pas du tout de savoir "ce qui s'est passé réellement". Comme toute iconographie émanant du pouvoir, les représentations égyptiennes de la guerre sont subordonnées aux intentions idéologiques de ceux qui gouvernent, qui veulent ici magnifier la force donnée aux égyptiens par les dieux pour dominer tous les ennemis de l'Egypte : "tous les pays étrangers sont sous tes sandales" (in Obsomer, 2 0 07b ) . dira un graffiti des environs de la première cataracte, daté du roi Montouhotep II ( Mentouhotep II, vers - 2064-2013). kerma Le Royaume de Kerma ( - 2500 - 1500 ) Pré-Kerma, vers - 3000, Reconstitution du site, qui n'est encore qu'un grand village, avec huttes, quelques bâtiments rectangulaires, enclos à bétails et fosses-greniers (500 env.), enterrées dans le sol où des aliments, étaient probablement stockés dans des jarres. dessin d' Alain H onegger Kerma, vue sur les vestiges de la ville et de la puissante deffufa (forteresse), vers - 2050 Reconstitution de la ville de Kerma avec sa deffufa, qui donne une idée de la puissance naissante du royaume de Kerma., On notera la grande hutte d'apparat du roi (Ø 14 m), tout près de la forteresse, sur sa droite, mais aussi divers entrepôts royaux protégés par des enceintes, dont sont aussi pourvues des habitations de privilégiés. Aquarelle de Jean-Pierre Golvin , Université Bordeaux III Dès le Kerma moyen (2050-1750), la distinction de classe sociale s'opère nettement d'autant plus que se multiplient alors dans les tumulus de l'élite, les morts d'accompagnement, Au Kerma classique (- 1750 - 1480), c'est par plusieurs centaines (322 squelettes dans la tombe K x) que se comptent ces morts d'accompagnement, dans les grands tumuli explorés par l'archéologue américain George Andrew Reisner (1867-1942), qui a mené le premier de grandes fouilles dans la nécropole royale, entre 1913 et 1916 ( Honegger 2004 ; Rilly, 2017a) , mission Kerma) . Ce développement se traduit aussi par un artisanat prolifique et de belle facture, et ce sont de plus en plus les inégalités sociales qui permettent déjà aux riches de s'octroyer des objets de qualité : vêtements, poterie, armes, bijoux, etc., dont on retrouve les spécimen les plus ouvragés dans les tombes des élites. Vase caliciforme El-Kadada, Soudan Art nubien du Royaume de Kerma, Kerma classique, v. -1800 - 1600 Musée national de Khartoum, Soudan Bol en terre cuite in cisée Art de Nubi e, Naga el-Erian, Nécropole115, tombe n°98 Ø 8 cm -2400 - 1550 Museum of Fine Arts (MFA), Boston Etats-Unis Modèle de maison Kerma, Soudan , cimetière est, tumulus KIII, K 315 terre cuite, Kerma classique, v. -1800 - 1600 Musée national de Khartoum, Soudan, SNM 119 source : Histoire et civilisations du Soudan. .., op. cité Si de petits tumulus funéraires abritent les tombes des plus humbles, ce sont des superstructures possédant des appartements intérieurs et pouvant atteindre 100 m de diam ètr e que s'offre l'aristocratie ou les souverains eux-mêmes , dont la course au prestige multiplie les bucranes en demi-cercle autour des tombeaux, pas moins de 4 3 51 devant la tombe n° 253 ! ( Rilly , 2017 c ), L'étude anthropologique des squelettes de l'époque classique a montré des violences fréquentes dont les effets se sont gravés dans les os des disparus (Judd et Irish, 2009 ) . Plus près de nous, un néolithique un peu spécial, adapté à l'Afrique australe, dans des régions longte mps réputées pour avoir perduré longtemps au stade préhistorique de la pierre ("Late stone age ", tels les ancêtres des San, plus connus sous le nom anglophone de Bushmen), s'est mise en place ou s'est renforcée une organisation sociale plus inégalitaire que par le passé . Ainsi, à Kasteelberg et peut-être aussi à Jakkalsberg, en Afrique du Sud, au long du premier millénaire de notre ère, l'élevage se développe, peut-être celui, autochtone, des San/Bushmen, à moins qu'il n'ait été transmis par les immigrants Khoekhoe (Hottentots), ce qui aurait donné la culture mixte khoisan. Dans tous les cas, "il semble que les moutons et la céramique ont été considérés comme des biens prestigieux, peut-être utilisés comme un capital politique dépensé à l’occasion de grands festins" (Sadr, 2005 ) . On a souvent parlé du néolithique comme d'une période révolutionnaire, sans voir souvent comment elle a accéléré la construction des inégalité s sociales en domestiquant tour à tour les plantes, les animaux, et les hommes eux-mê mes, par la servitude, l'esclavage, la guerre, la division entre des riches et des pauvres, en particulier par le retranchement des puissants derrière des palais, des châteaux-forts, s'arrogea nt la m aîtrise du verbe et de l'écriture pour définir la culture dominante (Scott, 2017 ) . Dague et couteau Kerma classique (cimetière) Kerma moyen vers - 1500 vers - 1800 L 55 cm L 30.4 c m bronze, bronze, garde et rivets pommeau en en or, pommeau en ivoire, ivoire, manche en corne ou écailles de tortue Musée national de Musée de Kerma Khartoum n° 1062 n° 36332 Gravure rupestre, chasse à la girafe I welen, Massif de l'Aïr, Niger Art Pe ul, Équidiens, époque des chars Équidiens, époque des chars, Ier millénaire avant notre ère " A considérer la mobilité restreinte nécessaire au succès de l’élevage équin en milieu sahélo-soudanien, on devrait retrouver parmi les peuples évoluant non loin des massifs de l’Adrar des Iforas et de l’Air, les descendants des éleveurs de bovins qui avaient introduit le cheval dans le sud du Sahara au cours du premier millénaire avant notre ère. Il se trouve précisément dans les bassins des fleuves Niger et Sénégal et plus à l’est autour du lac Tchad, des pasteurs peuls sédentaires, éleveurs de bovins, organisés en des sociétés hiérarchisées. " (Camps et Dupuy, 1996) Le chasseur (mais aussi sans doute pasteur de bovins), armé d'une lance à pointe de cuivre, a une coiffure trilobée et porte d es pendentifs à l'oreille. A sa droite, u n char à timon unique et deux roues rayonnées, tiré par deux chevaux attelés, caractéristiques de l'aristocratie locale. Les gravures cor respondent en tout point avec le matériel (lances et cha rs) retrouvé sur le site. entre l'asiatique... “ ... entr e l'Asiatique et le Noir de Nubie ” Ce que les historiens ont longtemps décrit comme une invasion de groupes sémites ou des steppes caspiennes, colonisant la Basse-Egy pte, les fameux Hyksos (Ὑκσως), était en fait une construction tardive, faite à partir de la tradition rapportée en grec par le prêtre égyptien Manéthon dans son Histoire de l ' Egypte (IIIe s. av. notre ère). En réalité, ces Heka Khasout ("chefs de pays étranger") représentaient des grou pes de population émigrées de Syrie et de Palestine, peut-être des marchands du Levant, qui avaient progre ssiv ement investi leur future capitale d'Avaris (site actuel de Tell el-Dab'a), ville portuaire du delta du Nil, et avaient finalement acquis assez de puissance pour prendre le pouvoir et régner sur la Basse-Egypte entre 1638 et 1530 (Siesse, 2019 ; Stantis et al, 2020) . Pris en sandwich entre les Hyksos au nord, et les Nubiens au sud, le pharaon Kamosis (Kames, Kamose, XVIIe dynastie, règne autour de - 1550 ) a fait inscrire sur une stèle commémorative à Karnak : "Je siège entre l'Asiatique et le Noir de Nubie" (Gabolde, 2005) , texte reproduit sur la tablette Carnavon (en bois stuqué), du nom de Lord Carnav on qui l'a découverte en 1908. Cette comparaison physique, où le pharaon se distingue d'un Nehesy (nḫsy , Nubien, et par extension, Noir, cf. plus bas) et d'un Amou (Asiatique) n'a rien d'étonnant. C'est le même regard sur la différence que portent les textes relatifs à ce sujet, ou qui est exprimé par les représentations exécutées par les artistes égyptiens des différentes races humaines, à leurs yeux, formalisées à la fin de la XVIIIe dynastie par le Livre des Portes, nous allons le voir plus loin Sous le règne d'Ahmosis (Ahmose, Amosis), premier pharaon de la XVIIIe dynastie, un simple mousse homonyme du prince, Ahmose (Ahmès), devenu par sa bravoure "combattant du souverain", deviendra riche et comblé d'honneurs. Ainsi, il put se faire bâtir une tombe (N°5) à El-Kab (près d'Esna) où il fit inscrire son autobiographie, vers 1465 avant notre ère : (cf. Lepsius, 1849-1859), Abtheilung III, Band V, Neues Reich, El Kab, Grab 5, "Puis ce fut la prise d’Avaris. J’y capturai un homme et trois femmes, soit au total quatre personnes. Sa Majesté me les donna comme esclaves. Alors on mit le siège devant (la ville de) Sharouhen pendant trois ans. Lorsque Sa Majesté la prit enfin, j’en rapportai du butin : deux femmes et une main. On m’accorda l’or de la bravoure et on me donna mes prisonnières comme esclaves. (...) Sa Majesté en fit un grand carnage. Pour ma part, j’en rapportai du butin, à savoir deux hommes vivants et trois mains. Je fus une nouvelle fois récompensé par l’or et on me donna deux femmes esclaves (...) On me donna cinq esclaves et des lopins de terre, en tout cinq aroures (4 ha ) dans ma ville. On agit semblablement pour l’ensemble des équipages. Ensuite vint cet ennemi nommé Tétian. Il avait rassemblé autour de lui des gens pleins de félonie. Sa Majesté le tua. Son entourage cessa d’exister. On me donna trois esclaves et cinq aroures (4 ha ) dans ma ville." (Ahmose, op. cité, in Rilly , 201 7a ). Esclaves pour les uns (Schulz 1995 : 336 ; Beylage 2002 : 95-96), servage pour les autres (Doranlo, 2009), cette question n'est pas tranchée, mais il s'agit bien là d'hommes et de femmes noirs que l'on capture en terre étrangère, qu'on ramène de force en Egypte, loin de leur famille, de leur pays, de leur culture, pour les soumettre à une vie de servitude. Nous sommes clairement là dans la distinction que Meillassoux a établi entre le captif, qui est une marchandise, et l'esclave qui est un moyen de production ( Meillassoux, 1986 : 325). Quand bien même les Egyptiens eux-mêmes n'y auraient pas été soumis, leurs souverains, nous l'avons vu, ont bien profité de la force de travail d' esc laves noirs de leur colonie nubienne (au moins), razziés par des chefs noirs à leur botte, pour certaines de leurs réalisations architecturales, mais aussi pour leur service personnel. D'autre part, on sait que beaucoup de paysans et d'ouvriers avaient des conditions d'existence si misérables depuis une période très reculée de l'h istoire égyptienne (cf : Egypte pharaonique, IIIe / IIe millénaire ), qu'on peut établir un parallèle étroit, comme en Europe, entre condition de servage et condition d'esclavage. S'il n'y a pas de mots précis pour désigner l'esclave, dans l'Egypte antique, il est un mot qui désigne fréquemment une condition servile : bak . Mais, derrière cette appellation se cache différentes réalités : " Ainsi, un groupe de contrats, datés entre le VIIIe et le VIe siècle avant J.-C., atteste la vente de personnes nommées bak. Normalement, ce terme se traduit par « serviteur » mais ici, ces derniers peuvent être vendus. On dispose également d'un autre texte sur une jeune femme syrienne qui faisait l'objet d'un contentieux commercial entre deux Égyptiens, dans ce qui s'apparenterait à de l'esclavage domestique. Mais cela reste très épars." ( Damien Agut-Labordière, égyptologue, interview du magazine Le Point) . Le même égyptologue évoque des ouvriers très bien payés sur le chantier de la pyramide de Khéops, ce qui signifie que les conditions d'un chantier à l'autre, d'une période à une autre (la période dynastique égyptienne couvre plusieurs millénaires), pouvaient être très différentes d'un point de vue des conditions de travail. Des découvertes archéologiques sur le site de Tell El-Amarna, dans le Cimetière des Tombes du Nord, vont aussi dans ce sens. Elles ont mis à jour à partir de frustes sépultures d'ouvriers datant du pharaon Akhenaton ( † - 1332), célèbre pour son culte unique d'une divinité solaire. Quasiment dépourvus de mobilier funéraire, les tombes ont livré des corps juste emballés d'un épais tissu. L'étude de ces 105 corps, appartenant à des enfants et des adolescents, garçons et des filles, morts très précocement, entre 7 et 25 ans pour 90% d'entre eux, a montré leur mauvaise alimentation, leur mauvaise santé, des blessures fréquentes et traumatiques, des fractures vertébrales et autres caractéristiques d'une activité pénible, avec de lourdes charges de travail, souligne l'archéologue Mary Shepperson (Les enfants ont-ils construit l’ancienne ville égyptienne d’Amarna? | | des sciences Le Gardien (theguardian.com ) . Plusieurs choses supplémentaires indiquent l'origine servile de ces enfants travailleurs : le fait qu'ils aient été séparés de leur famille, qu'ils aient été ici ou là entassés à plusieurs dans des tombes de taille individuelle, sans aucun égard, pourrait même désigner des esclaves. Rappelons que le travail des enfants a existé très tôt dans l'histoire des pauvres de tous les continents, s'est poursuivie jusqu'à une époque moderne très récente, et continue de l'être dans beaucoup d'endroits : nous avons vu dans d'autres articles son importance en Europe jusqu'au XIXe siècle. La découverte d'Amarna n'est pas sans rappeler le récit biblique du livre de l'Exode, sur Moïse et le séjour des des Hébreux en Egypte. Contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, le texte ne parle pas d'esclavage mais de corvées, de travaux pénibles que le pouvoir pharaonique leur impose. On sait que les Egyptiens de cette période du XIIe-XIe siècle ont opéré des razzias et des pillages au Levant, donc les Hébreux ont pu tout à fait faire partie de populations déplacées et asservies. Cependant, il n'existe aucun témoignage historique pour confirmer cette histoire (ni l'existence de Moïse, d'ailleurs), et la Bible, l'Ancien Testament en particulier, demeurant avant tout un ensemble de textes idéologiques. Ainsi, on ne peut que sourire à l'évocation d'un "peuple d'Israël" devenu "plus nombreux et plus puissant que l'Egypte", au point d'inquiéter son pharaon (Exode 1 : 8-9), alors qu'i l n'est mentionné qu'une seule et unique fois par des hiéroglyphes, sur une stèle de Merenptah (v. 1208), comme une des nombreuses populations contre qui l'Egypte a toujours imposé sa puissance : "Tehenu est dévastée, Kheta est pacifiée, Canaan est saisi de tous les maux, Askelon est captive, Gezer ["Guezer"] est prise, Yenoam est réduite à néant, le peuple d 'Israël ["Jezrahel"] est dévasté, mais ses récoltes ne le sont pas, Khor ["Palestine"] est devenue une veuve p our l'Egypte" (William Matthew Flinders Petrie, "Six Temples at Thebes, 1896 ", Londres, Bernard Quaritch, 15, Piccadilly, W, 1897). Revenons maintenant au regain de puissance retrouvé par les souverains égyptiens, qui, après a voir cha ssé les Hyksos du pouvoir, au nord, récupèrent progressivement l'intégrité de leur territoire et soumettent par étapes la Nubie, au sud : "La conquête égyptienne du royaume de Kouch commence véritablement avec l’un des plus illustres pharaons d u début du Nouvel Empire, Thoutmosis Ier (1496-1483 av. J.-C.). Après avoir repris les forteresses de Basse Nubie et s’être emparé de Kerma, il fonde une nouvelle ville à un kilomètre au nord de celle-ci, au lieu-dit Doukki Gel . L’emprise égyptienne sur la région du sud de la Troisième cataracte ne devient cependant effective qu’avec Thoutmosis III (1479-1424 av. J.-C.)" ( Honegger, 2004, mis sion Kerma ) . Par la suite, Thoutmosis II et III, puis la reine Hatchepsout, intègrent alors pour six cents ans le nord du Soudan actuel (Bilad-al-Soudan en arabe : "le pays des Noirs") à l'Empire des pharaons. Convoitée en particulier pour ses mines d'or de Ouaouat ou du pays de Kouch (Koush), la Nubie "exportait en outre vers l'Egypte un grand nombre de produits recherchés : des denrées agricoles, de l'ivoire, de l'ébène, de la gomme, des plumes et des œufs d'autruche, des peaux de léopards, des têtes de bétail et sans doute aussi des esclaves. Ils étaient considérés comme vassaux du pharaon qui devait régulièrement recevoir l'hommage de leur fidélité. Leurs fils étaient emmenés en Egypte (à l'origine comme otages) pour y recevoir une éducation égyptienne et un rang dans l'administration ou la noblesse de cour" (Museur, 1969). Après avoir conquis Kerma, la capitale du royaume nubien, le pharaon fait raser les deux enceintes et un pal ais du centre cérémoniel de Doukki Gel, pour y faire élever "un menenou soit une fondation royale puissamment fortifiée" (Bonnet, 201 3). C'est à cette époque que les artistes égyptiens commencent à représenter les Nubiens de manière notable, dans le cadre de leur sujétion, tributaires ou prisonniers, iconographies réalisées pour le compte de hauts dirigeants égyptiens, mais que les dirigeants nubiens, eux aussi se font représenter dans leurs tombeaux à la manière égyptienne, car la direction des différentes colonies nubiennes était toujours confiée à de hauts personnages nubiens, qui manifestaient jusque dans leur tombe leur allégeance et la glorification de l'Egypte. Ces représentations, qui soulignent des différences physiques, on va le voir, entre Egyptiens et Nubiens, existent depuis longtemps en Egypte, on citera celle de la tombe (QH 35 d, Qubbet el-Hawa) du gouverneur noir d'Eléphantine Pépi-Nakht (Pepinakht, Heqa-ib), personnage important dirigeant une province frontière de la Nubie et de l'Egypte, qui est figuré dans sa tombe avec la peau noire et les cheveux crépus, ou celle de pèlerins nubiens gravés sur des bas-reliefs de la tombe du gouverneur de l'île de Philae, le prince Haka-Ip (Museur, 1969) , deux exemples de la VIe dynastie, contemporains du pharaon Pépi II (né vers -2284), ou, plus tardives et plus connues, la représentation de princes nubiens rendant leur hommage au pharaon ou d'autres Nubiens, faits prisonniers et asservis par Horemheb, bien plus tard, à la fin de la XVIIIe dynastie ou celle, encore, des prisonniers et du tribut nubiens rapportés à Toutankhamon en bateau par le vice-roi nubien Amenothep/Houy. Tombe d'Amenhotep/Houy, (TT 40) "fils royal de Koush" à Gournet Mourraï (Gurnet Murraï , Qurnet Murai, Thèbes-ouest ) XVIIIe dynastie, règne de Toutankhamon, v. 1336-1327 Arrivée du tribut nubie n à Thèbes Les Nu biens sont reconnaissables à leur teint sombre, aux bo ucles d'oreilles et à la plume d'a utruche plantée dans la plupar t des coiffures. Houy, à la tête de la colonie nubienne d'Egypte, comme vice-roi, est tenu d'apporter le tribut dû annuellement par les peuples soumis au pharaon. Il commença sa carrière comme scribe du vice-roi Mérymosé, sous Amen hotep III (Rilly, 2017 a ) . Tombe d'Horemh eb ( KV 5 7), Saqqarah , Egypte, X VIIIe dynastie , règne de Toutankhamon v. 133 6 -1327 Musée archéologique , Bologne, Italie haut : Hommage de princes étrangers, don t Nubiens, au pharaon Toutankhamon , bas : Captifs n ubiens Horembeb était alors commandant militaire de Toutankhamon, avant de devenir le dernier pharaon de la XVIIIe dynastie (1319-1292). A chaque avance ment de carrière, il se faisait construire une tombe dans les villes emblématiques de ses succès. La scène montre un dénombrement et un enregistrement de captifs nubiens, en position assise, récemment capturés par les troupes d'Horemheb, surveillés par des gardiens menaçant les prisonniers de bâtons, Un scribe rédige un compte-rendu et une inscription précise qu'il réserve deux prisonniers pour la cour de Toutankhamon (Museo Civico archeologico di Bologna ) tableau des races merneptah Le tableau des "races" Les Egyptiens ont ensuite formalisé des types "raciaux" dans les décors de leurs tombeaux les plus prestigieux, commandités par les élites du pays. L'exemple le plus emblématique est sans doute celui qui a été initié par le texte que l'égyptologue Gaston Maspero a appelé le Livre des Portes (Nouvel Empire, vers - 1320), et qui relate le passage de l'esprit en autant d'étapes que d'heures de la nuit, et parmi elles, une procession des "quatre races" humaines entrant dans le monde des morts à la cinquième heure. Ce que les égyptologues ont appelé "table au des Nations" ou "tableau des quatre races", sera représenté dans différentes tombes des pharaons à compter de la XIXe dynastie, peint en particulier dans la tombe de Séthi Ier (1294-1279, salle D à 4 piliers, KV 17, images 1-3 ) et dans celle de son petit-fils, le pharaon Merenptah (Menephtah, Mineptah, Merneptah, v. 1269-1203, KV 8, images 4-6 ), dans la Vallée des Rois (Biban-el-Molouk, Bab el Meluk, Bîbân el-Mulûk : "Les portes des rois"), découvertes parmi d'autres par l'aventurier Giovanni Battista Belzoni (1778-1823) et illustrées dans ses Plates illustrative of the researches and operations of G. Belzoni in Egypt and Nubia , avec des lithographies de Charles Joseph Hullmandel (1789-1850), chez John Murray, Londres, 1821-1822 (planches 19, 21, 23, cf. images 4-6 ). Le même thème des races est aussi représenté dans le tombeau de Ramsès III (règne de 1186 à 1154, KV 11, images 7-8 [détail], et 9 ), toujours dans la Vallée des rois, dans la chambre F, dédiée au Livre des Portes, encore une fois. 1 2 3 7 4 5 6 8 9 Cha mpollion (1790-1832), commentera "la série des peupl es" vue lors de sa visite d e la tombe de Merneptah : "J’ai f ait également dessiner la série de peuples figurée dans un des bas-reliefs de la première salle à piliers. J’avais cru d’abord, d’a près les copies de ces bas-reliefs publiées en Angleterre, que ces quatre peuples, de race bien différente, conduits par le dieu Hôrus tenant le bâton pastoral, étaient les nations soumises au sceptre du Pharaon Ousireï [ Merenptah, NDA] ; l’étude des légendes m’a fait connaître que ce tableau a une signification plus générale. Il appartient à la 3e heure du jour, celle où le soleil commence à faire sentir toute l’ardeur de ses rayons et réchauffe toutes les contrées de notre hémisphère. On a voulu y représenter, d’après la légende même, les habitants de l’Égypte et ceux des contrées étrangères . Nous avons donc ici sous les yeux l’image des diverses races d’hommes connues des Égyptiens, et nous apprenons en même temps les grandes divisions géographiques ou ethnographiques établies à cette époque reculée. Les hommes guidés par le Pasteur des peuples, Hôrus, sont figur és au nombre de douze, mais appartenant à quatre familles bien distinctes. Les trois premiers (les plus voisins d u dieu) sont de couleur rouge sombre , taille bien proportionnée, physionomie douce, nez lég èrement aquilin, longue chevelure nattée, vêtus de blanc, et leur légende les désigne sous le nom de RÔT-EN-NE-RÔME [Roth/ Reth, NDA] la race des hommes , les hommes par excellen ce, c’est-à-dire les Égyptiens [ima g e 4] . Les trois suivants présentent un aspect bien différent : peau couleur de chair tirant sur le jaune, ou teint basané, nez fortement aquilin, barbe noire, abondante et terminée en pointe, court vêtement de couleurs variées ; ceux-ci portent le nom de NAMOU : Amous/Aamous/Amus/Aamus, NDA [image 5] . Il ne peut y avoir aucune incertitude sur la race des trois qui viennent après, ce sont des nègres ; ils sont désignés sous le nom général de NAHASI : Nehesu/ Nehesy [imag e 5]. Enfin, les trois derniers ont la teinte de peau qu e nous nommons couleur de chair, ou peau blanche de la nuance la plus délicate, le nez droit ou légèrement voussé, les yeux bleus, barbe blonde ou rousse, taille haute et très élancée, vêtus de peaux de bœuf conservant encore leur poil, véritables sauvages tatoués sur diverses parties du corps ; on les nomme TAMHOU : Tahamou/ Tahamu/ Themehou/ Themehu [imag e 6]. Je me hâtai de chercher le tableau correspondant à celui-ci dans les autres tombes royales et, en le retrouvant en effet dans plusieurs, les variations que j’y observai me convainquirent pleinement qu’on a voulu figurer ici les habitants des quatre partie du monde , selon l’ancien système égyptien, savoir : 1° les habitants de l’Égypte , qui à elle seule formait une partie du monde, d’après le très modeste usage des vieux peuples ; 2° les Asiatiques ; 3° les habitants propre s de l’Afrique, les nègres ; 4° enfin (et j’ai honte de le dire puisque notre race est la dernière et la plus s auvage de la série) les Européens qui, à ces époques reculées, il faut être juste, ne faisaient pas une trop belle figure dans ce monde." Aveu d'humilité extrêmement rare pour l'époque ! Champoll ion Le Jeune (Jean-François C.), Lettres écrites d'Egypte et de Nubie en 1828 et 1829 , Lettre 13, p. 248-249, Paris, Firmin-Didot Frères, Libraires . Européens : Ce serait plutôt des Berbères qui sont désignés ainsi, car les Egyptiens désignaient par Thnw, Tehenu/ Tehennu/ Tehenou/ Temehu/ Tjehenou. Tjemeh, les lybico-berbères dès la première dynas tie, plus connus d'eux à l'époque que les Européens, et dont le mot se composerait de "tama " : "peuple", "créature" et "hu " : "blanc", "ivoire" (Gerald Massey, Book of Beginnings, vol ll University Books , 1881, p27 ). Par ailleurs, c'est sans doute du méroïtique abore (abur : "éléphant"), que vient le mot latin "ebur ", qui a donné le français "ivoire" (Rilly, 2017 : introduction ). De so n côté, l'égyptologue Emmanuel De Rougé (1811-1872) donnera des indications intéressantes sur le sujet : "On voit, en effet, dans le tableau des races, peint dans le tombeau de Séti Ier, que la création de la race rou ge était attribuée au soleil. La déesse Pacht [ Bast, Bubastis, déesse à tête de chat, NDA] était, au contraire, la créatrice des Namous (tom beau de Séti Ier, tableau des races). La création des nègres est attribuée à un dieu représenté par un oiseau noir, et celle des hommes de la quatrième race, nommée Tamehou , semble encore revenir au soleil, autant que la rupture de la légende permet d'en juger." Mémoire sur l'inscription du tombeau d’Ahmès, chef des Nautoniers . In: Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions et belles-lettres de l'Institut de France. Première série, Sujets divers d'érudition. Tome 3, 1853. pp. 1-196 ) . On retrouvera ce thème jusque tardivement, dans le temple d'Edfou, en particulier, dans le Mythe d'Horus, traduit par Edouard Naville (Textes relatifs au mythe ďHorus, recueillis dans le temple d'Edfou , 1870) : "Dans les beaux textes d’Edfou, publiés par M. Naville, nous lisons que le bon principe, sous la forme solaire de Harmakou (Harmachis), triompha de ses adversaires dans le nome Apollinopolite [Apollinopolis Magna : Edfou, NDA] . De ceux qui échappèrent au massacre, quelques-uns émigrèrent vers le midi : ils devinrent les Kouschites ; d’autres allèrent vers le nord, ils devinrent les Amou ; une troisième colonne se dirigea vers l’occident, ils devinrent les Tamahou ; une dernière enfin vers l’est, ils devinrent les Shasou. Dans cette énumération, les Kouschites comprennent les nègres ; les Tamahou englobent la race à peau blanche du nord de l’Afrique, des îles dé la Méditerranée et de l’Europe ; parmi les Amou, comptent toutes les grandes nations de l’Asie, la Palestine, la Syrie, l’Asie Mineure, la Chaldée et l’Arabie ; les Shasou sont les nomades, les Bédouins du désert et des montagnes de l’Asie. Telle était pour les Égyptiens la division des grandes familles humaines." René Ménard (1827-1887), La vie privée des anciens (1880-1883), tome I, Les peuples dans l'antiquité, L'Egypte, I, Aperçu géographique De la même manière que les Egyptiens se distinguaient eux-mêmes des Noirs par une couleur moins foncée, qu'ils représentaient en général en rouge sombre, différents auteurs grecs ou latins préciseront eux aussi que les Egypt iens ont la peau moins foncée que les Noirs, comme Pline ou Manilius, poète latin d'origine berbère, né vers l'an 10, qui dira : Aegyptia infuscat corpora moderata, "la terre égyptienne obscurcit les corps de façon moins lourde"), en se référant aux Noirs dont il parlait précédemment, et dont il dit qu'ils "’sont desséchés par Phébus, " Phoebus Afrorum exsiccat populos " (Manilius, Astronomica 4, 723 ). Pline dira quant à lui, en parlant des Indiens (Indi ) : "Dans la zone située au midi du Gange, les peuples sont hâlés par le soleil, avec déjà le teint basané, mais non pas encore brûlé comme celui des Éthiopiens . Plus on va vers l'Indus, plus le teint est foncé " (Pline, Histoire Naturelle / Naturalis historia, 6, 70 ). Ainsi, il ne faut pas prendre à la lettre la notion variable de "noir" attachée aux citations de différents auteurs grecs, Hérodote lui même parlant une fois d'Egyptiens aussi noirs que les Colchidiens (Histoire/ Enquête, II : 104), qui ne sont pas noirs puisqu'ils sont caucasiens, vivant dans la région de l'actuelle Géorgie. D'autre part, l'historien grec n'a lui-même jamais visité de pays d'Afrique noire : "Il n’a pourtant pas visité la Nubie, son voyage en Égypte (situé vers 460 av. j.-c.) n’ayant pas dépassé Éléphantine, sur la première cataracte. Mais il prend ses informations auprès des Égyptiens, les mixant sans doute avec d’autres sources grecques, orales ou écrites, et n’hésitant pas à distordre les faits pour les rendre pittoresques ou instructifs." (Rilly, 2017e) . Sans compter que l'ensemble " du « récit éthiopien », comme souvent chez Hérodote, doit être reçu avec la plus grande précaution. Les détails qu’il livre sur l’Égypte que, selon la plupart des spécialistes, il a pourtant visitée, comportent souvent des inexactitudes, des affabulations ou des omissions étonnantes" (op. cité) . Plus proche de la réalité est la description d'Egyptiens " au visage brûlé" (aethiopes : d'où vient l'ethnonyme Aethiopia : Ethiopie) : " c'est que les Egyptiens avaient la peau foncée par rapport à la peau blanche des Grecs " (Bloch, 1903). Enfin, Hérodote, mais aussi Homère, comme beaucoup de littérateurs antiques, ne font aucune relation ent re couleur de peau et qualités morales ou humaines. Ils parlent des "Ethiopiens" " en des termes élogieux, les parant de toutes les vertus du corps et de l’esprit " (Rilly, 2017e) . Tout ce qui vient d'être exposé ici montre bien l'entreprise idéologique, afro-centriste, qu'a essayé de mener Cheikh Anta Diop pour donner un vernis scientifique à tout un discours sur une Egypte pharaoniqu e noire par laquelle, à l'instar de l'Europe et de sa culture gréco-romaine, l'Afrique aurait eu sa propre matrice culturelle : "En revanche, les traits typiquement négroïdes des pharaons Narmer, Ire dynastie, le fondateur même de la lignée des pharaons, Djeser, IIIe dynastie (avec lui tous les éléments technologiques de la civilisation égyptienne étaient déjà en place), Chéops, le constructeur même de la grande pyramide (type camerounais), Mentouhotep, le fondateur de la XIe dynastie (teint noir foncé) Sésostris, Ier, la reine Ahmosis Nefertari et Aménophis Ier montrent que toutes les classes de la société égyptienne appartenaient à la même race noire." (Cheikh Anta Diop, "Chapitre 1, Origine des anciens Egyptiens", dans Hist oire Générale de l'Afrique [tous les volumes sont disponibles en ligne en différentes langues sur le site de l'UNESCO] , volume II, Afrique ancienne, dir. Gamal Mokhtar, 1987, pp 41-74 , Editions Unesco, 8 volumes de 19 80 à 1999) . Est-ce à dire, comme on le lit souvent dans des papiers très sérieux, que le racisme ne s'est développé très tard dans l'histoire, progressivement, qu' à p artir des e xplorations du continent américain par les Européens et qu'il s'est accru sensiblement avec la colonisation européenne de l'Afriqu e ? En France, le terme de "racisme" n'est en effet apparu qu'en... 193 2 ! (Delacampa gne, 1983) . Ce n'est pas sûr, car, depuis l'antiquité, les Blancs émettent sur le physique des Noirs des jugements subjectifs allant du positif au très négatif, au point où il est permis de poser la question du racisme de manière pertinente quand, au-delà du goût personnel, l'inégalité des races y est parfois évoqué, nous le verrons plus loin. positif : cf. Properce ou Martial in Rome, De la naissance à la République . Presque neutre, pourrait- on dire, en un certain sens, est le jugement qui fait préférer les goûts culturels auxquels les individus sont habitués depuis leur naissance : nourriture, modes musicaux, manières de vivre, etc. La couleur de la peau en fait partie. Ainsi, si dans les Satires de Juvénal, les esclaves noirs ne font pas l'objet de commentaires négatifs, il " est cependant dit clairement que ce sont les esclaves blancs que l'on préfère : les pueri de luxe devaient avoir le teint blanc comme la neige, tel ce Flos Asiae qui rappelle Amazonicus, l'esclave égyptien de Flaccus, que nous a dépeint Martial. Tout au long de la poésie réaliste les esclaves de luxe sont associés à la neige, aux roses de Paestum, au cygne... " (Garrido-Hory, 197 7 ) . Commençons par un passage intéressant du Satyricon (Satiricon , III : 102) de Petrone : "Non, non! il faut chercher encore une voie de salut. Examinez à votre tour ce que j'ai conçu. Eumolpus, étant curieux de lettres, possède manifestement une provision d'encre. Muons notre couleur avec ce topique; atramentons-nous, des ongles aux cheveux. Ainsi, comme des esclaves Æthiopès nous ferons figure près de toi, hilares d'éviter l'affront et les géhennes, si bien que, grâce au changement de teint, nous en imposerons à nos ennemis. — Malin, va! dit Giton. Il faut pareillement nous circoncire de telle sorte que nous ayons l'air de Juifs, nous trouer les oreilles en imitation des Arabes et nous passer la margoulette au blanc de craie afin que les Gaules nous regardent comme leurs naturels. Comme si la pigmentation de la peau à elle seule modifiait le type du visage ! Comme s'il ne fallait pas le concours de nombreuses choses pour maintenir l'imposture avec une ombre de raison! Mais je veux que ton infâme drogue dure longtemps sur notre face. Admettons que nulle aspersion d'eau ne vienne faire tache sur quelque partie de notre corps ; admettons que l'encre n'adhère pas à nos effets, ce qui arrive communément, lors même qu'elle n'est pas agglutinée avec de la colle. Et puis, après ? comment tuméfier nos lèvres en bourrelets effrayants, calamistrer nos cheveux à l'instar des nègres ? Comment labourer nos fronts de tatouages, tordre nos jambes en cerceaux, poser les talons à terre et présenter des barbes à la mode pérégrine ? Cette couleur, fabriquée par l'art, coïnqui ne le corps, ne le change point. Ecoutez ce qui vient à l'esprit du désespéré: nouons un vêtement autour de nos chefs, ensuite, immergeons-no us dans la profonde mer." Petrone, Satyricon , t raduction Laurent Tailhade (Paris, L. Conard, 1910), nouvelle édition illustrée de J. E Laboureur, Paris, Editions de la Sirène, 1922. Chez Juvénal, le problème du dégoût, du rejet de la peau noire est manifeste. Ainsi, les " Éthiopiens entrent dans des énumérations et des réseaux d'associations et d'oppositions où ils sont assimilés à des individus ca gneux, à des êtres disgracieux, à des animaux, tandis qu’ils sont opposés à Labyrtas, beau comme Cupidon, à un homme bien fait, de couleur blanche, au géant Atlas, à un cygne, à la déesse Europe etc. Éthiopien signifie donc noir dans l’esprit de Juvénal : Sat. II, 23 (à partir du grec aethiopes , "complètement brûlés"). Leur couleur noire fascine et repousse et ils sont présentés comme des êtres inférieurs, sans toutefois que cela s’accompagne d’une connotation morale. " (Garrido-Hory, 197 7 ) . On peut se demander si un tel jugement n'entre pas dans le domaine du racisme, puisqu'on considère des individus à peau blanche supérieurs à d'autres de peau foncée. Si cette détestation d'une particularité physique ne donne pas lieu à un jugement général, ni sur une personne et encore moins à une communauté entière, elle fait bien partie d'une forme primitive de racisme, la xénophobie, sorte de peur, de rejet de ce qui est autre, de ce qui est différent des traits physiques ou culturels qui nous caractérisent. Par ailleurs, comment ne pas parler de racisme quand on considère sa patrie supérieure à d'autres, par la culture ou par le sang, comme les Grecs et les Romains face aux "Barbares" ou se revendiquant de telle ou telle lignée ou "race" par le fait supposé que le sang commun a conservé une pureté et charrié leurs qualités génération après génération (cf. Athènes, une parodie de démocratie ). Sans parler des préjugés raciaux, rattachant des qualités ou des défauts à tel ou tel peuple, imputés par exemple, au climat : "Ici viennent les fait qui dépendent de ces influences célestes. Les Ethiopiens sont, en raison de la proximité, brûlés par la chaleur du soleil. Ils naissent comme s'ils avaient été soumis à l'action du feu; leur barbe et leurs cheveux sont crépus. Dans la place opposée, dans la zone glaciale, les habitants ont la peau blanche, une longue chevelure blonde. La rigueur du climat rend farouches les peuples du nord; la mobilité de l'air rend stupides ceux de la zone torride. La conformation des jambes mêmes montre chez les uns l'action de la chaleur, qui appelle les sucs dans les parties supérieures; chez les autres, l'afflux des liquides tombant dans les parties inférieures. Au nord, des bêtes pesantes; au midi, des animaux de formes variées, surtout parmi les oiseaux, qui offrent toutes sortes de figures. Des deux côtés la taille des habitants est haute, ici par l'action des feux, là par l'abondance des liquides. Dans l'espace intermédiaire la température est salubre ; le sol est propre à toutes les productions; la taille est médiocre; la couleur même de la peau présente un juste mélange; les mœurs sont douces, les sens pénétrants, l'intelligence féconde, et capable d'embrasser la nature entière. Ce sont ces peuples qui ont l'empire ; les nations des zones extrêmes ne l'ont jamais eu. Il est vrai qu'elles n'ont pas non plus été assujetties par eux ; mais, détachées du reste du genre humain, elles vivent solitaires sous la nature inexorable qui les accable." Pline l'Ancien (23-79), Histoire Naturelle, Livre II , LXXX, traduction par Emile Littré, Dubochet, Le Chevalier et Cie, 1848. Pour terminer sur le sujet, c ontrairem ent à ce qu'ont pu affirmer certains ethnogénistes du passé, comme Volney (Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, comte Volney, 1757-1820) ou, plus près de nous, l'historien sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986), les études d'anthropologie biologique effectuées depuis la découverte des marqueurs génétiques des groupes sanguins par Lansteiner (1900-1901) ont largement infirmé les thèses de l'origine "négroïde" des Egyptiens (cf. Boëtsch, 1995). Ces premières études véritablement scientifiques sur l'origine des Egyptiens ont confirmé que, comme l 'immense majorité des autres populations du monde, la population égyptienne d'aujourd'hui est issue de divers métissages et a conclu à une conservation remarquablement constante de son patrimoine génétique commun , au moins jusqu'à l'époque romaine. Ces premières études avaient conclu que les éléments "négroïdes" de la composition génétique des populations égyptiennes sont assez négligeables dans l'ensemble (Wiercinski, 1958, in Boëtsch, op. cité ; Michalski, 1964), qui présentent plutôt des apports "berbères" (21 %), "méditerranéens" (19 %) et "orientaux" (17 %), et dans une moindre mesure "nordiques", fait de métissages égéens ou encore des éléments "arménoïdes" (Michalski, op. cité) . W iercinski va dans le même sens en montrant "l'importance des influences hamitique, méditerranéenne, orientale et arménienne, avec de surcroit, la présence d'éléments morphologiques provenant d'une « race jaune » qu'il faisait venir de la partie ouest de l'Asie centrale" (Wercinski, op. cité). En mai 2017, la prestigieuse revue Nature publiait une étude importante effectuée par une équipe internationale de chercheurs, dirigés par la paléogénéticienne Verena J. Schuenemann et le bio-informaticien Alex Peltzer, réunis par l'Institut Max-Planck et l'université de Tübingen en Allemagne, sur l'ADN mitochondrial de 90 momies parmi les 151 retrouvées en Moyenne Egypte, dans la région du Fayum (Fayoum), sur le site d'Abousir el-Meleq, datant de 1388 avant notre ère à 426 après J.-C (cf. l'article de la revue Nature : " Ancient Egyptian mummy genomes..." ). Cette étude a confirmé avec plus de certitude encore la grande proximité génétique des Egyptiens avec les populations du Moyen-Orient. Jusqu'à la période romaine, c'est-à-dire presque la fin de la période pharaonique de l'Egypte, le patrimoine africain ne représentait qu'environ 6 à 15% du patrimoine génétique égyptien, mais, élément nouveau, il s'est accru ensuite jusqu'à représenter entre 14 et 21 % de celui-ci, en particulier, pensent les scientifiques, par les relations commerciales intenses avec l'Afrique subsaharienne et la traite accrue des esclaves. Pendant la XIXe dynastie (vers 1296-1186), la construction du grand temple pharaonique d'Abou Simbel, dans la Basse-Nubie, a été supervisée comme beaucoup d'autres chantiers royaux, par les vice-rois de Nubie , pour le compte de Séthi Ier et Ramsès II. Les dignitaires nubiens utilisaient largement les esclaves pour ces constructions, ce qui nous ramène à la connivence récurrente entre élites de pays et de cultures différentes, fussent-elles dans une relation de pouvoir et de soumission, puisque les élites soumises restent chez eux puissants er riches et ont une relation privilégiée avec les puissances conquérantes : "La relative proximité de la Basse-Nubie permettait d’acheminer plus facilement de la main-d’œuvre depuis l’Égypte, car le recrutement local ne suffisait pas. On sait en effet qu’en l’an 44 du règne le vice-roi Sétaou lança des expéditions contre les oasis du désert occidental et contre les pays d’Irem et d’Akita, deux régions situées sur les marches de Koush, pour se procurer des esclaves destinés à la construction du temple de Ouadi es-Seboua" (Rilly, 20 1 7 a ). Ainsi, avant d'être mêlé à l'esclavage issu du commerce que les Arabes vont développer, par la traite orientale (du latin tractatus , "traîner avec violence"), qui elle-même précède de plusieurs siècles la traite atlantique des Européens entre le XVe et le XIXe siècles, l'esclavage africain fait d'abord partie de l'histoire des peuples africains eux-mêmes (Diop, 1972 ; Meillassoux, 1986) , et il est principalement de deux sortes : l'esclavage de guerre ou l'e s clavage pour dette ( Testard, 2001) , A l'i nstar d'autres systèmes esclavagistes, l'esclavage africain connaissait aussi un degré de sophistication et de violence propre à asservir les individus, dont l'ethnologie rendra compte, nous le verrons plus tard pour la période moderne, au travers de l'enquête, la tradition orale, en particulier, étant témoin d'une très longue histoire de l'asservissement en Afrique. Dans de nombreuses sociétés du continent, on mettait en esclavage des personnes qui avaient perpétré des crimes ou des délits, mais aussi des prisonniers, des captifs de guerres inter-ethniques ou de simples razzias, qui pouvaient être vendus comme de simples marchandises, de la même manière que les métaux ou autres denrées précieuses. On peut aller razzier des esclaves à plus de mille kilomètres de chez soi, les arracher à leur famille et plus la distance les éloigne de leur lieu d'existence, plus aisément s'opèrent les phases de déshumanisation, de dépersonnalisation de l'individu, à qui on ôte tout ce qui, dans les sociétés africaines ou ailleurs, constituent alors le socle social d'une personne, pour faire de l'individu une propriété impersonnelle, une marchandise comme une autr e, et en Afrique particulièrement, de manière assez générale, son appartenance à une lignée, son ratt achement à une généalogie d'ancêtres, à un nom propre (Meillassoux 1975 ; 1986) : " Faute d’ancê tres, faute de propriété, faute de nom, l’esclave n’a pas de parole et donc de voix délibérative (...) Dépourvu de la parole vra ie, celle des adultes libres, l’esclave n’émet que des propos domestiques, semblables à ceux des enfants et des femmes. " ( Memel-Fotê, in Henriques et Sala-Molins, 2002 ) "Les diverses situations d’esclavage observées en Afrique noire à travers les données des époques modernes et contemporaines paraissent hétérogènes, allant du provisoire au permanent, de la dépendance totale à l’exercice d’un pouvoir important. Mais, à la différence peut-être d’autres espaces culturels, l’origine de l’esclave semble peu compter dans la définition de son régime juridique : qu’il soit prisonnier de guerre, victime de rapt ou de razzia, personne objet d’une peine pénale, ou objet « d’échange » (pour cause de dette, par exemple), descendant d’esclave, chacun peut devenir esclave « de case » (domestique), esclave de plantation ou de mine, esclave royal ou enfin marchandise d’exportation (esclave de traite). Seule exception, les e sclaves de « caste » des mondes mandé et peul dont le statut d’essence « collective » – lignagère ou clanique – interroge toujours aujourd’hui en Mauritanie et en Sénégambie" (de Lespinay, 2012) Majhemout Diop, étudiant les sociétés précoloniales du Mali et du Sénégal, souligne par exemple que la structure des castes sociales se fonde en tout premier lieu sur une dichotomie radicale entre maîtres et esclaves (Diop, 1972 ) . Un autre chercheur africain, le Gabonais Laurent-Marie Biffot, affirme quant à lui : "La vassalisation des Pygmées est un phénomène très ancien non seulement du nord-est du Gabon m ais du Gabon tout entier. D'aucuns peuvent y voir une conséquence de la traite des nègres ; nous pensons plutôt qu'elle correspond à une des tendances les plus profondes de l'être humain" (Biffot, 1977 ) . Comme d'autres populations a fricaines, nous le verrons, les Pygmées, sont toujours considérés au XXIe siècle comme des esclaves par d'autres communautés africaine, en l'occurrence, bantoue. , car au sein de certaine s communautés, l'esclavage n'a pas disparu mais s'est adapté aux évolutions de la société. Il n'y a donc aucune raison pour que ne se soit pas établi, depuis un temps très ancien, des rapports de commerce ou de sujétion entre esclavagistes africains eux-mêmes ou entre eux et les esclavagistes étrangers, tous poss édant des intérêts communs à faire fructifier le commerce d'esclaves. Ce qui fera dire à l'anthropologue et économiste sénégalais Tidiane N’Diaye que "la complicité de certains monarques et leurs auxiliaires africa ins dans ce commerce criminel est une donnée objective" ( Interview de Phillipe Triay pour France infotv.fr, Portail des Outre-Mer, 7 mai 2015). Dans son ouvrage de référence sur le sujet, l'historien Paul Lovejoy affirmera quant à lui : "l’Afrique est intimement liée à l’histoire de l’esclavage" (P. Lovejoy, Une histoire de l’esclavage en Afrique – Mutations et transformations (XIVe-XXe siècles) , Editions Karthala, collection "esclavages", 2017) . Temple de Beit-el-Wali (Ouali) Ce temple creusé dans la roche (dit "spéos"), est le premier consacré par Ramsès II en Nubie, au sud de la 1e cataracte. vers - 1279 - 1213 Dans la cour du temple de grands pans de mur célèbrent en relief la victoire de Ramsès II sur les pays étrangers qui le menaçaient. Ces scènes sont reprises sous forme de fresque à l'intérieur du sanctuaire mais celles-ci ont été abîmées lors des moulages effectués par l'égyptologue Robert Hay et l'architecte et dessinateur Joseph Bonomi en 1825, réalisés pour le British Museum de Londres. Ce sont ces copies qui permettent d'admirer au mieux un certain nombre de peintures du temple aujourd'hui. " Après les phases de batailles et de victoires, les ennemis se soumettent , rendent hommage au vainqueur et lui remettent de riches tributs. Les Nubiens apportent au pharaon "deux girafes, un lion, des panthères, un oryx, une gazelle, des taureaux, mais aussi des matériaux tels que l’or, l’ivoire de défenses d’éléphants, des billes d’ébène, des peaux de félins, des plumes d’autruches et, enfin, des produits manufacturés comme des chaises en ébène à usage royal en raison du sema-taouy* sculpté en à-jour entre les pieds ." (Bruwier, 2007) *Sema-taouy , "celui qui réunit des Deux-Terres", par le double lien du Nil, enroulé autour du lotus et du papyrus. Modèle iconographique de victoire pharaonique très utilisé par les artistes égyptiens, comme sur le superbe coffre en bois stuqué et peint du trésor de Toutankhamon (H 44 x L 61 x l 43 cm), exposé au Musée égyptien du Caire, qui célèbre ses victoires sur ses ennemis, en particulier les Asiatiques (sur le devant du coffre) et sur les Nubiens du pays de Koush,, désignée par "Koush la misérable", ainsi que leurs alliés au teint clair (sur un côté du coffre) Ramsès II poursuit et écrase les Nubiens Ramsès II tue un Lybien avec une sorte de serpe Ramsès II empoigne un Syrien par les cheveux Ramsès II poursuit les Bédouins Ramsès triomphe des ennemis du Nord Ramsès II reçoit le prince consort et des officiers, accompagnés de prisonniers dessins de John Foster , in "The Beit El-Wali Temple of Ramesses II", d 'Herbert Ricke, Georges R. Hughes et Edward F. Wente , The University of Chicago Oriental Institute Nubian Expedition, Vol I, 1960/61. https://oi.uchicago.edu/sites/oi.uchicago.edu/files/uploads/shared/docs/oine1.pdf pharaons noirs La XXVe dynastie des pharaons noirs (- 732 - 664) "Djebel Barka" surplombant Napata, aquarelle de Jean-Claude Golvin , Université Bordeaux III Après avoir été très longtemps soumis à l'Egypte, le royaume kouchite de Napata, du nom de sa capitale, finira par acquérir une puissance importante autour de la 4e cataracte du Nil et de son axe sacré, le Djebel/Gebel Barkal ("Montagne pure"), que les Egyptiens considéraient comme une des résidences du dieu Amon (R illy, 20 17 a). Cette force lui permettra d'envahir une Egypte au contrair e affaiblie par des troubles internes et la menace assyrienne (Honegger, 2004, mission Kerma ). Ainsi naît la XXVe dynastie d'Egypte (v. 732-664), qui verra se succéder cinq pharaons noirs en un temps très court d'une soixantaine d'années, après lequel ils devront abandonner le pays aux conquérants Assyriens. De même que les plus hauts personnages de la Nubie colonisée se faisaient enterrer comme les dignitaires égyptiens, les pharaons noirs demeureront fascinés par la culture du colonisateur. Si on en croit l'archéologue hongrois László Török (1941-2020), grand spécialiste de la Nubie et de l'Egypte pharaonique, il faut faire remonter les débuts de la dynastie napatéenne vers - 995, sous la XXIe dynastie égyptienne, par une version longue des faits, ce qui expliquerait "l'importante égyptianisation de la culture napatéenne dès ses origines" (Rilly, 2017b ). Mais la version courte, préférée par Reisner et reprise par l'archéologue américain Timothy Kendall ne change pas le substrat de la domination, la marque idéologique profonde imprimée par la culture égyptienne sur la culture nubienne. Dans ce cas, la fuite des prêtres d'Amon en pays de Koush, suite aux révoltes survenues par la nomination du prince Osorkon en tant que grand-prêtre (- 839 - 825), aurait entraîné une forte emprise de la religion égyptienne sur la dynastie napatéenne. Argument de taille : Dans les tombes des tout premiers (et obscurs) souverains de Napata ont été retrouvés du matériel de l'époque ramesside. Cependant, les premières pyramides de la nécropole royale d'El-Kourrou ( El-Kurru ) ne sont pas des répliqu es des pyramides pharaoniques égyptiennes (les pharaons avaient abandonné l'usage des pyramides pour des tombes entièrement souterraines depuis sept siècles), mais plutôt inspirées de celles des administrateurs égyptiens ou nubiens de Wawat ou de Kouch à Aniba, Soleb, Amara ou Tombos, en particulier. D'autre part, ce sont plutôt des formes hybrides que les Nubiens utiliseront, des tumulus de briques recouverts d'une structure pyramidale (Ri lly , 2 017b ). Par ailleurs, ce contexte de culture dominée-dominante n'est connu, comme pour toutes les sociétés hiérarchisées pendant des millénaires, qu'à travers le prisme des classes socialement supérieures, qui seules impriment leur marque sur les témoignages historiques que nous possédons : ce sont par elles, de manière écrasante, qu'archéologues et historiens reconstituent l'histoire, au moyen de textes et d'œuvres d'art réalisés pour des rois, des reines, princes ou princesses, et autres grands notables. László Török a pu ainsi montrer que si les élites donnaient à leurs enfants une éducation et des noms égyptiens, les classes moyennes et pauvres faisaient perdurer leurs coutumes indigènes, leurs propres structures et rituels d'inhumation (Török, 1997), comportements sociaux que nous retrouvons un peu partout sur la planète, où les élites, fascinés par les signes de puissance, de richesse ou de pouvoir, s'approprient bon nombre de traits qu'ils reconnaissent faire partie d'un degré supérieur de culture, fût-elle celle de nations ennemies, dont les élites sont souvent des partenaires, rappelons-le : que l'on songe à l'élite gauloise ou numide face à la puissance romaine, ou encore à l'élite japonaise devant le prestige et l'ancienneté de la culture chinoise, ou plus près de nous aux intellectuels des Lumières devant la nouvelle puissance économique et financière de l'Angleterre, parmi de très nombreux exemples. Revenons maintenant aux rois napatéens. Les premier d'entre eux, Alara (- 795-775 ?), aurait déjà, d'après l'avant-dernier pharaon noir, Taharqo / Taharqa, passé alliance avec Amon de Kawa, la deuxième grande cité après Napata (cf. car te de Nubie ). Le second, Kashta ("le Koushite" en langue méroïtique ancienne), se déclare vers 750 un peu vite "roi de Haute et Basse-Egypte" et "Fils de Rê des Deux Terres" selon la tradition égyptienne. Certes, c'est un roitelet puissant, soutenu par une grande partie du clergé d'Amon de Thèbes, mais plusieurs rois se revendiquent encore pharaons dans la Basse-Egypte. Il fait ré sonner par son nom la fierté de Koush en réponse au mépris séculaire de l'Egypte envers Koush la "misérable" (ẖs.t ), dont l'archéologue Paul Vercoutter (1911-2000) aura mis en garde sur ce qu'il considère être une méprise courante, à savoir le dénigrement récurrent de Kouch par un sentiment de supériorité égyptien. Certes, nous l'avons évoqué, le pouvoir égyptien avait forgé depuis longtemps l'idée d'une Egypte supérieure aux autres peuples, choisie par les dieux, mais une connaissance désormais plus affinée de la longue histoire nubienne ne devait plus, selon Vercoutter, cacher l'importance de la Nubie dans l'économie antique de la région (Vercoutter, 1970) : "Selon lui, on aurait par le passé sous-évalué la population antique de la Nubie. En effet, les terres de cette région étaient en mesure de nourrir une population très nombreuse, les espaces fertiles ne manquant pas au sud d’Assouan. La diversité dans les modes de vie a aussi pu augmenter le potentiel de peuplement des terres : « elles peuvent d’autant mieux suffire à nourrir une population considérable que celle-ci demeure pastorale autant qu’agricole ». La déforestation fut selon lui un facteur important expliquant la transformation de la Nubie en territoire hostile. Les Nubiens, décrits comme des ennemis « misérabl es » par les Égyptiens, étaient donc plus dangereux et puissants qu’on a bien pu l’admettre par le passé. C’était selon lui la peur qui motivait ce mépris" (Labonté, 1970). Pourtant, un certain nombre de faits, dont la plupart ont été exposés plus haut, peuvent venir à l'appui d'une Egypte longtemps très puissante et dominatrice et imposant sa loi à sa colonie nubienne : Les tributs nubiens, les exigences diverses et variées (comme les captures de prisonniers nubiens), les témoignages multiples d'inféodation vis-à-vis des gouverneurs nubiens, mais aussi les forts édifiés sur les rives du Nil, dont le nombre et la puissante architecture, sans parler de toutes les preuves de continuels conflits, font fortement douter de la thèse de William Y. Adams, qui prétend qu'ils n'étaient pas là par crainte des invasions nubiennes, mais pour contrôler le commerce (Adams, 1984) . En tout cas, la connaissance de la culture de Kerma, aux étages de plus en plus sophistiqués et structurés ne semble plus en adéquation avec une vision archaïque d'une Nubie sortie tout juste du néolithique. Par ailleurs, Török a bien montré que la colonisation de la Nubie n'avait rien à voir avec les colonisations modernes de l'Afrique. Pas de système colonial, pas d'acculturation profonde de l'ensemble de la population, l'Egypte n'aurait même pas visé, selon lui, une exploitation à tout crin des ressources naturelles (Török, 1997). C'est un dieu du haut du panthéon égyptien, Amon, qui devient le dieu principal de Napata, mais au dieu à tête humaine égyptien, coiffé d'un mortier portant deux grandes plumes, sera ajouté une autre hypostase attachée au pays de Kouch, un dieu à tête de bélier : Amon à tête de bélier Enseigne divine frappée du cartouche royal du dernier pharaon de la XXVe dynastie Tanoutamon (Tanouétamani, Tanwetamani, Amani étant le nom nubien d'Amon), dont le nom de couronnement est Ba-ka-Rê , "le Bélier est l’âme de Rê". On remarquera le disque solaire, un double uraeus (cobras de protection royale, se rapportant aux deux nations symboliquement imbriquées : La Nubie et l'Egypte), et le collier ousekh ( wsk : "large" ), un collier l arge à plusieurs rangs (souvent 9 dans les monuments funéraires) porté par les élites égyptiennes. Djebel Barkal, Soudan alliage de cuivre H. 17 x L. 9.6 x P. 6.8 cm Règne du dernier pharaon noir, Tanoutamon, v ers - 664 - 656 Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes Autre démarcation, la tradition de succession matrilinéaire s'oppose à celle, patrilinéaire de l'Egypte, de telle sorte que les prétendants au trône étaient recherchés dans un groupe de prétendants d'ascendance maternelle royale, choix pour lequel le clergé d'Amon et parfois les généraux avaient leur mot à dire, ce qui sous-entend un réseau de pouvoir au sein des élites. Ainsi, les femmes, à défaut de régner, avaient un grand pouvoir d'influence : " Un personnage clé dans cette période de transition est la divine adoratrice Aménirdis Ire. Fille de Kachta, elle a été adoptée par Chépénoupet Ire, fille d’Osorkon III et dernière adoratrice du dieu de la dynastie libyenne de Thèbes. On sait que le poste d’épouse divine et d’adoratrice d’Amon thébain se transmettait ainsi par adoption. Il ne fait guère de doute que l’adoption d’Aménirdis joua un rôle important dans l’affirmation du pouvoir kouchite à Thèbes, exactement comme l’adoption de Nitocris fille de Psammétique Ier permit un siècle plus tard au roi saïte de s’imposer dans le sud " ( Payrau deau , 2014a) . Il n'empêche, la Nubie, molestée par l'Egypte depuis des siècles n'avait cessé de prendre l'Egypte comme modèle, du moins ses élites. Image forte de cette profonde acculturation de l'ancien dominé par son ancien dominant que celle du roi Piankhy (Piye, Peye, fils de Kashta, règne vers - 744-714), premier conquérant nubien des Deux-Terres, mais pas de manière absolue car les roitelets du Delta lui rendent hommage tout en exerçant leur pouvoir. Piankhy fait transporter du temple de Soleb à celui de Djebel Barkal dix statues, dont celle du bélier d'Amon, au corps de granit, protégeant Aménophis III, "qui ont déjà plus de 700 ans et qui pèsent quatre tonnes. Il les fait ramener non pas pour décorer, mais pour habiter théologiquement et religieusement les bâtiments qu’il construit" (Vincent Rondot, commissaire de l'exposition "Pharaon des deux terres", interview pour Franceinfo, 28/4/2022) . Il est éviden t que les rois de Napata, embellissant le complexe religieux de Karnak, s'assurent d'un appui important dans leur politique égyptienne, mais c'est d'abord un projet civilisationnel qu'ils entreprennent, unissant le pouvoir kouchite à la puissance religieuse égyptienne. Dès le règne de Piankhy, la floraison de littérature égyptienne est le témoin d'une présence de scribes et d'artistes égyptiens à Napata. Signalons en passant que Piankhy (comme les autres souverains napatéens) épousera plusieurs de ses soeurs (Peksater, Kensa, Neferou-ka-Kashta et Abala, mère de Taharqo), comme le faisaient les pharaons égyptiens, " pour sécuriser les droits de leur progéniture " (Rilly, 2017b) . Par ailleurs, alors que Piankhy, comme ses successeurs, glorifie la puissance de Koush par un nom d'origine ancestrale, il d onne un nom égyptien à sa fille Moutiretrê Hen outnéférou (« Mout œil de Rê, dame de la perfection »), qui deviendra divine adoratrice d'Amon sous le nom de Chépénoupet II, durant les règnes de Taharqo et jusqu’à l’an 9 de Psammétique Ier, qui inaugurera la XXVIe dynastie, dite "saïte". On a là un bon exemple de cette double appartenance caractéristique de la nouvelle culture napatéenne. C o mme de très nombreuses constructions idéologiques de la ploutocratie, et des classes sociales dom inantes en général, pendant des millénaires, le discours de la stèle triomphal e dite "stèle de la Victoire de Piankhy, qui célèbre sa victoire sur l'Egypte en l'an 21 de son règne, efface tout du long le commun au profit de l'homme supérieur en qui coule la force divine et, par un renversement complet, attribue la vigueur des combattants à sa propre force , et le fruit du labeur des travailleurs à sa générosité, à sa grandeur : " C'est ton nom qui fait notre force, ton conseil amène ton armée au port. Ton pain est dans nos ventres sur tous les chemins, ta bière étanche notre soif. " ( passages traduits de la stèle, cf. Villes de l'âge du bronze | Piyé proclame ses victoires sur la Basse-Égypte (bronze-age-towns.com ) . Cette formule est à rapprocher de toutes celles qui, dans l'histoire des civilisations, affirment le prince, l'aristocrate, grands dispensateurs de vie et de prospérité sans lesquels le peuple serait incapable d'exister et retomberait dans un état de chaos et de déréliction. Sphinx de Chepenoupet II Divine adoratrice d'Amon Fille de Piankhy XXVe dynastie d'Eg ypte vers -- 710 - 650 H 46 x L 83 x l 25 cm Musée égyptien et collection de papyrus de Berlin (Ägypt isches Museum und Papyrussammlung ) Etui de Chépénoupet II (recto et verso) Temple d'Osiris Padiankh, Thèbes bronze incrusté d'or, d'ar gent, d'électrum et ivoire H 1 4.2 x L 7.6 cm x P 2.8 cm XXVe dynastie , vers - 780 -656 Musée d u Louvre, Département des Antiquité s égyptiennes, E 10814 Au recto, scène d'adoration, de musique, avec, de droite à gauche, la divine adoratrice portant la perruque tripartite à double plume, jouant du sistre ; Amon , revêtu d'un pagne et d'un corselet, couronné, tient un sceptre royal ouas ; Mout, parèdre du dieu Amon et mère du dieu lunaire K hon sou (Khonsu, et symboliquement de tous les dieux), qui se tient derrière elle, coiffée d'une couronne pschent, double couronne symbolisant les Deux-Terres, la mitre rouge pou r la B asse-Egypte, la blanche pour la Haute-Egypte. Khonsou, dieu à tête de faucon, porte un pagne et un corselet et tient, lui aussi, un sceptre ouas . Au vers o, protection d'Horus par son œil oudjat (udjat ) collections du Musée du Louvre Nu l dési r de venger des siècles d'humiliation chez le premier vainqueur nubien des Deux-Terres, réunies pour une nouvelle entité double, Koush-Egypte. Les hiéroglyphes d e la "stèle d e la Victoire" parlent bien, cependant, d'un r o i qui assiège les villes égyptiennes de manière impitoyable (" Plusieurs jours passèrent et le Nome du Lièvre (Hermopolis) se mit à offenser les narines, tant son odeur s’était corrompue. "), et accumule à chaque victoire des butins considérables : " Il fit sa soumission devant sa Majesté : « Sois apaisé, Horus, seigneur du palais. Ta puissance a agi sur moi. Je ne suis qu’un des serviteurs royaux qui comptent les impôts pour ton trésor (lacune), mais je te donne plus qu’eux. » Alors il offrit de l’argent et de l’or, du lapis-lazuli et de la turquoise, du bronze et des pierres précieuses de toute sorte, remplissant le trésor de ce tribut. Il amena un cheval de sa main droite, sa main gauche tenant un sistre d’or et de lapis-lazuli" (Stèle de la Victoire, in Rilly, 20 17b) Stèle de la Victoire Stèle triomphale de Piankhy , Stèle de l'an 21 recto granit / vers - 723 H 184 x L 180 x P 43 cm Musée égyptien d u Cai r e Je 48862 et 47086-47089 Mais une partie de ces richesses captées par le conquérant nubien sera reversée par le nouveau souverain magnanime... au temple d'Amon à Thèbes. Tout du long de ce récit, c'est une adhésion totale aux croyances et aux rites égyptiens que signifie le conquérant, qui, dans chaque ville conquise, manifeste sa piété envers les dieux locaux. C'est Shabatako (Chabataka, vers 714-705), fils aîné de Piankhy, qui permet aux Koushites de conquérir la Basse-Egypte, en 712, et devient peut-être le véritable fondateur de la XXVe dynastie ( Payrau deau , 2014a) , élimin ant par la même occasion B occhoris (règne de 718-712), dernier pharaon de la XXIVe dynastie. Passons sur la première grande frayeur de la toute nouvelle dynastie , qu'est la grande offensive du roi d'Assyrie, Sennachérib, vers 705, contre la Palestine et la Phénicie, qui demanderont de l'aide à Shabataqo, quand bien même ce dernier avait extradé, du temps de Sargon II, en 707, le prince Yamani, enchaîné, vers l'Assyrie, alors qu'il lui avait offert l'asile, cinq ans plus tôt, quand il avait cherché à fédérer les Etats de la région contre le puissant envahisseur assyrien. Shabatako enverra alors une coalition égypto-kouchite, à la tête de laquelle se trouvait le jeune Taharqo, fils de Piankhy. Cette armée aurait été battue (selon les sources assyriennes) à Eltekeh, entre Ashdod et Jérusalem. Heureusement, l'Assyrien ne poursuivit pas sa campagne guerrière et rebroussa chemin, peut-être à cause de révoltes en Babylonie, région autrement plus stratégique pour lui que l'Egypte (Rilly, 2017b). C'est le premier souverain nubien d'Egypte qui établit sa résidence à Memphis, en pays conquis : ce qui confirme cette fusion particulière qu'opère les pharaons noirs avec leurs anciens maîtres. On comprend pourquoi l'historien et grand-prêtre d'Héliopolis, Manéthon de Sébennytos, source importante de notre connaissance sur la chronologie des dynasties pharaoniques (écrite en grec vers - 250), fait de lui le premier pharaon des Deux-Terres. S habaqo (Shabaqa / Chabaka, règne vers 705-690), frère de Piankhy, aurait usurpé le trône à la mort de son neveu Shabataqo (Chabataka, vers 713-705), fils aîné de Piankhy, et là encore, le nom du prince s'inscrit dans la culture méroïtique, où Shebo (Sébiouméker, pour les Egyptiens, voir plus bas) est le nom d'une divinité nubienne. Pourtant, ses grandes réalisations architecturales prirent forme en Egypte (surtout à Thèbes), " alors que son cartouche en Nubie n’est guère attesté qu’à Kawa et à Kerma/Doukki Gel. " (Rilly , 2017b) . Nous voyons là encore que la conquête de l'Egypte par les Nubiens n'avaient rien d'une simple colonisation. Shabaqo ne plonge pas dans l'histoire de la Nubie pour lui donner la première place, comme le font le plus souvent les grands colonisateurs. Ses choix montrent qu'il a, comme ses successeurs, étudié de près l'histoire égyptienne et c'est un mouvement archaïsant qu'entament avec lui les pharaons noirs, qui l'insufflent à différents domaines culturels : sculpture, décoration, littérature, surtout (op. cité) . Les pharaons noirs sont si admiratifs de la culture égyptienne qu'ils vont construire tout un mythe autour d'une civilisation égy ptienne engendrée par la Nubie. Ont été ainsi réécrits certains passages du fameux Livre des Morts, qui se compose de formules magico-religieuses censées accompagner le mieux possible le défunt dans son long cheminement vers l’au-delà (premiers fragments connus de papyrus datés d'environ - 1650). La demeure originelle du dieu Amon devient le Djebel Barkal, et différentes formules magiques traduites du méroïtique ancien ont été rajoutées. Plus qu'une propagande pour légitimer les rois koushites sur le trône d'Egypte, il faut peut-être y voir une tentative du clergé de Thèbes lui même de réécrire l'histoire à travers les nouveaux vainqueurs, puisque cette tradition perdurera bien après la disparition de la dynastie des pharaons noirs (op. cité) , ce qui montre encore une fois que la couleur de peau, pour ces peuples antiques, ne faisait pas partie de leurs enjeux idéologiques. Cependant, on remarquera que la physionomie donnée aux sculptures des pharaons noirs n'est pas aussi réaliste que celle, naguère, des prisonniers nubiens représentés, nous l'avons vu, dans les peintures égyptiennes. Leurs traits, en effet, plus ou moins égyptianisés, sont le fruit d'un pouvoir jeune, dont les règles en matière de représentation n'ont pas été encore bridés par une codification rigoureuse. Il ne faut guère s'étonner d'une telle emprise culturelle : Peu de cultures, dans le monde n'avaient atteint dès la haute antiquité, un tel degré de raffinement culturel, religieux et artistique, et le royaume de Koush, était alors à la fois la seule grande entité politique voisine de l'Egypte, mais aussi la seule a avoir des liens aussi étroits avec le royaume pharaonique. F igurine de Neferkarê Shabaqa coiffe némès (couvre-chef en lin, à rayures) et double uraeus f aïence siliceuse en ronde-bosse H 3.8 x L 3.4 cm vers - 721 - 70 7 Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes, AF 6639 Taharqo et la reine Amanitakte devant Amon et Mout de Napata, Temple du Gébel Barkal B 300. " AETHIOPEN Dyn. XXV.3, BARKAL Grosser Felsentemple, Ostwand der Vorhalle : "...Grand temple rupestre, mur est du porche" (Lepsius 1849-59), vol V, pl. 5. ULB Halle: Lepsius - Tafelwerke (uni-halle.de) Sous Taharqo (Taharqa, règne de 690-664, "c'est lui le lion ?" en méroïtique), on continue d'observer l'influence prépondérante de la culture égyptienne, à commencer par sa titulature royale, Khou (i)-Rê-Nefertoum, ce dernier fils de Ptah et de Sekhmet dans la triade divine de la ville de Memphis, où il fut couronné, et non à Napata, où il n'était alors pas retourné depuis vingt ans : On voit donc bien que les pharaons noirs continuent d'affirmer leur penchant archaïsant pour l'ancienne capitale de l'Egypte. La Nubie devient quant à elle le reflet d'une nouvelle Egypte, travaillée par des artisans memphites qu'il envoie à Kawa. De nombreux temples sont érigés : Un temple en grès à Kawa ; à Napata, il reconstruit le temple de Mout, épouse d'Amon, en partie enchâssé dans la falaise du Djebel Barkal. Un temple est aussi construit en face, de l'autre côté du Nil, à Sanam, mais aussi à Tabo, sur l'île d'Argo, au sud de Kerma, ou encore à Qasr Ibrim, à Bouhen, ou Semna, pour le culte de Sésostris divinisé (vous pouvez retrouver tous ces toponymes sur la carte en exergue). A Sedeinga, enfin, il f ait dresser une colonnade, pour agrémenter le temple de la reine Tiyi. On le voit bien, loin d'honorer leurs propres ancêtres, loin de magnifier et d'imposer leurs traditions culturelles, comme il est d'usage dans les cultures dominantes, les pharaons noirs érigent très largement la culture égyptienne en modèle. Plus généralement, le pharaon vante un règne prospère pour le peuple, antienne prononcée en substance dans tous les royaumes du monde, sans grand rapport avec la réalité, bien entendu : " Ce pays est dans l’abondance sous son règne, comme au temps du Seigneur du monde [règne mythique de Rê]. Chacun dort jusqu’à l’aube sans jamais se dire “ah ! si j’avais quelque chose !” » " (stèle de Kawa n° V, da tée de l'an 6, in Rilly, 2017b) . Statue de Taharqa Reconstitution d'une statue originelle brisée et enterrée dans une favissa (fosse rituelle d'un temple) avec sept autres lors de l'offensive, vers - 593, du pharaon Néfer-ib-rê (Neferibrê : Psammétique I I), appelé Psammis par Hérodote et Psammêtichôs . par Manéthon. Découvertes le 11 janvier 2003 (Bonnet et Valbelle, 2003) ., elles furent reconstituées avec les autres (Musée de Kerma, Soudan) mais intransportables, elles ont dû faire l'objet de copies réalisées en impression 3 D pour l'exposition "Pharaon des Deux terres...", tenue au Louvre entre le 28 avril et le 25 juillet 2022. Le pharaon tient dans ses mains le sceptre héqa et l'étui mekes , un autre sceptre, porte sur la tête une calotte de tissu, typique des souverains napatéens, av ec deux uraei ( sing. uraeus) et le pagne traditionnel des pharaons, la chendjit . original en granit noir H 270 cm , vers - -690 - 664 Taharqo et Hemen offrande de vin du pharaon au dieu-faucon Hemen dans deux petits vases globulaires appelés nou . bois, argent, bronze, grauwacke recouvert d'une feuille d'or H 19.7 x L 26 cm vers - 690 - 664 Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes, E 25276 Statuette de roi agenouillé, Taharqo ? XXVe dynastie, Kawa , temple T, salle hypostyle n°0973 bronze doré H 8.2 x L 3.3 cm vers - 690-664 ? Musées royaux d'Art et d'Histoire, E. 6942 Bruxelles , Belgique Très peu d'informations nous sont parvenues sur la vie sociale des Nubiens pendant leur courte période de règne en Egypte. S'agissant de l'esclavage, par exemple, un papyrus de l’an 2 ou 6 de Taharqo (Louvre E 3328c) mentionne la vente d’un esclave nommé Ỉrt-r-ṯȝy par un propriétaire qui l’avait acheté en l’an 7 de Shabaqo (Payraudeau, 2014a). Bien peu plus tard, alors que les Nubiens ne règnaient plus sur l'Egypte, le roi de Koush Harsiotef ("Horus, fils de son père") restaure le temple d'Amon de Napata " en l’ornant d’une chapelle de bois revêtue de quatre kilogrammes d’or, en emplissant son trésor de vaisselle précieuse et en offrant au complexe religieux vivres, serviteurs et esclaves " (Rilly , 2017d). Le même Harsiotef, vainqueur des Meded, réunit u n butin fait de bétail et d'esclaves et en offre une partie, une nouvelle fois, au temple d'Amon de Napata. " C’est très probablement aussi avec l’intention de faire du butin que le roi envoya ses armées contre un peuple appelé les Makha, en l’an 16 et en l’an 35. Il s’agit cette fois non plus des tribus couchitiques situées à l’est du Nil mais des ancêtres des Noubas, qui allaient au IVe siècle de notre ère envahir la Nubie et lui donner son nom moderne. Les Noubas sont décrits au siècle suivant par le géographe alexandrin Ératosthène comme « un grand peuple habitant à l’ouest du Nil […], qui n’est pas vassal des Éthiopiens et est divisé en plusieurs royaumes ». Le terme « Nouba », qui vient du méroïtique nob , « esclave », n’est évidemment pas leur vrai nom mais une désignation péjorative employée par les Méroïtes quelques siècles plus tard, en concurrence avec le terme neutre Mho , « Maghu », qui est une version plus récente de « Makha ». Eux-mêmes, d’après la comparaison entre les langues nubiennes, semblent s’être appelés « Magi » ou « Magur », et c’est une transcription égyptienne de ce terme que l’on retrouve sur la stèle de Harsiotef et de son successeur Nastasen. " (Rilly, 2017d). Enfin, comme beaucoup Etats du Moyen-Orient, l'Egypte de Taharqo finira par plier sous les attaques répétées de ce qui a été " sans doute le plus grand prédateur de peuples de l'antiquité " (Rilly, 2017b) : l'Empire a ssyrien . Face à l'armée redoutable d' Assarhaddon, qui prendra et pillera Memphis, le pharaon noir, grièvement blessé, ira se réfugier à Thèbes, alors que différents princes et princesses nubiennes seront emmenées en captivité à Ninive, la capitale assyrienne. Oushbeti du roi Taharqo Pyramide I de Nouri granit h. 41.3 x l. 14.5 x P. 9 cm "L’usage de ce type de statuettes funéraires apparaît en Égypte au Moyen Empire. Appelées alors shaouabtis [chaouabti, NDA] de l’égyptien shaouab , c’est-à-dire «nourrir»), les figurines s’identifient au défunt. À la XXIIe dynastie, le vocable oushebti (de l’égyptien ousheb qui signifie «répondre») les désigne. Ce term e indique aussi le chan gement de relation qui s’instaure entre la statuette et le dé funt. Il s’agit désormais d’une relation hiérarchique de maître à serviteur." (Bruwier, 2007 : Catalogue des objets archéologiques ) Se pencher sur les oushebtis permet de souligner une énième fois , que depuis la plus haute antiquité, les gouvernants s'approprient illégitimement, par des moyens idéologiques, le fruit du labeur des travailleurs, paysans et ouvriers. Ici, Taharqo, enveloppé du khât, coiffe de la noblesse égyptienne, , porte, selon une posture codifiée, deux houes et deux sacs de grains sur les épaules. Sur son corps est gravée une phrase du Livre des Morts, au chapitre VI, relative aux corvées agricoles que le défunt est tenu de réaliser, mais dont, en réalité, bien évidemment, ses serviteurs seuls supportent la charge de travail : " Illumination [ou instruction] de l’Osiris, le roi Taharqa. Il dit: «Ô cet oushebti, si on inspecte, si on appelle, si on dénombre le roi Taharqa juste de voix, pour remplir ses obligations, en écartant le mal du roi au cours de ses prestations: «Me voici», diras-tu. [Si] on inspecte en tout temps où l’on travaille pour faire croître les champs, pour remplir les canaux d’irrigation, pour transférer le sable de l’est à l’ouest et vice versa; si on mande le roi Taharqa juste de voix, pour faire tous les travaux qui se font dans la nécropole: «Je le fais, me voici» diras-tu dans la nécropole, «C’est moi qui suis toi» " (in Yoyotte, 2003 ). vers - 690 - 664 Musées royaux d'Art et d'Histoire, E. 6111 Bruxelles , Belgique Le suc cesse ur de Taharqo, son cousin germain Tanouétamani (Tanoutamon), fils de Shabaqo et de la reine Qalhata, ne profitera pas longtemps de la victoire qu'il remportera sur le roi égyptien Néchao (Nekao) Ier, protégé du roi assyrien Asso urbanipal, qui perdra la vie dans une bataille, pendant que s'enfuira en Assyrie s on fils, le futur Psammétique Ier, de la XXVIe dynastie saïte, d'où il reviendra pour reprendre le pouvoir en Egypte, sous la protection du roi assyrien, toujours, qui saccagera Thèbes pour la première fois de l'histoire, poussant le dernier pharaon, de la XXVe dynastie à se réfugier à Nap ata. Suit une période confuse et mal connue du royaume napatéen qui n'est pas notre sujet ici, mais dont on ne s'étonnera pas qu'elle continue de présenter des différences sociales importants entre riches et pauvres. La pyramide comme monument funéraire n'était plus une prérogative royale depuis la XXVe dynastie, alors les grandes familles princières de l'époque se faisaient construire des pyramides qui, si elles n'étaient pas en pierre comme celles des pharaons noirs, mais en briques rues, n'en étaient pas moins de très grande taille, avec moult chambres et chapelles souterraines, tandis que les familles d'extraction modeste, enterrées bien entendu dans d'autres cimetières, se contentaient "de simples fosses couvertes d’un tumulus de schiste et de galets, qui perpétuent le type d’inhumation habituel à l’époque du royau me de Kerma" (Rilly, 2017e) . Pen dant ce temps, en Egypte, la puissance perse avait agrandi son immense empire et Cambyse II se faisait proclamer pharaon en inaugurant la XXVIIe dynastie : Encore une fois, "les élites s’accommodèrent de cette première domination perse, avec laquelle ils collaborèrent, mais le peuple égyptien la vécut comme une humiliation. L’époque des « pharaons noirs » de la xxve dynastie, magnanimes dans la victoire, respectueux du passé de l’Égypte, d’une piété irréprochable envers ses dieux, leur parut un âge d’or perdu dont ne subsistait que cette dynastie lointaine, isolée dans les sables de Méroé" (op. cité) . La propagande perse des successeurs de Cambyse II, Darius Ier (522-486 av. j.-c.) et Xerxès Ier (486-465), compte officiellement le royaume de Koush parmi ses vassaux, sur les reliefs ou les inscriptions de Suse et de Persépolis, alors qu'il n'en est rien. La Nubie traverse alors une période de calme et de prospérité, qui a établit des liens diplomatiques avec la Perse, avec, en particulier des échanges de cadeaux. Selon Hérodote, l'armée de Cambyse aurait bien essayé d'envoyer des espions à Méroé (Hérodote, Livre III, 19-25), puis d'envahir la Nubie, mais ses troupes, peu préparées aux conditions désertiques, auraient péri en grande partie : nous ne possédons cependant aucun document historique permettant d'étayer ce récit, d'autant plus qu'il est encadré par toute une tradition fabuleuse grecque sur les pays lointains de l'Hellade, qui passe dans le texte d'Hérodote pour des faits rapportés par lesdits espions. En réalité, l'auteur grec inaugure-là le mythe du "bon sauvage" : les Ethiopiens vivraient cent vingt ans, possèderaient une fontaine de jouvence, seraient les plus beaux et les plus grands des hommes, disposeraient de tant d'or que les chaînes des prisonniers seraient faites de cette matière, seraient gouvernés par un souverain d'une grande sagesse, critiquant le raffinement de la culture méditerranéenne qu'il ne possèderait pas : là encore, nous avons des sentiments ambigus, de la part du littérateur de l'Hellade, mêlés de fascination et de sentiment de supériorité, qui servent l'idéologie morale des élites grecques et peuvent alimenter le dossier de la xénophobie antique. Les Koushites n'échappent pas à la règle, qui appellent Lehlehes (ou Rehrehes ) des tribus nomades menaçant la région de Méroé, par un redoublement parodique et péjoratif de syllabe, semble-t-il, pour désigner des "barbares", comme le feront les Grecs ou les Arabes, par exemple (cf. Au pays des Imazhigen ). Il s'agit là sans doute des Bulahau, ancêtres des Blemmyes, qui commençaient de grignoter ici ou là des portions de la Nubie, ou des tribus apparentées (Rilly, 2017e) . Tombe (Ku 16) de Tanouétamani ( règne vers - 6 64 - 656 ) , N écropole ro yale d'El-Kourrou antichambre Fresque représentant, le pharaon, au centre, encadré de deux des quatre fils d'Horus attachés à des viscères particuliers du défunt : Qebehsenouef, à gauche, pour les intestins, Imset, à droite, pour le foie. Sin gularité, , ici, les dieux ont des têtes humaines et non les traditionnelles têtes animales peintes depuis la XXe dynastie. chambre funéraire , paroi sud Décoration inspirée du Livre des Morts, avec citations des formules rituelles de l'ouvrage, avec génies funéraires à têtes humaines ou animales, qui tiennent tous le sceptre ouas ou le symbole de la vie, Ankh . A noter une grande représentation de scarabée (scarabeus sacer ), que les anciens Egyptiens associaient au soleil et à la terre, mais aussi à la mue d'Osiris passant de la mort à la résurrection et, plus généralement au triomphe de la vie sur la mort. Tombe (Ku 5 ) de la reine Qalhata , reine consort de son oncle Shabaqo Nécropole royale d'El-Kourrou, fin VIIIe - début VIIe siècle avant notre ère Métamorphoses osiriennes de la reine Qalhata, fille de Piankhy et mère de Tanouétamani, entre mort et résurrection (en haut, une des nombreuses opérations du rituel de l'ouverture de la bouche, censé redonner au défunt le pouvoir de respirer, de manger, de boire, de parler, etc. En bas, la reine apparait momifiée, une des phases importantes du chemin vers l'au-delà. a b c d Oushebtis de rois napatéens a . Oushebti de la reine Akhe (Akheqa ?), faïence, H.: 17,8 cm; l.: 6,8 cm, Règne d’Aspelta (593-568 av. J.-C.) et d’Amtalqa (568-555 av. J.-C.) Nouri, pyramide XXXVIII, Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 7365 b . Oushebti du roi Anlamani, faïence égyptienne , H.: 27,3 cm; l.: 8,8 cm, Règne d’Anlamani (623-593 av. J.-C.) Nouri, pyramide V I, Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 6108 c . Oush ebti du roi Aspelta, faïence égyptienne , H.: 26,2 cm; l.: 7,6 cm, Règne d’Aspelta (593-568 av. J.-C.) Nouri, pyramide V , Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 6107A d . Oushebti du roi Senkamanisken, serpentinite , H.: 18,2 cm; l.: 6,6 cm , Règne de Senkamanisken (643-623 av. J.-C.) Nouri, pyramide III Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 6109 A ( Bruwier, 2007 : Catalogue des objets archéologiques ) culture nok acmé de la culture Nok, ( - 500 > + 200 ) BÉNIN NIGER CAMEROUN TCHAD Niger Benue NIGERIA La culture Nok (vers - 1500 + 200) figure parmi les plus anciennes connues en Afrique subsaharienne, avec une période d'épanouissement entre - 500 et + 200 s'éteignant peut-être à cause de conditions environnementales défavorables au tournant de l'ère chrétienne. Elle semble avoir dominé une région où a fleuri d'autres traditions, comme à Sokoto ou à Katsina, ou encore Yelwa, où les sculptures en terre cuite retrouvées ont aussi leur style propre. L'archéologue britannique Bernard Fagg lui donna le nom du village nigérian proche de sa découverte de sculptures en terre cuite, par hasard dans les alluvions d'une mine d'étain à ciel ouvert. Malgré de grands travaux de fortifications pour construire de larges fossés autour de certains villages, qui nécessitaient une organisation et probablement des chefs, les sociétés noks, semblent avoir été plutôt économiquement égalitaires. Tête de janus Cultur e Nok, K at sina Ala terre cuite H . 27 ,5 cm - 700 - 400 collection particulière Tête masculine Cultur e Nok, Etat de Sokoto terre cuite H .33 x L. 20 cm - 500 - 100 Musée du Quai Branly, Paris Tête d e femme Culture Nok, Rafin Kura, Nigeria terre cuite h.30 x 22 cm - 500 + 200 Yemisi Shyllon Museum, Ibeju-L ekki, E tat de Lagos, Nigeria "Aucune des nombreuses fouilles des vestiges architecturaux n'ont révélé des habitations susceptibles d'avoir été occupés par des membres de haut rang de la communauté. De plus, les tombes ne présentent pas de signes d'hétérogénéité indiquant une différence entre sépultures de membres de l'élite et celles du peuple. Nulle part, on trouve une accumulation d'objets de valeu r , que ce soit en fer ou d'autres matériaux soulignant une inégalité en terme de propriété ou de richesse." (Breunig & Rupp, 2016) Ce qui n'a pas empêché ces cultivateurs de millet ou de niébé , qui récoltaient aussi des plantes sauvages, d'avoir une nourriture abondante et une organisation propre à créer des objets sophistiqués que nous classons aujourd'hui au rang d'objets d'art. méroé - intro Le Royaume de Méroé env. - 270 + 340 Dessin de Jean-Pierre Heim, Méroé, Travelling is an art , février 2021 Les pyramides de Méroé, Soudan, croquées avant d’être croquées (chroniques-architecture.com Introduction Une violente scissio n entre castes dirigeantes serait à l'origine d'une refondation du royaume koushite, au IVe siècle avant notre ère. La tradition grecque parlait d'un violent conflit de pouvoir entre prêtres et souverains, et vanta la culture grecque du premier souverain inhumé à Méroé, Ergaménès (Arkamani, Arqamani), pour expliquer sa prétendue décision de rompre avec une "superstition" qui donnait aux prêtres un pouvoir de vie et de mort sur tous, y compris le roi : "P récédemment, les rois obéissaient aux prêtres, non qu’ils y fussent contraints par la force ou les armes, mais parce que leur esprit était soumis à cette superstition. Or, au temps de Ptolémée II, le roi des Éthiopiens, Ergaménès, qui avait reçu une éducation grecque et agissait en philosophe, fut le premier à dédaigner cet ordre. Il prit une décision digne d’un roi et, entouré de soldats, entra dans le saint des saints, où se trouvait le naos d’or des Éth iopiens. Il égorgea tous les prêtres et, ayant aboli cet usage, engagea des réformes selon ses propres principes" ( Agatharchide de Cnide, cité par Diodore de Sicile, Bibliothèque historique ( titre original grec : ιστορική βιβλιοθήκη, Bibliothecae historicae, en latin),1er siècle avant notre ère ) . Le scénario grec, en fait, recycle des mythes anciens, en particulier celui du roi Busiris, " une légende grecque selon laquelle Héraclès, sur le point d’être sacrifié sur l’ordre de ce roi légendaire d’Égypte, brisa ses chaînes et tua les prêtres qui devaient procéder à son immolation " (R illy , 2017e). L'invention grecque fait l'impasse sur le fait que Méroé, appelée parfois "île de Méroé", car entourée des eaux du Nil, du Nil bleu et de l’Atbara, était déjà une capitale politique depuis un bon moment, et Hérodote mentionne la cité sans jamais parler de Napata, qui n'avait pourtant pas cessé de céléb rer le culte d'Amon (Amani), dont le nom est intégré à celui des trois premiers rois de Méroé : Arkamani Ier ( (Khenem-ib-Rê, règne vers - 270 - 260), Amanislo (Ankh-Nefer-ib-Rê), et Amanitékha. En réalité, expliquera Török, il a dû s'agir d'un changement violent de dynastie, par lequel Arkamani s'est arrogé le pouvoir par la force et non de manière traditionnelle, par les liens du sang. En dehors de quelques détails vestimentaires, il faut noter l'importance déjà signalé des femmes, non pas dans le pouvoir proprement dit, mais par l'influence politique qu'elles exercent (op. cité). Ainsi, la reine-mère, par exemple, tient le second rôle dans le rang protocolaire, et si dans la principale nécropole napatéenne de Nouri, on ne trouve que des rois, dans la partie méroïtique de Begrawwiya, non seulement les reines se tiennent aux côtés de leurs époux mais deux d'entre elles, Bartaré et Kanarta, sont figurées elles aussi en costume tripartite de souverain et portent la calotte royale kouchite, probablement parce qu'elles ont exercé réellement le pouvoir en tant que régentes, pendant la minorité de leur fils, qui ont été peut-être Arkam ani et Amanislo. Il ne s'agit donc pas, comme dans beaucoup d'autres pays, d'un pouvoir suprême tenu par des femmes, et leurs monument s de petite taille comparés aux pyramides massives de leurs fils sont là pour en témoigner. Dans le royaume de Méroé, on pratique un certains nombre de métiers au sein des activités familiales, dans les quartiers d'habitation (tissage, vannerie, confection d’outillage, cuisine), tandis que des ateliers spécialisés sont installés en périphérie (potier, briquetier, forgeron, etc.). " L’enceinte quadrangulaire (Hamadab, Méroé), l’association temple-palais-voie processionnelle (Wad Ben Naga, Mouweis, El-Hassa, Hamadab, Méroé, Naga, Dangeil, Djebel Barkal) et les quartiers réguliers en insulae (Hamadab) sont incontestablement le fait d’une autorité locale forte, désireuse de contrôler le paysage urbain. De la même façon, la séparation nette entre activités domestiques mineures pratiquées au sein de l’habitat (cuisine, tissage) et activités artisanales spécialisées renvoyées en dehors de la ville (ateliers, fours) sont la marque d’une organisation urbaine très développée, typique de l’organisation urbaine méroïtique. Par ailleurs, le réseau régulier de villes principales (Méroé) et secondaires (Mouweis) mis en place dans le Boutana relève, lui aussi, d’une volonté de contrôle du territoire et de la population. " Les territoires trop éloignés des grands centres royaux ont une organisation plus lâche, plus indépendants, ne reposent " que sur la légitimité religieuse du souverain, le commerce à longue distance et la redistribution des biens de prestige ". Cependant, "on ne peut imaginer le développement d’un royaume, sur plus de 1 500 kilomètres de long, et pendant plus de 500 ans, sans une centralisation affirmée" ( Choimet, 2018 ) Boîte à toilette Cimetière de Karanog bois, incrustations d'ivoire h. 28.1 x l. 26.9 x P. 23.1 cm La serrure a disparu, avec pour seul vestige un moraillon en fer à l'endroit de la plaque de serrure, au-dessus de la figuration des bijoux. Le dieu Bès, représenté deux fois, sans corps, sert à "écarter les forces hostiles". La déesse représentée rappelle Aphrodite, et sa coiffure ressemble à celle de la déesse Hathor. Elle est figurée sur deux registres dans une fenêtre cintrée surmontée d'une frise d'urae i stylisés, protégée par un sphinx. Au-dessus des frises, apparaissent des fleurs de lotus en bouton ou ouvertes. Ont été retrouvés dans certaines boîtes des étuis à khôl, des petits pots de crème et d'onguents, qui ont servi au quotidien avant le décès. (Fran cigny, 2008 ) - 100 + 300 Pen nmuseum (University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology) , Philadelphie (Pennsylvanie) source : https://www.penn.museum/collections/object/127116 Nous avons vu que la société koushite était hiérarchisée depuis longtemps déjà, et le vêtement est un des éléments qui permettent aux archéologues de matérialiser les différences sociales. Si une grande partie de la population évolue en tenue d'Adam ou simplement vêtue d'une ceinture pelvienne ou d'un pagne en tissu ou en cuir, les vêtements de la classe dirigeante, souvent représentés sur les monuments, et trouvés en abondance dans les tombes, avec, depuis le Ier siècle, un grand développement du coton parfois mélangé à la laine. Faut-il préciser qu'à l'instar de nombreuses sociétés hiérarchisées, l'habit du riche doit se distinguer de celui du pauvre, et même parfois, distinguer les rangs sociaux eux-mêmes : " Les costumes des notables, complétés de bijoux et d’accessoires, opéraient une discrimination visuelle immédiate et forte entre les membres de l’élite et le reste de la pop ulatio n " (Yvanez, 201 8). Cette distinction sociale touchait parfois aussi bien les adultes que les enfants. Si les enfants avaient plutôt l'habitude d'être nus, les garçons des classes privilégiées s'habillaient parfois du même costume que leur père ou le patriarche familial, ce qui souligne une fois de plus l'importance des liens de parentés chez les Koushites, qui doit être ostensible. Par ailleurs, l 'homogénéité technique et stylistique des textiles destinés aux élites, dans l'ensemble de la Nubie, entre le Ier et le IIIe siècle, semblent être un indice supplémentaire de la puissance centralisatrice de l'Etat koushite (Yvanez, 2018). A la fin de la période méroïtique, l'importance du succès social se lit en particulier dans l'espace funéraire, où un certain nombre de familles insistent de plus en plus sur les rangs administratifs de leurs membres plutôt que sur leurs noms personnels, allant même jusqu'à le faire disparaître au profit du titre acquis par l'individu (op. cité) . Tissu funéraire "Tissu en armure nattée et bouclée, bordé d’une frise de svastika s et rayures en tapisserie bleue " (Yvanez, 2018) Djebel Adda, tombe Z-7 , époque méroïtique final ou post-méroïtique Royal Ontario Museum ROM 973 .24.3528 svastika : "Le svastika... est un motif universel d’une grande ancienneté, puisqu’il apparaît en Iran dès le IVe millénaire avant notre ère. Symbole solaire dans de très nombreux cas, il est aussi « symbole du tourbillon créationnel autour duquel s’étagent les hiérarchies créées qui en émanent. Quel qu’en soit le sens, le svastika indique manifestement un mouvement de rotation autour du centre, autour du moyeu immobile, qui est le pôle du monde manifesté. C’est le symbole de la génération des cycles universels, des courants d’énergie : non du monde, mais de l’action du Principe à l’égard de la manifestation »" [ Chevalier, Gheerbrant, 1974 (t. IV, p. 248), citant notamment Champeaux et Sterckx (Introduction au monde des symboles, p. 25), note n° 137 ]. "Le mot sanscrit svastika signifie « de bon augure ». Ce motif est c onsidéré comme bénéfique dans des aires culturelles diverses. Des svastikas sont associés à un oiseau qui attaque le mauvais œil, sur un vase en terre cuite provenant de Chypre (VIIe s. av. J.-C.). Dans un décor de stuc, à Qum, en Iran, un svastika est formé de calligrammes : le nom de 'Alî dessine la première partie des bras du svastika, que prolongent les noms de Muhammad et Fâtima. Autour du motif, le mot Hasan est écrit trois fois. Au svastika est donc associée la filiation calide, comme sur certaines inscriptions" (Bonnenfant, 2002). Méroé : l'arc et le sceptre Méroé : L'arc et le sceptre Lion de Prudhoe Réalisé en deux exemplaires pour Amenhotep III. La paire de lions se dressait devant le temple de Soleb. granit rose h. 117 x L 216 x l. 93 cm vers - 1370 British Museum, EA2 La paire de lions a très probablement été transférée de Soleb au Djebel Barka du temps de Piankhy. Amanislo y fit graver à la base de la patte gauche un cartouche portant sa titulature en hiéroglyphe, A nkh-nefer-ib-rê : " Que vive Neferibrê" ("Parfait est le cœur de Rê"). Les deux imposantes statues seront rapportées par Lord Prudhoe pour le British Museum en 1835 (on touche là au pillage récurrent des oeuvres, opérées par les élites des nations dominantes tout au long de l'histoire). L'égyptologue Auguste Mariette traduisit par erreur le nom d'Amanislo par Amonasro et c'est ce nom qui fut repris par Antonio Gh islanzoni, l'auteur du livret de l'opéra Aïda, de Giuseppe Verdi, pour le roi d'Ethiopie, un des principaux personnages de l'œu vre. Ce n'est qu'avec l'avènement d'Arnekhamani (Arnakhamani, de son vrai nom Elankhamani, vers - 240-215), dont la titulature royale demeure égyptienne (Khéperkarê, Kheper-ka-Rê , "l’âme de Rê est en devenir", imitation de celui de Sésostris Ier), que des dieux d'origine d'Afrique noire sont introduits dans le panthéon koushite, jusque-là entièrement investi par les dieux égyptiens, nous l'avons vu, et dont la présence restera majoritaire. Ils apparaissen t dans le cadre d'un vaste complexe culturel que commence de faire bâtir le roi, mais dont l'érection s'étend sur huit périodes entre la fin de l'époque napatéenne jusqu'au milieu de l'époque méroïtique, à l'endroit occupé par Musawwarat es-Sufra (M. es Sofra), dans la région ouest du Boutana, le Keraba, alors au milieu de la la savane en voie de désertification (phénomène commencé vers - 3500 dans la région). Sa situation géographique, proche de la 6e cataracte, bien éloigné de l'Egypte, nous donne une indication sur son lien plus étroit avec la culture koushite proprement dite. Le complexe de Musawwarat se compose de ce que les archéologues nomment la grande Grande Enceinte, pourvue pour le principal de quatre temples, de deux grands réservoirs conservant l'eau de pluie de l'été (hafir , plur. hayafir , en arabe), dont le plus grand est immense, avec un diamètre de 250 m sur 6,30 m de profondeur, et d'un espac e à vocation peut-être résidentielle, appelé la Petite Enceinte. Le temple le plus emblématique est petit (1 5 x 9 m), en g rès, à la décoration intérieure très riche, il est appelé "temple du lion", animal divinisé en Nubie depuis des temps très anciens. Bâti sous le règne d'Arnekhamani, contemporain de Ptolémée III Evergète Ier (246-222), comme l'autre temple (300) à proximité, le temple, relié au grand hafir , est dédié au dieu principal et local, à tête de lion, Apedemak , dont le nom est formé du méroïtique maka ( mk ), "dieu" et de abede ( apede : "créateur"), terme proche de ceux qu'on retrouve dans des langues actuels, comme le nara de l'Erythrée ou nyimang des montagnes Nouba, au Soudan, dont l'origine commune remonte au IIIe millénaire avant notre ère (R illy, 2 017e) . Musawwarat es-Sufra, Temple du lion / Temple d'Apedemak règne d'Arnekhamani, vers - 240 - 215 Façade principale côté est du temple du lion de Musawwarat, avec "pylônes" (portes monumentales). L'entrée est flanquée de deux lions. Sur la face sud du monument, le dieu Apedemak conduit un cortège de dieux vers le roi Arnekhamani, qui porte le costume tripartite, la calotte koushite surmontée de la couronne hemhem . Le dieu, qui porte la couronne atef, et dont les oreilles sont ornées des cornes de bélier du dieu Amon, tend d'une main au souverain un sceptre à tête de lion, sous lequel on aperçoit le jeune fils du roi, le prince Arqa (Arka), présentant deux encensoirs. De l'autre main, en guerrier protecteur, il tient un arc, un carquois et un prisonnier entravé au bout d'une corde, dont la taille de représentation reflète son insignifiance. Derrière Apedemak, suivent un cortège de dieux : de droite à gauche : Amon de Thèbes, Shebo, Arensnouphis (un dieu nubien tardif au nom égyptien, qui porte la calotte traditionnelle), Horus et Thot, passablement endommagé. Côté nord, on retrouve, à gauche, le roi Arnekhamani et son fils Arqa, le souverain recevant la force de vie (ankh ), par le sceptre ouas tendu vers lui par Apedemak ( ) groupe suivi d'une cohorte de dieux et de déesses, dont les premiers sont très endommagés, suivis de Shebo /Sebioumeker, dieu de la fertilité, de Satis, déesse du Nil, de Horus, dieu faucon surmonté du disque solaire, et d'Isis ( ), portant l'ancienne double couronne à l'unique uraeus. Musawwarat es-Sufra, Reconstitution de la façade du temple 300, par l'archéologue allemand Karl Heinz Priese (1935-2017), dessin paru dans "Musawwarat es-Sufra: Interpreting the Great Enclosure ", article de Steffen Wenig in Sudan & Nubia, No 5, publié par la Sudan Archaeological Research Society, 2001 https://issuu.com/sudarchrs/docs/s_n05-wenig/13 Sur les murs en grès du complexe on trouve beaucoup de graffitis en dévotion à Apedemak, très probablement honoré depuis la haute antiquité au pays de Koush et le seul à Musawwarat à ne pas posséder d'attributs égyptiens. Une nouvelle théologie va faire coexister le culte d'Amon ou Arensnouphis, dieu tardif, avec celui des divinités koushites, Apedemak, bien sûr, mais aussi Shebo (Sebo), qui a la physionomie d'Atoum et coiffé du pschent, la double couronne pharaonique, son nom égyptien Sbjwmkr ( Sébioumeker, Sebiumeker) étant la transcription de son vrai nom koushite, Sebo-mk-l, qui est attesté dans le temple 200 de Naga (Rilly, 201 7e) . L'intérieur est intéressant par ses influences étrangères, hellénistiques, en particulier, et il semble très probable que des artistes grecs ont collaboré à cette décoration intérieure, signe sans doute d'une proximité avec l'Egypte lagide des Ptolémées. La présence singulière des éléphants de combat (cf. images plus haut) est un témoin supplémentaire de cette influence, car après avoir affronté dans l'Indus des armées disposant de puissants pachydermes, Alexandre le Grand les avait fait venir en Perse avec des cornacs indiens, puis Ptolémée II les fit apporter du sud de Méroé, par des accords avec la royauté kouchite, commerce qui constituait une source de revenus importante du temps d'Arnekhamani, mais qui se tarit très vite, car les éléphants de Méroé étaient plus petits que les éléphants d'Asie et ne faisaient guère le poids dans les confrontations pachydermiques durant les batailles ( cf. Rilly, 2017e) . Le fils d'Arnekhamani, Arkamani I, finit par adopter pour la première fois en cinq siècles une titulature en méroïtique, écrit encore en hiéroglyphes égyptiens car l'écriture méroïtique n'existait pas encore, mais toujours relié aux dieux égyptiens : mk-l-tk js-trk ("Aimé d'Isis et élu de Rê"). Roi entreprenant, il fait bâtir un temple dédié à Arensnouphis sur l'île de Philae, un autre à Mandoulis, dieu très probablement nubien mais considéré comme le fils d'Isis, à Kalabcha. A Dakka, il poursuit les travaux entamés par Ptolémée IV dans le temple de Thot, à Pnoubs ( Pȝ-nbs , "le jujubier", en égyptien, à l'orée de Kerma / Doukki-Gel), le pouvoir égyptien étant mis à mal par des révoltes contre la colonisation grecque, protégeant ainsi le clergé de Philae, devenu très influent, comme naguère, le clergé d'Amon. Après le règne d'Adikhalamani, fils ou frère du précédent, les Nubiens furent de nouveau chassés de la région, par Ptolémée V Epiphane. C'est sa possible épouse, Nahirqo, qui reprit les rênes du pays vers - 170, après la mort prématurée de Tabirqo, peut-être son fils aîné, et qui est considérée comme la première Candace, même si le titre lui-même existe depuis les débuts du royaume de Méroé : ktke, kdke, ktwe, kdwe , kntjky et kandakê pour sa transcription égyptienne et grecque. Ce sont des reines parfaitement légitimes, à la différence des reines égyptiennes, nous l'avons vu, qui ne prenaient le pouvoir que dans des conditions exceptionnelles. Quand elles n'accompagnent pas un roi elles prennent le titre de qore ("souverain"), précédant celui de Candace. Tout en étant représentées comme des femmes, qui apparaissent avec des formes extrêmement généreuses (tout l'inverse des sylphides égyptiennes), elles sont figurées parfois armées et impitoyables avec leurs ennemis, comme Amanishakheto (Amanishaketo, règne vers - 35 - 20), reine très riche qui avait un palais à Ouad (Wad) Ben Naga, figurée en guerrière sur le pylône (image 12 ) , de sa pyramide (images 10-11) , dans laquelle elle fut enterrée avec un véritable trésor de bijoux . Sa fille Amanitore et son époux Natakamani (vers - 50 + 20) apparaissent sous le même jour sur le temple du lion de Naga (cf. plus bas) . Tout cela ne fait pas du roy aume de Méroé un matriarcat, car les "fonctions administratives et religieuses sont l'apanage des hommes (...) On n’a aucune mention de reine régnante depuis la création du royaume koushite jusqu’à la fin de l’époque napatéenne, bien que la reine-mère dispose d’un rang élevé qui en fasse le deuxième personnage de l’État. Il ne semble pas qu’une fille puisse succéder à son père, comme aujourd’hui en Angleterre ou dans les pays nordiques. Il n’est donc pas exclu que l’institution des Candaces soit issue d’une extension du statut de régente. La Candace est assurément une reine-mère. Elle est figurée généralement comme une femme plantureuse, aux cuisses larges, aux fesses rebondies et aux seins tombants, et jamais comme une reine juvénile. Il ne s’a git pas, comme on le lit parfois, d’illustrer une conception « africaine » des canons de beauté féminine mais d’exalter sa maternité et sa maturité. " (Rilly, 2017e). 10 11 "Assour — Vue particulière d'une grande pyramide de l'ouest, à une lieue du Nil", lithographie de Gottfried Engelmann (1788-1839) d'après un dessin de l'explorateur Frédéric Cailliaud, (1787-1869) paru dans "Voyage À Méroé, Au Fleuve Blanc, Au-delà De Fâzoql Dans Le Midi Du Royaume De Sennâr, À Syouah Et Dans Cinq Autres Oasis; Fait Dans Les Années 1819, 1820, 1821 Et 1822" , vol I, planche XLI, 4 vol + 2 vol. d'atlas et de lithographies, édités en 1826 et 1827 à Paris, Imprimerie Royale Pyramide Beg (Begrawiya) N (Nord) 6 d'Amanishakheto, dans le cimetière nord de Méroé, avant sa vandalisation par le médecin devenu chasseur de trésors, l'Italien Giuseppe Ferlini qui aurait abîmé ou détruit une quarantaine de pyramides méroïtiques à l'explosif, par cupidité, à la recherche de trésors, à partir de 1834, pour les vendre, à des princes allemands ( Rilly et al, 2017e ; Maillot et al., 2017) "Pyramiden von Meroë", lithographie d' Erns t Widenbach (dessinateur) et Wilhelm. Loeillot (lithographe), d'après le croquis de Karl Richard Lepsius (1810-1884), in : Lepsius 1849-56, pl. 137. Pyramide d'Amanishakheto à Méroé, BnF, départment des Estampes et de la photographie, GB-84 (B)-FT 4 12 Pylone de la pyramide N 6 d'Amanishakheto, à Méroé, v. - 35 - 20 " Begerauieh Pyramidengruppe A. Pyr. 15, Pylon" (" Pylone de la pyramide 15 du groupe pyramidal A de Begrawiya ") ULB Halle: Lepsius - Tafelwerke (uni-halle.de) Amanishatheko " apparaît en costume tripartite de souverain méroïtique (tunique, châle et cordelière)". Sur le côté nord (le côté «féminin», celui de la Candace), elle porte un diadème orné d’un écusson à l’effigie du bélier d’Amon et surmonté d’un rapace, faucon d’Horus ou milan d’Isis dont les ailes éployées protègent ses tempes. Ses joues sont scarifiées de trois traits verticaux, comme celles de la déesse Amésémi, épouse d’Apédémak " (Rilly, 2017e ). Trésor d'Amanishakheto, quelques joyaux ... Bracelet d'Amon, ÄM 1644 le "trésor" de la reine a été découvert par Giuseppe Ferlini en 1834 e n vandalisant sa tombe, dans la pyramide N (Nord) 6 du cimetière nord de Méroé (Begrawiya), probablement dans la chambre funéraire , et vendu "aux rois Louis Ier de Bavière en 1839 et Frédéric-Guillaume II de Prusse en 1844" ( Rilly et al, 2017e ) fermoir avec b élier Amon devant son temple, au milieu or, lapis lazuli, pâte de v erre cloisonnée v. - 35 -20 L. 18.5 x h 3 cm N eues Museum (Nouveau Musée) · Ägyptisches Museum und Papyrussammlung Berlin, Allemagne Bracelet de Mout fermoir avec déesse Mout ailée émergeant d'une fleur de lotus (nymphaea lotus ), portant sur la tête une dépouille de vautour, symbole de régénération attaché à la déesse, surmontée du pschent, la couronne double. Le bracelet était attaché au bras ou à l'avant-bras par un lien de cuir ou de tis su. Un bracelet similaire, avec la tête de la déesse koushite Amesemi épouse d'Apedemak, surmontée d'un faucon et d'un disque solaire a été perdu (Ant 708 ) or, pâte de v erre colorée et cloisonnée v. - 35 -20 h 4.6 cm München (Munich), Allemagne Staatliche Sammlung für Ägyptische Kun st (Collection nationale d'art égyptien) Ssäk, Ant. 707 / 2455 Anneaux-écussons bijoux destinés à être fixés sur la coiffure royale. Bijou portant double uraeus, sous la protection de l'oeil d'Horus ( udjat, oudjat ), enchâssé dans le disque solaire or, pâte d e v erre color ée v. - 35 -20 h. 5 cm Musée d'Art égyptien München (Münich), Allemagne 2446 d tête du dieu-lion Apedemak coiffée du hemhem ÄM 22872 or , pâte d e v erre colorée et cloisonnée v. - 35 -2 0 l. 3.8 x h . 4.5 cm Berlin, Allemagne Neues Museum tête de bélier Amon, coiffée du hénou, couronne divine pourvue de deux plumes d'autruche, plantées sur deux cornes de bélier. or, pâte de verre colorée et cloisonnée v . - 35 -2 0 l. 3.8 x h . 4.2 cm Musée d'Art égyptien München (Münich), Allemagne 2446a tête du dieu Shebo (Sebioumeker) or, pâte d e v erre color ée v. - 35 -20 h. 3.7 cm Musée d'Art égyptien München (Münich), Allemagne 2446 c tête du dieu Amon, devant son temple, surmontée du disque solaire or, cornaline (rouge) pâte d e v e rre color ée v. - 35 -20 h. 5.5 cm Musée d'Art égyptien München (Münich), Allemagne 2446 b Bagues sigillaires à intaille La reine Amanishakheto soumet ses ennemis couple princier avec enfant Ø 5 cm Musée d'Art é gyptien de Munich Colliers ÄM 1757 ÄM 1755 pierre colorée, cornaline, composé en particulier de perles taillées en forme faïence, verre, coquillages de hiéroglyphes : ankh, oudjat, pi lier djed, etc. , l. 40 cm Musée d'Art égyptien de Munich Neues Museum de Berlin, Inv. Nr. 22877 Naga/Naqa, Temple d'Amon règne de Natakamani, vers - 50 + 20 Naga/Naqa, Temple du lion / Temple d'Apedemak règne de Natakamani, vers - 50 + 20 Sur cette façade principale du temple du Lion de Naga (Naqa), le couple royal Natakamani (à gauche de la porte) - Amanitore, la Candace, à droite, malmène et soumet durement ses ennemis. Sur le côté sud du pylône, court de haut en bas un serpent à tête de lion, sorti d'une fleur de lotus, propre à chasser les mauvais esprits Le mur nord du temple présente de nouveau le couple royal, la Candace Amanitore et son fils Natakamani, accompagné cette fois de son oncle maternel, le prince (pqr, pkr , prononcé bakora , pkr-tr /prince suprême, pkr-qorise /prince souverain) Arikankharor, se tenant devant des déesses, à partir du fond : Sati (Satis, Saïtis), Hathor, Amesemi, Mut et Isis, cette dernière tenant fermement les liens d'un groupe de prisonniers attachés, symbolisant la puissance conférée par les dieux et les déesses aux souverains nubiens : Côté sud, on retrouve la famille royale, de droite à gauche, le prince, la Candace et le roi, qui font face à cinq dieux mâles : Apedemak à tête de lion, Horus et son disque solaire, Amon de Napata à tête de bélier, les deux derniers, le dieu lunaire Khonsou et Amon de Pnoubs (Kerma), étant plus effacé par le temps : Côté ouest, le dieu-lion Apedemak a dû recevoir des influences indiennes, pour ses multiples têtes (3) et bras (4). Ses bras principaux touchent le coude de la reine (à gauche) et du roi (à droite), signifiant qu'ils ont été choisis par lui pour régner. Naga/Naqa, Chapelle d'Hathor, anciennement appelée "Kiosque romain" règne de Natakamani, vers - 50 + 20 "La Chapelle d’Hathor... plusieurs fois (appelée par le passé « kiosque romain »), a été érigée à la même époque que le Temple du Lion. Elle incorpore de façon absolument unique des chapiteaux de type corinthien à des arcs en plein cintre romains et des éléments architecturaux égyptiens – un parfait exemple de pot-pourri architectural méroïtique typique de Naga. Les deux entrées de la chapelle sont diamétralement différentes : le portique ouest a une corniche à trois étages ornée d’uraeus et d’un disque solaire ailé, tous éléments typiques de l’architecture égyptienne, tandis que le portique est, avec son arc en plein cintre, ses pilastres à chapiteaux ioniens et éléments floraux, ressemble au portique d’une des premières basiliques." (Perzlmeier et Schlüter, 2016) Cléopâtre VII et son amant Marc-Antoine sont vaincus par l'empereur Octave à Actium, en 31 avant notre ère, qui fait entrer l'Egypte sous le joug romain. Les "envoyés du roi d'Ethiopie" (très probablement Téritéqas) auprès du tout premier "préfet d’Alexandrie et d’Égypte", Cornélius Gallus, ami proche d'Octave, obtiennent pour le royaume de Méroé le statut d'allié (version grecque) ou de vassal (version latine). Le désert, encore une fois, empêcha en partie, une rapide soumission de la Nubie, mais pas seulement. Divers indices nous montrent que les Nubiens tinrent la dragée haute à l'envahisseur romain. Les Méroïtes profitèrent d'un soulèvement des habitants de la nouvelle province de Triacontaschène, contre l'impôt romain, pour opérer des raids sur Assouan et Qasr Ibrim en particulier. Un nouveau préfet, Caïus Pétronius, est censé selon les sources romaines avoir soumis Napata, mais pour différentes raisons, les historiens doutent de la parole du vainqueur (la propagande, encore et toujours) qui a occulté la difficulté de l'entreprise et n'avait, semble-t-il, obtenu qu'une semi-victoire, les Nubiens faisant même ici ou là des prisonniers parmi les garnisons de Rome (Arome, Armeyose, Arobe) , en transcription méroïtique. Des stèles en méroïtique, justement, encore mal comprises, font état de victoires du roi Téritéqas, puis de son fils, le prince Akinidad. Une petite stèle de Naga (REM 1293, image de droite, plus bas) du temps de la reine Amanishakheto, ou encore des peintures murales du temple d'Auguste (image de gauche), du temps de la reine Amanirenas, ont figuré des captifs blancs ("tameya ", Tmey-l-o : "c’est un Tameya"), terme repris par une stèle trouvée à Hamadab (différente de celle qui va suivre) : "Des Tameya, j’ai [?] chaque homme, j’ai razzié chaque femme et chaque garçon" Sur la stèle de Naga, figure un soldat romain à genoux avec son casque et son ceinturon, et sur les peintures, on aperçoit en haut un prisonnier romain coiffé d'un casque grec et d'une tunique rayée, devant trois captifs, un africain, un égyptien (au casque grec également) et de nouveau un romain, endommagé. Une très grande stèle (258 cm de haut sur 100, 3.5 tonnes), qui indique le temps de règne de la Candace Amanirenas et du prince Akinidad (image centrale), présente dans la partie cintrée, endommagée, une scène d'adoration en deux volets, sous laquelle une bande aligne tout du long des prisonniers entravés (voir détail du cintre), que Garstang (cf. plus bas) pensait Romains semble-t-il à tort, issus plus probablement, selon Claude Rilly, des raids nubiens en Triacontaschène (Rilly, 2017e). Figurine de chef ennemi, prisonnie r et attaché Culture méroïtique, découvert par l'archéologue John Burges Eustace Garstang (1876-1956), qui entame les premières fouilles de la cité de Méroé en 1911. alliage de cuivre h . 4.40 x L. 8.10 x l. 2.90 cm inscription sur le ventre en écriture méroïtique "qo: qore nobo-l-o" : « c'est le noble, le roi nubien », traduction toujours discutée (Rilly et al., 2005) vers Ier - IIIe siècles Br itish Museum de Londres EA 65222 source : https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA65222 traite preislamique La traite orientale préislamique A bien plus grande échelle que les Egyptiens, les Romains, nous l'avons vu, avaient occupé des province s entières en Afrique du Nord pendant près de cinq siècles et avaient importé des esclaves d'Afrique, des Berbères, surtout, d e Maurétanie et de Numidie, ou encore des Noirs vendus par des Nubiens : "Nous avons chez nous en Afrique d'innombrables tribus barbares auxquelles l'Evangile n'a point encore été annoncé. Nous l'apprenons tous les jours par les prisonniers qui nous en arrivent et dont les Romains font des esclaves" (Saint Augustin, 354-430, Lettre 199, XII, 46 ) , cf. Rome antique et Au pays des Imazhigen, d'Elissa à Ptolémée . Les Arabes avaient plu s tard progressivement colonisé la région jusqu'à l'Espagne, à compter du VIIe siècle et largement intensifié, nous le verrons, un commerce d'esclaves qu'ils pratiquaient déjà depuis plusieurs siècl es. Le Périple de la mer Erythrée [ texte complet ] (cf. côte s wahilie ), nous fait savoir que les Arabes assuraient la navigation le long des côtes d'Afrique de l'Est, d'où ils exportaient déjà des escl aves depuis les côtes somaliennes, de Malaô (Berbera), par exemple, et encore plus Ras Hafun (Oponê) ver s l'Egypte, le Yémen ou encore Muza (Moka). Source : Journal of Fiel d Archeology Developments in Rural Life on the Eastern African Coast, a.d. 700–1500 . Adria LaViolette & Jeffrey Fleisher, 2018 côte swahilie : "swahili" vient de l' arabe s æh.il , sahil , ساحل : "côte", "rivage", d'où est aussi tiré le toponyme Sahel). P endant des siècles ce sont les Arabes qui désignent ainsi des cultures bantoues originellement développées le lo ng de la côte orientale africaine, dite côte swahilie, grosso modo de Mogadiscio à Sofala (cf. carte ci-dessus), q ue les Grecs appelaient Azania (Azanie). Imprégnées pendant des siècles de cultures a ntéislamiques puis islamisées, arabe et perse (en particulier shirazi ) , ces populations (pour beaucoup marchands et marins) parlent le kiswahili, distribué en diff érents dialectes, tels le kimvita le kiamu ou encore le kiunguja, respectivement les parle rs swahilis de Mombasa, de Lamu et de Zanzibar (Penrad, 2005) . Pendant des siècles, ont lieu des métissages, des alliances matrimoniales entre autochtones et migrants de tout le Golfe Persique (Arabie, Yémen, Mascate et Oman, etc.), qui finiront par composer la société swahilie. Il faut préciser que l'appropriation de "swahili" comme ethnonyme par les habitants des villes islamisées, de la côte est très tardive et date seulement du début du XIXe siècle, entre prédominance arabe et colonisation britannique. Avant d'être des Waswahili (le préfixe bantu wa- (sg. m- ) indique la classe des êtres humains), les communautés se nommaient selon leur cité d'origine : Waamu = habitant de Lamu, Wamvita = habitant de Mombasa, Wapemba = habitant de Pemba, etc. Quant à l'islamisation des populations de l'intérieur, elle ne date que de la seconde moitié de ce siècle (cf. Le Guennec-Copens et Mery, 2002) . "De fait, la fréquentation des côtes estafricaines par les boutres provenant du golfe Persique et de la péninsule Arabique remonte à des périodes très anciennes, se succédant depuis l’Antiquité. L’établissem ent de comptoirs, d’implantations fixes sur le littoral, est attesté par le Périple de la mer Erythrée, un récit probablement écrit au milieu du premier siècle par un commerçant grec d’Alexandrie. Ce n’est cependant qu’avec le témoignage du voyageur et géographe arabe ’Abû l-H. asan ‘Alƒal-Mas‘…dƒ(mort au Caire en 956-7) que nous obtenons un témoignage qui nous l aisse supposer qu’au IXe siècle les prémices de la formation d’une langue de traite originale (un proto-kiswahili ?) étaient po sées. Ceci est confirmé par les travaux des linguistes qui font l’hypothèse que des populations d’agriculteurs de langues bantou vivaient d ans la région de l’embouchure de la rivière Tana, sur la côte nord de l’actuel Kenya, à proximité de l’archipel de Lamu et des rivages somaliens, et que ce sont ces populations qui servaient d’interface avec les navigateurs persans ou arabes arrivant jusque-là, poussés par les vents de mousson. Au fil du temps, une nouvelle l angue est née de cette rencontre et des échanges associés. Elle sera le berceau d’une culture africaine originale, définie par le caractère pluriel des sociétés qu’elle englobe. " (Penrad, 2005) shirazi : "Selo n la Chronique de Kilwa, dans la deuxième moitié du 1 0e siècle, Ali bin al-Hasan/Husain, de la famille royale de Shiraz, serait arrivé à Kilwa et y aurait fondé une dynastie (Freeman-Grenville 1975 : 35)" (Le Guennec-Co pens et Mery, 2002) . C'est l'époque brillante du royaume de Méroé en Nubie (env. - 300 à + 300), qui s'accompagne d'un commerce actif d'esclaves en Afrique de l'Est en Egy pte, Ethiopie, Soudan, Somalie en particulier. Plus de deux siècles plus tard, En 547, Cosmas Indicopleustès (Κοσμᾶς Ἰνδικοπλεύστης, "le voyageur des Indes") , un Grec de Syrie établi à Alexandrie évoque dans sa Topographia Christiana les esclaves noirs qui arrivent dans son pays de la région de Sassou et d'Aksoum (Axoum, Ethiopie). "Il est une marchandise pour laquelle la demande n'a jamais fléchi au cours des siècles, à savoir les esclaves. Les prisonniers de guerre (dont il est fait mention dans les inscriptions d'Ezana e t dans les sources concernant les guerres entre Axoumites et Himyarites) étaient particulièrement recherchés par les marchands d'esclaves étrangers" (Histoire Générale de l'Afrique, volume II, op. cité, p . 419 ) . Avant le développement d e l'Islam (Mahomet meurt en 632), les Arabes p ossédaie nt aussi, comme en Afrique, de s esclaves ramenés des guerres menées entre tribus, qui étaient employés surtout comme bergers, paysans et même parfois, intendants. Les maîtres vivaient au milieu de leurs esclaves et les enfants issus des uns et des autres étaient esclaves ou libres (D ucène, 2019). Le s esclaves noirs des contrées moyen-orientales étaient donc encore peu nombreux et s'apparentaient davantage à des "objets de luxe et de curiosité" (Coquery-Vidrovitch et Mesnard, 2013) . Progressivement, l es esclaves feront l'objet d'un commerce plus étendu et plus florissant encore (comme celui t rès i mportant de l'or), quand, à partir de la Corne de l'Afrique, le long de la côte swahilie (Somalie, Mozambique, Zanzibar : cf. plus bas) et du Soudan actuel, ce réseau esclavagiste reliera, entre le IVe et le Xe siècle, Pemba, une des îles de Zanzibar, à Oman, Basra, à la Perse sassanide, jusqu'en Inde et en Chine , et même, probablement, à l'archipel indonésien ( Traites et escla vages en Afrique orientale et dans l'océan Indien , dirigé par Hen ri Médard , Marie-Laure Derat, Thomas Vernet et Marie-Pierre Ballarin, Editions Karthala, 2013). Le géographe Al-Idrissî (Muḥammad ibn Muḥammad al-Idrīsī, 1100-1165) cite sur le sujet les îles Zaladj (Zabedj), qui désignent Sumatra (نزهة المشتاق فى اختراق الآفاق. محمد ابن محمد الإدريسي, Kitāb Nuzhat al-muštāq fī iḫtirāq al-āfāq : "Livre du divertissement de celui qui désire parcourir le monde", rédigé vers 1154). Certains chercheurs prétendent que les Waqwaq, population malayo-indonésienne, auraient eu de fréquents échanges avec des populations B antous et, dans une moindre mesure, San, et ces relations auraient même développé des formes linguisti ques particulières (Capredon , 2012). "Le Livre des merveilles de l'Inde", écrit par Ibn Shahriyar en 945/46 rapporterait le témoignage d'un commerçant arabe qui a vu débarquer "un millier de bateaux" conduits par d es Waqwaq depuis des îles "situées en face de la Chine" (Razafindrazaka , 2019). On est alors très étonné de confronter ces dires au récit d'Al-Masudi (Al-Masudi, vers 893-956), qui affirme que le terme du voyage des marins d'Oman, "à travers la mer de Zanguebar, est l’île de Qanbalû dont nous avons déjà parlé, et le pays de Sufāla et d’al-Wâqwâq, situé sur les confins du territoire des Z andjs et dans la partie inférieure de cette mer." (مُروجُ الذَّهَب و مَعادنُ الجَوهَر, Murūj adh-dhahab wa-ma'ādin al-jawhar : "Prairies d'Or et mines de pierres précieuses", vers 943). Ce qui fait dire à différents historiens que " Wâqwâq est généralement considérée comme une onomatopée pour désigner les peuples ayant des langues à clic en Afrique australe " (Frémeaux , 2018), peut-être même "les populations du plateau du Zimbabwe" (op. cité ) , la forme d e syllabe redoublée n'ayant pas été utilisée seulement par les Arabes pour forger des toponymes ou des ethnonymes à caractère péjoratif : ainsi le mot grec que nous rendons par "berbère" (cf. Au pays des Ima zhigen, d'Elissa à Ptolémée) . idrissi-livre divertissement Ezana : souverain éthiopien qui a donné son nom à une longue inscription de ses conquêtes au milieu du IVe siècle et qui a peut-être hâté la chute de la cité de Méroé (Museur, 1969) . Chine : Signa lons que la Chin e importait depuis la baute antiquité des marchandises africaines, comme l'ivoire, l'ambre gris, l'encens, la myrrhe ou les esclav es, mais qu'elle n 'y exportera ses produits à grande échelle (porcelaine, en particulier) q u'à partir du XIe siècle, via les réseaux ara bo-musulmans ( Histoire Générale de l'Afrique, op. cité, volume III, L'Afrique du VIIe au XIe siècle , dir. M. El Fasi, codirecteur. I. Hrbek, 1990) . Zandj : (Zanj, Zendj). Nom donné aux Noirs par les géographes arabes du moyen-âge, et qui a donné en particulier le toponyme Zangebar (Zanguebar, Zanzibar) : "Terre des Noirs". Le terme dériverait de zanudj (zanoudj) : "sauvage", et a été attribué à des populations ancêtres des Mossi, vivant au Sahara, selon le Berbère Abkâl Ould Aoudar, qui écrivit vers 1410 un ouvrage intitulé Aguinas Afr iquia , "Races d'Afrique" (Hama, 1966) . 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- PLOUTOCRATIEs | CRITIQUE SOCIALE : De Meslier à Deschamps
Critique sociale : De Meslier à Deschamps Première page du " Mémoire.. " de Jean Meslier, vers 1725 Manuscrit autographe, II-311 f. (18 x 13,5 cm) BnF, département des Manuscrits, Fr. 19458, f. 1 Bibliothèque nationale de France source : http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_692.htm Jean Meslier Morelly Claude-Adrien Helvétius Gabriel Bonnot de Mably Léger Marie Deschamps (Dom) meslier Jean Meslier (1664-1729) Dès le début du XVIIIe siècle, une parole des plus contestataires se fait entendre par la voix du curé Jean Meslier, dont le "Mémoire des pensées de J... M... " (voir illustration de la page manuscrite en exergue) est le premier grand traité sur l'athéisme, précurseur du matérialisme systématique en Europe, dépassant ainsi le cartésianisme, "qu'il connaissait peu" ( Deruette, 1985 ). Ce ne sont pas ces aspects-là qui nous intéresseront ici mais ses idées qu'il exprime, de manière radicale, sur l'égalité des hommes, contre les injustices et les classes sociales, en proposant de mettre toutes les richesses en commun, ou encore en promouvant l'éducation de tous, et même, le divorce. Malheureusement, l'auteur ne nous donne de ses conceptions sociales que des principes généraux, sans jamais élaborer un projet à l'image des auteurs des utopies sociales de la même époque. C'est Voltaire, qui eut accès à son oeuvre dès 1735, qui en fit connaître des extraits en 1762 dans le contexte de l''affaire Callas. La première édition du "Testament" parut à Amsterdam l'année de la création de la Première Internationale. L'ouvrage complet fut traduit en Russie en 1824 et Meslier figura dans les programmes scolaires de l'Union soviétique. Sa critique sociale est exposée principalement dans la partie politique du livre, qui dénonce "six abus" dont il tient l'Eglise responsable, elle qui autorise " la tirannie des Rois et des Grands de la terre, au grand scandale et au grand préjudice des peuples, qui sont malheureux et misérables sous le joug de leur dure et cruelle domination. " Jean Meslier (ou Mellier, 1664 - 1729), Mémoire des pensées de j[ean] m[eslier] P[rêtre-] cu[ré] d'Estrep[igny] et de bal[aives], sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes, où l'on voit les démonstrations claires et évidentes de la fausseté de toutes les divinités, et de toutes les religions du monde. Pour être adressé à ses paroissiens après sa mort et pour leur servir de témoignage de vérité à eux, et à tous leurs semblables, in testimonium illis et gentibus ("pour servir de témoignage à eux et aux nations") . écrit entre 1719 - 1729, édition 1864, Amsterdam, Meijer, chapitre XLII, p 169. " Les premier est cette énorme disproportion que l'on voit partout entre les différents Etats et Conditions des Hommes, dont les uns semblent même n'être nés que pour dominer tyranniquement sur les autres et pour avoir toujours leurs plaisirs et leurs contentements dans la vie, et les autres au contraire semblent n'être nés que pour être de misérables, de malheureux et de vils esclaves et pour gémir toute leur vie dans la peine et dans la misère; laquelle disproportion est toute-à-fait injuste, parce qu'elle n'est nullement fondée sur le mérite des uns, ni sur le démérite des autres; et elle est odieuse, parce qu'elle ne sert d'un côté qu'à inspirer et entretenir l'orgueil, la superbe, l'ambition, la vanité, l'arrogance et la fierté dans les uns, et de l'autre côté ne fait qu'engendrer des haines, des envies, des colères, des désirs de vengeance, des plaintes, des murmures, toutes lesquelles passions sont ensuite la source et la cause d'une infinité de maux et de méchancetés qui se font dans le monde; lesquels maux et méchancetés ne seraient certainement pas, si les hommes établissaient entre - eux une juste proportion, et telle qu'il serait seulement nécessaire pour établir et garder entre eux une juste subordination, et non pas pour dominer tyranniquement les uns sur les autres. Tous les hommes sont égaux par la nature, ils ont tous également droit de vivre et de marcher sur la terre, également, d'y jouir de leur liberté naturelle et d'avoir part aux biens de la terre, en travaillant utilement les uns et les autres, pour avoir les choses nécessaires et utiles à la vie; mais comme ils vivent en société, et qu'une société, ou communauté d'hommes, ne peut être bien "réglée; ni même, étant bien réglée, se maintenir en bon ordre, sans qu'il y ait quelque dépendance et quelque subordination entre eux, il est absolument nécessaire peur le bien de la Société humaine, qu'il y ait entre les hommes une dépendance et une subordination des uns aux autres. Mais il faut aussi que cette dépendance et que cette subordination des uns et des autres soit juste et bien proportionnée; c'est-à-dire, qu'il ne faut pas qu'elle aille jusqu'à trop élever les uns et trop abaisser les autres, ni à trop flatter les uns et à trop fouler les autres, ni à trop donner aux uns et ne rien laisser aux autres, ni enfin à mettre tous les biens et tous les plaisirs d'un côté et à mettre de l'autre toutes les peines, tous les soins, toutes les inquiétudes, tous les chagrins et tous les déplaisirs, d'autant qu'une telle dépendance et subordination serait manifestement injuste et odieuse et contre le droit de la nature même." 'C'est donc manifestement un abus et un très-grand abus dans la Réligion Chrétienne, d'y voir, comme on y voit, non seulement des injustes et odieuses acceptions de personnes, mais d'y voir aussi une si énorme, une si injuste et une si odieuse disproportion entre les différens états et conditions des hommes. Mais voïons un peu aussi d'où provient présentement cet abus, et quelle en pouroit être l'origine et la cause." (op. cité, XLIII, Premier abus) "Qu'a t-on fait en rendant jusqu'à present la noblesse successive ou par hérédité, ou par élection, ou autrement, que de perpétuer un pouvoir et un honneur exorbitant, acquis et agrandi par les vices les plus énormes, par des pratiques indignes d'hommes et desquelles les auteurs mêmes ont de tout tems eu honte." "C'est donc manifestement un abus et une injustice manifeste, de vouloir, sur un si vain et si odieux fondement et prétexte, établir et maintenir une si étrange et si odieuse disproportion entre les diiférens états et conditions des hommes, qui met, comme on le voit manifestement, toute l'autorité, tous les biens, tous les plaisirs, tous les contentemens, toutes les richesses et même l'oisiveté du côté des grands, des riches et des nobles, et met du côté des pauvres peuples tout ce qu'il y a de pénible et de fâcheux, savoir la dépendance, les soins, la misère, les inquiétudes, toutes les peines et toutes les fatigues du travail; laquelle disproportion est d'autant plus injuste et odieuse, qu'elle les met comme dans une entière dépendance des nobles et des riches, et qu'elle les rend pour ainsi dire leurs esclaves, jusques-là qu'ils sont obligés de souffrir non seulement toutes leurs rebufades, leurs mépris etleurs injures, mais aussi leurs véxations, leurs injustices et leurs mauvais traitemens. Ce qui a donné lieu à un auteur de dire, qu'il n'y a voit rien de si vil et de si abject, rien de si pauvre et de si méprisable que le païsan de France, d'autant, dit-il, qu'il ne travaille que pour les Grands et pour les Nobles, et qu'il a bien de la peine avec tout son travail de gagner du pain pour soi-même. En un mot, dit-il, les païsans sont absolument les Esclaves des Grands et des Nobles, dont ils font valoir les terres et de ceux dont ils les tiennent à ferme: ils ne sont pas moins oprimées par les taxes publiques et les gabelles que par les charges particulières que leurs maitres leur imposent (...) Mais sachez, mes chers amis, qu'il n'y a point pour vous de plus méchans, ni de plus véritables Diables à craindre, que ces gens-là dont je parle; car vous n'avez véritablement point de plus grands ni de plus méchans adversaires et ennemis à craindre, que les Grands, les Nobles et les Riches de la terre, puisque ce sont effectivement ceux-là qui vous foulent, qui vous tourmentent et qui vous rendent malheureux comme vous êtes." (op. cité, XLIV, Premier abus) Ce procès des riches vise tout autant les laïcs que les clercs : " Tous les autres Monastères des autres différends Ordres, qui sont rentés, ont pareillement de très-grands biens et de très-grands revenus, de sorte que l'on peut dire de tous, qu'ils sont des réservoirs de tous biens, de toute abondance et de toutes richesses. Comment peuvent-ils donc accorder des prétendus voeux de pauvreté et de mortification avec la possession et la jouissance de tant de biens et de tant de richesses ? " (...) " ils ne sont pas comme les autres, ils sont les mieux logés, les mieux meublés, les mieux vêtus, les mieux chaussés, les mieux nourris et les moins exposés aux injures et aux incommodités des tems et des saisons; ils ne sont point, comme les autres, fatigués de travail ; ils ne sont point, comme eux, frapés des afflictions et des misères de la vie. " (op. cité, XLVII, Premier abus) Dans le second abus, le curé d'Etrépigny met étonnamment sur un même pied d'égalité l'oisiveté des riches et celle des pauvres, qui ne sont pourtant pas du tout de la même nature, et promeut une éthique du travail : " Cela paroit manifestement non seulement dans une infinité de canailles, qu'il y a de l'un et de l'autre sexe, qui ne font métier que de gueuser et de mendier lâchement leur pain, au lieu qu'ils devroient s'occuper utilement; comme ils pouroient faire, à quelque honnête travail ; (...) Il est manifeste que tous ces gens-là, gueux ou riches fainéans, ne sont d'aucune utilité dans le monde, et n'étant d'aucune véritable utilité dans le monde, il faut nécessairement qu'ils soient à charge au public, puisqu'ils ne vivent et ne subsistent que du travail des autres. " (op. cité, XLV, Deuxième abus) "TROISIÈME ABUS. Un autre abus encore et qui est presque universellement reçu et autorisé dans le monde, est l'appropriation particulière que les hommes se font des biens et des richesses de la terre, au lieu qu'ils devraient tous également les posséder en commun et en jouir aussi également tous en commun. J'entends tous ceux d'un même endroit ou d'un même Territoire, en sorte que tous ceux et celles qui seraient d'une même ville, d'un même bourg, d'un même village, ou d'un même paroisse ne composassent tous ensemble qu'une même famille, se regardant et se considérant tous les uns et les autres comme frères et sœurs, et comme étant tous les enfants de mêmes pères et de mêmes mères, et qui, pour cette raison, devraient tous s'aimer les uns les autres comme frères et comme sœurs et par conséquent devraient vivre paisiblement et communément ensemble, n'ayant tous qu'une même ou semblable nourriture et étant tous également bien vêtus, également bien logés et bien couchés et également bien chaussés, mais s'appliquant aussi également tous à la besogne, c'est-à-dire au travail, ou quelqu'autre honnête et utile emploi, chacun suivant sa profession, ou suivant ce qui serait plus nécessaire ou plus convenable de faire, suivant les temps ou les saisons et suivant les besoins que l'on pourrait avoir de certaines choses, et tout cela sous la conduite, non de ceux qui seraient pour vouloir dominer impérieusement et tyranniquement sur les autres, mais seulement sous la conduite de ceux qui seraient les plus sages et les mieux intentionnés, pour l'avancement et pour le maintien du bien public. Toutes les villes et autres communautés, voisines les unes des autres, aïant aussi, chacune de leur part, grand soin de faire alliance entr'elles et de garder inviolablement la paix et la bonne union entr'elles, afin de s'aider et de se secourir mutuellement les unes les autres dans le besoin, sans quoi le bien public ne peut nullement subsister et il faut nécessairement que la plupart des hommes soient misérables et malheureux. Car 1° qu'arrive-t'-il de cette division particulière des biens et des richesses de la terre, pour en jouir par les particuliers, chacun séparément les uns des autres, comme bon leur semble ? Il arrive de là, que chacun s'empresse d'en avoir le plus qu'il peut, par toutes sortes de voies, bonnes ou mauvaises : car la cupidité, qui est insatiable, et qui est, comme on sait, la racine de tous les maux, voïant pour ainsi dire par une espèce de porte ouverte à l'accomplissement de ses désirs, elle ne manque pas de profiter de l'occasion et fait faire aux hommes tout ce qu'ils peuvent, pour avoir abondance de biens et de richesses, tant afin de se mettre à couvert de toute indigence, qu'afin d'avoir par ce moïen le plaisir et le contentement de jouir de tout ce qu'ils souhaitent, d'où il arrive que ceux, qui sont les plus forts, les plus rusés, les plus habiles et souvent même aussi les plus méchans et les plus indignes, sont les mieux partagés dans les biens de la terre et les mieux pourvus de toutes les commodités de la vie" Malgré les accusations de fainéantise à l'adresse des mendiants, l'auteur reconnaît que c'est l'état de pauvreté qui entraîne toutes sortes de conduites asociales ou criminelles : "De-là naissent ensuite les murmures, les plaintes, les troubles, les séditions et les guerres qui causent une infinité de maux parmi les hommes (...) De-là arrive aussi que ceux, qui n'ont rien ou qui n'ont pas tout le nécessaire, sont comme contraints et obligés d'user de quantité de médians moïens, pour avoir de quoi subsister. De-là viennent les fraudes, les tromperies, les fourberies, les injustices, les rapines, les vols les larcins, les meurtres, les assassins et les brigandages, qui causent une infinité de maux parmi les hommes. " (op. cité, XLIX, Troisième abus) "Vous étonnez-vous, pauvres peuples! que vous aïez tant de mal et tant de peines dans la vie ? C'est que vous portez seul tout le poids du jour et de la chaleur, comme ces laboureurs, dont il est parlé dans une parabole de l'Evangile, c'est que vous êtes chargés, vous et tous vos semblables, de tout le fardeau de l'État; vous êtes chargés, non seulement de tout le fardeau de vos Rois et de vos Princes, qui sont vos premiers tyrans; mais vous êtes encore chargés de toute la Noblesse, de tout le Clergé, de toute la Moinerie, de tous les gens de justice, de tous les gens de guerre, de tous les maltotiers , de tous les gardes de sel et de tabac, et enfin de tout ce qu'il y a de gens fainéans et inutiles dans le monde. Car ce n'est que des fruits de vos pénibles travaux, que tous ces gens-là vivent, eux et tous ceux et celles qui les servent. Vous fournissez par vos travaux tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, mais encore tout ce qui peut servir à leurs divertissemens et à leurs plaisirs. Qu'est-ce-que ce seroit, par exemple, des plus grands Princes et des plus grands Potentats de la terre, si les peuples ne les soutenoient ? Ce n'est que des Peuples,. qu'ils ménagent cependant si peu, ce n'est, dis-je, que des peuples qu'ils tirent toute leur grandeur, toutes leurs richesses et toute leur puissance, en un mot ils ne seroient rien que des hommes foibles et petits comme vous, si vous ne souteniez leur Grandeur, ils n'auroient pas plus de richesses que vous, si vous ne leur donniez pas les vôtres, et enfin ils n'auroient pas plus de puissance ni d'autorité que vous, si vous ne vouliez pas vous soumettre à leurs loix ? (...) Enfin, si tous les biens étoient, comme j'ai dit, sagement gouvernés, personne n'auroit que faire de craindre pour soi, ni pour les siens la disette, ni la pauvreté, puisque tous les biens et que toutes les richesses seroient également pour tout le monde, ce qui seroit certainement le plus grand bien et le plus grand bonheur qui pouroit arriver à des hommes." (op. cité, LII) maltotier : maltôtier, agent de recouvrement, percepteur de la maltôte (prob. du latin, mala tolta , mauvais impôt), impôt sous-entendu comme injuste. Plus loin, Meslier donnera l'exemple des communautés chrétiennes primitives, une comparaison faite par beaucoup d'autres que lui mais qui, d'un point de vue historique, reste une vision quelque peu fantasmée, nous le verrons ailleurs : " Car il est marqué dans leurs livres, qu'ils mettoient pour lors tout en commun entr"eux et qu'il n'y avoit aucun pauvre parmi eux; toute la multitude de ceux qui croïroient, dit leur Histoire * n'avoient qu'un coeur et un même esprit, aucun ne regardoit rien de ce qu'il possedoit comme lui apartenant en particulier, mais ils mettoient tout en commun et il n'y avoit point de pauvres parmi eux, parce que tous ceux qui avoient des terres, des héritages ou des maisons, les vendoient et en aportoient le prix aux Apôtres, qui le faisoient distribuer à chacun d'eux, selon leurs besoins, de-là vient qu'ils mirent pour un des principaux points, ou articles de leur foi et de leur religion, celui de la communion des saints, c'est-à-dire de la communauté des biens, qui étoit entre les saints, voulant dire et faire entendre par-là, qu'ils étoient tous saints et que tous les biens étoient communs entr'eux ". (op. cité, LIII, p. 234) Meslier promeut l'institution du divorce, qui soulagerait de nombreuses familles à bien des égards, et tout particulièrement les pauvres. Il est par ailleurs intéressant de noter que l'auteur traite ici les hommes à égalité avec les femmes : "Pareillement encore qu'arrive-t'-il de cet autre abus, qu'ils ont entr'eux, de rendre, comme ils font, les mariages indissolubles jusqu'à la mort de l'une ou de l'autre des parties? Qu'arrive-t' -il de-là, dis-je? Il arrive de-là qu'il y a parmi eux une infinité de mauvais et de malheureux mariages, une infinité de mauvais et de malheureux ménages, dans lesquels les hommes se trouvent misérables et malheureux avec de mauvaises femmes, ou des femmes misérables et malheureuses avec de mauvais maris, ce qui cause souvent la ruine et la dissipation des ménages.(...) Qu'arrive-t' -il encore de ces mauvais mariages? Il arrive souvent de-là que les enfans qui en naissent, sont misérables et malheureux par la faute et par la mauvaise conduite de leurs pères et de leurs mères, qui leur donnent tous les jours de si mauvais exemples, et qui négligent de les instruire et de les faire instruire, comme il faudroit dans les sciences et dans les arts, aussi bien que dans les bonnes moeurs." (op. cité, LI, 5e abus, page 219 ) Meslier insiste à plusieurs reprises sur l'éducation de tous, et ne fait pas de distinction entre hommes ou femmes (tout à l'inverse de Rousseau et de bon nombre de précurseurs du communisme), et encore moins entre riches et pauvres, contrairement, nous l'avons vu, aux penseurs libéraux, même les plus progressistes comme Condorcet : " Pareillement aussi ils seroient tous également instruits dans les bonnes moeurs et dans l'honnêteté. aussi bien que dans les sciences et dans les arts, autant qu'il seroit nécessaire et convenable à chacun d'eux de l'être, par raport à l'utilité et au besoin que l'on pouroit avoir de leur science, en sorte, qu'étant tous instruits dans les mêmes principes de morale, et dans les mêmes règles de bienséance et d'honnêteté, il seroit facile de les rendre tous sages et honnêtes, de les faire tous conspirer au même bien et de les rendre tous capables de servir utilement leur Patrie, ce qui seroit certainement encore très avantageux pour le bien public de la Société humaine. " (op. cité, LII, p. 229 morelly Étienne Gabriel Morelly (1717-1778) Beaucoup de lecteurs du principal ouvrage de Morelly, le Code de la Nature (1755) pensaient, comme Babeuf au procès de Vendôme en 1797, qu'il était l'oeuvre de Diderot, d'autres penchaient pour La Beaumelle (Laurent Angliviel de), 1726-1773 ( Roza, 2011 ). En 1957, le chercheur écossais Richard Nelson Coe démontrera qu'il en est bien l'auteur, et qu'il est à son époque un philosophe possédant une certaine notoriété ( op. cité ) et ayant eu au cours de sa vie différents protecteurs : l'abbé de Ventadour, second Cardinal de Rohan, peut-être les Orléans (il avait dédié sa Physique de la Beauté ( 1746), à la duchesse de Chartres), ou encore les Noailles ( Wagner, 1978 ) ou le Prince de Conti, pour qui il aurait accompli quelques missions diplomatiques ( Roza, 2013 ). Fils d'un "employé" de la ferme du roi, Morelly a vécu à Vitry-le-François, comme régent ou précepteur, un grade de la hiérarchie des Collèges. Avant son fameux Code , il écrit aussi un Essai sur l'esprit humain et un Essai sur le coeur humain, une sorte de pamphlet (1743), puis Le Prince, les délices des cœurs ou Traité des qualités d'un grand roi, et système général d'un sage gouvernement (1751), contre le despotisme. Son roman utopique, La Basiliade (Naufrage des isles flottantes, ou Basiliade du célèbre Pilpai ), paru en 1753, eut avant tout un succès littéraire, divisant sur ses préoccupations idéologiques et sera examiné dans le cadre des "utopies sociales". C'est dans la quatrième partie du Code de la Nature que Morelly expose son projet de société dont la base est la suppression de la propriété privée et la mise en commun des richesses produites, ce qui fait de lui un des précurseurs du communisme. Ce projet ne se distingue pas beaucoup de toutes les utopies sociales écrites jusque-là depuis Thomas More, qui partagent plusieurs points communs : Tout d'abord, la mise en commun des richesses apparaît à chaque fois comme un principe incomparable de progrès humain, en supprimant la domination politique et économique des puissants sur les faibles, qui doit permettre l'éradication de la souffrance physique et morale des pauvres, et partant, ses très nombreuses conséquences funestes. Ce faisant, toutes ces utopies se fondent sur un pouvoir patriarcal et une idéologie chrétienne qui entretiennent, à des degrés divers selon les projets, non seulement la domination des hommes sur les femmes, qui n'y ont jamais de rôle politique, mais aussi une morale qui dicte toutes sortes de mesures liberticides, inspirées de la morale chrétienne. Le projet de Morelly est, sur le sujet, un des plus autoritaires, pour ne pas dire dictatorial, nous le verrons. Dès le début de l'exposition de son projet, le philosophe en pose tout de suite la pierre angulaire : " Lois fondamentales et sacrées qui couperaient racine aux vices et à tous les maux d'une société. I Rien dans la société n'appartiendra singulièrement ni en propriété à personne, que les choses dont il fera un usage actuel, soit pour ses besoins, ses plaisirs, ou son travail journalier. II Tout citoyen sera homme public, sustenté, entretenu et occupé aux dépens du public. III Tout citoyen contribuera pour sa part à l'utilité publique, selon ses forces, ses talents et son âge ; c'est sur cela que seront réglés ses devoirs, conformément aux lois distributives." Morelly, le Code de la Nature, 1755, Quatrième partie, "Lois fondamentales... ", édition de 1841, Paris, Paul Masgana, p.152 Morelly se préoccupe de la pénibilité du travail ouvrier, et demande que leur nombre soit " proportionné à ce que leur travail aura de pénible, et à ce qu'il sera nécessaire qu'il fournisse au peuple de chaque cité, sans trop fatiguer ces ouvrier ' " Op. cité, V, p. 153 Comme dans toutes les utopies sociales dont il a été question, les productions de biens sont amassées dans des magasins ou exposées sur des marchés avant d'être distribuées équitablement entre les habitants : " les productions de la nature ou de l'art qui sont durables sont amassées dans des magasins publics pour être redistribuées ". Celles qui sont d'une " durée passagère… seront apportées et distribuées dans les places publiques par ceux qui seront préposés à leur culture ou à leur préparation " ( VII, p. 153). L'auteur est très attaché à l'équité économique et demande la suspension de la distribution quand la provision d'un objet d'agrément, pour un usage universel ou particulier, venait " à défaillir au point qu'il ne s'en trouvât pas assez, de sorte qu'il pût arriver qu'un seul citoyen en fût privé, alors toute distribution sera suspendue, ou bien ces choses ne seront fournies qu'en moindre quantité, jusqu'à ce qu'il ait été pourvu... mais on prendra garde, avec soin , que ces accidents n'arrivent pas à l'égard des choses universellement nécessaires. " ( IX, p. 153). En cas d'excédents, la coopération s'opère entre cités ou provinces suffisantes au profit des provinces déficitaires, le cas échéant, sinon ces surplus " seront réservés pour des besoins futurs. " ( X, p. 154 ). Aucun produit "ne se vendra, ni ne s'échangera entre concitoyens" ( XI, p. 154) . Une nation pourra secourir une autre ou être secourue par elle, mais seulement " par échange et par l'entremise de citoyens qui rapporteront tout en public " ( XII, p. 155). Comme dans d'autres utopies sociales, l'égalité est comprise strictement, au-delà, de la mesure équitable des richesses et confine à l'uniformité du mode de vie dans différents domaines : Magasins de structure " uniforme " (II, p.156), " logement spacieux et commode " mais tous " uniformes" (IV, p 157). Cet habitat est le plus souvent communautaire, et chez Morelly, il divise ceux qui appartiennent ou non au monde agricole : " une autre rangée d'édifices destinés à la demeure des personnes employées à l'agriculture et aux professions qui en dépenden t" (VII, p157) . Par ailleurs, il n'est pas étonnant que les établissements publics cités par l'auteur ne concernent seulement que les besoins essentiels d'une société : magasins pour l'alimentation, hôpitaux, maisons de soins ou de retraite (IX et X), sans aucune mention de lieux d'agrément et de détente, alors qu'il en accepte le principe. Ce n'est pas un hasard si les seules " réjouissances " dont il parle célèbre les " premiers labours, avant l'ouverture des moissons " ( IX, p. 161 ) : une influence, encore, du christianisme, qui a toujours combattu la recherche du plaisir. En corollaire, les mesures de châtiment ne sont pas oubliées, et deux sortes de prisons sont envisagées. L'une pour " ceux qui auront mérité d'être séparés de la société pour un temps. " (X, p. 158) et l'autre dans " des espèces de cavernes assez spacieuses et fortement grillées, pour y renfermer à perpétuité, et servir ensuite de tombeaux aux citoyens qui auront mérité de mourir civilement, c'est-à-dire d'être pour toujours séparés de la société" (XI, P. 158), châtiment qui concerne en particulier les meurtriers (" Lois pénales aussi peu nombreuses que les prévarications, aussi douces qu'efficaces", I, p. 175 ). L'égalité économique, chez Morelly, et d'autres utopistes, ne supprime pas le pouvoir patriarcal et donne, selon la tradition de nombreuses cultures, les meilleurs rangs aux anciens, et, parmi eux, ceux qui ont le plus d'expérience ( Lois de police, I, p. 159 ). Il n'est donc pas question ici de récompenser le talent personnel, à l'exception de géniales aptitudes : " Dans chaque profession celui qui aura découvert quelque secret important en fera part à tous ceux de son corps, et dès lors il sera maître, n'ayant même pas l'âge, et désigné chef de ce corps pour l'année prochaine " (IV, P. 159). Par ailleurs, ces maîtres, ces chefs " dirigeront tour à tour, selon leur rang d'ancienneté, et pendant cinq jours, cinq ou dix de leurs compagnons, et taxeront modérément leur travail sur la part qui leur aura été imposée à eux-mêmes. " (I, P. 159). On peut se demander en passant quelle efficacité aurait une telle organisation de travail qui changerait de maîtres" et de "chefs" avec une telle fréquence. Morelly conserve ainsi un pouvoir hiérarchique fort entre les individus, et ne parle jamais de coopération et de décisions communes : " Dans chaque corps de profession il y aura un maître...chaque maître sera perpétuel et à son tour chef du corps.." (II, P. 159) "Les chefs de toutes professions indiqueront les heures de repos et de travail, et prescriront ce qui devra être fait. " (VII, p.160). Dans l'organisation des pouvoirs on trouve "un sénat suprême de la nation", "un conseil suprême de la nation" (Lois de la forme du gouvernement...X, P. 163) qui lui est subordonné, "Les chefs des cités, sous l'autorité des chefs de province, et ceux-ci sous les ordres du général..." (VI, p. 165) "Leurs ordres seront toujours absolus…" ( VII, p. 166) L'auteur ne traite quasiment pas d'éducation des enfants, en partie parce qu'il réserve aux heureux habitants de sa cité nouvelle une longue vie de labeur qui commence dès l'enfance et qui ne réserve qu'un jour de repos par semaine ( Lois de Police, VIII, p. 160 ) . Mieux encore, celle-ci est à peine terminée qu'il faudra déjà être marié, un état impératif auquel le citoyen de Morelly devra se soumettre : " A dix ans tout citoyen commencera à apprendre la profession à laquelle son inclination le portera ou dont il paraîtra capable, sans l'y contraindre : à quinze ou dix-huit, il sera marié : à vingt jusqu'à vingt-cinq , il professera quelque partie de l'agriculture : à vingt-six , il sera maître dans sa première profession, s'il la reprend , ou s'il continue d'exercer quelque métier attaché à l'agriculture. " Sauf raison de santé, " Tout citoyen, sitôt l'âge nubile accompli, sera marié ; personne ne sera dispensé de cette loi... Le célibat ne sera permis à personne qu'après l'âge de quarante ans. ", ( Lois conjugales...I, p. 167 ), " Les premières noces seront indissolubles pendant dix ans" ( III, p. 167 ) "Les adultères seront enfermés pendant un an; après quoi, un mari ou une femme pourra reprendre le coupable, s'il ne l'a pas répudié immédiatement après son infidélité; et cette personne ne pourra jamais se marier à son adultère." (Lois pénales aussi peu nombreuses que les prévarications, aussi douces qu'efficaces, III, p. 176 ) "D'autres fautes plus légères, comme quelques négligences , quelque inexactitude, seront punies, suivant la prudence des chefs ou des maîtres de chaque profession, soit par l'emploi dont on vient de parler dans la loi précédente, soit par la privation de toute occupation, comme de tout amusement, pour quelques heures ou pour quelques jours, afin de châtier l'oisiveté par l'oisiveté même." ( VIII, p. 177 ) " Le divorce déclaré, les personnes séparées ne pourront se rejoindre que six mois après ; mais, avant ce temps, il ne leur sera permis de se voir ni de se parler ; le mari restera dans sa tribu ou sa famille, et la femme retournera dans la sienne ; ils ne pourront traiter de leur réconciliation que par l'entremise de leurs amis communs. " (V, p. 168) "Les personnes séparées ne pourront se remarier à d'autres plus jeunes qu'elles ni plus jeunes que celle qu'ils auront quittée. Les seules personnes veuves auront cette liberté." (VII, p. 168). Les personnes de l'un ou de l'autre sexe qui auront été mariées, ne pourront épouser de jeunes personnes qui ne l'ont point été (VIII, p. 168). "Les enfants de l'un et de l'autre sexe resteront près du père, en cas de divorce, et la femme qu'il aura épousée en dernières noces, en sera seule censée la mère " (X, p. 168). " Tout citoyen, à l'âge de trente ans, sera vêtu selon son goût, mais sans luxe extraordinaire ; il se nourrira de même dans le sein de sa famille, sans intempérance et sans profusion : excès que cette loi ordonne aux sénateurs et aux chefs de réprimer sévèrement, donnant eux-mêmes exemple de modestie. ( Lois somptuaires, I, p.161 ). Le comportement des citoyens est donc surveillé et réprimé avec force en cas de transgression, le christianisme est toujours là avec sa morale liberticide, culpabilisante, avec sa longue liste de péchés. Contrôle du mariage, du divorce, de la nourriture, contrôle des vêtements, aussi, où l'uniformité est encore de mise, mais aussi l'humilité et la modestie, à défaut desquelles les citoyens peuvent être punis : " Tout citoyen aura un vêtement de travail et un vêtement de réjouissance d'une parure modeste et avantageuse, le tout selon les moyens de la république, sans qu'aucun ornement puisse faire mériter à personne de préférence ou d'égards ; toute vanité sera réprimée par les chefs et pères de familles " (III, p.161-162) . Les femmes, nous l'avons vu, sont davantage opprimées dans leur liberté que les hommes et c'est encore le cas dans l'éducation, obligées d'allaiter, sauf " preuve de leurs indispositions. " ( Lois d'éducation qui préviendraient les suites de l'aveugle indulgence des pères pour leurs enfants, I, p. 169 ). Les enfants n'échappent pas au contrôle de la communauté. L a séparation des sexes est exigée dès l'âge de cinq ans, " séparément logés et nourris dans une maison destinée à cela " ( IV, p. 170 ) et tous les enfants seront séparé de leurs parents à l'âge de dix ans " pour passer aux ateliers, où alors ils seront logés, nourris , vêtus et instruits par les maîtres et les chefs de chaque profession, auxquels ils obéiront comme à leurs parents " ( VIII, p. 170 ). L'éducation religieuse fait partie, bien entendu, de cette existence très dirigée : " ils feront des questions sur cet Etre suprême, on leur fera comprendre qu'il est la cause première et bienfaisante de tout ce qu'ils admirent ou trouvent aimable et bon. " ( IX, p. 171 ). Le reste de la formation de l'individu est tout aussi autoritaire et semble la copie conforme de ce qu'a imposé jusque-là la religion chrétienne, pour brider la liberté intellectuelle des individus, mais aussi la société en général, pour faire du peuple un troupeau bien sage et discipliné : "Il n'y aura absolument point d'autre philosophie morale que sur le plan et le système des lois" (Lois des études qui empêcheraient les égarements de l'esprit humain et toute rêverie transcendante, II, p. 173) "Toute métaphysique se réduira à ce qui a été précédemment dit de la Divinité." (III, p. 173) "On laissera une entière liberté à la sagacité et à la pénétration de l'esprit humain à l'égard des sciences spéculatives et expérimentales, qui ont pour objet, soit les recherches des secrets de la nature, soit la perfection des, arts utiles à la société." (IV, p. 174) " Chaque sénat particulier fera rédiger par écrit les actions des chefs et des citoyens dignes de mémoire (…) le sénat suprême en fera composer le corps d'histoire de toute la nation. (VII, p. 175 mably Gabriel Bonnot de Mably (1709 - 1785) "Je veux vous faire confidence d'une de mes folies. Jamais je ne lis dans quelque voyageur, la description de quelque île déserte, dont le ciel est serein et les eaux salubres, qu'il ne me prenne envie d'y aller établir une république ou tous égaux, tous riches, tous pauvres, tous libres, tous frères, notre première loi serait de ne rien posséder en propre. Nous porterions dans des magasins publics les fruits de nos travaux ; ce serait-là le trésor de l'état et le patrimoine de chaque citoyen. Tous les ans, les pères de famille éliraient des économes chargés de distribuer les choses nécessaires aux besoins de chaque particulier , de lui assigner la tâche de travail qu'en exigerait la communauté, et d'entretenir les bonnes mœurs dans l'état." Abbé Gabriel de Mably, Des droits et des devoirs du citoyen , 1758, publié de manière posthume en 1789. Contemporain de Morelly et de Deschamps (voir chapitres suivants), frère du philosophe Etienne Bonnot de Condillac (1714-1780), Gabriel Bonnot de Mably est un drôle d'animal politique, qui prend la plume pour dépoussiérer bien des préjugés (même s'il n'échappe pas, comme la plupart des littérateurs de l'époque, à ceux du patriarcat) que les élites partagent depuis un bon moment comme autant de vérités. Ses propositions sociales sont parfois radicales, et témoignent, déjà dans ses prémisses, d'une rationalité, d'un doute critique peu commun à cette époque. Contre l'inégalité, la propriété d'ordre naturel, rabâchées par les libéraux, il n'aura de cesse d'opposer le droit pour la justice et l'égalité de tous, en défendant l'intérêt général contre l'intérêt particulier, et en promouvant tout particulièrement la communauté des biens. Comme Morelly ou Babeuf, il essaiera de trouver ici ou là un terrain politique pour faire avancer ses idées, comme en Pologne, en 1770, quand il écrit à la demande du comte Wielhorski "Du gouvernement et des lois de la Pologne ", pour l'aider à réformer son pays : "il a essayé d’animer les tentatives de réforme sociale et institutionnelle en France, en Pologne, aux États-Unis et dans d’autres pays." ( Friedemann, 1975 ). Commençons par un ouvrage en forme de dialogues épistolaires, où Mably fait échanger un Français et un Anglais, Milord Stanhope, contradicteur éclairé qui porte la voix de l'auteur. Toujours à l'opposé des libéraux, le diplomate redonne au petit peuple tout ce dont les élites s'acharne à le priver sans jamais cesser de se l'accorder à eux-mêmes : l'intelligence, la dignité, le droit de savoir, de s'exprimer, de décider de ce qui est le meilleur pour lui, en résumé, son droit au bonheur : "On veut que le peuple soit ignorant ; mais remarquez, je vous prie, qu'on n'aít cette fantaisie que dans les pays où l'on craint la liberté. L'ignorance est commode pour les gens en place ; ils dupent et oppriment avec moins de peine. On appelle le peuple insolent, parce qu'on n'a pas toujours la complaisance de souffrir que les grands le soient, II est indocile, et on veut le punir, parce qu'il refuse d'être une bête de somme. Pour prévenir je ne sais quelles prétendues commotions, qui ne sont dangereuses que quand on n'a pas l'esprit d'en tirer parti, est-il sage de s'exposer aux injustices d'un gouvernement qui se croira tout permis, lorsqu'il aura lieu d'espérer une entière impunité ? Je crois, en effet que si les citoyens sont bien sots, bien stupides, bien ignorants, ils vivront dans le repos; mais quel cas vous et moi devons-nous faire de ce repos ? II ressemble à cet engourdissement qui lie les facultés d'un paralytique : votre citoyen, vil mercenaire, servira l'état comme votre laquais vous sert ; il obéira, parce-que la patience et la continuité de sa misère l'auront abruti ; mais est-ce cet engourdissement, cette patience imbécile, et ce malheureux repos semblable à la mort, que les hommes se sont proposés en se réunissant ? Est-ce là ce qui fait le bonheur et la force de la société ? Voulez-vous que de froides momies deviennent de bons citoyens ?" "Le peuple en qui réside originairement la puissance souveraine, le peuple, seul auteur du gouvernement politique, et distributeur du pouvoir confié en masse ou en différentes parties à ses magistrats, est donc éternellement en droit d'interpréter son contrat, ou plutôt ses dons ; d'en modifier les clauses : de les annuler, et d'établir un nouvel ordre de choses." "Qu'ils soient persuadés qu'en tout temps ils sont les maîtres de changer leur gouvernement ; et je vous réponds que le moindre caprice, le moindre mécontentement, produira des révolutions. Vous ne verrez pas, milord, les lois fondamentales se succéder ; mais l'anarchie sera bientôt l'état habituel de cette nation inconsidérée et volage. Bon, bon ! me répliqua milord, argument français ! Vous croyez me faire peur, avec votre anarchie ; mais ne voyez-vous pas, que si vous craignez un petit mal de ma doctrine, j'en craindrais un beaucoup plus grand de la vôtre, qui rendrait toutes les fautes irréparables ? Eh ! plût à Dieu, les révolutions fussent-elles moins rares et moins difficiles !" "L'esprit le plus faux, et le paysan le plus grossier, savent, aussi bien que le philosophe le plus profond, qu'ils ne doivent pas faire à autrui ce qu'ils ne voudraient pas qui leur fût fait. Cet homme est avili par la misère et la bassesse de ses emplois: soyez sûr, cependant, que vous parviendrez à lui donner quelqu'idée de la dignité de son être ; tandis qu'Auguste, au milieu des sacrifices que lui offrent des Flamines, et des flatteries honteuses du Sénat, est encore capable de sentir qu'il n'est qu'un homme. Plus on approfondira ces lois primitives de la nature, plus l'esprit s'en répandra dans nos lois politiques ; et n'est-ce pas en nous écartant de cette règle, que nous avons tout gâté ?" "Regarderai-je comme des lois augustes, des chiffons d'ordres fabriqués dans l'obscurité, par des vues intéressées, publiés sans règle ou avec des formes puériles qui ne peuvent me rassurer ?" "Dans un Etat ou je supposerais tous les hommes animés du bien public, ils le feraient infailliblement, car il leur serait impossible de prendre, pour arriver au but qu'ils le proposent , une voie qui les en écarterait évidemment ; mais dans un Etat au contraire où une politique vicieuse et négligente donnerait aux Citoyens des intérêts opposés à ceux de la Société, il doit régner une extrême confusion ; parce que préférant leurs avantages particuliers à l'avantage général, il ne leur serait pas possible de les sacrifier au bien public. C'est cet intérêt particulier, toujours ou presque toujours opposé à l'intérêt général, qui a détourné presque continuellement la puissance législative de la fin qu'elle devait se proposer et pour laquelle elle a été établie : voilà la véritable source de toutes ces lois grossières, barbares et odieuses qui ont désolé, qui désolent et qui désoleront encore la terre. Ne comptez donc plus , Monsieur , sur l'évidence qui accompagne les établissements utiles à la société, à moins que vous n'ayez établi de telle manière la puissance législative, qu'elle ne puisse être séduite, déterminée et conduite par un intérêt particulier. A l'évidence du bien général n'opposez point l'évidence du bien particulier, si vous ne voulez pas que le premier soit sacrifié au second. Quand le Législateur pourra séparer ses intérêts de ceux de la Société, soyez sur que la puissance législative ne sera pour ainsi dire occupée qu'à former des conjurations contre la Société. Tandis quelle ne cherchera qu'à intéresser en sa faveur un grand nombre de partisans et de défenseurs, avec lesquels elle partage les profits qu'elle attend d'une loi injuste et destructive de l'ordre, elle fera un étalage fastueux de ses forces et de son pouvoir pour consterner et forcer à un stupide silence la portion de la Société qu'elle immole à ses intérêts particuliers." "Dans cette Société vicieuse, qui n'est gouvernée que par quelques hommes occupés de leurs intérêts particuliers, vous établirez actuellement un Conseil où dix ordres de Citoyens aient droit d'entrer ; et sur le champ ces dix ordres, qui se ménageront et se réopéreront mutuellement ne seront plus opprimés par les lois. Encouragé par cet essai, continuez votre réforme, et permettez à tous les ordres de l'Etat d'avoir part à la législation ; n'est-il pas vrai qu'alors vous verrez naître de tous côtés des lois justes et impartiales, et que l'intérêt du bien public l'emportera sur tous les intérêts particuliers ?" Mably, Des droits et des devoirs du citoyen . A la différence de Rousseau, qui partage lui aussi, a priori, l'exigence absolue de souveraineté du peuple, Mably, comme les penseurs radicaux Deschamps ou Morelly, ne la contredisent jamais par toutes sortes de contradictions sur l'exercice de la volonté générale et rejettent la propriété, chérie par le citoyen de Genève. Cette exigence élevée de justice, d'égalité, de bien-être pour tous est une monstruosité pour un libéral, car elle oblige à restreindre toutes les libertés qui pourraient aller à l'encontre de cette exigence. Comme il a été dit, toutes les privations de liberté utiles à conserver, mais surtout accroître le pouvoir et les richesses des puissants, sont accueillies avec chaleur par les libéraux, et à l'inverse, celles qui menaceraient de les diminuer, de les ruiner, sont rejetées avec force, car le bien-être commun n'est absolument pas une préoccupation libérale, et tous les projets de société qui le défendent sont aussitôt caricaturés : " L’ouvrage de Mably, sur la législation ou principe des lois, est le code de despotisme le plus complet que l’on puisse imaginer. Combinez ses trois principes, 1. L’autorité législative est illimitée, il faut l’étendre à tout et tout courber devant elle 2. La liberté individuelle est un fléau, si vous ne pouvez l’anéantir, restreignez la du moins autant qu’il est possible 3. La propriété est un mal : si vous ne pouvez la détruire, affaiblissez son influence de toute manière : vous aurez par cette combinaison la constitution réunie de Constantinople et de Robespierre ". Benjamin Constant, De l'esprit de conquête et de l'usurpation , (1814) Très rares sont les libéraux, comme Simon-Nicolas-Henri Linguet (1736-1794), qui reconnaissent (du moins publiquement), l'injustice criante de la propriété. Certes, l'auteur n'échappe pas à la condamnation du luxe, une mode si prisée au XVIIIe siècle par ceux qui en jouissent le mieux, mais rarement celle-ci se trouve corrélée à son coût social : " Il est flatteur pour les esprits contemplatifs de penser que l'univers entier a concouru pour fournir le déjeuner d'une servante d'Amsterdam ; que si la Chine a envoyé la porcelaine où elle verse du café de Moka, c'est aux îles de l'Amérique qu'elle doit le sucre qu'elle y fait dissoudre. Mais pour voiturer en Europe cette porcelaine avec le café et le sucre qu'on y prend, dix vaisseaux et cinq cents matelots ont été engloutis dans les abîmes de l'Océan : un plus grand nombre peut-être est mort du scorbut et des autres maladies inséparables d'une longue navigation. Pour tirer ces diamants, cet or et ce mercure, vingt ouvriers ont été écrasés dans la mine ; vingt autres sont devenus paralytiques à la fleur de l'âge ; trente ont travaillé jour et nuit sans relâche pendant plusieurs mois, et cela pour qu'une fille d'un état abject pût le remplir chaque matin d'une liqueur pernicieuse, pour qu'un homme sans vigueur pût mettre dans sa poche un bijou inutile, pour qu'une femme sans vertu, et souvent sans beauté, pût jouir elle-même du plaisir de voir cinq ou six pierres suspendues au bout de son oreille. Voilà des gains bien imaginaires et des pertes trop réelles que le luxe occasionne à l'humanité. Les lois et la société en sont cause, par l'appui qu'elles donnent à ceux qui les exigent, par le prix qu'elles laissent mettre aux dangers qui les procurent, par la nécessité où elles réduisent la plus nombreuse partie du genre humain de courir ces dangers, de regarder la permission de les braver, comme le plus beau, le plus avantageux de leurs privilèges." Linguet, Théorie des lois civiles ou Principes fondamentaux de la société , (1767), tome 2, ch. VI. Cela ne l'empêchera pas d'accepter les pires injustices qu'il décrit au nom de l'ordre, de la paix civile : " Nos titres de jouissance et de propriété sont les mêmes : c'est-à-dire, une force, une violence primitive, légitimées ensuite par la prescription. Je possède un bien en Champagne : à quel titre ? Mon père me l'a laissé. Mais mon père de qui le tenait-il ? Il l'avait acheté, et le vendeur quel était son droit ? Une autre vente, ou donation sans doute, faite à lui, ou à quelqu'un de ses prédécesseurs. Mais en remontant ainsi, de propriétaire en propriétaire, il faudra bien trouver la tige de toutes ces propriétés successivement transmises. Or on n'en trouvera pas d'autres que la violence du possesseur originaire qui s'en est emparé, et la prescription qui a couvert, consacré cette violence. Mais chacun de ceux qui ont successivement possédé et transmis l'objet, n'a pas pu communiquer à son cessionnaire, plus de droit qu'il n'en avait reçu du sien, ni un droit d'une autre nature ; de sorte que la possession la plus légitime, la plus sacrée aujourd'hui, porte par un bout sur l'usurpation la plus criante. Il est clair cependant qu'il faut la respecter, et quiconque la viole devient coupable envers la société. (…) Quiconque oserait entreprendre d'approfondir la source des droits attachés à la souveraineté, pour en démontrer l'injustice, ébranlerait la société entière. Ceux des particuliers n'auraient plus aucune certitude. " Linguet, op. cité, tome 1 (1767). Il n'est pas inintéressant de rapprocher cette approche sociale de celle qui s'exprime la même année chez l'économiste libéral Graslin : "Si on avait comparé, avec les pays de luxe, où les riches ne se refusent aucune de leurs fantaisies, et où leur dépense est aussi grande qu’elle puisse l’être, ceux où il règne plus de simplicité et d’économie, et où les riches accumulent leur revenu en argent, ou l’augmente par des emplois de ce revenu ; certainement on aurait trouvé moins de pauvres dans les derniers que dans les premiers" Jean Joseph Louis Graslin (1727-1790), Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt, 1767 Qu'elles soient émotionnelles ou rationnelles, les réactions libérales face aux injustices sociales sont toujours de nature idéologique. Pas une seule fois, comme chez les penseurs du progrès social, elles ne se fondent sur le caractère absolu, profondément injuste des inégalités, qui réclament qu'on les supprime ou les réduise dans les faits à leur expression la plus congrue. Toucher à la liberté de propriété est un crime, pour Constant, et range de facto le projet de Mably du côté despotique. Le principe de propriété est supérieur, chez l'homme libéral, au principe d'humanité et ne supporte aucun aménagement. Mais toucher à la liberté des pauvres, des travailleurs, ne sera jamais, répétons-le, un problème pour lui. Linguet ferait pleurer dans les chaumières par ses exemples vivants de misère sociale mais les fait disparaître d'un coup au nom de principes supérieurs, là encore. Graslin rejoint quelque part Linguet pour sa morale de frugalité, mais au fond, ils ne demandent aux riches qu'un peu de modération, une inégalité un peu moins effroyable. Un an après la parution de l'ouvrage de Linguet, en 1768, Mably revient sur le devant de la scène avec ses "Doutes proposés aux philosophes... ", une charge virulente qu'il adresse aux Physiocrates, et tout particulièrement Mercier de la Rivière , qu'il cite abondamment en lui opposant sa réplique : "Prenez garde, Monsieur, que cet argument … irait à faire regarder le droit de la force ou de la ruse comme un véritable droit ; principe dangereux : Et notre Auteur est certainement bien éloigné de croire que tout appartienne au plus fort ou au plus adroit. Si mes qualités physiques ou morales ne me donnent aucun droit sur un homme moins bien partagé que moi des dons de la nature, si je ne puis rien exiger de lui qu'il ne puisse exiger de moi, enseignez-moi, je vous prie par quelle raison je prétendrais que nos conditions fussent inégales." "Que je crains que votre ordre naturel ne soit contre nature ! Dès que je vois la propriété foncière établie, je vois des fortunes inégales ; et de ces fortunes disproportionnées, ne doit-il pas résulter des intérêts différents et opposés, tous les vices de la richesse, tous les vices de la pauvreté, l’abrutissement des esprits, la corruption des mœurs civiles, et tous ces préjugés et ces passions qui étoufferont éventuellement l’évidence, sur laquelle cependant nos Philosophes mettent leur dernières espérances ? Ouvrez toutes les Histoires, vous verrez que tous les peuples ont été tourmentés par cette inégalité de fortune. Des Citoyens, fiers de leurs richesses, ont dédaigné de regarder comme leurs égaux, des hommes condamnés au travail pour vivre ; sur le champ vous voyez naître des Gouvernements injustes tyranniques, des Lois partiales et oppressives, et, pour tout dire en un mot, cette foule de calamités sous laquelle les peuples gémissent. Voilà le tableau que présente l'Histoire de toutes les Nations ; je vous défie de remonter jusqu'à la première source de ce désordre, et de ne pas la trouver dans la propriété foncière." "Quand la propriété foncière serait beaucoup plus favorable à la reproduction des richesses qu’elle ne l’est en effet, il faudrait encore préférer la communauté des biens. Qu’importe cette plus grande abondance, si elle invite les hommes à être injustes et à s’armer de la force et de la fraude pour s’enrichir ? Peut-on douter sérieusement que dans une société où l’avarice, la vanité et l’ambition seraient inconnues, le dernier des citoyens ne fût plus heureux que ne le sont aujourd’hui nos propriétaires les plus riches ?" "Qui ne voit pas que nos Sociétés sont partagées en différentes classes d'hommes qui, grâce aux propriétés foncières, à leur avarice et à leur vanité, ont toutes des intérêts, je ne dis pas différents, mais contraires ? Il faut être bien sur de son éloquence et de son adresse à manier des sophismes pour oser se flatter qu'on persuadera à un manouvrier qui n'a que son industrie pour vivre laborieusement dans la sueur et dans la peine, qu'il est dans le meilleur état possible ; que c'est bien fait qu'il y ait de grands Propriétaires qui ont tout envahi, & qui vivent délicieusement dans l'abondance & les plaisirs. Comment convaincra-t-on le Cultivateur qu'il vaut autant n'être que le Fermier d'une terre, que d'en avoir la propriété ? Je me lasserais à parcourir toutes les différentes conditions qui, étant toutes mal à leur aise, se sont toutes accoutumées à se nuire réciproquement, dans l'espérance de faire leur bien particulier aux dépens du public. En un mot, Monsieur, comment vous y prendrez-vous pour faire croire aux hommes qui n'ont rien, c'est-à-dire, au plus grand nombre des Citoyens, qu'ils sont évidemment dans l'ordre où ils peuvent trouver la plus grande somme possible de jouissances et de bonheur ? On ne démontre pas qu'une erreur est une vérité." "Dans cette Société vicieuse, qui n'est gouvernée que par quelques hommes occupés de leurs intérêts particuliers, établirez actuellement un Conseil où dix ordres de Citoyens aient droit d'entrer ; et sur le champ ces dix ordres, qui se ménageront et se réopéreront mutuellement ne seront plus opprimés par les lois. Encouragé par cet essai, continuez votre réforme, et permettez à tous les ordres de l'Etat d'avoir part à la législation ; n'est-il pas vrai qu'alors vous verrez naître de tous côtés des lois justes et impartiales , et que l'intérêt du bien public l'emportera sur tous les intérêts particuliers ?" Mably, Doutes proposés aux philosophes économistes sur l’Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, 1768 Mably traite ici des points noirs de l'idéologie des puissants. Les ordres, les hiérarchies de classes, les dominations qui se sont fondées pendant des siècles par la force et par la ruse. Les plus forts ont finit par imposer leurs lois aux plus faibles, ils se sont arrogés les propriétés et ont donné naissance à des sociétés inégales et injustes. Accepter cette réalité, qui est que la propriété s'est fondée depuis la nuit des temps sur l'injustice et l'iniquité, mais surtout, posséder le désir, la volonté de la réparer et fonder une société sur une nouvelle justice, ce serait renverser l'ordre établi, réclamer pour les pauvres leur part de richesse. L'auteur critique en passant, l'objet des libéraux qui sera jusqu'aujourd'hui fétichisé : la croissance. Il faut refuser, dit-il en substance, que les richesses se développent, il faut refuser l'abondance si elle doit s'obtenir par l'injustice et le vol. Tout cela n'est pas imaginable (jusqu'aujourd'hui) pour les classes dirigeantes, ce qui conduit les théories libérales à ancrer toutes leurs propositions économiques dans ces inégalités fondamentales. On retrouve cette fibre sociale et contestataire chez Claude-Adrien Helvétius (1715-1770) : "Le luxe excessif, qui presque partout accompagne le despotisme, suppose une nation déjà partagée en oppresseurs et oppressés, en voleurs et en volés. Mais si les voleurs forment le plus petit nombre, pourquoi ne succombent-ils pas sous les efforts du plus grand ? À quoi doivent-ils leur salut ? À l’impossibilité où se trouvent les volés de se donner le mot !" Helvétius, De L'Homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, édité de manière posthume en 1773, tome 2 , section VI, chapitre IX. "En est-il que leurs richesses & leur naissance dispensent de tout service ? La division & le malheur est dans la ruche : les Oisifs y meurent d’ennui ; ils sont enviés, sans être enviables, parce qu'ils ne sont pas heureux. Leur oisiveté cependant fatiguante pour eux-mêmes, est destructive du bonheur général. Ils dévorent par ennui le miel que les autres Mouches apportent, & les Travailleuses meurent de faim pour des Oisifs qui n'en sont pas plus fortunés" Helvétius, op. cité, chapitre V. Comment remettre alors quelque égalité dans les fortunes des citoyens ? L’homme riche aura acheté de grandes seigneuries : à portée de profiter du dérangement de ses voisins, il aura réuni, en peu de temps, une infinité de petites propriétés à son domaine. Le nombre des propriétaires diminué, celui des journaliers sera augmenté : lorsque ces derniers seront assez multipliés pour qu’il y ait plus d’ouvriers que d’ouvrage, alors le journalier suivra le cours de toute espèce de marchandise, dont la valeur diminue lorsqu’elle est commune. D’ailleurs, l’homme riche, qui a plus de luxe encore que de richesses, est intéressé à baisser le prix des journées, à n’offrir au journalier que la paye absolument nécessaire pour sa subsistance 7 : le besoin contraint ce dernier à s’en contenter ; mais s’il lui survient quelque maladie ou quelque augmentation de famille, alors, faute d’une nourriture saine ou assez abondante, il devient infirme, il meurt, et laisse à l’état une famille de mendiants. Pour prévenir un pareil malheur, il faudrait avoir recours à un nouveau partage de terres : partage toujours injuste et impraticable." Helvétius, De L'Esprit, paru anonymement en 1758. Comme pour Rousseau, il ne faut pas attendre d'Helvétius un programme radical visant à réduire drastiquement ou supprimer les inégalités sociales. Les deux tiennent la propriété pour sacrée (" que les particuliers ne peuvent, en conséquence, être dépouillés de leur propriété que par la loi, et non par une volonté arbitraire ", De l'Esprit, 3e discours, ch. XVI ) et utilisent de vieilles recettes où la richesse est le plus souvent traitée par le biais du luxe, des superfluités, dont nous avons vu à différentes reprises que sa critique, depuis l'antiquité est plus morale que sociale, ce qui permet d'affirmer "que le luxe ne fait le bonheur de personne." ou "Le peuple, chez qui le luxe s’introduit, n’est donc pas heureux au-dedans. Comme si la richesse savait déjà été le lot de tout un peuple à un moment de l'histoire. Et c'est sans compter d'autres assertions farfelues qui s'y rattachent, par exemple : "les peuples de luxe ne sont pas les plus peuplés". Et comme Rousseau encore, se faisant l'écho, encore et toujours, de la morale antique grecque, le remède au luxe, c'est une bonne dose de vertu : 'Pour s’y soustraire, il faudrait se rapprocher d’une vie simple" ( Helvétius, De L'Esprit, Discours I, chapitre III). L'ouvrage d'Helvétius, qui cause à sa publication une grande polémique, est d'une toute autre valeur sur le sujet de l'éducation. Helvétius, qui est un des premiers intellectuels à lui accorder un rôle majeur, décisif dans la formation des individus, et pas seulement des riches, ce qui donne aux privilèges de naissance et d'héritages un caractère foncièrement inégal et injuste entre les hommes. " Pour que deux individus reçussent précisement les mêmes instructions, que faudroit-il ? qu'ils se trouvassent précisément dans les mêmes positions, dans les mêmes circonstances. Une telle hypothese est impossible. Il est donc évident que personne ne reçoit les mêmes instructions. " Helvétius, De L'Homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, tome I, Ière section, chapitre I, édité de manière posthume en 1773 " On veut que les enfans aient reçu les mêmes instructions, lorsqu'ils ont été élevés dans les mêmes colleges. Mais à quel âge y entrent-ils ? à sept ou huit ans. Or à cet âge ils ont déjà chargé leur mémoire d'idées, qui dues en partie au hazard, en partie acquises dans la maison paternelle, sont dépendantes de l'état, du caractere, de la fortune & des richesses de leurs parens. Faut-il donc s'étonner si les enfans entrés au college avec des idées souvent si différentes, montrent plus ou moins d'ardeur pour l'étude, plus ou moins de goût pour certains genres de science, & si leurs idées déjà acquises se mêlant à celles qu'on leur donne en commun dans les écoles, les changent & les alterent considérablement ?" Helvétius, De L'Homme..., tome I, Ie section, chapitre V En réponse au philosophe, Diderot écrit un ouvrage qui correspond bien aux vues libérales de l'Encyclopédie. Certes, il fait avec d'autres avancer le débat démocratique en battant en brèche les conceptions aristocratiques de la société, qui accordent une place définitive aux hommes à leur naissance, mais comme la plupart des libéraux, il ne voit absolument pas que le "mérite" des individus est indissociablement lié aux conditions sociales des individus et fait de la réussite professionnelle une responsabilité personnelle, individuelle : " c’est ton affaire, ce n’est pas la mienne ; travaille le jour, travaille la nuit, instruis-toi...". Ou encore : helvétius "Page 102. — Mais il est une autre source de l’inégalité des industries et de la parcimonie des pères qui doivent transmettre à leurs enfants quelquefois des richesses immenses. Ces fortunes sont légitimes, et je ne vois pas comment, avec justice et en respectant la loi sacrée de la propriété, on peut obvier à cette cause de luxe. Réponse. C’est qu’il n’y faut point obvier ; c’est que les fortunes seront légitimement réparties lorsque la répartition sera proportionnée à l’industrie et aux travaux de chacun ; c’est que cette inégalité n’aura point de suite fâcheuse ; c’est qu’au contraire elle sera la base de la félicité publique si l’on trouve un moyen je ne dis pas d’avilir, mais de diminuer l’importance de l’or ; et ce moyen, le seul que je connaisse, c’est d’abandonner toutes les dignités, toutes les places de l’État au concours. Alors un père opulent dira à son fils : Mon fils, si tu ne veux que des châteaux, des chiens, des femmes, des chevaux, des mets délicats, des vins exquis, tu les auras ; mais si tu as l’ambition d’être quelque chose dans la société, c’est ton affaire, ce n’est pas la mienne ; travaille le jour, travaille la nuit, instruis-toi, car avec toute ma fortune je ne ferais pas de toi un huissier. Alors l’éducation prendra un grand caractère, alors l’enfant en sentira toute l’importance ; car s’il demande qui est-ce qui est grand chancelier de France, il arrivera souvent qu’on lui nommera le fils du menuisier ou du tailleur de son père, peut-être celui de son cordonnier." Diderot, Réfutation d'Helvétius , tome II, section VI, ch. 9, 1774 Il y a déjà, chez Diderot, l'argument récurrent que soutiendra le libéralisme jusqu'aujourd'hui, à savoir que l'équité correspond à une égalité de de droit, pas de fait. Diderot nous en fournit un parfait exemple, le concours. Avoir tous le droit de passer un concours ne signifie pas que nous sommes tous à égalité de possibilités de l'obtenir. De la plus petite enfance jusqu'à l'âge du concours, deux personnes qui ont le même droit de le passer n'auront pas du tout les mêmes possibilités d'atteindre ce stade à cause de toutes sortes d'inégalités sociales : conditions de vie, éducation, réseaux sociaux, etc. Et ce qui est valable pour les examens sont valables pour beaucoup d'autres situations de l'existence. Le libéralisme nous propose une égalité de droit, mais pas de fait, ce qui pose, nous le verrons, les problèmes parmi les plus importants que posent les régimes dits de démocratie moderne. Deux ans après l'ouvrage de Diderot, Mably publie un nouvel ouvrage qui continue son combat pour la défense de l'égalité et de la justice sociale, très probablement influencé par le Code de Morelly ( Roza, 2013 ) " Pour moi, continua notre philosophe, je serais tenté de croire que les peuples ne jouiront de tous les avantages de la société, que quand leurs modestes magistrats seront tirés de la charrue. C'est alors que les lois seraient justes et impartiales, et les campagnes florissantes. Aujourd'hui les insatiables besoins de notre luxe et de notre oisiveté ne cessent de tyranniser les malheureux que nous avons condamnés à cultiver la terre. N'approchons pas de ces habitations, si nous voulons conserver l'illusion qui nous plaît. Le travail qui accable les laboureurs ne serait qu'un amusement délicieux, si tous les hommes le partageaient. Notre avarice les tient dans la misère au milieu des fruits qu'ils font naître pour nous à la sueur de leur front; il leur reste à peine une vile pâture ; ils ont tous les vices de la pauvreté, et la crainte de l'avenir est peut-être pire pour eux que leur indigence présente. Qu'on vante après cela la politique de l'Europe. (…) Plus j'y réfléchis et plus je suis convaincu que l'inégalité des fortunes et des conditions décompose, pour ainsi dire, l'homme, et altère les sentiments naturels de son cœur ; parce que des besoins superflus lui donnent alors des désirs inutiles pour son bonheur véritable, et remplissent son esprit des préjugés ou des erreurs les plus injustes et les plus absurdes. Je crois que l'égalité, en entretenant la modestie de nos besoins, conserve dans mon âme une paix qui s'oppose à la naissance et aux progrès des passions. Par quelle étrange folie mettrions-nous de la recherche, de l'étude et du raffinement dans nos besoins, si l'inégalité des fortunes ne nous avait accoutumés à regarder cette délicatesse ridicule comme une preuve de supériorité ? et n'eût valu par-là une sorte de considération ? Pourquoi m'aviserais-je de regarder comme au-dessous de moi un homme qui m'est peut-être supérieur en mérite ; pourquoi affecterais-je quelque préférence; pourquoi prétendrais-je avoir quelqu' autorité sur lui, et ouvrirais-je ainsi la porte à la tyrannie, à la servitude et à tous les vices les plus funestes à la société , si l'inégalité des conditions n'avait ouvert mon âme à l'ambition , comme l'inégalité des fortunes l'a ouverte à l'avarice ? Il me semble que c'est l'inégalité seule qui a appris aux hommes à préférer aux vertus bien des choses inutiles et pernicieuses." Mably, De la Législation ou Principe des Loix (Lois), 1776. Les textes sont là, on ne peut nier la force révolutionnaire de leur contenu, ce qui est assez exceptionnel de la part d'un membre de la noblesse (qui a, soit dit en passant, des liens très étroits avec la famille princière de La Roche Foucault). On peut bien sûr regretter le poids du patriarcat ou celui, omniprésent de la culture gréco-romaine, qui alimente à tout bout de champ les argumentations des uns et des autres et sur quoi on pourrait établir de nombreuses critiques. On ne citera ici que le sujet de Sparte, que Mably ou d'autres (comme Montesquieu, d'Argenson, Rousseau, les Encyclopédistes, Robespierre et bien d'autres) tiennent pour modèle, en particulier à l'époque de Lycurgue. On sait depuis un moment déjà que le mythe a construit l'histoire si longtemps racontée de Sparte. Fustel de Coulanges, en particulier, l'a bien démonté et a montré que Sparte, sur le sujet des inégalités économiques, ne se distinguait pas du tout des autres grandes cités grecques. Il y avait des riches et des pauvres, et l'inégalité y était profonde, selon Plutarque. Le fameux partage des terres de Lycurgue n'a aucun fondement historique et même si une telle chose avait été faite, on serait assez vite revenu à une situation antérieure où, selon le poète Tyrtée, et s'il faut en croire Aristote, une révolution faillit éclater parce que "les uns étaient très riches et les autres très pauvres" ( Aristote, Politique, V, 6, édition Didot, p 673-674 ). Tout aussi mythiques sont les idées de communautés de biens liées aux syssities, les repas publics. Ni les femmes, ni les enfants n'étaient autorisés à participer aux repas, qui étaient financés par les citoyens eux-mêmes et pas par la communauté. Mieux encore, les pauvres n'y participaient pas, ils étaient "hors d'état de supporter cette dépense" c'est Aristote encore, qui nous l'apprend (Politique, II, 6, 21, p. 514). Et Aristote précise : "Il n'est pas facile de prendre part à ces repas quand on est pauvre ; or la loi veut que, si l'on cesse d'y prendre part, on perde en même temps le rang de citoyen" (cf. cit. précédente, source : Numa Denis Fustel de Coulanges, 1830-1889, Etude sur la Propriété à Sparte, 1876). On perçoit ainsi déjà aisément le fossé qui sépare les pauvres du XVIIIe siècle de cette poignée de bourgeois, et plus rarement de nobles, donc, qui les défendent, entre banquets et discussions feutrées de salon, mais le fait est là que certains dénoncent haut et fort les injustices sociales de leur temps et qu'ils ont indiscutablement joué un rôle dans la Révolution Française qui approche, nous allons le voir, surtout à compter de la libéralisation du commerce des grains. On voit ainsi Ferdinando Galiani (1728-1787) exprimer sa critique envers les Physiocrates au travers de ses Dialogues sur le commerce des blés ("bleds" : terme désignant alors génériquement les céréales), écrit en 1770, ouvrage adapté et défendu par Denis Diderot ( Apologie de l'abbé Galiani , 1770) et Mme d'Epinay : "Dans une année de mauvaise récoltes, l'Agriculteur, le Campagnard n'est pas le plus à plaindre, il est le possesseur du peu de bien que le Ciel a donné, et si le Ciel en a peu donné, du moins il le vend plus cher. Le malheureux est le Journalier ; il se trouve pris, (comme on dit) entre le battant et la porte ; il ne peut ni avancer ni reculer. Le pain est cher et l'ouvrage ne peut être mieux payé. Le désespoir fait l'émeute." (…) "Voyons comment il faut s'y prendre pour faire ce commerce actif des blés de France à l'Etranger, tant désiré et tant prôné. Il s'agit d'enlever le superflu des blés de toute la France, sans en ôter le nécessaire. L'idée seule de la délicatesse de cette opération effraie. Il s'agit pour ainsi dire d'enlever l'épiderme de toute la France sans toucher à la peau qui est si sensible et qui fait crier, cela est-il possible ? et n'est-ce-pas là la véritable cause des criailleries du peuple, dès que l'on touche un peu au commerce des blés ? Le peuple n'est pas absurde et imbécile, comme les Ecrivains toujours prodigues en louanges lui font honneur de le lui dire à tout instant. Mais il est sensible, et lorsqu'on touche à son nécessaire, il crie." L'auteur n'accepte pas l'obstination idéologique d'un Turgot qui est prêt à laisser les disettes se succéder jusqu'au triomphe de ses idées : "Il ne faut pas, lorsqu’on verra des disettes après trois ou quatre ans d’une liberté imparfaite, qui n’a encore pu faire naître ni monter le commerce, s’écrier que l’expérience a démenti les spéculations des partisans de la liberté (…) elle doit un jour assurer la subsistance des peuples, malgré les inégalités du sol et des saisons ; mais c’est une dette qu’il ne faut exiger d’elle qu’à l’échéance Turgot, Lettres sur les grains, écrites à M. l'abbé Terray, contrôleur général , 1770 Pour Galiani, la réponse est autrement plus pragmatique et vitale : "Mais prenez garde en pratique qu'il physique à la poste des lettres pour envoyer la nouvelle du défaut de blé d'une ville à un pays qui en a. Il faut un autre espace de temps pour que le blé arrive ; et si cet espace de temps est de quinze jours, et que vous n'ayez de provisions que pour une semaine, la ville reste huit jours sans pain, et cet insecte appelé homme n'en a que trop de huit jours de jeûne pour mourir, ce qui n'était pas à faire." Galiani, Dialogues…, op. cité De son côté, Mably, toujours lui, écrit sa propre critique, Du commerce des grains (1775, ouvrage posthume paru en 1789), dans un texte sous forme de lettre adressée à un certain Cléante, qui rapporte un dialogue entre l'auteur et le personnage d'Eudoxe, dont le nom même personnifie la doxa économique et son éminente figure du moment, le ministre Turgot. L'auteur commence par les émeutes parisiennes du 3 mai 1775, qu'il dépeint avec humour et provocation comme "un pillage fait avec gaieté". Eudoxe reprend à son compte différentes formules bien-pensantes : "peuple insolent et furieux", "on commence à piller les fermes, pourquoi ne pillerait-on pas les châteaux ?", et l'auteur rappelle que le peuple est poussé par un sentiment de justice : les paysans "qui ont causé le désordre dans les marchés des villes, ne volent pas, ils paient argent comptant ce qu'ils prennent, et ils veulent seulement acheter le blé à bon marché". Devant le dogmatisme des Économistes, Mably oppose le bon sens et la justice : " Une agriculture florissante est la suite et non pas le principe d'un bon gouvernement. Vous aurez beau imaginer cent moyens pour donner aux campagnes une sorte de vigueur, je les croirai très mauvais, tant qu'ils exciteront des plaintes et des murmures dans la partie la plus nombreuse des citoyens, et qu'ils étoufferont l'attachement, l'affection et les autres sentiments honnêtes qui font la principale force d'un état. O l'admirable politique, qu'il faut défendre et soutenir par les mousquets et des baïonnettes ! Je suppose que vos nouveaux règlements produisent le bien que vous en attendez ; je vous avertis de ne pas y compter. Ne voyez-vous pas qu'il y a dans le gouvernement du levain ou plutôt un poison qui altère et vicie toutes les branches de la société ? Tout le monde ne comprend-il pas que l'opulente prospérité des propriétaires et des fermiers ne peut être que passagère, tant que l'état aura des besoins insatiables et le ministère du le pouvoir de lever des impôts arbitraires ? Vous voulez enrichir les propriétaires en ruinant tout le monde, rien n'est plus ridicule. Ne faut-il pas que les vendeurs trouvent des acheteurs à leur aise ? Plus ceux-ci seront hors d'état d'acheter, moins les autres pourront vendre. Si on voulait faire fleurir l'agriculture d'une manière durable, on devait commencer par assurer la fortune ou du moins l'aisance de ce que vous appelez la classe stérile : il fallait qu'elle pût assez consommer pour encourager les travaux et l'industrie de l'agriculture" (…) " Bien loin que par un faux respect pour la propriété, le législateur doive permettre aux riches d'abuser de leur fortune pour l'accroître encore au détriment de la chose publique, il doit s'y opposer, au contraire, de toutes ses forces. Si les pauvres sont citoyens comme les riches, si de trop grandes richesses, d'une part, et une trop grande pauvreté de l'autre, multiplient les vices d'une société, et la plongent dans les plus grands malheurs, quel sera l'homme assez peu raisonnable pour prétendre qu'une saine politique ne peut prescrire aux riches les conditions auxquelles ils jouiront de leur fortune et les empêcher d'opprimer les pauvres ? Messieurs, disais-je aux propriétaires, je vous prie de faire attention qu'en vous défendant de vendre vos grains autre part que dans les marchés, je ne fais que prévenir le monopole, et empêcher que vos richesses particulières ne deviennent la cause de la misère publique. Mettez la main sur la conscience; et convenez de bonne foi que vous ne seriez point jaloux de cette liberté dont vous parlez en enthousiastes, si vous ne vouliez pas en abuser. Si vous êtes persuadés que tout vous appartient, que la société est faite pour vous, et que vous devez seuls en recueillir les avantages, vous ne méritez pas qu'on daigne vous écouter, et il faut vous traiter comme des ennemis publics." Mably, Du commerce des grains, 1775 Devant le dogmatisme des Économistes, Mably oppose le bon sens et la justice : " Une agriculture florissante est la suite et non pas le principe d'un bon gouvernement. Vous aurez beau imaginer cent moyens pour donner aux campagnes une sorte de vigueur, je les croirai très mauvais, tant qu'ils exciteront des plaintes et des murmures dans la partie la plus nombreuse des citoyens, et qu'ils étoufferont l'attachement, l'affection et les autres sentiments honnêtes qui font la principale force d'un état. O l'admirable politique, qu'il faut défendre et soutenir par les mousquets et des baïonnettes ! Je suppose que vos nouveaux règlements produisent le bien que vous en attendez ; je vous avertis de ne pas y compter. Ne voyez-vous pas qu'il y a dans le gouvernement du levain ou plutôt un poison qui altère et vicie toutes les branches de la société ? Tout le monde ne comprend-il pas que l'opulente prospérité des propriétaires et des fermiers ne peut être que passagère, tant que l'état aura des besoins insatiables et le ministère du le pouvoir de lever des impôts arbitraires ? Vous voulez enrichir les propriétaires en ruinant tout le monde, rien n'est plus ridicule. Ne faut-il pas que les vendeurs trouvent des acheteurs à leur aise ? Plus ceux-ci seront hors d'état d'acheter, moins les autres pourront vendre. Si on voulait faire fleurir l'agriculture d'une manière durable, on devait commencer par assurer la fortune ou du moins l'aisance de ce que vous appelez la classe stérile : il fallait qu'elle pût assez consommer pour encourager les travaux et l'industrie de l'agriculture" (…) " Bien loin que par un faux respect pour la propriété, le législateur doive permettre aux riches d'abuser de leur fortune pour l'accroître encore au détriment de la chose publique, il doit s'y opposer, au contraire, de toutes ses forces. Si les pauvres sont citoyens comme les riches, si de trop grandes richesses, d'une part, et une trop grande pauvreté de l'autre, multiplient les vices d'une société, et la plongent dans les plus grands malheurs, quel sera l'homme assez peu raisonnable pour prétendre qu'une saine politique ne peut prescrire aux riches les conditions auxquelles ils jouiront de leur fortune et les empêcher d'opprimer les pauvres ? Messieurs, disais-je aux propriétaires, je vous prie de faire attention qu'en vous défendant de vendre vos grains autre part que dans les marchés, je ne fais que prévenir le monopole, et empêcher que vos richesses particulières ne deviennent la cause de la misère publique. Mettez la main sur la conscience; et convenez de bonne foi que vous ne seriez point jaloux de cette liberté dont vous parlez en enthousiastes, si vous ne vouliez pas en abuser. Si vous êtes persuadés que tout vous appartient, que la société est faite pour vous, et que vous devez seuls en recueillir les avantages, vous ne méritez pas qu'on daigne vous écouter, et il faut vous traiter comme des ennemis publics." Mably, Du commerce des grains, 1775 deschamps Dom Deschamps (Léger Marie Deschamps, dit, 1716 - 1774) Ce moine dominicain, né dans la petite bourgeoisie de Rennes (son père était sergent royal, huissier auprès du présidial de Rennes et sa mère est mercière dans une échoppe) a publié deux œuvres de son vivant qui furent très peu remarquées ( Baczko, 1973 ), Les Lettres sur l'esprit du siècle (1769) et La Voix de la raison contre la raison du temps et particulièrement contre celle de l'auteur du Système de la Nature [le baron d'Holbach, NDA], par demandes et réponses (1770). Deschamps rencontre Marc-René de Voyer, marquis d'Argenson (1722-1782), le neveu de l'économiste, vers 1759, dans son château familial des Ormes, près de Montreuil-Bellay (Touraine, Maine-et-Loire), où il passera beaucoup de temps les dix dernières années de sa vie. Par l'entremise et la protection du marquis d'Argenson, admiratif de son travail, il accédera à nombre d'intellectuels importants de l'époque : Voltaire, Rousseau, Diderot, Holbach, Helvétius, le naturaliste Jean-Baptiste Robinet (1735-1820), etc. Ses deux premiers ouvrages ont été écrits probablement entre 1749 et 1761 à Quimperlé, où il était alors procureur de l'abbaye. Ils ne seront édités que bien après sa mort : Observations morales et Observations métaphysiques , découverts en deux temps à la bibliothèque municipale de Poitiers, en 1864, par Emile Beaussire, qui n'en cite que des extraits), et en 1930, surtout, après que l'érudite russe Elena Zaitseva, redécouvre l'oeuvre et la traduise sans pouvoir la publier, chose qui sera faite partiellement, seulement pour un premier tome de textes métaphysiques. Enfin, Jean Thomas et Franco Venturi publient en 1939 pour la première fois en français une édition du Vrai Système , mais encore partielle, qui ne contient que des textes métaphysiques en plus des Observations morales , sous les deux noms auxquels l'auteur appelait son oeuvre : " Le Vrai Système, le Mot de l'énigme métaphysique et morale" . Il faudra attendre 1993 pour que paraisse l'édition complète des oeuvres connues de Deschamps, par Bernard Delhaume (Paris, Vrin). En 1761/62, Deschamps adresse à Rousseau une préface de cette oeuvre, qui semble achevée dans ses grandes lignes, mais que l'auteur craint beaucoup de publier à cause de sa radicalité. Reprenant à sa manière les idées d'état de nature et d'état civil, il y ajoute un troisième, un état de la maturité de l'humanité parvenant à se défaire de tout ce qui faisait son malheur jusque-là, "l'état des mœurs" : " Il faudrait, pour y entrer, brûler non seulement nos livres, nos titres et nos papiers quelconques, mais détruire tout ce que nous appelons les belles productions de l'art. Le sacrifice serait grand sans doute, mais il faudrait le faire. " ( Dom Deschamps, Observations morales ). Alors que les Lumières n'ont que d'yeux vers le savoir, la science, les progrès techniques, mais aussi la liberté, la curiosité des sens, notre moine " propose un monde, un état de mœurs, qui n’aura plus besoin ni de savants, ni d’artistes, ni de philosophes, ni même de leurs livres. " Malgré sa critique de la religion, il n'est pas du tout absurde de penser que l'ordre social de Deschamps porte, au contraire, ses stigmates, faisant de l'homme un être spirituel et désincarné, plutôt hostile au plaisir des sens, comme le seront la plupart des auteurs utopistes, très moralisateurs. Cet univers sectaire conviendra bien à ses disciples. Ainsi " la Société des Ormes - sur le plan de l'organisation, mais aussi de certaines idées - n'est pas sans faire penser à l'Illuminisme mis en place par Adam Weißhaupt en Bavière, jusque dans les surnoms dont s'affublent les membres comme le Breton Toussaint-Marie de Guéhéneuc qui porte le pseudonyme de Nazidore. Les disciples de Dom Deschamps évoquent d'ailleurs l'Ordre des voyants et cet ordre est structuré en trois grades : les initiés (l'apprenti des loges) qui sont les lecteurs des manuscrits et des lettres de Dom Deschamps, les prosélytes (le compagnon maçonnique) qui ont pour mission de répandre la parole du maître et de rechercher les êtres susceptibles de les rejoindre et enfin les Omars (le maître) qui sont au plus près de la vérité et qui sont en même temps les copistes de l'œuvre ." ( François Labbé, le philosophe sous le bure, article des éditions l'Harmattan du 5 janvier 2015, https://www.editions-harmattan.fr/auteurs/article_pop.asp?no=29571&no_artiste=956 ) Dans le même temps, comme Meslier, Deschamps tient la religion pour cause principale des malheurs de la société, et dénonce les préjudices causés par l'institution du mariage : " Il faut frapper sur tous les états factices comme je le fais, ici, ou ne frapper sur aucun. Je ris de voir les philosophes, qui respectent la pourpre, l'épée et la robe, s'acharner contre l'Église, comme s'ils pouvaient l'anéantir, en ne s'attaquant qu'à elle. Je conviens qu'elle révolte plus la raison, qu'elle veut assujettir contre toute raison, que les autres états factices. Mais comme ces états ne peuvent pas subsister sans elle, il faut la respecter quand on les respecte. " ( Le Vrai Système ou le mot de l'énigme métaphysique et morale, J.Thomas et F.Venturi., Paris, E. Droz, 1939, p. 116 ) " Le lien du mariage fait en proportion plus de malheureux que les vœux de religion.. . ( op. cité, p. 121 ). Il va peut-être même encore plus loin, quand il dit " La communauté des femmes est de l'essence de l'état de mœurs " ( op. cité, p 124 ), évoquant cette société future où les femmes seront débarrassés de la domination masculine. Malheureusement, comme un certain nombre d'auteurs du progrès social au XIXe siècle, et Deschamps plus que d'autres, malgré ce titre prometteur de "système", notre moine bénédictin, bien plus métaphysicien que philosophe social, présente de manière embryonnaire ses conceptions sur l'organisation politique et économique de la société : " Deschamps ne fonde pas de théorie politique et ses Réflexions politiques ne forment qu’un ensemble de trois pages sur les 679 que comporte l’édition de ses œuvres philosophiques ! " ( Puisais, 2010 ). Sans humilité aucune, sans prendre toute la mesure de la complexité concrète, matérielle de son objet, l'étudie principalement au travers d'échafaudages métaphysiques abscons, proches de croyances panthéistes, qu'on en juge : "tout est relatif au tout", "Nous sommes liés à tout, nous ne faisons qu'un avec tout", "Il y a tout dans le tout et tout dans tout. Tout dans le tout se distingue de tout et tout dans tout ne se distingue point de tout" (citations de Dom Deschamps in André Robinet, Dom Deschamps, Le maître des maîtres du soupçon , Paris, Seghers, 1974, p. 248, 252, 316). Le moine bénédictin pense avoir percé ses secrets et découvert "la vérité", dont il assurait à Rousseau qu'elle permettrait de " faire pleuvoir " les exemplaires de son livre : " La vérité est la chose du monde la plus simple, mais comme nous sommes des êtres fort éloignés du simple, par la mauvaise tournure qu’a prise notre état social, sa découverte m’a coûté bien des années de réflexion, et j’ai noirci plus de deux rames de papier pour parvenir à faire un ouvrage peu volumineux. Je jouis aujourd’hui de mon travail, car je vois que ce qu’il m’a coûté beaucoup est si bien démontré, et rendu d’une façon si sensible, qu’il coûtera peu aux autres. " ( Léger-Marie Deschamps à Jean-Jacques Rousseau, août 1761, Correspondance générale, Bernard Delhaume éd., Paris, Champion, 2006, p. 72 ). Le passage où, à la manière des récits utopiques, il évoque la société dont il rêve, ne laisse en tout cas aucun doute sur le fait qu'il veuille supprimer non seulement toutes les puissances dominatrices, mais aussi le nerf principal de ces pouvoirs, la propriété privée, pour mettre toutes les richesses en commun : " Notre état social est un état de division, par là même que, contre toute raison morale, nous sommes divisés en états non seulement différents, mais extrêmement disparates. La seule domination du fort, le seul établissement d’un chef ou d’un roi, dans le principe, a suffi pour amener les hommes à être d’états différents au point de folie qu’ils le sont […]. On s’est récrié contre ce conseil de Machiavel : divise pour régner ; mais si on a eu raison de le faire, c’est uniquement parce qu’il est dangereux que les principes fondamentaux des gouvernements soient dévoilés, et qu’on en fasse hautement des maximes, vu qu’ils sont contraires aux principes moraux qu’on donne aux hommes, et qu’il est essentiel à la domination que les hommes l’ignore. " Léger-Marie Deschamps, Œuvres philosophiques, Bernard Delhaume éd., Paris, Vrin, 1993, 2 volumes, p. 607 " Les hommes et les femmes [...] vivraient tous ensemble et en commun, sous de longs toits de la plus grande solidité, et situés aussi avantageusement qu’ils le voudraient, étant les maîtres de n’habiter de la terre que les endroits les plus avantageux. Chacun de ces longs toits, avec ceux des bestiaux, des granges, et des magasins, formerait, soit sur les débris de nos villes, soit dans nos campagnes, ce que nous appelons un village, et tous les villages s’aideraient mutuellement, en raison de leur proximité, et auraient des choses communes entre eux, comme des moulins et des forges, sans avoir jamais la moindre contestation sur les districts, ni sur quoi que ce soit. Quelle matière en effet à contestation pourraient-ils avoir dans un état d’égalité où ils auraient abondamment ce qu’il leur faudrait pour contenter les appétits et les besoins non seulement les moins raisonnables de l’animalité, mais pour mener la vie la plus commode, sans mollesse ; où un homme n’aurait rien à envier à un autre homme ; où les femmes, sans contredit plus saines, mieux formées, et bien plus longtemps jeunes que les nôtres, procureraient sans aucun mystère, et sans être réputées ni belles, ni laides, ni plus à l’un qu’à l’autre, une jouissance toujours facile, et qui n’entraînerait jamais le dégoût après elle ; où chacun ne verrait rien de mieux que son village natal, que la société des hommes auxquels il serait accoutumé de naissance ; et où tout enfin serait à un tel degré d’union qu’il ne tomberait dans la pensée d’aucun d’avoir de l’éloignement pour un autre, quand même cet autre lui aurait fait quelque plaie, ou cassé quelque membre, vu que de pareils accidents ne pourraient jamais arriver que par mégarde. " ( Dom Deschamps, Observations morales ) Comme pour toutes les autres auteurs d'utopies sociales du XVIe au XVIIIe siècle au moins, Deschamps, en peu de lignes, dévoile des sentiments patriarcaux, teintés de morale et d'autoritarisme. Un petit détail éclaire sur l'aspect "artificiel" de son programme construit "sur les débris de nos villes" : Comme la plupart des auteurs utopistes, Deschamps n'imagine pas autre chose que l'habitat commun dans de grands bâtiments, mais surtout, il semble indiquer qu'on va détruire tout ce qui était privé pour y parvenir. Le philosophe et naturaliste Robinet tombera sous le charme du "Système" de Deschamps, mais confiera à d'Argenson des réserves de bon sens : " Son état de mœurs me plaît infiniment, mais j'en trouve sa venue difficile ; non pas pour vous, non pas pour moi ; mais parce qu'il faut pour l'établir un concours de personnes qu'il sera fort difficile de convaincre. Qui attachera le grelot ? " ( Deschamps, Œuvres philosophiques, op. cité, p. 441-442). BIBLIOGRAPHIE BACZKO Bronislaw, 1973, "Les discours et les messages de Dom Deschamps ". In: Dix-huitième Siècle, n°5, Problèmes actuels de la recherche. pp. 250-270; https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1973_num_5_1_1043 DERUETTE Serge, 1985, "Sur le curé Meslier, précurseur du matérialisme ". In: Annales historiques de la Révolution française, n°262, pp. 404-425 https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1985_num_262_1_1129 FRIEDEMANN Peter, 1975, "Sur la théorie du pouvoir politique" , introduction à Mably, Paris, Éditions Sociales, p. 24. PUISAIS Eric, 2010, "Deschamps utopiste ?" In : Utopies des lumières, Antoine Hatzenberger (dir.), ENS (Ecole Normale Supérieure) de Lyon. http://books.openedition.org/enseditions/4309>. ROZA Stéphanie, 2011, " Étienne-Gabriel Morelly, Code de la nature", édition critique, Paris, La ville brûle, 2011, ROZA Stéphanie, 2013,"Comment l'utopie est devenue un programme politique. Du roman à la Révolution ", thèse de doctorat, Université Paris I Panthéon-Sorbonne. WAGNER Nicolas, 1978, "Etat actuel de nos connaissances sur Morelly. Biographie, accueil et fortune de l'œuvre ". In: Dix-huitième Siècle, n°10, 1978. Qu'est-ce que les Lumières ? pp. 259-268; https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1978_num_10_1_1188
- PLOUTOCRATIEs | RUSSIE, LE MOMENT RÉVOLUTIONNAIRE 8 : Kommunalka, « l'enfer c'est les autres »
RUSSIE · Le moment révolutionnaire (1825 - 1922) 8 . Kommunalka « l'enfer, c'est les autres » Bande dessinée d'Anya Desnitskaya (illustrations) et Alexandra Livitna, " L’histoire de l’ancien appartement" , Russie, 2016, édition Scooter. Kommunalka : « L'enfer, c'est les autres » En décembre 1917 eurent lieu les premières municipalisations soviétiques des immeubles dans la ville de Moscou, et qui concernaient "les immeubles dont les propriétaires pratiquaient des loyers supérieurs à 750 roubles, soit la moitié des bâtiments de la ville, abritant près des deux tiers de sa population" (O'Donnell, 2017) . Malheureusement, le soviet d'immeubles eut à peine le temps de faire son office et de faire profiter de meilleurs logements à quelques milliers d'ouvriers et leurs familles, environ 20.000 pour novembre/décembre 1917 (Strokin, 2016) , que le déménagement du gouvernement à Moscou allait entraîner l'arrivée massive de milliers de bureaucrates en quête de logement bénéficiant du monopole d'attribution du Mossoviet (Моссовет, abréviation de Московский Сове : Conseil de Moscou), l'organe de l'administration municipale de Moscou qui créa pour ce faire un soviet central du logement et de la terre (TsJZO). Ce problème deviendra récurrent avec le développement de la bureaucratisation, sans cesse à la recherche de bâtiments pour son administration publique (Strokin, 2016) . En attendant que soient construits un nombre suffisant de logements, ce qui ne sera pas le cas avant longtemps, le pouvoir bolchevik utilisera un palliatif pour loger les pauvres, que Lénine décrit et qui sera appelé ouplotnienie, ouplotneniye (уплотнение) : "densification", qui fera l'objet d'une "intense propagande, comme en témoigne un film homonyme de Panteleev, réalisé début 1918 sur un scénario du commissaire du peuple (et homme de théâtre) Lounatcharski." (Sumpf, 2017) : "L'Etat prolétarien doit installer de force une famille extrêmement nécessiteuse dans l'appartement d'un riche. Notre détachement de milice ouvrière se compose, par exemple, de 15 hommes : deux matelots, deux soldats, deux ouvriers conscients (à supposer que l'un des deux seulement soit membre de notre parti ou sympathisant), puis d'un intellectuel et de 8 personnes appartenant à la catégorie des travailleurs pauvres (dont au moins 5 femmes, femmes de ménage, ouvriers non qualifiés, etc.). Notre détachement se présente chez le riche, visite l'appartement, y trouve cinq pièces pour deux hommes et deux femmes. «Vous vous serrerez dans deux pièces, citoyens, pour cet hiver et vous en aménagerez deux pour qu'on y installe deux familles qui habitent dans des sous-sols. En attendant que nous ayons construit, avec le concours d'ingénieurs (vous êtes ingénieur, je crois ?) des appartements convenables pour tous, il faudra absolument que vous vous serriez un peu." Lénine, Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? , op. cité Se serrer un peu. Lénine sait-il alors à quel point il verse dans l'euphémisme ? On se mit à calculer le nombre de mètres carrés disponibles par individu, et la norme, qui varie selon le temps et le lieu, était en moyenne de 10 m² pour un adulte et un enfant de moins de deux ans. En 1919, ce taux sera revu à la baisse et sera officiellement de 9 m² par personne environ (soit 18 arshins carrés), calculé sur la base de la quantité d'air nécessaire en moyenne à une personne pendant une nuit de sommeil. "« Remplissage », « ouplotnienie » en russe, voilà le terme extraordinaire que les communistes ont utilisé pour définir la gigantesque opération qui a consisté à installer dans un appartement autant de familles qu’il comptait de pièces, sans jamais tenir compte ni de leur origine, ni de leur métier, ni de leur histoire, au nom du nivellement social et du manque d’espace. Pour les dirigeants et pour Lénine en premier lieu, c’était à la fois une solution à la crise du logement et une conquête idéologique. « Eh bien, messieurs, qu’est-ce donc que ces appartements luxueux, c’est honteux, vous devez les partager avec les travailleurs », disaient les bolchéviques." (Paola Messana, Kommunalka, Une histoire de l’Union soviétique à travers les appartements communautaires, J.-C. Lattès, 1995, p. 14). De quelques pièces au début du processus, ce seront ensuite tous leurs droits à la propriété qui seront confisqués aux propriétaires. arshins : Mesure de longueur basé sur un pas humain moyen, soit 71.12 cm. On utilisait aussi depuis longtemps le sazhen, équivalent de la brasse, 176 cm pour la plus commune d'entre elles, car il existait toutes sortes de brasses. C'est ainsi qu'au travers de la réforme (ou partage : передел, peredel ) du logement se sont développés les appartements communautaires ou kommunalka (коммуналка) , en réquisitionnant en particulier les maisons bourgeoises et les hôtels particuliers, et qui marquent jusqu'aujourd'hui l'histoire sociale de Leningrad, qu'on surnomme gorod kommunalok , la « ville des kommunalki » : " jusqu’au début des années 1990, entre 60 et 80 % de la population des grandes villes habite un logement communautaire. Ce chiffre ne diminuera sensiblement qu’au cours de la Perestroïka et surtout après la privatisation du logement — pour atteindre, en avril 1998, 3,5 % pour la ville de Moscou ." (Azarova, 2007) . Les habitants d'un même appartement avaient un espace privatif très réduit, la plupart des autres espaces du logement étant communs à tous : couloir, cuisine, salle-de-bains, toilettes. Le même terme de "Maison Commune", d'"appartement communal" a été utilisé dans la période pré-révolutionnaire pour désigner des foyers ouvriers, installés suite à des expropriations, puis par les milieux de gauche au milieu des années vingt : "Il semblerait que ce soit en 1925 que le terme a été pour la première fois appliqué au projet d'habitat d'un type nouveau, à l'occasion du concours lancé par le Soviet de Moscou pour un projet de logement ouvrier. La discussion sur le mode de vie nouveau et la Maison-Commune sera freinée progressivement, à partir de 1931, quand le pouvoir commencera à s'intéresser de près à ces idées « utopiques ». Figée dans son développement, l'idée de la Maison-Commune restera alors celle de l'immeuble composé de « cellules » habitables pour des couples et des célibataires et comportant des services collectifs très développés, assurant tous les aspects de la vie domestique et familiale, de la préparation des repas à l'éducation des enfants." (Azarova, 2001) . "Cette politique a amélioré pour une part les conditions de vie d’un grand nombre de personnes, principalement les familles les plus pauvres, mais pour une autre, elle s’est faite aux dépens des autres citoyens. Tout cela a conduit à des querelles domestiques et à des conflits sociaux. En outre, la politique de densification a eu un impact négatif sur la psyché des gens: la population avait développé un certain nombre de troubles, tels que la passivité, la dépendance, le stress constant et les névroses débouchaient sur des formes de comportement agressif. Déjà visibles dans la période prérévolutionnaire, ces comportements ont perduré pendant plus d’une décennie." (Strokin, 2016). En 1925 déjà, une brochure brosse en substance le même tableau. Elle énumère beaucoup de points négatifs du dispositif des kommunalka : différence de milieux professionnels, des usages, de la propreté, de la promiscuité des âges et des sexes différents, du passage obligé des espaces collectifs pour atteindre son espace privé, la récurrence des querelles quotidiennes qui en résultent : "Tous ces faits sont devenus habituels et ont des conséquences très graves pour la santé physique et mentale des habitants, ainsi que pour la qualité de l’éducation" conclut alors l'auteur ( S. I. Snejder, Les Maisons-Communes du quartier Krasnopresnenskij , Moscou, 1925, in Azarov, 2001). "L’appartement communautaire, pour moi, au moins (mais pour les autres aussi, je pense) est sans aucun doute l’endroit, l’espace, qui démontre de manière exemplaire l’effet que produit sur un être humain un lieu d’habitation spécialement agencé, semble-t-il, pour mettre à exécution le verdict : “l’enfer, c’est les autres” »" (Ilya Kabakov, in Ilya Kabakov Installations 1983-1995, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1995) La Pravda pouvait écrire en octobre 1918 : "par l'adaptation de cette solution au problème du logement, le Parti a immédiatement acquis la confiance des masses populaires" , du début des années 1920 jusqu'au milieu des années 1930 "les conditions et le mode de vie dans les logements partagés sont dénoncés sans relâche autant par des hommes politiques, des militants, des architectes, des sociologues, des médecins, que par la presse destinée au grand public. En fonction des critiques et des solutions proposées, diverses tendances se dessinent, liées à tel ou tel groupe de militants. Pour les uns, l'objectif est d'arriver à naviguer dans l'océan des conflits domestiques quotidiens et des difficultés objectives dues au manque de place, d'air et de lumière, la propagande pour le mode de vie nouveau et la nouvelle conscience collective jouant alors le rôle de bouée de sauvetage. Les autres dénoncent les dispositifs spatiaux inadaptés des appartements communautaires ainsi que l'absence de services collectifs et en appellent aux bâtisseurs d'un habitat de type nouveau. Les troisièmes déclarent courageusement que la classe ouvrière souhaite un mode de vie traditionnel et familial et s'exposent ainsi aux critiques les plus violentes." (Azarova, 2001) . Il ne faut pas pour autant imaginer que les séries de mesures, à compter de la création du Mossoviet, forment au total une organisation rationnelle de la gestion immobilière, loin s'en faut : "Entre la prise du pouvoir par les bolcheviks et le premier décret sur les réquisitions et confiscations d’avril 1920, ces questions restèrent sans réponse. Ni l’expropriation ni la propriété n’avaient de statut juridique, ce qui les a rendues invisibles aux yeux des chercheurs. Comme l’a écrit John Hazard dans une étude désormais classique consacrée à la propriété soviétique : « la loi a toujours traité des questions de propriété ». Mais les « bacchanales » de saisies, selon le terme employé par la presse de l’époque, ignoraient toute forme de loi. On ne trouve le concept d’expropriation dans l’arsenal juridique qu’au terme d’un long processus, au moment du retour à une temporalité « normale », qui met fin à l’état d’exception révolutionnaire." (O'Donnell, 2017). En octobre 1918, un rapport du Commissariat du peuple à l’Inspection ouvrière et paysanne (Rabkrin) fait état d'une atomisation et d'une confusion inquiétantes relatives au pouvoir de réquisition des biens : "« À Moscou comme dans d’autres lieux très peuplés de la Russie soviétique », rapportait non sans inquiétude le Commissariat en octobre 1918, « la réquisition des biens mobiliers des citoyens s’effectue sur l’ordre d’autorités diverses […] par des groupes également variés, sur instruction de simples individus, leur droit à procéder se fondant uniquement sur le fait d’avoir été envoyés [sur les lieux de réquisition] en compagnie de quelques hommes armés ». Des objets aussi divers que « des denrées alimentaires détenues par leurs propriétaires en quantités excluant toute suspicion de spéculation, […] des vêtements, des objets d’usage courant, des bijoux, de l’argent, des œuvres d’art, des livres et des objets à usage scientifique », poursuivait le rapport, étaient saisis massivement, sans enregistrement ni production de document officiel." (O'Donnell, 2017, citation : Archives d’État de la Fédération de Russie : Gosudarstvennyi Arkhiv Rossiiskoi Federatsii (GARF), f. 4390, op. 1, d. 33, l. 247). Les romanciers n'ont pas manqué de se saisir de la question, en particulier l'écrivain satirique Mikhaïl Boulgakov (1891-1940) qui, dans Cœur de chien (1925), et d'autres œuvres postérieures, s'intéresse au pouvoir de ces fonctionnaires comme les gérants des comités d'immeuble, peu élevés dans la hiérarchie bureaucratique mais détenant un pouvoir important sur la vie des gens, caractéristique que l'on retrouvera dans d'autres domaines, tout au long de l'ère soviétique. Ainsi, Švonder, de Cœur de chien , "dont le nom en russe est devenu commun pour désigner un certain type de fonctionnaire, peu instruit et prêt à exécuter les ordres de sa hiérarchie, même s’ils vont à l’encontre des principes proclamés par ce même pouvoir, a néanmoins le mérite de croire dans ce qu’il fait. Il a un esprit certes très limité et ne se gêne pas pour avoir recours aux calomnies dans sa lutte contre le professeur Preobraženskij, mais au moins il travaille honnêtement pour mettre en œuvre les règles qu’il croit justes car élaborées par ses supérieurs dont il partage les idées. Les autres gérants de comité d’immeuble décrits par l’auteur sont eux aussi loyaux envers le pouvoir soviétique et assez peu intelligents, mais ils n’ont plus rien des convictions qu’avait Švonder : ils n’ont pas de scrupules et sont prêts à dénoncer toute personne qui menace leur confort ; leur poste ne leur sert qu’à assurer un certain train de vie qu’ils jugent confortable, symbolisé dans le Maître et Marguerite par une simple assiette de soupe, c’est dire à quel point les prétentions de ces représentants hiérarchiques de bas étage sont petites." (Sokolnikova, 2006). "L'État pouvait donner la vie - en attribuant un logement - et la reprendre : l'individu seul n'avait pratiquement pas les moyens de se procurer un toit. Lorsque la survie dépend de l'attribution d'un logement, laquelle est la conséquence directe de la loyauté envers l'État, et que la loyauté - notion très relative - peut à son tour être compromise à tout moment par un simple avis émanant d'un autre citoyen, le logement devient le mobile qui pousse à espionner et à dénoncer. C'est ce type de « corruption » par la « question du logement » qu'évoque le personnage de Boulgakov." (Azarova, 2001) . La délation aurait même été prévue dès l'origine par Lénine, selon Paola Messana, qui "avait chargé le Commissariat du peuple aux affaires intérieures, le NKVD, de trouver des indicateurs rémunérés parmi les habitants." (Cazaux, 2013) . Scène de Cœur de chien de Vladimir Bortko (1988), d’après le roman éponyme de Mikhaïl Boulgakov. Des représentants du comité d'immeuble cherchent à réapproprier deux pièces, pour les besoins d'une famille, dans l'appartement du professeur Preobrazhensky, doté de de 7 chambres. "L'ancien hôtel Astoria, situé sur la place d'Isaac en face de l'ambassade d'Allemagne, dont il était d'ailleurs le centre d'espionnage, est actuellement occupé en entier par les Soviets. Un décret ordonne aujourd'hui d'appeler l'Astoria : « Première maison des Soviets de Petrograd » et les employés des téléphones ne devront répondre qu'à cette appellation. Astoria, l'hôtel chic de Pétrograd a vécu. Depuis des mois, il est vrai, il avait été réquisitionné, et des soldats le gardaient jour et nuit, veillant sur les commissaires qui logent dans les somptueux appartements de jadis. Les meubles, les lampes et les lustres, les tapis et les rideaux, disparaissent peu à peu, « réquisitionnés » eux aussi par les habitants de passage, et le désordre et la saleté s'installent en maîtres incontestés." Robert Vaucher, L'enfer bolchevik, A Petrograd sous la commune et la terreur rouge, Paris, Editions Perrin et Cie, 1919, p. 385 A Moscou, écrit la Pravda, le jeudi 5 septembre 1918, « le comité exécutif du Soviet a pris la résolution d'expulser la bourgeoisie et de réquisitionner les habitations. Vendredi, la commission des habitations s'est mise au travail, et, dès samedi, dans le quartier prolétaire Bassmann, on a réquisitionné trois maisons qui en imposaient à tout le quartier. Pendant la journée de dimanche, on a expulsé de leurs appartements près de 2.000 bourgeois terrorisés et on a reçu les inscriptions des ouvriers qui désirent s'installer au domicile des expulsés. On a enregistré également tous les meubles ; les personnes expulsées ne sont pas autorisées à les enlever ou à les vendre. On désigne les citoyens qui ont le droit d'habiter dans les villes. Quant aux bourgeois qui ont liquidé leurs affaires, vivent de capitaux cachés ou possèdent des propriétés telles que fabriques, usines, maisons de rapport, entreprises commerciales, etc., ils seront tous expulsés. On saisira tout ce qu'ils ont ; on ne leur laissera que la "ration de marche", c'est-à-dire un costume de rechange, du linge, un coussin et une couverture, soit exactement ce que l'on donne à un soldat de l'armée rouge qui part au front. Puisque la terre appartient au peuple, les maisons qui sont bâties sur la terre lui appartiennent également ; les meubles et objets de tous genres qui remplissent les appartements de ces maisons doivent également devenir la propriété des prolétaires. » "On ne saurait être plus logique !", conclut l'auteur. (Robert Vaucher, L'enfer bolchevik... op. cité, p. 395. Pour terminer avec l'évocation de cette situation en partie absurde, kafkaïenne, concoctée par les bolcheviks, on terminera par les tribulations de la veuve Tikhobrazova, qui était en train de déménager au moment de la révolution d'octobre, pour la ville caucasienne d'Armavir, où son fils avait été nommé ingénieur (Affaire Tikhobrazova, GARF, op. cité, f. 4085, op. 22, d. 630, l. 4-5, in O'Donnell, 2017) . Le chaos régnait en gare et elle avait été dans l'impossibilité d'expédier ses bagages. La dame résolut alors de confier ses biens à un garde-meubles le plus proche, à Kokorevski, pour les récupérer plus tard. Pendant trois ans, à cause de la guerre civile et du manque de liaison ferroviaire, elle ne put revenir à Petrograd, ce qu'elle fit la veille du jour de l'an 1920. Entre temps, le garde meubles avait été saisi et déclaré propriété de l'Etat soviétique, et un décret de 1919 avait municipalisé meubles et effets personnels récupérés par l'Etat. Ni le directeur de l'entrepôt, ni celui de la "troïka pour les réquisitions et confiscations" ne voulurent lui rendre ses biens ni lui donner un mobilier ordinaire en compensation, qui ne lui fut octroyé qu'après pression du soviet. La veuve Tikhobrazova était opiniâtre, et on fini par lui dire que ses meubles avaient été "« confisqués par le Bureau comptable provisoire [Chrezuchet ] et transférés à la commune de Petrograd [Petrokommuna ] », ce qui signifiait qu’ils étaient ensevelis dans les profondeurs de la jungle de l’administration municipale, autant dire perdus à jamais." (O'Donnell, 2017). Retournant à Kokorevski par acquit de conscience, elle put apercevoir une de ses caisses "miraculeusement posée à l’endroit même où elle l’avait laissée trois ans plus tôt ; en la voyant éclater en sanglots, un employé la prit en pitié et l’autorisa à emporter un album de photographies qui lui était particulièrement cher. Mais en dépit de cette preuve supplémentaire que ses affaires étaient intactes, la troïka tint bon ainsi que le directeur de l’entrepôt, obéissant en cela au camarade Kimber, même après qu’on lui eût présenté les décisions du tribunal du peuple et d’autres organes officiels ordonnant que la dame rentre en possession de ses biens ." (O'Donnell, 2017). Là encore, comme dans le roman de Boulgakov, ce sont de petits fonctionnaires qui détiennent un pouvoir et une autorité redoutées, qui l'exercent de manière purement idéologique, décorrélé de la réalité : "Tout accès au garde-meubles et à son contenu passait par le camarade Kimber, l’insignifiant dictateur de Kokorevski." (O'Donnell, 2017). Au final, ce ne sont pas moins de huit institutions officielles par lesquelles passa le dossier de Tikhobrazova, dont le mobilier était loin d'être princier, comportant une table, quatre chaises, deux lits-sofa et quelques effets personnels, et cette simple affaire mobilisa des témoins, des enquêtes, des auditions devant les tribunaux, sans parler d'une production considérable de documents administratifs. Ainsi, pendant les trois premières années de la guerre civile, profitant d'un grand vide juridique sur les expropriations et les confiscations, les organes de l'Etat concernés ont pratiqué toutes sortes de procédures qui exacerbèrent le sentiment de pouvoir des uns et des autres, encouragea la rapine, la lutte entre individus pour l'obtention de biens abandonnés ou confisqués, et ce n'est qu'en avril 1920 que le gouvernement commença de limiter les expropriations et de fournir pour cela une base juridique, mais provoquant en même temps une foule de réclamations en vue d'une réappropriation de leurs biens. "L’ambition de Moscou était de s’arroger le monopole de la définition des formes de propriétés et d’activités économiques laissées sans statut ni gouvernance durant ces trois premières années." (O'Donnell, 2017). “ Ce n'est un secret pour personne combien le prolétariat et tout le mouvement révolutionnaire souffrent de l'individualisme de très nombreux militants (dejatel'), de leur ambition personnelle, de leur aspiration à se mettre en avant, de leur aversion pour la discipline fraternelle, de leur manque de patience devant la critique fraternelle [...] L'habitude largement répandue parmi les militants (partijnye rabotniki ) de faire aveuglément confiance à des autorités en vue, de s'en rapporter sans les jauger, aux opinions de tel ou tel chef reconnu, en repoussant tout doute sur leur sûreté de jugement, n'en cause pas moins de tort ” (Trotsky, op. cité). Bogdanov, Proletarskij universitet ("L'université prolétarienne"), O pmletarskoj kul' ture ("De la culture prolétarienne"), Moscou, 1918. BIBLIOGRAPHIE AZAROVA Katerina, 2001, La « question du logement », l'appartement communautaire et la privatisation de l'habitat à Moscou, In : Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 32, 2001, n°4. Les villes russes après une décennie de réformes. pp. 185-216. https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2001_num_32_4_3121 AZAROVA Katerina, 2007, Appartements communautaires à Moscou : un territoire partagé , Dans L'Homme & la Société 2007/3-4, n° 165-166, pages 161 à 175. https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2007-3-page-161.htm#re3no3 CAZAUX Alice, 2013, “Ilya Kabakov, ou le récit de vies communautaires”, Essais [Online], 3 | 2013, http://journals.openedition.org/essais/9299 O'DONNELL Anne, 2017, La confiscation des biens personnels en Russie (1917-1923), Comment mettre fin légalement à la révolution russe ? traduit de l’anglais par Françoise Bouillot, Dans Vingtième Siècle. 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- PLOUTOCRATIEs | LES UTOPIES SOCIALES : Peter Cornelius Plockhoy
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